SOMMAIRE
-
Paratextes
- Privilege
- Quatrain liminaire 1
- Quatrain liminaire 2
- Quatrain liminaire 3
- Quatrain liminaire 4
- A Jean Brinon
-
Epigrammes
- ✦ 1
- ✦ 2
- ✦ 3
- ✦ 4
- ✦ 5
- ✦ 6
- ✦ 7
- ✦ 8
- ✦ 9
- ✦ 10
- ✦ 11
- ✦ 12
- ✦ 13
- ✦ 14
- ✦ 15
- ✦ 16
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- ✦ 18
- ✦ 19
- ✦ 20
- ✦ 21
- ✦ 22
- ✦ 23
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- ✦ 25
- ✦ 26
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- ✦ 28
- ✦ 29
- ✦ 30
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- ✦ 33
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- ✦ 36
- ✦ 37
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- ✦ 39
- ✦ 40
- ✦ 41
- ✦ 42
- ✦ 43
- ✦ 44
- ✦ 45
- ✦ 46
- ✦ 47
- ✦ 48
- ✦ 49
- ✦ 50
- ✦ 51
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- ✦ 84
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- ✦ 88
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- ✦ 99
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- ✦ 101
- ✦ 102
- ✦ 103
- ✦ 104
- ✦ 105
- ✦ 106
- ✦ 107
- ✦ 108
- ✦ 109
- ✦ 110
- ✦ 111
- ✦ 112
- ✦ 113
- ✦ 114
- ✦ 115
- ✦ 116
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Epigrammes pour estreines de 1555
- ✦ 1
- ✦ 2
- ✦ 3
- ✦ 4
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- ✦ 122
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- ✦ 125
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- ✦ 146
- ✦ 147
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Enigmes
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- ✦ 28
- ✦ 29
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Passetemps
- ✦ 1
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- ✦ 26
sensvyvent
LES RVIS-
seavx de
font-
taine :
Oeuure contenant Epitres, Elegies, Chants
diuers, Epigrammes,
Odes, & Estrenes
pour cette presente annee 1555.
Par
Charles
Fontaine,
Parisien.
Plus y a vn traité du passetemps des amis, auec
vn
translat d’vn liure d’
Ouide,
& de 28
Enigmes de
Symposius,
traduits,
par
ledict
Fontaine.
À LYON,
PAR
THIBAVLD PAYAN.
1555.
Auec priuilege du Roy.
Extraict du priuilege.
Par priuilege du Roy il est permis
à maistre
Char
les Fontaine,
imprimer, ou faire imprimer,&
met-
tre en vente les traitez qui s’ensuyuent : asauoir
les
Ruisseaux de fontaine de sa cõposition, le passetemps
des amis
cõtenant Epitres & Epigrammes dudit Fon
taine à ses amis, & de ses
amis à luy : & la traduction
du premier liure du Remede d’amour d’Ouide,
faite
par ledit
Fontaine :
Auec deffenses expresses faites à
tous autres
imprimeurs & libraires sinon à celuy ou
ceux qui auront permission dudit
Fontaine, d’impri-
mer, ou faire imprimer, vendre ny
debiter lesdits li
ures, ny partie ou portion d’iceux, iusques à
quatre
ans prochains ensuyuans à cõmencer du iour & date
que
lesdites oeuures seront acheuees d’imprimer,
comme plus aplain est contenu
es lettres sur ce don-
nees à Paris, le 16.iour de
Ianuier, l’an 1552.
Et signees Coignet,
Par le
Roy,
à la relation du Conseil,&
scellees en cire iaulne sur le
repli.
À la louenge de Poësie.
Les forts chateaux cherront :
L’argent s’enrouillera :
Mais les beaux vers luyront
Tant que le ciel luyra.
Autre.
Celuy dont les Muses feront
Festes & solennité, viura
Tant qu’au ciel estoilles seront,
Que terre boys, mer eau aura.
Autre.
Les durs cailloux, le coultre en la charue
S’vsent par temps : les vers demeurẽt sains :
Cedent les Roys, leurs triomphes, & trains,
(Qui en leur main ont la fortune drue)
5Les mines d’or, apres qui tant on sue,
Cedent aux vers de loz immortel pleins
Autre, par vers Alexandrins.
Renom acquis par vers,
sans perir de-
mourra :
La Muse emporte vn loz qui iamais ne mourra.
À
Iean Brinon,
seigneur de Villaynes,
Conseiller du Roy en sa Court
de
Parlement à Paris, Charles
Fontaine S.
C omme en tes champs y a diuersité
De fruits & fleurs, que l’art & la
nature
Y ont produit en grant fertilité
Durant le temps qui beau quelques moys dure :
5Tu voys ici, par plus noble culture,
De mon esprit les fleurs & fruits diuers,
Qui dureront contre la saison dure,
Auec honneur portez pas l’vniuers.
SENSVIVENT LES
epitres :
[1]
et premierement,
Epistre au Roy, à qui
l’Auteur
adres-
soit vne sienne traduction.
S
i
vostre esprit autant hault en
sa-
gesse
Que vostre haulte, & eureuse
no-
blesse
Est éleuee en toute autorité,
( Roy admirable à la posterité)
5Vient à penser qui auroit peu induire
Ma Muse basse à ce liure traduire
Plus tost que nul des autres de l’auteur,
Dond le renom croist en toute haulteur :
Secondement quelle chose soudaine
10A fait changer la petite Fontaine,
Qui feit courir en fin de l’autre esté
Vers vostre grande, & haulte maiesté
Vn ruisselet de source encor plus nette :
a 3 [p. 6]Souuerain Roy oyez ma raisonnette
15Communement chascun sait tresbien dire.
Que qui choisit ne doit prendre le pire.
I’ay donc eleu ce liuret cy, pourtant
Que de santé l’Auteur y va traitant,
Et qu’il vault mieux estre sain que malade :
20Cenonobstant assez me persuade
Qu’en autre endroit pourrois tãt bien, ou mieux
Qu’en ce labeur qui va souz voz clers yeux :
Lequel traitant des moyens de santé,
Par bons propos en a maints contenté :
25Et tout esprit qui bon repos demande.
Y trouuera recreation grande.
Vous y verrez comme on doit s’occuper,
Pour toute oysiue occasion coupper,
Ou en l’amour de victoire par guerre,
30Ou à chacer, ou cultiuer la terre :
Qui sont trois pointz de noblesse tenans,
Qui sont trois pointz à vous appartenans,
Ou l[’]on a veu tout le cours de vostre aage
Sur tous noz Roys emporter l’auantage :
35Second Cyrus vous estes en culture :
Le chacer est vostre propre nature :
Mais [p. 7]Mais en bataille, à la lance ou espee,
Vous resemblez vn Cesar ou Pompee.
Ce traité donc qui proficte, & ne nuit,
40N’est sans plaisir, & si n’est pas sans fruict :
Vous presentant donques le contenu,
Comment pourrois-ie estre le mal venu ?
Mesme vers vous, Prince tant debonnaire,
Qui de bonté, & de grace ordinaire
45Recueillez bien toutes gens de sauoir,
Puis les haulsez, comme chascun peut voir :
Qui ornez vostre vniuersité saincte
De gens lettrez, & de science mainte :
Qui long temps a, & de propos certain,
50Auez conceu en vostre esprit haultain
D’edifier vn trilingue college,
Et l’enrichir de maint grand priuilege :
Mais ce pendant par vos raisons prudentes
Auez mis fin aux choses plus vrgentes.
55Puis auez fait commandemens expres
Que les ouuriers d’y besoigner soyent prestz :
En quoy ne peult esprit, tant soit insigne,
Vous extoller par louange assez digne :
Que Dieu vous face auec son bon plaisir
a 4 [p. 8]Mettre en effet ce tant noble desir,
Si qu’en voz iours pleins de fortune eureuse,
Et en santé de cent ans plantureuse
Vostre noble œil l’oeuure parfaite voye,
Et vostre esprit en ait le fruict, & ioye.
65Or maintenant touchant le second point,
Tresnoble Roy, nier ie ne veulx point
Qu’il n’y ait bien assez grand’ difference
Aux deux traictez, de stile, & de sentence :
Mais tout esprit à l’estude arresté,
70Est recreé [sic pour recréé] par maint diuers traicté.
Vray est que l’vn à corriger s’applique
Vn vice ou deux souz stile Poëtique :
L’autre corrige, & maintz vices efface
Souz vn esprit plein de diuine grace.
75Combien pourtant (sans que desplaise en riens
Au hault esprit rempli de si grans biens)
A bien parler qu’est-ce que Poësie
Fors vne ardante, & saincte phrenesie ?
Comme bien lire en nostre Ouide on peult,
80Dieu est en nous, qui nous eschaufe, & meut.
Et de là vient cette fiction belle
Que de Bacchus font feste solennelle
Poëtes [p. 9]Poëtes saintz, & a obtenu lieu
D’estre appelé des Poëtes le dieu :
85Pource que quand le sainct Nectar s’apreste
A leur monter en leur sacree teste :
Diuinement, & si bien les enyure
Qu’on les diroit ailleurs penser, & viure,
Tant sont hors soy eleuez & rauis.
90Sur ce propos diray-ie point l’aduis
De quelques gens, dont l’ignorance blasme
En moy cet art, qui doit estre sans blasme :
Ou pour mieux dire, ilz me vont blasmãt, pource
Qu’il me garnit petitement la bource.
95Ò quantesfoys ils m’ont crié, ta Muse
T’abuse trop, non seulement t’amuse :
Gens ignorans (car le meilleur tresor
Point ne consiste en argent, & en or)
Et non sentans le bien, & la richesse,
100L’honneur, le fruict, la ioye, & la liesse,
Qui par le temps, glaiue, & feu ne perit,
Ains sans fin brule vn Poëtic esprit :
En ce disant ne blasme leurs personnes,
Lesquelles sont moins sauantes que bonnes :
105Si croira bien vostre esprit tant sauant
a 5 [p. 10]Que sans propos n’ay parlé si auant.
Si à cet art i’estoye destiné
Des que sur terre enfant petit fus né,
Pourrois ie bien de cœur trop endurci
110Combatre Dieu, & la nature aussi ?
L[’]on dit tresbien, tout esprit d’autre estoffe,
Soit d’Orateur, ou soit de Philosophe
Se fait par art, sollicitude & cure,
Mais le Poëte est faict tel de nature.
115Il est bien vray (Sire) que poureté
Maint hault esprit a tout court arresté :
Tel n’est le mien qui tous les iours aprend,
Mais tous les iours ie say comme il m’en prend.
Le riche auare est tout accoustumé,
120Louer de bouche vn oeuure bien limé
Et puis c’est tout : l’autheur demeure là :
Et, tout comté, ce seul salaire il a.
Si Heroët est loué iusqu’au bout,
Et Sangelais, qu’est-ce si c’est le tout ?
125Que si au moins en fin la recompense
Correspondoit au labeur, & despence,
Mille espritz bons, pour vn apparoistroient
En vostre France, & tous les iours croistroient :
Mais [p. 11]Mais poureté qui les garde de croistre,
130Pareillement les garde d’apparoistre.
Car poureté auec son obscur voile
Obscurciroit la plus luisante estoille.
Poësie est noblesse, & gayeté
D’esprit tranquille, & en grand liberté,
135Lequel n’admet double sollicitude :
Tel noble esprit occupé à l’estude,
Pour vn chaslit ne se doit trauailler,
Ny pour auoir vn linge, ou oreiller.
Car si Vergile est en grande souffrette,
140S’il n’a ne lict, ne tect, ne maisonnette,
Ne seruiteur, ne pecune moyenne,
Escrira il de la guerre Troyenne ?
Quand on est ieune en grand esbatement
Pour passetemps, & pour contentement
145C’est vn plaisir de sonner la musette :
Mais puis apres quand l’aage, & la disette
Surprennent tost le Poëte estonné,
Alors s’en va son chant mal entonné,
Diminuant tout petit à petit,
150Car de sonner il perd tout appetit :
Alors il hayt sa Musette, & sa Muse :
Si elle [p. 12]Si elle s’offre, il la iette, & refuse :
Le seul Poëte en ce point esperdu,
Demeure là esgaré, & perdu.
155Mais maintenant Poëtes à merueille
Et en grand nombre, ont bien qui les reueille :
Car vn grand Roy le grand Dieu de là sus
Nous a donné, qui les a remis sus.
O
Roy
, franc Roy, le seul vray Roy
vous
estes,
Qui d[’]espoir grand, & de gages honnestes
Entretenez les Poëtes sans fin
De vostre temps, plus que l’or pur, & fin.
Parquoy souuent, contre fortune forte,
D’auoir tel Roy ma Muse se conforte,
165Et de faueur d’vn tel Prince alaitee,
Ia par deux foys s’est à vous presentee.
Epitre [p. 13]
[2]EPITRE, PHILOSO-
phant sur la bonne amour :
à
vne dame.
I
’ay poursuiuy tousiours
l’amour
honneste,
Comme raison par honneur
m’admo-
neste :
Ie n’ay iamais aymé sinon pour bien :
Par cet escrit (dame) l’entendrez bien.
5Que si l’amour est chose en moy fatale :
Ce n’est l’amour charnelle, ne brutale,
Ce n’est l’amour de beauté, qui empire,
Et qui tousiours à sa vieillesse tire :
Ce n’est l’amour qui donne passion
10Pour les beaux traitz, ou la proportion :
Ce n’est l’amour ou de corps, ou de face :
Ce n’est l’amour qui auec temps s’efface :
Mais c’est l’amour, qui de bonne nature
En vertu croist, & prend sa nourriture,
15Et qui mourroit, certes, & cesseroit
Quand la vertu subiette à mort seroit :
Mais la vertu comme elle est immortelle,
Confesser fault que son amour est telle.
Pre [p. 14]Premierement fault voir que c’est qu’amour :
20Comme l’entens le diray sans seiour.
Amour, amye, est vne passion,
Qui de beauté quiert la fruition :
Et beauté est vn rayon cler, & digne,
Vne splendeur de l’essence diuine,
25Que Dieu voulut à nostre ame, & à l’ange,
Communiquer, dont luy deuons louange :
En tous ces deux, comme en double miroir,
Dieu faict sa gloire, & lumiere apparoir :
En tous ces deux (di-ie) ce neantmoins
30Entendre fault en l’vn plus, l’autre moins.
Car l’esprit d’ange empesché nullement
Du corps mortel, qui donne empeschement,
Se refleschit en soymesme, & contemple
Dedans son sein, comme en vn diuin temple,
35De Dieu l’image, en contemplant, s’y mire :
En s’y mirant, luy adhere, & l’admire.
Telle splendeur de la diuinité,
En cet endroit nous l’appellons beauté :
Et telle ardeur de l’Ange y adherant,
40Nous l’appellons amour. Ò corps mourant,
Ò pleust à Dieu que nostre ame iamais,
Ne tant [p. 15]Ne tant, par toy fust empeschee ! mais
Peust contempler en soy de Dieu la face,
Et l’embrasser par amour, & par grace
45Perfaictement, & qu’en ce peust ensuyure
L’ange diuin, qui est de corps deliure.
Ainsi beauté n’est chose corporelle,
Pareillement n’est chose temporelle.
Mais la beauté, qu[’]on dit communement
50Beauté de corps, dont le liniament,
La quantité, couleur, proportion
Tire nostre œil en admiration,
Ce n’est sinon qu’ombre declaratiue
De la beauté eternelle, & naïve :
55Et ce n’en est qu’vne image, ou peinture,
Pour paruenir (comme dit l’escriture)
Au hault degré des choses inuisibles :
Qui tousiours sont belles, & impassibles :
La grand’ beaulté desquelles, & la gloire
60Le ciel racompte, & nous la fait notoire,
Comme aussi font la Lune, & le Souleil,
Et tout cela qu’au ciel voyons à l’oeil,
Si donc ie trouue, ou homme, ou femme belle,
En la beauté que l[’]on dit corporelle,
Cela [p. 16]Cela me plaist, comme vn indice, & signe,
Que là dedans est l’image diuine,
Que veux aymer, pour sa grande beauté,
Perfection, infinie clarté.
Parquoy ne veux m’arrester au dehors,
70Ny seulement considerer le corps :
Mais procedant plus oultre, veux congnoistre
Si au dedans l’image qui doit estre
Saine & entiere, & la beauté naiue,
Du tresparfaict, y est point morte, ou viue.
75Et si aux faictz, aux dictz, à la pensee,
La viens trouuer là dedans effacee,
Incontinent de là ie me retire :
Et mon amour en vne autre part tire,
Disant ainsi : ce corps est seducteur,
80Ce corps est sainct, ce corps est vn menteur :
Car de beauté a le signe, & indice,
Mais la dedans la corrompt par son vice.
Ce corps menteur sans effect, a le signe
De la beauté dont il se rend indigne.
85Or ie ne veux la seule ombre poursuyure,
Et Narcissus en ce ie ne veux suyure :
Car comme luy en fin trompé serois,
Quand [p. 17]Quand trop en vain l’ombre i’embrasserois,
Pour le vray corps de la beauté extreme,
90Qui est de Dieu l’image, mais Dieu mesme.
Dame, tu voys comme on doit estimer
La beauté vraye, & poursuiure, & aymer :
Et l[’]on ne doit, au contraire, auoir cure
De beauté faincte en couleur ou figure :
95Et que l’amour est chose vertueuse,
Honneste, belle, & non voluptueuse :
Pareillement comment l’amour s’estend
Sur homme ou femme, & nul mal ne pretend.
Car aussi tost sur femme, que pucelle,
100En qui de Dieu la clarté estincelle,
Et aussi tost sur homme que sur femme
Mon cueur d’amour vertueuse s’enflamme :
Ie ne m’arreste aux constellations,
A nourriture, & aux complexions.
[3] E. H. à C. Fontaine.
Il me desplaist que n’ay fait mon deuoir
En mon logis de te mieux receuoir :
Car vn ruisseau (c[’]est bien chose certaine)
N’est rien au pris d’vne viue fontaine :
b [p. 18]Le ruisseau suys limonneux, toutesfoys
Fauorisé ie coule quelquefoys :
Fontaine es tu en France renommee,
Mon nom n’a pas si bonne renommee,
A ton auis, ce n’est que bruit qui court
10Legerement parmy les gens de court.
Certainement ie ne veux consentir
Te suader, ou te faire sentir
Chose de moy qui merite louange :
Te suppliant de ne trouuer estrange
15Si humble suis par rencontre des loups,
Qui m’ont gardé de montrer mon veloux.
Ces loups ce n’est que fortune mauuaise,
Qui me met hors, quelque temps, de mon aise :
Ayant perdu six vingtz escuz en bourse,
20Pour voir icy des imprimeurs la source :
Et sceu assez que tu es bien idoine
A son habit ne congnoistre le moyne.
Il m’est auis qu’il y a dans ton cueur
Quelque secret de ma veine moqueur :
25S’il est ainsi, donc vn potier prouoque
L’autre potier, & de son art se moque.
S’il est ainsi, ie te laisse la gloire,
Voulant [p. 19]Voulant tirer d’humilité victoire :
Bien esperant rencontrer imprimeurs,
30Qui pour ce cas seront trampes, & meurs.
Si autrement de moy ton cueur en porte,
Pour banqueter vien frapper à ma porte.
[4]RESPONCE PAR
Charles Fontaine.
Hier au soir ta lettre ie receu
De l’imprimeur, par laquelle ie sceu
Que ton auis assez mal a visé,
Sur le propos qu’ay de toy deuisé :
5Et pour tesmoings ie puis prendre tes gens,
Soient compaignons, ou amis diligens :
Deuant lesquelz, & autres, à voix pleine
I’ay souuent dit que tu as bonne veine :
Mais me contrains de te dire à cette heure,
10Que par le monde y en a de meilleure.
Du iugement, & termes, m’en tairay,
Et aux sauans ie m’en rapporteray.
Ie te [respons] quant à ma renommee,
Si elle n’est en tant d’œuures semee
15Comme la tienne, aussi ie n’attends pas
b 2 [p. 20]Si tost l’honneur que donne le trespas :
Moy vif ne veux à ce loz aspirer,
Lequel on peult de seule mort tirer
Ie ne quiers voir en ma vie ma gloire,
20Ains la remetz au temps, & à memoire.
Perse a plus fait en vn sien petit liure,
De iugement, & bon sens non deliure,
Que n’a pas fait, par sa legere plume,
Marsus Poëte, auec son grand volume.
25L’on sait assez comme Horace souhaitte
Du temps aux vers, pour vne [œuure] parfaicte :
En se plaignant de maint (non à bon heur)
Voulant gaigner deuant le temps l’honneur :
Et refuyant le labeur de la lime,
30Qui le beau vers, par neuf ou dix ans, lime.
L’honneur de nous appeté, nous fuyra :
Non appeté, pour certain nous suyura :
Pource qu’il est d’vne nature telle
Que la vertu, & la science belle,
35De modestie ayant tousiours le [mords,]
Il suit par tout, comme l’ombre le [corps.]
Si le pris est au plus grand escriuant,
Et qui par tout met ses vers en auant,
Iettez [p. 21]Iettez assez legerement en moule,
40L’honneur est tien, afin que ie te saoule,
Mais possible est, quant i’aurois entrepris,
Qu’en quantité, ny qualité, le pris
N’aurois sur moy : & cela i’ose dire,
Considerant ton audace d’escrire.
45I’ay veu que ieune en chaleur ie rimoye,
Mais l’aage meur en mit tant bas la ioye,
Qu’il a beaucoup mes Muses refroidies,
Et par froideur rendues moins hardies :
Or ie retourne à mon commencement,
50De ton auis, & de ton iugement
Conceu de moy : car aussi par tes uers
Tu en sens mal, mesme en lieux diuers.
Mais es tu Dieu, pour dedans mon cœur lire ?
Qui t’a donq fait si hardi que d’escrire
55Qu’il t’est auis qu’il y a dans mon cœur
Quelque secret de ta veine moqueur ?
Cela est faux, i’ay honoré ta veine,
Et ne l’ay prinse en moquerie vaine :
Ie suis ami, & moqueur ne suis point,
60Ny controlleur : ains quand il vient à point
A mes amis ie dy ouuertement,
b 3 [p. 22](Quand on m’enquiert) tel est mon sentiment :
Parquoy te dy aussi qu’en cest endroit,
Comme en maint autre, est ton iugement droit.
65Ie suis trop long : pour plus outre passer,
Ton vers te couppe, à bien le compasser :
Car tu as dit tout haut (s’il t’en souuient)
Que pour son faict ta Muse ici ne vient :
Et que tu as affaire plus vrgent,
70Qu’à visiter l’imprimeur, ou la gent :
Et ores dis, en propos bien peu meurs,
Tant d’argent perds pour voir les imprimeurs.
Quelque propos aussi en apparence
Tu as laissé, sans bonne dependence.
75Ce qu’a senti tost nostre ami Sabon,
Qui pour certain a le iugement bon :
Ie ne say pas comment tu l’as passé,
Si tu as rien d’auenture laissé.
Ie ne say pas aussi qui t’importune,
80D’interpreter les loups pour la fortune :
Il semble à voir que tu vses de loups,
Pour rencontrer seulement sur, veloux :
Car autrement (qui bon sens veut prester)
Larrons sur loups vaut mieux interpreter.
Pareil [p. 23]Pareillement sur, fortune, ie trouue
Qu’il viendroit mieux de l’interpreter, louue :
Mais d’auantage ou, ny quand, ny comment
La perte fut, nul mot aucunement.
Tu veux tirer d’humilité victoire :
90Dieu sait comment elle est en toy notoire
L’humilité que par occasion
Te dis auoir, non par infusion.
Tu me prens mal, car i’ay par quelques ans
Assez, & trop congnu telz courtisans :
95Dont ie ne veux, & ie n’entens mesdire,
Aymant trop mieux me taire que mal dire.
I’ay veu païs deça, dela les montz,
Dequoy souuent les gens nous estimons :
I’ay grace à Dieu auec quelque science
100Conioint l’vsage, & longue experience.
Tu dois penser (si pensé tu ne l’as)
Que ie ne suis pour tost tomber es laz.
Auant iuger ie ly, ie voy, i’escoute :
L’experiment cinq cens escuz me coute :
105Nouueau ne suis, tu dois estre asseuré
Que ie suis faict, & desia tout leurré.
I’ayme la Muse avecques modestie,
b 4 [p. 24]Et la personne a douceur conuertie :
Et n’ayme pas ny gens qui tant se vantent,
110Par leurs propos, ny vers qui tant s’esuentent.
Neuf ans entiers, & plus, ie me suis teu :
Puis peu de gens de mes œuures ont eu :
Mais toutesfois i’ay regret bien souuent
De m’estre mis encor si tost au vent :
115Car ne quiers voir mon nom tant exalté,
I’en laisse faire à la posterité :
Quant au veloux, i’en porte moins que toy.
A brief parler, apparence ne voy
En tes propos : dont des escuz six vingtz,
120Que tu perdis (dis tu) quand ici vins,
Me fais doubter : toutesfoys, pour ta veine,
Ie te prometz iurant foy de Fontaine,
Que te dirois, si i’en auois les douze,
Ne tienne aux six que ton pied ne se houze.
125Et nonobstant qu’as dit que trouueras
Vingt escus seurs quand t’en retourneras,
Des apresent tel offre te ferois :
Combien plus fort quand tu m’en requerrois ?
C. Fon [p. 25]
[5]
C. FONTAINE,
A
N. le Iouure.
Trois mois y a, tu m’escriuois en prose
Que m’escrirois dans briefz iours quel-
que chose
En vers François, prenant quinze iours terme :
Mais ie t’en ay donné de propos ferme
5Deux mois entiers plus que n’es attermé,
Et si n’as point ton escript confermé.
I’estimois bien au moins qu’à cette foire
Seroit l’effet de tes lettres notoires :
Et si n’eusse onq pensé que fust passee
10Sans quelque Epistre en vers bien compassee.
Plus tost (i’ay dit) Loire ira contremont,
Deuiendra val de Sancerre le mont,
Bourges la belle en Touraine sera,
Et Tours tournant en Berry passera,
15Que Iouure faille, & que son bon cœur cesse
En mon endroit, d’escript & de promesse :
Mais ie suis trop de mon espoir trompé.
Et si tu dis qu’ailleurs es occupé :
Que n’as-tu fait en tes lettres de Tours
20La tiẽne excuse, en deux motz brief, & courtz ?
b5 [p. 26]Bourges or sus en la Touraine passe :
Tours vien, en droit de Bourges en la place :
Loire retourne, & contremont remonte :
Descens Sanserre en val soudaine, & prompte :
25Le Iouure faut de promesse, & d’escript :
Et n’est pas tel comme il auoit escript.
O Iouure, amy, quoy qu’on y roigne, ou taille,
Tu n’y saurois mettre piece qui vaille.
Ny plus ny moins que le Poëte aussi,
30Qui feit promesse en passant par ici.
Mais nonobstant resembler ne vous veux :
Bien qu’il y ayt cause dont ie me deux.
Et si plus tost n’ay eu de toy response,
Point n’a tenu à ma grande semonce.
35Ie suis ioyeux qu’as si bien rencontré,
Qu’es en estat, grace, & promesse entré,
Enuers la Dame en cueur des plus entieres,
C’est à sauoir madame de Lynieres.
Que pleust à Dieu qu’en veissiõs maintes telles,
40Ie n’aurois pas ainsi courtes les ailes,
Vn peu plus hault voleroit nostre stile :
Vn Mecenas fait bien vn bon Vergile.
Mais que veux tu ? il me fault prendre en gré,
Et [p. 27]Et demourer en ce mesme degré,
45Quand n’est permis que plus outre ie passe
Que seulement en promesse, & en grace.
Car ie ne puis m’esuenter, ne vanter :
Et si ne puis ne presser, ne flater :
Mon naturel ne peult prendre acointance
50Auec ces deux, flaterie, & vantance.
Voila que c’est, vertu, simplicité,
Pres flaterie, & importunité,
Entierement, & tout quicte le perd :
O bon amy, i’en parle comme expert.
55Vertu pourtant s’elle est póure & deserte,
Ne laisse point d’estre noble & ouuerte :
Ne laisse point de luire, & esclerer :
Et ou elle est el’se vient declairer :
Pource que telle est tousiours sa nature
60De se montrer de faict, ou d’escriture.
Malgré le temps, les gens, l’iniquité,
Malgré l’enuie, & la necessité.
Passons plus outre, & ce propos laissons,
Que nostre cœur plus auant ne blessons.
65Tu dis (amy) pource qu’es peu habile
D’vn de tes piedz, par fortune debile,
Que chacun va tousiours plus tost que toy,
[p. 28]Et mesmement ou le Sauuage, ou moy.
Mais toutesfois le forgeron boiteux
70Ne fut si mal habile, ne honteux
Qu’il ne passast par sa subtilité
Du grand Dieu Mars la force, & la santé,
Quand le rendit captif, lié, & pris :
Quand fut moqué de tous dieux dehault pris.
75Puis n’a il fait de grand esprit les armes
D’ Achilles preux, en combatz, & alarmes ?
Venus sa femme, & tant belle deesse,
Dame d’amour, & de toute liesse,
Nauree au pied, & laidement boiteuse,
80Laisse elle (ami), d’estre forte, & eureuse ?
Et de passer auec son chaud flambeau
Par tout le monde ? & par feu, & par eau ?
Non, non : mais bien auec son chault brandon
Elle ne fait à nul viuant pardon.
85Et dauantage il est bien tout notoire,
Que de la Troye aux Grecz causa victoire
Philoctetes que d’ Hercules le dard
Naura au pied, dont fut gueri bien tard.
Ainsi les piedz, ni les iambes ne font
90Tardifz de cœur, ceux qui telles les ont,
Et enc [p. 29]Et encor moins d’esprit les font tardifz :
Si pren-ie en ieu, & pour rire tes dictz.
En fin me viens de promesse semondre :
Sur quoy (ami) ie te veux bien respondre,
95Que voirement i’auoye en fantaisie,
Mettre en lumiere aucune Poësie,
Ce que n’ay fait : mais ce n’est pas le tout
Que i’ay pensé, sans en venir à bout.
Puis en tel cas tu peux tresbien entendre
100Qu’on ne sauroit iamais par trop attendre :
Le trop haster cause enuie, & malheurs :
Les fruitz tardifz sont tousiours les meilleurs :
Et maint Poëte ayant mal enfourné,
Comme Icarus est cheu trop fortuné.
105Mains tu en says, comme les Sagouïns,
Les hobereaux & causars babouïns.
L’oyseau sans plume & foible, n’est si fol
De se ietter en l’air prenant son vol :
Nul ne se met à regir vn nauire,
110Qui n’a aprins, & ne le sait conduire :
Qui n’est expert ne va sur mer ou terre,
Prendre l’estat de Capitaine en guerre :
Les medecins de medecine traitent :
[p. 30]Les charpentiers à charpenter s’arrestent :
115Mais ignorans, & sauans, nous voulons
Escrire en vers, & sans ailes volons,
Trop plus enflez que Cyclicus en vers.
