SOMMAIRE
-
Paratextes
- Privilege
- Quatrain liminaire 1
- Quatrain liminaire 2
- Quatrain liminaire 3
- Quatrain liminaire 4
- A Jean Brinon
-
Epigrammes
- ✦ 1
- ✦ 2
- ✦ 3
- ✦ 4
- ✦ 5
- ✦ 6
- ✦ 7
- ✦ 8
- ✦ 9
- ✦ 10
- ✦ 11
- ✦ 12
- ✦ 13
- ✦ 14
- ✦ 15
- ✦ 16
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- ✦ 18
- ✦ 19
- ✦ 20
- ✦ 21
- ✦ 22
- ✦ 23
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- ✦ 25
- ✦ 26
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- ✦ 28
- ✦ 29
- ✦ 30
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- ✦ 33
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- ✦ 36
- ✦ 37
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- ✦ 39
- ✦ 40
- ✦ 41
- ✦ 42
- ✦ 43
- ✦ 44
- ✦ 45
- ✦ 46
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- ✦ 48
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- ✦ 50
- ✦ 51
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- ✦ 70
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- ✦ 101
- ✦ 102
- ✦ 103
- ✦ 104
- ✦ 105
- ✦ 106
- ✦ 107
- ✦ 108
- ✦ 109
- ✦ 110
- ✦ 111
- ✦ 112
- ✦ 113
- ✦ 114
- ✦ 115
- ✦ 116
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Epigrammes pour estreines de 1555
- ✦ 1
- ✦ 2
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Enigmes
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Passetemps
- ✦ 1
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- ✦ 26
sensvyvent
LES RVIS-
seavx de
font-
taine :
Oeuure contenant Epitres, Elegies, Chants
diuers, Epigrammes,
Odes, & Estrenes
pour cette presente annee 1555.
Par
Charles
Fontaine,
Parisien.
Plus y a vn traité du passetemps des amis, auec
vn
translat d’vn liure d’
Ouide,
& de 28
Enigmes de
Symposius,
traduits,
par
ledict
Fontaine.
À LYON,
PAR
THIBAVLD PAYAN.
1555.
Auec priuilege du Roy.
Extraict du priuilege.
Par priuilege du Roy il est permis
à maistre
Char
les Fontaine,
imprimer, ou faire imprimer,&
met-
tre en vente les traitez qui s’ensuyuent : asauoir
les
Ruisseaux de fontaine de sa cõposition, le passetemps
des amis
cõtenant Epitres & Epigrammes dudit Fon
taine à ses amis, & de ses
amis à luy : & la traduction
du premier liure du Remede d’amour d’Ouide,
faite
par ledit
Fontaine :
Auec deffenses expresses faites à
tous autres
imprimeurs & libraires sinon à celuy ou
ceux qui auront permission dudit
Fontaine, d’impri-
mer, ou faire imprimer, vendre ny
debiter lesdits li
ures, ny partie ou portion d’iceux, iusques à
quatre
ans prochains ensuyuans à cõmencer du iour & date
que
lesdites oeuures seront acheuees d’imprimer,
comme plus aplain est contenu
es lettres sur ce don-
nees à Paris, le 16.iour de
Ianuier, l’an 1552.
Et signees Coignet,
Par le
Roy,
à la relation du Conseil,&
scellees en cire iaulne sur le
repli.
À la louenge de Poësie.
Les forts chateaux cherront :
L’argent s’enrouillera :
Mais les beaux vers luyront
Tant que le ciel luyra.
Autre.
Celuy dont les Muses feront
Festes & solennité, viura
Tant qu’au ciel estoilles seront,
Que terre boys, mer eau aura.
Autre.
Les durs cailloux, le coultre en la charue
S’vsent par temps : les vers demeurẽt sains :
Cedent les Roys, leurs triomphes, & trains,
(Qui en leur main ont la fortune drue)
5Les mines d’or, apres qui tant on sue,
Cedent aux vers de loz immortel pleins
Autre, par vers Alexandrins.
Renom acquis par vers,
sans perir de-
mourra :
La Muse emporte vn loz qui iamais ne mourra.
À
Iean Brinon,
seigneur de Villaynes,
Conseiller du Roy en sa Court
de
Parlement à Paris, Charles
Fontaine S.
C omme en tes champs y a diuersité
De fruits & fleurs, que l’art & la
nature
Y ont produit en grant fertilité
Durant le temps qui beau quelques moys dure :
5Tu voys ici, par plus noble culture,
De mon esprit les fleurs & fruits diuers,
Qui dureront contre la saison dure,
Auec honneur portez pas l’vniuers.
SENSVIVENT LES
epitres :
[1]
et premierement,
Epistre au Roy, à qui
l’Auteur
adres-
soit vne sienne traduction.
S
i
vostre esprit autant hault en
sa-
gesse
Que vostre haulte, & eureuse
no-
blesse
Est éleuee en toute autorité,
( Roy admirable à la posterité)
5Vient à penser qui auroit peu induire
Ma Muse basse à ce liure traduire
Plus tost que nul des autres de l’auteur,
Dond le renom croist en toute haulteur :
Secondement quelle chose soudaine
10A fait changer la petite Fontaine,
Qui feit courir en fin de l’autre esté
Vers vostre grande, & haulte maiesté
Vn ruisselet de source encor plus nette :
a 3 [p. 6] 6Souuerain Roy oyez ma raisonnette
15Communement chascun sait tresbien dire.
Que qui choisit ne doit prendre le pire.
I’ay donc eleu ce liuret cy, pourtant
Que de santé l’Auteur y va traitant,
Et qu’il vault mieux estre sain que malade :
20Cenonobstant assez me persuade
Qu’en autre endroit pourrois tãt bien, ou mieux
Qu’en ce labeur qui va souz voz clers yeux :
Lequel traitant des moyens de santé,
Par bons propos en a maints contenté :
25Et tout esprit qui bon repos demande.
Y trouuera recreation grande.
Vous y verrez comme on doit s’occuper,
Pour toute oysiue occasion coupper,
Ou en l’amour de victoire par guerre,
30Ou à chacer, ou cultiuer la terre :
Qui sont trois pointz de noblesse tenans,
Qui sont trois pointz à vous appartenans,
Ou l[’]on a veu tout le cours de vostre aage
Sur tous noz Roys emporter l’auantage :
35Second Cyrus vous estes en culture :
Le chacer est vostre propre nature :
Mais [p. 7] 7Mais en bataille, à la lance ou espee,
Vous resemblez vn Cesar ou Pompee.
Ce traité donc qui proficte, & ne nuit,
40N’est sans plaisir, & si n’est pas sans fruict :
Vous presentant donques le contenu,
Comment pourrois-ie estre le mal venu ?
Mesme vers vous, Prince tant debonnaire,
Qui de bonté, & de grace ordinaire
45Recueillez bien toutes gens de sauoir,
Puis les haulsez, comme chascun peut voir :
Qui ornez vostre vniuersité saincte
De gens lettrez, & de science mainte :
Qui long temps a, & de propos certain,
50Auez conceu en vostre esprit haultain
D’edifier vn trilingue college,
Et l’enrichir de maint grand priuilege :
Mais ce pendant par vos raisons prudentes
Auez mis fin aux choses plus vrgentes.
55Puis auez fait commandemens expres
Que les ouuriers d’y besoigner soyent prestz :
En quoy ne peult esprit, tant soit insigne,
Vous extoller par louange assez digne :
Que Dieu vous face auec son bon plaisir
a 4 [p. 8] 8 60Mettre en effet ce tant noble desir,
Si qu’en voz iours pleins de fortune eureuse,
Et en santé de cent ans plantureuse
Vostre noble œil l’oeuure parfaite voye,
Et vostre esprit en ait le fruict, & ioye.
65Or maintenant touchant le second point,
Tresnoble Roy, nier ie ne veulx point
Qu’il n’y ait bien assez grand’ difference
Aux deux traictez, de stile, & de sentence :
Mais tout esprit à l’estude arresté,
70Est recreé [sic pour recréé] par maint diuers traicté.
Vray est que l’vn à corriger s’applique
Vn vice ou deux souz stile Poëtique :
L’autre corrige, & maintz vices efface
Souz vn esprit plein de diuine grace.
75Combien pourtant (sans que desplaise en riens
Au hault esprit rempli de si grans biens)
A bien parler qu’est-ce que Poësie
Fors vne ardante, & saincte phrenesie ?
Comme bien lire en nostre Ouide on peult,
80Dieu est en nous, qui nous eschaufe, & meut.
Et de là vient cette fiction belle
Que de Bacchus font feste solennelle
Poëtes [p. 9] 9Poëtes saintz, & a obtenu lieu
D’estre appelé des Poëtes le dieu :
85Pource que quand le sainct Nectar s’apreste
A leur monter en leur sacree teste :
Diuinement, & si bien les enyure
Qu’on les diroit ailleurs penser, & viure,
Tant sont hors soy eleuez & rauis.
90Sur ce propos diray-ie point l’aduis
De quelques gens, dont l’ignorance blasme
En moy cet art, qui doit estre sans blasme :
Ou pour mieux dire, ilz me vont blasmãt, pource
Qu’il me garnit petitement la bource.
95Ò quantesfoys ils m’ont crié, ta Muse
T’abuse trop, non seulement t’amuse :
Gens ignorans (car le meilleur tresor
Point ne consiste en argent, & en or)
Et non sentans le bien, & la richesse,
100L’honneur, le fruict, la ioye, & la liesse,
Qui par le temps, glaiue, & feu ne perit,
Ains sans fin brule vn Poëtic esprit :
En ce disant ne blasme leurs personnes,
Lesquelles sont moins sauantes que bonnes :
105Si croira bien vostre esprit tant sauant
a 5 [p. 10] 10Que sans propos n’ay parlé si auant.
Si à cet art i’estoye destiné
Des que sur terre enfant petit fus né,
Pourrois ie bien de cœur trop endurci
110Combatre Dieu, & la nature aussi ?
L[’]on dit tresbien, tout esprit d’autre estoffe,
Soit d’Orateur, ou soit de Philosophe
Se fait par art, sollicitude & cure,
Mais le Poëte est faict tel de nature.
115Il est bien vray (Sire) que poureté
Maint hault esprit a tout court arresté :
Tel n’est le mien qui tous les iours aprend,
Mais tous les iours ie say comme il m’en prend.
Le riche auare est tout accoustumé,
120Louer de bouche vn oeuure bien limé
Et puis c’est tout : l’autheur demeure là :
Et, tout comté, ce seul salaire il a.
Si Heroët est loué iusqu’au bout,
Et Sangelais, qu’est-ce si c’est le tout ?
125Que si au moins en fin la recompense
Correspondoit au labeur, & despence,
Mille espritz bons, pour vn apparoistroient
En vostre France, & tous les iours croistroient :
Mais [p. 11] 11Mais poureté qui les garde de croistre,
130Pareillement les garde d’apparoistre.
Car poureté auec son obscur voile
Obscurciroit la plus luisante estoille.
Poësie est noblesse, & gayeté
D’esprit tranquille, & en grand liberté,
135Lequel n’admet double sollicitude :
Tel noble esprit occupé à l’estude,
Pour vn chaslit ne se doit trauailler,
Ny pour auoir vn linge, ou oreiller.
Car si Vergile est en grande souffrette,
140S’il n’a ne lict, ne tect, ne maisonnette,
Ne seruiteur, ne pecune moyenne,
Escrira il de la guerre Troyenne ?
Quand on est ieune en grand esbatement
Pour passetemps, & pour contentement
145C’est vn plaisir de sonner la musette :
Mais puis apres quand l’aage, & la disette
Surprennent tost le Poëte estonné,
Alors s’en va son chant mal entonné,
Diminuant tout petit à petit,
150Car de sonner il perd tout appetit :
Alors il hayt sa Musette, & sa Muse :
Si elle [p. 12] 12Si elle s’offre, il la iette, & refuse :
Le seul Poëte en ce point esperdu,
Demeure là esgaré, & perdu.
155Mais maintenant Poëtes à merueille
Et en grand nombre, ont bien qui les reueille :
Car vn grand Roy le grand Dieu de là sus
Nous a donné, qui les a remis sus.
O
Roy
, franc Roy, le seul vray Roy
vous
estes,
Qui d[’]espoir grand, & de gages honnestes
Entretenez les Poëtes sans fin
De vostre temps, plus que l’or pur, & fin.
Parquoy souuent, contre fortune forte,
D’auoir tel Roy ma Muse se conforte,
165Et de faueur d’vn tel Prince alaitee,
Ia par deux foys s’est à vous presentee.
Epitre [p. 13] 13
[2]EPITRE, PHILOSO-
phant sur la bonne amour :
à
vne dame.
I
’ay poursuiuy tousiours
l’amour
honneste,
Comme raison par honneur
m’admo-
neste :
Ie n’ay iamais aymé sinon pour bien :
Par cet escrit (dame) l’entendrez bien.
5Que si l’amour est chose en moy fatale :
Ce n’est l’amour charnelle, ne brutale,
Ce n’est l’amour de beauté, qui empire,
Et qui tousiours à sa vieillesse tire :
Ce n’est l’amour qui donne passion
10Pour les beaux traitz, ou la proportion :
Ce n’est l’amour ou de corps, ou de face :
Ce n’est l’amour qui auec temps s’efface :
Mais c’est l’amour, qui de bonne nature
En vertu croist, & prend sa nourriture,
15Et qui mourroit, certes, & cesseroit
Quand la vertu subiette à mort seroit :
Mais la vertu comme elle est immortelle,
Confesser fault que son amour est telle.
Pre [p. 14] 14Premierement fault voir que c’est qu’amour :
20Comme l’entens le diray sans seiour.
Amour, amye, est vne passion,
Qui de beauté quiert la fruition :
Et beauté est vn rayon cler, & digne,
Vne splendeur de l’essence diuine,
25Que Dieu voulut à nostre ame, & à l’ange,
Communiquer, dont luy deuons louange :
En tous ces deux, comme en double miroir,
Dieu faict sa gloire, & lumiere apparoir :
En tous ces deux (di-ie) ce neantmoins
30Entendre fault en l’vn plus, l’autre moins.
Car l’esprit d’ange empesché nullement
Du corps mortel, qui donne empeschement,
Se refleschit en soymesme, & contemple
Dedans son sein, comme en vn diuin temple,
35De Dieu l’image, en contemplant, s’y mire :
En s’y mirant, luy adhere, & l’admire.
Telle splendeur de la diuinité,
En cet endroit nous l’appellons beauté :
Et telle ardeur de l’Ange y adherant,
40Nous l’appellons amour. Ò corps mourant,
Ò pleust à Dieu que nostre ame iamais,
Ne tant [p. 15] 15Ne tant, par toy fust empeschee ! mais
Peust contempler en soy de Dieu la face,
Et l’embrasser par amour, & par grace
45Perfaictement, & qu’en ce peust ensuyure
L’ange diuin, qui est de corps deliure.
Ainsi beauté n’est chose corporelle,
Pareillement n’est chose temporelle.
Mais la beauté, qu[’]on dit communement
50Beauté de corps, dont le liniament,
La quantité, couleur, proportion
Tire nostre œil en admiration,
Ce n’est sinon qu’ombre declaratiue
De la beauté eternelle, & naïve :
55Et ce n’en est qu’vne image, ou peinture,
Pour paruenir (comme dit l’escriture)
Au hault degré des choses inuisibles :
Qui tousiours sont belles, & impassibles :
La grand’ beaulté desquelles, & la gloire
60Le ciel racompte, & nous la fait notoire,
Comme aussi font la Lune, & le Souleil,
Et tout cela qu’au ciel voyons à l’oeil,
Si donc ie trouue, ou homme, ou femme belle,
En la beauté que l[’]on dit corporelle,
Cela [p. 16] 16 65Cela me plaist, comme vn indice, & signe,
Que là dedans est l’image diuine,
Que veux aymer, pour sa grande beauté,
Perfection, infinie clarté.
Parquoy ne veux m’arrester au dehors,
70Ny seulement considerer le corps :
Mais procedant plus oultre, veux congnoistre
Si au dedans l’image qui doit estre
Saine & entiere, & la beauté naiue,
Du tresparfaict, y est point morte, ou viue.
75Et si aux faictz, aux dictz, à la pensee,
La viens trouuer là dedans effacee,
Incontinent de là ie me retire :
Et mon amour en vne autre part tire,
Disant ainsi : ce corps est seducteur,
80Ce corps est sainct, ce corps est vn menteur :
Car de beauté a le signe, & indice,
Mais la dedans la corrompt par son vice.
Ce corps menteur sans effect, a le signe
De la beauté dont il se rend indigne.
85Or ie ne veux la seule ombre poursuyure,
Et Narcissus en ce ie ne veux suyure :
Car comme luy en fin trompé serois,
Quand [p. 17] 17Quand trop en vain l’ombre i’embrasserois,
Pour le vray corps de la beauté extreme,
90Qui est de Dieu l’image, mais Dieu mesme.
Dame, tu voys comme on doit estimer
La beauté vraye, & poursuiure, & aymer :
Et l[’]on ne doit, au contraire, auoir cure
De beauté faincte en couleur ou figure :
95Et que l’amour est chose vertueuse,
Honneste, belle, & non voluptueuse :
Pareillement comment l’amour s’estend
Sur homme ou femme, & nul mal ne pretend.
Car aussi tost sur femme, que pucelle,
100En qui de Dieu la clarté estincelle,
Et aussi tost sur homme que sur femme
Mon cueur d’amour vertueuse s’enflamme :
Ie ne m’arreste aux constellations,
A nourriture, & aux complexions.
[3] E. H. à C. Fontaine.
Il me desplaist que n’ay fait mon deuoir
En mon logis de te mieux receuoir :
Car vn ruisseau (c[’]est bien chose certaine)
N’est rien au pris d’vne viue fontaine :
b [p. 18] 18 5Le ruisseau suys limonneux, toutesfoys
Fauorisé ie coule quelquefoys :
Fontaine es tu en France renommee,
Mon nom n’a pas si bonne renommee,
A ton auis, ce n’est que bruit qui court
10Legerement parmy les gens de court.
Certainement ie ne veux consentir
Te suader, ou te faire sentir
Chose de moy qui merite louange :
Te suppliant de ne trouuer estrange
15Si humble suis par rencontre des loups,
Qui m’ont gardé de montrer mon veloux.
Ces loups ce n’est que fortune mauuaise,
Qui me met hors, quelque temps, de mon aise :
Ayant perdu six vingtz escuz en bourse,
20Pour voir icy des imprimeurs la source :
Et sceu assez que tu es bien idoine
A son habit ne congnoistre le moyne.
Il m’est auis qu’il y a dans ton cueur
Quelque secret de ma veine moqueur :
25S’il est ainsi, donc vn potier prouoque
L’autre potier, & de son art se moque.
S’il est ainsi, ie te laisse la gloire,
Voulant [p. 19] 19Voulant tirer d’humilité victoire :
Bien esperant rencontrer imprimeurs,
30Qui pour ce cas seront trampes, & meurs.
Si autrement de moy ton cueur en porte,
Pour banqueter vien frapper à ma porte.
[4]RESPONCE PAR
Charles Fontaine.
Hier au soir ta lettre ie receu
De l’imprimeur, par laquelle ie sceu
Que ton auis assez mal a visé,
Sur le propos qu’ay de toy deuisé :
5Et pour tesmoings ie puis prendre tes gens,
Soient compaignons, ou amis diligens :
Deuant lesquelz, & autres, à voix pleine
I’ay souuent dit que tu as bonne veine :
Mais me contrains de te dire à cette heure,
10Que par le monde y en a de meilleure.
Du iugement, & termes, m’en tairay,
Et aux sauans ie m’en rapporteray.
Ie te [respons] quant à ma renommee,
Si elle n’est en tant d’œuures semee
15Comme la tienne, aussi ie n’attends pas
b 2 [p. 20] 20Si tost l’honneur que donne le trespas :
Moy vif ne veux à ce loz aspirer,
Lequel on peult de seule mort tirer
Ie ne quiers voir en ma vie ma gloire,
20Ains la remetz au temps, & à memoire.
Perse a plus fait en vn sien petit liure,
De iugement, & bon sens non deliure,
Que n’a pas fait, par sa legere plume,
Marsus Poëte, auec son grand volume.
25L’on sait assez comme Horace souhaitte
Du temps aux vers, pour vne [œuure] parfaicte :
En se plaignant de maint (non à bon heur)
Voulant gaigner deuant le temps l’honneur :
Et refuyant le labeur de la lime,
30Qui le beau vers, par neuf ou dix ans, lime.
L’honneur de nous appeté, nous fuyra :
Non appeté, pour certain nous suyura :
Pource qu’il est d’vne nature telle
Que la vertu, & la science belle,
35De modestie ayant tousiours le [mords,]
Il suit par tout, comme l’ombre le [corps.]
Si le pris est au plus grand escriuant,
Et qui par tout met ses vers en auant,
Iettez [p. 21] 21Iettez assez legerement en moule,
40L’honneur est tien, afin que ie te saoule,
Mais possible est, quant i’aurois entrepris,
Qu’en quantité, ny qualité, le pris
N’aurois sur moy : & cela i’ose dire,
Considerant ton audace d’escrire.
45I’ay veu que ieune en chaleur ie rimoye,
Mais l’aage meur en mit tant bas la ioye,
Qu’il a beaucoup mes Muses refroidies,
Et par froideur rendues moins hardies :
Or ie retourne à mon commencement,
50De ton auis, & de ton iugement
Conceu de moy : car aussi par tes uers
Tu en sens mal, mesme en lieux diuers.
Mais es tu Dieu, pour dedans mon cœur lire ?
Qui t’a donq fait si hardi que d’escrire
55Qu’il t’est auis qu’il y a dans mon cœur
Quelque secret de ta veine moqueur ?
Cela est faux, i’ay honoré ta veine,
Et ne l’ay prinse en moquerie vaine :
Ie suis ami, & moqueur ne suis point,
60Ny controlleur : ains quand il vient à point
A mes amis ie dy ouuertement,
b 3 [p. 22] 22(Quand on m’enquiert) tel est mon sentiment :
Parquoy te dy aussi qu’en cest endroit,
Comme en maint autre, est ton iugement droit.
65Ie suis trop long : pour plus outre passer,
Ton vers te couppe, à bien le compasser :
Car tu as dit tout haut (s’il t’en souuient)
Que pour son faict ta Muse ici ne vient :
Et que tu as affaire plus vrgent,
70Qu’à visiter l’imprimeur, ou la gent :
Et ores dis, en propos bien peu meurs,
Tant d’argent perds pour voir les imprimeurs.
Quelque propos aussi en apparence
Tu as laissé, sans bonne dependence.
75Ce qu’a senti tost nostre ami Sabon,
Qui pour certain a le iugement bon :
Ie ne say pas comment tu l’as passé,
Si tu as rien d’auenture laissé.
Ie ne say pas aussi qui t’importune,
80D’interpreter les loups pour la fortune :
Il semble à voir que tu vses de loups,
Pour rencontrer seulement sur, veloux :
Car autrement (qui bon sens veut prester)
Larrons sur loups vaut mieux interpreter.
Pareil [p. 23] 23 85Pareillement sur, fortune, ie trouue
Qu’il viendroit mieux de l’interpreter, louue :
Mais d’auantage ou, ny quand, ny comment
La perte fut, nul mot aucunement.
Tu veux tirer d’humilité victoire :
90Dieu sait comment elle est en toy notoire
L’humilité que par occasion
Te dis auoir, non par infusion.
Tu me prens mal, car i’ay par quelques ans
Assez, & trop congnu telz courtisans :
95Dont ie ne veux, & ie n’entens mesdire,
Aymant trop mieux me taire que mal dire.
I’ay veu païs deça, dela les montz,
Dequoy souuent les gens nous estimons :
I’ay grace à Dieu auec quelque science
100Conioint l’vsage, & longue experience.
Tu dois penser (si pensé tu ne l’as)
Que ie ne suis pour tost tomber es laz.
Auant iuger ie ly, ie voy, i’escoute :
L’experiment cinq cens escuz me coute :
105Nouueau ne suis, tu dois estre asseuré
Que ie suis faict, & desia tout leurré.
I’ayme la Muse avecques modestie,
b 4 [p. 24] 24Et la personne a douceur conuertie :
Et n’ayme pas ny gens qui tant se vantent,
110Par leurs propos, ny vers qui tant s’esuentent.
Neuf ans entiers, & plus, ie me suis teu :
Puis peu de gens de mes œuures ont eu :
Mais toutesfois i’ay regret bien souuent
De m’estre mis encor si tost au vent :
115Car ne quiers voir mon nom tant exalté,
I’en laisse faire à la posterité :
Quant au veloux, i’en porte moins que toy.
A brief parler, apparence ne voy
En tes propos : dont des escuz six vingtz,
120Que tu perdis (dis tu) quand ici vins,
Me fais doubter : toutesfoys, pour ta veine,
Ie te prometz iurant foy de Fontaine,
Que te dirois, si i’en auois les douze,
Ne tienne aux six que ton pied ne se houze.
125Et nonobstant qu’as dit que trouueras
Vingt escus seurs quand t’en retourneras,
Des apresent tel offre te ferois :
Combien plus fort quand tu m’en requerrois ?
C. Fon [p. 25] 25
[5]
C. FONTAINE,
A
N. le Iouure.
Trois mois y a, tu m’escriuois en prose
Que m’escrirois dans briefz iours quel-
que chose
En vers François, prenant quinze iours terme :
Mais ie t’en ay donné de propos ferme
5Deux mois entiers plus que n’es attermé,
Et si n’as point ton escript confermé.
I’estimois bien au moins qu’à cette foire
Seroit l’effet de tes lettres notoires :
Et si n’eusse onq pensé que fust passee
10Sans quelque Epistre en vers bien compassee.
Plus tost (i’ay dit) Loire ira contremont,
Deuiendra val de Sancerre le mont,
Bourges la belle en Touraine sera,
Et Tours tournant en Berry passera,
15Que Iouure faille, & que son bon cœur cesse
En mon endroit, d’escript & de promesse :
Mais ie suis trop de mon espoir trompé.
Et si tu dis qu’ailleurs es occupé :
Que n’as-tu fait en tes lettres de Tours
20La tiẽne excuse, en deux motz brief, & courtz ?
b5 [p. 26] 26Bourges or sus en la Touraine passe :
Tours vien, en droit de Bourges en la place :
Loire retourne, & contremont remonte :
Descens Sanserre en val soudaine, & prompte :
25Le Iouure faut de promesse, & d’escript :
Et n’est pas tel comme il auoit escript.
O Iouure, amy, quoy qu’on y roigne, ou taille,
Tu n’y saurois mettre piece qui vaille.
Ny plus ny moins que le Poëte aussi,
30Qui feit promesse en passant par ici.
Mais nonobstant resembler ne vous veux :
Bien qu’il y ayt cause dont ie me deux.
Et si plus tost n’ay eu de toy response,
Point n’a tenu à ma grande semonce.
35Ie suis ioyeux qu’as si bien rencontré,
Qu’es en estat, grace, & promesse entré,
Enuers la Dame en cueur des plus entieres,
C’est à sauoir madame de Lynieres.
Que pleust à Dieu qu’en veissiõs maintes telles,
40Ie n’aurois pas ainsi courtes les ailes,
Vn peu plus hault voleroit nostre stile :
Vn Mecenas fait bien vn bon Vergile.
Mais que veux tu ? il me fault prendre en gré,
Et [p. 27] 27Et demourer en ce mesme degré,
45Quand n’est permis que plus outre ie passe
Que seulement en promesse, & en grace.
Car ie ne puis m’esuenter, ne vanter :
Et si ne puis ne presser, ne flater :
Mon naturel ne peult prendre acointance
50Auec ces deux, flaterie, & vantance.
Voila que c’est, vertu, simplicité,
Pres flaterie, & importunité,
Entierement, & tout quicte le perd :
O bon amy, i’en parle comme expert.
55Vertu pourtant s’elle est póure & deserte,
Ne laisse point d’estre noble & ouuerte :
Ne laisse point de luire, & esclerer :
Et ou elle est el’se vient declairer :
Pource que telle est tousiours sa nature
60De se montrer de faict, ou d’escriture.
Malgré le temps, les gens, l’iniquité,
Malgré l’enuie, & la necessité.
Passons plus outre, & ce propos laissons,
Que nostre cœur plus auant ne blessons.
65Tu dis (amy) pource qu’es peu habile
D’vn de tes piedz, par fortune debile,
Que chacun va tousiours plus tost que toy,
[p. 28] 28Et mesmement ou le Sauuage, ou moy.
Mais toutesfois le forgeron boiteux
70Ne fut si mal habile, ne honteux
Qu’il ne passast par sa subtilité
Du grand Dieu Mars la force, & la santé,
Quand le rendit captif, lié, & pris :
Quand fut moqué de tous dieux dehault pris.
75Puis n’a il fait de grand esprit les armes
D’ Achilles preux, en combatz, & alarmes ?
Venus sa femme, & tant belle deesse,
Dame d’amour, & de toute liesse,
Nauree au pied, & laidement boiteuse,
80Laisse elle (ami), d’estre forte, & eureuse ?
Et de passer auec son chaud flambeau
Par tout le monde ? & par feu, & par eau ?
Non, non : mais bien auec son chault brandon
Elle ne fait à nul viuant pardon.
85Et dauantage il est bien tout notoire,
Que de la Troye aux Grecz causa victoire
Philoctetes que d’ Hercules le dard
Naura au pied, dont fut gueri bien tard.
Ainsi les piedz, ni les iambes ne font
90Tardifz de cœur, ceux qui telles les ont,
Et enc [p. 29] 29Et encor moins d’esprit les font tardifz :
Si pren-ie en ieu, & pour rire tes dictz.
En fin me viens de promesse semondre :
Sur quoy (ami) ie te veux bien respondre,
95Que voirement i’auoye en fantaisie,
Mettre en lumiere aucune Poësie,
Ce que n’ay fait : mais ce n’est pas le tout
Que i’ay pensé, sans en venir à bout.
Puis en tel cas tu peux tresbien entendre
100Qu’on ne sauroit iamais par trop attendre :
Le trop haster cause enuie, & malheurs :
Les fruitz tardifz sont tousiours les meilleurs :
Et maint Poëte ayant mal enfourné,
Comme Icarus est cheu trop fortuné.
105Mains tu en says, comme les Sagouïns,
Les hobereaux & causars babouïns.
L’oyseau sans plume & foible, n’est si fol
De se ietter en l’air prenant son vol :
Nul ne se met à regir vn nauire,
110Qui n’a aprins, & ne le sait conduire :
Qui n’est expert ne va sur mer ou terre,
Prendre l’estat de Capitaine en guerre :
Les medecins de medecine traitent :
[p. 30] 30Les charpentiers à charpenter s’arrestent :
115Mais ignorans, & sauans, nous voulons
Escrire en vers, & sans ailes volons,
Trop plus enflez que Cyclicus en vers.
Ainsi qu’on fuit les gens qui sont couuertz
D’infection de roignes, & gratelles,
120Ceux qui d’esprit ont viues estincelles,
Fuyent le fol Poëte, & glorieux :
Les autres folz, ignorans, & sans yeux,
Le vont loüant, l’estiment, & cherissent :
Mais en la fin tous ensemble perissent,
125Et le Poëte, & ses admirateurs :
Bons yeux agus n’ont pas tous les lecteurs.
Il est bien vray, les Poëtes ardans
Ne vont sinon le commun regardans :
Mais gens d’esprit, & les Poëtes sages,
130Craingnent de mettre en auant leurs ouurages :
Redoutans fort qu’il en peult auenir :
Car ilz ont l’œil sur le temps à venir.
Ilz ont en doute, & n’ont pas arresté
Le iugement de la posterité.
135Estime tu (o ami) qu’il suffise
De faire vers en mesure comprise
Bien [p. 31] 31Bien iustement, si qu’on n’en puisse oster
De la mesure, ou aussi adiouster ?
Que soit assez d’auoir bon, & doux stile,
140Termes communs, & langage facile :
Non, non, ami : il fault grand iugement,
Bon sens rassis, pesant soigneusement
Auec l’oreille, & sans legereté,
Le son des vers, la grace, & grauité,
145Là sont plusieurs inuentions requises,
Dignes propos, & sentences exquises :
Si nous voulons qu’ils soient par cy apres
Escritz, gardés en cedre, & en cypres.
Celuy en qui nul sauoir ne deffault,
150Qui a l’esprit bien diuinement hault,
La bouche d’or, & la plume diuine,
Luy seul du nom de Póete est bien digne.
Tout autre estat a mediocrité,
Mais cetuy-cy gist en infinité.
155Brief, ce n’est rien si auec grand science
Ne ioint eureuse, & longue experience.
Et tout ainsi comme entre les repas
Chant de Musique on n’estimera pas
Quand il discorde en la moindre partie,
[p. 32] 32 160Ny vne sausse assez mal assortie,
Car on pouoit de cela se passer :
Pareillement, ami, tu dois penser
Que Poësie a l’esprit ordonnee
Pour recreer, à ce seulement nee,
165S’elle deffaut, voire tant soit petit,
Descend trop bas, & pert tout appetit.
Pource l’on doit long temps ses vers garder,
Car il les faut mille foys amander,
Et chatier, si qu’ilz portent les marques,
170Ou de Varus, ou bien des Aristarques.
Ce qui vaut mieux que de les mettres es dentz
Des enuieux, & detracteurs mordans.
Ouide dit, contre les enuieux,
Que les escritz apres mort plaisent mieux :
175Car fausse enuie aux gens mortz ne s’attache :
Mais sur les vifz iette tousiours sa tache.
Elle se paist de cher viue, de sorte
Qu’elle ne suit, ne quiert point la cher morte.
Vergile, Homere, & autres, en leurs vie [sic pour vies],
180Ont bien senti la dent de fausse enuie.
Pareillement il est tout manifeste
Qu’ Horace humain, en faits : & dits modeste,
Accusé [p. 33] 33Accusé fut iadis de nouueauté,
Et de taxer en trop grand liberté.
185Il est tout seur que ne peult le Poëte
Que quelquesfois ne picque la Chóete,
Le fin Regnard, le Sacre rauissant,
Le Pan pompeux, & le Chien blandissant :
Puis dentz, & becz soudain ces males bestes
190Vont aguísant, & luy dressent leurs testes :
En telz dangers souuent on y demeure,
Ou bien nauré on en vient, ie t’asseure.
Ie t’en pourrois de tout temps, & tous regnes
Alleguer maintz, comme Iules de Senes :
195Par auant luy Ouide, Claudian.
Auec Lucain, & maint autre ancien.
Mais de nostre aage, & de ce temps ici,
Le grand Robin , & Rocardot aussi.
Ouide escrit, & plainement declare,
200Quand il estoit auec la gent barbare,
Loing de sa femme, & loing de tous amis,
Qu’en tel estat Poesie l’a mis :
En païs froit, plein de bize, & de guerre,
Au bout du monde, & en estrange terre.
205Ostez (dit-il) Poësie, & l’estude,
c [p. 34] 34Vous osterez de moy la solitude :
Ostez mes vers vous osterez mon crime.
Mesme en son cœur telle douleur s’imprime
Que quelquesfoys souhaitoit pour tout seur
210N’auoir gouté des Muses la douceur :
Car luy estant ainsi banni par elle,
Ayme son mal de trop conuoiteux zele :
Et ne se peult d’escrire contenir,
En vers, qui l’ont en exil fait venir.
215Mais y venant, au feu ietter il ose
Son plus d’honneur, c’est sa Metamorphose :
Qui s’est sauuee en despit de fortune,
Car de copie il s’en trouua plus d’vne.
Si noz vers sont comme noz enfans mesmes,
220Nous les aymons d’affections extremes :
Et les aymant le cœur ne peult porter
De les voir batre à tort, & souffreter.
O bon amy, c’est chose trop amere
Quand tourmenter voit son enfant la mere,
225Naurer, moquer : Il a la teste ague,
Les piedz tortus, & l’espaule bossue.
Sagement donc nous fault noz vers parer
De longue main, polir, & reparer :
A fin [p. 35] 35A fin que quand on viendra à les voir,
230Nous en puissions moins de reproche auoir.
Car ils ne sont comme enfants qui demeurent
Telz qu’il [sic pour ils] sont faitz, iusques à ce qu’ilz meurent :
Noz enfans sont, quant à l’affection
Que leur portons, & grand dilection :
235Quant au trauail, qu’ilz nous donnent, & cure :
Quant à l’honneur aussi qu’on leur procure :
Mais il nous fault prendre soing de tout point,
Si possible est, qu’il ne nous meurent point.
Et le moyen, c’est que quant ilz sont faicts,
240Ne les laissons rudes, & imperfaicts.
Vn paintre est bien lõg tẽps sur vn tableau,
Quand il le veut rendre perfait, & beau :
Mille foys met la main sur vne image,
Souuent efface, ou y met dauantage,
245Vn trait en haut, & puis vn trait en bas :
D’y aiouster iamais n’en seroit las :
Et quoy qu’auec grand labeur la decore,
Luy, ny autruy ne s’en contente encore :
Au membre droit y aiouste clarté :
250Au membre courbe y met obscurité.
Brief, tant y veille, y aioute, ou efface,
c 2 [p. 36] 36Que plus perfaicte, & plus viue il la face.
Ainsi doit faire vn Poëte constant,
Ses œuures doit garder bien plus que tant :
255Car elles sont trop plus que images paintes.
Garder les fault donques ces œuures saintes,
Reuoir, polir, veiller, les ongles mordre,
Et bien souuent cheueus, & barbe tordre.
Lisons nous pas que le Poëte alloit Vergile.
260Forgeant ses vers mal poliz & faloit
Qu[’]il les leschast long temps pour rẽdre beaux,
Comme fait l’Ourse à ses petis Ourseaux ?
Horace dit que l’honneur des Romains,
Qu’ils ont acquis par sus tous les humains,
265Au faict de guerre, onques n’eust esté moindre
Quant à leurs vers, s’ils eussent peu conioindre
Veilles, labeurs, reueües, & attendre
Que plus perfaicts ilz les eussent peu rendre :
Mais peu soigneux, en euxmesmes contens,
270Vouloient gaingner l’honneur deuant le temps :
Faisans ainsi que feit le glorieux
Empedocles, d’honneur fol curieux,
Qui dans le feu du mont Gibel se iette,
Si qu’apres mort immortel on l’admette.
Mais [p. 37] 37 275Mais au contraire il y est demouré
Mort, bruslé, ars, & tout deshonoré.
L’honneur qui est trop appeté, nous fuit,
Non appete, bon gré mal gré, nous suit :
Car la vertu l’honneur point ne demande,
280Mais l’honneur suit tousiours la vertu grande.
[6]A VNE DAME POVR
la consoler sur la mort de
son mary.
Ces iours passez mon esprit a conceu,
Mais a gouté, consideré, & sceu
Le dueil qu’auez, au moins vne partie,
Pour le depart de la vostre partie,
5Feu Monseigneur : Or combien que i’arriue
Pour le present en la saison tardiue,
Si ay-ie quis l’occasion expresse
Que par escrit ma plume à vous s’adresse.
I’escriray donc, voire cenonobstant
10Que la vertu de vostre cueur constant
Laquelle luit en vostre face, & yeux,
En vostre port, & maintien gracieux,
Facilement pourroit estre maitresse
c 3 [p. 38] 38D’vne infinie amertume, & detresse.
15Premierement vous n’estes à sauoir
Que rien parfait au monde on ne peult voir :
Secondement que Dieu a ordonnez
Noz certains iours, si tost que sommes nez :
Et tiercement que meilleurs biens possede
20Le bon cretien qui en la foy decede.
Ces trois pointz là bien imprimez en cueur,
De tout ennuy le font maistre, & vainqueur :
Ces trois poinct [sic pour poincts] là, en vostre conscience
Engendreront confort, & patience.
25Considerez donques en premier point,
Quand le remors de telle mort vous point,
Qu’il n’y a rien en ce monde durable,
Rien de parfait, rien de constant, ne stable :
Et si voulez es choses naturelles
30Querez exemple, & les trouueres telles.
Ne voyez vous qu’apres le iour qui luit,
Incontinent nous prent la noire nuict :
Ne voyez vous comment ne nuictz, ne iours,
N’yuer, n’esté, ne durent à tousiours ?
35Mais l’vn s’en va, puis apres l’autre vient,
Puis s’en reua, mais iamais ne reuient.
Ne [p. 39] 39Ne voyez vous que la muable Lune
Durant le iour ne rend lumiere aucune ?
Ne voyez vous tout au contraire aussi,
40Que le Souleil, tant beau, tant esclarci,
Apres qu’il a dessus nostre hemisphere
Rendu chaleur, & grand lumiere clere,
Faisant son tour, donne à la Lune place,
Qui vient de nuict auec sa brune face ?
45L’yuer tant laid succede au bel esté :
Dieu a le tout en ce point arresté
Et a voulu toute chose en son ordre,
Dessus autruy n’entreprendre, ne mordre :
Ne pourroit pas le beau Souleil contendre
50De quoy ne peult ses rays de nuict estendre ?
La Lune aussi repliquer à son tour,
A quoy tient il que ie ne luis de iour ?
Certainement ores que parler peussent,
Ne le diroient : & encor que dit l’eussent
55Ia pour leur dit ainsi ne seroit fait :
Ains dureroit l’ordre en nature faict :
Car le seigneur, qui par tout seigneurise
Ia vne foys y a sa grand’ main mise.
Au second poinct, quand bien y penserez,
c 4 [p. 40] 40 60Plus au leger vostre dueil passerez :
Car Dieu n’a pas ordonné seulement
Vn certain ordre en chacun element,
Comme en la mer, qu[’]il a si bien bornee,
Qu’elle ne peult la terre bien ornee
65D’arbres, & fleurs, iamais outrepasser :
Mais a voulu nostre aage compasser,
Et y a mis par science hautaine
Vn ordre tel, vne fin si certaine,
Que tout viuant en aucune manière
70Ne peult aller ny auant, ny arriere.
Pource l[’]on dit, quand on veult excuser
La mort d’autruy, & en rien n’accuser
Du sort facheux quelque desconuenue,
Remede n’a, son heure estoit venue :
75Pareillement on dit souuentesfois,
Va ou tu peux, & meurs là ou tu dois.
Iesuchrist dit, & bien nous admonneste,
Que ne peult cheoir vn poil de nostre teste
N’aussi de l’arbre vne fueille petite,
80Sinon quand Dieu le permet, & l’incite.
Que veult-il donc par ces similitudes
Donner entendre aux gens simples, & rudes ?
Sinon [p. 41] 41Sinon qu’en nous, soit de vie, ou de mort,
Dieu permet tout, & si n’a iamais tort ?
85Et qu’en nous tous la mort eureuse, & bonne
Dieu la permet, Dieu l’enuoye, & la donne ?
S’il est ainsi mesmement qu’vn potier
Façonnera vn pot de son mestier
Pour durer peu, l’autre pour long espace,
90Pourquoy ne peult le grand ouurier, qui passe
Les autres tous, en nous vie inspirer
Pour tost ou tard de nous la retirer ?
Ha, gardons nous que par nostre imprudence
N’entreprenons sur sa grand prouidence,
95Contredisans à son autorité
Iob a escrit que Dieu a limité
Le temps de l’homme : & si tel le veult faire,
Qui est celuy qui dira du contraire ?
Ou est le cœur, tant soit triste, & marri,
100Qui dit pourquoy m’ostes tu mon mari ?
Femme, tais-toy, & baisse les oreilles
Aux faitz de Dieu (choses tant nompareilles.)
Dy seulement, soit en terre, ou au ciel
Soit dessus moy, soit sur ieune, ou sur viel,
105Le seigneur Dieu face son bon plaisir :
c 5 [p. 42] 42Dy seulement, quand dueil te vient saisir,
N’auois-ie pas espoux homme mortel ?
Non pas espoux plus qu’homme, ou immortel ?
Quant au tiers point fault que vostre
esprit
gouste
Que le Cretien qui est mort, somme toute,
Il est bien mieux qu’il n’estoit pas ça bas :
Et que pour vn, il a cent mille esbas :
Ie di pour vn, si au monde il s’en trouue,
Voire vn tout seul, que vray plaisir on prouue :
115Car ie ne voy qu’on me puisse prouuer
Qu’au mõde on puisse vn parfaict bien trouuer,
Ioye n’y a tant soit elle acomplie,
Qu’elle ne soit de peine, & dueil remplie :
Il n’y a bien qu’on die tant parfaict,
120Que quelque mal n’accompaigne en effect.
Et bien souuent ou plus grand eur abonde,
S’y vient ruer le malheur de ce monde.
Hannibal s’est tué par sa poyson :
Et Cesar fut occis en trahison.
125Pareillement le grand, & fort Pompee,
Pour son refuge eut la teste coupee :
Iadis plusieurs en ont donc fait l’essay,
Et en noz iours monsieur de Samblançay,
[p. 43] 43Qui fut vn temps au plus hault de fortune,
130Et maintenant au plus hault d’infortune.
Vn chancelier est mort par vn faux pas
De son mulet, qui est vn piteux cas :
Et l’autre cheut du hault d’vn tel office
En la prison, loing de grace, & seruice :
135Et puis Ionas dans la mer englouti,
Dont il n’est point comme l’autre sorti :
Aioutez y le Gentil president,
Qui pres Paris feit le fault euident.
Les plus grãs vens les plus hautz arbres fachẽt :
140Foudre & tempeste aux plus haultz
mons s’at-
tachent.
Mais le Cretien mort chez soy en honneur,
O qu’il est plein de grace & de bon heur !
Maintenant rit & fortune il despite :
Maintenant monde, & mort il suppedite :
145Et maintenat il se trouue tresbien
Auecques Dieu, son tressouuerain bien.
Madame donc, estes vous enuieuse
De son grand bien : O espouse facheuse !
S’il n’est plus cy attendant ce moment,
150S’il n’est plus cy tousiours en mouuement,
Comme tendant de fleur d’aage en vieillesse,
[p. 44] 44De vie à mort, de force à la foiblesse,
Et toutesfoys en plaintz, en pleurs, & criz,
Le souhaittez encor en ces perilz,
155Il m’est auis (dame ne vous desplaise)
Que vous montrez fachee de son aise.
Si à present il luy estoit permis
Qu’à vous parlast, & qu’il vous fust transmis,
Il vous diroit : bonne espouse, & amie,
160Cesse vn petit, cesse d’estre ennemie
De mon grant bien, lequel si tu sauois,
Tant de souspirs, & gemissantes voix,
Tant de regretz cesseroient tout à l’heure :
Car ie ne puys estre en place meilleure.
165De tous les biens du monde ne me chault :
Ie ne suys plus subiet à froit ne chault,
A faim, à soif, à manger, ny à boire :
Car maintenant suys en parfaicte gloire :
Me desirant en ce terrestre val,
170N’y souspirant, tu desires mon mal :
Car tout l’honneur qui peult estre en ce monde,
Enuers le ciel ce n’est que chose immonde.
I’ay acompli, & fait vn grant voyage,
I’ay ia passé le dur, & grief passage,
M’y [p. 45] 45 175M’y veux tu dont mettre à recommencer,
Par ton crier, ton pleurer, & penser ?
Non, non : en vain ton cueur en dueil seiourne
M’y regretant, iamais ie n’y retourne,
Car ie ne puys : & quand bien le pourrois :
180Certes aussi retourner n’y voudrois
Tu es encor (grace à Dieu) ieune & saine,
Tu es encor de vie, & vigueur pleine
Pour contenter autre noble mari,
Dont ne seray, ne doy estre marri :
185Car entre nous la mort interuenue
Fait qu’en ce cas n’es plus à moy tenue.
Mort rompt tousiours la loy de mariage :
Mais i’en remetz à ton cueur bon, & sage,
Lequel saura apres bien proposer,
190Discretement de tout cas disposer.
Dido la royne extremement marrie
De son espoux Sycheus, se marie
Cenonobstant à Eneas Troyen,
Quand fort amour luy donna le moyen.
195Voila comment vostre loyal espoux,
Vous consolant tiendroit propos à vous :
Voila comment feu monseigneur diroit :
Quan [p. 46] 46Quand à present à vous il parleroit :
Maintenant donc cette parolle bonne,
200Si la prenez comme de sa personne,
Si l’estimez comme de luy parlant,
La sentirez vostre esprit consolant :
La sentirez chassant dueil sans seiour,
Comme souleil la nuict au point du iour.
205Mais, dame, plaise à la prudence vostre
De prendre en gré ce petit labeur nostre.
[7]À MADAME
RENEE
DE FRANCE,
DV-
chesse
de
ferrare.
Fille de Roy, & treshaute Duchesse,
Fleuron du Lys, fleur de toute noblesse,
Fille de Roy, diray-ie plus grand cas ?
Fille de Dieu, & tresbonne Dorcas :
5Si ta bonté, par tout tant decoree,
Si ta vertu, des cieux mesme admiree,
A fait monter la Fontaine en maint mont,
Et [p. 47] 47Et transuerser la France, & le Piedmont,
En querant droit de ton païs la riue
10Ou à present grace à Dieu elle arriue,
Pour saluer ta hautesse tant pleine,
Au son tant bas de sa petite veine :
Tu dois penser que son petit pouoir
N’est sans auoir pour guyde grant espoir.
15Plusieurs marchans, ayans ce monde cher,
Des perles vont jusqu’aux Indes chercher :
Autres vont loing pour voir bien peu de chose :
Mais ce bas monde (ainsi dire ie l’ose)
Bien grant besoing auroit en mainte terre
20De telle perle, & precieuse pierre.
Le sage Roy Salomon renommé,
Bátit iadis vn beau temple estimé,
Plein de richesse, & de deuotion,
Qu’on alloit voir par admiration :
25Mais Iesuchrist, vray Salomon le sage,
En a ici vn riche à l’auantage :
Edifié, d’industrie naïue,
Et si l’a fait de belle pierre viue,
Et consacré de son sang precieux,
Qui [p. 48] 48 30Qui le fera eleuer iusqu’aux cieux.
Eureux donc l’oeil qui voit & qui contemple
Les dons de Dieu dedans ce sacré temple :
Et plus eureux qui par immortel nom
Luy en rendra grace, gloire, & renom.
S’ENSVIVENT LES
ELEGIES.
[p. 49]
49
[1]ELEGIE SVR LE
trespas de
Catherine Fontaine,
sœur de
l’
Autheur.
L as, elle est morte, elle est en terre mise
Celle que Dieu, voire seule, a permise
Viure auec moy, apres tout frere
•
il s'agit de
Pierre Fontaine,
Benoist Fontaine
&
sœur
•
il s'agit de
Jacqueline Fontaine
,
Et apres pere & mere : or est il seur.
5Las, elle est morte, & en terre boutee.
Mercure auec sa verge redoutee
De tous esprits, Mercure aimé des Dieux
Son cler esprit a conduit es hauts cieux.
Arriere pleurs donques, Fontaine, arriere :
10Pourquoy es tu conuertie en riuiere ?
Or say-ie bien que quand ie chanterois
Mieux qu’ Orphëus, ne la retirerois
De la puissance & charge de Mercure,
Qui, en ce cas, de m’exausser n’a cure :
15Et si say bien qu’elle a son mal vaincu,
Par qui elle a plus languy que vescu
Cinq ou six ans : mais l’amour fraternelle
Ne me sauroit deffaillir enuers elle.
d [p. 50] 50C’est ceste amour qui l’arrose en mes pleurs,
20Et l’arrosant augmente mes douleurs.
C’est ceste amour, sur toutes principale,
Qui m’a rendu esplouré, triste, & palle.
C’est ceste amour que nature enracine,
Qui de mon poing fait batre ma poictrine,
25Et qui me fait auec pleurs souspirer,
Tant que ne puis mon aleine tirer.
Si Aurora, & Tethys, grans Deesses,
Du ciel & mer regentes, & princesses
Ont tant pleuré Achilles, & Memnon,
30Puis-ie ne pleindre, & ne pleurer ? ha non.
Et si encor du grand Souleil les filles
Ont eu les yeux à pleurer tant faciles
Dessus leur frere, abysmé sans secours,
Qu’en arbre humide, & qui pleure tousiours
35Muees sont : qui me pourra deffendre
De ne pleurer ma sœur, ia terre, & cendre ?
Toy son espoux pleure sur ton espouse :
Et moy son frere, autant que dix ou douze
Dessus ma sœur ie pleureray sans cesse.
40Or sus allons tous deux pleins de tristesse,
Vestuz, helas, de noirs habitz non ceinctz
Les [p. 51] 51Les yeux de pleurs, les cœurs de regretz pleins,
Chanter sus elle vn piteux requiem.
Allons offrir à Pluton l’ancien,
45Vin auec laict, noirs moutons, & brebis.
Allons en dueil & de cœurs & d’habitz
Ses beaux os blancs recueillir tous ensemble.
Auec la main qui toute de dueil tremble :
Puis les mettans en beau coffre de marbre,
50Pres d’vn cypres, qui est douloureux arbre,
Les baignerons en pleurs, en laict, & vin,
Entremeslans ce seruice diuin
De telz regretz : Or es tu trespassee,
Et comme fleur or es tu tost passee.
55Encor n’auois ton cours demy parfaict,
Quand fauce mort ce meschant tour t’a fait :
Encor n’auoit la ride fait outrage
A ton bening, & ton tendre visage.
Cire n’auoit bordé tes yeux si bons,
60Ny la blancheur gasté tes cheueux blonds.
Maudite mort, tousiours tes noires ailes
Abbatront ilz les choses les plus belles ?
Outre ceux là, tant de regretz diray
Qu’au tour de moy tout l’air i’en rempliray.
d 2 [p. 52] 52 65Ma seule sœur, non plus sœur, car ie suis
Frere sans sœur, di pourquoy tant me fuis ?
Tu n’auois pas demi parfait ton aage
Quand Lachesis trop lasche de courage
Ne voulut plus desuuider le beau fil
70Tant delié, tant blanc, & tant subtil,
Lors Atropos par trop pleine d’enuie
S’en vint couper ce beau fil de ta vie.
Pourquoy m’es tu tant contraire, ô fortune ?
Quand apres tout tu m’en as fait perdre vne,
75Vne de corps qui valoit dix de cœur ?
Perdue l’ay suyuant vn belliqueur,
Loing de Paris, voire bien loing i’estois,
Entre les monts la mort ie ne doutois :
Et toy ma sœur qu’en la plaine laissoye
80Dedans Paris trouuas de mort la voye.
Fontaine, helas, depuis que tu fus né
Or es-tu bien au monde fortuné.
Mais si i’ay veu quelque temps si prospere
Que frere estois, ores ne suis plus frere :
85Car i’ay perdu le reste de mes sœurs,
Qui me sera commencement de pleurs.
Eleg [p. 53] 53
[2]ELEGIE SEVR LE
trespas de
René,
cinqiesme [sic pour cinquiesme] en-
fant, & tiers filz de
l'auteur.
Dieu te gard donc mon petit filz René,
A Dieu mon filz aussi tost mort que né :
Dieu gard mon filz venant sur terre ronde,
Adieu mon filz departant de ce monde.
5Tu n’as encor le laict bien sauouré,
Tu n’as encor le tien pere honoré,
Ne seu que c’est de maux & de liesses,
Que loing de nous tu t’en vas, & nous laisses.
Tu n’as encor vne seule sepmaine,
10Que tu depars de ceste vie humaine.
Pourquoy fais-tu ton dernier partement
Si tost apres le tien enfantement ?
Petit enfant qui t’a donné enuie
De si soudain aller en l’autre vie ?
15Il semble à voir que tu congneusses bien
Qu’en ceste vie y a petit de bien,
Dont as choisi les grans ioyes celestes
Pour de ce monde euiter les molestes.
Petit enfant ie croy bien que tu as
20Vn autre pere au ciel, là ou tu vas,
d 3 [p. 54] 54Lequel a fait que ton cœur le desire,
Quand le charnel laisses pour l’autre elire.
Petit enfant qui n’as guerre teté,
Ie ne croy point que tu n’eusses gousté
25Du laict celeste, au moins deux ou trois goutes,
Quand tu t’en vas à fin que plus en goustes.
Puis que tu veux l’eternel bien choisir,
Laissé m’en as vn merueilleux desir.
O mon enfant qui as vie tant brieue,
30La mienne, estant moyenne, m’est ia grieue :
Et si te dy qu’à l’exemple de toy
Me tarde bien que mon Dieu ie ne voy.
SENSVYVENT LES
chantz divers.
[1]ET PREMIEREMENT,
Chant sur la naissance de
Ian,
second
filz de
l’auteur.
M on petit filz qui n’as encor rien veu
A ce matin ton pere te salue :
Vien t’en, vien voir ce monde
bien
pourueu
D’honneurs & biens, qui sont de grant value :
5Vien voir la paix en France descendue :
Vien voir François, nostre Roy, & le tien,
Qui a la France ornee, & deffendue :
Vien voir le monde ou y a tant de bien.
Vien voir le monde, ou y a tant de maux,
10Vien voir ton pere en proces, & en peine :
Vien voir ta mere en douleurs, & travaux,
Plus grands que quant elle estoit de toy pleine :
Vien voir ta mere, à qui n’as laissé veine
En bon repos : vien voir ton pere aussi,
d 4 [p. 56] 56 15Qui a passé sa ieunesse soudaine,
Et à trente est en peine & souci.
Ian, petit Ian, vien voir ce tant beau monde,
Ce ciel d’azur, ces estoilles luisantes,
Ce Soleil d’or, cette grand terre ronde,
20Cette ample mer, ces riuieres bruyantes,
Ce bel air vague, & ces nues courantes,
Ces beaux oyseaux qui chantent à plaisir,
Ces poissons frais, & ces bestes paissantes :
Vien voir le tout à souhait, & desir.
25
Vien voir le tout sans desir, & souhait,
Vien voir le monde en diuers troublemens,
Vien voir le ciel, qui ia la terre hait,
Vien voir combat entre les elemens :
Vien voir l’air plein de rudes soufflemens,
30De dure gresle & d’horribles tonnerres :
Vien voir la terre en peine & tremblemens :
Vien voir la mer noyant villes, & terres.
Enfant petit, petit & bel enfant,
Masle bien fait, chef d’œuure de ton pere,
Enfant [p. 57] 57 35Enfant petit en beauté triomphant,
La grand liesse, & ioye de ta mere,
Le ris, l’esbat de ma ieune commere,
Et de ton pere aussi certainement
Le grand espoir, & l’attente prospere,
40Tu sois venu au monde eureusement.
Petit enfant peux-tu le bien venu
Estre sur terre, ou tu n’apportes rien ?
Mais ou tu viens comme vn petit ver nu ?
Tu n’as ne drap, ne linge qui soit tien,
45Or, ny argent, n’aucun bien terrien :
A pere & mere apportes seulement
Peine & souci : & voila tout ton bien.
Petit enfant tu viens bien pourement.
De ton honneur ne vueil plus estre chiche,
50Petit enfant de grand bien iouissant,
Tu viens au monde aussi grand, aussi riche
Comme le Roy, & aussi florissant.
Ton Tresorier c’est Dieu le tout puissant,
Grace diuine est ta mere nourrice :
55Ton heritage est le ciel splendissant :
Tes seruiteurs sont les Anges sans vice.
d 5 [p. 58] 58
[2]Chant nuptial allegorique.
Par vn matin que Phebus vit
Aurora la gente, & la belle,
Sa grace, & beauté naturelle
Si fort l’esprint, & le rauit,
5Qu’apres l’aymer, la poursuyuit.
La poursuyuant demoura telle,
Sa constance n’en perdit elle,
Ains plus grant beauté s’ensuyuit,
Iuppiter de son trosne hault,
10Dont la prouidence ne fault,
Voyant cette amour commencee
N’eut onques contraire pensee :
Transmit auec son brandon chault
Venus sa fille, qui tant vault,
15Par qui l’amour fort auansee,
Feit qu’ Aurora fut fiansee.
Dont la ioye au ciel ne deffault,
Car tous les dieux & les deesses
Menerent diuines liesses :
20Hymen apres les fiansailles
Les va semondre aux espousailles :
Iuno, l’vne des grans princesses,
Y vint [p. 59] 59Y vint couuerte de richesses :
Mars quicta ses dures batailles :
25Vulcain en laissa ses ferrailles :
Tous dieux feirent feste & caresses
Et chacun d’eux les honora
Pour l’vnion de leurs haultesses.
30Apollo auoit, encor a,
Sa harpe de fin or doree,
Sa harpe des dieux adoree,
Dont les nopces il decora,
En iouant matin, & seree.
35Qui en la sorte le verra,
Et sa chanson diuine orra,
Sera bien personne honoree :
Et qui à sa note sacree
Vn seul tordion dansera,
40En l’instant immortel sera.
Mercure, qui maint cœur recree,
Dont le chant mesme aux dieux agree,
Y deffailloit tant seulement :
Iuppiter en autre contree
45L’enuoya de son firmament
Porter message promptement
[p. 60] 60Pour le Dieu Mars, qui au banquet
Alloit portant ioyeusement
Au bout de sa lance vn bouquet,
50Qui se rioit au ferrement.
[3]LE DIEU GARD À
la ville de Lyon, faict l’an
1540.
Dieu gard Lyon, la clef de France,
Pleine de gens, & de cheuance :
Dieu gard Lyon, qu’en marchandise
Par-dessus toute autre l[’]on prise :
5Dieu gard Lyon, dont m’esmerueille,
Apres Paris la nompareille :
Dieu gard Lyon bien decoree
De mainte deesse honoree.
Dieu gard les seigneurs, & les dames.
10Dieu gard les corps, & plus les ames :
Dieu garde le Rosne auec la Saone :
Que fussiez vous vin blanc de beaune,
Ou encor meilleur, & plus doux,
Croyez que i’en beurois à vous.
L’adieu [p. 61] 61
[4]L’ADIEV À LADITE
ville, ou
l’auteur
auoit prins fem-
me, & pour vn sien proces
s’en alloit à Paris
l’an
1547.
A Dieu Lyon la clef de France,
Abondant en toute plaisance :
Adieu Lyon, dont ie depars :
Adieu amis de toutes pars.
5Adieu mon seul filz & sa mere :
Priez à Dieu qui gard le pere.
Adieu les dames de Lyon,
Et des atours vn milion :
Ie ne dy point adieu dorures,
10Cheines, carquans, & garnitures,
En May, que fustes en esmoy,
Ilz vous dirent adieu sans moy.
Adieu comperes, & commeres :
Adieu les filles, & les meres :
15Adieu les filles bien coiffees,
Doy-ie dire nymphes, ou fees ?
Adieu le Rosne, adieu la Saone,
Qu’eussiez vous le sable d’or iaune
Comme le beau fleuue Tagus.
[p. 62] 62 20Adieu les yeux fins, & agus,
Adieu les beaux tetins ouuers,
Adieu les colz tous descouuers :
Adieu veloux, & fine soye,
Adieu iusques ie te reuoye.
25Mais adieu ne diray-ie mye
A l’amy, qui de son amye
Quatre beaux cheueux m’apporta ?
Adieu le chef qui les porta :
Adieu le corps qui le chef porte :
30Adieu celuy qui les apporte :
Que puissiez vous tous deux tousiours
Eureusement viure en amours.
[5]Le Dieu gard à la ville
de Paris.
Dieu gard Paris le chef de France,
Qui est le lieu de ma naissance :
Dieu gard Paris, puis que ma veuë
Depuis sept ans ne l’auoit veuë :
5Dieu gard Paris creuë, & enflee,
De gens, & maisons redoublee,
Qu’on vit tresgrant croissance prendre
Du temps de la grant Salemandre :
Dieu [p. 63] 63Dieu gard Paris encor croissant
10Du temps de ce noble Croissant.
Dieu gard Paris en communs dictz,
Des femmes le grant Paradis.
Dieu gard Paris, entre dix mille
La grande, longue, & large ville :
15Dieu gard le plus hault Parlement,
Iugeant tant equitablement,
Qu’il est, par sus tout autre iuge,
Des oppressez le vray refuge.
Dieu gard la ville, & la cité,
20Et la haulte vniuersité,
Vray mont d’Helicon, ou les Muses
Sont copieuses, & diffuses,
Ou maint bon esprit me semond :
Dieu gard donques, Dieu gard ce mont
25Qui toute la ville decore.
Dieu gard les Pontz : Dieu gard encore
Les longs fauxbourgs, pres des villages :
Dieu gard les beaux grans heritages
Dieu gard sainct Denis, & Montmartre :
30Et de sainct Valeri le tertre.
Dieu gard ma maison paternelle,
Au be [p. 64] 64Au beau milieu de l’Isle belle,
Maison assize vis à vis
De nostre dame, & du paruis,
35Qui a la belle fleur de France
Pour son enseigne & demontrance.
Dieu gard mes parens, & amis :
Dieu me gard de mes ennemis :
(Si la fortune ennemis donne
40A celuy qui ne hayt personne :
Et si l[’]on porte inimitié,
A cil qui ne quiert amitié.)
O quel desplaisir mon cœur sent,
Que ie ne puis dire à present,
45Dieu gard mon pere auec ma mere,
Dieu gard ma sœur • la dernière sœur vivante de Charles Fontaine est Catherine Fontaine , dieu gard mon frere • Le dernier frère vivant de Charles Fontaine semble être Pierre Fontaine !
Dieu gard Clamart & Ian Ticier
Mon gentil pere nourricier :
Dieu gard sa femme sans malice,
50Qui fut ma gentille nourrice :
Dieu gard la riuiere bien pleine,
C’est asauoir la belle Seine,
Dont i’ay veu de fresche memoire
Deux belles sœurs, la Saone, & Loire.
Dieu [p. 65] 65 55Dieu gard de plus grande ruine
Le pont saint Michel, qui decline.
Dieu me gard de beaucoup troter,
Ie pourrois bien trop me croter :
Dieu me gard que mon long proces
60Voye deux foys sol en Pisces.
[6]PETIT CHANT DE
lovange, à
tresillvstre,
& tresuertueuse Princesse, Madame
Marguerite
de France,
Du-
chesse de Berri, fille
&
sœur de Roy.