Ainsi qu’on fuit les gens qui sont couuertz
D’infection de roignes, & gratelles,
120Ceux qui d’esprit ont viues estincelles,
Fuyent le fol Poëte, & glorieux :
Les autres folz, ignorans, & sans yeux,
Le vont loüant, l’estiment, & cherissent :
Mais en la fin tous ensemble perissent,
125Et le Poëte, & ses admirateurs :
Bons yeux agus n’ont pas tous les lecteurs.
Il est bien vray, les Poëtes ardans
Ne vont sinon le commun regardans :
Mais gens d’esprit, & les Poëtes sages,
130Craingnent de mettre en auant leurs ouurages :
Redoutans fort qu’il en peult auenir :
Car ilz ont l’œil sur le temps à venir.
Ilz ont en doute, & n’ont pas arresté
Le iugement de la posterité.
135Estime tu (o ami) qu’il suffise
De faire vers en mesure comprise
Bien [p. 31]Bien iustement, si qu’on n’en puisse oster
De la mesure, ou aussi adiouster ?
Que soit assez d’auoir bon, & doux stile,
140Termes communs, & langage facile :
Non, non, ami : il fault grand iugement,
Bon sens rassis, pesant soigneusement
Auec l’oreille, & sans legereté,
Le son des vers, la grace, & grauité,
145Là sont plusieurs inuentions requises,
Dignes propos, & sentences exquises :
Si nous voulons qu’ils soient par cy apres
Escritz, gardés en cedre, & en cypres.
Celuy en qui nul sauoir ne deffault,
150Qui a l’esprit bien diuinement hault,
La bouche d’or, & la plume diuine,
Luy seul du nom de Póete est bien digne.
Tout autre estat a mediocrité,
Mais cetuy-cy gist en infinité.
155Brief, ce n’est rien si auec grand science
Ne ioint eureuse, & longue experience.
Et tout ainsi comme entre les repas
Chant de Musique on n’estimera pas
Quand il discorde en la moindre partie,
[p. 32]Ny vne sausse assez mal assortie,
Car on pouoit de cela se passer :
Pareillement, ami, tu dois penser
Que Poësie a l’esprit ordonnee
Pour recreer, à ce seulement nee,
165S’elle deffaut, voire tant soit petit,
Descend trop bas, & pert tout appetit.
Pource l’on doit long temps ses vers garder,
Car il les faut mille foys amander,
Et chatier, si qu’ilz portent les marques,
170Ou de Varus, ou bien des Aristarques.
Ce qui vaut mieux que de les mettres es dentz
Des enuieux, & detracteurs mordans.
Ouide dit, contre les enuieux,
Que les escritz apres mort plaisent mieux :
175Car fausse enuie aux gens mortz ne s’attache :
Mais sur les vifz iette tousiours sa tache.
Elle se paist de cher viue, de sorte
Qu’elle ne suit, ne quiert point la cher morte.
Vergile, Homere, & autres, en leurs vie [sic pour vies],
180Ont bien senti la dent de fausse enuie.
Pareillement il est tout manifeste
Qu’ Horace humain, en faits : & dits modeste,
Accusé [p. 33]Accusé fut iadis de nouueauté,
Et de taxer en trop grand liberté.
185Il est tout seur que ne peult le Poëte
Que quelquesfois ne picque la Chóete,
Le fin Regnard, le Sacre rauissant,
Le Pan pompeux, & le Chien blandissant :
Puis dentz, & becz soudain ces males bestes
190Vont aguísant, & luy dressent leurs testes :
En telz dangers souuent on y demeure,
Ou bien nauré on en vient, ie t’asseure.
Ie t’en pourrois de tout temps, & tous regnes
Alleguer maintz, comme Iules de Senes :
195Par auant luy Ouide, Claudian.
Auec Lucain, & maint autre ancien.
Mais de nostre aage, & de ce temps ici,
Le grand Robin , & Rocardot aussi.
Ouide escrit, & plainement declare,
200Quand il estoit auec la gent barbare,
Loing de sa femme, & loing de tous amis,
Qu’en tel estat Poesie l’a mis :
En païs froit, plein de bize, & de guerre,
Au bout du monde, & en estrange terre.
205Ostez (dit-il) Poësie, & l’estude,
c [p. 34]Vous osterez de moy la solitude :
Ostez mes vers vous osterez mon crime.
Mesme en son cœur telle douleur s’imprime
Que quelquesfoys souhaitoit pour tout seur
210N’auoir gouté des Muses la douceur :
Car luy estant ainsi banni par elle,
Ayme son mal de trop conuoiteux zele :
Et ne se peult d’escrire contenir,
En vers, qui l’ont en exil fait venir.
215Mais y venant, au feu ietter il ose
Son plus d’honneur, c’est sa Metamorphose :
Qui s’est sauuee en despit de fortune,
Car de copie il s’en trouua plus d’vne.
Si noz vers sont comme noz enfans mesmes,
220Nous les aymons d’affections extremes :
Et les aymant le cœur ne peult porter
De les voir batre à tort, & souffreter.
O bon amy, c’est chose trop amere
Quand tourmenter voit son enfant la mere,
225Naurer, moquer : Il a la teste ague,
Les piedz tortus, & l’espaule bossue.
Sagement donc nous fault noz vers parer
De longue main, polir, & reparer :
A fin [p. 35]A fin que quand on viendra à les voir,
230Nous en puissions moins de reproche auoir.
Car ils ne sont comme enfants qui demeurent
Telz qu’il [sic pour ils] sont faitz, iusques à ce qu’ilz meurent :
Noz enfans sont, quant à l’affection
Que leur portons, & grand dilection :
235Quant au trauail, qu’ilz nous donnent, & cure :
Quant à l’honneur aussi qu’on leur procure :
Mais il nous fault prendre soing de tout point,
Si possible est, qu’il ne nous meurent point.
Et le moyen, c’est que quant ilz sont faicts,
240Ne les laissons rudes, & imperfaicts.
Vn paintre est bien lõg tẽps sur vn tableau,
Quand il le veut rendre perfait, & beau :
Mille foys met la main sur vne image,
Souuent efface, ou y met dauantage,
245Vn trait en haut, & puis vn trait en bas :
D’y aiouster iamais n’en seroit las :
Et quoy qu’auec grand labeur la decore,
Luy, ny autruy ne s’en contente encore :
Au membre droit y aiouste clarté :
250Au membre courbe y met obscurité.
Brief, tant y veille, y aioute, ou efface,
c 2 [p. 36]Que plus perfaicte, & plus viue il la face.
Ainsi doit faire vn Poëte constant,
Ses œuures doit garder bien plus que tant :
255Car elles sont trop plus que images paintes.
Garder les fault donques ces œuures saintes,
Reuoir, polir, veiller, les ongles mordre,
Et bien souuent cheueus, & barbe tordre.
Lisons nous pas que le Poëte alloit Vergile.
260Forgeant ses vers mal poliz & faloit
Qu[’]il les leschast long temps pour rẽdre beaux,
Comme fait l’Ourse à ses petis Ourseaux ?
Horace dit que l’honneur des Romains,
Qu’ils ont acquis par sus tous les humains,
265Au faict de guerre, onques n’eust esté moindre
Quant à leurs vers, s’ils eussent peu conioindre
Veilles, labeurs, reueües, & attendre
Que plus perfaicts ilz les eussent peu rendre :
Mais peu soigneux, en euxmesmes contens,
270Vouloient gaingner l’honneur deuant le temps :
Faisans ainsi que feit le glorieux
Empedocles, d’honneur fol curieux,
Qui dans le feu du mont Gibel se iette,
Si qu’apres mort immortel on l’admette.
Mais [p. 37]Mais au contraire il y est demouré
Mort, bruslé, ars, & tout deshonoré.
L’honneur qui est trop appeté, nous fuit,
Non appete, bon gré mal gré, nous suit :
Car la vertu l’honneur point ne demande,
280Mais l’honneur suit tousiours la vertu grande.
[6]A VNE DAME POVR
la consoler sur la mort de
son mary.
Ces iours passez mon esprit a conceu,
Mais a gouté, consideré, & sceu
Le dueil qu’auez, au moins vne partie,
Pour le depart de la vostre partie,
5Feu Monseigneur : Or combien que i’arriue
Pour le present en la saison tardiue,
Si ay-ie quis l’occasion expresse
Que par escrit ma plume à vous s’adresse.
I’escriray donc, voire cenonobstant
10Que la vertu de vostre cueur constant
Laquelle luit en vostre face, & yeux,
En vostre port, & maintien gracieux,
Facilement pourroit estre maitresse
c 3 [p. 38]D’vne infinie amertume, & detresse.
15Premierement vous n’estes à sauoir
Que rien parfait au monde on ne peult voir :
Secondement que Dieu a ordonnez
Noz certains iours, si tost que sommes nez :
Et tiercement que meilleurs biens possede
20Le bon cretien qui en la foy decede.
Ces trois pointz là bien imprimez en cueur,
De tout ennuy le font maistre, & vainqueur :
Ces trois poinct [sic pour poincts] là, en vostre conscience
Engendreront confort, & patience.
25Considerez donques en premier point,
Quand le remors de telle mort vous point,
Qu’il n’y a rien en ce monde durable,
Rien de parfait, rien de constant, ne stable :
Et si voulez es choses naturelles
30Querez exemple, & les trouueres telles.
Ne voyez vous qu’apres le iour qui luit,
Incontinent nous prent la noire nuict :
Ne voyez vous comment ne nuictz, ne iours,
N’yuer, n’esté, ne durent à tousiours ?
35Mais l’vn s’en va, puis apres l’autre vient,
Puis s’en reua, mais iamais ne reuient.
Ne [p. 39]Ne voyez vous que la muable Lune
Durant le iour ne rend lumiere aucune ?
Ne voyez vous tout au contraire aussi,
40Que le Souleil, tant beau, tant esclarci,
Apres qu’il a dessus nostre hemisphere
Rendu chaleur, & grand lumiere clere,
Faisant son tour, donne à la Lune place,
Qui vient de nuict auec sa brune face ?
45L’yuer tant laid succede au bel esté :
Dieu a le tout en ce point arresté
Et a voulu toute chose en son ordre,
Dessus autruy n’entreprendre, ne mordre :
Ne pourroit pas le beau Souleil contendre
50De quoy ne peult ses rays de nuict estendre ?
La Lune aussi repliquer à son tour,
A quoy tient il que ie ne luis de iour ?
Certainement ores que parler peussent,
Ne le diroient : & encor que dit l’eussent
55Ia pour leur dit ainsi ne seroit fait :
Ains dureroit l’ordre en nature faict :
Car le seigneur, qui par tout seigneurise
Ia vne foys y a sa grand’ main mise.
Au second poinct, quand bien y penserez,
c 4 [p. 40]Plus au leger vostre dueil passerez :
Car Dieu n’a pas ordonné seulement
Vn certain ordre en chacun element,
Comme en la mer, qu[’]il a si bien bornee,
Qu’elle ne peult la terre bien ornee
65D’arbres, & fleurs, iamais outrepasser :
Mais a voulu nostre aage compasser,
Et y a mis par science hautaine
Vn ordre tel, vne fin si certaine,
Que tout viuant en aucune manière
70Ne peult aller ny auant, ny arriere.
Pource l[’]on dit, quand on veult excuser
La mort d’autruy, & en rien n’accuser
Du sort facheux quelque desconuenue,
Remede n’a, son heure estoit venue :
75Pareillement on dit souuentesfois,
Va ou tu peux, & meurs là ou tu dois.
Iesuchrist dit, & bien nous admonneste,
Que ne peult cheoir vn poil de nostre teste
N’aussi de l’arbre vne fueille petite,
80Sinon quand Dieu le permet, & l’incite.
Que veult-il donc par ces similitudes
Donner entendre aux gens simples, & rudes ?
Sinon [p. 41]Sinon qu’en nous, soit de vie, ou de mort,
Dieu permet tout, & si n’a iamais tort ?
85Et qu’en nous tous la mort eureuse, & bonne
Dieu la permet, Dieu l’enuoye, & la donne ?
S’il est ainsi mesmement qu’vn potier
Façonnera vn pot de son mestier
Pour durer peu, l’autre pour long espace,
90Pourquoy ne peult le grand ouurier, qui passe
Les autres tous, en nous vie inspirer
Pour tost ou tard de nous la retirer ?
Ha, gardons nous que par nostre imprudence
N’entreprenons sur sa grand prouidence,
95Contredisans à son autorité
Iob a escrit que Dieu a limité
Le temps de l’homme : & si tel le veult faire,
Qui est celuy qui dira du contraire ?
Ou est le cœur, tant soit triste, & marri,
100Qui dit pourquoy m’ostes tu mon mari ?
Femme, tais-toy, & baisse les oreilles
Aux faitz de Dieu (choses tant nompareilles.)
Dy seulement, soit en terre, ou au ciel
Soit dessus moy, soit sur ieune, ou sur viel,
105Le seigneur Dieu face son bon plaisir :
c 5 [p. 42]Dy seulement, quand dueil te vient saisir,
N’auois-ie pas espoux homme mortel ?
Non pas espoux plus qu’homme, ou immortel ?
Quant au tiers point fault que vostre
esprit
gouste
Que le Cretien qui est mort, somme toute,
Il est bien mieux qu’il n’estoit pas ça bas :
Et que pour vn, il a cent mille esbas :
Ie di pour vn, si au monde il s’en trouue,
Voire vn tout seul, que vray plaisir on prouue :
115Car ie ne voy qu’on me puisse prouuer
Qu’au mõde on puisse vn parfaict bien trouuer,
Ioye n’y a tant soit elle acomplie,
Qu’elle ne soit de peine, & dueil remplie :
Il n’y a bien qu’on die tant parfaict,
120Que quelque mal n’accompaigne en effect.
Et bien souuent ou plus grand eur abonde,
S’y vient ruer le malheur de ce monde.
Hannibal s’est tué par sa poyson :
Et Cesar fut occis en trahison.
125Pareillement le grand, & fort Pompee,
Pour son refuge eut la teste coupee :
Iadis plusieurs en ont donc fait l’essay,
Et en noz iours monsieur de Samblançay,
[p. 43]Qui fut vn temps au plus hault de fortune,
130Et maintenant au plus hault d’infortune.
Vn chancelier est mort par vn faux pas
De son mulet, qui est vn piteux cas :
Et l’autre cheut du hault d’vn tel office
En la prison, loing de grace, & seruice :
135Et puis Ionas dans la mer englouti,
Dont il n’est point comme l’autre sorti :
Aioutez y le Gentil president,
Qui pres Paris feit le fault euident.
Les plus grãs vens les plus hautz arbres fachẽt :
140Foudre & tempeste aux plus haultz
mons s’at-
tachent.
Mais le Cretien mort chez soy en honneur,
O qu’il est plein de grace & de bon heur !
Maintenant rit & fortune il despite :
Maintenant monde, & mort il suppedite :
145Et maintenat il se trouue tresbien
Auecques Dieu, son tressouuerain bien.
Madame donc, estes vous enuieuse
De son grand bien : O espouse facheuse !
S’il n’est plus cy attendant ce moment,
150S’il n’est plus cy tousiours en mouuement,
Comme tendant de fleur d’aage en vieillesse,
[p. 44]De vie à mort, de force à la foiblesse,
Et toutesfoys en plaintz, en pleurs, & criz,
Le souhaittez encor en ces perilz,
155Il m’est auis (dame ne vous desplaise)
Que vous montrez fachee de son aise.
Si à present il luy estoit permis
Qu’à vous parlast, & qu’il vous fust transmis,
Il vous diroit : bonne espouse, & amie,
160Cesse vn petit, cesse d’estre ennemie
De mon grant bien, lequel si tu sauois,
Tant de souspirs, & gemissantes voix,
Tant de regretz cesseroient tout à l’heure :
Car ie ne puys estre en place meilleure.
165De tous les biens du monde ne me chault :
Ie ne suys plus subiet à froit ne chault,
A faim, à soif, à manger, ny à boire :
Car maintenant suys en parfaicte gloire :
Me desirant en ce terrestre val,
170N’y souspirant, tu desires mon mal :
Car tout l’honneur qui peult estre en ce monde,
Enuers le ciel ce n’est que chose immonde.
I’ay acompli, & fait vn grant voyage,
I’ay ia passé le dur, & grief passage,
M’y [p. 45]M’y veux tu dont mettre à recommencer,
Par ton crier, ton pleurer, & penser ?
Non, non : en vain ton cueur en dueil seiourne
M’y regretant, iamais ie n’y retourne,
Car ie ne puys : & quand bien le pourrois :
180Certes aussi retourner n’y voudrois
Tu es encor (grace à Dieu) ieune & saine,
Tu es encor de vie, & vigueur pleine
Pour contenter autre noble mari,
Dont ne seray, ne doy estre marri :
185Car entre nous la mort interuenue
Fait qu’en ce cas n’es plus à moy tenue.
Mort rompt tousiours la loy de mariage :
Mais i’en remetz à ton cueur bon, & sage,
Lequel saura apres bien proposer,
190Discretement de tout cas disposer.
Dido la royne extremement marrie
De son espoux Sycheus, se marie
Cenonobstant à Eneas Troyen,
Quand fort amour luy donna le moyen.
195Voila comment vostre loyal espoux,
Vous consolant tiendroit propos à vous :
Voila comment feu monseigneur diroit :
Quan [p. 46]Quand à present à vous il parleroit :
Maintenant donc cette parolle bonne,
200Si la prenez comme de sa personne,
Si l’estimez comme de luy parlant,
La sentirez vostre esprit consolant :
La sentirez chassant dueil sans seiour,
Comme souleil la nuict au point du iour.
205Mais, dame, plaise à la prudence vostre
De prendre en gré ce petit labeur nostre.
[7]À MADAME
RENEE
DE FRANCE,
DV-
chesse
de
ferrare.
Fille de Roy, & treshaute Duchesse,
Fleuron du Lys, fleur de toute noblesse,
Fille de Roy, diray-ie plus grand cas ?
Fille de Dieu, & tresbonne Dorcas :
5Si ta bonté, par tout tant decoree,
Si ta vertu, des cieux mesme admiree,
A fait monter la Fontaine en maint mont,
Et [p. 47]Et transuerser la France, & le Piedmont,
En querant droit de ton païs la riue
10Ou à present grace à Dieu elle arriue,
Pour saluer ta hautesse tant pleine,
Au son tant bas de sa petite veine :
Tu dois penser que son petit pouoir
N’est sans auoir pour guyde grant espoir.
15Plusieurs marchans, ayans ce monde cher,
Des perles vont jusqu’aux Indes chercher :
Autres vont loing pour voir bien peu de chose :
Mais ce bas monde (ainsi dire ie l’ose)
Bien grant besoing auroit en mainte terre
20De telle perle, & precieuse pierre.
Le sage Roy Salomon renommé,
Bátit iadis vn beau temple estimé,
Plein de richesse, & de deuotion,
Qu’on alloit voir par admiration :
25Mais Iesuchrist, vray Salomon le sage,
En a ici vn riche à l’auantage :
Edifié, d’industrie naïue,
Et si l’a fait de belle pierre viue,
Et consacré de son sang precieux,
Qui [p. 48]Qui le fera eleuer iusqu’aux cieux.
Eureux donc l’oeil qui voit & qui contemple
Les dons de Dieu dedans ce sacré temple :
Et plus eureux qui par immortel nom
Luy en rendra grace, gloire, & renom.
S’ENSVIVENT LES
ELEGIES.
[p. 49]
[1]ELEGIE SVR LE
trespas de
Catherine Fontaine,
sœur de
l’
Autheur.
L as, elle est morte, elle est en terre mise
Celle que Dieu, voire seule, a permise
Viure auec moy, apres tout frere
•
il s'agit de
Pierre Fontaine,
Benoist Fontaine
&
sœur
•
il s'agit de
Jacqueline Fontaine
,
Et apres pere & mere : or est il seur.
5Las, elle est morte, & en terre boutee.
Mercure auec sa verge redoutee
De tous esprits, Mercure aimé des Dieux
Son cler esprit a conduit es hauts cieux.
Arriere pleurs donques, Fontaine, arriere :
10Pourquoy es tu conuertie en riuiere ?
Or say-ie bien que quand ie chanterois
Mieux qu’ Orphëus, ne la retirerois
De la puissance & charge de Mercure,
Qui, en ce cas, de m’exausser n’a cure :
15Et si say bien qu’elle a son mal vaincu,
Par qui elle a plus languy que vescu
Cinq ou six ans : mais l’amour fraternelle
Ne me sauroit deffaillir enuers elle.
d [p. 50]C’est ceste amour qui l’arrose en mes pleurs,
20Et l’arrosant augmente mes douleurs.
C’est ceste amour, sur toutes principale,
Qui m’a rendu esplouré, triste, & palle.
C’est ceste amour que nature enracine,
Qui de mon poing fait batre ma poictrine,
25Et qui me fait auec pleurs souspirer,
Tant que ne puis mon aleine tirer.
Si Aurora, & Tethys, grans Deesses,
Du ciel & mer regentes, & princesses
Ont tant pleuré Achilles, & Memnon,
30Puis-ie ne pleindre, & ne pleurer ? ha non.
Et si encor du grand Souleil les filles
Ont eu les yeux à pleurer tant faciles
Dessus leur frere, abysmé sans secours,
Qu’en arbre humide, & qui pleure tousiours
35Muees sont : qui me pourra deffendre
De ne pleurer ma sœur, ia terre, & cendre ?
Toy son espoux pleure sur ton espouse :
Et moy son frere, autant que dix ou douze
Dessus ma sœur ie pleureray sans cesse.
40Or sus allons tous deux pleins de tristesse,
Vestuz, helas, de noirs habitz non ceinctz
Les [p. 51]Les yeux de pleurs, les cœurs de regretz pleins,
Chanter sus elle vn piteux requiem.
Allons offrir à Pluton l’ancien,
45Vin auec laict, noirs moutons, & brebis.
Allons en dueil & de cœurs & d’habitz
Ses beaux os blancs recueillir tous ensemble.
Auec la main qui toute de dueil tremble :
Puis les mettans en beau coffre de marbre,
50Pres d’vn cypres, qui est douloureux arbre,
Les baignerons en pleurs, en laict, & vin,
Entremeslans ce seruice diuin
De telz regretz : Or es tu trespassee,
Et comme fleur or es tu tost passee.
55Encor n’auois ton cours demy parfaict,
Quand fauce mort ce meschant tour t’a fait :
Encor n’auoit la ride fait outrage
A ton bening, & ton tendre visage.
Cire n’auoit bordé tes yeux si bons,
60Ny la blancheur gasté tes cheueux blonds.
Maudite mort, tousiours tes noires ailes
Abbatront ilz les choses les plus belles ?
Outre ceux là, tant de regretz diray
Qu’au tour de moy tout l’air i’en rempliray.
d 2 [p. 52]Ma seule sœur, non plus sœur, car ie suis
Frere sans sœur, di pourquoy tant me fuis ?
Tu n’auois pas demi parfait ton aage
Quand Lachesis trop lasche de courage
Ne voulut plus desuuider le beau fil
70Tant delié, tant blanc, & tant subtil,
Lors Atropos par trop pleine d’enuie
S’en vint couper ce beau fil de ta vie.
Pourquoy m’es tu tant contraire, ô fortune ?
Quand apres tout tu m’en as fait perdre vne,
75Vne de corps qui valoit dix de cœur ?
Perdue l’ay suyuant vn belliqueur,
Loing de Paris, voire bien loing i’estois,
Entre les monts la mort ie ne doutois :
Et toy ma sœur qu’en la plaine laissoye
80Dedans Paris trouuas de mort la voye.
Fontaine, helas, depuis que tu fus né
Or es-tu bien au monde fortuné.
Mais si i’ay veu quelque temps si prospere
Que frere estois, ores ne suis plus frere :
85Car i’ay perdu le reste de mes sœurs,
Qui me sera commencement de pleurs.
Eleg [p. 53]
[2]ELEGIE SEVR LE
trespas de
René,
cinqiesme [sic pour cinquiesme] en-
fant, & tiers filz de
l'auteur.
Dieu te gard donc mon petit filz René,
A Dieu mon filz aussi tost mort que né :
Dieu gard mon filz venant sur terre ronde,
Adieu mon filz departant de ce monde.
5Tu n’as encor le laict bien sauouré,
Tu n’as encor le tien pere honoré,
Ne seu que c’est de maux & de liesses,
Que loing de nous tu t’en vas, & nous laisses.
Tu n’as encor vne seule sepmaine,
10Que tu depars de ceste vie humaine.
Pourquoy fais-tu ton dernier partement
Si tost apres le tien enfantement ?
Petit enfant qui t’a donné enuie
De si soudain aller en l’autre vie ?
15Il semble à voir que tu congneusses bien
Qu’en ceste vie y a petit de bien,
Dont as choisi les grans ioyes celestes
Pour de ce monde euiter les molestes.
Petit enfant ie croy bien que tu as
20Vn autre pere au ciel, là ou tu vas,
d 3 [p. 54]Lequel a fait que ton cœur le desire,
Quand le charnel laisses pour l’autre elire.
Petit enfant qui n’as guerre teté,
Ie ne croy point que tu n’eusses gousté
25Du laict celeste, au moins deux ou trois goutes,
Quand tu t’en vas à fin que plus en goustes.
Puis que tu veux l’eternel bien choisir,
Laissé m’en as vn merueilleux desir.
O mon enfant qui as vie tant brieue,
30La mienne, estant moyenne, m’est ia grieue :
Et si te dy qu’à l’exemple de toy
Me tarde bien que mon Dieu ie ne voy.
SENSVYVENT LES
chantz divers.
[1]ET PREMIEREMENT,
Chant sur la naissance de
Ian,
second
filz de
l’auteur.
M on petit filz qui n’as encor rien veu
A ce matin ton pere te salue :
Vien t’en, vien voir ce monde
bien
pourueu
D’honneurs & biens, qui sont de grant value :
5Vien voir la paix en France descendue :
Vien voir François, nostre Roy, & le tien,
Qui a la France ornee, & deffendue :
Vien voir le monde ou y a tant de bien.
Vien voir le monde, ou y a tant de maux,
10Vien voir ton pere en proces, & en peine :
Vien voir ta mere en douleurs, & travaux,
Plus grands que quant elle estoit de toy pleine :
Vien voir ta mere, à qui n’as laissé veine
En bon repos : vien voir ton pere aussi,
d 4 [p. 56]Qui a passé sa ieunesse soudaine,
Et à trente est en peine & souci.
Ian, petit Ian, vien voir ce tant beau monde,
Ce ciel d’azur, ces estoilles luisantes,
Ce Soleil d’or, cette grand terre ronde,
20Cette ample mer, ces riuieres bruyantes,
Ce bel air vague, & ces nues courantes,
Ces beaux oyseaux qui chantent à plaisir,
Ces poissons frais, & ces bestes paissantes :
Vien voir le tout à souhait, & desir.
25
Vien voir le tout sans desir, & souhait,
Vien voir le monde en diuers troublemens,
Vien voir le ciel, qui ia la terre hait,
Vien voir combat entre les elemens :
Vien voir l’air plein de rudes soufflemens,
30De dure gresle & d’horribles tonnerres :
Vien voir la terre en peine & tremblemens :
Vien voir la mer noyant villes, & terres.
Enfant petit, petit & bel enfant,
Masle bien fait, chef d’œuure de ton pere,
Enfant [p. 57]Enfant petit en beauté triomphant,
La grand liesse, & ioye de ta mere,
Le ris, l’esbat de ma ieune commere,
Et de ton pere aussi certainement
Le grand espoir, & l’attente prospere,
40Tu sois venu au monde eureusement.
Petit enfant peux-tu le bien venu
Estre sur terre, ou tu n’apportes rien ?
Mais ou tu viens comme vn petit ver nu ?
Tu n’as ne drap, ne linge qui soit tien,
45Or, ny argent, n’aucun bien terrien :
A pere & mere apportes seulement
Peine & souci : & voila tout ton bien.
Petit enfant tu viens bien pourement.
De ton honneur ne vueil plus estre chiche,
50Petit enfant de grand bien iouissant,
Tu viens au monde aussi grand, aussi riche
Comme le Roy, & aussi florissant.
Ton Tresorier c’est Dieu le tout puissant,
Grace diuine est ta mere nourrice :
55Ton heritage est le ciel splendissant :
Tes seruiteurs sont les Anges sans vice.
d 5 [p. 58]
[2]Chant nuptial allegorique.
Par vn matin que Phebus vit
Aurora la gente, & la belle,
Sa grace, & beauté naturelle
Si fort l’esprint, & le rauit,
5Qu’apres l’aymer, la poursuyuit.
La poursuyuant demoura telle,
Sa constance n’en perdit elle,
Ains plus grant beauté s’ensuyuit,
Iuppiter de son trosne hault,
10Dont la prouidence ne fault,
Voyant cette amour commencee
N’eut onques contraire pensee :
Transmit auec son brandon chault
Venus sa fille, qui tant vault,
15Par qui l’amour fort auansee,
Feit qu’ Aurora fut fiansee.
Dont la ioye au ciel ne deffault,
Car tous les dieux & les deesses
Menerent diuines liesses :
20Hymen apres les fiansailles
Les va semondre aux espousailles :
Iuno, l’vne des grans princesses,
Y vint [p. 59]Y vint couuerte de richesses :
Mars quicta ses dures batailles :
25Vulcain en laissa ses ferrailles :
Tous dieux feirent feste & caresses
Et chacun d’eux les honora
Pour l’vnion de leurs haultesses.
30Apollo auoit, encor a,
Sa harpe de fin or doree,
Sa harpe des dieux adoree,
Dont les nopces il decora,
En iouant matin, & seree.
35Qui en la sorte le verra,
Et sa chanson diuine orra,
Sera bien personne honoree :
Et qui à sa note sacree
Vn seul tordion dansera,
40En l’instant immortel sera.
Mercure, qui maint cœur recree,
Dont le chant mesme aux dieux agree,
Y deffailloit tant seulement :
Iuppiter en autre contree
45L’enuoya de son firmament
Porter message promptement
[p. 60]Pour le Dieu Mars, qui au banquet
Alloit portant ioyeusement
Au bout de sa lance vn bouquet,
50Qui se rioit au ferrement.
[3]LE DIEU GARD À
la ville de Lyon, faict l’an
1540.
Dieu gard Lyon, la clef de France,
Pleine de gens, & de cheuance :
Dieu gard Lyon, qu’en marchandise
Par-dessus toute autre l[’]on prise :
5Dieu gard Lyon, dont m’esmerueille,
Apres Paris la nompareille :
Dieu gard Lyon bien decoree
De mainte deesse honoree.
Dieu gard les seigneurs, & les dames.
10Dieu gard les corps, & plus les ames :
Dieu garde le Rosne auec la Saone :
Que fussiez vous vin blanc de beaune,
Ou encor meilleur, & plus doux,
Croyez que i’en beurois à vous.
L’adieu [p. 61]
[4]L’ADIEV À LADITE
ville, ou
l’auteur
auoit prins fem-
me, & pour vn sien proces
s’en alloit à Paris
l’an
1547.
A Dieu Lyon la clef de France,
Abondant en toute plaisance :
Adieu Lyon, dont ie depars :
Adieu amis de toutes pars.