Fille de Roy perle vnique de France,
Et sœur de Roy d’inuincible puissance,
Seule Pallas dont l’oliue on espere,
Signifiant paix au monde prospere,
5Vraye Pallas en science, & vertu,
En cœur, de force armé, & reuetu,
Des bons espritz le support & l’attente,
Comme ta noble, & vertueuse tante,
Qui t’a laissé (apres que par grand aage
10Elle a vescu) cet office en partage,
Si que l’on dit qu’elle reuit en toy
e [p. 66] 66Par ton grand sens, & purité de foy :
O de tous biens la source & la Fontaine,
En qui la France a fiance certaine,
15Ie di encor toute la Chrestienté,
De voir vn iour son repos & santé,
Si en mes vers tant bas, voulois coucher
Ton loz tant hault, ou ma plume aprocher
Tant seulement, à descrire en mon stile
20De tes vertuz la moindre entre cent mille
(Combien qu’en toy n’y a don que bien grant)
Ie n’aurois pas Apollo pour garant.
Car ton illustre, & treshaute noblesse,
Ton cler esprit, ta diuine sagesse,
25Ta modestie, & tant forte constance,
Ta iuste main, ta vraye temperance,
Puys ta beauté, & plus qu’humaine grace,
Brief, tout en toy toute Muse surpasse.
[p. 67] 67
S[’]ENSVIT VN LIVRE
d’epigrammes, adressé par
l’auteur,
à Monsieur le conseiller
Ian Brinon.
A pres lõgs traits des traitez precedẽs,
Pour le repos & d’esprit, & d’aleine,
Suyuez, Seigneur, lisant ici dedans
Ces petis vers en ma petite veine,
5Dont la matiere est en partie pleine
D’honneste ioye, & recreation :
Et excusez ces ruisseaux de Fontaine
Sus mon vouloir, & bonne affection.
[2] L'auteur à sa Flora.
I’ay delaissé à Paris mes parens
Pour auec toy estre à Lyon lié :
I’ay laissé loing mes amis apparens,
I’ay mon païs, & mon bien oublié
5Pour à toy seule estre seul desdié,
Tant qu’à Flora Zephyr loyal fut onque :
Puis qu’ainsi est, tu es, & seras donque
e 2 [p. 68] 68Ton seul Zephyr par grand amour suyuant :
Aussi tu fuys tout autre homme quelconque,
10(Hors mis luy seul) tout autre homme viuant.
[3]L’AVTEVR À SES
amis, amateurs de Poësie.
Le trezieme du moys fus né
Qui de Iules porte le nom :
Et moy bien peu, ou du tout non.
5Iules en triomphe eut renom :
Mais bien tost Phebus parfera,
Et les neuf sœurs dont suis mignon,
Que ma Muse triomphera.
[4]A Michel du Rochay.
Rochay, Rocher d’amitié ferme,
Par oui dire tu as seu
Mais par escrit te le conferme,
C’est qu’à Lyon i’ay liesse eu,
5Et que tant bon eur i’ay receu
Que ie n’ay plus de moy pitié :
Parfait suis, & ne suis deceu,
Car i’ay recouuré ma moytié.
L’aut [p. 69] 69
[5]L’AVTEVR À SA
Flora.
Nous viuõs bien, sans tort faire à personne,
Et toy, & moy, & nos enfans aussi :
Le grand tresor de santé Dieu nous donne,
Que ie pry fort nous maintenir ainsi.
5Des biens mondains auoir ne puis souci,
Mon esprit sent quelque cas de plus hault
Que s’abaisser à cette terre cy :
Du ciel il vient : là retourner luy fault.
[6]A MONSIEVR
Brinon.
Le ieu est faict pour la resiouissance
Autãt ou plus que pour perdre ou gaigner :
Mais resiouy pourrois ie estre en l’absence
De ma Flora qui me peult seule orner
5De fleurs de ioye, & seule regaingner.
Seule elle m’a gaingné, & puis perdu,
Dont son esprit, dans le mien, esperdu,
Me regaingnant se perd, & se perdra,
Iusques à tant que son gaing, loyal deu,
10Par sa presence esiouy me rendra.
e 3 [p. 70] 70
[7]Dieu gard à la ville de Chartres.
Dieu gard Chartres, & les Chartrains,
Et toy mon grand amy d’elite,
Qui ma Muse à te voir contrains
Pour l’honneur plus grand que merite
5La vertu qui dans toy habite :
Dieu gard ta nymphe & damoiselle,
Ta famille, & toute ta suite,
Et bon eur soit tousiours en elle.
[8]Au lecteur.
Si Martial est renommé
Epigrammataire gentil,
Pour auoir son temps consumé
Et maint epigramme subtil,
5Pour quoy donc ne sera l’outil
De ma Françoise Muse aymee,
Renommé ? encores eust il
La pointe vn petit moins limee ?
A Iean [p. 71] 71
[9]À
I. Gentil,
& à son
fils,
menestriers de
Paris, & Musiciens
du Roy.
Tv es Gentil, Gentil es tu
De cœur, de corps, de nom, de faict :
Et si vas gentiment vestu
Auec ton filz que tu as fait
5Comme vn autre toy tout parfaict
A sonner les gentes aubades :
Qui fait gentilz saultz, & gambades
Que me montrastes gentement :
I’ay veu Phebus, & les Dryades
10Ne baler pas plus brauement.
[10] L'auteur à ses Vers.
C’est vous, c’est vous mes petis metres
Qui me faites estre du nombre
De ceux lesquelz viuent en l’ombre,
En la peine, & plaisir des lettres.
[11]Dieu gard à la ville d’Oorleans [sic pour Orleans],
en Nouembre. 1554
Dieu gard la ville d’Orleans,
Ville sus toute bien fournie
e 4 [p. 72] 72D’excellens vins qui sont leans
En grand quantité infinie :
5Dieu gard mon alliance vnie,
Touchet, planté au territoire :
Son nom, que ma Muse n’oublie,
Sur le vieil temps aura victoire.
[12]À Monsieur le Baron de l’Espinasse.
Reuisitant vostre grand librairie
(Seigneur Barõ) mõ esprit eut grãd ioye :
Mais puis apres, entrant en facherie,
Il commença cheminer autre voye :
5Et c’est pourtant que fortune conuoye
Mon esprit prompt d’vn regard de trauers :
Et que ne puis, par faulte de monnoye,
Liures auoir, soit en prose, ou en vers.
[13]À Monsieur Angelus.
I’ay bien deux ou trois cens amis,
Mais voire bien deux ou trois mille :
Si donc chacun d’eux auoit mis
Pour petite estreine gentille
5Vn bel escu d’or, croix & pille,
En ma bourse, voire & non plus,
Lors [p. 73] 73Lors par leur amitié vtile
I’aurois deux ou trois mille escus.
[14]À Monsieur Saliat.
Ie ne suis pas vn importun,
N’y ne seray, ny n’ay esté :
Mais trouuant le temps opportun
Vers quelque homme d’autorité,
5Lors sans grande solennité
(Et sans trop me recommander,
Sous espoir d’en tirer du bien)
I’ay demandé sans demander,
Ou n’ay demandé du tout rien.
[15]À Monsieur le Conseiller
Ian Brinon.
Sous vn climat tous deux nous sommes nez,
Tous deux d’vn cuir, & quasi d’vn pelage :
Sous mesme guide, & de feruent courage
Nous poursuyuions de science estre ornez :
5Et puis encor ces trois nous sont donnez,
Vn parler cler, & quasi vn mesme aage,
Vne amitié de bien ferme alliance :
e 5 [p. 74] 74Puis qu’ainsi est, di moy en conscience,
Comment se fait qu’as si grand auantage
10Par dessus moy, en biens, & en science ?
[16]Apostrophe à la riuiere de Saone :
quand
l’Auteur
faisoit
sa
prouision en Bour-
goigne.
De toy me plaings, Saone sourde, & fa-
cheuse,
Et m’en plaignant, ie ne fay que deuoir :
A m’exauser tu es trop paresseuse,
Ne t’abaissant pour me porter reuoir
5Flora ma Nymphe : & sans moy la vas voir
Dedans Lyon, ou i’aspire, & i’espere :
S’il ne te plaist m’y donner cours prospere
Dedans briefs iours, vers mon cœur, & mõ biẽ,
Ie le diray au Rosne ton grand frere,
10Rosne le fort qui te menera bien.
[17]À sa Flora.
Ie suis bien sain, & si vis à regret
En mon seiour, de mon destin permis :
Ie ri aux gens, & souspire en secret
Qui ay plus mis que ne t’auois promis,
Voire [p. 75] 75 5Voire de temps i’en ay doublement mis.
En deuisant, mesme à table, il m’ennuye :
Et si me fasche entre mes grans amis,
Loing de Flora, ma seule & grande amie.
[18]Autre à elle mesme.
La Saone va sur les prez, & buyssons
Lauer les piedz des arbres esbahis,
Qui vont tremblans auec leurs chefs grisons,
Et pensent estre en vn nouueau païs,
5Car de voir l’eau ilz sont tous esblouys.
Tout ainsi est la Fontaine esblouye,
Tout ainsi est la Fontaine esbahie
De ne plus voir Flora qui tant merite :
Et voudroit bien, pour estre resiouye,
10Courir au pied de cette fleur d’elite.
[19]À vn
glorieux importun,
qui s’en-
queroit
tousiours, & trop, de
l’auteur,
que c’est qu’il
faisoit.
C’est raison que ie remercie
Cil qui tant de moy se soucie
Que s’enquerir tant que ie fais,
Sans que i’enquiere de ses faits :
Ie [p. 76] 76 5Ie luy respons par raison viue,
Que ie songe, à fin que ie viue.
[20]Autre, audict importun.
Te rencontrant, ce m’est vn faix,
Qui t’enquiers tant de mon affaire :
Mais quand tu quiers tant que ie fais,
Ie croy bien que tu n’as que faire.
[21]À sa Flora.
Nul chantz y a aux champs,
Nul oyseau y iargonne :
Mais les vents y couchans
Meinent si rudes chants
5Que la teste m’estonne.
Tout arbre aux champs grisonne :
Et ie y grisonne aussi,
Par ennuy & souci
Qui mon cœur enuironne :
10Si de là iusque ici
Ton amour sans nul si
Lyesse ne me donne.
A l’a [p. 77] 77
[22]À l’
ami
qui ne prestoit que sur bon
gage, ou sur bon
hypothecque,
mesme à ses plus grans
amis.
Qvand Guy demande argent pour prest,
Tu dis, que sa vigne en responde :
S’elle en respond, tu es bien prest
De luy prester la somme ronde.
5Ton espoir donc se fie, & fonde,
Et ton amour prent son appuy
Plus sur sa vigne que sur luy.
Or maladie non petite
Te tient au lict, & en ennuy,
10Dy que sa vigne te visite.
[23]À vn ami.
I’ay presté deux où trois cens francs,
Sous sedules, & sans sedules :
Ainsi que les bons amis francs
N’ont particularitez nulles,
5Lisans es cœurs trop mieux qu’es bulles.
Tu dis que c’est argent perdu :
Ie di que c’est argent rendu :
Dieu me le prestoit pour luy rendre :
Quand [p. 78] 78Quand tout sera bien entendu
10I’ay semé mon grain en temps deu,
Plus ne le puis perdre, ou despendre.
[24]À E. M.
Tv crains que ta femme & enfans
Ne tombent en necessité,
Toy qui de sept ou huit cent francs
Es à quatorze cens monté :
5C[’]est a dire (à la verité,
Et à le prendre en son bon sens)
Que tu cains que la poureté
Ne t’arreste à quatorze cens.
[25]Au Seigneur
I. de Cambray Chancelier
de Bourges, estant à
Constantino-
ple, & tenant le lieu de mon-
sieur
d’Aramon.
Depuis quatre ans de pardeça
L[’]on vous disoit surprins de mort :
Mais depuis quatre moys en ça
I’ay seu que ce bruit vous feit tort :
5Car il n’est rien de ce cas là.
Or, bon ami, i’ayme plus fort
Qu’en santé soyez par dela
Que par deça malade ou mort.
A son [p. 79] 79
[26]À son ami-ennemi.
Ce que le ciel a ordonné
Tu veux donc m’empecher d’auoir ?
Mais en fin il le m’a donné
Malgré toy à male heure né,
5Auec tout ton damnable auoir.
Du bien que m’as veu receuoir,
Qui fut à moy seul destiné,
Tu peus (miserable) ia voir,
(Sans mon attente deceuoir)
10Le beau fruict de graces orné,
Fruict durable, & non terminé :
Mais le ciel fait en toy deuoir,
Quand il te fait aperceuoir
Ton blé en herbe ruiné.
[27]À sa Flora.
La viue odeur de ta vertu aymable,
Par vn destin à t’aymer m’a raui :
Et puis sentant vne mort transformable,
Ores en toy, non plus en moy ie vi.
A sa [p. 80] 80
[28]À sa
Flora :
sur ce que le temps, & le
ciel, guident &
fauorisent
leur amour.
Faisant chemin deuers ma Fleur d’elite,
I’ay temps à gré : mais partant d’auec elle,
Le ciel se trouble, & le temps se despite,
Le vent me poulse, & m’est par trop rebelle :
5C’est vn grand cas, mais la chose est bien telle.
Certes le ciel, & chacun element
Ne peult souffrir nostre departement,
Mais nous fait voye, & nous rit au retour :
La raison est, ie le croy fermement,
10Car du ciel vient nostre loyale amour.
[29]
L’auteur
à son
detra-
cteur.
Tv dis ma Muse sans esprit
Puis que ne s’est peu faire riche :
Mon bien paternel elle prit,
Qu’elle mit en partie en friche :
5Et d’autre part ie ne fus chiche
Ny a parens, ny a amis,
Ny mesme à mes ennemis :
I’ay toutesfois, & sauf ta grace,
Plus [p. 81] 81Plus que toy, ny toute ta race
10Obscure, incongnue à tousiours,
I’ay vn bien qui tous les biens passe,
Et qui croistra apres mes iours.
[30]Autre, audit Zoïle detracteur.
Si i’ay eu l’esprit de dresser,
De grace, & audace non molle,
Batiment plus hault qu’vn Mausole
Que l[’]on vit au ciel se haulser :
5N’eusse-ie pas peu amasser,
D’vne inuention non friuole,
Le tresor mondain qui s’enuole
Auec noz ans qu’on voit passer ?
Ie pouois tant te surpasser
10En cette terrienne escole,
Que toute en fin or mon idole
T’eust peu par son lustre effacer,
Et par sa pesanteur presser.
[31]
L’auteur
escrit de sa naissance, & sous
quelz Roys il a
vescu.
Au beau milieu de la grand ville
Sans per, & au milieu d’vne isle
Entre le Nort & l’Occident,
f [p. 82] 82Deuant le grand temple euident
5(Dont le hault front bien atourné
De deux grans cornes est orné)
Fontaine a pris sa source & course,
Quand le Roy-Pere, tresprudent,
Au Fleuue Styx alloit tendant,
10Sans ruisseaux masles de sa source.
Puis le Roy Franc, qui tint la bourse
Ouuerte aux Muses & aux ars,
Leua son beau grand chef, & pource,
Se feit paroistre en toutes pars.
15Apres luy vn Croissant de Mars
Nous montre ores sa face ouuerte
(Comme Sol, en lumiere aperte,
Plus cler que l’Astre des Cesars)
Compensant des premiers la perte.
[32]À
Clement Marot,
quand
l’auteur
alloit disner auec luy.
Ie n’ay veu ton pareil encor
En douceur de rime Françoise :
Car, ami Marot, autant qu’or
Plus qu’autre metal luit, & poise.
5Tes vers François en douce noise
Vont [p. 83] 83Vont surpassant le stile antique.
Et croy qu’en ton art Poëtique
Le temps à peine amenera
Vn Poëte si doux-vnique
10Qui plus doucement sonnera.
[33] L’auteur à sa Flora.
Le vieil Poëte Ascree (né
En petit lieu, hault, infertile)
Son nom iusqu’à nous a mené
De ses vers vetu, & orné :
5Moy (d’vn grand lieu, bas, & fertile)
Ailé de ma Muse gentille,
Ton nom, & le mien porteray,
Et bien loing ie le planteray,
L’arrosant de l’eau de mon stile
10Pour reuerdir au diuin pré,
Vainqueur de l’antique faucille.
[34]À Monsieur du Parcq.
Ie n’escri pas pour deux, ne trois, ne quatre,
Ie n’escri pas pour cinq, ne six, ne sept,
I’escri pour moy : puis apres pour esbatre
Cent mil esprits : ainsi comme l[’]on scet
f 2 [p. 84] 84 5Que mes vers sont comme grans prez ouuerts
Ou cent mille fleurs de cent mille personnes
Cueillies sont, & Estez, & Yuers,
Fleurs ne craignans ny Yuers, ny Autonnes.
[35]A vn sien
amy
qui portoit ceste deuise,
Tousiours ioyeux,
&
leger d’argent.
Tv vis, tu ris, & fays grand chere,
Et fy d’argent, qui n’en as guere :
Si tu en auois trop aussi,
Tu serois en peine & souci,
5Ou d’en acquerir dauantage,
Contrefaisant du riche & sage :
Lors tu n’y oserois toucher
De peur du poure argent fascher.
Ou bien tu prendrois autre charge
10De te montrer prodigue, & large,
Et ne cesserois de penser
Sinon les moyens d’auanser
Ce bel argent, & le despendre.
Par ainsi donc, à tout comprendre,
15Vault il pas mieux en heur prospere
Estre ioyeux, & n’auoir guerre ?
Au [p. 85] 85
[36]Au lecteur.
Que nul ne se vienne vanter
D’auoir mis la main sus mes vers
Que ma Muse voulut enter
Au tronc qui les fait reietter :
5Et tousiours florissans, & verds,
Tout à plain, & tout descouuers,
En public les vient presenter
Pour dix mil autres contenter.
[37] L’auteur, à sa Flora.
Ton port droit, & ta belle allure
Auec naturelle allegresse,
Ton corps, qui de taille, & mesure
Se iette en moyenne hautesse,
5Qui me passe ou qui me mesure,
Ton maintien qui me sent son bien,
Sont tes dons que chacun voit bien :
Mais ton bon sens, ioint à l’vsage,
Mais ton peu de parolle sage
10Qui s’egale auec ta prudence,
Ton preuoir, & ton hault courage
Ne sont à tous en euidence.
[38]À elle mesme.
Tes grandes singularitez,
f 3 [p. 86] 86Tes vertus, & tes raritez,
Muettes s’en alloyent mourir,
Sans moy qui les vien secourir.
5Car mes vers par toy excitez,
Rendent tes dons resuscitez,
Les font parler, & reflorir.
[39]Autre, à elle mesme .
Le renom encores volant,
Bruit que Sapho fut accolant
Son doux luc, bien qu’elle soit morte,
Et que de luy nul chant ne sorte,
5Abbatu de sort violant :
Et ie prophetise en la sorte
Qu’apres ta mort, ô ma Flora ,
Encor de toy l[’]on parlera,
Et dira l[’]on à ta loüange
10Qu’as de mon luc les nerfs tendus,
Dont les chants sont loing entendus.
En la France, & en terre estrange,
Depuis le Gade iusqu’au Gange.
[40]À sa
femme
&
enfans,
pa-
rens
&
amis.
Vous mes amis , & vous tous mes parens,
Et vous ma femme & mes enfans aussi,
Ne [p. 87] 87Ne menez dueil, ny regretz apparens
Ny en secret, quand de ce monde cy
5Ie partiray, alaigre, & sans souci :
Car soyez seurs quand ce mien corps mourra,
Que mon meilleur, immortel demourra.
Ne pensez pas que vous & moy i’abuse :
Mon plus d’honneur mieux que iamais viura,
10C’est a sauoir mon esprit, & ma Muse.
[41] L’auteur, à son Zoïle detracteur.
Ce qui te fait si maigre, & palle,
C’est vne auarice, & enuie,
C’est vne furie infernale
Qui ronge ton ame, & ta vie,
5Trop miserable & asseruie :
C’est vne furie qui torche,
A grans coups d’vn baton de torche,
Ton cœur, de rage espoinsonné :
Et qui ton corps tout vif ecorche
10D’vn rasoir de [Eac] ordonné.
[42]De sa Flora .
Le petit Prince des oyseaux
Ne chante qu’en vne saison,
f 4 [p. 88] 88Et en ces chants, sur tous tresbeaux
Se complaint d’vne desraison :
5Moy, aux champs & en la maison
Content, ie vois chantant sans cesse
Les loüanges de ma princesse,
De ma Flora, qui fait florir
Ces miens vers, dont elle est maitresse,
10Vers verdissans pour ne mourir.
[43]Autre, à l’honneur de ses vers,
& de sa
Flora.
Le viel faucheur, dont la grand faux
Fauche tout, onc ne fauchera
Mes vers, lesquelz n’ont rien de faux,
Vers (bien qu’ils ne soyent des plus haults)
5Dont l’honneur iamais ne cherra,
Comme inspirez par ma Flora.
[44]
L’auteur
escrit ce Dizain à l’hon-
neur de ses
vers.
Xerxes monté dessus vne montaigne
Pleura, voyant son cãp par la cãpaigne
(Camp qui n’a eu pareil, ny depuis l’heure,
Ny parauant) disant que fault que meure
5Dedans cent ans telle gloire bellique,
Sans [p. 89] 89Sans que de tous vn tout seul en demeure :
Mais moy monté sus le mont Thessalique
Certainement tant s’en fault que ie pleure,
Voyant marcher l’escadron de mes vers
10Pres les ruisseaux de ma Fontaine ouuers,
Qu’en moy ie ri : ioye mon cœur époint,
Car tousiours vers iamais ne mourront point.
[45]
L’auteur,
en la ferueur, & faueur
de sa Muse.
Ie deuanceray la carriere
Sur ceux qui vont courant plus vitte,
Ie mettray leur course en arriere
Par la mienne encor plus subite.
5Autre esprit que le mien, m’enflame
D’vne diuine ardent flame :
Ma Muse (Madame) m’incite
De voler, pour rauir le pris :
La victoire mesme i’excite,
10Quand telle course, & cœur i’ay pris.
f 5 [p. 90] 90
[46]À tresnoble, & tresflorissante Princesse,
Madame
la Princesse de
Ferrare,
du
temps de sa venue en France, & de ses
nopces auec
Monsieur d’Aumale,
à
present duc de Guise.
Pvis que tu es ô illustre princesse,
De France issue à cause de ta mere,
(La vertueuse, & tresnoble Duchesse,
Ornee en biens de la double richesse)
5Bien fois venue en la France prospere,
Ou ton cœur noble en peu de iours espere
Se ioindre auec son desir ou il tend,
Le filz du Duc, qui t’ayme, & qui t’attend :
A celle fin qu’en iouissance entiere
10Par amour soit l’vn, & l’autre content.
[47]Autre, à elle mesme, & audit temps.
Le mesme point qui ta mere Duchesse
Feit vingt ans a, en l’Itale passer,
Te fait aussi, ô Duchesse & Princesse
Cet an present en la France adresser :
5Dont ie conclu, apres bien y penser,
Qu’à toutes deux vne chose fatale,
A fait à mere, & à fille laisser,
A l’vne France, & à l’autre Itale,
Autre [p. 91] 91
[48]Autre, à
ladicte Dame
arri-
uant à Lyon.
Qvand tu partis du lieu de ta naissance
I’ay seu que tout estoit en troublement,
Les gens pleuroient, & le grand Element :
Et maintenant arriuant en la France
5Vers ton espoux, qui t’ayme fermement,
As le temps beau, & à commandement,
Et des François grand recueil, & caresse :
Il appert donq, florissante Princesse,
Que ta venue eureuse, est de grand fruict :
10Et floriront en tout honneur, & bruit
Cete alliance, & cette bien venue,
Des gens aymee, & du temps bien congneue,
A qui la France, & aussi le ciel rit.
[49]Autre à elle mesme.
Grande beauté, grande race, & richesse,
Princesse, sont en toy abondamment :
Douceur, honneur, de vertu l’ornement :
Sauoir, sagesse, & santé, & ieunesse,
5Noblesse aussi y est treshautement,
Brief, tous biens sont en toy parfaitement,
Et toutefoys tu n’es encor parfaite :
Si à [p. 92] 92Si à Platon fault croire aucunement,
Tu n’as sinon ta moitié seulement,
10Par ton espoux entiere seras faicte.
[50] L’auteur à sa Flora.
Tv dis souuent, mon Zephyr n’appert rien,
A tout le moins mõ Zephyr n’apert guere :
Cela disant, tu ne dis pas trop bien,
Flora ma Nymphe, en fleur, & fruict prospere :
5Ains c’est parlé en trop basse maniere,
Dont ie t’excuse, & si tu me fais tort :
Haulse vn petit ton bas esprit plus fort,
Lors de moy mieux viẽdras dire, & cõgnoitre :
Car peu de gens ont l’honneur apres mort
10Que tu me vois durant mes iours acroistre.
[51]À
Françoyse Fontaine,
petite
fille de
l’Auteur.
Parisienne, & Lyonnoise,
Denom, & nation Françoise,
Ma seule fillette en ce monde,
Dont la charge tant peu me poise,
5Quand tu te ris, ie me dégoise,
Quand tu gasoilles, ie me fonde
Rentrer en ieunesse profonde :
Dieu [p. 93] 93Dieu te doint bon esprit sans noise,
Comme on lit en ta face blonde
10Douceur, bon eur, grace, & faconde,
Autant qu’en Dame, ou en bourgeoïse.
[52]À monsieur Saliat.
Resiouy toy ainsi que Iuuenal,
Voyant Catulle au retour du naurage [sic pour naufrage] :
I’ay presque veu sur mer mon iour final,
Quand comme luy i’ay passé dur passage.
5À la minuict tous les ventz de grant rage,
Le Nort, le Sud, l’Est, l’Oest se leuerent,
Et dessus moy de tous cotez ruerent :
Mais Eolus, & le puissant Neptune
Fontaine triste en la mer escouterent,
10La preseruant de mal, & de fortune,
[53]Audit Saliat.
Voyager loing belle chose est ce,
Quand on reuient tel comme on part,
Mais vn grant argent s’y depart :
Puis i’y ay laissé ma ieunesse,
5Et de mes œuures vne part.
[54] L’auteur à ses amis.
[p. 94] 94Ie say tresbien ce qu’a escrit Ouide,
Que les escrits plaisent apres la mort :
Car faulse enuie apres mort tourne bride,
Et la chair viue elle picote, & mord :
5Mais d’imprimer mon œuure ie n’ay tort,
Pour obuier, en le vous presentant,
A maintz bauars qui vont tout éuentant,
Et puis apres, & aux prests, & aux pertes
De maints traitez que ie vois regrétant :
10Ne sont ce point trois raisons bien apertes ?
[55] L’auteur, à vn sien ami.
Tv dis tousiours qu’honneur on ne fait pas
Aux vifs, mais bien aux Poëtes passez,
Et que i’auray apres le mien trespas
Plus grand renom auec les trespassez :
5Or m’en contente, & i’en ay bien assez
(Grace à Phebus qui m’a voulu nourrir)
Mais quand i’ay bien tes propos compassez,
Tu me veux faire enuie de mourir.
[56]D’vn
brodeur,
grand ouurier,
mais
qui auoit laissé son manteau
à la tauerne, pour gage.
Ce brodeur qui me prie tant
Que quelque cas de luy i’escriue,
Sait bien de broderie autant,
Mais beaucoup plus, qu’homme qui viue :
5Tantost brode vne image viue
Sur vne chappe bien en point,
Tantost vn ciel fort braue, & coint :
Puis vn colet, puis vn carreau :
Il brode tout, cape & pourpoint,
10Mais ne peult broder son manteau.
[57]À Damoiselle
Catherine Morelet,
fille de
Monsieur de la Mar-
cheferriere.
Belle, tu peux voir hardiment
Mon liuret de la Contr’amie
Car elle louë honnestement
La bonne amour, blasmant l’amie
5Trop enchantee, & endormie
Aux honneurs, & biens de ce monde,
Ou [p. 96] 96Ou ton ieune esprit ne se fonde,
Par pere & mere bien instruit :
Car ie sçay que tout à la ronde
10Le Souleil y chace la nuict.
[58]À l’Escuyer Catherin Ian.
Voz cheuaux vous font grant despense
Qui voz courriers, & pacquets portent :
Mais i’en sçay d’autres, quand j’y pense,
Qui plus alaigres se comportent,
5Et qui du bout du monde sortent
Portans par la machine ronde
En poste le tresor du monde
Le long de l’an, sans perdre aleine,
Et marchent sus maint monstre immonde,
10Et ne mangent foin ny aueine.
[59]À treshaute, & tresexcellente Princesse,
Madame la
Duchesse de
Vendosme,
fille vnique du
Roy
&
Royne
de Nauarre.
La maiesté, & doux port de ta grace,
Perle perfaite en grace, & en beauté,
Meritent trop que ma Muse te face
Tousiours honneur : Cela fut arresté
Des-lors [p. 97] 97 5Des-lors qu’à Tours fus à toy presenté
Auec vn liure en prose pour present,
Qui le receus de grand humanité
Comme feras cette Muse à present.
[60]Apostrophe, au Pau, riuiere d’Italie,
sus laquelle
l’auteur
alla
de
Turin à Venise.
O Pau qui as sus tout Fleuues l’honneur,
Puis qu’à bon port as porté la Fontaine,
Et que ce tour luy as fait, & bon eur,
D’oresnauant en sa petite veine
5Ira bruyant ta loüange certaine.
O Pau qui es de tous fleuues le Roy,
Ton Royal sceptre, & puissance hautaine
Face sans fin trembler fleuues sous toy.
[61]
L’auteur
saluoit ainsi
l’Ambassadeur
du Roy à Venise
.
Salut te dit, Ambassadeur du Roy,
Second Phebus en douceur d’eloquence,
Second Phebus (comme on dit, & le croy)
En tout sauoir d’esprit & d’excellence,
5Second Phebus en vraye intelligence
De la vertu d’herbes, d’arbres, & fruits :
g [p. 98] 98Salut te dit donc la Fontaine , puis
Qu’auec le Pau qui doucement se meult,
Qui l’a portee, & reporter la veult,
10Est cy venue en la belle Venise :
Salut te dit autant comme elle peult,
Mais ne le peult autant qu’elle te prise.
[62]Remontrance aux
detracteurs de
de [sic.] Poësie Françoise
.
Si l’Hebreu a rime pour Poësie,
L’Italien, le François mesmement,
Ie m’esbay qu’aucuns ont fantasie
A depriser assez legerement
5Rime, qu’on dit Poësie autrement :
La desprisant, Poësie ils desprisent,
Et trop ingrats, leur langue bien peu prisent
En reprouuant ses Poëtiques vers :
Ainsi donc ceux qui de rime mesdisent
10Sont d’ignorance ou malice couuers.
[63]Autre, sur ce mesme
propos.
I’ay congnu des gens de sauoir
Qui estimoyent en leur langage
Les vers rimez, c’est a sauoir
Tant [p. 99] 99Tant que Latins, ou dauantage :
5Car (sans au Latin faire outrage)
La rime auec sodn harmonie
Donne à l’oreille vne infinie
Volupté, par voix concurrente :
Aussi nul bon esprit ne nie
10Que la rime riche, & fluente,
(Mais de bon sens, sus tout, fournie)
L’oreille & le cœur ne contente.
[64]À vn
Stoic,
ennemi des Muses, &
de toute science liberale.
Par mes vers ie t’honorerois,
Et t’ecrirois communement :
Bon iour, bon soir te donnerois
D’vn petit quatrain gentement,
5Ou d’vn huitain fait brauement,
Mais à ta lourde fantaisie
Ne peult conuenir nullement
La braueté de Poësie.
[65]
L’auteur
inuitoit
six de ses amis Lyon-
nois
à
ses premieres nopces.
Venez tous six, venez voir la Fontaine
Qui veult saillir de sa roche petite,
g 2 [p. 100] 100Pour saluer en sa petite veine,
Et s’allier auec la Marguerite
5Que luy auoit ce beau champ cy produite :
Venez tous six, qui en valez bien douze,
Pour voir lier par amour bien conduite
Fontaine espoux, & Marguerite espouse.
[66]Du
Roy François, premier de ce nom
Dizain presenté, & leu
deuant
luy, par
l’auteur
.
François est Roy si Royal, & si franc,
France si franche, & si obeissante,
François humain, & de si noble sang,
France courtoise, en biens si florissante,
5François si fort, & France si puissante,
France croissant, François en tout bien creu
Que ie ne say (consideré & veu
Qu’entre ces deux a si grand conuenance)
Ie ne say point lequel estoit mieux deu,
10France à François, ou bien François à France.
[67]À M. Annemond Polier.
Pvis qu’ainsi est que ce gentil Mercure
T’ameine voir l’equipage de Mars,
Ou [p. 101] 101Ou le Lyon se delecte, & prend cure,
N’y espargnant d’argent cent mille marcs,
5Dessus ce mont qui ne craint les Cesars
Bien venu sois, ou Pallas la deesse
A double honneur, d’armes, & de sagesse,
A adrecé la petite Fontaine
Que tu congnois, dont tu auras sans cesse
10A ton command, & son cours, & sa veine.
[68]À vn amy .
Comme à ton amy singulier
Tu m’as declaré ton affaire,
Ou l[’]on peult gaingner vn milier
De bons escus (c’est profit faire :)
5Mais aussi tu n’as voulu taire
Qu’il se faudroit trouuer en place,
Armé de ruse, & de fallace,
Et d’escus en bource à largesse :
Que dyable veux-tu que i’y face ?
10Ie n’ay finance, ne finesse.
[69]Aux
detracteurs de Poësie
Françoise
.
Si chacun n’a ce beau don de nature,
Si chacun n’a du ciel cette influence,
g 3 [p. 102] 102De composer en beaux vers par mesure
(Vray art diuin, & celeste science)
5Respondez moy vn peu en conscience :
Fault il que ceux qui n’ont pas ce beau don
Laissent aller leur langue à l’abandon,
Pour detracter Poësie en tout lieu ?
(Grand Dame elle est, requerez luy pardon)
10Chacun n’a pas telle grace de Dieu.
[70]
L’auteur
fait mention de ses
secondes nopces.
L’an mil cinq cens quarante quatre,
Au court moys (qui or’ long sera,
Et sa rigueur delaissera)
Fut pour en bonne amour s’ebatre
5Car trop fletrissant demoura
Sa marguerite (amour premiere :)
Donc au printemps s’enamoura
De Flora, florissant, non fiere.
[71]À
S. Vallambert,
Poëte Latin
& François.
Horace vn iour son Vergile attendoit,
Et ne l’eut pas apres le long attendre :
Mais [p. 103] 103Mais auiourd’huy vn Vallambert, qu’on doit
Bien estimer (puis qu’à luy se vint rendre
5Clio la Muse, en sa ieunesse tendre)
N’attendoit pas le sien ami Fontaine,
Toutesfois vient Fontaine son cours prendre
Pour saluer Vallambert en sa veine.
[72]Au
iuge de Tournus,
auquel
l’auteur
remetoit sa reueuë, &
visitation,
de moissons en vendanges.
Mon brief retour ne me veult pas permet-
tre
Te visiter, selon ta grand semonse,
Mais de ma Muse auras ce petit mettre
Seruant ici d’excuse, & de response :
5Car cet escript te declare, & annonce
(O iuste iuge autant comme Eacus )
Que ma personne, à toy deux moys absconse,
Dame Ceres la remet à Bacchus.
[73]
L’auteur
à sa
Flora
enceinte pour
la premiere foys.
Svr tous plaisirs qu’onc tu me fiz,
Si tu veux que soit cette anne
Ma personne bien estrenee,
Ma Fleurie, fay moy vn filz
g 4
[74]
L’auteur,
encor à sa
Flora,
lors
qu’il
estoit sus les champs.
Le blond Phebus a prins sa robbe d’or
A ce matin, & son cler diademe,
Bien estoffé d’vn infini tresor
De pierrerie ayant splendeur extreme :
5Ses grans coursiers qui sont bardez de mesme,
Courent grand trot par le ciel pur, & munde :
Les grans souffleurs laissans en paix le monde
Ont ce iourd’huy replié leurs grans ailes
Qui parmi l’air trop se batoyent entre elles :
10En cœur d’yuer vn iour d’esté ie voy,
Cette iournee est la belle des belles,
Mais laide elle est quand ne suis auec toy.
[75]À vn mesdisant.
Toy qui ne fais d’vn Poëte grand compte,
Mesdis de moy, qui mesdire ne puis,
Disant par tout, que c’est à moy grand honte
Que Medecin ou Aduocat ne suis :
5Ce nonobstant vn peu plus hault ie monte,
Et pour raison, malgré tout blasonneur :
Car de la France, à qui Dieu doint bon eur,
Vault [p. 105] 105Vault il pas mieux le Poëte cinqieme
Estre en degré, en eur, & en honneur,
10Que Medecin, ou Aduocat centieme ?
[76] L’auteur, à sa Flora .
Des Aduocats les consultations,
Des Medecins les recipez aussi
N’ont point acquis tresors, possessions
(Qu’on va gardant auec peine & souci)
5A toy n’à moy : mais ceste Muse cy,
Muse qui est ma ioye, & ma cheuance,
Nous donnera honneur à suffisance.
O que plusieurs haultes dames de nom
Voudroyent auoir mari qui eust puissance
10De leur donner par ses euures renom.
[77]Au President de Gouy.
Si l’equité est la fille de Dieu,
Et l’equité en ma cause est aperte,
Dieu est pour moy en ce temps, & ce lieu :
S’il est pour moy, ie ne viendray à perte :
5Car ta science à iuger bien experte,
Et conscience au droit point immobile,
Voyant ma cause en l’equité ouuerte,
N’iroyent iamais contre Dieu & sa fille.
g 5 [p. 106] 106
[78]À
Monsieur de Chantecler,
Conseiller
au parlement de Paris.
Pvis qu’ainsi est que ta docte Minerue
Pour vn des fils d’Apollo a prins peine
Et qu’il te pleut en memoire, & reserue
Mettre son faict, voire en memoire saine,
5Et y donner aide opportune, & plaine,
C’est bien raison qu’iceluy par ses vers,
Lesquels ira bruyant en chants diuers,
Te rende grace, & louange immortelle,
Quand ses esprits s’en vont clers, & ouuers,
10Loing de proces, & de toute querelle.
[79]Des amis, non des personnes, mais
seulement de leurs
bonnes
fortunes.
Qvand on est en autorité
Rempli d’honneur, & de richesse,
Tant d’amis de prosperité
Nous font compaignie, & caresse :
5Mais si tost que richesse cesse,
Et que fortune nous ameine
Prison [p. 107] 107Prison, proces, poureté peine,
Et tous maux sus nous manifeste,
O que c’est tresmauuaise alaine !
10Chacun nous fuit comme la peste.
[80]
L’auteur,
à soymesme, de sa trop
grande & prompte faci-
lité à faire plaisir.
Qvand il aduient communement
Que l[’]on me trompe, & l[’]on m’abuse,
Cela n’est pas que nullement
Ie n’entende des gens la ruse,
5Et que ne puisse prendre excuse
De prester mon temps ou mon bien :
Mais c’est que l’homme ayant maintien
De bonne foy (qui est tant beau)
L’homme rond, & l’homme de bien
10C’est tousiours vn homme nouueau.
[81]
L’auteur
à sa
Flora
Lyonnoise,
lors qu’il estoit
en
Bourgoingne.
Ce moys tout plein de vertes cottes,
Fleurie en qui sont mes amours,
Craindre ne dois les Bourguignotes
En [p. 108] 108En villes, villages, ne bourgs,
5Car sans toy mes plaisirs sont courts :
Garde n’ay de changer Fleurie,
Fleurie est en regne, & en cours
Ainsi que la saison fleurie.
[82]L’auteur à son amy M. P. Coritain.
Pour recreer les clers esprits
De ta ieunesse eureuse, & belle,
Ami, qui tant lis, ou escris
Mainte oeuure ou antique, ou nouuelle,
5Reçoy de ma Muse le zelle,
Mes vers ioyeux, & non chargeans,
Par ce moys d’origine telle
Qu’il prent son nom des ieunes géns.
[83]
L’auteur
donne conseil selon le
temps, par ironie tou-
tesfois.
En tout honneur, & excellence
Quiconque veult aller auant,
Quiere l’argent, non la science,
Les lettres n’aille poursuyuant,
5Mais l’argent noble aille suyuant :
L’argent fait les gens sauants, pource
Qu’au [p. 109] 109Qu’auiourdhuy l’homme est fort sauant
Qui fait force escus en sa bourse.
[84]Epigramme, pour recreation, à l’escuyer
Caterin Iean,
lors que ses
gens deman-
doient les estreines à
l’auteur,
pour
leur
maistre, comme la raison, & l’honneste
coustume le
requiert.
Pour vostre grace, & pour voz peines,
Moy qui ne fus iamais ingrat,
Ie vous donnerois voz estreines
Sans Procureur, ny Aduocat :
5Mais gens qui sont d’vn mesme estat
Ne s’estreinent pas, ce me semble.
Or sommes nous tous deux ensemble
D’estat mesme, ou qui correspond :
Que si quelcun tost me respond,
10Et dit que non, ie dy que si :
Car voz courriers en poste vont,
Mes deniers vont en poste aussi.
[85]De quel temps
L’auteur
a le
plus
escrit.
Ie pouois bien hausser ma Muse,
Et mon stile enfler grauement,
Chantant des vers plus hautement :
Car mon Apollon me refuse
5A m’inspirer diuinement
Non plus qu’vn autre entendement :
Mais du temps du grant Roy François,
Que l’autre entonnoit doucement,
Ie chantois ainsi bassement
10Que vous oyez, mes vers François.
[86]
L’auteur
escrit de l’alliance de
luy & de sa
Flora.
Dame Iuno demontra sa puissance
Quand el’ioignit Fontaine auec Flora :
En peu de temps eurent la iouissance
Du bien, à eux promis des leur naissance,
5Qui apres eux vn long fruit tirera :
(Bien qu’on [cuidoit] rompre cette alliance
Laquelle au ciel écrite on trouuera.)
Mainte autre fleur autour de la Fontaine
Panchoit la teste, en vous la regardant,
Mais [p. 111] 111 10Mais la Fontaine en son destin certaine,
Prenant visee, alloit son cours dardant
Vers sa Flora, seule fleur souueraine,
[87]
L’auteur
adresse ce huitain
à sa
Flora.
Ta vertu & honnesteté,
T’ont fait de fille, estre ma femme,
Et l’espoir de ta chasteté,
Qui l’honeur iamais ne diffame,
5Fait que ie t’ayme corps & ame
Plus cher que mon œil, & ma vie :
Aymant l’honneur, tu fuis le blasme,
Car la vertu tu as suyuie.
[88]À
vn beau parleur :
sur ce que bien
escrire, ou composer
liures,
est beaucoup plus que
bien parler.
Tv as vne belle parole,
Dont ie m’esmerueille souuent,
Ce nonobstant elle s’en vole
Tout aussi tost auec le vent,
5Et meurt, les oreilles seruant :
Mais vne œuure escrite, & bien meure,
Depuis [p. 112] 112Depuis qu’elle est mise en auant,
A tout-iamais elle demeure.
[89] L’auteur, à sa Flora.
Estant au port trois fois prest à partir,
Trois fois i’ay eu la fortune contraire :
Les basteliers deux fois i’ay veu mentir :
Vne autre fois (qui plus me vint desplaire)
5Vagues, & vens menassoyent de me faire
Boire de l’eau en la Saone parfonde.
O ma Flora, o Fleur en qui me fonde,
Les gens, & vens, quand ne suis auec toy,
Communement sont contraires à moy :
10Mais tout bon eur me suit tout à la ronde,
Tout aussi tost que de loing ie te voy.
[90]À
Lyon Iamet,
seigneur de Chambrun,
secretaire de Madame
Renee de
Fran-
ce, Duchesse de Ferrare.
Qvand la bourse me presentas,
Et vuidant d’escus vn grand tas,
Tu me dis qu’à mon gré i’en prinsse,
Foy d’homme, c’estoit fait en Prince :
5Mais quand alors ie n’en prins point,
Ie te [p. 113] 113Ie te pry respond moy d’vn point,
Ami, exemple de tout aage,
Fus-ie sot, ou si ie fus sage ?
[91]Autre, à luymesme.
C’est peu de cas d’auoir promis,
L[’]on n’en trouue que trop, d’amis
De la parole, & du visage :
Mais qui soyent à tel faict venus
5Comme toy,
Et qui soyent de prendre abstenus
Comme moy,
L[’]on n’en trouue point en vsage.
[92]Autre sur ce, qu’il se trouue peu de bons
& vrays amis à faire
plaisir, encor que
Dieu
commande de ce faire.
Ce qui est à l’ami donné,
Est hors des mains de la fortune,
Perdu ne peult estre, ou miné
Par roille, ny en sorte aucune :
5Hazart de ieu ne l’importune :
La mer ne le sauroit noyer :
Larron ne le peult desployer :
h [p. 114] 114Cenonobstant (& ne fault taire
Que Dieu commande plaisir faire)
10L[’]on ne s’y veult point employer.
[93]À la faueur, & honneur des nopces de
Ian
Girard
de Bourges,
Seigneur des Ber-
geries, & de
Marguerite son
espouse,
Lyonnoise.
Chantez, mes vers, vn petit chant ioyeux
A la faueur de ces nouueaux espoux.
Vous ieunes gens qui auez voz clers yeux
Estincelans l’vn sus l’autre à tous coups,
5Auec regars tant amoureux, & doux,
Mais tant subtils qu’ilz perseroyent les cieux,
Entretenez voz souzris gracieux,
Sous bons propos qui le pain n’encherissent,
Car bon eur vient à ceux qui se cherissent
10En bonne amour selon Dieu ordonnee :
Caressez vous tant que vous soit donnee
Dedans quatre ans vne lignee belle :
Soyez coniointz d’amour non terminee
Comme vn coulon auec sa colombelle.
A son [p. 115] 115
[94]À son compere
Ian Vasis,
dict
Ian de Paris.
Ian de Paris, peintre d’vn Roy de France,
Ne peignoit point les gens si bien au vif,
Qu’à noz neueuz ie feray demonstrance
De ton pourtraict entierement naif :
5I’animeray par mon art sensitif
De toy ami, & compere, l’image
Au doux pinceau que i’ay eu en partage,
Mieux que ne fit Apelles sa Venus,
De qui les traitz iusqu’au iour de nostre aage
10(O trop foible art) ne sont ia paruenus.
[95]À
Monsieur de la Saulx,
Secretaire
du
Cardinal de Chastillon.
Il fault que ma Muse cherisse
Vn ami que Dieu m’a donné,
Lequel a eu pour sa nourrice
La terre mesme ou ie fus né :
5Et lequel fut ieune mené
En la montaigne renommee,
De nous deux hantee, & aymee,
h 2 [p. 116] 116Ou les Muses l’ont adressé,
Et là, sa ieunesse ont formee :
10Depuis l’ont tousiours caressé.
[96] L’auteur, à quelques siens amis.
Vous vous ebahissez comment
I’escri tant en langue Françoise :
Ce n’est faulte de iugement,
Que i’ay petit, dont [ce] me poise,
5Mais vn seul mot, sans bruit, & noise,
Renuerse toutes raisons vostres,
C’est qu’vne langue si courtoise
Est nostre, & si fait fruit aux nostres.
[97]Au sire
Pierre Seue,
Lyonnois.
Si ma Muse vers vous s’adresse,
Elle fait raison & deuoir,
Car quoy que vostre faict se dresse
En marchandise, l[’]on peult voir
5Qu’aussi vous aymez le sauoir :
Et de ce foy m’ont voulu faire
Des gens de bien (que ie veux taire,
Pour n’estre long, & ennuyeux)
Mesme [p. 117] 117Mesme Chailart, Royal notaire,
10Dont le tesmoignage en vault deux.
[98]À
vn riche glorieux,
qui preposoit
l’auoir au sauoir.
Tv as argent, & heritage,
Certes par trop au pris de moy,
En cela tu as l’auantage,
Ie le confesse, & si le voy,
5Et si n’ay enuie sus toy :
Mais ce que suis tu ne peux estre :
Et chacun peult tresbien congnoistre
Que le plus poure qui n’a rien,
Peult comme toy en grans biens croistre,
10Si la fortune luy dit bien.
[99] L’auteur, à sa Flora.
Dedans Paris six moys tardant
Ie suis sans toy, & auec moy :
Dedans Lyon en m’attendant,
Tu es sans moy, & auec toy :
5Mais l’amour en toy me perdant,
Et qui toy dedans moy attire,
Me dit qu’il fault autrement dire,
Et que parler ainsi ie doy :
h 3 [p. 118] 118Dedans Paris six moys tardant,
10Ie suis sans moy, & auec toy :
Dedans Lyon en m’attendant,
Tu es sans toy, & auec moy.
[100]Au
President de Gouy,
Placet,
pour auoir audience.
Vostre bonté de grand renom
Me fera elle resiouy ?
Doubte souuent me dit que non,
Mais vostre nom me dit qu’ouy.
[101]Au Seigneur Ian Brinon.
Si mes amours que i’ay chantees
En nostre langage François,
Ne t’ont pas esté presentees
Si tost comme ie le pensois,
5Quand deuers toy les auansois,
Afin que premier tu les prinsses,
De moindre cœur vers moy ne sois :
L[’]on fault souuent, & mesme aux Princes.
[102]À
Charles Girard,
la premier annee
que luy, &
l’auteur
furent
mariez.
Double estreine ici tu peux lire :
Car à ta femme ie desire
Vn [p. 119] 119Vn beau fils, & deux à la mienne :
Elle m’est plus pres que la tienne.
[103]À
Eustace de la porte,
Conseiller au Parle
ment de Paris, quand le
proces de
l’au-
teur
luy fut distribué pour
rapporter.
Comme la nef apres long nauigage
Ioyeuse arriue à son port en seurté,
Ainsi mon sac, apres bien long voyage,
Fut ioyeux d’estre en voz mains arresté.
5Or ie vous pry par celle integrité
Grace, & sauoir, qui en vous font demeure,
Que mon proces par vous soit visité,
Et rapporté ces iours à la bonne heure.
[104]Autre audit
Conseiller,
&
rapporteur.
Ie suis fondé en droit, & equité
Par texte, & glose, ainsi qu’il est notoire :
Mais on m’allegue vne formalité
Que ie suis mal fondé au possessoire :
5Qu’il soit ainsi ie ne le puis pas croire
h 4 [p. 120] 120Pour grand raison : mais encor qu’ainsi soit,
Le possessoire, ou bien le petitoire,
Me feront ils auoir tort, si i’ay droit ?
[105]Autre, aussi audit Conseiller
166305.
Ie suis entré dedans vn labirynte
Long & facheux, dont ie ne puis sortir :
L’enfant qui est dedans sa mere enceinte
N’est que neuf moys iusques au departir :
5Et en neuf ans onq ie n’ay peu partir
Du labirynte obscur, & difficile :
Mais ie commence estre en voye facile,
Et voir le iour que l’Aurore m’apporte
Espoir me dit que point ie ne vacile,
10Car tost, & bien sortiray Porte.
[106]À
Monsieur Tignac,
Lieutenent gene-
ral, &
President à Lyon.
L’autorité, & le sauoir
Quand ils sont en vne personne,
Telle personne doit auoir
Honneur de tous, que le deuoir
5Pour l’heur, & pour la vertu donne :
Mais d’abondant la grace est bonne
Qui [p. 121] 121Qui en toute humanité sonne,
Ne peult que les cœurs ne retienne :
Ce triple bien veult, & ordonne
10Qu’vn Tignac en honneur on tienne.
[107]À
Monsieur Brinon,
fils vnique du
premier President de Rouen.
Grec, & Hebreu en ton ieune aage
Tu as apris, ami Brinon :
C’est bien pour acquerir renom
Comme ton pere docte, & sage,
5Et pour tousiours haulser le nom
Qui en renom eut l’auantage.
[108]De la mort de
Monsieur
de Langey.
Phebus & Mars, l’vn beau, l’autre puissant,
Auoyent laissé & la harpe, & la lance,
Voyans Langey, helas, trop languissant
En son corps plein de grace, & d’excellence :
5Puis quand la mort le mit en deffaillance,
Incontinent harpe & lance ont reprins,
Non pour iouer, & vser de vaillance,
Mais pour les rompre en tresgrãd desplaisance,
D’aspre regret surmontez, & surprins.
h 5 [p. 122] 122
[109]À son ami,
Monsieur de la Saulx,
Secretaire de Monsieur le
Car-
dinal de Chastillon.
Veu ton sçauoir tu n’eusses seu
Meilleur parti prendre, ou elire,
Quand pour ton Seigneur tu as eu
Ce Mecenas, qui ayme à lire,
5Et ouir ce qui peult instruire
En tout bien & toute vertu :
Qui maint sauant haulse, & attire
Quand fortune l’a abbatu.
[110]À
Monsieur de Cremieu,
Lyonnois.
Fermant à ma Muse la porte
Ocieuse, negocieuse,
Morphee apres me la rapporte
Transformee, & toute monstreuse :
5Sa face vierge & gracieuse
Print forme d’vn, & d’vn autre homme,
Que Mars, & que Mercure on nomme,
Pour voler iusque es loingtains lieux
Faisant que Fontaine on renomme,
10Et pour combatre l’enuieux.
Au [p. 123] 123
[111]Au Roy,
Henri second du nom :
sur
son Treseureux aduenement
à la
Couronne de
France.
Cet eureux, & digne aduevement
Du Roy Henri, Roy fils du Roy Frãçois,
Ie voy triomphe en France abondamment,
Et loz au Roy, quelque part que ie sois :
5Renouueler les beaux espris François :
Aux estrangers liesse, & alliance :
Cela voyant, i’ay dit plus de cent fois,
Henri, grand Roy, doit grand eur à sa France.
[112]À
Monsieur de Saint Antost,
premier
President de Rouen.
Pour tirer droit deuers toy son passage.
Ma Muse n’a grand moyen, ny adresse,
Fors par son ieune-antique ami Sauuage
De tes vertus admirant la haultesse.
5Mais que fault il tant de solennitez ?
Ma Muse droit aux vertueux s’adresse
(Et mesmement aux gens d’authoritez)
Et les sauans elle honore sans cesse.
Or [p. 124] 124Or derechef pensant à toy, si est-ce
10Qu’ay vn ami ton parent Desautels,
Qui à ton loz, & au sien, tousiours dresse
(Par sa Clio ) des immortels Autels,
[113]À
Monsieur Saliat,
à qui
l’Auteur
donnoit son pourtraict.
Si le peintre n’a prins grant soing
A tirer au vif mon image,
Que ie t’apporte de bien loing,
Pour te donner vn tesmoignage,
5Et de nostre amour certain gage,
Ne t’en esbahi nullement :
Car il croyoit tout seurement
Qu’en ton cœur, qui m’a tant aymé,
Et qui m’ayme parfaitement,
10I’estois pourtraict plus viuement
Qu’onques son art n’eust exprimé.
[114]À vn
ami,
& Poëte, retournant d’Ale-
maigne,
auec l’
Ambassadeur
du Roy.
Pvis que tu fais si bon retour
De ce païs des Alemaignes,
Plein de discord, & de destour,
Plein [p. 125] 125Plein de guerres, & de montaignes,
5Il ne fault pas que tu te plaignes
De faire le present, & l’offre,
De nous enuoyer, si tu daignes,
Quelque epigramme en lifrelofre.
[115]Diuersité, du temps passé, & du
temps present.
Le temps passé l[’]on souloit recongnoistre,
Et honorer ceux qui par leurs escrits
Faisoyent le bruit, & l’hõneur des gens croistre,
Et occupoyent leur Muse, & leurs esprits
5Pour à vertu donner son loz & pris :
Mais à present que nous courons apres
L’or & l’argent, pour qui, soit loing, soit pres,
A tous trauaux nous sommes trop vouez,
Laissans pour l’or les faits de loz expres,
10Ne tenons compte aussi d’estre louez.
[116]
L’auteur
au Seigneur
Iean
Brinon
Ce liure d’Odes ie t’adresse,
Pourtant qu’en tes graces infuses
Tu te montres Prince des Muses,
Et que suis homme de promesses.
SENSVIT LE
LIVRE DES
odes.
[1]et premierement
À
Iean Brinon.
P our louer le mignon des Muses,
Des Muses le premier mignon,
Vien, espans tes graces diffuses,
Apollo, c’est pour ton Brinon :
5
Aymé-aymant toute la troupe
Des Poëtes saintz & sacrez :
Et qui boit souuent en leur couppe
Du saint nectar de leur secretz.
C’est celuy qui tant les recree
10Et de son œil, & de son bien :
C’est celuy qui sur tous agree
Au sainct couppeau Thessalien :
Qui sur le poinct de sa naissance
(Pour demontrer vn plus grand eur)
Repr [p. 128] 128 15Reprint la face, & accroissance
D’vne plus diuine verdeur.
Dequoy les Muses estonnees
Ont vn tel propos demené,
Sachons par quelles destinees
20Tel nouueau bien nous est donné ?
Lors Phebus respond, par Oracle,
Que pour le nouueau né Brinon
Aduient vn tel diuin miracle,
Miracle digne de renom.
25
Car luy (dit il) tiendra ma place
Dessus le mont Parisien,
Luy qui a la grace, & la face
De moy Phebus Thessalien.
Et, par le fil des destinees
30Quand au ciel seray rappelé,
Vous, Muses, luy serez donnees
En garde. Des qu[’]il eut parlé,
Tou [p. 129] 129
Toutes les Muses de Thessale
Demenans ioye, & nouueau ris,
35D’vn pas, & d’vne marche egale
Vont droit au nompareil Paris.
Là ce Brinon nouueau-né trouuent,
Et comme leur vray nourrisson,
L’embrassent, l’alaictent, le couuent,
40Par vne admirable façon.
Depuis luy deuenu en aage,
Ce bien a si bien recongnu,
Qui leur donne en propre heritage
Son propre bien, & reuenu.
45
Elles n’ont plus prins leur adresse
Deuers le mont Thessalien :
Ains delaissans du tout la Grace,
Viuent au mont Parisien.
[2]Ode ij.
L’auteur
à sa
Flora.
I’ay la main blanche, escriuant lettre noire
Que ne pourra nulle pluye effacer,
i [p. 130] 130Non toute l’eau, soit de Seine, ou de Loire
Qu’ Orleãs voit passer sans trespasser.
5
I’ay l[’]arc bandé dont les traits ne deffaillent,
Corde ne rompt, ny l’hébéne vouté,
Qui pour Phebus incessament bataillent,
Car il n’a point Fontaine debouté
Du nombre eureux de sa gent belliqueuse,
10Tuant tousiours le monstre renaissant :
Et dont la fleche, estant victorieuse,
Va d’vne mer à l’autre outrepassant.
Ie tien mon luc dont la corde tendue
Ne rompt, ainsi que corde d’artisans,
15Et dont la voix est bien loing entendue
Par l’air François depuis deux foys dix ans.
I’ay le pinceau du doux art Poëtique
Dont ie pourtrais ma Flora florissant :
I’ay le liuret de diuine musique,
20Là ou ie chante vn chant non perissant.
O ma [p. 131] 131O ma Flora, bien que ton seul corps meure,
Le mien aussi, pourtant point ne mourrons :
Car mon doux chant à ton honneur demeure
Mille foys plus que viure ne pourrons.
[3]Ode iij.
À
Monsieur le Cardinal
de Chastillon.
Les cieux ne sont point tant semez
De ces beaux clers feux alumez
Quand la nuict se monstre si clere
Qu’elle doit peu au iour, son frere,
5
Que les beaux champ, de tes vertus
Sont ores couuertz, & batus,
De tes vertus grandement grandes
Marchans par troupes & grans bandes,
Que tu fais bien paroistre au iour
10Durant ton naturel seiour :
Mais tes vertus enseuelies,
Apres ta fin seroient faillies,
[p. 132] 132Si vn Mercure, ou vn Phebus
Ne les tiroit de l’Herebus,
15Du Stix d’oubli, pour les faire estre
Encores viues, & renaistre.
Ie m’ose promettre, & vanter
Par ma Muse, de te chanter,
Si que tes vertus, & louanges
20Verront les païs plus étranges :
Et faisans leur tour & retour,
Cerneront le monde alentour,
D’vn cerne qui ne se termine,
Et que le long oubli ne mine.
25
Ainsi sus l’aile de mes Vers
Les reportant par l’vnivers,
Ie feray qu’elles seront, telles
Qu’elles meritent, immortelles.
Alors, qui ton Phebus seray,
30Du sepulchre t’arracheray,
Et te feray si bien reuiuvre
Que reuiuras pour tousiours viure.
Od [p. 133] 133
[4]Ode iiij.
L’auteur
à sa
Muse.
Mvse, ma deesse honoree,
De qui ma plume est la mignonne,
Par elle seras reueree
Ainsi qu’vne sacree Nonne :
5
Par toy, i’ay vn nom qui s’abille
Tout de plumes, pour son vol prendre,
Et s’en va leger, & habile
Loing se faire voir, & entendre.
Par toy mes petis vers verdissent,
10Et, tousiours verds, tu les fais croistre
Aux beaux champs qui tousiours florissent
Benistz par ta sainte main dextre.
Mieux que Medee, & que la Circe
Tu raieunis, & tu transmues :
15Comme le hault Poëte Dirce
Qu’en vn aigle, ains Phenix, tu mues.
Encor, pour vn euident signe,
i 3 [p. 134] 134Tu me transmue en Aloëte,
En Rossignol, en vn blanc Cigne,
20Qui a la voix d’vn doux Poëte.
[5]Ode v.
À sa
166209.
Mais dy moy donc, ô ma Flora,
Pourquoy on t’a veu si fort plaindre ?
Et pourquoy ton œil tant plora
Et qui le peut à ce contraindre ?
5
Ha, ie le deuine, & l’entens :
Ha, ie l’entens, & le deuine :
C’est que tu fus par trop long tẽps
Sans ta moitié la plus diuine.
Mais comment sans elle estois tu ?
10Mais comment estois-tu sans elle ?
Veu que par diuine vertu
Tousiours as sa Muse, & son zelle ?
Sa Muse, qui en son François
Chanta si cler des son enfance :
Sa [p. 135] 135 15Sa Muse, qui ou que tu sois
T’honnore de son creu de France :
Que si pour ta terrestre part
Eloignee, tant te tourmentes,
Ton cœur n’a donc faict tel rempart
20Que mille payenne amantes.
Car si leurs lettres & escritz
Tu veulx pour ton soulas elire,
Tu verras quelques plaints & cris,
Mais nõ pas tant que tu veulx dire.
25
Tu y verras Penelopé
Regretter son mary Vlisse,
Qu’en vingt ans elle n’a trompé,
Ains les braues pleins de malice :
Qui trop audacieusement
30Luy faisoiẽt la court, & grãd chere :
Mais son cœur chaste sagement
Les abusoit sous toile chere.
i 4 [p. 136] 136Que si vingt ans elle attendit
Constamment sa chere partie,
35Pourquoy n’aurois ie le credit
De six moys vers toy, ie t’en prie ?
Voire à vn besoing de six ans ?
Comme encore auiourd’huy s’en treuue
De seules en veuf lict gisans,
40Mais Dieu te gard d’en faire epreuue.
[6]Ode vj.
À
Monsieur de Querinec,
& de
Coad-
iunal,
gentilshommes de
Bretaigne.
Il n’est si bonne compaignie
Qui ne se doiue separer,
Tant soit de bonne amour garnie,
Et tant s’en puisse elle parer.
5
De Capricorne en Capricore
Phebus est presque retourné,
Eschau [p. 137] 137Eschaufant vne fois la corne
Du Taureau de fleurs atourné,
Depuis que la nostre alliance
10Que le ciel dans Lyon lia,
Print sa racine, & accroissance
Qui dans Paris se publia :
Et si se publira encore
Par mes Muses qui voleront
15Depuis le soir iusque à l’Aurore,
Deux bouts du ferme element rond.
Car ceux que mon vers veult elire
Pour leur vertu, ou leur sauoir,
Immortalizez par ma lyre
20Leur nom hault voler pourront voir.
Ie n’ay pas petite puissance,
Ny d’ Apollo peu de faueur,
Ie sens en moy des ma naissance
Vne Poëtique ferueur :
i 5 [p. 138] 138 25Ferueur qui me donne des æsles
Pour voler par tout l’vniuers :
Aesles qui seront immortelles
Comme immortelz seront mes vers.
Aussi d’estre né ie me vante
30Au pied du Parnasse François,
Là ou ma Fontaine coulante
Ne meurt, bien que mortel ie sois.
Là i’ay veu des ma grand ieunesse
Phebus auec les neuf sœurs,
35Par vne fatale caresse
Me repaistre de leurs douceurs.
Quand donc de noz Muses Françoises
Suis le destiné nourrisson,
Mes vers coulans en douces noises
40Chanteront de vous en tel son,
Que l’ame de la compaignie
Departant, ne departira,
Ains d’immortelle amour vnie
Par mes vers iusqu’au ciel ira.
Ode [p. 139] 139
[7]Ode vij.
A
vn Gentilhomme,
son hoste & son
ami, allant vers le
Roy
au Camp,
en Iuillet 1554.
Le plus brief que ie pourray,
Ie diray
Adieu à ta compaignie :
A toy ne le diray point,
5Pour le poinct
De la longue amour vnie.
Ta vertu & ton sauoir
Me font voir
Ie ne say quoy de si rare,
10Que dire adieu ie me deulx,
Et ne veulx
A qui de moy ne separe.
Mais pourrois-ie dire adieu
En ce lieu
15Tous deux reluisent en toy :
Nostre Roy
Fault qu’ores de Mars se serue.
Là [p. 140] 140Là tu verras les assaults,
20Les tours caults,
Surprises, & stratagemes :
Là tu verras les combats,
Les esbats
Que ie say bien que tu aymes.
25
Ton cœur Martial bien-né,
Estrené
Soit il d’vne bonne estreine,
Par laquelle tu sois bien,
Et en bien
30Et en honneur pour ta peine.
La Grece qui t’a congnu
Bien-venu
Dedans ses terres baignees,
Et l’Italie ou maints faits
35Tu as fais
Pleins de tes graces ornees :
Puis le faiz que tu soustins,
(Et retins
Con [p. 141] 141Contre fortune constance)
40Dans le Haynault : tout cela
Te doit là
De loz & biens iouyssance.
Mais des biens n’as grand souci,
Et aussi
45Ta vertu ne les pourchace :
Ta vertu que ie congnois
En harnois,
En estude, en faict, en face.
En toy Vlysses reluit,
50Qui conduit
Tout par sagesse & par grace :
En ton front,
En ton cœur, ton corps, & trace.