5Adieu mon seul filz & sa mere :
Priez à Dieu qui gard le pere.
Adieu les dames de Lyon,
Et des atours vn milion :
Ie ne dy point adieu dorures,
10Cheines, carquans, & garnitures,
En May, que fustes en esmoy,
Ilz vous dirent adieu sans moy.
Adieu comperes, & commeres :
Adieu les filles, & les meres :
15Adieu les filles bien coiffees,
Doy-ie dire nymphes, ou fees ?
Adieu le Rosne, adieu la Saone,
Qu’eussiez vous le sable d’or iaune
Comme le beau fleuue Tagus.
[p. 62]Adieu les yeux fins, & agus,
Adieu les beaux tetins ouuers,
Adieu les colz tous descouuers :
Adieu veloux, & fine soye,
Adieu iusques ie te reuoye.
25Mais adieu ne diray-ie mye
A l’amy, qui de son amye
Quatre beaux cheueux m’apporta ?
Adieu le chef qui les porta :
Adieu le corps qui le chef porte :
30Adieu celuy qui les apporte :
Que puissiez vous tous deux tousiours
Eureusement viure en amours.
[5]Le Dieu gard à la ville
de Paris.
Dieu gard Paris le chef de France,
Qui est le lieu de ma naissance :
Dieu gard Paris, puis que ma veuë
Depuis sept ans ne l’auoit veuë :
5Dieu gard Paris creuë, & enflee,
De gens, & maisons redoublee,
Qu’on vit tresgrant croissance prendre
Du temps de la grant Salemandre :
Dieu [p. 63]Dieu gard Paris encor croissant
10Du temps de ce noble Croissant.
Dieu gard Paris en communs dictz,
Des femmes le grant Paradis.
Dieu gard Paris, entre dix mille
La grande, longue, & large ville :
15Dieu gard le plus hault Parlement,
Iugeant tant equitablement,
Qu’il est, par sus tout autre iuge,
Des oppressez le vray refuge.
Dieu gard la ville, & la cité,
20Et la haulte vniuersité,
Vray mont d’Helicon, ou les Muses
Sont copieuses, & diffuses,
Ou maint bon esprit me semond :
Dieu gard donques, Dieu gard ce mont
25Qui toute la ville decore.
Dieu gard les Pontz : Dieu gard encore
Les longs fauxbourgs, pres des villages :
Dieu gard les beaux grans heritages
Dieu gard sainct Denis, & Montmartre :
30Et de sainct Valeri le tertre.
Dieu gard ma maison paternelle,
Au be [p. 64]Au beau milieu de l’Isle belle,
Maison assize vis à vis
De nostre dame, & du paruis,
35Qui a la belle fleur de France
Pour son enseigne & demontrance.
Dieu gard mes parens, & amis :
Dieu me gard de mes ennemis :
(Si la fortune ennemis donne
40A celuy qui ne hayt personne :
Et si l[’]on porte inimitié,
A cil qui ne quiert amitié.)
O quel desplaisir mon cœur sent,
Que ie ne puis dire à present,
45Dieu gard mon pere auec ma mere,
Dieu gard ma sœur • la dernière sœur vivante de Charles Fontaine est Catherine Fontaine , dieu gard mon frere • Le dernier frère vivant de Charles Fontaine semble être Pierre Fontaine !
Dieu gard Clamart & Ian Ticier
Mon gentil pere nourricier :
Dieu gard sa femme sans malice,
50Qui fut ma gentille nourrice :
Dieu gard la riuiere bien pleine,
C’est asauoir la belle Seine,
Dont i’ay veu de fresche memoire
Deux belles sœurs, la Saone, & Loire.
Dieu [p. 65]Dieu gard de plus grande ruine
Le pont saint Michel, qui decline.
Dieu me gard de beaucoup troter,
Ie pourrois bien trop me croter :
Dieu me gard que mon long proces
60Voye deux foys sol en Pisces.
[6]PETIT CHANT DE
lovange, à
tresillvstre,
& tresuertueuse Princesse, Madame
Marguerite
de France,
Du-
chesse de Berri, fille
&
sœur de Roy.
Fille de Roy perle vnique de France,
Et sœur de Roy d’inuincible puissance,
Seule Pallas dont l’oliue on espere,
Signifiant paix au monde prospere,
5Vraye Pallas en science, & vertu,
En cœur, de force armé, & reuetu,
Des bons espritz le support & l’attente,
Comme ta noble, & vertueuse tante,
Qui t’a laissé (apres que par grand aage
10Elle a vescu) cet office en partage,
Si que l’on dit qu’elle reuit en toy
e [p. 66]Par ton grand sens, & purité de foy :
O de tous biens la source & la Fontaine,
En qui la France a fiance certaine,
15Ie di encor toute la Chrestienté,
De voir vn iour son repos & santé,
Si en mes vers tant bas, voulois coucher
Ton loz tant hault, ou ma plume aprocher
Tant seulement, à descrire en mon stile
20De tes vertuz la moindre entre cent mille
(Combien qu’en toy n’y a don que bien grant)
Ie n’aurois pas Apollo pour garant.
Car ton illustre, & treshaute noblesse,
Ton cler esprit, ta diuine sagesse,
25Ta modestie, & tant forte constance,
Ta iuste main, ta vraye temperance,
Puys ta beauté, & plus qu’humaine grace,
Brief, tout en toy toute Muse surpasse.
[p. 67]
S[’]ENSVIT VN LIVRE
d’epigrammes, adressé par
l’auteur,
à Monsieur le conseiller
Ian Brinon.
A pres lõgs traits des traitez precedẽs,
Pour le repos & d’esprit, & d’aleine,
Suyuez, Seigneur, lisant ici dedans
Ces petis vers en ma petite veine,
5Dont la matiere est en partie pleine
D’honneste ioye, & recreation :
Et excusez ces ruisseaux de Fontaine
Sus mon vouloir, & bonne affection.
[2] L'auteur à sa Flora.
I’ay delaissé à Paris mes parens
Pour auec toy estre à Lyon lié :
I’ay laissé loing mes amis apparens,
I’ay mon païs, & mon bien oublié
5Pour à toy seule estre seul desdié,
Tant qu’à Flora Zephyr loyal fut onque :
Puis qu’ainsi est, tu es, & seras donque
e 2 [p. 68]Ton seul Zephyr par grand amour suyuant :
Aussi tu fuys tout autre homme quelconque,
10(Hors mis luy seul) tout autre homme viuant.
[3]L’AVTEVR À SES
amis, amateurs de Poësie.
Le trezieme du moys fus né
Qui de Iules porte le nom :
Et moy bien peu, ou du tout non.
5Iules en triomphe eut renom :
Mais bien tost Phebus parfera,
Et les neuf sœurs dont suis mignon,
Que ma Muse triomphera.
[4]A Michel du Rochay.
Rochay, Rocher d’amitié ferme,
Par oui dire tu as seu
Mais par escrit te le conferme,
C’est qu’à Lyon i’ay liesse eu,
5Et que tant bon eur i’ay receu
Que ie n’ay plus de moy pitié :
Parfait suis, & ne suis deceu,
Car i’ay recouuré ma moytié.
L’aut [p. 69]
[5]L’AVTEVR À SA
Flora.
Nous viuõs bien, sans tort faire à personne,
Et toy, & moy, & nos enfans aussi :
Le grand tresor de santé Dieu nous donne,
Que ie pry fort nous maintenir ainsi.
5Des biens mondains auoir ne puis souci,
Mon esprit sent quelque cas de plus hault
Que s’abaisser à cette terre cy :
Du ciel il vient : là retourner luy fault.
[6]A MONSIEVR
Brinon.
Le ieu est faict pour la resiouissance
Autãt ou plus que pour perdre ou gaigner :
Mais resiouy pourrois ie estre en l’absence
De ma Flora qui me peult seule orner
5De fleurs de ioye, & seule regaingner.
Seule elle m’a gaingné, & puis perdu,
Dont son esprit, dans le mien, esperdu,
Me regaingnant se perd, & se perdra,
Iusques à tant que son gaing, loyal deu,
10Par sa presence esiouy me rendra.
e 3 [p. 70]
[7]Dieu gard à la ville de Chartres.
Dieu gard Chartres, & les Chartrains,
Et toy mon grand amy d’elite,
Qui ma Muse à te voir contrains
Pour l’honneur plus grand que merite
5La vertu qui dans toy habite :
Dieu gard ta nymphe & damoiselle,
Ta famille, & toute ta suite,
Et bon eur soit tousiours en elle.
[8]Au lecteur.
Si Martial est renommé
Epigrammataire gentil,
Pour auoir son temps consumé
Et maint epigramme subtil,
5Pour quoy donc ne sera l’outil
De ma Françoise Muse aymee,
Renommé ? encores eust il
La pointe vn petit moins limee ?
A Iean [p. 71]
[9]À
I. Gentil,
& à son
fils,
menestriers de
Paris, & Musiciens
du Roy.
Tv es Gentil, Gentil es tu
De cœur, de corps, de nom, de faict :
Et si vas gentiment vestu
Auec ton filz que tu as fait
5Comme vn autre toy tout parfaict
A sonner les gentes aubades :
Qui fait gentilz saultz, & gambades
Que me montrastes gentement :
I’ay veu Phebus, & les Dryades
10Ne baler pas plus brauement.
[10] L'auteur à ses Vers.
C’est vous, c’est vous mes petis metres
Qui me faites estre du nombre
De ceux lesquelz viuent en l’ombre,
En la peine, & plaisir des lettres.
[11]Dieu gard à la ville d’Oorleans [sic pour Orleans],
en Nouembre. 1554
Dieu gard la ville d’Orleans,
Ville sus toute bien fournie
e 4 [p. 72]D’excellens vins qui sont leans
En grand quantité infinie :
5Dieu gard mon alliance vnie,
Touchet, planté au territoire :
Son nom, que ma Muse n’oublie,
Sur le vieil temps aura victoire.
[12]À Monsieur le Baron de l’Espinasse.
Reuisitant vostre grand librairie
(Seigneur Barõ) mõ esprit eut grãd ioye :
Mais puis apres, entrant en facherie,
Il commença cheminer autre voye :
5Et c’est pourtant que fortune conuoye
Mon esprit prompt d’vn regard de trauers :
Et que ne puis, par faulte de monnoye,
Liures auoir, soit en prose, ou en vers.
[13]À Monsieur Angelus.
I’ay bien deux ou trois cens amis,
Mais voire bien deux ou trois mille :
Si donc chacun d’eux auoit mis
Pour petite estreine gentille
5Vn bel escu d’or, croix & pille,
En ma bourse, voire & non plus,
Lors [p. 73]Lors par leur amitié vtile
I’aurois deux ou trois mille escus.
[14]À Monsieur Saliat.
Ie ne suis pas vn importun,
N’y ne seray, ny n’ay esté :
Mais trouuant le temps opportun
Vers quelque homme d’autorité,
5Lors sans grande solennité
(Et sans trop me recommander,
Sous espoir d’en tirer du bien)
I’ay demandé sans demander,
Ou n’ay demandé du tout rien.
[15]À Monsieur le Conseiller
Ian Brinon.
Sous vn climat tous deux nous sommes nez,
Tous deux d’vn cuir, & quasi d’vn pelage :
Sous mesme guide, & de feruent courage
Nous poursuyuions de science estre ornez :
5Et puis encor ces trois nous sont donnez,
Vn parler cler, & quasi vn mesme aage,
Vne amitié de bien ferme alliance :
e 5 [p. 74]Puis qu’ainsi est, di moy en conscience,
Comment se fait qu’as si grand auantage
10Par dessus moy, en biens, & en science ?
[16]Apostrophe à la riuiere de Saone :
quand
l’Auteur
faisoit
sa
prouision en Bour-
goigne.
De toy me plaings, Saone sourde, & fa-
cheuse,
Et m’en plaignant, ie ne fay que deuoir :
A m’exauser tu es trop paresseuse,
Ne t’abaissant pour me porter reuoir
5Flora ma Nymphe : & sans moy la vas voir
Dedans Lyon, ou i’aspire, & i’espere :
S’il ne te plaist m’y donner cours prospere
Dedans briefs iours, vers mon cœur, & mõ biẽ,
Ie le diray au Rosne ton grand frere,
10Rosne le fort qui te menera bien.
[17]À sa Flora.
Ie suis bien sain, & si vis à regret
En mon seiour, de mon destin permis :
Ie ri aux gens, & souspire en secret
Qui ay plus mis que ne t’auois promis,
Voire [p. 75]Voire de temps i’en ay doublement mis.
En deuisant, mesme à table, il m’ennuye :
Et si me fasche entre mes grans amis,
Loing de Flora, ma seule & grande amie.
[18]Autre à elle mesme.
La Saone va sur les prez, & buyssons
Lauer les piedz des arbres esbahis,
Qui vont tremblans auec leurs chefs grisons,
Et pensent estre en vn nouueau païs,
5Car de voir l’eau ilz sont tous esblouys.
Tout ainsi est la Fontaine esblouye,
Tout ainsi est la Fontaine esbahie
De ne plus voir Flora qui tant merite :
Et voudroit bien, pour estre resiouye,
10Courir au pied de cette fleur d’elite.
[19]À vn
glorieux importun,
qui s’en-
queroit
tousiours, & trop, de
l’auteur,
que c’est qu’il
faisoit.
C’est raison que ie remercie
Cil qui tant de moy se soucie
Que s’enquerir tant que ie fais,
Sans que i’enquiere de ses faits :
Ie [p. 76]Ie luy respons par raison viue,
Que ie songe, à fin que ie viue.
[20]Autre, audict importun.
Te rencontrant, ce m’est vn faix,
Qui t’enquiers tant de mon affaire :
Mais quand tu quiers tant que ie fais,
Ie croy bien que tu n’as que faire.
[21]À sa Flora.
Nul chantz y a aux champs,
Nul oyseau y iargonne :
Mais les vents y couchans
Meinent si rudes chants
5Que la teste m’estonne.
Tout arbre aux champs grisonne :
Et ie y grisonne aussi,
Par ennuy & souci
Qui mon cœur enuironne :
10Si de là iusque ici
Ton amour sans nul si
Lyesse ne me donne.
A l’a [p. 77]
[22]À l’
ami
qui ne prestoit que sur bon
gage, ou sur bon
hypothecque,
mesme à ses plus grans
amis.
Qvand Guy demande argent pour prest,
Tu dis, que sa vigne en responde :
S’elle en respond, tu es bien prest
De luy prester la somme ronde.
5Ton espoir donc se fie, & fonde,
Et ton amour prent son appuy
Plus sur sa vigne que sur luy.
Or maladie non petite
Te tient au lict, & en ennuy,
10Dy que sa vigne te visite.
[23]À vn ami.
I’ay presté deux où trois cens francs,
Sous sedules, & sans sedules :
Ainsi que les bons amis francs
N’ont particularitez nulles,
5Lisans es cœurs trop mieux qu’es bulles.
Tu dis que c’est argent perdu :
Ie di que c’est argent rendu :
Dieu me le prestoit pour luy rendre :
Quand [p. 78]Quand tout sera bien entendu
10I’ay semé mon grain en temps deu,
Plus ne le puis perdre, ou despendre.
[24]À E. M.
Tv crains que ta femme & enfans
Ne tombent en necessité,
Toy qui de sept ou huit cent francs
Es à quatorze cens monté :
5C[’]est a dire (à la verité,
Et à le prendre en son bon sens)
Que tu cains que la poureté
Ne t’arreste à quatorze cens.
[25]Au Seigneur
I. de Cambray Chancelier
de Bourges, estant à
Constantino-
ple, & tenant le lieu de mon-
sieur
d’Aramon.
Depuis quatre ans de pardeça
L[’]on vous disoit surprins de mort :
Mais depuis quatre moys en ça
I’ay seu que ce bruit vous feit tort :
5Car il n’est rien de ce cas là.
Or, bon ami, i’ayme plus fort
Qu’en santé soyez par dela
Que par deça malade ou mort.
A son [p. 79]
[26]À son ami-ennemi.
Ce que le ciel a ordonné
Tu veux donc m’empecher d’auoir ?
Mais en fin il le m’a donné
Malgré toy à male heure né,
5Auec tout ton damnable auoir.
Du bien que m’as veu receuoir,
Qui fut à moy seul destiné,
Tu peus (miserable) ia voir,
(Sans mon attente deceuoir)
10Le beau fruict de graces orné,
Fruict durable, & non terminé :
Mais le ciel fait en toy deuoir,
Quand il te fait aperceuoir
Ton blé en herbe ruiné.
[27]À sa Flora.
La viue odeur de ta vertu aymable,
Par vn destin à t’aymer m’a raui :
Et puis sentant vne mort transformable,
Ores en toy, non plus en moy ie vi.
A sa [p. 80]
[28]À sa
Flora :
sur ce que le temps, & le
ciel, guident &
fauorisent
leur amour.
Faisant chemin deuers ma Fleur d’elite,
I’ay temps à gré : mais partant d’auec elle,
Le ciel se trouble, & le temps se despite,
Le vent me poulse, & m’est par trop rebelle :
5C’est vn grand cas, mais la chose est bien telle.
Certes le ciel, & chacun element
Ne peult souffrir nostre departement,
Mais nous fait voye, & nous rit au retour :
La raison est, ie le croy fermement,
10Car du ciel vient nostre loyale amour.
[29]
L’auteur
à son
detra-
cteur.
Tv dis ma Muse sans esprit
Puis que ne s’est peu faire riche :
Mon bien paternel elle prit,
Qu’elle mit en partie en friche :
5Et d’autre part ie ne fus chiche
Ny a parens, ny a amis,
Ny mesme à mes ennemis :
I’ay toutesfois, & sauf ta grace,
Plus [p. 81]Plus que toy, ny toute ta race
10Obscure, incongnue à tousiours,
I’ay vn bien qui tous les biens passe,
Et qui croistra apres mes iours.
[30]Autre, audit Zoïle detracteur.
Si i’ay eu l’esprit de dresser,
De grace, & audace non molle,
Batiment plus hault qu’vn Mausole
Que l[’]on vit au ciel se haulser :
5N’eusse-ie pas peu amasser,
D’vne inuention non friuole,
Le tresor mondain qui s’enuole
Auec noz ans qu’on voit passer ?
Ie pouois tant te surpasser
10En cette terrienne escole,
Que toute en fin or mon idole
T’eust peu par son lustre effacer,
Et par sa pesanteur presser.
[31]
L’auteur
escrit de sa naissance, & sous
quelz Roys il a
vescu.
Au beau milieu de la grand ville
Sans per, & au milieu d’vne isle
Entre le Nort & l’Occident,
f [p. 82]Deuant le grand temple euident
5(Dont le hault front bien atourné
De deux grans cornes est orné)
Fontaine a pris sa source & course,
Quand le Roy-Pere, tresprudent,
Au Fleuue Styx alloit tendant,
10Sans ruisseaux masles de sa source.
Puis le Roy Franc, qui tint la bourse
Ouuerte aux Muses & aux ars,
Leua son beau grand chef, & pource,
Se feit paroistre en toutes pars.
15Apres luy vn Croissant de Mars
Nous montre ores sa face ouuerte
(Comme Sol, en lumiere aperte,
Plus cler que l’Astre des Cesars)
Compensant des premiers la perte.
[32]À
Clement Marot,
quand
l’auteur
alloit disner auec luy.
Ie n’ay veu ton pareil encor
En douceur de rime Françoise :
Car, ami Marot, autant qu’or
Plus qu’autre metal luit, & poise.
5Tes vers François en douce noise
Vont [p. 83]Vont surpassant le stile antique.
Et croy qu’en ton art Poëtique
Le temps à peine amenera
Vn Poëte si doux-vnique
10Qui plus doucement sonnera.
[33] L’auteur à sa Flora.
Le vieil Poëte Ascree (né
En petit lieu, hault, infertile)
Son nom iusqu’à nous a mené
De ses vers vetu, & orné :
5Moy (d’vn grand lieu, bas, & fertile)
Ailé de ma Muse gentille,
Ton nom, & le mien porteray,
Et bien loing ie le planteray,
L’arrosant de l’eau de mon stile
10Pour reuerdir au diuin pré,
Vainqueur de l’antique faucille.
[34]À Monsieur du Parcq.
Ie n’escri pas pour deux, ne trois, ne quatre,
Ie n’escri pas pour cinq, ne six, ne sept,
I’escri pour moy : puis apres pour esbatre
Cent mil esprits : ainsi comme l[’]on scet
f 2 [p. 84]Que mes vers sont comme grans prez ouuerts
Ou cent mille fleurs de cent mille personnes
Cueillies sont, & Estez, & Yuers,
Fleurs ne craignans ny Yuers, ny Autonnes.
[35]A vn sien
amy
qui portoit ceste deuise,
Tousiours ioyeux,
&
leger d’argent.
Tv vis, tu ris, & fays grand chere,
Et fy d’argent, qui n’en as guere :
Si tu en auois trop aussi,
Tu serois en peine & souci,
5Ou d’en acquerir dauantage,
Contrefaisant du riche & sage :
Lors tu n’y oserois toucher
De peur du poure argent fascher.
Ou bien tu prendrois autre charge
10De te montrer prodigue, & large,
Et ne cesserois de penser
Sinon les moyens d’auanser
Ce bel argent, & le despendre.
Par ainsi donc, à tout comprendre,
15Vault il pas mieux en heur prospere
Estre ioyeux, & n’auoir guerre ?
Au [p. 85]
[36]Au lecteur.
Que nul ne se vienne vanter
D’auoir mis la main sus mes vers
Que ma Muse voulut enter
Au tronc qui les fait reietter :
5Et tousiours florissans, & verds,
Tout à plain, & tout descouuers,
En public les vient presenter
Pour dix mil autres contenter.
[37] L’auteur, à sa Flora.
Ton port droit, & ta belle allure
Auec naturelle allegresse,
Ton corps, qui de taille, & mesure
Se iette en moyenne hautesse,
5Qui me passe ou qui me mesure,
Ton maintien qui me sent son bien,
Sont tes dons que chacun voit bien :
Mais ton bon sens, ioint à l’vsage,
Mais ton peu de parolle sage
10Qui s’egale auec ta prudence,
Ton preuoir, & ton hault courage
Ne sont à tous en euidence.
[38]À elle mesme.
Tes grandes singularitez,
f 3 [p. 86]Tes vertus, & tes raritez,
Muettes s’en alloyent mourir,
Sans moy qui les vien secourir.
5Car mes vers par toy excitez,
Rendent tes dons resuscitez,
Les font parler, & reflorir.
[39]Autre, à elle mesme .
Le renom encores volant,
Bruit que Sapho fut accolant
Son doux luc, bien qu’elle soit morte,
Et que de luy nul chant ne sorte,
5Abbatu de sort violant :
Et ie prophetise en la sorte
Qu’apres ta mort, ô ma Flora ,
Encor de toy l[’]on parlera,
Et dira l[’]on à ta loüange
10Qu’as de mon luc les nerfs tendus,
Dont les chants sont loing entendus.
En la France, & en terre estrange,
Depuis le Gade iusqu’au Gange.
[40]À sa
femme
&
enfans,
pa-
rens
&
amis.
Vous mes amis , & vous tous mes parens,
Et vous ma femme & mes enfans aussi,
Ne [p. 87]Ne menez dueil, ny regretz apparens
Ny en secret, quand de ce monde cy
5Ie partiray, alaigre, & sans souci :
Car soyez seurs quand ce mien corps mourra,
Que mon meilleur, immortel demourra.
Ne pensez pas que vous & moy i’abuse :
Mon plus d’honneur mieux que iamais viura,
10C’est a sauoir mon esprit, & ma Muse.
[41] L’auteur, à son Zoïle detracteur.
Ce qui te fait si maigre, & palle,
C’est vne auarice, & enuie,
C’est vne furie infernale
Qui ronge ton ame, & ta vie,
5Trop miserable & asseruie :
C’est vne furie qui torche,
A grans coups d’vn baton de torche,
Ton cœur, de rage espoinsonné :
Et qui ton corps tout vif ecorche
10D’vn rasoir de [Eac] ordonné.
[42]De sa Flora .
Le petit Prince des oyseaux
Ne chante qu’en vne saison,
f 4 [p. 88]Et en ces chants, sur tous tresbeaux
Se complaint d’vne desraison :
5Moy, aux champs & en la maison
Content, ie vois chantant sans cesse
Les loüanges de ma princesse,
De ma Flora, qui fait florir
Ces miens vers, dont elle est maitresse,
10Vers verdissans pour ne mourir.
[43]Autre, à l’honneur de ses vers,
& de sa
Flora.
Le viel faucheur, dont la grand faux
Fauche tout, onc ne fauchera
Mes vers, lesquelz n’ont rien de faux,
Vers (bien qu’ils ne soyent des plus haults)
5Dont l’honneur iamais ne cherra,
Comme inspirez par ma Flora.
[44]
L’auteur
escrit ce Dizain à l’hon-
neur de ses
vers.
Xerxes monté dessus vne montaigne
Pleura, voyant son cãp par la cãpaigne
(Camp qui n’a eu pareil, ny depuis l’heure,
Ny parauant) disant que fault que meure
5Dedans cent ans telle gloire bellique,
Sans [p. 89]Sans que de tous vn tout seul en demeure :
Mais moy monté sus le mont Thessalique
Certainement tant s’en fault que ie pleure,
Voyant marcher l’escadron de mes vers
10Pres les ruisseaux de ma Fontaine ouuers,
Qu’en moy ie ri : ioye mon cœur époint,
Car tousiours vers iamais ne mourront point.
[45]
L’auteur,
en la ferueur, & faueur
de sa Muse.
Ie deuanceray la carriere
Sur ceux qui vont courant plus vitte,
Ie mettray leur course en arriere
Par la mienne encor plus subite.
5Autre esprit que le mien, m’enflame
D’vne diuine ardent flame :
Ma Muse (Madame) m’incite
De voler, pour rauir le pris :
La victoire mesme i’excite,
10Quand telle course, & cœur i’ay pris.
f 5 [p. 90]
[46]À tresnoble, & tresflorissante Princesse,
Madame
la Princesse de
Ferrare,
du
temps de sa venue en France, & de ses
nopces auec
Monsieur d’Aumale,
à
present duc de Guise.
Pvis que tu es ô illustre princesse,
De France issue à cause de ta mere,
(La vertueuse, & tresnoble Duchesse,
Ornee en biens de la double richesse)
5Bien fois venue en la France prospere,
Ou ton cœur noble en peu de iours espere
Se ioindre auec son desir ou il tend,
Le filz du Duc, qui t’ayme, & qui t’attend :
A celle fin qu’en iouissance entiere
10Par amour soit l’vn, & l’autre content.
[47]Autre, à elle mesme, & audit temps.
Le mesme point qui ta mere Duchesse
Feit vingt ans a, en l’Itale passer,
Te fait aussi, ô Duchesse & Princesse
Cet an present en la France adresser :
5Dont ie conclu, apres bien y penser,
Qu’à toutes deux vne chose fatale,
A fait à mere, & à fille laisser,
A l’vne France, & à l’autre Itale,
Autre [p. 91]
[48]Autre, à
ladicte Dame
arri-
uant à Lyon.
Qvand tu partis du lieu de ta naissance
I’ay seu que tout estoit en troublement,
Les gens pleuroient, & le grand Element :
Et maintenant arriuant en la France
5Vers ton espoux, qui t’ayme fermement,
As le temps beau, & à commandement,
Et des François grand recueil, & caresse :
Il appert donq, florissante Princesse,
Que ta venue eureuse, est de grand fruict :
10Et floriront en tout honneur, & bruit
Cete alliance, & cette bien venue,
Des gens aymee, & du temps bien congneue,
A qui la France, & aussi le ciel rit.
[49]Autre à elle mesme.
Grande beauté, grande race, & richesse,
Princesse, sont en toy abondamment :
Douceur, honneur, de vertu l’ornement :
Sauoir, sagesse, & santé, & ieunesse,
5Noblesse aussi y est treshautement,
Brief, tous biens sont en toy parfaitement,
Et toutefoys tu n’es encor parfaite :
Si à [p. 92]Si à Platon fault croire aucunement,
Tu n’as sinon ta moitié seulement,
10Par ton espoux entiere seras faicte.
[50] L’auteur à sa Flora.
Tv dis souuent, mon Zephyr n’appert rien,
A tout le moins mõ Zephyr n’apert guere :
Cela disant, tu ne dis pas trop bien,
Flora ma Nymphe, en fleur, & fruict prospere :
5Ains c’est parlé en trop basse maniere,
Dont ie t’excuse, & si tu me fais tort :
Haulse vn petit ton bas esprit plus fort,
Lors de moy mieux viẽdras dire, & cõgnoitre :
Car peu de gens ont l’honneur apres mort
10Que tu me vois durant mes iours acroistre.
[51]À
Françoyse Fontaine,
petite
fille de
l’Auteur.
Parisienne, & Lyonnoise,
Denom, & nation Françoise,
Ma seule fillette en ce monde,
Dont la charge tant peu me poise,
5Quand tu te ris, ie me dégoise,
Quand tu gasoilles, ie me fonde
Rentrer en ieunesse profonde :
Dieu [p. 93]Dieu te doint bon esprit sans noise,
Comme on lit en ta face blonde
10Douceur, bon eur, grace, & faconde,
Autant qu’en Dame, ou en bourgeoïse.
[52]À monsieur Saliat.
Resiouy toy ainsi que Iuuenal,
Voyant Catulle au retour du naurage [sic pour naufrage] :
I’ay presque veu sur mer mon iour final,
Quand comme luy i’ay passé dur passage.
5À la minuict tous les ventz de grant rage,
Le Nort, le Sud, l’Est, l’Oest se leuerent,
Et dessus moy de tous cotez ruerent :
Mais Eolus, & le puissant Neptune
Fontaine triste en la mer escouterent,
10La preseruant de mal, & de fortune,
[53]Audit Saliat.
Voyager loing belle chose est ce,
Quand on reuient tel comme on part,
Mais vn grant argent s’y depart :
Puis i’y ay laissé ma ieunesse,
5Et de mes œuures vne part.
[54] L’auteur à ses amis.
[p. 94]Ie say tresbien ce qu’a escrit Ouide,
Que les escrits plaisent apres la mort :
Car faulse enuie apres mort tourne bride,
Et la chair viue elle picote, & mord :
5Mais d’imprimer mon œuure ie n’ay tort,
Pour obuier, en le vous presentant,
A maintz bauars qui vont tout éuentant,
Et puis apres, & aux prests, & aux pertes
De maints traitez que ie vois regrétant :
10Ne sont ce point trois raisons bien apertes ?
[55] L’auteur, à vn sien ami.
Tv dis tousiours qu’honneur on ne fait pas
Aux vifs, mais bien aux Poëtes passez,
Et que i’auray apres le mien trespas
Plus grand renom auec les trespassez :
5Or m’en contente, & i’en ay bien assez
(Grace à Phebus qui m’a voulu nourrir)
Mais quand i’ay bien tes propos compassez,
Tu me veux faire enuie de mourir.