55
Adieu donc point ne diray,
Ny pourray
A ta prouesse, & prudence :
Mais ie diray bien Dieu gard
Toute [p. 142] 142Toute part
60A ta vertu, & vaillance.
[8]Ode viij.
Par apostrophe, à la Saone,
& au Rosne.
Douce Saone, qui danse aux sons,
Et qui entens bien la cadance
De mes Muses, & des chansons
Auxquelles aussi à plaisance
5Le Rosne roulant, souuent danse,
Si à vostre honneur i’ay chanté
Et si encores ie y compose,
Mon nom soit donc par vous porté
Iusques à la porte desclose,
10Ou vous courez sans faire pose.
Là vous rebruirez en mourant
Entre les bras de vostre mere,
Que ie suis vostre eur, & garant,
Et que ma Muse est coustumiere
15De vostre louange premiere :
Muse [p. 143] 143Muse, vous gardant de mourir
Apres vostre course derniere :
Et qui fait voz beaux noms courir
Par la Poëtique carriere,
20Seul honneur de toute riuiere.
[9]Ode ix.
L’auteur
escrit de son alliance
auec
Flora.
Cette Fontaine
Venant de Seine,
De la ville au siege prudent,
Bruit en sa veine,
5Qui n’est pas veine,
Vn doux son d’vn cours euident,
Iusques au Rosne,
Et sa sœur Saone,
Qui l’ont bien voulu caresser :
10Et leur hault trosne
De drap d’or iaune
Pour Flora ont fait tapisser :
Qui [p. 144] 144Qui l’a receuë
A pleine veuë
15Des montaignes & des coutaux :
La cóte drue
De ioye esmeuë
Sur la riue en a fait maints sauts.
Le mont Foruiere
20Pres la riuiere,
De cette alliance est tant fier.
Qu’en face fiere
Saute en arriere
Pour monts d’Auuergne deffier.
[10]Ode x.
À
Françoys l’Archer :
que la puis-
sance d’amitié, & les biens qui
en procedent, sont in-
estimables.
Ie tien la clef qui ouure
Le tresor d’amitié :
Le grand tresor du Louure
N’en vault pas la moitié.
Tout [p. 145] 145 5
Tout ce que l’ami touche,
Se conuuertit en or,
Voire en fin or de touche,
Et en plus fin encor.
C’est vn Mydas antique
10L’ami certainement :
La science & pratique
Il a diuinement,
Et la puissance egale
A la pierre au grand cout,
15Pierre Philosophale
Qui transmue en or tout.
D’amitié le plus proche,
Ami, bende ton arc,
Et ta fleche descoche
20Au milieu de ce parc,
Lionnoys Chersonese
Chersonese demi,
Là ou chante à son aise
La Muse à ton ami.
k [p. 146] 146
[11]Ode xj.
À sa
Muse,
& en faueur de
sa
Flora.
Chante vn chant qui l’air couppe,
L’air ami de ta voix,
O Muse, & prens ta coupe
Deuant la docte troupe
5Des Nymphes que tu vois,
Cette coupe luysante
En pierrerie, & or,
Tel’ splendeur produisante
Qu’auoir fait el’ se vante
10Ialoux le cler tresor,
Qui en sa pierrerie
Va le monde éclerant,
Montrant face marrie
Et dardant ses trais crie,
15Si grand mal endurant :
Cette coupe tant riche,
Couronne en ce ruisseau
Que [p. 147] 147Que le saint troupeau liche,
Puis d’vne main non chiche
20Vien espandre cette eau,
Sur la fleur que tu oses
Vanter sur toutes fleurs,
Sur lys, oeillets, & roses,
Au plus vert moys decloses,
25Par les Zephyrs soufleurs.
[12]Ode xij.
À sa
Flora.
Qvand ie chante de vous
En mon bas stile doux
La louange certaine,
Vous dites tous les coups
5Que mon sens & ma veine
Pour vous ont trop de peine :
Mais ne scet l[’]on pas bien
Que plus d’honneur, & bien
La grand’ vertu merite,
10Qu’à vostre seul maintien
k 2 [p. 148] 148L[’]on ne iuge petite,
Aiguille qui m’incite :
Toutesfois, si ne suis
De ce loz que poursuis
15Poëte & chantre digne,
Pensez que sous les nuictz
De long silence indigne,
Est mainte Dame insigne :
Qui n’a pas eu moyen
20De rencontrer ce bien
D’auoir telle trompette,
Qui face l’honneur sien
Sonner loing en voix nette,
Encor qu’elle l’appette.
25
Ma Flora, seule fleur
Qui embasme mon cœur
En la part plus secrette,
De ton renom l’odeur
Des-ia bien loin se iette
30Au son de ma musette.
Ie [p. 149] 149
Ie trouue qu’il y a
Puis aussi la Corinne,
Puis encor Lesbia
35Dont maint Poëte insigne
A chanté maint bel hymne.
Ie trouue tout ainsi
Auoir esté chantees :
40L’espoir & le souci
Sous qui sont inuentees
Mille chansons notees.
On en voit mainte bulle
45Puis Ouide en douceur
N’y a fait faute nulle,
N’ Horace le harpeur
Ore en ris, ore en pleur.
Tels sonneurs ont sonné,
50Et quelquesfoys tonné
k 3 [p. 150] 150Les honneurs de leurs dames,
Qui auoient moyssonné
Leurs corps, leurs cœurs & ames,
Et mis en dures fiames.
55
Et encor auiourd[’]huy
N’y a presque celuy
Qui sa Dame ne chante,
Et en trouble & ennuy
Estre heureux ne se vante,
60Tant ce charmeur l’enchante.
Vne si claire loy
Ne les tient comme moy,
Ni amour tant honneste :
La nuict noircit leur foy,
65Et leur bande la teste
D’ignorance inhonneste.
Des vieux siecles passez,
Ia long temps trespassez,
Ilz rameinent la feste,
70Ilz sont sauans assez,
Mais [p. 151] 151Mais fuit les admonneste
L’idole deshonneste.
S’ilz eussent lors esté
Que le siecle auorté
75Fut libre en torte chante,
En la nuict arresté,
Chacun d’eux à plaisance
Eust peu suyure l’vsance.
Mais au iour & clarté
80Qu’a Phebus rapporté,
Phebus nostre lumiere,
Chacun est enhorté
Suyure en autre maniere
Nostre clere banniere.
85
Or donques, ma Flora,
Mon vers qui t’honora
Leue au beau iour la creste,
Il marche, & marchera
En plain champ, hault la teste,
90Sans craindre la tempeste.
k 4 [p. 152] 152
Puis ces boutons ornez
Que tu m’as boutonnez
Au beau champ de ton estre,
Ont mes vers façonnez
95Pour plus clers apparoistre
A toy qui les feis naistre.
En écriuant de toy,
Tant doux couler ie voy
Les ruisseaux de ma veine,
100Que ie sens dedans moy,
Au cœur de la Fontaine,
Tout plaisir, & non peine.
Mon luc te sonnera,
Tant qu’on s’estonnera
105De te voir louangee :
Ma Muse te fera,
Es champ eureux logee,
Du long oubli vengee.
Phebus a ordonné
110Que ie sois coronné
Par [p. 153] 153Par Flora ma mignonne :
Vien donc, cœur floronné,
Et mon chef enuironne
De la verte couronne.
[13]Ode xiij.
À Monsieur le
Cardinal
de Chastillon.
L’auteur
presagit, & quasi pre-
voit son
immortalité,
par sa
Muse.
Dieu qu’est ce-cy ?
Ie sens icy
Hors & dans moy
Vn grand esmoy :
5
Vne mutation étrange
Entierement tout mon corps change.
Chantant mes vers
En tons diuers,
Suis mué tout,
10De bout en bout.
Ma teste haulte, s’appetisse
Et mon poil par tout se herisse :
k 5 [p. 154] 154Qui plume est fait
Par vn grand faict,
15Et en blancheur
Rend grand lueur.
Mes deux bras emplumez s’estendent,
Et à voler desia pretendent.
Iambes, & piedz
20Me sont liez
De rude peau
Trempee en l’eau :
Tout au bout des doigts y sont iointes
Des griffes, & picquantes pointes
25
Mon nez pointu
Plat rabbatu,
Et faict brun-sec,
Me sert de bec,
Desia bien hault par l’air ie vole,
30Couuert de plume blanche & molle.
Puis [p. 155] 155Puis fendant l’air,
Vien bas voler,
Pres les ruisseaux
De douces eaux :
35
Là planté sur l’herbage tendre,
Loing ma voix douce fay entendre.
Aupres d’Ainé,
Mon chant est né,
Et non en vain
40S’espand au sein.
De Loire longue, & Seine saine,
Iusqu’à Tethys leur mere pleine.
Parmi les champs
Semant mes chants,
45Iusques aux cieux
En plusieurs lieux,
Cigne faict ie vole, & me plante :
La terre, l’air, & l’eau ie hante.
Bien [p. 156] 156
Bien que sur tous
50Oyseaux sois doux,
Si l’Aigle fort
Me fait effort,
De grant cœur me deffens, de sorte
Que la victoire i’en rapporte.
55
Des œufs ie ponds
Polis, blancs, ronds,
Que bien souuent
Ie vois couuant :
Attendant que bien tost ie vole
60Depuis l’vn iusqu’à l’autre Pole.
[14]Ode xiiij.
À sa
Flora.
I’ay affaire à vn Achilles,
Ie me puis bien nommer Hector :
Et voudrois mieux estre Hercules
Qu’vn ancien sage Nestor :
5
Car science, & sagesse ici
Sont [p. 157] 157Sont estimez mais c’est tant peu
Que le moindre de leur souci
Fait à ces deux adresse & vœu.
Or si me puis nommer Hector,
10Andromache te puis nommer :
Andromache qui vit encor
Pour son Hector tresbien aymer :
Et pour conduire par la main
Son petit fils Astianax
15Qu’ Hector verra quelque demain
Comme grant desir tu en as.
[15]Ode xv.
À
P. de la Saulx
, Secretaire du
Cardinal de
Chastillon.
N’a pas veu Cephal & l’Aurore,
5 Ny [p. 158] 158
Par Orestes redemandee,
Qui auec elle est retourné
Ains a veu Hector, Andromache,
10Andromache en pudicité :
Mais non Hector lequel s’attache
Encontre Achilles irrité :
Ains Hector de Francique Troye,
Encontre l’ignorance armé,
15Auquel Phebus puissance ottroye
Que soit par son arc assommé
Ce monstre ennemi de la Muse,
Et de toute douceur de vers,
Que desia le combat refuse,
20Et gaingne les champs à trauers.
Mon arc que i’enfonce, & ie bande.
Ou qu’il fuye, l’attaindra bien :
Et mettra en route sa bande,
Pour faire aux Muses vn grand biẽ.
Ode [p. 159] 159
[16]Ode xvj.
À sa
Muse
de sa
Fora [sic.]
.
Chante ma Muse, chante ici
La plus douce fleur qui fut onques :
O ma Muse, mon doux souci,
Chante la, rechante la donques.
5
Phebe ne se contente point
De montrer vne foys sa face,
Souuent se montre en diuers point,
Et dix mille clers feux efface :
Ainsi parmi les champs diuers
10Ma fleur, tu montres & remontres,
Recoulouree de mes vers
Bigarrez à toutes rencontres.
Et la montrant, elle destaint
Auecques sa naiue grace,
15Des autres fleurs tout le beau taint,
Leuant hault sa teste, & sa face.
Parmi la France on la voit bien,
Tu [p. 160] 160Tu la fais à tout oeil congnoistre :
Sa grant vertu (seul riche bien
20Vainqueur du temps) tu fais paroistre.
[17]Odelette à sa Flora.
Ie t’ay donné de ma richesse,
Richesse qui ne se consume :
Ce sont les tresors de ma plume,
Pleins de bon eur, & de liesse.
5
Mais pense tu, ô ma Fleurie,
Quand te donrois cent mil escus
Que ie te donrois encor plus ?
Somme d’argent est tost perie.
Cent mille escus n’ont la duree
10Que ce chant que ie voys chantant
Pour ta vertu que i’ayme tant,
Vertu non iamais mesuree.
[18]Odelette, à la
Mort,
que
l’Auteur,
armé
de sa Poësie, va deffiant.
Vien sur moy, Mort, quand tu voudras,
Pren moy au lict entre les draps,
Ou [p. 161] 161Ou aux champs, ou en mon estude,
Onc à ton honneur n’en viendras :
5
Pour repoulser ton dur effort
Mon vers est suffisant & fort.
Ie te presente sans esmoy
Le combat, car mon vers & moy
Ferons reboucher ton dard rude :
10Mon vers me vengera de toy :
Mon vers qui la Mort picque, & mord,
Fait trembler, & mourir la Mort.
[19] L’auteur au Lecteur.
Si Phebus dit prophetie certaine,
Phebus mon Prince, & qui de grace pleine
M’a inspiré, & si m’inspirera
Tant que ce corps mon ame animera,
5Enten, Lecteur, que l’eau de ma fontaine,
De source viue, & naturelle veine,
Au champ Françoys viuement coulera
Tant que Françoys en France on parlera.
[p. 163] 163
SENSVIT VN
LI-
vre d’epigrammes,
pour
estreines de ceste
annee 1555.
[1]
et premierement,
Au Roy treschrestien,
Henri second
du nom.
M on Apollo qui m’inspire,
Me rauit, & me fait dire
Qu’vn grand Croissant clerparois-
sant,
Ira ses deux cornes pressant,
5Pour clorre en sa circonference
Le reste du monde, auec France.
[2]Autre.
De Cesar l’heur, & diligence,
De Pompee l’esprit, sans l’agge,
De Fabius la grand prudence,
Et d’ Annibal le hault courage,
5De Fabricius fort, & sage,
L’honneur la foy, & la fiance,
Tous ces grans dons, & d’auantage,
Sont en Henri, grand Roy de France.
l 2 [p. 164] 164
[3]À la Royne.
Iadis Iuno estoit vne Deesse :
Iadis Pallas en estoit vne aussi :
De toutes deux l’antiquité ne cesse
De hault louër la vertu & haultesse :
5Mais toutes deux ne sont en ce temps cy
Qu’vne parfaite, & qui les deux resemble :
France & Itale aprouuent trop cecy,
Tu es Iuno & Pallas tout ensemble.
[4]A madame
Marguerite de France,
Duchesse de Berri.
L[’] on disputoit de la vertu
Si elle est au ciel, ou en terre :
Vn grand Sophiste bien testu
Dist qu’au plus hault des cieux se serre :
5Le chemin en est tout batu
Des sauans qui courent apres :
Mais auiourd[’]huy l[’]on determine
Qu’elle se tient tout ici pres :
Car ou tu vas elle chemine,
10Et demeure là ou tu es.
A ma [p. 165] 165
[5]A Madame la Duchesse de Vendosme.
Le lustre grand de ta vertu premiere,
Dont Apollo fut ialoux, & marri,
Ioinct aux vertus de la Royne ta mere,
Feit ton nom cler (qui ne sera peri,
5Ains splendira sur Phebus à iamais,
Perdant pres toy sa lueur coutumiere,
Chef-d’œuure illustre, & en tout bien flori)
Qu’elle es tu donc, & seras desormais
Que tu y iointz cette grande lumiere
10Des grans vertus du grand Duc ton mari ?
[6]A
Madame la Princesse de Ferrare,
& Duchesse de Guise.
Princesse illustre, à toute vertu nee,
D’esprit trescler, & tresbelle de corps :
Princesse ieune, & de science ornee,
De Duc espouse, & de Duc fille aisnee,
5Tant de vertus, & dons en grands accords
Estans en toy bien vniz, & concords,
Par merueilleuse, & haulte destinee,
Ne me font point trop esbahy, alors
Qu’en t’admirant, soudain ie suis records
10Que tu es fille à Madame Renee.
l 3 [p. 166] 166
[7]A ladicte Duchesse de Guise.
Viue la race bien ornee
De l’heureux nom de la deesse,
De la Duchesse deux foys nee,
De la deux foys nee Duchesse.
A Monsi [p. 167] 167
[8]A
Monsieur de l’Estoille,
President,
au Parlement de Paris.
Voici l’Estoille nette & clere,
Petite, & luisante sus toute,
Qui en son doux aspect eclere,
Suyuant du cler Phebus la route.
[9]A
Monsieur Tiraqueau,
Conseiller
audict Parlement.
Que fault il que de toy ie die ?
Tu es en tout art si parfaict
Qu’il semble à voir que tu sois faict
Pour clorre vne encyclopedie.
[10]A
Eustace de la Porte,
aussi Conseiller
audict Parlement.
Tu as tant fait pour le droit, & pour moy,
Que quand ma Muse y vient souuent penser,
Te veult louer : puis tombe en tel esmoy
Qu’elle n’y scet par quel bout commencer.
[11]A
Monsieur du Lyon,
aussi pareille-
ment
Conseiller.
Le Lyon est fort & puissant :
En cœur & en corps tu es fort.
Le Lyon ne se va baissant
l 4 [p. 168] 168Pour aux plus petis faire effort :
5Ny toy aussi, ie le croy fort :
Mais le lyon est inhumain,
Mouuant aux grans guerre, & discord,
Et toy tu es à tous humain.
[12]A
Monsieur Seneton,
Conseillier au
Parlement de Paris.
Ton bon sauoir, & grace exquise,
Qu’il n’est possible qu’on ne prise,
Ton recueil, tes propos ouuers
A ceux qu’ Apollo fauorise,
5Ont ma petite Muse esprise
De te donner ce petit vers.
[13]A
Monsieur d’Epesse,
Conseillier
du Roy au Parlement
de
Paris.
Ie ne puis, ny ne veulx t’omettre
En Poësie ny en prose,
Pour les graces que voulut mettre
Le ciel en ton corps qu’il compose.
A monsi [p. 169] 169
[14]A
Monsieur de Viole,
seigneur d’Aigre-
mont,
aussi Conseillier audict
Parlement.
Ma Muse maintient vn tel cas,
Et si ne s’abbuse orendroit :
C’est que ne se mesprendroit pas
Qui pour vn Phebus te prendroit.
[15]A Monsieur,
Ian Brinon,
Conseillier
audict Parlement.
Muse, dy moy, que pourrois-ie donner
A ce Brinon pour bonne & longue estreine ?
Fors par mes vers immortelz couronner
Son amitié immortellement saine,
5Que l[’]on entend sans fin bruire & sonner
Par le reflot & de Saone, & de Seine.
[16]A
Monsieur Vaillant,
aussi Conseillier
audict Parlement.
Ie voudrois bien pouoir desduyre
En beaux vers de pareille grace,
Cette vertu que ie voy luyre
En ta parolle, & en ta face.
l 5 [p. 170] 170
[17]A
Monsieur de Marmaigne,
maistre
des Requestes.
Science auec experience,
Estat auec humanité,
Vertu egale à la science,
Accroissent ton autorité.
[18]A
Monsieur d’Yuor,
Secretaire
du
Roy.
Ce bon œil, & bonne parolle
Que de bon cœur tu me demonstres
Quand quelquesfoys tu me rencontres,
Fait que vers toy ma Muse vole.
[19]A Monsieur le Senechal de Lyon,
Guillaume Gazaigne.
Dedans Lyon ton nom tant exalté
Voit dessous soy d’autres vn million,
Qui ce dicton pour deuise ont porté,
Tel Seneschal doit bon eur à Lyon.
[20]A
Monsieur de Tignac,
Lieutenant gene-
ral, &
President à Lyon.
Di moy, Lyon, en verité,
Qui plus grand loz merite auoir
Ou de Tignac le grand sauoir,
Ou bien la grande humanité ?
A mons [p. 171] 171
[21]A
Monsieur du Puy,
Lieutenant parti-
culier en
ladicte ville.
La Fontaine ne doit pas taire
Vn Puy si grand, & de renom,
Qui s’est monstré en son affaire
Ami de faict, parent de nom.
[22]A
Monsieur de Vauzelle,
Aduocat du
Roy à Lyon.
Le grand sauoir, & le grand zelle
De Iustice, & d’integrité,
Attrempee d’vne equité,
Ou sont ilz sinon en Vauzelle ?
[23]A
Monsieur Billoud,
Procureur du
Roy en ladicte ville.
Maiesté d’esprit & de corps,
Science & grande humanité,
Grans biens, & grand benignité
Ont fait en vous leurs grans accords.
[24]A
Monsieur Bryaud,
Conseillier au
siege Presidial de Lyon.
Auec sauoir, santé, ieunesse,
Honorable office, & richesse,
Pour le vray comble d’amitié
Vous fault encor votre moitié.
A mons [p. 172] 172
[25]A
Monsieur de Villas
Iuge ordinaire
de ladicte ville.
Humilité auec science,
Science auec humilité,
Syncerité, autorité
Trouuent en vous leur alliance.
[26]A Monsieur l’Aduocat Athiaud.
Tu as grace, & facilité,
Bon conseil à la verité,
Mis au poix de iuste balance,
Et au droit poinct vne constance.
[27]A Monsieur l’Aduocat Laurens.
Des grandes loix le grand sauoir,
Promptitude, & viuacité,
Inuention, dexterité
En toy se font clerement voir.
[28]A Monsieur l’Aduocat Thomas.
De bonnes lois, vn grant amas,
Le stile, & l’obseruation,
Iugement, & discretion
Sont en la teste de Thomas.
A Mon [p. 173] 173
[29]A
Monsieur Lymandas,
Conseil-
lier au siege
presidial de
Lyon.
Prestance de corps, & de voix,
En Lymandas se fait notoire :
Puis grande science de loix,
Et la couronne de memoire.
[30] Aux deux Melliers • il s'agit de Guillaume Mellier er Nicole Mellier , Aduocatz.
Les deux Melliers • il s'agit de Guillaume Mellier er Nicole Mellier ont alliance
De nom, & consanguinité :
C’est la double perle en science
Soit de loix, soit d’humanité.
[31]A Monsieur Gyrinet Aduocat.
Tu donnes telle experience
De ta vertu, & ta science,
Que bien aueugle se feroit
Que si luysant ne te verroit.
[32]A Monsieur le Seneschal
Guillau-
me Gazaigne,
& à
Monsieur
de Beau regard
son frere.
Vous estes deux, & n’estes qu’vn
Car tout entre vous est commun,
Science, vertu, & ieunesse
Ornee [p. 174] 174Ornee de grande richesse.
5Si que comparer vous peult on
A deux pierres en vn chaton,
Orientales, precieuses,
L’vne pres l’autre, radieuses,
Iointes en œuure haultement,
10Auec grace & contentement.
[33]Pour excuse du petit epigramme
precedent.
Par ces ans prochains à venir,
Ma Muse aura en souuenir
De grater tant vostre eur prospere,
Qu’encor croistra comme elle espere.
[34]Ausdits seigneurs, Gazaignes freres. • il s'agit de Guillaume Gadagne er Thomas Gadagne
Si permetez (par ce bon œil
Qui aux bons arts fait bon recueil)
Que de vous ma Muse s’accoste,
Ie corneray de poste en poste
5Voz louanges (car ie le puis)
Et les feray bruire depuis,
Ou le braue Phebus grimpant,
Par sa voute va galopant,
Iusques où, parfaisant sa táche,
Ses [p. 175] 175 10Ses grans coursiers las, il attache :
Et dans la grant mer se plongeant,
Du soir au matin va nageant,
Tout enamouré de l’Aurore
Qu[’]il la suit, & poursuit encore :
15Et en nageant prent son deduit
A se lauer toute la nuict,
Pour montrer sa face plus belle
Quand le matin il vient vers elle.
[35]Au Seigneur de Riuerie, le
Baron
Laurencin.
Astree, la vertu ancienne
Descendant du plus hault des cieux,
Feit Laurencin la maison sienne
( Laurencin le premier des vieux
5Bien renommé en tous les lieux)
Ou qu’elle voyse, ou qu’elle vienne,
Elle ne pouoit loger mieux.
[36]Au Tresorier Martin de Troye.
Priam, Seigneur de la grant Troye,
De grans biens & vertus doué,
A peine fut autant loué
Qu’est auiourdhuy Martin de Troye.
Au [p. 176] 176
[37]Au Tresorier
Artus Prunier,
& Rece-
ueur du
Dauphiné.
Tu mets contraires en accords,
Car tu es petit quant au corps :
Mais d’esprit, & d’experience
Es bien plus grant qu’en corporance.
[38]A Ieã Prunier, receueur de Forest.
Tu mets contraires en accords,
Car tu es grant d’esprit & corps :
Mais en grace & ciuilité
Tu as cœur plein d’humanité.
[39]Au
Capitaine Ceruieres,
Capitai-
ne des enfans de
Lyon.
Ie ne say par quelles manieres
Ie puisse extoller dignement
Le vertueux-heureux Ceruieres,
Qui se maintient si dextrement.
[40]Au Capitaine George Regnart.
Tu as vertu, & grace humaine,
Que ie tesmoigne en ma science :
La verité à ce me meine,
Qui en ay veu l’experience.
Aux [p. 177] 177
[41]Aux
Enfans de la ville de
Lyon.
On veit, quand nostre noble Roy
Entra en triomphant arroy,
Voz vertueuses alegresses,
Voz brauetez, & voz richesses.
[42]A
Nicolas Henry,
seigneur de
Cremieu, Lyonnois.
Ieunesse, science, & sagesse,
Eureusement en toy se montrent :
Aussi les grans biens s’y rencontrent :
Et qui voudroit plus grant richesse ?
[43]Au secretaire Iean Grauier.
Si i’oubliois Grauier qui m’ayme,
Grauier qu’aussi i’ayme, & ie prise,
Grauier qui mes vers fauorise,
Ie m’oublirois quasi moy-mesme.
[44]Au
Chanoine Charton,
Lyonnois.
Si ta grande science pleine
Tu ioints à ma petite veine,
m [p. 178] 178A mon art, & basse science :
Ie t’asseure que telle estreine
5Ie prendray bien en patience.
[45]À P. Sceue.
La bonté, la vertu, la grace
Qui en tes faicts, & en ta face
Reluysent tant apertement,
Meritent honneur doublement.
[46]A Maistre Mathieu Michel.
Bien doict vers toy ma Muse aller,
Pour ta vertu, & ta science :
Puis d’amitié la longue vsance
Ne se pourroit iamais celer.
[47]A Maistre
Antoine Virieu,
En-
questeur en la
Senechaucé
de Lyon.
Qui plaisir fait, il vient les cœurs lier
D’vne amitié qui s’entrelasse entre-eulx :
Vn plaisir faict ne se doit oublier :
Et autresfoys m’en as fait plus de deux.
Au Gr [p. 179] 179
[48]Au Grefier Vidilli.
Ie say que tu aymes la Muse :
Et ie l’ayme, & poursuis aussi,
Et comme à celuy qui en vse
Te dedie ce quatrain cy.
[49]A Ennemond Polier.
Polier ami tant acompli,
Et en amitié tant poli,
L’esprit poli, dont ton sens vse,
Pourroit polir ma rude Muse.
[50]Au
Lieutant de la ville de
Chartres.
Entrez en ce rang maintenant
Vincent que vingt cent fois i’admire,
Vertueux Chartrain Lieutenant,
Ou la vertu mesme se mire.
[51]Au Seigneur
Ian Antoi-
ne Gros.
Ie te lourois plus grandement
Que par vn quatrain seulement,
Qui t’ay congnu ces ans passez :
Mais ta vertu te loue assez.
[52]Pour excuse, si aucuns ne sont pas
bien mis en leur ordre, &
se
lon leurs qualitez.
Si ie n’ay bien obserué l’ordre
De voz estatz, & qualitez,
Nul detracteur me vienne mordre,
Qui n’entends ces solennitez.
[53]Au Lecteur.
Au lieu de ris, ioyez, esbatz,
Qu’aucuns prennent en passant tẽps,
Auec ma Muse ie m’esbas :
Ma Muse c’est mon passetemps,
5De qui vn peu plus ie pretends
Que de perdre le temps à rire.
Si tu ne m’entends, ie m’entends :
Car non en vain sonne ma Lyre.
[54]A
Françoys Santien,
Seigneur
de Villette.
Le sens meur, & non ancien
L’heur, & la valeur (sans mentir)
Ne me sauroient de Santien
Sinon tout bien faire sentir.
A Noé [p. 181] 181
[55]A
Noé Neyret,
&
Marie
Briande
sa femme.
Ce moys nouueau, & enioué
Vous doint vn beau fils pour estreines :
Et que voz personnes bien saines
Viuent les ans du vieux Noé.
[56]A Iean de Rochefort.
Bien que ie ne sois ton parent,
Toutesfoys i’ay de toy pitié
Quand ie te voy si beau, si grant :
Ou trouueras tu ta moitié ?
[57]Aux deux
freres Prunas,
•
il s'agit de
Léonard Prunas
et de
François Prunas
Lyonnois.
Tous deux de ma Muse, & de moy
Amis, tous deux freres aussi,
Verrez voz noms tous deux ici,
Noms qu’oublier ne veux, ne doy.
[58]Aux deux freres Taillemont • il s'agit de Claude de Taillemont et de Jacques de Taillemont .
Tous deux freres, tous deux amis,
Tous deux aymez autant que trois,
Voyez voz deux noms que i’ay mis
Au front du plus renommé moys.
m 3 [p. 182] 182
[59]Au premier moys de l’an.
Moys à deux testes, & bonnetz,
Puis qu’à ton loz ma Muse forge,
Porte aux amis mes vers clers-nets,
Et tous frais sortant de ma forge.
[60]Au Seigneur Leonard Spine.
Dedans Lyon, eureux, tu tiens
L’extremité de deux grans biens :
C’est vn beau petit innocent,
Et vn grant batiment recent.
[61]A Alexis Iure, de Quiers.
Puis que Marot t’aymoit, & t’escriuoit
En vers François, comme en son œuvre on voit,
Ma Muse veult sonner dessus sa lyre,
Qu’elle peult bien & t’aymer, & t’escrire.
[62]Au seigneur
Sebastian
Sommage.
A ce tant vertueux Seigneur
Ma Muse doit porter honneur :
La vertu mesme fait hommage
A vn Sebastian Sommage.
A Mon [p. 183] 183
[63]A Monsieur Clepier, Aduocat.
Ta grand constance, & grand science
Qu’on ne peult louer dignement,
Me font passer dessous silence
Ce que tu as diuinement.
[64]L’auteur, à son compere
Seba-
stien
Gryphius.
Si vostre art, comme l[’]on scet bien,
Vous rend de l’honneur & du bien :
Vigilance & viuacité
Dient que l’auez merité.
[65]A son compere,
Guillaume Ro-
uille,
Libraire.
Diligence, & dexterité
Amitié aux gens de sauoir,
Vous deuoient la prosperité
Qu’on peult chez vous aperceuoir.
[66]A
Benoist Montaudouyn,
Bateur d’or.
Quand i’ay de l’or ie le caresse :
Et nonobstant tost il me laisse :
Et toy qui de grans coups luy donne,
Il te suit & ne t’abandonne.
m 4 [p. 184] 184
[67]A son compere
Thibault Payen,
Libraire, chez qui se vend
le
present liure.
Vends mes vers, possible immortelz,
Payen de nom, Chrestien de faict :
Et pleust or à Dieu en effect
Que tous les Payens fussent telz.
[68]A son compere
Iean de Tour-
nes,
maistre Im-
primeur.
Ton nom par tout si fort congnu
Aura bien petit auantage
D’estre dans mes vers recongnu,
Qui seront d’amitié le gage.
[69]A
Philibert Rollet,
lors qu’il
imprimoit le pre-
sent liure.
Puis qu’en ton art prens tant de peine
De mettre mon liure en lumiere :
Reçoy ce quatrain de ma veine,
L’ouant ta vertu singuliere.
A Guil [p. 185] 185
[70]A
Guillaume Phylledier
Imprimeur.
En ton estat, & en ta charge
Si tu as eu peine & affaire,
Aussi ta patience large
S’y est monstree necessaire.
[71]
L’auteur
à sa commere, la dame
Clemence de Rochefort.
Pour vne estreine à rebours faite,
Le mal des yeux ie vous souhaite,
Et à voz gens : en somme toute,
Que chez vous nul n’y voye goutte.
[72]A Anne de Rochefort.
Comme le beau Souleil efface
Des estoilles vn million,
Ainsi la beauté de ta face
Enrichie de bonne grace,
5Passe les beautez de Lyon.
[73]A Sibylle de la Porte.
Quand aux autres noms ie compare
Le tien beau, & qui tant bien sonne
Ie di qu’il est tant beau, & rare,
Qu’il conuient bien à ta personne.
m 5 [p. 186] 186
[74]Au premier moys de l’an.
Ò Ianuier des Moys le premier,
Et qui accostes le dernier,
Ianuier ioyeux pour tes estreines,
Si tu viens vers moy les mains pleines,
5Ie ne te veux pas renier,
Ains veux armer mes Muses saines
Pour te deffendre de Feburier.
[75]A Madamoyselle Lallier.
Et en la France, & en l’Itale
I’ay ton espoux veu, & congnu,
Qui, en louange principale,
Est pour second Phebus tenu :
5Mais ton pere onques n’est venu
En congnoissance, & veue mienne,
(Au moins pourueu qu’il m’en souuiẽne)
Et si ie m’ose bien vanter
Le congnoistre (sans attenter
10Par sus ma Muse, du vray serue)
Ton pere c’estoit Iuppiter,
Car il a engendré Minerue.