[56]D’vn
brodeur,
grand ouurier,
mais
qui auoit laissé son manteau
à la tauerne, pour gage.
Ce brodeur qui me prie tant
Que quelque cas de luy i’escriue,
Sait bien de broderie autant,
Mais beaucoup plus, qu’homme qui viue :
5Tantost brode vne image viue
Sur vne chappe bien en point,
Tantost vn ciel fort braue, & coint :
Puis vn colet, puis vn carreau :
Il brode tout, cape & pourpoint,
10Mais ne peult broder son manteau.
[57]À Damoiselle
Catherine Morelet,
fille de
Monsieur de la Mar-
cheferriere.
Belle, tu peux voir hardiment
Mon liuret de la Contr’amie
Car elle louë honnestement
La bonne amour, blasmant l’amie
5Trop enchantee, & endormie
Aux honneurs, & biens de ce monde,
Ou [p. 96]Ou ton ieune esprit ne se fonde,
Par pere & mere bien instruit :
Car ie sçay que tout à la ronde
10Le Souleil y chace la nuict.
[58]À l’Escuyer Catherin Ian.
Voz cheuaux vous font grant despense
Qui voz courriers, & pacquets portent :
Mais i’en sçay d’autres, quand j’y pense,
Qui plus alaigres se comportent,
5Et qui du bout du monde sortent
Portans par la machine ronde
En poste le tresor du monde
Le long de l’an, sans perdre aleine,
Et marchent sus maint monstre immonde,
10Et ne mangent foin ny aueine.
[59]À treshaute, & tresexcellente Princesse,
Madame la
Duchesse de
Vendosme,
fille vnique du
Roy
&
Royne
de Nauarre.
La maiesté, & doux port de ta grace,
Perle perfaite en grace, & en beauté,
Meritent trop que ma Muse te face
Tousiours honneur : Cela fut arresté
Des-lors [p. 97]Des-lors qu’à Tours fus à toy presenté
Auec vn liure en prose pour present,
Qui le receus de grand humanité
Comme feras cette Muse à present.
[60]Apostrophe, au Pau, riuiere d’Italie,
sus laquelle
l’auteur
alla
de
Turin à Venise.
O Pau qui as sus tout Fleuues l’honneur,
Puis qu’à bon port as porté la Fontaine,
Et que ce tour luy as fait, & bon eur,
D’oresnauant en sa petite veine
5Ira bruyant ta loüange certaine.
O Pau qui es de tous fleuues le Roy,
Ton Royal sceptre, & puissance hautaine
Face sans fin trembler fleuues sous toy.
[61]
L’auteur
saluoit ainsi
l’Ambassadeur
du Roy à Venise
.
Salut te dit, Ambassadeur du Roy,
Second Phebus en douceur d’eloquence,
Second Phebus (comme on dit, & le croy)
En tout sauoir d’esprit & d’excellence,
5Second Phebus en vraye intelligence
De la vertu d’herbes, d’arbres, & fruits :
g [p. 98]Salut te dit donc la Fontaine , puis
Qu’auec le Pau qui doucement se meult,
Qui l’a portee, & reporter la veult,
10Est cy venue en la belle Venise :
Salut te dit autant comme elle peult,
Mais ne le peult autant qu’elle te prise.
[62]Remontrance aux
detracteurs de
de [sic.] Poësie Françoise
.
Si l’Hebreu a rime pour Poësie,
L’Italien, le François mesmement,
Ie m’esbay qu’aucuns ont fantasie
A depriser assez legerement
5Rime, qu’on dit Poësie autrement :
La desprisant, Poësie ils desprisent,
Et trop ingrats, leur langue bien peu prisent
En reprouuant ses Poëtiques vers :
Ainsi donc ceux qui de rime mesdisent
10Sont d’ignorance ou malice couuers.
[63]Autre, sur ce mesme
propos.
I’ay congnu des gens de sauoir
Qui estimoyent en leur langage
Les vers rimez, c’est a sauoir
Tant [p. 99]Tant que Latins, ou dauantage :
5Car (sans au Latin faire outrage)
La rime auec sodn harmonie
Donne à l’oreille vne infinie
Volupté, par voix concurrente :
Aussi nul bon esprit ne nie
10Que la rime riche, & fluente,
(Mais de bon sens, sus tout, fournie)
L’oreille & le cœur ne contente.
[64]À vn
Stoic,
ennemi des Muses, &
de toute science liberale.
Par mes vers ie t’honorerois,
Et t’ecrirois communement :
Bon iour, bon soir te donnerois
D’vn petit quatrain gentement,
5Ou d’vn huitain fait brauement,
Mais à ta lourde fantaisie
Ne peult conuenir nullement
La braueté de Poësie.
[65]
L’auteur
inuitoit
six de ses amis Lyon-
nois
à
ses premieres nopces.
Venez tous six, venez voir la Fontaine
Qui veult saillir de sa roche petite,
g 2 [p. 100]Pour saluer en sa petite veine,
Et s’allier auec la Marguerite
5Que luy auoit ce beau champ cy produite :
Venez tous six, qui en valez bien douze,
Pour voir lier par amour bien conduite
Fontaine espoux, & Marguerite espouse.
[66]Du
Roy François, premier de ce nom
Dizain presenté, & leu
deuant
luy, par
l’auteur
.
François est Roy si Royal, & si franc,
France si franche, & si obeissante,
François humain, & de si noble sang,
France courtoise, en biens si florissante,
5François si fort, & France si puissante,
France croissant, François en tout bien creu
Que ie ne say (consideré & veu
Qu’entre ces deux a si grand conuenance)
Ie ne say point lequel estoit mieux deu,
10France à François, ou bien François à France.
[67]À M. Annemond Polier.
Pvis qu’ainsi est que ce gentil Mercure
T’ameine voir l’equipage de Mars,
Ou [p. 101]Ou le Lyon se delecte, & prend cure,
N’y espargnant d’argent cent mille marcs,
5Dessus ce mont qui ne craint les Cesars
Bien venu sois, ou Pallas la deesse
A double honneur, d’armes, & de sagesse,
A adrecé la petite Fontaine
Que tu congnois, dont tu auras sans cesse
10A ton command, & son cours, & sa veine.
[68]À vn amy .
Comme à ton amy singulier
Tu m’as declaré ton affaire,
Ou l[’]on peult gaingner vn milier
De bons escus (c’est profit faire :)
5Mais aussi tu n’as voulu taire
Qu’il se faudroit trouuer en place,
Armé de ruse, & de fallace,
Et d’escus en bource à largesse :
Que dyable veux-tu que i’y face ?
10Ie n’ay finance, ne finesse.
[69]Aux
detracteurs de Poësie
Françoise
.
Si chacun n’a ce beau don de nature,
Si chacun n’a du ciel cette influence,
g 3 [p. 102]De composer en beaux vers par mesure
(Vray art diuin, & celeste science)
5Respondez moy vn peu en conscience :
Fault il que ceux qui n’ont pas ce beau don
Laissent aller leur langue à l’abandon,
Pour detracter Poësie en tout lieu ?
(Grand Dame elle est, requerez luy pardon)
10Chacun n’a pas telle grace de Dieu.
[70]
L’auteur
fait mention de ses
secondes nopces.
L’an mil cinq cens quarante quatre,
Au court moys (qui or’ long sera,
Et sa rigueur delaissera)
Fut pour en bonne amour s’ebatre
5Car trop fletrissant demoura
Sa marguerite (amour premiere :)
Donc au printemps s’enamoura
De Flora, florissant, non fiere.
[71]À
S. Vallambert,
Poëte Latin
& François.
Horace vn iour son Vergile attendoit,
Et ne l’eut pas apres le long attendre :
Mais [p. 103]Mais auiourd’huy vn Vallambert, qu’on doit
Bien estimer (puis qu’à luy se vint rendre
5Clio la Muse, en sa ieunesse tendre)
N’attendoit pas le sien ami Fontaine,
Toutesfois vient Fontaine son cours prendre
Pour saluer Vallambert en sa veine.
[72]Au
iuge de Tournus,
auquel
l’auteur
remetoit sa reueuë, &
visitation,
de moissons en vendanges.
Mon brief retour ne me veult pas permet-
tre
Te visiter, selon ta grand semonse,
Mais de ma Muse auras ce petit mettre
Seruant ici d’excuse, & de response :
5Car cet escript te declare, & annonce
(O iuste iuge autant comme Eacus )
Que ma personne, à toy deux moys absconse,
Dame Ceres la remet à Bacchus.
[73]
L’auteur
à sa
Flora
enceinte pour
la premiere foys.
Svr tous plaisirs qu’onc tu me fiz,
Si tu veux que soit cette anne
Ma personne bien estrenee,
Ma Fleurie, fay moy vn filz
g 4
[74]
L’auteur,
encor à sa
Flora,
lors
qu’il
estoit sus les champs.
Le blond Phebus a prins sa robbe d’or
A ce matin, & son cler diademe,
Bien estoffé d’vn infini tresor
De pierrerie ayant splendeur extreme :
5Ses grans coursiers qui sont bardez de mesme,
Courent grand trot par le ciel pur, & munde :
Les grans souffleurs laissans en paix le monde
Ont ce iourd’huy replié leurs grans ailes
Qui parmi l’air trop se batoyent entre elles :
10En cœur d’yuer vn iour d’esté ie voy,
Cette iournee est la belle des belles,
Mais laide elle est quand ne suis auec toy.
[75]À vn mesdisant.
Toy qui ne fais d’vn Poëte grand compte,
Mesdis de moy, qui mesdire ne puis,
Disant par tout, que c’est à moy grand honte
Que Medecin ou Aduocat ne suis :
5Ce nonobstant vn peu plus hault ie monte,
Et pour raison, malgré tout blasonneur :
Car de la France, à qui Dieu doint bon eur,
Vault [p. 105]Vault il pas mieux le Poëte cinqieme
Estre en degré, en eur, & en honneur,
10Que Medecin, ou Aduocat centieme ?
[76] L’auteur, à sa Flora .
Des Aduocats les consultations,
Des Medecins les recipez aussi
N’ont point acquis tresors, possessions
(Qu’on va gardant auec peine & souci)
5A toy n’à moy : mais ceste Muse cy,
Muse qui est ma ioye, & ma cheuance,
Nous donnera honneur à suffisance.
O que plusieurs haultes dames de nom
Voudroyent auoir mari qui eust puissance
10De leur donner par ses euures renom.
[77]Au President de Gouy.
Si l’equité est la fille de Dieu,
Et l’equité en ma cause est aperte,
Dieu est pour moy en ce temps, & ce lieu :
S’il est pour moy, ie ne viendray à perte :
5Car ta science à iuger bien experte,
Et conscience au droit point immobile,
Voyant ma cause en l’equité ouuerte,
N’iroyent iamais contre Dieu & sa fille.
g 5 [p. 106]
[78]À
Monsieur de Chantecler,
Conseiller
au parlement de Paris.
Pvis qu’ainsi est que ta docte Minerue
Pour vn des fils d’Apollo a prins peine
Et qu’il te pleut en memoire, & reserue
Mettre son faict, voire en memoire saine,
5Et y donner aide opportune, & plaine,
C’est bien raison qu’iceluy par ses vers,
Lesquels ira bruyant en chants diuers,
Te rende grace, & louange immortelle,
Quand ses esprits s’en vont clers, & ouuers,
10Loing de proces, & de toute querelle.
[79]Des amis, non des personnes, mais
seulement de leurs
bonnes
fortunes.
Qvand on est en autorité
Rempli d’honneur, & de richesse,
Tant d’amis de prosperité
Nous font compaignie, & caresse :
5Mais si tost que richesse cesse,
Et que fortune nous ameine
Prison [p. 107]Prison, proces, poureté peine,
Et tous maux sus nous manifeste,
O que c’est tresmauuaise alaine !
10Chacun nous fuit comme la peste.
[80]
L’auteur,
à soymesme, de sa trop
grande & prompte faci-
lité à faire plaisir.
Qvand il aduient communement
Que l[’]on me trompe, & l[’]on m’abuse,
Cela n’est pas que nullement
Ie n’entende des gens la ruse,
5Et que ne puisse prendre excuse
De prester mon temps ou mon bien :
Mais c’est que l’homme ayant maintien
De bonne foy (qui est tant beau)
L’homme rond, & l’homme de bien
10C’est tousiours vn homme nouueau.
[81]
L’auteur
à sa
Flora
Lyonnoise,
lors qu’il estoit
en
Bourgoingne.
Ce moys tout plein de vertes cottes,
Fleurie en qui sont mes amours,
Craindre ne dois les Bourguignotes
En [p. 108]En villes, villages, ne bourgs,
5Car sans toy mes plaisirs sont courts :
Garde n’ay de changer Fleurie,
Fleurie est en regne, & en cours
Ainsi que la saison fleurie.
[82]L’auteur à son amy M. P. Coritain.
Pour recreer les clers esprits
De ta ieunesse eureuse, & belle,
Ami, qui tant lis, ou escris
Mainte oeuure ou antique, ou nouuelle,
5Reçoy de ma Muse le zelle,
Mes vers ioyeux, & non chargeans,
Par ce moys d’origine telle
Qu’il prent son nom des ieunes géns.
[83]
L’auteur
donne conseil selon le
temps, par ironie tou-
tesfois.
En tout honneur, & excellence
Quiconque veult aller auant,
Quiere l’argent, non la science,
Les lettres n’aille poursuyuant,
5Mais l’argent noble aille suyuant :
L’argent fait les gens sauants, pource
Qu’au [p. 109]Qu’auiourdhuy l’homme est fort sauant
Qui fait force escus en sa bourse.
[84]Epigramme, pour recreation, à l’escuyer
Caterin Iean,
lors que ses
gens deman-
doient les estreines à
l’auteur,
pour
leur
maistre, comme la raison, & l’honneste
coustume le
requiert.
Pour vostre grace, & pour voz peines,
Moy qui ne fus iamais ingrat,
Ie vous donnerois voz estreines
Sans Procureur, ny Aduocat :
5Mais gens qui sont d’vn mesme estat
Ne s’estreinent pas, ce me semble.
Or sommes nous tous deux ensemble
D’estat mesme, ou qui correspond :
Que si quelcun tost me respond,
10Et dit que non, ie dy que si :
Car voz courriers en poste vont,
Mes deniers vont en poste aussi.
[85]De quel temps
L’auteur
a le
plus
escrit.
Ie pouois bien hausser ma Muse,
Et mon stile enfler grauement,
Chantant des vers plus hautement :
Car mon Apollon me refuse
5A m’inspirer diuinement
Non plus qu’vn autre entendement :
Mais du temps du grant Roy François,
Que l’autre entonnoit doucement,
Ie chantois ainsi bassement
10Que vous oyez, mes vers François.
[86]
L’auteur
escrit de l’alliance de
luy & de sa
Flora.
Dame Iuno demontra sa puissance
Quand el’ioignit Fontaine auec Flora :
En peu de temps eurent la iouissance
Du bien, à eux promis des leur naissance,
5Qui apres eux vn long fruit tirera :
(Bien qu’on [cuidoit] rompre cette alliance
Laquelle au ciel écrite on trouuera.)
Mainte autre fleur autour de la Fontaine
Panchoit la teste, en vous la regardant,
Mais [p. 111]Mais la Fontaine en son destin certaine,
Prenant visee, alloit son cours dardant
Vers sa Flora, seule fleur souueraine,
[87]
L’auteur
adresse ce huitain
à sa
Flora.
Ta vertu & honnesteté,
T’ont fait de fille, estre ma femme,
Et l’espoir de ta chasteté,
Qui l’honeur iamais ne diffame,
5Fait que ie t’ayme corps & ame
Plus cher que mon œil, & ma vie :
Aymant l’honneur, tu fuis le blasme,
Car la vertu tu as suyuie.
[88]À
vn beau parleur :
sur ce que bien
escrire, ou composer
liures,
est beaucoup plus que
bien parler.
Tv as vne belle parole,
Dont ie m’esmerueille souuent,
Ce nonobstant elle s’en vole
Tout aussi tost auec le vent,
5Et meurt, les oreilles seruant :
Mais vne œuure escrite, & bien meure,
Depuis [p. 112]Depuis qu’elle est mise en auant,
A tout-iamais elle demeure.
[89] L’auteur, à sa Flora.
Estant au port trois fois prest à partir,
Trois fois i’ay eu la fortune contraire :
Les basteliers deux fois i’ay veu mentir :
Vne autre fois (qui plus me vint desplaire)
5Vagues, & vens menassoyent de me faire
Boire de l’eau en la Saone parfonde.
O ma Flora, o Fleur en qui me fonde,
Les gens, & vens, quand ne suis auec toy,
Communement sont contraires à moy :
10Mais tout bon eur me suit tout à la ronde,
Tout aussi tost que de loing ie te voy.
[90]À
Lyon Iamet,
seigneur de Chambrun,
secretaire de Madame
Renee de
Fran-
ce, Duchesse de Ferrare.
Qvand la bourse me presentas,
Et vuidant d’escus vn grand tas,
Tu me dis qu’à mon gré i’en prinsse,
Foy d’homme, c’estoit fait en Prince :
5Mais quand alors ie n’en prins point,
Ie te [p. 113]Ie te pry respond moy d’vn point,
Ami, exemple de tout aage,
Fus-ie sot, ou si ie fus sage ?
[91]Autre, à luymesme.
C’est peu de cas d’auoir promis,
L[’]on n’en trouue que trop, d’amis
De la parole, & du visage :
Mais qui soyent à tel faict venus
5Comme toy,
Et qui soyent de prendre abstenus
Comme moy,
L[’]on n’en trouue point en vsage.
[92]Autre sur ce, qu’il se trouue peu de bons
& vrays amis à faire
plaisir, encor que
Dieu
commande de ce faire.
Ce qui est à l’ami donné,
Est hors des mains de la fortune,
Perdu ne peult estre, ou miné
Par roille, ny en sorte aucune :
5Hazart de ieu ne l’importune :
La mer ne le sauroit noyer :
Larron ne le peult desployer :
h [p. 114]Cenonobstant (& ne fault taire
Que Dieu commande plaisir faire)
10L[’]on ne s’y veult point employer.
[93]À la faueur, & honneur des nopces de
Ian
Girard
de Bourges,
Seigneur des Ber-
geries, & de
Marguerite son
espouse,
Lyonnoise.
Chantez, mes vers, vn petit chant ioyeux
A la faueur de ces nouueaux espoux.
Vous ieunes gens qui auez voz clers yeux
Estincelans l’vn sus l’autre à tous coups,
5Auec regars tant amoureux, & doux,
Mais tant subtils qu’ilz perseroyent les cieux,
Entretenez voz souzris gracieux,
Sous bons propos qui le pain n’encherissent,
Car bon eur vient à ceux qui se cherissent
10En bonne amour selon Dieu ordonnee :
Caressez vous tant que vous soit donnee
Dedans quatre ans vne lignee belle :
Soyez coniointz d’amour non terminee
Comme vn coulon auec sa colombelle.
A son [p. 115]
[94]À son compere
Ian Vasis,
dict
Ian de Paris.
Ian de Paris, peintre d’vn Roy de France,
Ne peignoit point les gens si bien au vif,
Qu’à noz neueuz ie feray demonstrance
De ton pourtraict entierement naif :
5I’animeray par mon art sensitif
De toy ami, & compere, l’image
Au doux pinceau que i’ay eu en partage,
Mieux que ne fit Apelles sa Venus,
De qui les traitz iusqu’au iour de nostre aage
10(O trop foible art) ne sont ia paruenus.
[95]À
Monsieur de la Saulx,
Secretaire
du
Cardinal de Chastillon.
Il fault que ma Muse cherisse
Vn ami que Dieu m’a donné,
Lequel a eu pour sa nourrice
La terre mesme ou ie fus né :
5Et lequel fut ieune mené
En la montaigne renommee,
De nous deux hantee, & aymee,
h 2 [p. 116]Ou les Muses l’ont adressé,
Et là, sa ieunesse ont formee :
10Depuis l’ont tousiours caressé.
[96] L’auteur, à quelques siens amis.
Vous vous ebahissez comment
I’escri tant en langue Françoise :
Ce n’est faulte de iugement,
Que i’ay petit, dont [ce] me poise,
5Mais vn seul mot, sans bruit, & noise,
Renuerse toutes raisons vostres,
C’est qu’vne langue si courtoise
Est nostre, & si fait fruit aux nostres.
[97]Au sire
Pierre Seue,
Lyonnois.
Si ma Muse vers vous s’adresse,
Elle fait raison & deuoir,
Car quoy que vostre faict se dresse
En marchandise, l[’]on peult voir
5Qu’aussi vous aymez le sauoir :
Et de ce foy m’ont voulu faire
Des gens de bien (que ie veux taire,
Pour n’estre long, & ennuyeux)
Mesme [p. 117]Mesme Chailart, Royal notaire,
10Dont le tesmoignage en vault deux.
[98]À
vn riche glorieux,
qui preposoit
l’auoir au sauoir.
Tv as argent, & heritage,
Certes par trop au pris de moy,
En cela tu as l’auantage,
Ie le confesse, & si le voy,
5Et si n’ay enuie sus toy :
Mais ce que suis tu ne peux estre :
Et chacun peult tresbien congnoistre
Que le plus poure qui n’a rien,
Peult comme toy en grans biens croistre,
10Si la fortune luy dit bien.
[99] L’auteur, à sa Flora.
Dedans Paris six moys tardant
Ie suis sans toy, & auec moy :
Dedans Lyon en m’attendant,
Tu es sans moy, & auec toy :
5Mais l’amour en toy me perdant,
Et qui toy dedans moy attire,
Me dit qu’il fault autrement dire,
Et que parler ainsi ie doy :
h 3 [p. 118]Dedans Paris six moys tardant,
10Ie suis sans moy, & auec toy :
Dedans Lyon en m’attendant,
Tu es sans toy, & auec moy.
[100]Au
President de Gouy,
Placet,
pour auoir audience.
Vostre bonté de grand renom
Me fera elle resiouy ?
Doubte souuent me dit que non,
Mais vostre nom me dit qu’ouy.
[101]Au Seigneur Ian Brinon.
Si mes amours que i’ay chantees
En nostre langage François,
Ne t’ont pas esté presentees
Si tost comme ie le pensois,
5Quand deuers toy les auansois,
Afin que premier tu les prinsses,
De moindre cœur vers moy ne sois :
L[’]on fault souuent, & mesme aux Princes.
[102]À
Charles Girard,
la premier annee
que luy, &
l’auteur
furent
mariez.
Double estreine ici tu peux lire :
Car à ta femme ie desire
Vn [p. 119]Vn beau fils, & deux à la mienne :
Elle m’est plus pres que la tienne.
[103]À
Eustace de la porte,
Conseiller au Parle
ment de Paris, quand le
proces de
l’au-
teur
luy fut distribué pour
rapporter.
Comme la nef apres long nauigage
Ioyeuse arriue à son port en seurté,
Ainsi mon sac, apres bien long voyage,
Fut ioyeux d’estre en voz mains arresté.
5Or ie vous pry par celle integrité
Grace, & sauoir, qui en vous font demeure,
Que mon proces par vous soit visité,
Et rapporté ces iours à la bonne heure.
[104]Autre audit
Conseiller,
&
rapporteur.
Ie suis fondé en droit, & equité
Par texte, & glose, ainsi qu’il est notoire :
Mais on m’allegue vne formalité
Que ie suis mal fondé au possessoire :
5Qu’il soit ainsi ie ne le puis pas croire
h 4 [p. 120]Pour grand raison : mais encor qu’ainsi soit,
Le possessoire, ou bien le petitoire,
Me feront ils auoir tort, si i’ay droit ?
[105]Autre, aussi audit Conseiller
166305.
Ie suis entré dedans vn labirynte
Long & facheux, dont ie ne puis sortir :
L’enfant qui est dedans sa mere enceinte
N’est que neuf moys iusques au departir :
5Et en neuf ans onq ie n’ay peu partir
Du labirynte obscur, & difficile :
Mais ie commence estre en voye facile,
Et voir le iour que l’Aurore m’apporte
Espoir me dit que point ie ne vacile,
10Car tost, & bien sortiray Porte.
[106]À
Monsieur Tignac,
Lieutenent gene-
ral, &
President à Lyon.
L’autorité, & le sauoir
Quand ils sont en vne personne,
Telle personne doit auoir
Honneur de tous, que le deuoir
5Pour l’heur, & pour la vertu donne :
Mais d’abondant la grace est bonne
Qui [p. 121]Qui en toute humanité sonne,
Ne peult que les cœurs ne retienne :
Ce triple bien veult, & ordonne
10Qu’vn Tignac en honneur on tienne.
[107]À
Monsieur Brinon,
fils vnique du
premier President de Rouen.
Grec, & Hebreu en ton ieune aage
Tu as apris, ami Brinon :
C’est bien pour acquerir renom
Comme ton pere docte, & sage,
5Et pour tousiours haulser le nom
Qui en renom eut l’auantage.
[108]De la mort de
Monsieur
de Langey.
Phebus & Mars, l’vn beau, l’autre puissant,
Auoyent laissé & la harpe, & la lance,
Voyans Langey, helas, trop languissant
En son corps plein de grace, & d’excellence :
5Puis quand la mort le mit en deffaillance,
Incontinent harpe & lance ont reprins,
Non pour iouer, & vser de vaillance,
Mais pour les rompre en tresgrãd desplaisance,
D’aspre regret surmontez, & surprins.
h 5 [p. 122]
[109]À son ami,
Monsieur de la Saulx,
Secretaire de Monsieur le
Car-
dinal de Chastillon.
Veu ton sçauoir tu n’eusses seu
Meilleur parti prendre, ou elire,
Quand pour ton Seigneur tu as eu
Ce Mecenas, qui ayme à lire,
5Et ouir ce qui peult instruire
En tout bien & toute vertu :
Qui maint sauant haulse, & attire
Quand fortune l’a abbatu.
[110]À
Monsieur de Cremieu,
Lyonnois.
Fermant à ma Muse la porte
Ocieuse, negocieuse,
Morphee apres me la rapporte
Transformee, & toute monstreuse :
5Sa face vierge & gracieuse
Print forme d’vn, & d’vn autre homme,
Que Mars, & que Mercure on nomme,
Pour voler iusque es loingtains lieux
Faisant que Fontaine on renomme,
10Et pour combatre l’enuieux.
Au [p. 123]
[111]Au Roy,
Henri second du nom :
sur
son Treseureux aduenement
à la
Couronne de
France.
Cet eureux, & digne aduevement
Du Roy Henri, Roy fils du Roy Frãçois,
Ie voy triomphe en France abondamment,
Et loz au Roy, quelque part que ie sois :
5Renouueler les beaux espris François :
Aux estrangers liesse, & alliance :
Cela voyant, i’ay dit plus de cent fois,
Henri, grand Roy, doit grand eur à sa France.
[112]À
Monsieur de Saint Antost,
premier
President de Rouen.
Pour tirer droit deuers toy son passage.
Ma Muse n’a grand moyen, ny adresse,
Fors par son ieune-antique ami Sauuage
De tes vertus admirant la haultesse.
5Mais que fault il tant de solennitez ?
Ma Muse droit aux vertueux s’adresse
(Et mesmement aux gens d’authoritez)
Et les sauans elle honore sans cesse.
Or [p. 124]Or derechef pensant à toy, si est-ce
10Qu’ay vn ami ton parent Desautels,
Qui à ton loz, & au sien, tousiours dresse
(Par sa Clio ) des immortels Autels,
[113]À
Monsieur Saliat,
à qui
l’Auteur
donnoit son pourtraict.
Si le peintre n’a prins grant soing
A tirer au vif mon image,
Que ie t’apporte de bien loing,
Pour te donner vn tesmoignage,
5Et de nostre amour certain gage,
Ne t’en esbahi nullement :
Car il croyoit tout seurement
Qu’en ton cœur, qui m’a tant aymé,
Et qui m’ayme parfaitement,
10I’estois pourtraict plus viuement
Qu’onques son art n’eust exprimé.
[114]À vn
ami,
& Poëte, retournant d’Ale-
maigne,
auec l’
Ambassadeur
du Roy.
Pvis que tu fais si bon retour
De ce païs des Alemaignes,
Plein de discord, & de destour,
Plein [p. 125]Plein de guerres, & de montaignes,
5Il ne fault pas que tu te plaignes
De faire le present, & l’offre,
De nous enuoyer, si tu daignes,
Quelque epigramme en lifrelofre.
[115]Diuersité, du temps passé, & du
temps present.
Le temps passé l[’]on souloit recongnoistre,
Et honorer ceux qui par leurs escrits
Faisoyent le bruit, & l’hõneur des gens croistre,
Et occupoyent leur Muse, & leurs esprits
5Pour à vertu donner son loz & pris :
Mais à present que nous courons apres
L’or & l’argent, pour qui, soit loing, soit pres,
A tous trauaux nous sommes trop vouez,
Laissans pour l’or les faits de loz expres,
10Ne tenons compte aussi d’estre louez.
[116]
L’auteur
au Seigneur
Iean
Brinon
Ce liure d’Odes ie t’adresse,
Pourtant qu’en tes graces infuses
Tu te montres Prince des Muses,
Et que suis homme de promesses.
SENSVIT LE
LIVRE DES
odes.
[1]et premierement
À
Iean Brinon.
P our louer le mignon des Muses,
Des Muses le premier mignon,
Vien, espans tes graces diffuses,
Apollo, c’est pour ton Brinon :
5
Aymé-aymant toute la troupe
Des Poëtes saintz & sacrez :
Et qui boit souuent en leur couppe
Du saint nectar de leur secretz.
C’est celuy qui tant les recree
10Et de son œil, & de son bien :
C’est celuy qui sur tous agree
Au sainct couppeau Thessalien :
Qui sur le poinct de sa naissance
(Pour demontrer vn plus grand eur)
Repr [p. 128]Reprint la face, & accroissance
D’vne plus diuine verdeur.
Dequoy les Muses estonnees
Ont vn tel propos demené,
Sachons par quelles destinees
20Tel nouueau bien nous est donné ?
Lors Phebus respond, par Oracle,
Que pour le nouueau né Brinon
Aduient vn tel diuin miracle,
Miracle digne de renom.
25
Car luy (dit il) tiendra ma place
Dessus le mont Parisien,
Luy qui a la grace, & la face
De moy Phebus Thessalien.
Et, par le fil des destinees
30Quand au ciel seray rappelé,
Vous, Muses, luy serez donnees
En garde. Des qu[’]il eut parlé,
Tou [p. 129]
Toutes les Muses de Thessale
Demenans ioye, & nouueau ris,
35D’vn pas, & d’vne marche egale
Vont droit au nompareil Paris.
Là ce Brinon nouueau-né trouuent,
Et comme leur vray nourrisson,
L’embrassent, l’alaictent, le couuent,
40Par vne admirable façon.
Depuis luy deuenu en aage,
Ce bien a si bien recongnu,
Qui leur donne en propre heritage
Son propre bien, & reuenu.
45
Elles n’ont plus prins leur adresse
Deuers le mont Thessalien :
Ains delaissans du tout la Grace,
Viuent au mont Parisien.