A mada [p. 187] 187
[76]A Madamoyselle de la Foy.
La vertu, la beauté, la grace,
De grand pris, chacune endroit soy,
N’ont point choisi meilleure place
Qu’en Damoyselle de la Foy.
[77] L’auteur, à sa Flora.
Tant que la mer sera salee,
Et la terre en May verdira,
Tant que montaigne aura vallee,
Fleurie en mes vers fleurira.
[78]A la bourgade de Chaponnot au
Lyonnois, lieu natal de
sa
Fleurie,
ou Flora.
Chaponnot, lieu hault & non maigre,
Ou ma Flora fut verdissant,
Tu sois tousiours sain & allaigre,
Et mieux que Tempé florissant.
[79]A son filz aisné, Iean Fontaine.
Sers bien Dieu, li bien, escri bien,
Honore pere, mere, & maistre :
En ce faisant tu pourras estre
Vn iour en honneur, & en bien.
A sa [p. 188] 188
[80]A sa fille Françoise Fontaine.
Ton corps a beauté suffisante :
Ton esprit a viuacité :
Fay que tu sois à Dieu plaisante,
En douceur & humilité.
[81]A son filz Charles Fontaine.
A trois ans assez bien tu parles,
Dans autres trois tu viendras lire
Les beaux vers que ton pere Charles
Pour son filz Charles veult elire.
[82]A son petit filz
Sebastien
Fontaine.
I’ay beau parler, tu ne m’entends,
Tu es trop petit pour m’entendre :
Mais, à voir ce tien minois tendre,
Semble qu’à respondre pretends.
[83]Autre.
Mon petit masle singulier
En beaux petis membres vnis,
Mais garde toy du faux Sanglier.
A mon [p. 189] 189
[84]A Monsieur
Auberi,
Lieute-
nant Ciuil à
Paris.
Science, & conscience bonne,
Grauité & facilité,
Iointes à ton autorité,
Illustrent beaucoup ta personne.
[85]A Monsieur
Braillon,
Conseil-
lier au siege
Presidial
de Lyon.
Le nom & renom de ton pere,
Des Roys • il s'agit de François Ier et peut-être de Louis XII & Muses honoré,
(Et qui durant son cours prospere
Fut de la France reueré
5Mesme en Paris presque adoré
Comme vn Phebus seul en son art)
M’incite de te faire part
De mes Muses : mais d’auantage
Ta propre vertu m’encourage,
10Ton sauoir, & ta grace : & puis
Ne fault oublier ce passage,
Que tous deux sommes d’vn pays.
A mon [p. 190] 190
[86]A Monsieur
Pasquier
, aduocat
au Parlement de Paris.
Quand ma Fontaine veult transmettre
Deuers toy quelque siens ruisseaux,
Incontinent, en prose ou metre,
Ie luy responds que seroit mettre
5Dedans la grand mer, des eaux.
[87]A Monsieur
Duarenus,
Do-
cteur, Regent à
Bourges.
Vers les sauans tousiours tu vses
De faueur, & d’humanité,
Qui m’as semonds, & inuité,
Honorant mes petites Muses.
[88]
L’auteur
à son cousin Monsieur
le coigneux,
Aduocat au
Parlement
de Paris.
Ta personne tant docte-humaine,
Que la deesse docte meine
Aux champs des loix des fruitz cueillir,
Poulse ma Muse à ne faillir
5T’offrir la veine, & la Fontaine
Que tu voulus bien recueillir.
A son [p. 191] 191
[89]A son cousin Antoine du gué.
Mais qui me pourroit diuertir
D’aymer ta science & vertu
Dont ton esprit est reuetu ?
Puis le bon sang ne peult mentir.
[90]A Monsieur le Baron de l’Espinasse.
L’amour que tõ cœur porte aux lettres,
Tesmoing ta librairie grande,
Fait voir ton nom en cette bande
Des amis de mes petis mettres.
[91]A
I. de Cãbray,
Chancelier de Bour-
ges,
Ambassadeur du Roy.
Tu scez parler maint beau langage,
Tu as acquis mainte science,
A qui as ioint experience,
Grace, & grans amis d’auantage :
5Et tout cela en moyen aage.
[92]A Monsieur
Touchet,
Lieute-
nant à
Orleans.
L[’]on prise sur tous vn Touchet,
Sa science est pour or de touche :
Et quand sa main par escrit couche,
Le poinct y gist, sans qui tout chet.
A Iac [p. 192] 192
[93]A
Iacques Ioubert,
Lieutenant Crimi
nel à Bourges, que
l’Auteur
auoit
veu malade puis peu de temps.
Pour t’estrener, auoir voudrois
Lors la santé ie te rendrois :
Puis en ton pere remettrois
5La ieunesse du temps passé.
[94]A
Françoys l’Archer,
Procureur
des Comptes à Paris.
Phebus fait son tour & retour
De iour en iour continuel,
Par son Zodiaque annuel :
Ainsi ma Muse, sans seiour
5Vole & reuole tout au tour
D’vn Archer amy solennel,
Et en amitié eternel.
[95]A Monsieur
Fournier,
Poëte,
& à
Iean Garnier.
I’admire la Muse à Fournier,
Sonnant bien en Sonnet & stance :
I’ayme l’amitié d’vn Garnier
Dont dans Tournus ie eu cõgnoissance.
A Capi [p. 193] 193
[96]Au Capitaine Pierre Bon.
Au faict conuient tresbien ton nom :
Car soit en mœurs, dont nul te charge,
Soit en ton estat, & grand charge,
(Ou tu as acquis bon renom,
5Auec honneur bien ample, & large)
Vn chacun dit que tu es bon.
[97]Au Contreroleur,
Philippe
Coulom.
Coulom de nom, Coulom de mœurs t’es fait,
Coulom qui n’est bigarré, ne diuers,
Ains d’vn blanc doux, plumage tant parfaict
Qu’il peult blanchir, & adoucir mes vers.
[98]A Monsieur de belle Isle.
Si i’estoye belle riuiere,
Ne faudrois d’estrener belle Isle,
Et l’estrenerois la premiere :
De mes poissons auroit dix mille :
5Puis l’accolant sans fin ne cesse,
Bruirois en signe de caresse :
Mais tresbien me contenterois
D’estre auiourdhuy belle Fontaine,
Car auec le temps ie ferois
10De mes ruisseaux riuiere pleine.
n [p. 194] 194
[99]A
Guillaume du Louët,
seigneur
de Querinec.
Ie congnois bien, & ne puis ne congnoistre
Comment tu prens par vertueux desir
Plaisir & peine à me faire plaisir,
Que veulx & doy par mes vers recongnoistre.
[100]A Monsieur
Syluius,
Mede-
cin à Paris.
Vn Syluius en medecine
Doublement estimer on doit :
Car de tous maux scet la racine,
Et par sa science diuine
5En guerit l’homme s’il le voit.
[101]A Monsieur
Fernel,
aussi Me-
decin à
Paris.
Porte en son chef la Theorïque :
Puis se fait voir en toute part
Expert-eureux en sa pratique.
[102]A
Geofroy Granger
Mede-
cin à Paris.
Pour estreine ie te donrois
Vne Muse mieux accomplie,
Et de haulteur passant les trois,
Et de [p. 195] 195Et de termes trop mieux polie
5Et d’inuention mieux remplie,
Si i’estois par grace diuine
Tel Apollo en Poësie
Comme tu es en medecine.
[103]A
Guillaume Plantius,
aussi
Medecin à Paris.
Les Aphorismes bien tournez
Par toy ami plein de science,
Nous font voir par experience
Vne part des grans dons ornez
5Que le hault ciel t’a destinez.
[104]A
Claude Millet,
Mede-
cin à Lyon.
Ie te puis dire vn Esculape,
Qui fais les gens resusciter,
Puis souuent les laz euiter,
Par lesquelz la Mort nous attrape.
[105]A
Simon Guy,
maistre Chi-
rurgien à Lyon.
Ton art vtile, & necessaire
Tu le scez tant seurement faire,
Que ce qui est plus difficile
T’est naturel, & tout facile.
n 2 [p. 196] 196
[106]A Marie Buzelin.
Le ciel se courbe, admirant ta constance
Contre l’effort d’vn destin, ou fortune :
Puis sus ton chef vne fleur d’excellence
Reluire fait, qui n’a pareille aucune.
5Comme l[’]on voit luire vne belle Lune,
Entre maint astre apparente en clarté
Durãt la nuict qui est obscure & brune :
Ainsi le pur de ton integrité,
Durant l’orage, & en l’obscurité,
10Fait qu’en vertu es entre dix mille vne.
[107]A Marie Crabe.
Comme en loix, en vertueux zelle
Ton espoux maintz Aduocatz passe,
Ainsi en taille, en grace, en face
Tu passes mainte femme belle.
[108]De son petit filz Polycarpe.
Ton Polycarpe ie n’oublie,
Ton petit filz tant esueillé :
Filz de face & grace anoblie,
Filz à tout bien appareillé.
A P. de [p. 197] 197
[109]A
P. de la Saulx,
Secretaire du
Cardinal de Chastillon.
Comme la Saule, arbre vtile & plaisant,
Se resiouyt aux ruisseaux de
Fon-
taine :
Ainsi la Saulx, ami plaisir faisant,
Se resiouyt au doux bruit de
ma
veine.
[110]A
Charles Seuin,
Chanoine
d’Agen, en Agenois.
L’honneur, & renom que merite
Ta vertu, ta grace, & sauoir,
Aussi ton bon recueil, m’excite
Ne passer sans faire deuoir
5De te faire ici ton nom voir,
Mon Parrin, & ami d’eslite.
[111]A maistre
Iehan Ferrand,
de Clamart.
Il ne fut onc acier si fort
Que la nostre amitié est forte,
Et qui, en despit de la mort,
Onque en mes vers ne sera morte.
n 3 [p. 198] 198
[112]A Monsieur de Sangelais.
Pour bien te louer par escrit,
Ie voudrois de toy emprunter
Ton cler, & ton diuin esprit,
Si tu me le voulois prester.
[113]A Maurice Sceue, Lyonnois.
Ces quatre vers que tu lis & tu tiens
(Ce dit Ianus ) sont les estrenes tiẽnes,
A celle fin que dix braues des tiens,
A cent pour cent, soyent les
estreines
miennes.
[114]A
Monsieur du Parc,
Cham-
penois.
Que veulx tu ami que te donne ?
Tu metz assez en euidence
Et ta science, & ta prudence,
Qui vont illustrant ta personne.
[115]A P.de Ronsard.
I’entonnerois plus hautement,
Ie chanterois plus amplement,
Si la Musette en moy infuse
Estoit digne de ta grand Muse.
A Ioac [p. 199] 199
[116]A
Ioachin du Bellay,
Seigneur
de Gonnor.
Pour escrire vers de hault pris
Tu entens mieulx que moy le poinct :
Si t’escri-ie, & tu ne m’escris :
Mais tu escris, ie n’escri point.
[117]A E. Iodelle Parisien.
Ta Tragedie, Cleopatre,
Que le Roy voulut voir iouer,
Dont il feit dresser le Theatre,
Te feit en Court beaucoup louer :
5Mais ie t’ose bien aduouer
De plus, si plus tu veux promettre,
Et à ton Apollo vouer
Nous mettre au iour tout ton beau met-
tre.
[118]A G. deshautelz.
Si comme toy Poëte estoye,
A toy comme toy i’escriroye :
Mais i’escri à toy comme moy :
Escri donc à moy comme toy.
n 4 [p. 200] 200
[119]A Monsieur de Sainct Romat.
Viue la Muse docte-humaine
Qu’en nostre Athene ie congnu,
Sur ce beau mont qui nous rameine
Tout l’honneur du Grec mont cornu.
[121]A I. Gohorri Parisien.
Si ie t’escri, ne t’esbahis :
Car les Muses, & le païs
Ne permettent que ie t’oublie,
N’y ta grace qui les cœurs lie.
[122]A Ponthus de Thiart.
Ta douce-eureuse grauité
Te rend Poëte inimitable :
Mais la grande profondité
De ton sauoir, incomparable.
[123]A Oliuier de Mangni.
Ie veux que ton Phebus m’inspire
Pour te louer suffisamment
Comme il t’inspire abondamment
En louant ta Castianire.
A Remi [p. 201] 201
[124]A Remi Belleau, Poëte.
Tous deux sommes (ami Belleau )
Cousins & de Muse, & de nom :
Aussi tous deux aurons renom,
Puis que tous deux portons belle eau.
[125]A Cl. Chappuy.
L’Aigle par toy tant bien chantee
Qui feit la poule à Landreci,
Que n’est elle ores rechantee,
Puis qu’encor fait la poule aussi ?
[126]A
P. Saliat,
qui a traduit
Herodote.
Saliat, qui à toy s’allie,
Est d’amitié bien allié,
Quand amour telle la lie,
Qui noz espritz long temps a lié.
[127]A luymesme.
Les vns quierent l’inuention.
Le sauoir, la profondité :
Les autres la deduction
Auec grace, & facilité
5Ennemie d’obscurité :
A tant de gens ayant affaire,
n 5 [p. 202] 202Pour leur diuerse qualité
Comment pourrois-ie satisfaire ?
[128]A Iean Dorat tresdocte en Grec.
Ami, non moins sauant que sage,
Celuy qui ores ne saura
D’ou vient Minerue, le lira
Facilement en ton visage.
[129]A
Louis Chesneau,
lecteur
en Hebrieu, à Paris.
D’estre tost grand durant ce regne
Ie t’en donne vn moyen nouueau :
Roigne vt [sic pour vn] petit nom nom, Chesneau,
Incontinent deviendas [sic pour deuiendras] chesne.
[130]A Iacques Pelletier.
En Pelletier l’art Poetique
Non seulement se trouuera,
Mais maint art de Mathematique
Auec luy on descouurira.
[131]A Monsieur Amyot,
qui a traduit
He-
liodore,
Diodore,
& les vies
de
Plutarque.
Bien que ie ne t’ay iamais veu
(Sinon [p. 203] 203(Sinon que tu m’ayes deceu)
Si te puis-ie faire sauoir
Qu’à moy, & maints, t’es bien fait voir.
[132]Au seigneur de Baif Poëte.
Muse Françoise, donc eureuse,
Est si parfaict, & si naif,
Si plein de grace armonieuse,
5Qu’il te fera, & mort & vif,
Viure la vie glorieuse,
Malgré Caron, & son esquif,
Mal gré l’eau noire obliuieuse.
[133]A monsieur de bon Repos, mon-
sieur
Lateranus.
Il ne fut onc feu sans fumee,
Effect sans cause n’a esté :
Aussi ta grande renommee
En sauoir, & humanité,
5(Le contrepoix d’autorité)
Ne sont sans le faict : aussi en ce
Ne celeray la verité,
Qui suis tesmoing d’experience.
Quand [p. 204] 204Quand donc ie prendray ma volee,
10Guindé sus l’aile de mes vers,
Bien tost ta louange extollee
Reuolera par l’vniuers.
Ie say tes clers esprits ouuerts
Surpasser ma Françoise Muse,
15Mais mes vers floris, tousiours verds,
Ou ton nom florit, ne refuse.
[134]A monsieur
Fumee,
grand Rap-
porteur de
France.
Ta haulte Pallas, lumineuse
Plus que la perle clere-nette
Que la grand’ Royne somptueuse
A de sa belle oreille traite,
5Pour sumptuosité parfaite :
Cette Pallas tant precieuse
Iointe à faconde gracieuse,
Ne peult au vif estre pourtraite
Par le pinceau de ma Musette,
10Sans la vertu miraculeuse
De la mesme Pallas eureuse.
Qui l’ayt premier idoine faite.
A Bar [p. 205] 205
[135]A Bartolemi Aneau.
Ta science pleine, & entiere
Que l[’]on peult bien assez congnoistre,
Te fera encor mieux paroistre
Mettant tes œuures en lumiere.
[136]A G. Aubert Aduocat à Paris.
Ieunesse, science, & vertu
Qui tous trois reluisent en toy
(Comme l[’]on scet, & ie le voy)
S’ils prosperent, quel seras-tu ?
[137]A François Content.
Ami tu es content de nom,
Mais ma Muse chante en effect
Qu’en tout honneur, & bon renom,
Nous le sommes tous deux de faict.
[138]A Gilles Bolaud.
Toy, & ton frere, deux amis
(Dont ma Muse a eu congnoissance
Des sa ieunesse, ou son enfance)
Par moy ne sont en oubli mis.
A Marc [p. 206] 206
[139]A
Marc Roger
Mathe-
maticien.
Quiconque hantera Roger
De perdre temps n’ayt deffiance,
Car en matiere de science
Il trouuera bien à ronger.
[140]A G. Galterus.
Longue amitié, literature,
Ne me voudroyent iamais permettre
Que i’oubliasse ton nom mettre
En mon tresor, qui luit & dure
5Plus que la perle nette & pure.
[141]Au Poëte Tahureau.
Ton sauoir, ta Muse, ta veine,
Qui tant doux coulent par la France,
Te font, par la Françoise plaine,
Auoir renom à suffisance.
[142]A Iean Pierre de Mesme.
Ma Muse estrenant ses amis,
Si elle t’auoit oublié,
Ce peché ne seroit remis,
Ains à iamais seroit lié.
A Bo [p. 207] 207
[143]A Bonauenture du Tronchet.
Tu as la Muse, & la ieunesse
Auec naturelle alaigresse.
Et que te puis-ie donner plus ?
Tu vaux plus de cent mil escus.
[144]Au Lecteur.
Si à mes amis ie me iouë,
Qui vouldra, m’en louë ou deslouë :
Ie ne suis point de ces Stoïques,
Sourcilleux, & melancoliques :
5Et les vers doiuent tousiours estre
Bien resemblables à leurs maistre :
Et puis les estreines gentiles
Ne veulent estre tant subtiles :
Et à resuer, & rechercher
10Maint amy ne se veult facher,
Qui n’a le temps, ne le plaisir,
Comme aucuns qui ont bon loisir.
Marot pour sa facilité
Sera leu, comme il a esté,
15Du commun (auquel ne veulx plaire
Totalement, n’aussi desplaire)
Tous [p. 208] 208Tousiours aura plus de lecteurs
Que cent, & cent, d’autres auteurs.
[145]A monsieur Angelus.
Mon cœur auec le tien lié
De forte amitié qui le lie,
Fait que ie ne t’ay oublié :
Fay donc que le tien ne m’oublie.
[146]A Iean Otin.
Ton cœur qui m’ayme, me prouoque
A t’aymer, louer, honorer
D’vne affection reciproque,
Et par mes vers te decorer.
[147]A Calui de la Fontaine.
Ton nom du tout semblable au mien,
Et ton cœur espris de ma Muse,
Me lient d’vn si vray lien
Que de m’excuser n’ay excuse.
[148]A Claude Gruget, Parisien.
Ton Astre auec le mien s’accorde,
Et me lie de telle corde
Qu’auec ta Muse qui m’astraint,
D’vn nœu plus fort me sens contraint.
A Re [p. 209] 209
[149]A Remi Belleau, Poëte.
Nous nous aymons, qui dit que non,
Certainement trop il s’abuse :
Tous deux sommes parens de nom,
Et tous deux parens de la Muse.
[150]A N. Preuotet.
Tu n’as pas trop, & si trop as,
Voire vn petit trop, Preuotet,
Ie te veux donc oster le ,tet,
Tu auras plus que n’as pas.
[151]
L’auteur
inuite ses amis à venir voir
leurs noms en son liure.
Pour recongnoistre vne amitié certaine,
Et tout plaisir que souuent m’auez fait,
Ce quatrain-cy vous semond en effect
Que vous veniez tous boire à la Fontaine.
[152]
L’auteur
estreine quatre cens amis
par ce quatrain.
Mes quatre cens amis i’estreine
De mes vers pleins d’vn bon vouloir :
N’est-ce pas vne riche estreine ?
Tant qu’on veult on la fait valoir.
o [p. 210] 210
[153]Aux
gens illustres, &
d’authori-
té, dont
l’auteur
a fait men-
tion
en ses œuures.
Mes vers honorent vostre nom
(Ce dit on) mais ie di que non :
Ainsi ie maintien tout le reuers,
Vostre nom honore mes vers.
[154]Aux
gens doctes, dont il a
fait mention.
Si i’ay mis voz noms en mon liure,
L’ay-ie fait pour les faire viure ?
Vie sans moy vous leurs liurez,
Et par voz œuures mieux viurez.
[155]
L’auteur
estreine
vn ieune
glo-
rieux,
qui se
[contentoit]
bien de sa personne.
Tu es à toy sage, & sauant,
Et quelque chose dauantage :
Mais à moy, ny à tout viuant,
Tu ne fus onc sauant, ne sage.
[156]A vn petit Myrmidon.
Petit de corps & de science,
Tu n’as cœur loyal à demi :
Que [p. 211] 211Que dy-ie ? tu es fort ami,
Car tu as double conscience.
[157]
L’auteur
donne les estreines
à ses enuieux.
Pour estrener mes enuieux
Ie veux qu’ilz soyent dans vn an vieux,
Vieux radotez, & r’acroupis
Ie leur souhaite encore pis :
5Puis qu’ilz ne sauent rien bien dire,
Qu’ilz ne cessent point de mesdire.
[158]Au Lecteur.
Quand ma Muse va saluant
Cent miens amis par ces estreines,
Les honorant, & les louant
Pour leurs vertus & graces plaines,
5Mais ou sont les personnes vaines
Qui par brocards luy voudroiẽt nuire ?
Telz n’auroyent pas les testes saines,
Ains sur eulx auroyent plus à rire.
[159]A Françoys du Cleré.
Ces Nymphes qui te sont amies,
Sont aussi amies des Muses,
o 2 [p. 212] 212De mes Muses non endormies,
Françoyses, franches & sans ruses.
[160]A
vne Damoyselie [sic pour Damoyselle], sa cou-
sine d’aliance.
Le perroquet de la belle Corine
En son langage auoit tant bonne grace,
Mais ie suis seur que cil de ma Cousine
En sa voix begue, & en sa langue grasse,
5Parlant, chantant, plus de deux fois le passe :
Or quant à moy cela n’est de merueille,
Car ma Cousine en sa bouche vermeille,
En sa main docte, & en sa douce voix,
En sa beauté, & grace nompareille
10Surpasse bien la Corine trois fois.
[161]A
Michel Miriti,
de Rhodes,
estudiant à Pauie.
De païs Grec, d’habit Françoys,
De cœur ami, bien que brun sois
(Si tu n’es blanchi à Pauie)
Tousiours sera blanche ta vie.
A vn [p. 213] 213
[162]A
vn ami
qui luy donna vn braue
boucquet de soye, & de fil
d’or.
Boucquet de fleurs m’auez donné
Qui ne sera d’vn an fenné :
Boucquet des Muses ie vous donne,
Qui tousiours verdit, & floronne.
[163]A
Monsieur de Bieures,
gentilhom-
me
Champanois.
Ta grand vertu, & grand bonté
Mon petit stile à surmonté :
Et fault que ma Muse se change
Pour te donner digne louange.
[164]A son compere René Chandelier.
Ie ne say plus si tu es homme,
Tu ne me parles, n’escris rien :
Ami, qui es ores à Rome,
De m’escrire fay moy ce bien.
[165]A E. Charpin.
Par mon souhait plein & entier,
Charpin, tu seras charpentier
o 3 [p. 214] 214De l’arbre plus vieil que Nestor
Qui porte belles pommes d’or :
5Et ne crains le dragon veillant
Qu’à mort mettras comme vaillant.
Cela sous condition telle
Que i’auray la branche plus belle,
Dont les pommes arracherons,
10Et toutes nous les mangerons
Sans les laisser pourrir trop d’ans :
Et sans mettre les dents dedans.
[166] L’auteur au Lecteur.
Me blasme tu comme Poëte
Quoy que ie ne chante aussi bien
Qu’vn Rossignol, ou Aloete
Au liure en Vers, que ie fay tien ?
5Si ie le say, ne verras rien
Cy apres, de mon œuure en prose :
Car, quoy que ce fust plus grand chose,
Tu voudrois, ennemi lecteur,
Auec ta langue qui trop cause,
10Me detracteur comme Orateur.
Au Sei [p. 215] 215
[167]Au Seigneur Iean Brinon.
Si aucuns miens vers sont legers,
Aussi y en a il de poix :
De nature, & de Dieu les loix
N’ont fait egaux boys ny vergers :
5Non les estoilles en clarté,
Non pas auiourdhuy & demain.
Non par les doigtz de nostre main :
Par tout y a diuersité.
o 4 [p. 216] 216
[168]A
IEAN BRINON,
Charles Fontaine
S.
Ie ne t’ay pas en oubli mis
Quant aux enigmes te donner :
Ne t’auois-ie pas bien promis
Que te donrois à deuiner ?
SENSVIVENT
xxviii. enigmes,
traduitz des
vers Latins
de
Symposius,
an-
cien Poëte.
[1]ENIGME I.
A
ux riches gens, combien que
soys
petite,
Bien grandement ie sers, & ie prou-
fite,
A mon seigneur ie garde la maison,
Et suis de luy gardee pour raison.
[2]II.
Et moy qui suis de belle forest fille,
Longue ie suis, & suis portee habile,
Ayant plusieurs compaignes de ma race :
Ie cours beaucoup ne laissant point de trace.
[3]III.
C’est vn grand cas comme en ce monde i’entre
Ie n’estois né, ny de ma mere au ventre,
Lors que rendu sa portee elle auoit,
En la rendant nul ne m’apperceuoit.
o 5 [p. 218] 218
[4]IIII.
I’ay corps petit, mais i’ay le cœur bien grand :
Ie suis bien fin, à peine on me surprent :
Beste suis sage, ainsi le veux entendre,
Si on me doit pour vne beste prendre.
[5]V.
I’ay ma maison qui clerement resonne,
Elle fait bruit, & l’hoste mot ne sonne :
Ce nonobstant & l’hoste & la maison
Courent ensemble, & en toute saison.
[6]VI.
Ie chante en l’eau vn chant tout enroué :
Ma rude voix de louange resonne,
Et ceste gloire elle mesme se donne :
Ie chante fort, mon chant n’est point loué.
[7]VII.
Aueugle suis, le iour me semble nuict :
Ie ne puis voir du Souleil la lumiere :
A fin que nul ne me voye, il me duit
Que soys tousiours souz terre en ma taisniere.
[8]VIII.
Sans plumes suis, ayant ailes volantes,
Ie hay le iour, les nuictz me sont duisantes.
IX.
[9]IX.
Ma maison est toute pleine d’espine,
Et si ie suis hoste de petit corps :
I’ay le doz sain, persé d’aiguilles fines,
Comme on peult voir dessus moy par dehors.
[10]X.
Ie suis tout contraire au cheual,
L[’]on me monte dessus le ventre :
Ie vois puis à mont, puis à val,
Querant de la terre le centre,
5Mais dedans la terre ie n’entre,
Ie vole aucunesfois sans ailes :
Et bien souuent i’en ay de belles :
Ie vois sans pieds, & auec pieds :
Et voy maintes choses nouuelles
10Ayant le vendre & pieds liez.
[11]XI.
Chasseur, escoute vne nouuelle chasse,
Nouuelle elle est, car cil qui me pourchasse,
Quand il m’a prins il n’a cure de moy :
S’il ne me trouue il m’emporte auec soy.
XII.
[12]XII.
Sage ie suys, car tel ie me comporte,
Que ie prens peine, & trauaille beaucoup,
Ie vois portant non pas tout à vn coup
Ce qui vaincra du froit la saison morte.
[13]XIII.
Naistre ne puys sans occire ma mere,
I’occis ma mere, & i’auray telle mort :
Donc en ma fin i’endure non à tort
Le mal que fey quand ie vins en lumiere.
[14]XIIII.
Pallas m’aprint la manière d’ourdir :
Ma toille n’a que faire de nauette
Pigne, ou mestier : ie n’ay mains pour tenir
Car seulement aux piedz ma toille est faicte.
[15]XV.
Ie m’entretiens, & suys de fer liee,
Et si plusieurs liez ie retiendray :
Liee suys premier, puys les tiendray :
Maintz i en deslie, & ne suys desliee.
[16]XVI.
Des larmes i’ay en façon de grant pleur,
Et si ie n’ay point cause de douleur :
Ie vois au ciel, mais l’air espois ne veult :
Qui [p. 221] 221Qui m’engendra sans moy naistre ne peult.
[17]XVII.
N’a pas long temps que ie suys d’eau venue,
Ce que i’espere encore bien tost estre :
Sur moy marcher ie ne veux pas permettre,
Pareillement que l[’]on me tienne nue.
[18]XVIII.
Ie n’ay iamais de certaine figure,
Car peu de temps toute forme me dure :
I’ay vn grant lustre apparent par deuant,
Ne monstrant rien qu’il n’ait veu parauant.
[19]XIX.
On me peult bien coupper, mais non pas fendre :
Ie suys diuers, en la faim seray gris :
I’aymerois mieux estre noir, tout compris,
Mieux me pourrois de vieillesse defendre.
[20]XX.
De bout en bout ie suys pleine de dents,
I’ayme le boys, ie mordz bien fort dedans :
Ie mordz en vain, car le tout ie reiette :
Tant plus i’ay faim, & plus y suys subiette.
[21]XXI.
Ie naiz pendue, & pendue engrossis :
I’ayme l’humeur, de l’eau nourrie suys :
Le [p. 222] 222Le vent me poulse, & me rend esperdue :
Brief ie me meurs, si ie ne suys pendue.
[22]XXII.
I’ay esté mise entre la dure pierre
Qui me pressoit, & tenoit si fort serre,
Qu’à peine ay peu sortir de tel encombre :
Petite suys, mais en bien plus grant nombre.
[23]XXIII.
Le feu corrompt ma vertu chaulde & clere :
Quand le feu fault, la vertu m’en demeure :
Tousiours en moy le feu fait sa demeure :
I’ay tousiours feu, & si point ne m’esclere.
[24]XXIIII.
Creuse ie suys, & la terre est ma mere,
Des deux costez oreilles me gouuernent :
Quand ie suys cheute, adonc ma mere fiere
Auec mes sœurs, mes tendres os n’espargnent.
[25]XXV.
De tout le corps estre fort ne me vante,
Mais le combat de teste, ne refuse :
I’ay grosse teste, & celuy qui en vse
La sentira plus que le corps pesante.
Terr [p. 223]
[26]XXVI.
Terre ie fuz (qui s’en veult enquerir)
Le feu me donne à ceste heure autre nom,
Car ie n’ay plus de terre le renom,
Combien qu’on peult de moy terre acquerir.
[27]XXVII.
Ie suis ainsi comme vne vierge bonne,
Effrénement ie ne parle à personne :
Mais qui me veult de parolle semondre,
Tant seulement ie luy veuz bien respondre.
[28]XXVIII.
Quand il me plaist plusieurs choses ie feins,
Et plusieurs cas de dueil ou ioye pleins,
Soit faux, soit vray qui soit dessous enclos :
Nul ne me voit, s’il n’a les deux yeux clos.
[p. 224] 224
[29]AVTRE ENIGME,
qui n’est pas de
Symposius.
La mere aux champs, & le filz en la ville
Le filz est fort, & la mere est debile :
Quand elle est grosse elle a le corps si vain
Qu’auoir luy fault vn baston en la main :
5D’esté vestue, & d’yuer elle est nue :
Mais elle croist, & le filz diminue :
La mere au large, & le filz est en serre :
Il est si fort qu’aux plus fortz fait la guerre,
Des qu[’]il est né on l’arrache, on le lie,
10Mais bien souuent tout seulet se deslie.
Deuenu grant, il est fort gracieux,
Mais tost apres se monstre furieux.
LE PASSE-
TEMPS DES
AMIS,
Livre contenant Epitres, &
Epigrames en Vers François,
qu’ils ont
enuoyez les vns aus
autres, le tout composé par
certains Auteurs
Modernes,
& nouuellement recueilli par
Charles
Fontaine Parisien,
Auteur d’vne partie.
[1]A IEAN BRINON,
Conseiller du Roy en
son
Parlement de
Paris, Charles
Fontaine
Salut.
*
Quiconque en son coeur aura mis
Le nom d’ami, plus qu’à moitié,
Verra ce livre des amis
S’entr’escrivans par amitié.
[p. 227] 227
[2]G. TESHAULT
à Charles Fontaine
Huictain.
L’ Epitre que ie vous enuoye,
O ami Poëte, a esté
Deux ou trois fois ia mise en voye
Depuis le premier moys d’esté :
5Mais on m’a tousiours rapporté
Mon papier, obstant vostre absence :
Au iour duquel il est datté
Vous congnoistrez ma diligence.
[3]Superscription de l’epitre.
Epitre seruez de tesmoing
A la fontaine de science,
Que vostre maistre qui est loing,
Luy dit boniour, & reuerence.
[4]Epitre
Entrelaissant les cautelles & ruses
Du vieil Accurse, O fontaine des Muses,
Le tien ami, ayant feruent desir
p 2 [p. 228] 228De faire cas qui te vienne à plaisir,
5Par ce porteur humble salut te mande,
Et mille foys à toy se recommande :
Comme avec luy, sa Muse, qui voudroit
N’auoir iamais ouy parler du droit :
Mesme qui s’est encontre moy fachee
10Ces iours passez, de se voir attachee
Dans tels grans laz, & auec telz propos
M’a empesché de les lire en repos.