[2]Ode ij.
L’auteur
à sa
Flora.
I’ay la main blanche, escriuant lettre noire
Que ne pourra nulle pluye effacer,
i [p. 130]Non toute l’eau, soit de Seine, ou de Loire
Qu’ Orleãs voit passer sans trespasser.
5
I’ay l[’]arc bandé dont les traits ne deffaillent,
Corde ne rompt, ny l’hébéne vouté,
Qui pour Phebus incessament bataillent,
Car il n’a point Fontaine debouté
Du nombre eureux de sa gent belliqueuse,
10Tuant tousiours le monstre renaissant :
Et dont la fleche, estant victorieuse,
Va d’vne mer à l’autre outrepassant.
Ie tien mon luc dont la corde tendue
Ne rompt, ainsi que corde d’artisans,
15Et dont la voix est bien loing entendue
Par l’air François depuis deux foys dix ans.
I’ay le pinceau du doux art Poëtique
Dont ie pourtrais ma Flora florissant :
I’ay le liuret de diuine musique,
20Là ou ie chante vn chant non perissant.
O ma [p. 131]O ma Flora, bien que ton seul corps meure,
Le mien aussi, pourtant point ne mourrons :
Car mon doux chant à ton honneur demeure
Mille foys plus que viure ne pourrons.
[3]Ode iij.
À
Monsieur le Cardinal
de Chastillon.
Les cieux ne sont point tant semez
De ces beaux clers feux alumez
Quand la nuict se monstre si clere
Qu’elle doit peu au iour, son frere,
5
Que les beaux champ, de tes vertus
Sont ores couuertz, & batus,
De tes vertus grandement grandes
Marchans par troupes & grans bandes,
Que tu fais bien paroistre au iour
10Durant ton naturel seiour :
Mais tes vertus enseuelies,
Apres ta fin seroient faillies,
[p. 132]Si vn Mercure, ou vn Phebus
Ne les tiroit de l’Herebus,
15Du Stix d’oubli, pour les faire estre
Encores viues, & renaistre.
Ie m’ose promettre, & vanter
Par ma Muse, de te chanter,
Si que tes vertus, & louanges
20Verront les païs plus étranges :
Et faisans leur tour & retour,
Cerneront le monde alentour,
D’vn cerne qui ne se termine,
Et que le long oubli ne mine.
25
Ainsi sus l’aile de mes Vers
Les reportant par l’vnivers,
Ie feray qu’elles seront, telles
Qu’elles meritent, immortelles.
Alors, qui ton Phebus seray,
30Du sepulchre t’arracheray,
Et te feray si bien reuiuvre
Que reuiuras pour tousiours viure.
Od [p. 133]
[4]Ode iiij.
L’auteur
à sa
Muse.
Mvse, ma deesse honoree,
De qui ma plume est la mignonne,
Par elle seras reueree
Ainsi qu’vne sacree Nonne :
5
Par toy, i’ay vn nom qui s’abille
Tout de plumes, pour son vol prendre,
Et s’en va leger, & habile
Loing se faire voir, & entendre.
Par toy mes petis vers verdissent,
10Et, tousiours verds, tu les fais croistre
Aux beaux champs qui tousiours florissent
Benistz par ta sainte main dextre.
Mieux que Medee, & que la Circe
Tu raieunis, & tu transmues :
15Comme le hault Poëte Dirce
Qu’en vn aigle, ains Phenix, tu mues.
Encor, pour vn euident signe,
i 3 [p. 134]Tu me transmue en Aloëte,
En Rossignol, en vn blanc Cigne,
20Qui a la voix d’vn doux Poëte.
[5]Ode v.
À sa
166209.
Mais dy moy donc, ô ma Flora,
Pourquoy on t’a veu si fort plaindre ?
Et pourquoy ton œil tant plora
Et qui le peut à ce contraindre ?
5
Ha, ie le deuine, & l’entens :
Ha, ie l’entens, & le deuine :
C’est que tu fus par trop long tẽps
Sans ta moitié la plus diuine.
Mais comment sans elle estois tu ?
10Mais comment estois-tu sans elle ?
Veu que par diuine vertu
Tousiours as sa Muse, & son zelle ?
Sa Muse, qui en son François
Chanta si cler des son enfance :
Sa [p. 135]Sa Muse, qui ou que tu sois
T’honnore de son creu de France :
Que si pour ta terrestre part
Eloignee, tant te tourmentes,
Ton cœur n’a donc faict tel rempart
20Que mille payenne amantes.
Car si leurs lettres & escritz
Tu veulx pour ton soulas elire,
Tu verras quelques plaints & cris,
Mais nõ pas tant que tu veulx dire.
25
Tu y verras Penelopé
Regretter son mary Vlisse,
Qu’en vingt ans elle n’a trompé,
Ains les braues pleins de malice :
Qui trop audacieusement
30Luy faisoiẽt la court, & grãd chere :
Mais son cœur chaste sagement
Les abusoit sous toile chere.
i 4 [p. 136]Que si vingt ans elle attendit
Constamment sa chere partie,
35Pourquoy n’aurois ie le credit
De six moys vers toy, ie t’en prie ?
Voire à vn besoing de six ans ?
Comme encore auiourd’huy s’en treuue
De seules en veuf lict gisans,
40Mais Dieu te gard d’en faire epreuue.
[6]Ode vj.
À
Monsieur de Querinec,
& de
Coad-
iunal,
gentilshommes de
Bretaigne.
Il n’est si bonne compaignie
Qui ne se doiue separer,
Tant soit de bonne amour garnie,
Et tant s’en puisse elle parer.
5
De Capricorne en Capricore
Phebus est presque retourné,
Eschau [p. 137]Eschaufant vne fois la corne
Du Taureau de fleurs atourné,
Depuis que la nostre alliance
10Que le ciel dans Lyon lia,
Print sa racine, & accroissance
Qui dans Paris se publia :
Et si se publira encore
Par mes Muses qui voleront
15Depuis le soir iusque à l’Aurore,
Deux bouts du ferme element rond.
Car ceux que mon vers veult elire
Pour leur vertu, ou leur sauoir,
Immortalizez par ma lyre
20Leur nom hault voler pourront voir.
Ie n’ay pas petite puissance,
Ny d’ Apollo peu de faueur,
Ie sens en moy des ma naissance
Vne Poëtique ferueur :
i 5 [p. 138]Ferueur qui me donne des æsles
Pour voler par tout l’vniuers :
Aesles qui seront immortelles
Comme immortelz seront mes vers.
Aussi d’estre né ie me vante
30Au pied du Parnasse François,
Là ou ma Fontaine coulante
Ne meurt, bien que mortel ie sois.
Là i’ay veu des ma grand ieunesse
Phebus auec les neuf sœurs,
35Par vne fatale caresse
Me repaistre de leurs douceurs.
Quand donc de noz Muses Françoises
Suis le destiné nourrisson,
Mes vers coulans en douces noises
40Chanteront de vous en tel son,
Que l’ame de la compaignie
Departant, ne departira,
Ains d’immortelle amour vnie
Par mes vers iusqu’au ciel ira.
Ode [p. 139]
[7]Ode vij.
A
vn Gentilhomme,
son hoste & son
ami, allant vers le
Roy
au Camp,
en Iuillet 1554.
Le plus brief que ie pourray,
Ie diray
Adieu à ta compaignie :
A toy ne le diray point,
5Pour le poinct
De la longue amour vnie.
Ta vertu & ton sauoir
Me font voir
Ie ne say quoy de si rare,
10Que dire adieu ie me deulx,
Et ne veulx
A qui de moy ne separe.
Mais pourrois-ie dire adieu
En ce lieu
15Tous deux reluisent en toy :
Nostre Roy
Fault qu’ores de Mars se serue.
Là [p. 140]Là tu verras les assaults,
20Les tours caults,
Surprises, & stratagemes :
Là tu verras les combats,
Les esbats
Que ie say bien que tu aymes.
25
Ton cœur Martial bien-né,
Estrené
Soit il d’vne bonne estreine,
Par laquelle tu sois bien,
Et en bien
30Et en honneur pour ta peine.
La Grece qui t’a congnu
Bien-venu
Dedans ses terres baignees,
Et l’Italie ou maints faits
35Tu as fais
Pleins de tes graces ornees :
Puis le faiz que tu soustins,
(Et retins
Con [p. 141]Contre fortune constance)
40Dans le Haynault : tout cela
Te doit là
De loz & biens iouyssance.
Mais des biens n’as grand souci,
Et aussi
45Ta vertu ne les pourchace :
Ta vertu que ie congnois
En harnois,
En estude, en faict, en face.
En toy Vlysses reluit,
50Qui conduit
Tout par sagesse & par grace :
En ton front,
En ton cœur, ton corps, & trace.
55
Adieu donc point ne diray,
Ny pourray
A ta prouesse, & prudence :
Mais ie diray bien Dieu gard
Toute [p. 142]Toute part
60A ta vertu, & vaillance.
[8]Ode viij.
Par apostrophe, à la Saone,
& au Rosne.
Douce Saone, qui danse aux sons,
Et qui entens bien la cadance
De mes Muses, & des chansons
Auxquelles aussi à plaisance
5Le Rosne roulant, souuent danse,
Si à vostre honneur i’ay chanté
Et si encores ie y compose,
Mon nom soit donc par vous porté
Iusques à la porte desclose,
10Ou vous courez sans faire pose.
Là vous rebruirez en mourant
Entre les bras de vostre mere,
Que ie suis vostre eur, & garant,
Et que ma Muse est coustumiere
15De vostre louange premiere :
Muse [p. 143]Muse, vous gardant de mourir
Apres vostre course derniere :
Et qui fait voz beaux noms courir
Par la Poëtique carriere,
20Seul honneur de toute riuiere.
[9]Ode ix.
L’auteur
escrit de son alliance
auec
Flora.
Cette Fontaine
Venant de Seine,
De la ville au siege prudent,
Bruit en sa veine,
5Qui n’est pas veine,
Vn doux son d’vn cours euident,
Iusques au Rosne,
Et sa sœur Saone,
Qui l’ont bien voulu caresser :
10Et leur hault trosne
De drap d’or iaune
Pour Flora ont fait tapisser :
Qui [p. 144]Qui l’a receuë
A pleine veuë
15Des montaignes & des coutaux :
La cóte drue
De ioye esmeuë
Sur la riue en a fait maints sauts.
Le mont Foruiere
20Pres la riuiere,
De cette alliance est tant fier.
Qu’en face fiere
Saute en arriere
Pour monts d’Auuergne deffier.
[10]Ode x.
À
Françoys l’Archer :
que la puis-
sance d’amitié, & les biens qui
en procedent, sont in-
estimables.
Ie tien la clef qui ouure
Le tresor d’amitié :
Le grand tresor du Louure
N’en vault pas la moitié.
Tout [p. 145]
Tout ce que l’ami touche,
Se conuuertit en or,
Voire en fin or de touche,
Et en plus fin encor.
C’est vn Mydas antique
10L’ami certainement :
La science & pratique
Il a diuinement,
Et la puissance egale
A la pierre au grand cout,
15Pierre Philosophale
Qui transmue en or tout.
D’amitié le plus proche,
Ami, bende ton arc,
Et ta fleche descoche
20Au milieu de ce parc,
Lionnoys Chersonese
Chersonese demi,
Là ou chante à son aise
La Muse à ton ami.
k [p. 146]
[11]Ode xj.
À sa
Muse,
& en faueur de
sa
Flora.
Chante vn chant qui l’air couppe,
L’air ami de ta voix,
O Muse, & prens ta coupe
Deuant la docte troupe
5Des Nymphes que tu vois,
Cette coupe luysante
En pierrerie, & or,
Tel’ splendeur produisante
Qu’auoir fait el’ se vante
10Ialoux le cler tresor,
Qui en sa pierrerie
Va le monde éclerant,
Montrant face marrie
Et dardant ses trais crie,
15Si grand mal endurant :
Cette coupe tant riche,
Couronne en ce ruisseau
Que [p. 147]Que le saint troupeau liche,
Puis d’vne main non chiche
20Vien espandre cette eau,
Sur la fleur que tu oses
Vanter sur toutes fleurs,
Sur lys, oeillets, & roses,
Au plus vert moys decloses,
25Par les Zephyrs soufleurs.
[12]Ode xij.
À sa
Flora.
Qvand ie chante de vous
En mon bas stile doux
La louange certaine,
Vous dites tous les coups
5Que mon sens & ma veine
Pour vous ont trop de peine :
Mais ne scet l[’]on pas bien
Que plus d’honneur, & bien
La grand’ vertu merite,
10Qu’à vostre seul maintien
k 2 [p. 148]L[’]on ne iuge petite,
Aiguille qui m’incite :
Toutesfois, si ne suis
De ce loz que poursuis
15Poëte & chantre digne,
Pensez que sous les nuictz
De long silence indigne,
Est mainte Dame insigne :
Qui n’a pas eu moyen
20De rencontrer ce bien
D’auoir telle trompette,
Qui face l’honneur sien
Sonner loing en voix nette,
Encor qu’elle l’appette.
25
Ma Flora, seule fleur
Qui embasme mon cœur
En la part plus secrette,
De ton renom l’odeur
Des-ia bien loin se iette
30Au son de ma musette.
Ie [p. 149]
Ie trouue qu’il y a
Puis aussi la Corinne,
Puis encor Lesbia
35Dont maint Poëte insigne
A chanté maint bel hymne.
Ie trouue tout ainsi
Auoir esté chantees :
40L’espoir & le souci
Sous qui sont inuentees
Mille chansons notees.
On en voit mainte bulle
45Puis Ouide en douceur
N’y a fait faute nulle,
N’ Horace le harpeur
Ore en ris, ore en pleur.
Tels sonneurs ont sonné,
50Et quelquesfoys tonné
k 3 [p. 150]Les honneurs de leurs dames,
Qui auoient moyssonné
Leurs corps, leurs cœurs & ames,
Et mis en dures fiames.
55
Et encor auiourd[’]huy
N’y a presque celuy
Qui sa Dame ne chante,
Et en trouble & ennuy
Estre heureux ne se vante,
60Tant ce charmeur l’enchante.
Vne si claire loy
Ne les tient comme moy,
Ni amour tant honneste :
La nuict noircit leur foy,
65Et leur bande la teste
D’ignorance inhonneste.
Des vieux siecles passez,
Ia long temps trespassez,
Ilz rameinent la feste,
70Ilz sont sauans assez,
Mais [p. 151]Mais fuit les admonneste
L’idole deshonneste.
S’ilz eussent lors esté
Que le siecle auorté
75Fut libre en torte chante,
En la nuict arresté,
Chacun d’eux à plaisance
Eust peu suyure l’vsance.
Mais au iour & clarté
80Qu’a Phebus rapporté,
Phebus nostre lumiere,
Chacun est enhorté
Suyure en autre maniere
Nostre clere banniere.
85
Or donques, ma Flora,
Mon vers qui t’honora
Leue au beau iour la creste,
Il marche, & marchera
En plain champ, hault la teste,
90Sans craindre la tempeste.
k 4 [p. 152]
Puis ces boutons ornez
Que tu m’as boutonnez
Au beau champ de ton estre,
Ont mes vers façonnez
95Pour plus clers apparoistre
A toy qui les feis naistre.
En écriuant de toy,
Tant doux couler ie voy
Les ruisseaux de ma veine,
100Que ie sens dedans moy,
Au cœur de la Fontaine,
Tout plaisir, & non peine.
Mon luc te sonnera,
Tant qu’on s’estonnera
105De te voir louangee :
Ma Muse te fera,
Es champ eureux logee,
Du long oubli vengee.
Phebus a ordonné
110Que ie sois coronné
Par [p. 153]Par Flora ma mignonne :
Vien donc, cœur floronné,
Et mon chef enuironne
De la verte couronne.
[13]Ode xiij.
À Monsieur le
Cardinal
de Chastillon.
L’auteur
presagit, & quasi pre-
voit son
immortalité,
par sa
Muse.
Dieu qu’est ce-cy ?
Ie sens icy
Hors & dans moy
Vn grand esmoy :
5
Vne mutation étrange
Entierement tout mon corps change.
Chantant mes vers
En tons diuers,
Suis mué tout,
10De bout en bout.
Ma teste haulte, s’appetisse
Et mon poil par tout se herisse :
k 5 [p. 154]Qui plume est fait
Par vn grand faict,
15Et en blancheur
Rend grand lueur.
Mes deux bras emplumez s’estendent,
Et à voler desia pretendent.
Iambes, & piedz
20Me sont liez
De rude peau
Trempee en l’eau :
Tout au bout des doigts y sont iointes
Des griffes, & picquantes pointes
25
Mon nez pointu
Plat rabbatu,
Et faict brun-sec,
Me sert de bec,
Desia bien hault par l’air ie vole,
30Couuert de plume blanche & molle.
Puis [p. 155]Puis fendant l’air,
Vien bas voler,
Pres les ruisseaux
De douces eaux :
35
Là planté sur l’herbage tendre,
Loing ma voix douce fay entendre.
Aupres d’Ainé,
Mon chant est né,
Et non en vain
40S’espand au sein.
De Loire longue, & Seine saine,
Iusqu’à Tethys leur mere pleine.
Parmi les champs
Semant mes chants,
45Iusques aux cieux
En plusieurs lieux,
Cigne faict ie vole, & me plante :
La terre, l’air, & l’eau ie hante.
Bien [p. 156]
Bien que sur tous
50Oyseaux sois doux,
Si l’Aigle fort
Me fait effort,
De grant cœur me deffens, de sorte
Que la victoire i’en rapporte.
55
Des œufs ie ponds
Polis, blancs, ronds,
Que bien souuent
Ie vois couuant :
Attendant que bien tost ie vole
60Depuis l’vn iusqu’à l’autre Pole.
[14]Ode xiiij.
À sa
Flora.
I’ay affaire à vn Achilles,
Ie me puis bien nommer Hector :
Et voudrois mieux estre Hercules
Qu’vn ancien sage Nestor :
5
Car science, & sagesse ici
Sont [p. 157]Sont estimez mais c’est tant peu
Que le moindre de leur souci
Fait à ces deux adresse & vœu.
Or si me puis nommer Hector,
10Andromache te puis nommer :
Andromache qui vit encor
Pour son Hector tresbien aymer :
Et pour conduire par la main
Son petit fils Astianax
15Qu’ Hector verra quelque demain
Comme grant desir tu en as.
[15]Ode xv.
À
P. de la Saulx
, Secretaire du
Cardinal de
Chastillon.
N’a pas veu Cephal & l’Aurore,
5 Ny [p. 158]
Par Orestes redemandee,
Qui auec elle est retourné
Ains a veu Hector, Andromache,
10Andromache en pudicité :
Mais non Hector lequel s’attache
Encontre Achilles irrité :
Ains Hector de Francique Troye,
Encontre l’ignorance armé,
15Auquel Phebus puissance ottroye
Que soit par son arc assommé
Ce monstre ennemi de la Muse,
Et de toute douceur de vers,
Que desia le combat refuse,
20Et gaingne les champs à trauers.
Mon arc que i’enfonce, & ie bande.
Ou qu’il fuye, l’attaindra bien :
Et mettra en route sa bande,
Pour faire aux Muses vn grand biẽ.
Ode [p. 159]
[16]Ode xvj.
À sa
Muse
de sa
Fora [sic.]
.
Chante ma Muse, chante ici
La plus douce fleur qui fut onques :
O ma Muse, mon doux souci,
Chante la, rechante la donques.
5
Phebe ne se contente point
De montrer vne foys sa face,
Souuent se montre en diuers point,
Et dix mille clers feux efface :
Ainsi parmi les champs diuers
10Ma fleur, tu montres & remontres,
Recoulouree de mes vers
Bigarrez à toutes rencontres.
Et la montrant, elle destaint
Auecques sa naiue grace,
15Des autres fleurs tout le beau taint,
Leuant hault sa teste, & sa face.
Parmi la France on la voit bien,
Tu [p. 160]Tu la fais à tout oeil congnoistre :
Sa grant vertu (seul riche bien
20Vainqueur du temps) tu fais paroistre.
[17]Odelette à sa Flora.
Ie t’ay donné de ma richesse,
Richesse qui ne se consume :
Ce sont les tresors de ma plume,
Pleins de bon eur, & de liesse.
5
Mais pense tu, ô ma Fleurie,
Quand te donrois cent mil escus
Que ie te donrois encor plus ?
Somme d’argent est tost perie.
Cent mille escus n’ont la duree
10Que ce chant que ie voys chantant
Pour ta vertu que i’ayme tant,
Vertu non iamais mesuree.
[18]Odelette, à la
Mort,
que
l’Auteur,
armé
de sa Poësie, va deffiant.
Vien sur moy, Mort, quand tu voudras,
Pren moy au lict entre les draps,
Ou [p. 161]Ou aux champs, ou en mon estude,
Onc à ton honneur n’en viendras :
5
Pour repoulser ton dur effort
Mon vers est suffisant & fort.
Ie te presente sans esmoy
Le combat, car mon vers & moy
Ferons reboucher ton dard rude :
10Mon vers me vengera de toy :
Mon vers qui la Mort picque, & mord,
Fait trembler, & mourir la Mort.
[19] L’auteur au Lecteur.
Si Phebus dit prophetie certaine,
Phebus mon Prince, & qui de grace pleine
M’a inspiré, & si m’inspirera
Tant que ce corps mon ame animera,
5Enten, Lecteur, que l’eau de ma fontaine,
De source viue, & naturelle veine,
Au champ Françoys viuement coulera
Tant que Françoys en France on parlera.
[p. 163]
SENSVIT VN
LI-
vre d’epigrammes,
pour
estreines de ceste
annee 1555.
[1]
et premierement,
Au Roy treschrestien,
Henri second
du nom.
M on Apollo qui m’inspire,
Me rauit, & me fait dire
Qu’vn grand Croissant clerparois-
sant,
Ira ses deux cornes pressant,
5Pour clorre en sa circonference
Le reste du monde, auec France.
[2]Autre.
De Cesar l’heur, & diligence,
De Pompee l’esprit, sans l’agge,
De Fabius la grand prudence,
Et d’ Annibal le hault courage,
5De Fabricius fort, & sage,
L’honneur la foy, & la fiance,
Tous ces grans dons, & d’auantage,
Sont en Henri, grand Roy de France.
l 2 [p. 164]
[3]À la Royne.
Iadis Iuno estoit vne Deesse :
Iadis Pallas en estoit vne aussi :
De toutes deux l’antiquité ne cesse
De hault louër la vertu & haultesse :
5Mais toutes deux ne sont en ce temps cy
Qu’vne parfaite, & qui les deux resemble :
France & Itale aprouuent trop cecy,
Tu es Iuno & Pallas tout ensemble.
[4]A madame
Marguerite de France,
Duchesse de Berri.
L[’] on disputoit de la vertu
Si elle est au ciel, ou en terre :
Vn grand Sophiste bien testu
Dist qu’au plus hault des cieux se serre :
5Le chemin en est tout batu
Des sauans qui courent apres :
Mais auiourd[’]huy l[’]on determine
Qu’elle se tient tout ici pres :
Car ou tu vas elle chemine,
10Et demeure là ou tu es.
A ma [p. 165]
[5]A Madame la Duchesse de Vendosme.
Le lustre grand de ta vertu premiere,
Dont Apollo fut ialoux, & marri,
Ioinct aux vertus de la Royne ta mere,
Feit ton nom cler (qui ne sera peri,
5Ains splendira sur Phebus à iamais,
Perdant pres toy sa lueur coutumiere,
Chef-d’œuure illustre, & en tout bien flori)
Qu’elle es tu donc, & seras desormais
Que tu y iointz cette grande lumiere
10Des grans vertus du grand Duc ton mari ?
[6]A
Madame la Princesse de Ferrare,
& Duchesse de Guise.
Princesse illustre, à toute vertu nee,
D’esprit trescler, & tresbelle de corps :
Princesse ieune, & de science ornee,
De Duc espouse, & de Duc fille aisnee,
5Tant de vertus, & dons en grands accords
Estans en toy bien vniz, & concords,
Par merueilleuse, & haulte destinee,
Ne me font point trop esbahy, alors
Qu’en t’admirant, soudain ie suis records
10Que tu es fille à Madame Renee.
l 3 [p. 166]
[7]A ladicte Duchesse de Guise.
Viue la race bien ornee
De l’heureux nom de la deesse,
De la Duchesse deux foys nee,
De la deux foys nee Duchesse.
A Monsi [p. 167]
[8]A
Monsieur de l’Estoille,
President,
au Parlement de Paris.
Voici l’Estoille nette & clere,
Petite, & luisante sus toute,
Qui en son doux aspect eclere,
Suyuant du cler Phebus la route.
[9]A
Monsieur Tiraqueau,
Conseiller
audict Parlement.
Que fault il que de toy ie die ?
Tu es en tout art si parfaict
Qu’il semble à voir que tu sois faict
Pour clorre vne encyclopedie.
[10]A
Eustace de la Porte,
aussi Conseiller
audict Parlement.
Tu as tant fait pour le droit, & pour moy,
Que quand ma Muse y vient souuent penser,
Te veult louer : puis tombe en tel esmoy
Qu’elle n’y scet par quel bout commencer.
[11]A
Monsieur du Lyon,
aussi pareille-
ment
Conseiller.
Le Lyon est fort & puissant :
En cœur & en corps tu es fort.
Le Lyon ne se va baissant
l 4 [p. 168]Pour aux plus petis faire effort :
5Ny toy aussi, ie le croy fort :
Mais le lyon est inhumain,
Mouuant aux grans guerre, & discord,
Et toy tu es à tous humain.
[12]A
Monsieur Seneton,
Conseillier au
Parlement de Paris.
Ton bon sauoir, & grace exquise,
Qu’il n’est possible qu’on ne prise,
Ton recueil, tes propos ouuers
A ceux qu’ Apollo fauorise,
5Ont ma petite Muse esprise
De te donner ce petit vers.
[13]A
Monsieur d’Epesse,
Conseillier
du Roy au Parlement
de
Paris.
Ie ne puis, ny ne veulx t’omettre
En Poësie ny en prose,
Pour les graces que voulut mettre
Le ciel en ton corps qu’il compose.
A monsi [p. 169]
[14]A
Monsieur de Viole,
seigneur d’Aigre-
mont,
aussi Conseillier audict
Parlement.
Ma Muse maintient vn tel cas,
Et si ne s’abbuse orendroit :
C’est que ne se mesprendroit pas
Qui pour vn Phebus te prendroit.
[15]A Monsieur,
Ian Brinon,
Conseillier
audict Parlement.
Muse, dy moy, que pourrois-ie donner
A ce Brinon pour bonne & longue estreine ?
Fors par mes vers immortelz couronner
Son amitié immortellement saine,
5Que l[’]on entend sans fin bruire & sonner
Par le reflot & de Saone, & de Seine.
[16]A
Monsieur Vaillant,
aussi Conseillier
audict Parlement.
Ie voudrois bien pouoir desduyre
En beaux vers de pareille grace,
Cette vertu que ie voy luyre
En ta parolle, & en ta face.
l 5 [p. 170]
[17]A
Monsieur de Marmaigne,
maistre
des Requestes.
Science auec experience,
Estat auec humanité,
Vertu egale à la science,
Accroissent ton autorité.
[18]A
Monsieur d’Yuor,
Secretaire
du
Roy.
Ce bon œil, & bonne parolle
Que de bon cœur tu me demonstres
Quand quelquesfoys tu me rencontres,
Fait que vers toy ma Muse vole.
[19]A Monsieur le Senechal de Lyon,
Guillaume Gazaigne.
Dedans Lyon ton nom tant exalté
Voit dessous soy d’autres vn million,
Qui ce dicton pour deuise ont porté,
Tel Seneschal doit bon eur à Lyon.
[20]A
Monsieur de Tignac,
Lieutenant gene-
ral, &
President à Lyon.
Di moy, Lyon, en verité,
Qui plus grand loz merite auoir
Ou de Tignac le grand sauoir,
Ou bien la grande humanité ?
A mons [p. 171]
[21]A
Monsieur du Puy,
Lieutenant parti-
culier en
ladicte ville.
La Fontaine ne doit pas taire
Vn Puy si grand, & de renom,
Qui s’est monstré en son affaire
Ami de faict, parent de nom.
[22]A
Monsieur de Vauzelle,
Aduocat du
Roy à Lyon.
Le grand sauoir, & le grand zelle
De Iustice, & d’integrité,
Attrempee d’vne equité,
Ou sont ilz sinon en Vauzelle ?
[23]A
Monsieur Billoud,
Procureur du
Roy en ladicte ville.
Maiesté d’esprit & de corps,
Science & grande humanité,
Grans biens, & grand benignité
Ont fait en vous leurs grans accords.
[24]A
Monsieur Bryaud,
Conseillier au
siege Presidial de Lyon.
Auec sauoir, santé, ieunesse,
Honorable office, & richesse,
Pour le vray comble d’amitié
Vous fault encor votre moitié.
A mons [p. 172]
[25]A
Monsieur de Villas
Iuge ordinaire
de ladicte ville.
Humilité auec science,
Science auec humilité,
Syncerité, autorité
Trouuent en vous leur alliance.
[26]A Monsieur l’Aduocat Athiaud.
Tu as grace, & facilité,
Bon conseil à la verité,
Mis au poix de iuste balance,
Et au droit poinct vne constance.
[27]A Monsieur l’Aduocat Laurens.
Des grandes loix le grand sauoir,
Promptitude, & viuacité,
Inuention, dexterité
En toy se font clerement voir.
[28]A Monsieur l’Aduocat Thomas.
De bonnes lois, vn grant amas,
Le stile, & l’obseruation,
Iugement, & discretion
Sont en la teste de Thomas.
A Mon [p. 173]
[29]A
Monsieur Lymandas,
Conseil-
lier au siege
presidial de
Lyon.
Prestance de corps, & de voix,
En Lymandas se fait notoire :
Puis grande science de loix,
Et la couronne de memoire.
[30] Aux deux Melliers • il s'agit de Guillaume Mellier er Nicole Mellier , Aduocatz.
Les deux Melliers • il s'agit de Guillaume Mellier er Nicole Mellier ont alliance
De nom, & consanguinité :
C’est la double perle en science
Soit de loix, soit d’humanité.
[31]A Monsieur Gyrinet Aduocat.
Tu donnes telle experience
De ta vertu, & ta science,
Que bien aueugle se feroit
Que si luysant ne te verroit.
[32]A Monsieur le Seneschal
Guillau-
me Gazaigne,
& à
Monsieur
de Beau regard
son frere.
Vous estes deux, & n’estes qu’vn
Car tout entre vous est commun,
Science, vertu, & ieunesse
Ornee [p. 174]Ornee de grande richesse.
5Si que comparer vous peult on
A deux pierres en vn chaton,
Orientales, precieuses,
L’vne pres l’autre, radieuses,
Iointes en œuure haultement,
10Auec grace & contentement.
[33]Pour excuse du petit epigramme
precedent.
Par ces ans prochains à venir,
Ma Muse aura en souuenir
De grater tant vostre eur prospere,
Qu’encor croistra comme elle espere.