Ha (disoit elle) est ce ainsi que lon pense
Rendre à Phebus la deuë recompense
15De ses beaux dons ? desires tu auoir
La Poësie (hault, & diuin sauoir)
Pour en vser en sciences prophanes ?
Autant vaudroit donner la harpe aux asnes. • Tournure proverbiale : voir Érasme, Adages, I, 4, 35 (335) "Asinus ad lyram".
Contredisant ie respondois ainsi :
20Ou as tu veu (ma Muse) que cecy
Soit tant prophane, & des Muses indigne,
Veu q[']uil n’y a rien plus noble, & plus digne ?
Les Muses ont pour leur seigneur Phebus,
Et celuy là pour reformer l’abus
25Des mal viuans, donna en belles tables
Au bon Solon noz loix tant equitables :
Puis [p. 229] 229Puis qu’Apollo, vostre grand conducteur,
Est reclamé des saintes loix auteur,
Dira lon pas que la sainte pratique
30Des loix, conuient à nostre art poëtique ?
Dira lon pas estre nobles les loix,
Qui filles sont d’Empereurs, & de Roys ?
Dira lon pas sainte celle doctrine,
Qui fondee est sur parolle diuine ?
35
Voila (amy, & Poëte) comment
Ie reprenois ma Muse doucement :
Luy amenant pour familier exemple
Le bruit tres bon, & la renommeee [sic pour renommee] ample
D’vn oncle tien, qui tant de beaux vers feit,
40Et seut si bien faire en droit son profit,
Qu’en ces deux artz il fut grand personnage :
Puis en ce temps vn tien ami tant sage
Qui pour plaider, ou consulter maint cas,
N’est pas le moindre entre les aduocatz
45Du hault Senat, qui font auiourdhuy luire
Leur bon renom, par bien sauoir, & dire :
Brief, chacun d’eux en Poësie est tel
Qu’auec le tien leur loz est immortel.
A ce propos me repliquoit ma Muse,
p 3 [p. 230] 230 50Que chacun d’eux ainsi au droit s’amuse
Qu’il met tousiours les Muses au dessus,
Tesmoings en sont leurs escritz bien tissus,
Me reprochant que noz loix tresagues
Sont en maint lieu à present corrompues :
55Et que les loix qui auoient merité
L’honneur & pris, n’ont plus d’autorité.
Somme, en l’oyant parler de tant de choses,
Ie vais laisser textes de loix, & gloses,
Pour luy complaire, & entendre à ses artz
60Autant ou plus qu’aux édictz des Cesars.
Lors commençay lire ta contr’amye,
Des ennemis d’amour forte ennemie :
Ou le François Marot n’eust mis tel ordre
Ny le Latin Maro n’eust seu rien mordre.
65Certes quand bien ie voy ta veine roide,
Ie trouue trop l’amye de court froide :
Et m’esbay que cet honneste amant,
Hors de raison, forcluz de iugement
Osa montrer sa vaine, & sotte rime,
70Qui a besoing encor de longue lime.
Ie croy qu’il veult auoir en paragon
Ce Poëtastre, & zoïle Sagon.
Qui [p. 231] 231Qui desirant faire voir son ouurage,
Monstra à plain comme il estoit peu sage :
75Et pour auoir en ses escris boneur,
Sans bon conseil vouloit noircir l’honneur
D’vn, dont le nom durera comme il dure :
Et cet amant s’efforce faire iniure
A toy, qui as par escritz merité
80D’estre loué de la posterité.
Encor (qui plus me desplaist) c’est qu’il pense
Que lon prendra plaisir en son offense,
En invitant les plus divins espritz
De nostre temps, à lire ses escritz :
85Et puis il a maint terme vil, & laid,
D’honneste amant indigne, & de varlet.
Ie croirois bien que Sangelais, & Sceue
Prendront plaisir en vn homme qui resue :
Ie croirois bien qu’Heroet, & Chappuy
90Daigneront lire ouurage de celuy
Duquel la Muse est ieune, inepte, & sotte :
Et toutesfois à Fontaine se frotte.
Donq en lisant l’oeuure tant gracieux,
De cet amant, fol, & audacieux,
95D’ardent despit mon courage s’allume,
p 4 [p. 232] 232Et par troys foys ie mis es mains la plume,
Pour luy respondre à mon petit pouuoir,
Et enuers toy faire le mien deuoir.
Mais ie pensay honneste, ou necessaire,
100(Plus tost que d’estre en cela temeraire)
T’en aduertir : ma basse Muse auβi
Me conseilloit qu’il falloit faire ainsi,
Quoy qu’elle fust d’ire esprinse, & ravie,
Et de respondre eust merveilleuse enuie :
105Il luy fachoit d’attendre si long temps
De toy response (encores ie l’attens)
Et craignant trop faire longue demeure
Elle ditta cette epistre en vne heure,
Qui te sera mal agreable à voir
110Par sa rudesse, & son petit sauoir :
Mais ta savante, & florissante Muse
Par la douceur, dequoy tousiours elle vse,
Excusera ce mien loysir petit :
Et si mon vers n’est à son appetit,
115Elle fait bien ce prouerbe congnoistre,
Du premier coup l’aprenti n’est pas maistre.
Si tu fais tant, doncques, par ta bonté,
Que d’escuser ma bonne volonté,
Tu [p. 233] 233Tu pourras bien sans plus grand facherie,
120Faire pour moy cecy dont ie te prie :
C’est qu’il te plaise à l’anneau precieux,
Qui par Vulcan le forgeron des cieux
A esté faict dvn or si pur & monde
Qu’il rend clarté par tous les coings du monde,
125Humble salut luy rendre de ma part.
Et si tu vois qu’en luy parlant à part
Il vueille bien en gré la peine prendre
Pour de ce lieu les nouuelles entendre,
Lors (s’il te plaist) en deux motz luy diras
130Le bruit qu’aquiert nostre docteur Coras,
Qui sans propos inutile, & frivole,
Efface ici le grand nom de Bartole.
Desia il fait venir les Transmontains
S’humilier, & n’estre tant hautains :
135Desia on voit tomber l’outrecuidance
D’Italiens, se venans rendre en France.
Certes Budé l’auoit ia commencé :
Autres savans l’auoyent bien avancé.
Donques Coras maintenant donnera
140La fin à tout, Coras couronnera.
Mais comment veult ma Musette tant basse
p 5 [p. 234] 234Louer l’esprit qui les plus hautz surpasse ?
Certes vn nom tant cler se vouloit bien
Mettre en papier plus poli que le mien.
145Homme tant grand & d’art, & de nature,
Demandoit bien plus parfaite escriture.
Mais quoy ? il fault en ce considerer
Ce que n’a sceu ma Muse declarer.
Et sur ce point, O tresclere Fontaine,
150Ie te priray de supporter ma veine,
Qui maintenant te transmettre a osé
L’escrit present, rudement composé.
Fait à Valence en ma case petite
Ce vendredi que le Souleil visite
155Castor, Pollux, qui sont au ciel là hault,
Par ton ami, à tout iamais Teshault.
[5]Responce par Charles Fontaine.
I’Ay veu amy tout au long ton Epitre,
Que dãs mõ coeur ie mettray pour registre,
Car elle est faite en bonne intention :
Et si n’a point faute d’affection.
5Ie suis non moins esbahi que fasché
Qu’en May ne l’euz : s’elle m’eust bien cherché
Le moys de May passé dernierement,
Croy [p. 235] 235Croy qu’elle m’eust trouué facilement :
Car ie n’ay point entreprins de voyage
10Aucunement qui montast dauantage
D’vne sepmaine, ou mesme d’vn seul iour.
Ains i’ay tousiours à Lyon fait seiour.
Ie pensois bien pour raison du proces
Que tu as sceu que i’ay par le deces
15De feu ma femme, à Paris voyager,
Mais iusque icy s’est tant fait prolonger.
Ores ie suis sur point de partement,
Pour saluer le hautain Parlement
Duquel l’arrest i’espere, & ie desire
20Dedans le Mars : mais qu’il ne me soit pire
Que la sentence a esté par deça,
Que le conseil à mon profit dressa.
Voila comment pour conserver Iustice
Seruent voz loix, polissans la police.
25Car toutes gens qui sont sur terre nez,
Sont bien par loix regis & gouvernez :
Et n’y a nul tant grand iusques aux Roys,
Ny tant petit, qui n’honore les loix,
Comme vne chose estant divine, & sainte,
30L’honneur des bons, & des mauuais la crainte.
Si [p. 236] 236Si je pouois ieune encor devenir,
Ie voudrois bien le train des loix tenir :
Bien qu’il ne soit avecques sa pratique,
Autant plaisant comme l’art poëtique,
35Au ieune esprit, gaillard, & gracieux,
Des libres artz querant champs spacieux :
Mais en haultesse il est plus honorable,
Plus necessaire, außi plus profitable.
Et pleust à Dieu que mon oncle eusse creu,
40Lors que moy ieune, ayant l’esprit trop cru
Fey grand refus de la science suivre
Qui en honneurs, & en biens le feit vivre :
En quoy m’offroit pour me mettre à bon port,
Ses livres tous, avec tout son support :
45Mais c’en est fait, ietté en est le dé,
Le sort par art en doit estre amendé :
Nul remede autre y a, tant soit on sage,
Y obstant l’aage, avec le mariage.
Pourtant, amy, quand tu peuz, me croiras,
50Faisant ton cours souz ton docteur Coras,
Dont la louange est grande en ton escrit,
Mais sont plus grans son nom, & son esprit.
A ce que quiers si response dois faire
A cet [p. 237] 237A cet amant de tant mauvais affaire :
55Et qui son nom trop lourdement efface,
D’auis ne suis que ta Muse la face :
Car s’il en fust en quelque sorte digne,
D’autres amis de leur grace benigne,
L’eussent ia faite : ou le Iouure, ou le Sage :
60Mais il convient estre en sa Muse sage,
Et ne se doit vn Poëte avanser
En vn tel cas sans long temps y penser,
Et sans conseil auec ses amis prendre
(Comme tu fais) avant que d’entreprendre.
65
Et si tu dis qu’à l’amie de Court
I’ay respondu : ie te dy, brief, & court,
Qu’elle a propos, & grace trop meilleure
Que cet amant, qui pour elle labeure.
Et ie voyant qu’elle estoit en hault pris,
70A la response appliquay mes espritz,
Querant l’honneur qu’vn Poëte doit querre,
Quãd par ses vers aux plus grans liure guerre,
Qui n’espand sang, dont les combatans ont
La paix au coeur, & tousiours amis sont.
75Ce nonobstant ie doy bien recongnoistre
Le bon vouloir que tu me fais congnoistre.
Donc [p. 238] 238Donc si tu sens (amy) que mon pouuoir
Te vienne à gré, ie t’offre mon devoir.
Soit à Paris, ou ailleurs voirement,
80Ie suis tousiours à ton commandement :
Car la douceur de toy, & de ta veine
Merite plus de ton amy Fontaine.
[6]Charles Fontaine, à maistre Iean
Orri, Aduocat en la ville
du
Mans.
DE noz espritz la grande conuenance
Souuent me fait de vous la souuenance.
En premier lieu, vous auez du sauoir
Certes trop plus que ie ne pense auoir,
5Soit en Latin ou Françoys, vers ou prose,
Qui est en vous vne louable chose,
En second point vne ioyeuseté
Auez meslee auecques priuauté,
De tel façon, & de si bonne sorte
10Qu’impoßible est qu’vne personne sorte
D’auecques vous le coeur d’ennuy chargé :
Quand tel viendroit vous le rendriez changé.
Ne fust qu’à voir vostre tant bonne face
Pleine [p. 239] 239Pleine de grace, & qui toute autre efface :
15Laquelle grace est en bien peu de gens,
Car on en voit qui sont tant diligens
A engendrer par tout melancolie :
Et ie les hay : car c’est à eux folie.
Mais quel plaisir à soy, ou à autruy,
20Se consumer en tristesse, & ennuy ?
Et pourtant dit le Sage, que tristesse
Seiche les os : c’est mauvaise maistresse,
Qui nourrit mal, mais qui iusques aux os
Ronge, & deseiche vn tas de poures sotz :
25Donc toutes gens amis, de congnoissance,
Chassent ennuy, prennent resiouissance :
Mesmement ceux qui ont cest art hanté,
Qui n’est sinon que d’esprit gayeté.
Ce que vouloient let [sic pour les] Poëtes entendre
30Parlant souuent de la rosee tendre,
Du beau vert gay, de sources, & ruisseaux,
D’herbes, & fleurs, d’arbres, & d’arbrisseaux,
Doyseaux chantãs en voix franches, & nettes,
Et de bergers dansans aux chansonnettes
35Tout enuiron les buyssonnetz des champs :
Pareillement des Muses, & leurs chantz,
Chantz [p. 240] 240Chantz, tons diuins, & sainctes letanies,
Es regions de montaignes munies,
Ou elles sont faisans solennitez,
40Ioyes, esbatz pleins de diuinitez,
Et par la main l’vne l’autre se tiennent,
Dãsans tousiours sans que iamais s’abstiennẽt.
Tout cela fait que tant mieux me reuient
Vostre façon, quand d’elle me souuient :
45Et tout cela met en ma fantasie
Qu’en aprochez plus pres de Poësie.
Cest ce qui fait qu’encor ma Muse escrit,
Et vous enuoye en ce present escrit,
Vn bon vouloir, avec vne semonse
50De m’addresser en brief vostre responce.
Car quand seray hors de cette contree,
Facilement ne sera rencontree
Lettre de vous : & l’opportunité,
Qui entre nous apporta vnité
55De sa nature est chaulue par derriere :
Ne mettez donc la responce en arriere
Puis ce retour de Nice, me rappelle
A voir la Court, plus riante & plus belle,
Apres la veue, & sainct abouchement
Des [p. 241] 241 60Des souverains, parlans sans truchement.
Sus doncques, sus, mettez au vent la voile
Faites moy peur, que ie n’aye os, ne moile
Qui ne redoute, & craigne d’assaillir
Le bruit des vers qu’orray de vous saillir.
65Tonnez, ventez, faites feu, faites rage,
Et me rendez tost couart de courage,
De honte espris, de frayeur & d’esmoy :
Car Dieu n’a pas ou en vous ou en moy
Mis le tresor de tant belle science
70Pour le cacher, ou garder en silence :
Mais pour louer son nom premierement,
Puis pour escrire à ceux là mesmement
Qui ont le nom d’y sauoir, & congnoistre :
Qui ne le fait, se met en danger d’estre
75Ainsi traité que celuy nonchalant
Lequel en terre enfouït son talent.
Vous en auez l’exemple en l’Euangile,
Comment puni fut ce serf inutile.
N’est ce pas donc iniure & deshonneur,
80Tant peu priser les graces du Seigneur ?
C’est lascheté, & grand ingratitude
De n’exercer son stile, & son estude :
q [p. 242] 242Ce que sainct Paul a appelé estaindre
Le sainct esprit, l’empescher, & restraindre :
85Quand il deffend à tout homme d’esprit
Ne suffoquer en soy le sainct esprit :
Comme disant, les inspirations
Doiuent effectz, oeuures, & actions :
Il ne fault pas que vn don de Dieu sommeille
90En voz espritz, ains fault qu’on le réveille.
Ne le laissons en nous donc sommeiller,
Ains le veons viuement reueiller,
S’il y en a en nous quelque estincelle,
Ne permettons qu’elle se cache, & celle :
95Ne voyons nous maintes gens bien sauans,
De ce temps cy, tant, & bien escriuans ?
Entre dix mil distractions, affaires
De l’eur [sic.] estat, qui leur sont necessaires ?
Et quand on est vn peu accoustumé,
100Labeur s’enfuyt, on n’est plus estimé,
La Poësie & diuine semence
De Dieu en nous, ne requiert plus qu’vsance.
Ce que i’en dy, ie le dy (sur ma foy)
Vn peu pour vous, & grandement pour moy :
105Et (comme on dit) de mon couteau me couppe,
Taxant [p. 243] 243Taxant autruy en ce dont bas ma coulpe.
Car ie n’ay pas les graces exercees
Suffisamment, que Dieu m’a dispensees :
Mais c’est vn point de vertu (quand i’y pense)
110De recongnoistre, & blasmer son offense.
En premier lieu ce faisant on s’accuse :
Et l’on n’a plus doresnavant d’excuse.
Vertu cachee (à quiconque l’entend)
Est tout ainsi comme l’arc qu’on ne tend,
115Comme vn beau luc ou harpe non sonante :
Pareillement comme nef non voguante.
Changeant propos bien auertir vous veux
Qu’il n’y a pas plus hault d’vn iour, ou deux
Que me baignant en riuiere petite,
120Bien grandement me blessay, & plus viste
Que ne pensois : encor le mal me tient
Au plus gros doigt d’vn pied qui me soustient :
Plus ne veux donc me baigner en riuiere :
Mais a escrire en ce stile, & maniere
125Baigner m’y veux : il y a vn bon point,
On ne s’y blesse, & ne si noye on point,
Or excusez, amy, la Muse mienne,
Qui ne pretend par ceste Epistre sienne
q 2 [p. 244] 244Qu’à exciter la vostre mieux chantant :
130La mienne alors s’eschauffera d’autant.
[7]Responce par Iean Orry.
A Ce matin qu’il est dimenche, & iour
Auquel ie puis prendre quelque seiour
Et passetemps en ma petite Muse,
Qui pas souuent ne me tient & amuse
5En autre temps, pour l’occupation
De mon esprit, & la vacation
De mon estat aux Muses tant contraire,
Qui me contraint d’elles fort me distraire,
Ainsi qu’on peult à l’oeuure aparcevoir :
10A mon recueil ay pensé de reuoir
Vne elegante, & bien ornee lettre,
Que deuers moy il vous a pleu transmettre.
Considerant la veine doux coulant
D’vne fontaine à ruisseaux distillant,
15Tant melliflux, comme monstre la lettre,
A peine osay la plume en la main mettre
Pour vous donner ce petit de response :
Et n’eust esté vostre grande semonse,
Qui grandement pretend à m’exciter,
20Et m’eußiez vous à troys iours fait citer
Pour vous respondre, encor ne l’eusse fait,
Entre [p. 245] 245Entreprenant si presumptueux faict :
Consideré que ma Muse, & ma veine
Contre la vostre est trop debile, & veine,
25Et dauantage à faulte d’exercice :
Bien peu s’en fault certes qu’elle perisse :
Dont cause sont mille cinq cens affaires
Que i’ay le iour, qui me sont necessaires :
Et puis la nuict fault à la femme entendre
30Qui iour & nuict ne fait que ses laz tendre,
Tant qu’il conuient quand doy prendre repos
De mon esprit, trauailler o le dos :
Ou l’endemain faudroit (qui fort me poise)
De Xantippé ouyr la dure noyse,
35Ou delaisser tout soudain la maison
Com’ Socrates, fuyant telle achoison :
Ainsi n’est il de vous qui m’accusez,
Parquoy plus tost mon dur stile excusez.
Or pour respondre à voz grandes louanges
40Que me donnez, au Dieu d’hõmes, & d’Anges
Ie les refere, & non à mon merite :
Car en moy (las) y a cause petite
De me louer, mais cela vous prouient
D’vn grand amour, lequel de bon coeur vient,
q 3 [p. 246] 246 45Amoderant vostre bon iugement,
Et par lequel souuent bon iuge ment.
Combien que n’ay enuers vous merité,
Que me portiez si grande priuauté
De bon amour, sinon (ou me reuoque)
50Un autre amour lequel est reciproque
Dedans mon coeur, voulant produire effect,
Si quelque foys me puis trouuer au faict.
Quand au regard (ami) de la blesseure
Quavez au pied, ie vous dy, & asseure
55Qu’il m’en desplaist, car vous a retenu,
Si que ces iours n’estes ici venu,
Quand bien pensois vous visiter & voir,
Et enuers vous faire mieux mon deuoir
Que n’auois fait ces iours prochains passez,
60Avec quelqu’un qui m’a prié assez
De luy donner de vous la congnoissance,
Dont vous parlay (i’en ay bien souuenance)
En nostre hostel. Il est de nostre court,
De son sauoir (pour vous parler plus court)
65Ia n’en dy rien, vous en congnoistez l’art
En goutant bien l’Epistre du vieillart
Qu’il vous enuoye, apres propos tenu
Entre [p. 247] 247Entre nous deux. Quand serez revenu
De par deça, au long vous en diray,
70Et ce pendant me recommanderay.
[8]Responce par Charles Fontaine
audict Aduocat.
ON dit bien vray, que les choses humaines,
De mal & bien sont meslees & pleines :
Mais beaucoup plus de mal (ie le say bien)
Qu’elles ne sont de bon eur, & de bien.
5
Voila, ainsi que le barbier incise
L’ongle du poulce, ou s’est fortune aßise,
Fut le porteur de voz lettres present :
Ie les receu, comme vn tresbeau present :
Et ie ne say si ce bon eur, & joye
10Exceda lors le mal que ie sentoye :
Mais ie say ien que le mal cessera
Auec le temps (& de brief ce sera,
S’il plaist à Dieu) mais cette ioye telle
Sera tousiours en mon coeur immortelle.
15
Or pour entrer des letres en propos,
L’escrit premier fait en meilleur repos,
Quand ine [sic pour ne] • Le « i » est barré à la main sentois tel mal, en somme toute,
Sentoit vn peu son iour de Pentecouste :
q 4 [p. 248] 248Außi, ainsi comme le sainct Esprit
20Multiplia (aux Actes est escrit)
Dedãs maintz coeurs ses dõs, & sainctes graces
Et par dehors dons de langue, efficaces,
Miracles haultz puissances, & vertus,
Dont furent maintz ornez & reuetus,
25Ainsi ces iours sa grand grace accomplie,
Par deuers moy voz lettres multiplie,
En me faisant ce bon avansement
Que i’en reçoy outre mon pensement :
Et m’enuoyant, sans chicheté aucune
30Et sans seiour, largement deux pour vne,
Lesquelles font (si la mienne ie y nombre)
De Trinité le sainct, & diuin nombre.
Außi ce fut le iour de Trinité
Que ie receu le tout empacqueté.
35
A vostre escrit maintenant je responds,
Que dans les miens bien peu ie corresponds,
Ie dy bien peu, ou du tout rien sans faulte
A la louenge excellente, & tant haulte
Que me donnez : & maintiens que d’honneur
40Vous m’estes bien trop liberal donneur :
Et s’il ya chose en moy de loz digne,
Grace [p. 249] 249Grace i’en rens à la bonté diuine,
Considerant qu’elle me faict ce bien
Sans mon dessert, & que le tout est sien :
45Mais bien ie sens que l’eau de ma fontaine
N’est point si viue, abondante, & certaine
Que l’auez faicte : ains c’est humilité
De vostre coeur, & liberalité
(Dont votre Epistre ainsi que la personne
50Resplendit fort) qui tel honneur me donne :
Lequel honneur (i’en iure foy, & loy)
Quand ie le li, ou quand lire ie l’oy,
Me rend honteux : il y a bien maniere
De donner loz plus saine, & droituriere,
55Moyen est beau. Aux Tulles, Demosthenes,
Aux gens savans, soit de Rome ou d’Athenes,
Ie ne suis rien, ou bien peu ie leur suis,
Car de bien loing, ou de rien les ensuis.
Ilz ont leur veine ou Latine, ou Attique
60Exquise fort, i’ay la mienne rustique
En mon Françoys, qui est moins precieux,
Et moins orné, diffus, & copieux :
Parquoy en eux on trouue la semence
De bien parler, & de grand eloquence :
q 5 [p. 250] 250 65Tant leur langage est beau, riche, & hanté :
(Tel l’ay trouué quand ieune l’ay gousté)
Mais en mon rude, & tant rural ramage,
En tout mon faict, escriture, ou langage
Qui bien y voit, y trouue seulement
70Vn lasche cours, vague, sans fondement.
Or ne prenez en mal ou à iniure
Ce que i’ay dit parolle vn petit dure
Non en faueur de nostre langue : pource
Que verité, de vertuz mere, & source,
75Sans aucun blasme, ou affection d’ire,
Selon propos m’a contraint de ce dire.
Ie ne suis point d’Apollo, ou Pallas
Le vif pourtraict, ainsi que tu parlas :
Onc n’ouy chant de Mercure, ou Phebus :
80Mais il est vray que sur les champs herbus
Pan le cornu i’ay bien ouy sonner,
Qui ne se veult moindre gloire donner
Que fait le pan en sa queuë, & sa rouë :
Car comme Pan de son beau flaiol iouë,
85Vn iour me trouue avecques les bergers
Gardant brebis illec en ces vergers,
Et les vy tous (ce que tresbien ie note)
Venir [p. 251] 251Venir à luy, à son chant, & sa note :
Auec son chant il les vous attiroit
90Comme Amphion pierres, & boys tiroit :
Si m’aprochay, & au son de ses buses
Prenois plaisir, autant qu’au chant des Muses
Font les diuins Poëtes excellens,
En stile hault riches, & opulens.
95
Or ainsi comme à ce Pan, Dieu agreste,
Et à son chant mon oreille ie preste,
Rauis si fort en furent mes espritz
Que pour mon maistre, & enseigneur l’ay pris :
Mais le Mercure, en sa parfaite lyre,
100Point n’ay ouy, ains n’en ay fait que lire
Comme il iouoit avec tous si agus
Q[']uil endormoit tous les cent yeux d’Argus,
Afin que fust ravie (que Dieu sache)
La belle Yo iadis muee en vache.
105De Pan tout seul ie puys bien dire ouy
Que ie l’ay veu & son gros chant ouy.
Voila pourquoy ma Muse est tant sylvestre
Elle ne tient sinon de Pan mon maistre,
Me ravissant avec ses chalumeaux
110Qui m’y sembloient harmonieux & beaux :
Dont [p. 252] 252Dont à present ma Muse sourde, & molle
Tant sourdement & mollement flaiole,
En ensuyuant du dieu Pan les Musettes.
Changeõs propos, vous dites que vous estes
115Beaucoup distraict, & sans aucun seiour
Tant occupé, ou soit nuict ou soit iour,
Le iour aux plaictz, & la nuict à la femme
Qui vous traveille : or ne luy donnez blasme,
Et de tel cas on n’en doit que bien dire :
120Car femme doit de nuict iouer, & rire
A son mari, qui de iour en simplesse
Doit resembler à la chaste lucresse.
Vous vous plaignez, & ie say qu’il y a
Bien pres d’ici homme qui se lia
125Par mariage, & print vne des filles
De ce quartier pour mieux iouer aux billes,
Mais i’ay grand peur que tost ne ioue au flux
Qu’on dit auoir quatre vingtz ans, ou plus
Cenonobstant ce vieillart triomphant
130A son espouse a fait vn bel enfant.
Dieu face donc la grace à ce vieillart
D’encor cent ans exercer ce vieil art.
Vous vous plaignez, vous auez donc trop eu
De ce [p. 253] 253De ce que telz comme moy ont trop peu :
135Et par ainsi le long de la sepmaine
Voila comment trop aise vous demaine.
O que plusieurs voudroiẽt qu’on les touchast
Souvent ainsi, & qu’on les approchast !
O qu’ils diroient, tu sois la bien venue,
140Et fusses-tu à minuit toute nue !
Ilz courroient sus en poste, & à gran pas :
Mais attendez, pour moy ne le dy pas,
Car en courant on s’eschauffe, & enflambe,
Arriere donc, c’est aigrun pour ma iambe :
145Ce nonobstant, mais bien d’vn autre stile,
Toutes les nuictz me réueille ma fille
Que vous savez, ma petite fillette
Qui a rendu ma personne foiblette.
Voila vn point que dictes grosse charge,
150Touchant lequel vostre femme vous charge,
Mais au contraire ainsi vous deschargez,
Et en ce point vostre femme chargez.
Vn autre cas, en n’espargnant les dames,
Vous imposez dessus voz póures femmes :
155C’est que si vous ne faites leur besoigne,
On vous riotte, & tousiours on vous groigne.
Si [p. 254] 254Si croy ie bien que seriez Socrates
D’esprit, & meurs, mieux que Xenocrates.
Mais quel besoing que ie vous admonneste
160Qu’en femme y a bon luc [sic pour cul], & bonne teste ?
La femme soit en noyse Xantippé.
Mais en cueur chaste vne Penelopé :
Car toute femme ou fille, bonne, ou belle
Communement vous tient de la rebelle.
165
Voila les pointz en quoy vous abondez,
Ou voz raisons, & defenses fondez :
Bon homme, helas, certes ie vous plaings tant,
Mais ie n’ay rien que vous donner pourtant.
Or ie vous pry, respondez à propos,
170Maint sauant homme a il plus de repos
Que vous n’avez ? ie di maint sauant homme
Qui auiourdhuy bien peu souuẽt prent somme,
Ayant l’esprit aux sciences raui :
Et de ce point desia vous escrivi.
175
Mais il me fault respondre à l’autre point,
Que comme vous marié ne suis point :
Car vous m’auez escrit sus ce point cy
Qu’il ne m’en prend comme à vous en cecy.
Ie vous diray le bien que l[’]on y gouste
Vous [p. 255] 255 180Vous fait passer cette amertume toute,
Legerement, ainsi qu’il m’est auis :
Tousiours auez à qui faire deuis,
Et si le mal vous prend en quelque sorte,
Incontinent auez qui vous supporte :
185Et nous distraitz, perduz, & égarez,
Du medecin sommes loing separez :
C’est chose dure, & de plaindre tresdigne,
Quand le malade est loing de medecine,
A qui il fault, quand le mal serre pres,
190Tost recourir en grant peine, & grans fres.
Mais nous auons communement apris
De nostre estat quasi mettre à despris,
Plus estimans, & preferans vn tas
Tant des egaux que des moindres estatz :
195Tesmoing en est le peuple qui se tanne
De tant manger du seigneur Dieu la manne,
Et qui desire außi de la changer
A aux puants, grant viande à manger.
I’ay du vieillart (que vous dictes) la lettre
200Leuë & releuë assez de mettre en mettre :
Elle a bon vent, & marine en effect,
Dont suis joyeux que tel honneur me faict :
Pour [p. 256] 356 [sic pour 256]Pour cette foys luy fay brieue response,
Satifaisant à sa seule semonse :
205Quelque autre foys que mieux dispos seray,
Plus long escript à luy i'adresseray.
Or excusez l’epitre du malaise,
Tant sa longueur que sa grace mauuaise :
A Dieu ami, qui en santé vous tienne,
210Et en briefz iours me renuoye la mienne.
[9]Response par Iean Orry, Aduocat susdit.
CEla est vray, ie le tien pour certain,
Ce qu’Edipus au propos incertain,
Douteux, obscur, subtil, Enigmatique,
Du monstre Sphinx, sur le mont Thebaique
5Discretement respondit, qu’il aduient
Que l’homme vieil en enfance reuient.
A mon propos conuient telle response,
Car au moyen de vostre grand semonse,
Retourné suys de facheuse vieillesse
10En mon enfance, & florissant, ieunesse :
Ie n’entens pas qu’en aage fusse vieux,
Car plus aagé que suis estre ne veux :
La raison est, si l’estois dauantage,
C’esta [p. 257] 257Il en viendroit à deux perte, & dommage :
15C’est asauoir, à moy que premier nomme,
A celle außi qui m’appelle son homme :
Et a besoin que ie trauaille ieune,
Ou il faudra que souuent elle ieusne :
Mais i’enten donc parler de mon estat,
20Triste, & chagrin, de toute ioye plat,
Loing de plaisir, & de tout passetemps,
Auquel on n’oyt, & ne voit que contens,
Debas, discors, noyses, plaidz, & proces,
Lesquelz m’auoyent rendu en tel acces
25De cure, & soing, qu’estois en mes espritz,
Par tous mes faitz, mes ditz, & mes escritz
Comme vn facheux réueur, & tout songeart,
Melancolique, & rioteux vieillart :
Et quasi tel comme Heraclite fut,
30Qui peu, ou point, rire, & chanter voulut.
Comme luy donc, iauois ia souz le banc
Mis la vielle, & m’estois mis au ranc
De tristes gens, laissant ioyeuseté
De ma ieunesse, ou i’ay ioyeux esté.
35Plus ne prenois de plaisir à la lyre,
N’au tresdoux chant d’Apollo, n’a relire
r [p. 258] 258Du dieu Bacchus l’origine, & naissance.
Plus ne prenois deduit ne plaisance,
A hault louer Castalie, & Dircé,
40Ou Permessus, ou m’estois exercé
En mon ieune aage : ainsi qu’à Parnasus
Au long d’escrire auecques Pegasus,
Et comme il feit la clere Hypocrené
En Helicon, à louer Lariné,
45Et autres lieux delectables aux Muses,
Qui me plaisoient, auec les cornemuses
De Syluanus, de Pan, & Silenus,
Dansans sur l’herbe auec Nymphes tous nuds,
Et autres dieux pastoureaux, & champestres :
50Car soing n’auois lors de tous biens terrestres.
Et brief, sur tout les sciences humaines
Me delectoient, pource qu’elles sont pleines
De grand douceur, qu’ay laissée depuis,
Dont trop me plaindre & repentir ne puis.