[34]Ausdits seigneurs, Gazaignes freres. • il s'agit de Guillaume Gadagne er Thomas Gadagne
Si permetez (par ce bon œil
Qui aux bons arts fait bon recueil)
Que de vous ma Muse s’accoste,
Ie corneray de poste en poste
5Voz louanges (car ie le puis)
Et les feray bruire depuis,
Ou le braue Phebus grimpant,
Par sa voute va galopant,
Iusques où, parfaisant sa táche,
Ses [p. 175]Ses grans coursiers las, il attache :
Et dans la grant mer se plongeant,
Du soir au matin va nageant,
Tout enamouré de l’Aurore
Qu[’]il la suit, & poursuit encore :
15Et en nageant prent son deduit
A se lauer toute la nuict,
Pour montrer sa face plus belle
Quand le matin il vient vers elle.
[35]Au Seigneur de Riuerie, le
Baron
Laurencin.
Astree, la vertu ancienne
Descendant du plus hault des cieux,
Feit Laurencin la maison sienne
( Laurencin le premier des vieux
5Bien renommé en tous les lieux)
Ou qu’elle voyse, ou qu’elle vienne,
Elle ne pouoit loger mieux.
[36]Au Tresorier Martin de Troye.
Priam, Seigneur de la grant Troye,
De grans biens & vertus doué,
A peine fut autant loué
Qu’est auiourdhuy Martin de Troye.
Au [p. 176]
[37]Au Tresorier
Artus Prunier,
& Rece-
ueur du
Dauphiné.
Tu mets contraires en accords,
Car tu es petit quant au corps :
Mais d’esprit, & d’experience
Es bien plus grant qu’en corporance.
[38]A Ieã Prunier, receueur de Forest.
Tu mets contraires en accords,
Car tu es grant d’esprit & corps :
Mais en grace & ciuilité
Tu as cœur plein d’humanité.
[39]Au
Capitaine Ceruieres,
Capitai-
ne des enfans de
Lyon.
Ie ne say par quelles manieres
Ie puisse extoller dignement
Le vertueux-heureux Ceruieres,
Qui se maintient si dextrement.
[40]Au Capitaine George Regnart.
Tu as vertu, & grace humaine,
Que ie tesmoigne en ma science :
La verité à ce me meine,
Qui en ay veu l’experience.
Aux [p. 177]
[41]Aux
Enfans de la ville de
Lyon.
On veit, quand nostre noble Roy
Entra en triomphant arroy,
Voz vertueuses alegresses,
Voz brauetez, & voz richesses.
[42]A
Nicolas Henry,
seigneur de
Cremieu, Lyonnois.
Ieunesse, science, & sagesse,
Eureusement en toy se montrent :
Aussi les grans biens s’y rencontrent :
Et qui voudroit plus grant richesse ?
[43]Au secretaire Iean Grauier.
Si i’oubliois Grauier qui m’ayme,
Grauier qu’aussi i’ayme, & ie prise,
Grauier qui mes vers fauorise,
Ie m’oublirois quasi moy-mesme.
[44]Au
Chanoine Charton,
Lyonnois.
Si ta grande science pleine
Tu ioints à ma petite veine,
m [p. 178]A mon art, & basse science :
Ie t’asseure que telle estreine
5Ie prendray bien en patience.
[45]À P. Sceue.
La bonté, la vertu, la grace
Qui en tes faicts, & en ta face
Reluysent tant apertement,
Meritent honneur doublement.
[46]A Maistre Mathieu Michel.
Bien doict vers toy ma Muse aller,
Pour ta vertu, & ta science :
Puis d’amitié la longue vsance
Ne se pourroit iamais celer.
[47]A Maistre
Antoine Virieu,
En-
questeur en la
Senechaucé
de Lyon.
Qui plaisir fait, il vient les cœurs lier
D’vne amitié qui s’entrelasse entre-eulx :
Vn plaisir faict ne se doit oublier :
Et autresfoys m’en as fait plus de deux.
Au Gr [p. 179]
[48]Au Grefier Vidilli.
Ie say que tu aymes la Muse :
Et ie l’ayme, & poursuis aussi,
Et comme à celuy qui en vse
Te dedie ce quatrain cy.
[49]A Ennemond Polier.
Polier ami tant acompli,
Et en amitié tant poli,
L’esprit poli, dont ton sens vse,
Pourroit polir ma rude Muse.
[50]Au
Lieutant de la ville de
Chartres.
Entrez en ce rang maintenant
Vincent que vingt cent fois i’admire,
Vertueux Chartrain Lieutenant,
Ou la vertu mesme se mire.
[51]Au Seigneur
Ian Antoi-
ne Gros.
Ie te lourois plus grandement
Que par vn quatrain seulement,
Qui t’ay congnu ces ans passez :
Mais ta vertu te loue assez.
[52]Pour excuse, si aucuns ne sont pas
bien mis en leur ordre, &
se
lon leurs qualitez.
Si ie n’ay bien obserué l’ordre
De voz estatz, & qualitez,
Nul detracteur me vienne mordre,
Qui n’entends ces solennitez.
[53]Au Lecteur.
Au lieu de ris, ioyez, esbatz,
Qu’aucuns prennent en passant tẽps,
Auec ma Muse ie m’esbas :
Ma Muse c’est mon passetemps,
5De qui vn peu plus ie pretends
Que de perdre le temps à rire.
Si tu ne m’entends, ie m’entends :
Car non en vain sonne ma Lyre.
[54]A
Françoys Santien,
Seigneur
de Villette.
Le sens meur, & non ancien
L’heur, & la valeur (sans mentir)
Ne me sauroient de Santien
Sinon tout bien faire sentir.
A Noé [p. 181]
[55]A
Noé Neyret,
&
Marie
Briande
sa femme.
Ce moys nouueau, & enioué
Vous doint vn beau fils pour estreines :
Et que voz personnes bien saines
Viuent les ans du vieux Noé.
[56]A Iean de Rochefort.
Bien que ie ne sois ton parent,
Toutesfoys i’ay de toy pitié
Quand ie te voy si beau, si grant :
Ou trouueras tu ta moitié ?
[57]Aux deux
freres Prunas,
•
il s'agit de
Léonard Prunas
et de
François Prunas
Lyonnois.
Tous deux de ma Muse, & de moy
Amis, tous deux freres aussi,
Verrez voz noms tous deux ici,
Noms qu’oublier ne veux, ne doy.
[58]Aux deux freres Taillemont • il s'agit de Claude de Taillemont et de Jacques de Taillemont .
Tous deux freres, tous deux amis,
Tous deux aymez autant que trois,
Voyez voz deux noms que i’ay mis
Au front du plus renommé moys.
m 3 [p. 182]
[59]Au premier moys de l’an.
Moys à deux testes, & bonnetz,
Puis qu’à ton loz ma Muse forge,
Porte aux amis mes vers clers-nets,
Et tous frais sortant de ma forge.
[60]Au Seigneur Leonard Spine.
Dedans Lyon, eureux, tu tiens
L’extremité de deux grans biens :
C’est vn beau petit innocent,
Et vn grant batiment recent.
[61]A Alexis Iure, de Quiers.
Puis que Marot t’aymoit, & t’escriuoit
En vers François, comme en son œuvre on voit,
Ma Muse veult sonner dessus sa lyre,
Qu’elle peult bien & t’aymer, & t’escrire.
[62]Au seigneur
Sebastian
Sommage.
A ce tant vertueux Seigneur
Ma Muse doit porter honneur :
La vertu mesme fait hommage
A vn Sebastian Sommage.
A Mon [p. 183]
[63]A Monsieur Clepier, Aduocat.
Ta grand constance, & grand science
Qu’on ne peult louer dignement,
Me font passer dessous silence
Ce que tu as diuinement.
[64]L’auteur, à son compere
Seba-
stien
Gryphius.
Si vostre art, comme l[’]on scet bien,
Vous rend de l’honneur & du bien :
Vigilance & viuacité
Dient que l’auez merité.
[65]A son compere,
Guillaume Ro-
uille,
Libraire.
Diligence, & dexterité
Amitié aux gens de sauoir,
Vous deuoient la prosperité
Qu’on peult chez vous aperceuoir.
[66]A
Benoist Montaudouyn,
Bateur d’or.
Quand i’ay de l’or ie le caresse :
Et nonobstant tost il me laisse :
Et toy qui de grans coups luy donne,
Il te suit & ne t’abandonne.
m 4 [p. 184]
[67]A son compere
Thibault Payen,
Libraire, chez qui se vend
le
present liure.
Vends mes vers, possible immortelz,
Payen de nom, Chrestien de faict :
Et pleust or à Dieu en effect
Que tous les Payens fussent telz.
[68]A son compere
Iean de Tour-
nes,
maistre Im-
primeur.
Ton nom par tout si fort congnu
Aura bien petit auantage
D’estre dans mes vers recongnu,
Qui seront d’amitié le gage.
[69]A
Philibert Rollet,
lors qu’il
imprimoit le pre-
sent liure.
Puis qu’en ton art prens tant de peine
De mettre mon liure en lumiere :
Reçoy ce quatrain de ma veine,
L’ouant ta vertu singuliere.
A Guil [p. 185]
[70]A
Guillaume Phylledier
Imprimeur.
En ton estat, & en ta charge
Si tu as eu peine & affaire,
Aussi ta patience large
S’y est monstree necessaire.
[71]
L’auteur
à sa commere, la dame
Clemence de Rochefort.
Pour vne estreine à rebours faite,
Le mal des yeux ie vous souhaite,
Et à voz gens : en somme toute,
Que chez vous nul n’y voye goutte.
[72]A Anne de Rochefort.
Comme le beau Souleil efface
Des estoilles vn million,
Ainsi la beauté de ta face
Enrichie de bonne grace,
5Passe les beautez de Lyon.
[73]A Sibylle de la Porte.
Quand aux autres noms ie compare
Le tien beau, & qui tant bien sonne
Ie di qu’il est tant beau, & rare,
Qu’il conuient bien à ta personne.
m 5 [p. 186]
[74]Au premier moys de l’an.
Ò Ianuier des Moys le premier,
Et qui accostes le dernier,
Ianuier ioyeux pour tes estreines,
Si tu viens vers moy les mains pleines,
5Ie ne te veux pas renier,
Ains veux armer mes Muses saines
Pour te deffendre de Feburier.
[75]A Madamoyselle Lallier.
Et en la France, & en l’Itale
I’ay ton espoux veu, & congnu,
Qui, en louange principale,
Est pour second Phebus tenu :
5Mais ton pere onques n’est venu
En congnoissance, & veue mienne,
(Au moins pourueu qu’il m’en souuiẽne)
Et si ie m’ose bien vanter
Le congnoistre (sans attenter
10Par sus ma Muse, du vray serue)
Ton pere c’estoit Iuppiter,
Car il a engendré Minerue.
A mada [p. 187]
[76]A Madamoyselle de la Foy.
La vertu, la beauté, la grace,
De grand pris, chacune endroit soy,
N’ont point choisi meilleure place
Qu’en Damoyselle de la Foy.
[77] L’auteur, à sa Flora.
Tant que la mer sera salee,
Et la terre en May verdira,
Tant que montaigne aura vallee,
Fleurie en mes vers fleurira.
[78]A la bourgade de Chaponnot au
Lyonnois, lieu natal de
sa
Fleurie,
ou Flora.
Chaponnot, lieu hault & non maigre,
Ou ma Flora fut verdissant,
Tu sois tousiours sain & allaigre,
Et mieux que Tempé florissant.
[79]A son filz aisné, Iean Fontaine.
Sers bien Dieu, li bien, escri bien,
Honore pere, mere, & maistre :
En ce faisant tu pourras estre
Vn iour en honneur, & en bien.
A sa [p. 188]
[80]A sa fille Françoise Fontaine.
Ton corps a beauté suffisante :
Ton esprit a viuacité :
Fay que tu sois à Dieu plaisante,
En douceur & humilité.
[81]A son filz Charles Fontaine.
A trois ans assez bien tu parles,
Dans autres trois tu viendras lire
Les beaux vers que ton pere Charles
Pour son filz Charles veult elire.
[82]A son petit filz
Sebastien
Fontaine.
I’ay beau parler, tu ne m’entends,
Tu es trop petit pour m’entendre :
Mais, à voir ce tien minois tendre,
Semble qu’à respondre pretends.
[83]Autre.
Mon petit masle singulier
En beaux petis membres vnis,
Mais garde toy du faux Sanglier.
A mon [p. 189]
[84]A Monsieur
Auberi,
Lieute-
nant Ciuil à
Paris.
Science, & conscience bonne,
Grauité & facilité,
Iointes à ton autorité,
Illustrent beaucoup ta personne.
[85]A Monsieur
Braillon,
Conseil-
lier au siege
Presidial
de Lyon.
Le nom & renom de ton pere,
Des Roys • il s'agit de François Ier et peut-être de Louis XII & Muses honoré,
(Et qui durant son cours prospere
Fut de la France reueré
5Mesme en Paris presque adoré
Comme vn Phebus seul en son art)
M’incite de te faire part
De mes Muses : mais d’auantage
Ta propre vertu m’encourage,
10Ton sauoir, & ta grace : & puis
Ne fault oublier ce passage,
Que tous deux sommes d’vn pays.
A mon [p. 190]
[86]A Monsieur
Pasquier
, aduocat
au Parlement de Paris.
Quand ma Fontaine veult transmettre
Deuers toy quelque siens ruisseaux,
Incontinent, en prose ou metre,
Ie luy responds que seroit mettre
5Dedans la grand mer, des eaux.
[87]A Monsieur
Duarenus,
Do-
cteur, Regent à
Bourges.
Vers les sauans tousiours tu vses
De faueur, & d’humanité,
Qui m’as semonds, & inuité,
Honorant mes petites Muses.
[88]
L’auteur
à son cousin Monsieur
le coigneux,
Aduocat au
Parlement
de Paris.
Ta personne tant docte-humaine,
Que la deesse docte meine
Aux champs des loix des fruitz cueillir,
Poulse ma Muse à ne faillir
5T’offrir la veine, & la Fontaine
Que tu voulus bien recueillir.
A son [p. 191]
[89]A son cousin Antoine du gué.
Mais qui me pourroit diuertir
D’aymer ta science & vertu
Dont ton esprit est reuetu ?
Puis le bon sang ne peult mentir.
[90]A Monsieur le Baron de l’Espinasse.
L’amour que tõ cœur porte aux lettres,
Tesmoing ta librairie grande,
Fait voir ton nom en cette bande
Des amis de mes petis mettres.
[91]A
I. de Cãbray,
Chancelier de Bour-
ges,
Ambassadeur du Roy.
Tu scez parler maint beau langage,
Tu as acquis mainte science,
A qui as ioint experience,
Grace, & grans amis d’auantage :
5Et tout cela en moyen aage.
[92]A Monsieur
Touchet,
Lieute-
nant à
Orleans.
L[’]on prise sur tous vn Touchet,
Sa science est pour or de touche :
Et quand sa main par escrit couche,
Le poinct y gist, sans qui tout chet.
A Iac [p. 192]
[93]A
Iacques Ioubert,
Lieutenant Crimi
nel à Bourges, que
l’Auteur
auoit
veu malade puis peu de temps.
Pour t’estrener, auoir voudrois
Lors la santé ie te rendrois :
Puis en ton pere remettrois
5La ieunesse du temps passé.
[94]A
Françoys l’Archer,
Procureur
des Comptes à Paris.
Phebus fait son tour & retour
De iour en iour continuel,
Par son Zodiaque annuel :
Ainsi ma Muse, sans seiour
5Vole & reuole tout au tour
D’vn Archer amy solennel,
Et en amitié eternel.
[95]A Monsieur
Fournier,
Poëte,
& à
Iean Garnier.
I’admire la Muse à Fournier,
Sonnant bien en Sonnet & stance :
I’ayme l’amitié d’vn Garnier
Dont dans Tournus ie eu cõgnoissance.
A Capi [p. 193]
[96]Au Capitaine Pierre Bon.
Au faict conuient tresbien ton nom :
Car soit en mœurs, dont nul te charge,
Soit en ton estat, & grand charge,
(Ou tu as acquis bon renom,
5Auec honneur bien ample, & large)
Vn chacun dit que tu es bon.
[97]Au Contreroleur,
Philippe
Coulom.
Coulom de nom, Coulom de mœurs t’es fait,
Coulom qui n’est bigarré, ne diuers,
Ains d’vn blanc doux, plumage tant parfaict
Qu’il peult blanchir, & adoucir mes vers.
[98]A Monsieur de belle Isle.
Si i’estoye belle riuiere,
Ne faudrois d’estrener belle Isle,
Et l’estrenerois la premiere :
De mes poissons auroit dix mille :
5Puis l’accolant sans fin ne cesse,
Bruirois en signe de caresse :
Mais tresbien me contenterois
D’estre auiourdhuy belle Fontaine,
Car auec le temps ie ferois
10De mes ruisseaux riuiere pleine.
n [p. 194]
[99]A
Guillaume du Louët,
seigneur
de Querinec.
Ie congnois bien, & ne puis ne congnoistre
Comment tu prens par vertueux desir
Plaisir & peine à me faire plaisir,
Que veulx & doy par mes vers recongnoistre.
[100]A Monsieur
Syluius,
Mede-
cin à Paris.
Vn Syluius en medecine
Doublement estimer on doit :
Car de tous maux scet la racine,
Et par sa science diuine
5En guerit l’homme s’il le voit.
[101]A Monsieur
Fernel,
aussi Me-
decin à
Paris.
Porte en son chef la Theorïque :
Puis se fait voir en toute part
Expert-eureux en sa pratique.
[102]A
Geofroy Granger
Mede-
cin à Paris.
Pour estreine ie te donrois
Vne Muse mieux accomplie,
Et de haulteur passant les trois,
Et de [p. 195]Et de termes trop mieux polie
5Et d’inuention mieux remplie,
Si i’estois par grace diuine
Tel Apollo en Poësie
Comme tu es en medecine.
[103]A
Guillaume Plantius,
aussi
Medecin à Paris.
Les Aphorismes bien tournez
Par toy ami plein de science,
Nous font voir par experience
Vne part des grans dons ornez
5Que le hault ciel t’a destinez.
[104]A
Claude Millet,
Mede-
cin à Lyon.
Ie te puis dire vn Esculape,
Qui fais les gens resusciter,
Puis souuent les laz euiter,
Par lesquelz la Mort nous attrape.
[105]A
Simon Guy,
maistre Chi-
rurgien à Lyon.
Ton art vtile, & necessaire
Tu le scez tant seurement faire,
Que ce qui est plus difficile
T’est naturel, & tout facile.
n 2 [p. 196]
[106]A Marie Buzelin.
Le ciel se courbe, admirant ta constance
Contre l’effort d’vn destin, ou fortune :
Puis sus ton chef vne fleur d’excellence
Reluire fait, qui n’a pareille aucune.
5Comme l[’]on voit luire vne belle Lune,
Entre maint astre apparente en clarté
Durãt la nuict qui est obscure & brune :
Ainsi le pur de ton integrité,
Durant l’orage, & en l’obscurité,
10Fait qu’en vertu es entre dix mille vne.
[107]A Marie Crabe.
Comme en loix, en vertueux zelle
Ton espoux maintz Aduocatz passe,
Ainsi en taille, en grace, en face
Tu passes mainte femme belle.
[108]De son petit filz Polycarpe.
Ton Polycarpe ie n’oublie,
Ton petit filz tant esueillé :
Filz de face & grace anoblie,
Filz à tout bien appareillé.
A P. de [p. 197]
[109]A
P. de la Saulx,
Secretaire du
Cardinal de Chastillon.
Comme la Saule, arbre vtile & plaisant,
Se resiouyt aux ruisseaux de
Fon-
taine :
Ainsi la Saulx, ami plaisir faisant,
Se resiouyt au doux bruit de
ma
veine.
[110]A
Charles Seuin,
Chanoine
d’Agen, en Agenois.
L’honneur, & renom que merite
Ta vertu, ta grace, & sauoir,
Aussi ton bon recueil, m’excite
Ne passer sans faire deuoir
5De te faire ici ton nom voir,
Mon Parrin, & ami d’eslite.
[111]A maistre
Iehan Ferrand,
de Clamart.
Il ne fut onc acier si fort
Que la nostre amitié est forte,
Et qui, en despit de la mort,
Onque en mes vers ne sera morte.
n 3 [p. 198]
[112]A Monsieur de Sangelais.
Pour bien te louer par escrit,
Ie voudrois de toy emprunter
Ton cler, & ton diuin esprit,
Si tu me le voulois prester.
[113]A Maurice Sceue, Lyonnois.
Ces quatre vers que tu lis & tu tiens
(Ce dit Ianus ) sont les estrenes tiẽnes,
A celle fin que dix braues des tiens,
A cent pour cent, soyent les
estreines
miennes.
[114]A
Monsieur du Parc,
Cham-
penois.
Que veulx tu ami que te donne ?
Tu metz assez en euidence
Et ta science, & ta prudence,
Qui vont illustrant ta personne.
[115]A P.de Ronsard.
I’entonnerois plus hautement,
Ie chanterois plus amplement,
Si la Musette en moy infuse
Estoit digne de ta grand Muse.
A Ioac [p. 199]
[116]A
Ioachin du Bellay,
Seigneur
de Gonnor.
Pour escrire vers de hault pris
Tu entens mieulx que moy le poinct :
Si t’escri-ie, & tu ne m’escris :
Mais tu escris, ie n’escri point.
[117]A E. Iodelle Parisien.
Ta Tragedie, Cleopatre,
Que le Roy voulut voir iouer,
Dont il feit dresser le Theatre,
Te feit en Court beaucoup louer :
5Mais ie t’ose bien aduouer
De plus, si plus tu veux promettre,
Et à ton Apollo vouer
Nous mettre au iour tout ton beau met-
tre.
[118]A G. deshautelz.
Si comme toy Poëte estoye,
A toy comme toy i’escriroye :
Mais i’escri à toy comme moy :
Escri donc à moy comme toy.
n 4 [p. 200]
[119]A Monsieur de Sainct Romat.
Viue la Muse docte-humaine
Qu’en nostre Athene ie congnu,
Sur ce beau mont qui nous rameine
Tout l’honneur du Grec mont cornu.
[121]A I. Gohorri Parisien.
Si ie t’escri, ne t’esbahis :
Car les Muses, & le païs
Ne permettent que ie t’oublie,
N’y ta grace qui les cœurs lie.
[122]A Ponthus de Thiart.
Ta douce-eureuse grauité
Te rend Poëte inimitable :
Mais la grande profondité
De ton sauoir, incomparable.
[123]A Oliuier de Mangni.
Ie veux que ton Phebus m’inspire
Pour te louer suffisamment
Comme il t’inspire abondamment
En louant ta Castianire.
A Remi [p. 201]
[124]A Remi Belleau, Poëte.
Tous deux sommes (ami Belleau )
Cousins & de Muse, & de nom :
Aussi tous deux aurons renom,
Puis que tous deux portons belle eau.
[125]A Cl. Chappuy.
L’Aigle par toy tant bien chantee
Qui feit la poule à Landreci,
Que n’est elle ores rechantee,
Puis qu’encor fait la poule aussi ?
[126]A
P. Saliat,
qui a traduit
Herodote.
Saliat, qui à toy s’allie,
Est d’amitié bien allié,
Quand amour telle la lie,
Qui noz espritz long temps a lié.
[127]A luymesme.
Les vns quierent l’inuention.
Le sauoir, la profondité :
Les autres la deduction
Auec grace, & facilité
5Ennemie d’obscurité :
A tant de gens ayant affaire,
n 5 [p. 202]Pour leur diuerse qualité
Comment pourrois-ie satisfaire ?
[128]A Iean Dorat tresdocte en Grec.
Ami, non moins sauant que sage,
Celuy qui ores ne saura
D’ou vient Minerue, le lira
Facilement en ton visage.
[129]A
Louis Chesneau,
lecteur
en Hebrieu, à Paris.
D’estre tost grand durant ce regne
Ie t’en donne vn moyen nouueau :
Roigne vt [sic pour vn] petit nom nom, Chesneau,
Incontinent deviendas [sic pour deuiendras] chesne.
[130]A Iacques Pelletier.
En Pelletier l’art Poetique
Non seulement se trouuera,
Mais maint art de Mathematique
Auec luy on descouurira.
[131]A Monsieur Amyot,
qui a traduit
He-
liodore,
Diodore,
& les vies
de
Plutarque.
Bien que ie ne t’ay iamais veu
(Sinon [p. 203](Sinon que tu m’ayes deceu)
Si te puis-ie faire sauoir
Qu’à moy, & maints, t’es bien fait voir.
[132]Au seigneur de Baif Poëte.
Muse Françoise, donc eureuse,
Est si parfaict, & si naif,
Si plein de grace armonieuse,
5Qu’il te fera, & mort & vif,
Viure la vie glorieuse,
Malgré Caron, & son esquif,
Mal gré l’eau noire obliuieuse.
[133]A monsieur de bon Repos, mon-
sieur
Lateranus.
Il ne fut onc feu sans fumee,
Effect sans cause n’a esté :
Aussi ta grande renommee
En sauoir, & humanité,
5(Le contrepoix d’autorité)
Ne sont sans le faict : aussi en ce
Ne celeray la verité,
Qui suis tesmoing d’experience.
Quand [p. 204]Quand donc ie prendray ma volee,
10Guindé sus l’aile de mes vers,
Bien tost ta louange extollee
Reuolera par l’vniuers.
Ie say tes clers esprits ouuerts
Surpasser ma Françoise Muse,
15Mais mes vers floris, tousiours verds,
Ou ton nom florit, ne refuse.
[134]A monsieur
Fumee,
grand Rap-
porteur de
France.
Ta haulte Pallas, lumineuse
Plus que la perle clere-nette
Que la grand’ Royne somptueuse
A de sa belle oreille traite,
5Pour sumptuosité parfaite :
Cette Pallas tant precieuse
Iointe à faconde gracieuse,
Ne peult au vif estre pourtraite
Par le pinceau de ma Musette,
10Sans la vertu miraculeuse
De la mesme Pallas eureuse.
Qui l’ayt premier idoine faite.
A Bar [p. 205]
[135]A Bartolemi Aneau.
Ta science pleine, & entiere
Que l[’]on peult bien assez congnoistre,
Te fera encor mieux paroistre
Mettant tes œuures en lumiere.
[136]A G. Aubert Aduocat à Paris.
Ieunesse, science, & vertu
Qui tous trois reluisent en toy
(Comme l[’]on scet, & ie le voy)
S’ils prosperent, quel seras-tu ?
[137]A François Content.
Ami tu es content de nom,
Mais ma Muse chante en effect
Qu’en tout honneur, & bon renom,
Nous le sommes tous deux de faict.
[138]A Gilles Bolaud.
Toy, & ton frere, deux amis
(Dont ma Muse a eu congnoissance
Des sa ieunesse, ou son enfance)
Par moy ne sont en oubli mis.
A Marc [p. 206]
[139]A
Marc Roger
Mathe-
maticien.
Quiconque hantera Roger
De perdre temps n’ayt deffiance,
Car en matiere de science
Il trouuera bien à ronger.
[140]A G. Galterus.
Longue amitié, literature,
Ne me voudroyent iamais permettre
Que i’oubliasse ton nom mettre
En mon tresor, qui luit & dure
5Plus que la perle nette & pure.
[141]Au Poëte Tahureau.
Ton sauoir, ta Muse, ta veine,
Qui tant doux coulent par la France,
Te font, par la Françoise plaine,
Auoir renom à suffisance.
[142]A Iean Pierre de Mesme.
Ma Muse estrenant ses amis,
Si elle t’auoit oublié,
Ce peché ne seroit remis,
Ains à iamais seroit lié.
A Bo [p. 207]
[143]A Bonauenture du Tronchet.
Tu as la Muse, & la ieunesse
Auec naturelle alaigresse.
Et que te puis-ie donner plus ?
Tu vaux plus de cent mil escus.
[144]Au Lecteur.
Si à mes amis ie me iouë,
Qui vouldra, m’en louë ou deslouë :
Ie ne suis point de ces Stoïques,
Sourcilleux, & melancoliques :
5Et les vers doiuent tousiours estre
Bien resemblables à leurs maistre :
Et puis les estreines gentiles
Ne veulent estre tant subtiles :
Et à resuer, & rechercher
10Maint amy ne se veult facher,
Qui n’a le temps, ne le plaisir,
Comme aucuns qui ont bon loisir.
Marot pour sa facilité
Sera leu, comme il a esté,
15Du commun (auquel ne veulx plaire
Totalement, n’aussi desplaire)
Tous [p. 208]Tousiours aura plus de lecteurs
Que cent, & cent, d’autres auteurs.
[145]A monsieur Angelus.
Mon cœur auec le tien lié
De forte amitié qui le lie,
Fait que ie ne t’ay oublié :
Fay donc que le tien ne m’oublie.
[146]A Iean Otin.
Ton cœur qui m’ayme, me prouoque
A t’aymer, louer, honorer
D’vne affection reciproque,
Et par mes vers te decorer.
[147]A Calui de la Fontaine.
Ton nom du tout semblable au mien,
Et ton cœur espris de ma Muse,
Me lient d’vn si vray lien
Que de m’excuser n’ay excuse.
[148]A Claude Gruget, Parisien.
Ton Astre auec le mien s’accorde,
Et me lie de telle corde
Qu’auec ta Muse qui m’astraint,
D’vn nœu plus fort me sens contraint.
A Re [p. 209]
[149]A Remi Belleau, Poëte.
Nous nous aymons, qui dit que non,
Certainement trop il s’abuse :
Tous deux sommes parens de nom,
Et tous deux parens de la Muse.
[150]A N. Preuotet.
Tu n’as pas trop, & si trop as,
Voire vn petit trop, Preuotet,
Ie te veux donc oster le ,tet,
Tu auras plus que n’as pas.
[151]
L’auteur
inuite ses amis à venir voir
leurs noms en son liure.
Pour recongnoistre vne amitié certaine,
Et tout plaisir que souuent m’auez fait,
Ce quatrain-cy vous semond en effect
Que vous veniez tous boire à la Fontaine.
[152]
L’auteur
estreine quatre cens amis
par ce quatrain.
Mes quatre cens amis i’estreine
De mes vers pleins d’vn bon vouloir :
N’est-ce pas vne riche estreine ?
Tant qu’on veult on la fait valoir.
o [p. 210]
[153]Aux
gens illustres, &
d’authori-
té, dont
l’auteur
a fait men-
tion
en ses œuures.
Mes vers honorent vostre nom
(Ce dit on) mais ie di que non :
Ainsi ie maintien tout le reuers,
Vostre nom honore mes vers.
[154]Aux
gens doctes, dont il a
fait mention.
Si i’ay mis voz noms en mon liure,
L’ay-ie fait pour les faire viure ?
Vie sans moy vous leurs liurez,
Et par voz œuures mieux viurez.
[155]
L’auteur
estreine
vn ieune
glo-
rieux,
qui se
[contentoit]
bien de sa personne.
Tu es à toy sage, & sauant,
Et quelque chose dauantage :
Mais à moy, ny à tout viuant,
Tu ne fus onc sauant, ne sage.
[156]A vn petit Myrmidon.
Petit de corps & de science,
Tu n’as cœur loyal à demi :
Que [p. 211]Que dy-ie ? tu es fort ami,
Car tu as double conscience.
[157]
L’auteur
donne les estreines
à ses enuieux.
Pour estrener mes enuieux
Ie veux qu’ilz soyent dans vn an vieux,
Vieux radotez, & r’acroupis
Ie leur souhaite encore pis :
5Puis qu’ilz ne sauent rien bien dire,
Qu’ilz ne cessent point de mesdire.
[158]Au Lecteur.
Quand ma Muse va saluant
Cent miens amis par ces estreines,
Les honorant, & les louant
Pour leurs vertus & graces plaines,
5Mais ou sont les personnes vaines
Qui par brocards luy voudroiẽt nuire ?
Telz n’auroyent pas les testes saines,
Ains sur eulx auroyent plus à rire.
[159]A Françoys du Cleré.
Ces Nymphes qui te sont amies,
Sont aussi amies des Muses,
o 2 [p. 212]De mes Muses non endormies,
Françoyses, franches & sans ruses.
[160]A
vne Damoyselie [sic pour Damoyselle], sa cou-
sine d’aliance.
Le perroquet de la belle Corine
En son langage auoit tant bonne grace,
Mais ie suis seur que cil de ma Cousine
En sa voix begue, & en sa langue grasse,
5Parlant, chantant, plus de deux fois le passe :
Or quant à moy cela n’est de merueille,
Car ma Cousine en sa bouche vermeille,
En sa main docte, & en sa douce voix,
En sa beauté, & grace nompareille
10Surpasse bien la Corine trois fois.
[161]A
Michel Miriti,
de Rhodes,
estudiant à Pauie.
De païs Grec, d’habit Françoys,
De cœur ami, bien que brun sois
(Si tu n’es blanchi à Pauie)
Tousiours sera blanche ta vie.
A vn [p. 213]
[162]A
vn ami
qui luy donna vn braue
boucquet de soye, & de fil
d’or.
Boucquet de fleurs m’auez donné
Qui ne sera d’vn an fenné :
Boucquet des Muses ie vous donne,
Qui tousiours verdit, & floronne.
[163]A
Monsieur de Bieures,
gentilhom-
me
Champanois.
Ta grand vertu, & grand bonté
Mon petit stile à surmonté :
Et fault que ma Muse se change
Pour te donner digne louange.
[164]A son compere René Chandelier.
Ie ne say plus si tu es homme,
Tu ne me parles, n’escris rien :
Ami, qui es ores à Rome,
De m’escrire fay moy ce bien.
[165]A E. Charpin.
Par mon souhait plein & entier,
Charpin, tu seras charpentier
o 3 [p. 214]De l’arbre plus vieil que Nestor
Qui porte belles pommes d’or :
5Et ne crains le dragon veillant
Qu’à mort mettras comme vaillant.
Cela sous condition telle
Que i’auray la branche plus belle,
Dont les pommes arracherons,
10Et toutes nous les mangerons
Sans les laisser pourrir trop d’ans :
Et sans mettre les dents dedans.
[166] L’auteur au Lecteur.
Me blasme tu comme Poëte
Quoy que ie ne chante aussi bien
Qu’vn Rossignol, ou Aloete
Au liure en Vers, que ie fay tien ?
5Si ie le say, ne verras rien
Cy apres, de mon œuure en prose :
Car, quoy que ce fust plus grand chose,
Tu voudrois, ennemi lecteur,
Auec ta langue qui trop cause,
10Me detracteur comme Orateur.
Au Sei [p. 215]
[167]Au Seigneur Iean Brinon.
Si aucuns miens vers sont legers,
Aussi y en a il de poix :
De nature, & de Dieu les loix
N’ont fait egaux boys ny vergers :
5Non les estoilles en clarté,
Non pas auiourdhuy & demain.
Non par les doigtz de nostre main :
Par tout y a diuersité.
o 4 [p. 216]
[168]A
IEAN BRINON,
Charles Fontaine
S.
Ie ne t’ay pas en oubli mis
Quant aux enigmes te donner :
Ne t’auois-ie pas bien promis
Que te donrois à deuiner ?
SENSVIVENT
xxviii. enigmes,
traduitz des
vers Latins
de
Symposius,
an-
cien Poëte.
[1]ENIGME I.
A
ux riches gens, combien que
soys
petite,
Bien grandement ie sers, & ie prou-
fite,
A mon seigneur ie garde la maison,
Et suis de luy gardee pour raison.
[2]II.
Et moy qui suis de belle forest fille,
Longue ie suis, & suis portee habile,
Ayant plusieurs compaignes de ma race :
Ie cours beaucoup ne laissant point de trace.
[3]III.
C’est vn grand cas comme en ce monde i’entre
Ie n’estois né, ny de ma mere au ventre,
Lors que rendu sa portee elle auoit,
En la rendant nul ne m’apperceuoit.
o 5 [p. 218]
[4]IIII.
I’ay corps petit, mais i’ay le cœur bien grand :
Ie suis bien fin, à peine on me surprent :
Beste suis sage, ainsi le veux entendre,
Si on me doit pour vne beste prendre.
[5]V.
I’ay ma maison qui clerement resonne,
Elle fait bruit, & l’hoste mot ne sonne :
Ce nonobstant & l’hoste & la maison
Courent ensemble, & en toute saison.
[6]VI.
Ie chante en l’eau vn chant tout enroué :
Ma rude voix de louange resonne,
Et ceste gloire elle mesme se donne :
Ie chante fort, mon chant n’est point loué.
[7]VII.
Aueugle suis, le iour me semble nuict :
Ie ne puis voir du Souleil la lumiere :
A fin que nul ne me voye, il me duit
Que soys tousiours souz terre en ma taisniere.
[8]VIII.
Sans plumes suis, ayant ailes volantes,
Ie hay le iour, les nuictz me sont duisantes.
IX.
[9]IX.
Ma maison est toute pleine d’espine,
Et si ie suis hoste de petit corps :
I’ay le doz sain, persé d’aiguilles fines,
Comme on peult voir dessus moy par dehors.
[10]X.
Ie suis tout contraire au cheual,
L[’]on me monte dessus le ventre :
Ie vois puis à mont, puis à val,
Querant de la terre le centre,
5Mais dedans la terre ie n’entre,
Ie vole aucunesfois sans ailes :
Et bien souuent i’en ay de belles :
Ie vois sans pieds, & auec pieds :
Et voy maintes choses nouuelles
10Ayant le vendre & pieds liez.
[11]XI.
Chasseur, escoute vne nouuelle chasse,
Nouuelle elle est, car cil qui me pourchasse,
Quand il m’a prins il n’a cure de moy :
S’il ne me trouue il m’emporte auec soy.
XII.
[12]XII.
Sage ie suys, car tel ie me comporte,
Que ie prens peine, & trauaille beaucoup,
Ie vois portant non pas tout à vn coup
Ce qui vaincra du froit la saison morte.
[13]XIII.
Naistre ne puys sans occire ma mere,
I’occis ma mere, & i’auray telle mort :
Donc en ma fin i’endure non à tort
Le mal que fey quand ie vins en lumiere.
[14]XIIII.
Pallas m’aprint la manière d’ourdir :
Ma toille n’a que faire de nauette
Pigne, ou mestier : ie n’ay mains pour tenir
Car seulement aux piedz ma toille est faicte.
[15]XV.
Ie m’entretiens, & suys de fer liee,
Et si plusieurs liez ie retiendray :
Liee suys premier, puys les tiendray :
Maintz i en deslie, & ne suys desliee.
[16]XVI.
Des larmes i’ay en façon de grant pleur,
Et si ie n’ay point cause de douleur :
Ie vois au ciel, mais l’air espois ne veult :
Qui [p. 221]Qui m’engendra sans moy naistre ne peult.
[17]XVII.
N’a pas long temps que ie suys d’eau venue,
Ce que i’espere encore bien tost estre :
Sur moy marcher ie ne veux pas permettre,
Pareillement que l[’]on me tienne nue.
[18]XVIII.
Ie n’ay iamais de certaine figure,
Car peu de temps toute forme me dure :
I’ay vn grant lustre apparent par deuant,
Ne monstrant rien qu’il n’ait veu parauant.
[19]XIX.
On me peult bien coupper, mais non pas fendre :
Ie suys diuers, en la faim seray gris :
I’aymerois mieux estre noir, tout compris,
Mieux me pourrois de vieillesse defendre.
[20]XX.
De bout en bout ie suys pleine de dents,
I’ayme le boys, ie mordz bien fort dedans :
Ie mordz en vain, car le tout ie reiette :
Tant plus i’ay faim, & plus y suys subiette.
[21]XXI.
Ie naiz pendue, & pendue engrossis :
I’ayme l’humeur, de l’eau nourrie suys :
Le [p. 222]Le vent me poulse, & me rend esperdue :
Brief ie me meurs, si ie ne suys pendue.
[22]XXII.
I’ay esté mise entre la dure pierre
Qui me pressoit, & tenoit si fort serre,
Qu’à peine ay peu sortir de tel encombre :
Petite suys, mais en bien plus grant nombre.
[23]XXIII.
Le feu corrompt ma vertu chaulde & clere :
Quand le feu fault, la vertu m’en demeure :
Tousiours en moy le feu fait sa demeure :
I’ay tousiours feu, & si point ne m’esclere.
[24]XXIIII.
Creuse ie suys, & la terre est ma mere,
Des deux costez oreilles me gouuernent :
Quand ie suys cheute, adonc ma mere fiere
Auec mes sœurs, mes tendres os n’espargnent.
[25]XXV.
De tout le corps estre fort ne me vante,
Mais le combat de teste, ne refuse :
I’ay grosse teste, & celuy qui en vse
La sentira plus que le corps pesante.
Terr [p. 223]
[26]XXVI.
Terre ie fuz (qui s’en veult enquerir)
Le feu me donne à ceste heure autre nom,
Car ie n’ay plus de terre le renom,
Combien qu’on peult de moy terre acquerir.
[27]XXVII.
Ie suis ainsi comme vne vierge bonne,
Effrénement ie ne parle à personne :
Mais qui me veult de parolle semondre,
Tant seulement ie luy veuz bien respondre.
[28]XXVIII.
Quand il me plaist plusieurs choses ie feins,
Et plusieurs cas de dueil ou ioye pleins,
Soit faux, soit vray qui soit dessous enclos :
Nul ne me voit, s’il n’a les deux yeux clos.
[p. 224]
[29]AVTRE ENIGME,
qui n’est pas de
Symposius.
La mere aux champs, & le filz en la ville
Le filz est fort, & la mere est debile :
Quand elle est grosse elle a le corps si vain
Qu’auoir luy fault vn baston en la main :
5D’esté vestue, & d’yuer elle est nue :
Mais elle croist, & le filz diminue :
La mere au large, & le filz est en serre :
Il est si fort qu’aux plus fortz fait la guerre,
Des qu[’]il est né on l’arrache, on le lie,
10Mais bien souuent tout seulet se deslie.
Deuenu grant, il est fort gracieux,
Mais tost apres se monstre furieux.
LE PASSE-
TEMPS DES
AMIS,
Livre contenant Epitres, &
Epigrames en Vers François,
qu’ils ont
enuoyez les vns aus
autres, le tout composé par
certains Auteurs
Modernes,
& nouuellement recueilli par
Charles
Fontaine Parisien,
Auteur d’vne partie.
[1]A IEAN BRINON,
Conseiller du Roy en
son
Parlement de
Paris, Charles
Fontaine
Salut.
*
Quiconque en son coeur aura mis
Le nom d’ami, plus qu’à moitié,
Verra ce livre des amis
S’entr’escrivans par amitié.
[p. 227]
[2]G. TESHAULT
à Charles Fontaine
Huictain.
L’ Epitre que ie vous enuoye,
O ami Poëte, a esté
Deux ou trois fois ia mise en voye
Depuis le premier moys d’esté :
5Mais on m’a tousiours rapporté
Mon papier, obstant vostre absence :
Au iour duquel il est datté
Vous congnoistrez ma diligence.
[3]Superscription de l’epitre.
Epitre seruez de tesmoing
A la fontaine de science,
Que vostre maistre qui est loing,
Luy dit boniour, & reuerence.
[4]Epitre
Entrelaissant les cautelles & ruses
Du vieil Accurse, O fontaine des Muses,
Le tien ami, ayant feruent desir
p 2 [p. 228]De faire cas qui te vienne à plaisir,
5Par ce porteur humble salut te mande,
Et mille foys à toy se recommande :
Comme avec luy, sa Muse, qui voudroit
N’auoir iamais ouy parler du droit :
Mesme qui s’est encontre moy fachee
10Ces iours passez, de se voir attachee
Dans tels grans laz, & auec telz propos
M’a empesché de les lire en repos.
Ha (disoit elle) est ce ainsi que lon pense
Rendre à Phebus la deuë recompense
15De ses beaux dons ? desires tu auoir
La Poësie (hault, & diuin sauoir)
Pour en vser en sciences prophanes ?
Autant vaudroit donner la harpe aux asnes. • Tournure proverbiale : voir Érasme, Adages, I, 4, 35 (335) "Asinus ad lyram".
Contredisant ie respondois ainsi :
20Ou as tu veu (ma Muse) que cecy
Soit tant prophane, & des Muses indigne,
Veu q[']uil n’y a rien plus noble, & plus digne ?
Les Muses ont pour leur seigneur Phebus,
Et celuy là pour reformer l’abus
25Des mal viuans, donna en belles tables
Au bon Solon noz loix tant equitables :
Puis [p. 229]Puis qu’Apollo, vostre grand conducteur,
Est reclamé des saintes loix auteur,
Dira lon pas que la sainte pratique
30Des loix, conuient à nostre art poëtique ?
Dira lon pas estre nobles les loix,
Qui filles sont d’Empereurs, & de Roys ?
Dira lon pas sainte celle doctrine,
Qui fondee est sur parolle diuine ?
35
Voila (amy, & Poëte) comment
Ie reprenois ma Muse doucement :
Luy amenant pour familier exemple
Le bruit tres bon, & la renommeee [sic pour renommee] ample
D’vn oncle tien, qui tant de beaux vers feit,
40Et seut si bien faire en droit son profit,
Qu’en ces deux artz il fut grand personnage :
Puis en ce temps vn tien ami tant sage
Qui pour plaider, ou consulter maint cas,
N’est pas le moindre entre les aduocatz
45Du hault Senat, qui font auiourdhuy luire
Leur bon renom, par bien sauoir, & dire :
Brief, chacun d’eux en Poësie est tel
Qu’auec le tien leur loz est immortel.
A ce propos me repliquoit ma Muse,
p 3 [p. 230]Que chacun d’eux ainsi au droit s’amuse
Qu’il met tousiours les Muses au dessus,
Tesmoings en sont leurs escritz bien tissus,
Me reprochant que noz loix tresagues
Sont en maint lieu à present corrompues :
55Et que les loix qui auoient merité
L’honneur & pris, n’ont plus d’autorité.
Somme, en l’oyant parler de tant de choses,
Ie vais laisser textes de loix, & gloses,
Pour luy complaire, & entendre à ses artz
60Autant ou plus qu’aux édictz des Cesars.
Lors commençay lire ta contr’amye,
Des ennemis d’amour forte ennemie :
Ou le François Marot n’eust mis tel ordre
Ny le Latin Maro n’eust seu rien mordre.
65Certes quand bien ie voy ta veine roide,
Ie trouue trop l’amye de court froide :
Et m’esbay que cet honneste amant,
Hors de raison, forcluz de iugement
Osa montrer sa vaine, & sotte rime,
70Qui a besoing encor de longue lime.
Ie croy qu’il veult auoir en paragon
Ce Poëtastre, & zoïle Sagon.
Qui [p. 231]Qui desirant faire voir son ouurage,
Monstra à plain comme il estoit peu sage :
75Et pour auoir en ses escris boneur,
Sans bon conseil vouloit noircir l’honneur
D’vn, dont le nom durera comme il dure :
Et cet amant s’efforce faire iniure
A toy, qui as par escritz merité
80D’estre loué de la posterité.
Encor (qui plus me desplaist) c’est qu’il pense
Que lon prendra plaisir en son offense,
En invitant les plus divins espritz
De nostre temps, à lire ses escritz :
85Et puis il a maint terme vil, & laid,
D’honneste amant indigne, & de varlet.
Ie croirois bien que Sangelais, & Sceue
Prendront plaisir en vn homme qui resue :
Ie croirois bien qu’Heroet, & Chappuy
90Daigneront lire ouurage de celuy
Duquel la Muse est ieune, inepte, & sotte :
Et toutesfois à Fontaine se frotte.
Donq en lisant l’oeuure tant gracieux,
De cet amant, fol, & audacieux,
95D’ardent despit mon courage s’allume,
p 4 [p. 232]Et par troys foys ie mis es mains la plume,
Pour luy respondre à mon petit pouuoir,
Et enuers toy faire le mien deuoir.
Mais ie pensay honneste, ou necessaire,
100(Plus tost que d’estre en cela temeraire)
T’en aduertir : ma basse Muse auβi
Me conseilloit qu’il falloit faire ainsi,
Quoy qu’elle fust d’ire esprinse, & ravie,
Et de respondre eust merveilleuse enuie :
105Il luy fachoit d’attendre si long temps
De toy response (encores ie l’attens)
Et craignant trop faire longue demeure
Elle ditta cette epistre en vne heure,
Qui te sera mal agreable à voir
110Par sa rudesse, & son petit sauoir :
Mais ta savante, & florissante Muse
Par la douceur, dequoy tousiours elle vse,
Excusera ce mien loysir petit :
Et si mon vers n’est à son appetit,
115Elle fait bien ce prouerbe congnoistre,
Du premier coup l’aprenti n’est pas maistre.
Si tu fais tant, doncques, par ta bonté,
Que d’escuser ma bonne volonté,
Tu [p. 233]Tu pourras bien sans plus grand facherie,
120Faire pour moy cecy dont ie te prie :
C’est qu’il te plaise à l’anneau precieux,
Qui par Vulcan le forgeron des cieux
A esté faict dvn or si pur & monde
Qu’il rend clarté par tous les coings du monde,
125Humble salut luy rendre de ma part.
Et si tu vois qu’en luy parlant à part
Il vueille bien en gré la peine prendre
Pour de ce lieu les nouuelles entendre,
Lors (s’il te plaist) en deux motz luy diras
130Le bruit qu’aquiert nostre docteur Coras,
Qui sans propos inutile, & frivole,
Efface ici le grand nom de Bartole.
Desia il fait venir les Transmontains
S’humilier, & n’estre tant hautains :
135Desia on voit tomber l’outrecuidance
D’Italiens, se venans rendre en France.
Certes Budé l’auoit ia commencé :
Autres savans l’auoyent bien avancé.
Donques Coras maintenant donnera
140La fin à tout, Coras couronnera.
Mais comment veult ma Musette tant basse
p 5 [p. 234]Louer l’esprit qui les plus hautz surpasse ?
Certes vn nom tant cler se vouloit bien
Mettre en papier plus poli que le mien.
145Homme tant grand & d’art, & de nature,
Demandoit bien plus parfaite escriture.
Mais quoy ? il fault en ce considerer
Ce que n’a sceu ma Muse declarer.
Et sur ce point, O tresclere Fontaine,
150Ie te priray de supporter ma veine,
Qui maintenant te transmettre a osé
L’escrit present, rudement composé.
Fait à Valence en ma case petite
Ce vendredi que le Souleil visite
155Castor, Pollux, qui sont au ciel là hault,
Par ton ami, à tout iamais Teshault.
[5]Responce par Charles Fontaine.
I’Ay veu amy tout au long ton Epitre,
Que dãs mõ coeur ie mettray pour registre,
Car elle est faite en bonne intention :
Et si n’a point faute d’affection.
5Ie suis non moins esbahi que fasché
Qu’en May ne l’euz : s’elle m’eust bien cherché
Le moys de May passé dernierement,
Croy [p. 235]Croy qu’elle m’eust trouué facilement :
Car ie n’ay point entreprins de voyage
10Aucunement qui montast dauantage
D’vne sepmaine, ou mesme d’vn seul iour.
Ains i’ay tousiours à Lyon fait seiour.
Ie pensois bien pour raison du proces
Que tu as sceu que i’ay par le deces
15De feu ma femme, à Paris voyager,
Mais iusque icy s’est tant fait prolonger.
Ores ie suis sur point de partement,
Pour saluer le hautain Parlement
Duquel l’arrest i’espere, & ie desire
20Dedans le Mars : mais qu’il ne me soit pire
Que la sentence a esté par deça,
Que le conseil à mon profit dressa.
Voila comment pour conserver Iustice
Seruent voz loix, polissans la police.
25Car toutes gens qui sont sur terre nez,
Sont bien par loix regis & gouvernez :
Et n’y a nul tant grand iusques aux Roys,
Ny tant petit, qui n’honore les loix,
Comme vne chose estant divine, & sainte,
30L’honneur des bons, & des mauuais la crainte.
Si [p. 236]Si je pouois ieune encor devenir,
Ie voudrois bien le train des loix tenir :
Bien qu’il ne soit avecques sa pratique,
Autant plaisant comme l’art poëtique,
35Au ieune esprit, gaillard, & gracieux,
Des libres artz querant champs spacieux :
Mais en haultesse il est plus honorable,
Plus necessaire, außi plus profitable.
Et pleust à Dieu que mon oncle eusse creu,
40Lors que moy ieune, ayant l’esprit trop cru
Fey grand refus de la science suivre
Qui en honneurs, & en biens le feit vivre :
En quoy m’offroit pour me mettre à bon port,
Ses livres tous, avec tout son support :
45Mais c’en est fait, ietté en est le dé,
Le sort par art en doit estre amendé :
Nul remede autre y a, tant soit on sage,
Y obstant l’aage, avec le mariage.
Pourtant, amy, quand tu peuz, me croiras,
50Faisant ton cours souz ton docteur Coras,
Dont la louange est grande en ton escrit,
Mais sont plus grans son nom, & son esprit.
A ce que quiers si response dois faire
A cet [p. 237]A cet amant de tant mauvais affaire :
55Et qui son nom trop lourdement efface,
D’auis ne suis que ta Muse la face :
Car s’il en fust en quelque sorte digne,
D’autres amis de leur grace benigne,
L’eussent ia faite : ou le Iouure, ou le Sage :
60Mais il convient estre en sa Muse sage,
Et ne se doit vn Poëte avanser
En vn tel cas sans long temps y penser,
Et sans conseil auec ses amis prendre
(Comme tu fais) avant que d’entreprendre.
65
Et si tu dis qu’à l’amie de Court
I’ay respondu : ie te dy, brief, & court,
Qu’elle a propos, & grace trop meilleure
Que cet amant, qui pour elle labeure.
Et ie voyant qu’elle estoit en hault pris,
70A la response appliquay mes espritz,
Querant l’honneur qu’vn Poëte doit querre,
Quãd par ses vers aux plus grans liure guerre,
Qui n’espand sang, dont les combatans ont
La paix au coeur, & tousiours amis sont.
75Ce nonobstant ie doy bien recongnoistre
Le bon vouloir que tu me fais congnoistre.
Donc [p. 238]Donc si tu sens (amy) que mon pouuoir
Te vienne à gré, ie t’offre mon devoir.
Soit à Paris, ou ailleurs voirement,
80Ie suis tousiours à ton commandement :
Car la douceur de toy, & de ta veine
Merite plus de ton amy Fontaine.
[6]Charles Fontaine, à maistre Iean
Orri, Aduocat en la ville
du
Mans.
DE noz espritz la grande conuenance
Souuent me fait de vous la souuenance.
En premier lieu, vous auez du sauoir
Certes trop plus que ie ne pense auoir,
5Soit en Latin ou Françoys, vers ou prose,
Qui est en vous vne louable chose,
En second point vne ioyeuseté
Auez meslee auecques priuauté,
De tel façon, & de si bonne sorte
10Qu’impoßible est qu’vne personne sorte
D’auecques vous le coeur d’ennuy chargé :
Quand tel viendroit vous le rendriez changé.
Ne fust qu’à voir vostre tant bonne face
Pleine [p. 239]Pleine de grace, & qui toute autre efface :
15Laquelle grace est en bien peu de gens,
Car on en voit qui sont tant diligens
A engendrer par tout melancolie :
Et ie les hay : car c’est à eux folie.
Mais quel plaisir à soy, ou à autruy,
20Se consumer en tristesse, & ennuy ?
Et pourtant dit le Sage, que tristesse
Seiche les os : c’est mauvaise maistresse,
Qui nourrit mal, mais qui iusques aux os
Ronge, & deseiche vn tas de poures sotz :
25Donc toutes gens amis, de congnoissance,
Chassent ennuy, prennent resiouissance :
Mesmement ceux qui ont cest art hanté,
Qui n’est sinon que d’esprit gayeté.
Ce que vouloient let [sic pour les] Poëtes entendre
30Parlant souuent de la rosee tendre,
Du beau vert gay, de sources, & ruisseaux,
D’herbes, & fleurs, d’arbres, & d’arbrisseaux,
Doyseaux chantãs en voix franches, & nettes,
Et de bergers dansans aux chansonnettes
35Tout enuiron les buyssonnetz des champs :
Pareillement des Muses, & leurs chantz,
Chantz [p. 240]Chantz, tons diuins, & sainctes letanies,
Es regions de montaignes munies,
Ou elles sont faisans solennitez,
40Ioyes, esbatz pleins de diuinitez,
Et par la main l’vne l’autre se tiennent,
Dãsans tousiours sans que iamais s’abstiennẽt.
Tout cela fait que tant mieux me reuient
Vostre façon, quand d’elle me souuient :
45Et tout cela met en ma fantasie
Qu’en aprochez plus pres de Poësie.
Cest ce qui fait qu’encor ma Muse escrit,
Et vous enuoye en ce present escrit,
Vn bon vouloir, avec vne semonse
50De m’addresser en brief vostre responce.
Car quand seray hors de cette contree,
Facilement ne sera rencontree
Lettre de vous : & l’opportunité,
Qui entre nous apporta vnité
55De sa nature est chaulue par derriere :
Ne mettez donc la responce en arriere
Puis ce retour de Nice, me rappelle
A voir la Court, plus riante & plus belle,
Apres la veue, & sainct abouchement
Des [p. 241]Des souverains, parlans sans truchement.
Sus doncques, sus, mettez au vent la voile
Faites moy peur, que ie n’aye os, ne moile
Qui ne redoute, & craigne d’assaillir
Le bruit des vers qu’orray de vous saillir.
65Tonnez, ventez, faites feu, faites rage,
Et me rendez tost couart de courage,
De honte espris, de frayeur & d’esmoy :
Car Dieu n’a pas ou en vous ou en moy
Mis le tresor de tant belle science
70Pour le cacher, ou garder en silence :
Mais pour louer son nom premierement,
Puis pour escrire à ceux là mesmement
Qui ont le nom d’y sauoir, & congnoistre :
Qui ne le fait, se met en danger d’estre
75Ainsi traité que celuy nonchalant
Lequel en terre enfouït son talent.
Vous en auez l’exemple en l’Euangile,
Comment puni fut ce serf inutile.
N’est ce pas donc iniure & deshonneur,
80Tant peu priser les graces du Seigneur ?
C’est lascheté, & grand ingratitude
De n’exercer son stile, & son estude :
q [p. 242]Ce que sainct Paul a appelé estaindre
Le sainct esprit, l’empescher, & restraindre :
85Quand il deffend à tout homme d’esprit
Ne suffoquer en soy le sainct esprit :
Comme disant, les inspirations
Doiuent effectz, oeuures, & actions :
Il ne fault pas que vn don de Dieu sommeille
90En voz espritz, ains fault qu’on le réveille.
Ne le laissons en nous donc sommeiller,
Ains le veons viuement reueiller,
S’il y en a en nous quelque estincelle,
Ne permettons qu’elle se cache, & celle :
95Ne voyons nous maintes gens bien sauans,
De ce temps cy, tant, & bien escriuans ?
Entre dix mil distractions, affaires
De l’eur [sic.] estat, qui leur sont necessaires ?
Et quand on est vn peu accoustumé,
100Labeur s’enfuyt, on n’est plus estimé,
La Poësie & diuine semence
De Dieu en nous, ne requiert plus qu’vsance.
Ce que i’en dy, ie le dy (sur ma foy)
Vn peu pour vous, & grandement pour moy :
105Et (comme on dit) de mon couteau me couppe,
Taxant [p. 243]Taxant autruy en ce dont bas ma coulpe.
Car ie n’ay pas les graces exercees
Suffisamment, que Dieu m’a dispensees :
Mais c’est vn point de vertu (quand i’y pense)
110De recongnoistre, & blasmer son offense.
En premier lieu ce faisant on s’accuse :
Et l’on n’a plus doresnavant d’excuse.
Vertu cachee (à quiconque l’entend)
Est tout ainsi comme l’arc qu’on ne tend,
115Comme vn beau luc ou harpe non sonante :
Pareillement comme nef non voguante.
Changeant propos bien auertir vous veux
Qu’il n’y a pas plus hault d’vn iour, ou deux
Que me baignant en riuiere petite,
120Bien grandement me blessay, & plus viste
Que ne pensois : encor le mal me tient
Au plus gros doigt d’vn pied qui me soustient :
Plus ne veux donc me baigner en riuiere :
Mais a escrire en ce stile, & maniere
125Baigner m’y veux : il y a vn bon point,
On ne s’y blesse, & ne si noye on point,
Or excusez, amy, la Muse mienne,
Qui ne pretend par ceste Epistre sienne
q 2 [p. 244]Qu’à exciter la vostre mieux chantant :
130La mienne alors s’eschauffera d’autant.
[7]Responce par Iean Orry.
A Ce matin qu’il est dimenche, & iour
Auquel ie puis prendre quelque seiour
Et passetemps en ma petite Muse,
Qui pas souuent ne me tient & amuse
5En autre temps, pour l’occupation
De mon esprit, & la vacation
De mon estat aux Muses tant contraire,
Qui me contraint d’elles fort me distraire,
Ainsi qu’on peult à l’oeuure aparcevoir :
10A mon recueil ay pensé de reuoir
Vne elegante, & bien ornee lettre,
Que deuers moy il vous a pleu transmettre.
Considerant la veine doux coulant
D’vne fontaine à ruisseaux distillant,
15Tant melliflux, comme monstre la lettre,
A peine osay la plume en la main mettre
Pour vous donner ce petit de response :
Et n’eust esté vostre grande semonse,
Qui grandement pretend à m’exciter,
20Et m’eußiez vous à troys iours fait citer
Pour vous respondre, encor ne l’eusse fait,
Entre [p. 245]Entreprenant si presumptueux faict :
Consideré que ma Muse, & ma veine
Contre la vostre est trop debile, & veine,
25Et dauantage à faulte d’exercice :
Bien peu s’en fault certes qu’elle perisse :
Dont cause sont mille cinq cens affaires
Que i’ay le iour, qui me sont necessaires :
Et puis la nuict fault à la femme entendre
30Qui iour & nuict ne fait que ses laz tendre,
Tant qu’il conuient quand doy prendre repos
De mon esprit, trauailler o le dos :
Ou l’endemain faudroit (qui fort me poise)
De Xantippé ouyr la dure noyse,
35Ou delaisser tout soudain la maison
Com’ Socrates, fuyant telle achoison :
Ainsi n’est il de vous qui m’accusez,
Parquoy plus tost mon dur stile excusez.
Or pour respondre à voz grandes louanges
40Que me donnez, au Dieu d’hõmes, & d’Anges
Ie les refere, & non à mon merite :
Car en moy (las) y a cause petite
De me louer, mais cela vous prouient
D’vn grand amour, lequel de bon coeur vient,
q 3 [p. 246]Amoderant vostre bon iugement,
Et par lequel souuent bon iuge ment.
Combien que n’ay enuers vous merité,
Que me portiez si grande priuauté
De bon amour, sinon (ou me reuoque)
50Un autre amour lequel est reciproque
Dedans mon coeur, voulant produire effect,
Si quelque foys me puis trouuer au faict.
Quand au regard (ami) de la blesseure
Quavez au pied, ie vous dy, & asseure
55Qu’il m’en desplaist, car vous a retenu,
Si que ces iours n’estes ici venu,
Quand bien pensois vous visiter & voir,
Et enuers vous faire mieux mon deuoir
Que n’auois fait ces iours prochains passez,
60Avec quelqu’un qui m’a prié assez
De luy donner de vous la congnoissance,
Dont vous parlay (i’en ay bien souuenance)
En nostre hostel. Il est de nostre court,
De son sauoir (pour vous parler plus court)
65Ia n’en dy rien, vous en congnoistez l’art
En goutant bien l’Epistre du vieillart
Qu’il vous enuoye, apres propos tenu
Entre [p. 247]Entre nous deux. Quand serez revenu
De par deça, au long vous en diray,
70Et ce pendant me recommanderay.
[8]Responce par Charles Fontaine
audict Aduocat.
ON dit bien vray, que les choses humaines,
De mal & bien sont meslees & pleines :
Mais beaucoup plus de mal (ie le say bien)
Qu’elles ne sont de bon eur, & de bien.
5
Voila, ainsi que le barbier incise
L’ongle du poulce, ou s’est fortune aßise,
Fut le porteur de voz lettres present :
Ie les receu, comme vn tresbeau present :
Et ie ne say si ce bon eur, & joye
10Exceda lors le mal que ie sentoye :
Mais ie say ien que le mal cessera
Auec le temps (& de brief ce sera,
S’il plaist à Dieu) mais cette ioye telle
Sera tousiours en mon coeur immortelle.
15
Or pour entrer des letres en propos,
L’escrit premier fait en meilleur repos,
Quand ine [sic pour ne] • Le « i » est barré à la main sentois tel mal, en somme toute,
Sentoit vn peu son iour de Pentecouste :
q 4 [p. 248]Außi, ainsi comme le sainct Esprit
20Multiplia (aux Actes est escrit)
Dedãs maintz coeurs ses dõs, & sainctes graces
Et par dehors dons de langue, efficaces,
Miracles haultz puissances, & vertus,
Dont furent maintz ornez & reuetus,
25Ainsi ces iours sa grand grace accomplie,
Par deuers moy voz lettres multiplie,
En me faisant ce bon avansement
Que i’en reçoy outre mon pensement :
Et m’enuoyant, sans chicheté aucune
30Et sans seiour, largement deux pour vne,
Lesquelles font (si la mienne ie y nombre)
De Trinité le sainct, & diuin nombre.
Außi ce fut le iour de Trinité
Que ie receu le tout empacqueté.
35
A vostre escrit maintenant je responds,
Que dans les miens bien peu ie corresponds,
Ie dy bien peu, ou du tout rien sans faulte
A la louenge excellente, & tant haulte
Que me donnez : & maintiens que d’honneur
40Vous m’estes bien trop liberal donneur :
Et s’il ya chose en moy de loz digne,
Grace [p. 249]Grace i’en rens à la bonté diuine,
Considerant qu’elle me faict ce bien
Sans mon dessert, & que le tout est sien :
45Mais bien ie sens que l’eau de ma fontaine
N’est point si viue, abondante, & certaine
Que l’auez faicte : ains c’est humilité
De vostre coeur, & liberalité
(Dont votre Epistre ainsi que la personne
50Resplendit fort) qui tel honneur me donne :
Lequel honneur (i’en iure foy, & loy)
Quand ie le li, ou quand lire ie l’oy,
Me rend honteux : il y a bien maniere
De donner loz plus saine, & droituriere,
55Moyen est beau. Aux Tulles, Demosthenes,
Aux gens savans, soit de Rome ou d’Athenes,
Ie ne suis rien, ou bien peu ie leur suis,
Car de bien loing, ou de rien les ensuis.
Ilz ont leur veine ou Latine, ou Attique
60Exquise fort, i’ay la mienne rustique
En mon Françoys, qui est moins precieux,
Et moins orné, diffus, & copieux :
Parquoy en eux on trouue la semence
De bien parler, & de grand eloquence :
q 5 [p. 250]Tant leur langage est beau, riche, & hanté :
(Tel l’ay trouué quand ieune l’ay gousté)
Mais en mon rude, & tant rural ramage,
En tout mon faict, escriture, ou langage
Qui bien y voit, y trouue seulement
70Vn lasche cours, vague, sans fondement.
Or ne prenez en mal ou à iniure
Ce que i’ay dit parolle vn petit dure
Non en faueur de nostre langue : pource
Que verité, de vertuz mere, & source,
75Sans aucun blasme, ou affection d’ire,
Selon propos m’a contraint de ce dire.
Ie ne suis point d’Apollo, ou Pallas
Le vif pourtraict, ainsi que tu parlas :
Onc n’ouy chant de Mercure, ou Phebus :
80Mais il est vray que sur les champs herbus
Pan le cornu i’ay bien ouy sonner,
Qui ne se veult moindre gloire donner
Que fait le pan en sa queuë, & sa rouë :
Car comme Pan de son beau flaiol iouë,
85Vn iour me trouue avecques les bergers
Gardant brebis illec en ces vergers,
Et les vy tous (ce que tresbien ie note)
Venir [p. 251]Venir à luy, à son chant, & sa note :
Auec son chant il les vous attiroit
90Comme Amphion pierres, & boys tiroit :
Si m’aprochay, & au son de ses buses
Prenois plaisir, autant qu’au chant des Muses
Font les diuins Poëtes excellens,
En stile hault riches, & opulens.
95
Or ainsi comme à ce Pan, Dieu agreste,
Et à son chant mon oreille ie preste,
Rauis si fort en furent mes espritz
Que pour mon maistre, & enseigneur l’ay pris :
Mais le Mercure, en sa parfaite lyre,
100Point n’ay ouy, ains n’en ay fait que lire
Comme il iouoit avec tous si agus
Q[']uil endormoit tous les cent yeux d’Argus,
Afin que fust ravie (que Dieu sache)
La belle Yo iadis muee en vache.
105De Pan tout seul ie puys bien dire ouy
Que ie l’ay veu & son gros chant ouy.
Voila pourquoy ma Muse est tant sylvestre
Elle ne tient sinon de Pan mon maistre,
Me ravissant avec ses chalumeaux
110Qui m’y sembloient harmonieux & beaux :
Dont [p. 252]Dont à present ma Muse sourde, & molle
Tant sourdement & mollement flaiole,
En ensuyuant du dieu Pan les Musettes.
Changeõs propos, vous dites que vous estes
115Beaucoup distraict, & sans aucun seiour
Tant occupé, ou soit nuict ou soit iour,
Le iour aux plaictz, & la nuict à la femme
Qui vous traveille : or ne luy donnez blasme,
Et de tel cas on n’en doit que bien dire :
120Car femme doit de nuict iouer, & rire
A son mari, qui de iour en simplesse
Doit resembler à la chaste lucresse.
Vous vous plaignez, & ie say qu’il y a
Bien pres d’ici homme qui se lia
125Par mariage, & print vne des filles
De ce quartier pour mieux iouer aux billes,
Mais i’ay grand peur que tost ne ioue au flux
Qu’on dit auoir quatre vingtz ans, ou plus
Cenonobstant ce vieillart triomphant
130A son espouse a fait vn bel enfant.
Dieu face donc la grace à ce vieillart
D’encor cent ans exercer ce vieil art.
Vous vous plaignez, vous auez donc trop eu
De ce [p. 253]De ce que telz comme moy ont trop peu :
135Et par ainsi le long de la sepmaine
Voila comment trop aise vous demaine.
O que plusieurs voudroiẽt qu’on les touchast
Souvent ainsi, & qu’on les approchast !
O qu’ils diroient, tu sois la bien venue,
140Et fusses-tu à minuit toute nue !
Ilz courroient sus en poste, & à gran pas :
Mais attendez, pour moy ne le dy pas,
Car en courant on s’eschauffe, & enflambe,
Arriere donc, c’est aigrun pour ma iambe :
145Ce nonobstant, mais bien d’vn autre stile,
Toutes les nuictz me réueille ma fille
Que vous savez, ma petite fillette
Qui a rendu ma personne foiblette.
Voila vn point que dictes grosse charge,
150Touchant lequel vostre femme vous charge,
Mais au contraire ainsi vous deschargez,
Et en ce point vostre femme chargez.
Vn autre cas, en n’espargnant les dames,
Vous imposez dessus voz póures femmes :
155C’est que si vous ne faites leur besoigne,
On vous riotte, & tousiours on vous groigne.
Si [p. 254]Si croy ie bien que seriez Socrates
D’esprit, & meurs, mieux que Xenocrates.
Mais quel besoing que ie vous admonneste
160Qu’en femme y a bon luc [sic pour cul], & bonne teste ?
La femme soit en noyse Xantippé.
Mais en cueur chaste vne Penelopé :
Car toute femme ou fille, bonne, ou belle
Communement vous tient de la rebelle.
165
Voila les pointz en quoy vous abondez,
Ou voz raisons, & defenses fondez :
Bon homme, helas, certes ie vous plaings tant,
Mais ie n’ay rien que vous donner pourtant.
Or ie vous pry, respondez à propos,
170Maint sauant homme a il plus de repos
Que vous n’avez ? ie di maint sauant homme
Qui auiourdhuy bien peu souuẽt prent somme,
Ayant l’esprit aux sciences raui :
Et de ce point desia vous escrivi.
175
Mais il me fault respondre à l’autre point,
Que comme vous marié ne suis point :
Car vous m’auez escrit sus ce point cy
Qu’il ne m’en prend comme à vous en cecy.
Ie vous diray le bien que l[’]on y gouste
Vous [p. 255]Vous fait passer cette amertume toute,
Legerement, ainsi qu’il m’est auis :
Tousiours auez à qui faire deuis,
Et si le mal vous prend en quelque sorte,
Incontinent auez qui vous supporte :
185Et nous distraitz, perduz, & égarez,
Du medecin sommes loing separez :
C’est chose dure, & de plaindre tresdigne,
Quand le malade est loing de medecine,
A qui il fault, quand le mal serre pres,
190Tost recourir en grant peine, & grans fres.
Mais nous auons communement apris
De nostre estat quasi mettre à despris,
Plus estimans, & preferans vn tas
Tant des egaux que des moindres estatz :
195Tesmoing en est le peuple qui se tanne
De tant manger du seigneur Dieu la manne,
Et qui desire außi de la changer
A aux puants, grant viande à manger.
I’ay du vieillart (que vous dictes) la lettre
200Leuë & releuë assez de mettre en mettre :
Elle a bon vent, & marine en effect,
Dont suis joyeux que tel honneur me faict :
Pour [p. 256]Pour cette foys luy fay brieue response,
Satifaisant à sa seule semonse :
205Quelque autre foys que mieux dispos seray,
Plus long escript à luy i'adresseray.
Or excusez l’epitre du malaise,
Tant sa longueur que sa grace mauuaise :
A Dieu ami, qui en santé vous tienne,
210Et en briefz iours me renuoye la mienne.
[9]Response par Iean Orry, Aduocat susdit.
CEla est vray, ie le tien pour certain,
Ce qu’Edipus au propos incertain,
Douteux, obscur, subtil, Enigmatique,
Du monstre Sphinx, sur le mont Thebaique
5Discretement respondit, qu’il aduient
Que l’homme vieil en enfance reuient.
A mon propos conuient telle response,
Car au moyen de vostre grand semonse,
Retourné suys de facheuse vieillesse
10En mon enfance, & florissant, ieunesse :
Ie n’entens pas qu’en aage fusse vieux,
Car plus aagé que suis estre ne veux :
La raison est, si l’estois dauantage,
C’esta [p. 257]Il en viendroit à deux perte, & dommage :
15C’est asauoir, à moy que premier nomme,
A celle außi qui m’appelle son homme :
Et a besoin que ie trauaille ieune,
Ou il faudra que souuent elle ieusne :
Mais i’enten donc parler de mon estat,
20Triste, & chagrin, de toute ioye plat,
Loing de plaisir, & de tout passetemps,
Auquel on n’oyt, & ne voit que contens,
Debas, discors, noyses, plaidz, & proces,
Lesquelz m’auoyent rendu en tel acces
25De cure, & soing, qu’estois en mes espritz,
Par tous mes faitz, mes ditz, & mes escritz
Comme vn facheux réueur, & tout songeart,
Melancolique, & rioteux vieillart :
Et quasi tel comme Heraclite fut,
30Qui peu, ou point, rire, & chanter voulut.
Comme luy donc, iauois ia souz le banc
Mis la vielle, & m’estois mis au ranc
De tristes gens, laissant ioyeuseté
De ma ieunesse, ou i’ay ioyeux esté.
35Plus ne prenois de plaisir à la lyre,
N’au tresdoux chant d’Apollo, n’a relire
r [p. 258]Du dieu Bacchus l’origine, & naissance.
Plus ne prenois deduit ne plaisance,
A hault louer Castalie, & Dircé,
40Ou Permessus, ou m’estois exercé
En mon ieune aage : ainsi qu’à Parnasus
Au long d’escrire auecques Pegasus,
Et comme il feit la clere Hypocrené
En Helicon, à louer Lariné,
45Et autres lieux delectables aux Muses,
Qui me plaisoient, auec les cornemuses
De Syluanus, de Pan, & Silenus,
Dansans sur l’herbe auec Nymphes tous nuds,
Et autres dieux pastoureaux, & champestres :
50Car soing n’auois lors de tous biens terrestres.
Et brief, sur tout les sciences humaines
Me delectoient, pource qu’elles sont pleines
De grand douceur, qu’ay laissée depuis,
Dont trop me plaindre & repentir ne puis.
55
Mais en pensant par vostre induction,
Hyer au soir à tell [sic pour telle] mutation,
Phebus allant les Antipodes voir,
Et enuoyant la Lune nous reuoir,
Qui tost apres en sa face cornue
Vint [p. 259]Vint apparoir luysante, & de corps nue,
Dont la clarté le ciel tant decora,
Qu’Herebus lors d’elle s’enamoura,
Et prepara pour la receuoir mieux,
Maint corps celeste illuminant les cieux,
65(Qui de bien peu seruirent, car Diane
Tant reluisoit en son corps diaphane,
Que chacun corps lumineux s’enfuit)
Morpheus vint qui mes deux yeux clouit,
Et tout ainsi comme aux cerueaux des hommes
70Souuent excite, & fait divers fantosmes,
Il m’imprima vn songe fantastique.
Aduis me fut qu’en habit magnifique
Ie vy Pallas : à la venue d’elle
Si grand lumiere apparut, qu’onques telle
75Ie n’auois veuë, & fort m’espouenta,
Car en fureur à moy se presenta,
Me reprenant auec grosses parolles
Pourquoy tenois tous ses faictz à frivoles :
Si ie m’estois retiré d’avec elle
80La reputant comme vne simple ancelle,
Pour ensuyuir la chymere pratique,
Vne grand vieille, auare, toute ethique,
Qui n’a iamais ne repos ne soulas.
r 2 [p. 260]Comment (dit elle) estois tu desia las,
85de t’esiouyr avec Nymphes, & Muses ?
De ta ieunesse, & ton esprit abuses :
Car celle suys, qui les miens en liesse
Fay long temps viure, & puis en leur vieillesse
Auoir honeurs, & biens sans grande cure :
90Aduise donc, quand telz bien ie procure,
Retourne t’en vers moy, si bon te semble,
Viuons, chantons, soyons tousiours ensemble.
Lors Aurora, fourriere de Phebus,
Vient dechasser la Lune, & Herebus :
95La Lune en mer tost se plonge, & s’en vient,
Mais on ne scet pas que Herebus deuient.
Tantost phebus, de fin pourpre vétu,
Tout le hault ciel d’azur a reuetu,
S’en vient, & prent place en nostre hemisphere :
100Et, pour autant qu’il est de vie pere,
Chacun petit oyseau à sa venue
S’esiouïssant, en son chant le saluë,
Luy donnant mille aubades, chansonnettes,
Petis motetz en voix franches & nettes,
105Tant qu’onques plus oreille n’en ouyt :
Le chant desquelz mes deux yeux esblouit :
Et [p. 261]Et sur ce point, estant de ioye esmeu,
Pour leur doux chant, & pource qu’auois veu
Dame Pallas ainsi en mon sommeil,
110Ie proposay alors en mon réveil,
Hors de mon coeur chasser toute tristesse,
Et que Pallas ie prendrois pour maistresse :
M’esiouyssant souuent avec ma Muse,
Sans que vers vous ie prenne plus excuse
115Sur mon estat, au moins tant que i’ay fait :
Pareillement en alleguant le fait
De mariage, & du deu domestique :
Mais ma Muse est encore rant [sic pour tant] rustique,
Et si tresrude, à faulte d’exercer,
120Que bien souuent, quand viens à y penser,
Ie n’ose plus à escrire me mettre,
Considerant vostre fluide metre,
Si bien poli en langage propice,
Que d’Apollo semble estre l’artifice,
125Et non de Pan, dieu rustique, & champestre,
Que vostre maistre auez dit aux champs estre :
Car qui voudroit noz metres assembler,
Incontinent on verroit resembler,
Le metre mien (que ne die plus oultre)
r 3 [p. 262]Tout proprement à vn caduque coutre,
Qui de long temps ne fut au labeur mis,
Mais delaissé, & à rouille souzmis,
Tout laid, gasté, consumé, demoli :
Mais bien le vostre à vn glaiue poli,
135Agu, tranchant, & venant de la forge.
Voila comment de present ie vous forge
Metres si laidz, difformes, & sans art,
De peur qu’on dist qu’vn paresseux songeart
Fusse enuers vous, qui tant de vostre grace
140M’auez semonds en vostre art d’efficace.
A ce matin, d’vn iour de noz vacances,
I’employe donc mes petites puissances
A vous ensuyure en vostre art, & mesure :
A ce matin ie taille, & ie mesure
145Cet escrit mis souz vostre lime, & titre,
Et vous enuoye encore cette epistre
En respondant à la vostre, ou me dites
Bon hõme, mais ie croy que vous mesdites :
Car vn chacun, qui a veu cette attache,
150Dit bien qu’en moy onques n’en fut veu tache.
Ce nonobstant ie prens en gré l’iniure,
Et contre vous n’en proteste, ou murmure :
Tel [p. 263]Tel soye ou non (quoy qu’il m’en doit chaloir)
Ie n’ay esgard qu’à vostre bon vouloir :
155Combien que pas chez nous on ne demande
Que soye tel, ainsi on le vous mande.
Quant au plaisir, au soulas & grand bien
Que poures gens, lesquelz sont au lien
De mariage, ont (ainsi que vous dictes)
160En lieu des maux que noz femmes mal duites
Nous font, auec tant de noysifz alarmes,
Vous en parlez ainsi comme clerc d’armes.
Quant au surplus i’ay au pere Tamot
Communiqué, & leu de mot à mot
165Vostre susdite ornee, & douce lettre,
Lequel vne autre a voulu vous trasmettre.
Mais soit la fin, priant Dieu que santé
Il vous enuoye, auec biens à planté.
[10]Responce, par Charles Fontaine.
I’Ay veu, i’ay leu vostre responce, amy,
Et comme auez auec songe dormy,
Songe qui n’est illusion fascheuse,
Mais d’vne dame aux lettres amoureuse :
5Dont n’eusse pas voulu vous réveiller,
r 4 [p. 264]Car tel dormir ne vault moins qu’vn veiller.
Ie louë en vous premier la diligence,
Secondement la bonne intelligence,
Qui mes propos a conceuz, & notez :
10Et tiercement l’amour que me portez.
Or comme vous i’ay songé, non pas comme,
Car mon songer ne sent pas tant son homme :
Mais sans descrire, & sans montrer au doigt,
Comment Phebus s’en vint plonger tout droit
15En l’Ocean, la nuict tout à la ronde,
Enuironnant de ses ailes le monde :
Ny comme, apres qu’elle eut son vol parfait,
Ie vy venir en son tróne bien fait,
De l’Orient Aurora honoree,
20Par Phaëton, & par Lampus tiree :
Sans tout cela, i’ay mon songe compris
En vn dizain, afin que noz espritz
Apres longs traitz en brieueté se iouënt :
Car gens savans, & l’vn & l’autre louënt.
25Par vn dizain vous me respondrez donc,
Et de deux pointz, i’estimeray adonc
Vostre gentille, & gracieuse Muse,
Qui d’escrit long, & außi de brief m’vse.
Dizain [p. 265]
[11]Dizain par Charles Fontaine, audict
I. Orry, Aduocat.
I’ay songé cette nuict passee,
Que vous estiez de par deça,
Et vous ay eu en ma pensee,
Plus que depuys troys moys en ça :
5Pour vous traicter cours la, & ça,
Et de ma place n’ay bougé :
En dormant i’ay beu, & mangé :
O amy digne de memoire,
Si ne m’auez autant songé,
10Au moins faites le moy acroire.
[12]Responce au dizain precedent.
S’il ne tient qu’à le faire acroire,
Ie le feray facilement :
Bon amy, donc te soit notoire
Que i’ay songé semblablement,
5Voire songé royalement,
Que d’Espaigne tu estois Roy :
M’en croy-tu ? mais ie ne le croy :
Or en mon coeur trop ie me deulx
Que la puissance n’est en moy
10De le bien prouuer à nous deux.
r 5 [p. 266]
[13]Gabriel Tamot, Aduocat du Mans
à Charles Fontaine.
L’Antiquité, la memoire labile,
Me pressent tant que ne fay plus l’habile
Pour deuiser, & composer par metre,
(Filz, & amy) & ne veult Dieu permettre
5Que mes vieux ans retournent en ieunesse,
Car mourir fault, on voit bien que ieu n’est ce.
Les iours de l’homme en ce monde sont courtz,
La mort le prent quand il a fait son cours.
Ieune ay esté, maintenant suis vieillart,
10Passé, casse, ma rime est de vieil art,
Peu estimée entre ieunes auteurs,
De gens lettrez, & lettres amateurs.
Souuent ieunesse est à vieillesse dure,
C’est bien à tard quand l’vne o l’autre dure :
15Si ne doit on vieillesse mespriser,
Et ne la fault raualer, mais priser.
Cela ne dy pour despriser ieunesse,
Mais c’est afin que de nous deux ieu naisse,
Qui noz espritz echauffe, & mette en ioye
20Et que de toy bonne responce i’oye :
Car on m’a dit qu’en bon art poëtique,
Tu es [p. 267]Tu es expert[,] garni de theorique,
De bons propos, & science certaine :
Si qu’aux ruisseaux de ta clere fontaine
25Ceux qui ont soif de sauoir, pourront prendre
Refection poëtique, & aprendre
Bien & honneur, auec tout bon sauoir :
Comme on a peu l’experience voir
Par tes escriptz : car ta plume distille
30Vn doux françoys passant tout autre stile.
Cet escript donc prendras en bonne part,
D’außi bon cueur comme du mien il part :
Filz & ami, si mieux faire sauoye,
Ie le ferois, cela s’en va sa voye :
35Mais ie ne suys des mignons de Pallas.
Or sus, mon filz, montre que n’es pas las :
Metz plume en main, papier sur ton pulpitre,
Pour m’adresser en beaux vers quelque epitre.
Pardonne moy si quelque faut feis,
40Trescher ami, en t’appellant mon filz :
Car ie n’entens estre en sauoir ton pere,
Qui en tout cas le mien petit supere :
Mais les vieillards par priuilege d’aage
Sur ieunes gens prennent cet auantage
Filz [p. 268]Filz & ami de nom noble, & d’honneur,
Dieu te soit donc perpetuel donner
De son amour : c’est le desiré mot,
Par ton amy, cest Gabriel Tamot.
[14]Responce par C. Fontaine.
PEre, & ami, qui premier m’as eleu,
De tresbon cueur le tien escrit i’ay leu,
Duquel le sens, ou la rime, i’ay prise
En bonne part, tant ie l’ayme, & la prise :
5Pour la valeur d’elle, & de son auteur
Qui m’a voulu ce bien faire, & cest eur
D’escrire à moy, pour prendre congnoissance,
Dont à iamais luy doy recongnoissance.
Vn point y a, ie voy que tes espritz,
10Pere & ami, sont vn peu trop épris
D’amour vers moy, & en font trop estime :
Cause ne voy pourquoy tant on m’estime.
Bien donc, ami, ce loz, & grand honneur
Ie rens à Dieu, & au mesme donneur.
15
Quant à l’epitre, & la response tienne,
Raison veult bien que ie la die, & tienne
Non, que tu dis, batie de vieil art
(Encor que soit de la main d’vn vieillart)
Mais [p. 269]Mais ieune en stile, assez robuste, & viue :
20Dont chanteray, viue le vieillart, viue :
Et que d’ici à seize ou dixsept ans
Soyons les traitz de sa plume sentans.
Mais quant au point de ta faulte ou offense,
M’appellant filz, en cela on n’offense :
25En ne fault ia qu’on en quiere pardon,
Soit par amis, par argent, ou par don.
Car, grace à Dieu, ie ne suys à sauoir
Qu’on doit aux vieux la reuerence auoir
Comme à son pere : & saint Pol l’a escrit,
30Ce m’est auis, en quelque sien escript.
Si on leur doit donc telle reuerence,
Combien plus tost fault qu’on les revere en ce
Beau mot de pere ? ainsi donc maintenant. [sic pour ]
(Puys quà ton mot ie suys la main tenant)
35Les ieunes gens peux appeller tes filz,
Comme de moy sans offense tu feis :
Et quant au pere, en sauoir, de nous deux,
Pere tu soys, certes ie ne m’en deulx.
A tant fay fin, car ie ne suys rusé
40En equiuoque, & n’en ay guere usé.
Qui equiuoque aucunement s’efforce,
Et [p. 270]Et moy ie hay toute contrainte, & force.
[15]Responce par ledit Gabriel Tamot.
PVys que i’ay veu ta response ensuyuie,
Filz & ami, il m’est pris vne enuie
De te rescrire encor vn petit mot,
Que bien prendras de ton pere Tamot,
5Pere i’entens d’aage, non de science,
Car ie congnoy en saine conscience
Qu’en ce ne suys digne d’estre ton pere,
Et pource à toy en ce ne me confere.
Ton sauoir est exquis, & autentique,
10Et moy vieillart ie besoigne à l’antique :
Et doublement, tant d’esprit que de corps :
L’esprit ne tient en vers les bons accords,
Le corps s’en va, & tousiours diminue,
Ieunesse passe, & vieillesse est venue.
15
Assez souuent ie rime sans raison,
Mais pour rimer n’est riche ma maison :
Rime & raison sont tresbonnes ensemble,
Bien eureux est qui des biens en assemble :
Ce n’est pas moy : car ie congnoy tresbien,
20Et long temps a que ie n’y acquiers rien :
Et m’est besoing sauoir autre mestier.
Ie ne [p. 271]Ie ne suys pas vn maistre Alain Chartier,
Vn Meschinot, vn Milet vn Nesson
Desquelz on oyt le poëtique son.
25I’ayme trop mieux dire ma maladie
Qu’vn medecin pour argent me la die :
Car ie sens bien mon imperfection :
Si te suppli par grant affection,
Filz & ami, supporter mes deffaultes
30En m’excusant, & mes tant lourdes faultes.
Et quant au point ou tu m’appelles pere,
Ie ne le prens à dueil, ne vitupere :
Grace t’en rends autant qu’onques ie feis,
Car trop eureux suis d’auoir vn tel filz,
35Qui tant me fait de consolation,
Et met à fin ma desolation
Qu’ay eu d’vn filz, qu’Atropos, la diuerse,
A rué ius, & mis à la renuerse.
Mais il m’en prent trop mieux que ie ne pense,
40Car Apollo par toy me recompense.
Voila comment ie gaigne, & rien ne perds :
En lieu de noir doy porter vert ou pers,
Car puys que i’ay nouueau filz recouuert,
Ie laisseray le noir pour prendre vert.
Dueil [p. 272]Dueil me rendoit froit comme vn iour de ieusne,
Mais tu me rends tout gay, ioli, & ieune.
Puys que par toy ce bien m’est auenu,
Filz & ami, tu soys le bien venu,
Et plus que bien en ce païs du Maine :
50Quand te plaira verrons ta face humaine
Orry, & moy, en noz petit burons
Et du meilleur l’vn à l’autre beurons,
De tresbon cueur, par grand resiouissance,
Afin qu’ayons tousiours la iouyssance
55De bonne amour parfaicte, inseparable
Or Dieu te doint son regne perdurable,
Mon trescher filz : &, par son doux plaisir,
Venir au point de ton parfaict desir.
[16]Response par Charles Fontaine
audit Tamot.
DE ton escript i’ayme l’affection,
Pere & ami, qui fais tant mention
De moy ton filz, à qui tu montres zelle
Fort aprochant de l’amour naturelle,
5Que tu auois à ton filz trespassé,
Dont tu te dis par moy recompensé
Eureusement : mais ie puys dire ainsi,
Que [p. 273]Que Dieu par toy me recompense außi :
Car long temps a sur mon naturel pere
10La mort ietta sa main noire, & severe.
Quant aux propos, en ton escrit dernier
Ne sont pas fort differens du premier :
Car tu poursuis, parlant de ta vieillesse,
A me donner tousiours honneur sans cesse.
15Mais ie voudrois de Medee tenir
L’art, par lequel te ferois raieunir,
Comme elle feit iadis le vieil Eson,
Qui pere estoit de son mary Iason :
Ie n’y faudrois, tu le peux bien entendre,
20Pour, comme moy, en ieunesse te rendre.
Car ie croy bien que tu ne dirois pas
Comme Caton, quand viendroit à tel cas.
Lors pere & filz diroient, fi de vieillesse :
Lors pere & filz rimeroient en liesse.
25Mais Poesie affamee, & en friche,
N’a, ce dis tu, point fait ta maison riche :
Außi n’a elle encore fait à moy :
Et ce seul point ne me met en esmoy:
Car le desir d’vn Poëte n’attend
30Auoir richesse, ou tout autre estat tend.
s [p. 274]