55
Mais en pensant par vostre induction,
Hyer au soir à tell [sic pour telle] mutation,
Phebus allant les Antipodes voir,
Et enuoyant la Lune nous reuoir,
Qui tost apres en sa face cornue
Vint [p. 259] 259 60Vint apparoir luysante, & de corps nue,
Dont la clarté le ciel tant decora,
Qu’Herebus lors d’elle s’enamoura,
Et prepara pour la receuoir mieux,
Maint corps celeste illuminant les cieux,
65(Qui de bien peu seruirent, car Diane
Tant reluisoit en son corps diaphane,
Que chacun corps lumineux s’enfuit)
Morpheus vint qui mes deux yeux clouit,
Et tout ainsi comme aux cerueaux des hommes
70Souuent excite, & fait divers fantosmes,
Il m’imprima vn songe fantastique.
Aduis me fut qu’en habit magnifique
Ie vy Pallas : à la venue d’elle
Si grand lumiere apparut, qu’onques telle
75Ie n’auois veuë, & fort m’espouenta,
Car en fureur à moy se presenta,
Me reprenant auec grosses parolles
Pourquoy tenois tous ses faictz à frivoles :
Si ie m’estois retiré d’avec elle
80La reputant comme vne simple ancelle,
Pour ensuyuir la chymere pratique,
Vne grand vieille, auare, toute ethique,
Qui n’a iamais ne repos ne soulas.
r 2 [p. 260] 260Comment (dit elle) estois tu desia las,
85de t’esiouyr avec Nymphes, & Muses ?
De ta ieunesse, & ton esprit abuses :
Car celle suys, qui les miens en liesse
Fay long temps viure, & puis en leur vieillesse
Auoir honeurs, & biens sans grande cure :
90Aduise donc, quand telz bien ie procure,
Retourne t’en vers moy, si bon te semble,
Viuons, chantons, soyons tousiours ensemble.
Lors Aurora, fourriere de Phebus,
Vient dechasser la Lune, & Herebus :
95La Lune en mer tost se plonge, & s’en vient,
Mais on ne scet pas que Herebus deuient.
Tantost phebus, de fin pourpre vétu,
Tout le hault ciel d’azur a reuetu,
S’en vient, & prent place en nostre hemisphere :
100Et, pour autant qu’il est de vie pere,
Chacun petit oyseau à sa venue
S’esiouïssant, en son chant le saluë,
Luy donnant mille aubades, chansonnettes,
Petis motetz en voix franches & nettes,
105Tant qu’onques plus oreille n’en ouyt :
Le chant desquelz mes deux yeux esblouit :
Et [p. 261] 261Et sur ce point, estant de ioye esmeu,
Pour leur doux chant, & pource qu’auois veu
Dame Pallas ainsi en mon sommeil,
110Ie proposay alors en mon réveil,
Hors de mon coeur chasser toute tristesse,
Et que Pallas ie prendrois pour maistresse :
M’esiouyssant souuent avec ma Muse,
Sans que vers vous ie prenne plus excuse
115Sur mon estat, au moins tant que i’ay fait :
Pareillement en alleguant le fait
De mariage, & du deu domestique :
Mais ma Muse est encore rant [sic pour tant] rustique,
Et si tresrude, à faulte d’exercer,
120Que bien souuent, quand viens à y penser,
Ie n’ose plus à escrire me mettre,
Considerant vostre fluide metre,
Si bien poli en langage propice,
Que d’Apollo semble estre l’artifice,
125Et non de Pan, dieu rustique, & champestre,
Que vostre maistre auez dit aux champs estre :
Car qui voudroit noz metres assembler,
Incontinent on verroit resembler,
Le metre mien (que ne die plus oultre)
r 3 [p. 262] 262 130Tout proprement à vn caduque coutre,
Qui de long temps ne fut au labeur mis,
Mais delaissé, & à rouille souzmis,
Tout laid, gasté, consumé, demoli :
Mais bien le vostre à vn glaiue poli,
135Agu, tranchant, & venant de la forge.
Voila comment de present ie vous forge
Metres si laidz, difformes, & sans art,
De peur qu’on dist qu’vn paresseux songeart
Fusse enuers vous, qui tant de vostre grace
140M’auez semonds en vostre art d’efficace.
A ce matin, d’vn iour de noz vacances,
I’employe donc mes petites puissances
A vous ensuyure en vostre art, & mesure :
A ce matin ie taille, & ie mesure
145Cet escrit mis souz vostre lime, & titre,
Et vous enuoye encore cette epistre
En respondant à la vostre, ou me dites
Bon hõme, mais ie croy que vous mesdites :
Car vn chacun, qui a veu cette attache,
150Dit bien qu’en moy onques n’en fut veu tache.
Ce nonobstant ie prens en gré l’iniure,
Et contre vous n’en proteste, ou murmure :
Tel [p. 263] 263Tel soye ou non (quoy qu’il m’en doit chaloir)
Ie n’ay esgard qu’à vostre bon vouloir :
155Combien que pas chez nous on ne demande
Que soye tel, ainsi on le vous mande.
Quant au plaisir, au soulas & grand bien
Que poures gens, lesquelz sont au lien
De mariage, ont (ainsi que vous dictes)
160En lieu des maux que noz femmes mal duites
Nous font, auec tant de noysifz alarmes,
Vous en parlez ainsi comme clerc d’armes.
Quant au surplus i’ay au pere Tamot
Communiqué, & leu de mot à mot
165Vostre susdite ornee, & douce lettre,
Lequel vne autre a voulu vous trasmettre.
Mais soit la fin, priant Dieu que santé
Il vous enuoye, auec biens à planté.
[10]Responce, par Charles Fontaine.
I’Ay veu, i’ay leu vostre responce, amy,
Et comme auez auec songe dormy,
Songe qui n’est illusion fascheuse,
Mais d’vne dame aux lettres amoureuse :
5Dont n’eusse pas voulu vous réveiller,
r 4 [p. 264] 264Car tel dormir ne vault moins qu’vn veiller.
Ie louë en vous premier la diligence,
Secondement la bonne intelligence,
Qui mes propos a conceuz, & notez :
10Et tiercement l’amour que me portez.
Or comme vous i’ay songé, non pas comme,
Car mon songer ne sent pas tant son homme :
Mais sans descrire, & sans montrer au doigt,
Comment Phebus s’en vint plonger tout droit
15En l’Ocean, la nuict tout à la ronde,
Enuironnant de ses ailes le monde :
Ny comme, apres qu’elle eut son vol parfait,
Ie vy venir en son tróne bien fait,
De l’Orient Aurora honoree,
20Par Phaëton, & par Lampus tiree :
Sans tout cela, i’ay mon songe compris
En vn dizain, afin que noz espritz
Apres longs traitz en brieueté se iouënt :
Car gens savans, & l’vn & l’autre louënt.
25Par vn dizain vous me respondrez donc,
Et de deux pointz, i’estimeray adonc
Vostre gentille, & gracieuse Muse,
Qui d’escrit long, & außi de brief m’vse.
Dizain [p. 265] 265
[11]Dizain par Charles Fontaine, audict
I. Orry, Aduocat.
I’ay songé cette nuict passee,
Que vous estiez de par deça,
Et vous ay eu en ma pensee,
Plus que depuys troys moys en ça :
5Pour vous traicter cours la, & ça,
Et de ma place n’ay bougé :
En dormant i’ay beu, & mangé :
O amy digne de memoire,
Si ne m’auez autant songé,
10Au moins faites le moy acroire.
[12]Responce au dizain precedent.
S’il ne tient qu’à le faire acroire,
Ie le feray facilement :
Bon amy, donc te soit notoire
Que i’ay songé semblablement,
5Voire songé royalement,
Que d’Espaigne tu estois Roy :
M’en croy-tu ? mais ie ne le croy :
Or en mon coeur trop ie me deulx
Que la puissance n’est en moy
10De le bien prouuer à nous deux.
r 5 [p. 266] 266
[13]Gabriel Tamot, Aduocat du Mans
à Charles Fontaine.
L’Antiquité, la memoire labile,
Me pressent tant que ne fay plus l’habile
Pour deuiser, & composer par metre,
(Filz, & amy) & ne veult Dieu permettre
5Que mes vieux ans retournent en ieunesse,
Car mourir fault, on voit bien que ieu n’est ce.
Les iours de l’homme en ce monde sont courtz,
La mort le prent quand il a fait son cours.
Ieune ay esté, maintenant suis vieillart,
10Passé, casse, ma rime est de vieil art,
Peu estimée entre ieunes auteurs,
De gens lettrez, & lettres amateurs.
Souuent ieunesse est à vieillesse dure,
C’est bien à tard quand l’vne o l’autre dure :
15Si ne doit on vieillesse mespriser,
Et ne la fault raualer, mais priser.
Cela ne dy pour despriser ieunesse,
Mais c’est afin que de nous deux ieu naisse,
Qui noz espritz echauffe, & mette en ioye
20Et que de toy bonne responce i’oye :
Car on m’a dit qu’en bon art poëtique,
Tu es [p. 267] 267Tu es expert[,] garni de theorique,
De bons propos, & science certaine :
Si qu’aux ruisseaux de ta clere fontaine
25Ceux qui ont soif de sauoir, pourront prendre
Refection poëtique, & aprendre
Bien & honneur, auec tout bon sauoir :
Comme on a peu l’experience voir
Par tes escriptz : car ta plume distille
30Vn doux françoys passant tout autre stile.
Cet escript donc prendras en bonne part,
D’außi bon cueur comme du mien il part :
Filz & ami, si mieux faire sauoye,
Ie le ferois, cela s’en va sa voye :
35Mais ie ne suys des mignons de Pallas.
Or sus, mon filz, montre que n’es pas las :
Metz plume en main, papier sur ton pulpitre,
Pour m’adresser en beaux vers quelque epitre.
Pardonne moy si quelque faut feis,
40Trescher ami, en t’appellant mon filz :
Car ie n’entens estre en sauoir ton pere,
Qui en tout cas le mien petit supere :
Mais les vieillards par priuilege d’aage
Sur ieunes gens prennent cet auantage
Filz [p. 268] 268 45Filz & ami de nom noble, & d’honneur,
Dieu te soit donc perpetuel donner
De son amour : c’est le desiré mot,
Par ton amy, cest Gabriel Tamot.
[14]Responce par C. Fontaine.
PEre, & ami, qui premier m’as eleu,
De tresbon cueur le tien escrit i’ay leu,
Duquel le sens, ou la rime, i’ay prise
En bonne part, tant ie l’ayme, & la prise :
5Pour la valeur d’elle, & de son auteur
Qui m’a voulu ce bien faire, & cest eur
D’escrire à moy, pour prendre congnoissance,
Dont à iamais luy doy recongnoissance.
Vn point y a, ie voy que tes espritz,
10Pere & ami, sont vn peu trop épris
D’amour vers moy, & en font trop estime :
Cause ne voy pourquoy tant on m’estime.
Bien donc, ami, ce loz, & grand honneur
Ie rens à Dieu, & au mesme donneur.
15
Quant à l’epitre, & la response tienne,
Raison veult bien que ie la die, & tienne
Non, que tu dis, batie de vieil art
(Encor que soit de la main d’vn vieillart)
Mais [p. 269] 269Mais ieune en stile, assez robuste, & viue :
20Dont chanteray, viue le vieillart, viue :
Et que d’ici à seize ou dixsept ans
Soyons les traitz de sa plume sentans.
Mais quant au point de ta faulte ou offense,
M’appellant filz, en cela on n’offense :
25En ne fault ia qu’on en quiere pardon,
Soit par amis, par argent, ou par don.
Car, grace à Dieu, ie ne suys à sauoir
Qu’on doit aux vieux la reuerence auoir
Comme à son pere : & saint Pol l’a escrit,
30Ce m’est auis, en quelque sien escript.
Si on leur doit donc telle reuerence,
Combien plus tost fault qu’on les revere en ce
Beau mot de pere ? ainsi donc maintenant. [sic pour ]
(Puys quà ton mot ie suys la main tenant)
35Les ieunes gens peux appeller tes filz,
Comme de moy sans offense tu feis :
Et quant au pere, en sauoir, de nous deux,
Pere tu soys, certes ie ne m’en deulx.
A tant fay fin, car ie ne suys rusé
40En equiuoque, & n’en ay guere usé.
Qui equiuoque aucunement s’efforce,
Et [p. 270] 270Et moy ie hay toute contrainte, & force.
[15]Responce par ledit Gabriel Tamot.
PVys que i’ay veu ta response ensuyuie,
Filz & ami, il m’est pris vne enuie
De te rescrire encor vn petit mot,
Que bien prendras de ton pere Tamot,
5Pere i’entens d’aage, non de science,
Car ie congnoy en saine conscience
Qu’en ce ne suys digne d’estre ton pere,
Et pource à toy en ce ne me confere.
Ton sauoir est exquis, & autentique,
10Et moy vieillart ie besoigne à l’antique :
Et doublement, tant d’esprit que de corps :
L’esprit ne tient en vers les bons accords,
Le corps s’en va, & tousiours diminue,
Ieunesse passe, & vieillesse est venue.
15
Assez souuent ie rime sans raison,
Mais pour rimer n’est riche ma maison :
Rime & raison sont tresbonnes ensemble,
Bien eureux est qui des biens en assemble :
Ce n’est pas moy : car ie congnoy tresbien,
20Et long temps a que ie n’y acquiers rien :
Et m’est besoing sauoir autre mestier.
Ie ne [p. 271] 271Ie ne suys pas vn maistre Alain Chartier,
Vn Meschinot, vn Milet vn Nesson
Desquelz on oyt le poëtique son.
25I’ayme trop mieux dire ma maladie
Qu’vn medecin pour argent me la die :
Car ie sens bien mon imperfection :
Si te suppli par grant affection,
Filz & ami, supporter mes deffaultes
30En m’excusant, & mes tant lourdes faultes.
Et quant au point ou tu m’appelles pere,
Ie ne le prens à dueil, ne vitupere :
Grace t’en rends autant qu’onques ie feis,
Car trop eureux suis d’auoir vn tel filz,
35Qui tant me fait de consolation,
Et met à fin ma desolation
Qu’ay eu d’vn filz, qu’Atropos, la diuerse,
A rué ius, & mis à la renuerse.
Mais il m’en prent trop mieux que ie ne pense,
40Car Apollo par toy me recompense.
Voila comment ie gaigne, & rien ne perds :
En lieu de noir doy porter vert ou pers,
Car puys que i’ay nouueau filz recouuert,
Ie laisseray le noir pour prendre vert.
Dueil [p. 272] 272 45Dueil me rendoit froit comme vn iour de ieusne,
Mais tu me rends tout gay, ioli, & ieune.
Puys que par toy ce bien m’est auenu,
Filz & ami, tu soys le bien venu,
Et plus que bien en ce païs du Maine :
50Quand te plaira verrons ta face humaine
Orry, & moy, en noz petit burons
Et du meilleur l’vn à l’autre beurons,
De tresbon cueur, par grand resiouissance,
Afin qu’ayons tousiours la iouyssance
55De bonne amour parfaicte, inseparable
Or Dieu te doint son regne perdurable,
Mon trescher filz : &, par son doux plaisir,
Venir au point de ton parfaict desir.
[16]Response par Charles Fontaine
audit Tamot.
DE ton escript i’ayme l’affection,
Pere & ami, qui fais tant mention
De moy ton filz, à qui tu montres zelle
Fort aprochant de l’amour naturelle,
5Que tu auois à ton filz trespassé,
Dont tu te dis par moy recompensé
Eureusement : mais ie puys dire ainsi,
Que [p. 273] 273Que Dieu par toy me recompense außi :
Car long temps a sur mon naturel pere
10La mort ietta sa main noire, & severe.
Quant aux propos, en ton escrit dernier
Ne sont pas fort differens du premier :
Car tu poursuis, parlant de ta vieillesse,
A me donner tousiours honneur sans cesse.
15Mais ie voudrois de Medee tenir
L’art, par lequel te ferois raieunir,
Comme elle feit iadis le vieil Eson,
Qui pere estoit de son mary Iason :
Ie n’y faudrois, tu le peux bien entendre,
20Pour, comme moy, en ieunesse te rendre.
Car ie croy bien que tu ne dirois pas
Comme Caton, quand viendroit à tel cas.
Lors pere & filz diroient, fi de vieillesse :
Lors pere & filz rimeroient en liesse.
25Mais Poesie affamee, & en friche,
N’a, ce dis tu, point fait ta maison riche :
Außi n’a elle encore fait à moy :
Et ce seul point ne me met en esmoy:
Car le desir d’vn Poëte n’attend
30Auoir richesse, ou tout autre estat tend.
s [p. 274] 274Iadis Virgile, Ouide, Homere, Horace,
Bassus, Codrus, Claudian, Lucain, Stace,
Par poureté ont eu maux infiniz,
Trop enviez, haïs, les vns bannis,
35Ce nonobstant à present est leur nom
En gloire, honneur, & immortel renom.
Le vray Poëte à honorer s’amuse
Tant seulement & son Dieu, & sa Muse :
Le vray Poëte en constance est certain,
40Il a coeur noble, & vn esprit hautain :
Comme Accius qui point ne se leuoit
Deuant Caesar, non pour gloire qu’auoit,
Mais pour monstrer qu’honneur, & reuerence
Gist au sauoir plus qu’aux gens d’apparence.
45Le Roy d’Egypte enuoya demander
Par ambassade, & pour bien, Menander :
Autant en feit le Roy de Macedoine :
Et si n’alla ny vers Roy, ni vers Royne,
Et n’accepta oncques tel heur, combien
50Qu’Atheniens le luy permissent bien.
Euripides ne voulut onc permettre
Au peuple Grec, de changer, ou ometre,
Sentence estant dedans sa Tragedie.
Et [p. 275] 275Et quel besoing est il donc que ie die
55Que le Poëte à peine adorera
L’or, & l’argent ? à peine y cedera ?
Quand il ne peult ceder aux Roys, & Princes,
Aux hommes grans, aux peuples, & prouinces ?
Il est bien vray qui m’en presenteroit,
60Vn Curius Fontaine ne seroit :
Comme Platon si requerroit il plus
Liures qu’argent, non comme Aristippus.
Tu dis celuy bieneureux qui assemble
Beaucoup de biens, mais (pere) autremẽt semble
65A Apollo, & à Solon le sage,
Qui à Cresus disoit qu’en ce passage
De vie à mort, n’est bienheureux aucun :
Et s’il en est, il luy en nomma vn,
Pouret bon homme, & non Cresus le Roy.
70Mais Cresus pris, en tristesse, & esmoy,
Pour tant de maux qui ont sur luy courus,
Tard creut Solon deuant le Roy Cyrus.
Quant à ce point que tu te dis auoir
Si grand desir en ta maison me voir,
75Ie t’en croy bien : car qui seroit le pere,
Qui voir son filz ne desire, & espere ?
s 2 [p. 276] 276Qui est le filz außi pareillement,
Qui ne desire affectueusement,
De voir son pere, & le boniour luy dire ?
80Ainsi vers toy long temps a que i’aspire,
Dont me desplaist que nostre intention
N’a peu trouuer encor l’occasion
Que si de brief ne se rencontre en voye
Ie prie à Dieu que du ciel nous l’enuoye.
[17]F. P. à Charles Fontaine.
HIer au soir desir auoye,
De mettre cet escrit en voye,
(Quoy que mon esprit efforcé
En ce premier ieu s’est forcé)
5Car ioyeux, ton conseil suyuant,
Ie me suis hazardé souuent
En chemin vers toy l’auanser :
Mais quoy ? Phebus me vint tanser,
Et me reprint ainsi dessoubs
10Pareil propos. Son stile doux,
Ses vers tant beaux, & mezurez,
Ses motz, & termes azurez
Dont il a en maintes prouinces
Et acces, & credit aux Princes,
Ne [p. 277] 277 15Ne te donnent ilz à entendre,
Qu’escrire à luy ne dois pretendre ?
Ce nonobstant toute la nuict,
Ton bon conseil, qui point ne nuit,
A confermé le mien courage.
20
Or voy donc ce premier ouurage
Fait pour complaire à ta grand Muse,
Que vainement, & trop i’amuse,
A escouter mes rudes vers
Tirez à tort, & à travers :
25Mais par ta douceur, & bonté
Ma trop grande importunité,
Et hardiesse excuseras,
Et s’il te plaist m’enseigneras.
[18]Responce par Charles Fon-
taine à F. P.
QVand ie seroye en faitz, & dictz
Celuy Poëte que tu dis,
Et quand tu serois encor moins
Que tu ne fais, neantmoins
5Tu ne dévrois douter, & craindre
De toute crainte, & doute enfraindre
Pour quelque Epitre m’adresser,
s 3 [p. 278] 278Que tu aurois voulu dresser.
Apres Homere, Pindarus,
10Simonides, Stesichorus,
Alceus hault, terrible en stile,
Sapho, Anacreon, Vergile,
Par leurs noms, ou par leurs escritz
Viuent encor en loz, & pris.
15
Apres Apollo, & Mercure
De chanter, & harper ont cure,
Et si ont vehemence, & grace,
Le Poëte Orpheus de Thrace,
Le Roy de Thebes Amphion,
20Le Roy des Daulphins Arion.
Si comme Lynceus tu ne vois,
Si comme Stentor tu n’as voix,
Desister pourtant tu ne veux
Voir, & parler comme tu peux.
25Ne desiste donc à m’escrire,
Fusse ie tel que tu veux dire :
Car tant plus l’homme a de science,
Plus doit estre humble en conscience :
Toutesfoys ie say que lon dit
30Que science enfle : mais tel dict
Se [p. 279] 279Se doit entendre en verité,
De ceux qui n’ont point charité,
De ceux lesquelz eu coeur immonde,
Ne sentent que l’orgueil du monde,
35De ceux dont l’esprit en tout lieu,
Ne sent comment tout vient de Dieu.
Or est il qu’en mes petis metres
Ne me sens tel comme tes lettres
Me font (amy) & si en rien
40Y a en moy sauoir, ou bien,
Si en quelque sorte suis tel,
I’en rens grace au Dieu immortel,
Qui m’as (sans que vanter m’en ose)
D’vn petit rien fait quelque chose :
45Qui son esprit donne aux petis,
Les faisant grans, & bien subtilz
Quand il luy plaist : qui fait des cas
Bien merueilleux, ruant par bas
Les puissans, & haultz, eleuant
50Le poure, & humble bien auant,
Le tirant comme des fumiers,
Pour le faire estre des premiers.
Mais ces propos telz ie reserue
s 4 [p. 280] 380 [sic pour 280]A ta docte & saincte Minerue,
55Car ie say bien que nuict, & iour
Tu prens ton esbat, & seiour
A fueilleter les liures sainctz,
De telz propos garnis, & pleins.
Maintenant à l’Epitre tienne
60Ie te respons (& t’en souuienne)
Qu’elle n’est pas à despriser,
Comme premiere, ains à priser :
Des meilleures n’est, ne des pires,
Mais c’est assez que tu aspires
65Par vne ardente affection
A plus grande perfection,
Et suffit que ton ieune esprit
Tu recongnois en tel escrit :
Lequel encor qu’il fust plus maigre,
70N’aura de moy la reprise aigre :
Phebus te doint avansement,
Car tu as bon commencement.
[19]Response par F. P. à Char-
les Fontaine.
LE filz Cresus par grande affection,
Receut en fin de voix perfection
Que [p. 281] 281Que luy auoit nié dame nature,
Aux premiers iours de sa progeniture :
5Le sainct esprit à son aduenement
Multiplia ses graces grandement,
Ottroyant don de langues aux gens rudes,
Lesquelz n'auoient onc hanté les estudes :
Pareillement ta docte, & douce lettre,
10Que de bon coeur il t'a pleu me transmettre,
M'a aporté de la langue l'vsage
Pour bien parler en ce premier ouurage :
Parquoy ie puis le iour bienheureux dire,
Qui m'esclaira pour telle epistre lire.
15
Or ie respons à la louange extreme
Que m'as donnee, & l'adresse à toymesme,
Non pas à moy : c'est à toy, c'est à toy,
Qu'elle se doit adresser, non à moy :
Car ton doux stile, auquel ne puis attaindre,
20Me le fait dire, & escrire, & sans faindre.
Mais tu me viens charger de tant d'honneur,
Qu'il n'est si riche, & liberal donneur,
Qui n'en vinst pauure, & prest à demander.
I'excuse amour qui te vient commander
25Escrire ainsi, & de n'estre pas las
s 5 [p. 282] 282De m'appeller ou Minerue ou Pallas.
Bien ie voudrois que ta Muse hautaine,
La source ouurist de ta douce fontaine
Pour m'envoyer quelque petit ruisseau
30Qui arrosast mon sec, & dur cerueau :
Iusques au fonds certes m'y plongerois,
Et puis apres de grant coeur chanterois,
Quelque beau chant fondé sur la louange,
Qu'a merité ton si bel esprit d'Ange.
[20]Responce par Charles Fon-
taine à F. P.
COurage amy, cette Epitre gentille
Me fait encor mieux iuger de ton stile
Que la premiere, & la va surpassant
Comme seconde, en stile plus puissant :
5Poursuy donc fort, degré à degré monte,
Ton cler esprit, & en fin se surmonte :
Comme ie voy, il en a grand desir :
Comme ie sens, i'en ay bien grand plaisir.
Mais si Cresus pour pere tu auois
10Quant aux grans biens, & non en seule voix,
Ie n'y aurois, ce croy-ie, rien perdu :
Ains comme l'autre a tresbien deffendu
Par [p. 283] 283Par voix, son pere encontre vn qui l'oppresse,
Me deffendrois außi par ta richesse
15Contre fortune, & sa malignité
Qui tant souuent, & trop m'a molesté :
Si autrement, autant bien t'aymerois
Quand seulement vn Eglé tu serois.
Mais tu n'es pas ny l'vn, ny l'autre außi :
20Souuent t'ay veu bien parler, Dieu merci,
Auparauant que mon epitre lire :
Et maintenant ie te voy bien escrire.
[21]C. Fontaine à vn sien ami.
LE plus grant bien qu'ayent amis presens
C'est s'entreuoir : puys quãd ilz sõt exẽptz
De ce grant bien, quand quelque grand espace
Les a distraitz non de coeur, mais de face,
5Dont n'ont pouoir de tenir vis à vis
Mille propos, mille petis deuis,
De s'embrasser, s'entreuoir, s'entrerire,
Leur plus grand bien alors c'est s'entr'escrire.
Tel est le bien comme en coeur ie le sens,
10Le plus grant bien de tous amis absens,
S'entrembrasser, & s'entreuoir par lettre,
Qu'on doit souuent l'vn à l'autre transmettre,
Puis [p. 284] 284Puis qu’il n’y a autre moyen certain
De s’entreuoir, & demourer loingtain.
15Leur grand bien donq c’est l’oeil en la presence :
Et leur grant bien c’est la plume en l’absence.
Parquoy celuy qui est souuerain bien,
Lequel devons aymer sur tout tresbien,
Celuy, sans fin, qui noz deux cueurs allume
20D’ardante amour, nous saulue l’oeil, & plume :
L’oeil, pour encor quelque foys nous reuoir :
La plume, pour souuent lettres auoir.
Que pleust à Dieu que ma plume petite
Peust faire chose (o ami) bien escrite
25En vers remplis d’vn doux son, & bon vent :
Lors i’escrirois, & beaucoup, & souuent :
Quatre ou cinq foys (ou plus) toutes les lunes
Vous descrirois mes bons eurs ou fortunes
Qui ça, & là me font aller, venir,
30Sans que de vous perde le souuenir.
Excusez donc d’vne amour franche, & nette,
Ces rudes traiz de ma tendre plumette :
Prenez en gré mon stile si tresbas
Qu’on n’y sauroit prendre goust ny esbas :
35Mais auec temps, qui toute chose avanse,
Croist, [p. 285] 285Croist, & fait fruict la petite semence.
Changeant propos, ie vous veux auertir,
Et en ami, que depuys mon partir
D’auecques vous, on ma seigné la veine,
40Qui a rendu ma personne si vaine
Que mes amis cuidoient, & moy außi,
Que disse Adieu à tout ce monde cy.
Car lors i’entray en vaineté extreme,
Qui me rendit trop plus qu’vn drapeau blesme.
45En vn instant mes ioues blemissoient :
Mes poures yeux du tout s’esblouissoient :
Cueur, veines, nerfz sentirent telle angoisse
Q[']uil n’y a nul que moy qui le congnoisse.
Et en criant Iesus, Iesus (en peine)
50De dure mort senti la forte alaine.
Si vaine fut ceste grant pasmoison
Que departoit l’esprit de sa maison,
Si n’eust esté que Dieu par bonté grande
De n’en partir encore, luy commande.
55Dire ie puys, & bien me vanter ose
Que bien gueri fus de ma coupperose
Qui n’eust point eu de retour cet Esté
Si vn petit plus outre i’eusse esté.
Vn [p. 286] 286Vn point y a qui me reconfortoit,
60Cest que iadis vn poëte portoit
En mesme moys, mesme aage, mesme peine,
Quand fut seigné de seignee mal saine :
Et moy außi ie croy que ne fus pas
De noire Mort plus loing qu’vn petit pas.
65En cet endroit amour veult, & commande
Que de bon cueur à vous me recommande.
[22]Response de l’ami à Charles
Fontaine.
PVis que m’auez de si douce maniere
Escrit en vers, mesme vsant de priere
A nous reuoir bien souuent par escript,
Estant nostre oeil de ce grant bien proscript,
5(Pour le chemin & distance locale,
Qui entre nous met si grand interuale)
Ie ne saurois vous refuser iamais :
Cenonobstant que la charge, & le fais
De mes plusieurs affaires domestiques,
10Et les raisons de mes peines publiques
Y contrarie, & met empeschement :
Mais i’ayme mieux faire vn desbauchement
De mon proffit, & perdre marc, & once,
Que [p. 287] 287Que de faillir à vous faire responce :
15A celle fin que ne rende inutil
Escript venant d’vn poëte gentil :
Et que ne soys veu mespriser la chose
Qui tant d’amour, & d’accueil me propose,
Ce que ne doy moins louer, & priser,
20Que la fontaine ou faictes espuiser
Vostre fluante, & douce poësie :
Mais il y a mainte raison choisie,
Mainte matiere, & maint digne propos
Qui sierroit mieux en l’oreille à repos
25De son amy, que mis en escriture,
Car le papier n’a point de couuerture.
Lon voit außi plusieurs choses tost dictes,
Qui vaudroient mieux temperément escrites :
Mais en cela ie n’ay point de regard,
30Car bõne amour, que Dieu nous sauue, et gard,
Est si tresprompte à bien faire, & soudaine
Qu’elle n’a point ceste raison mondaine :
Car elle seule entretient, & unit,
Tout le grant bien qu’en l’homme on definit,
35Non par parolle, ou par epitre ornee,
Mais d’vne grace aux amis adonnee,
Non [p. 288] 288Non en faueur de ce monde mondain,
Mais par l’esprit à bien faire soudain.
Pour venir donc respondre à vostre lettre,
40Quand ie paruins à lire, & voir le metre
Parlant de vostre esuanouissement,
Soyez certain que mon entendement
S’en desola, & fus bien grande espace
Sans lire plus, triste en cueur, & en face :
45Car quel qui soit qui donna le conseil
De vous dresser si enorme appareil
Pour vous curer la vostre coupperose,
Cest vn badault qui n’entend pas la chose.
Si les grans biens que nature depart
50Nous font contens, & eureux toutepart,
Prendrons nous pas außi en tolerance
Les maux venus avec nostre naissance ?
Certes ouy : car nature n’a faicte
Chose qui peust par art estre deffaicte,
55Sans mettre en blasme, & danger la personne :
Car nature est à toute chose bonne.
Et s’elle fait apparoir au dehors
Rougeur, ou tache au visage, ou au corps,
De là ne vient bonne, ou male auenture :
Par [p. 289] 289 60Parquoy qui fait à son sang ouuerture
Pour reformer vn vice naturel,
Il se declare à soymesme cruel,
Iniurieux à sa propre nature,
Et contre Dieu semble faire murmure.
65O grand amy, que diray ie au par sus ?
Le coup est fait, mais ne le faites plus :
Ou vous irez, sans retour, au passage
Dont m’escriuez que fustes en ostage.
Mais ie vous pry, amy, en cet endroit,
70Quand vous auez l’esprit prompt, & à droit
Pour retenir toutes les haultes choses,
Que lon dit estre en l’autre monde encloses,
Puis que si pres vous y fustes d’vn pas,
Racomptez nous par mesure, & compas,
75Ce que lon dit des grandes controverses
Entre les gens, & des choses diuerses :
Si leurs proces, querelles, & debatz,
Seront vuidez là sus, ou ici bas.
Ie n’y voy point grand cas à decider,
80Qui en pourroit conuoitise vuider.
Qu’en dictes vous ? est il iamais poßible,
De viure en paix en ce monde sensible ?
t [p. 290] 290Ie vous suppli m’en dire la façon,
Et m’enseigner quelque bonne leçon,
85Pour cheminer es sentes plus certaines,
En m’abreuant de voz viues fontaines :
Außi le veut entre amis estre fait
Nostre Apollo qui en donne l’effect.
Et si sauez aucune chose en somme
90Dont le pouoir soit en ce petit homme,
Asseurez vous außi tost d’en fournir
Qu’il vous plaira m’en faire souuenir.
[23]Response par Charles Fontaine,
à son ami.
SEigneur amy, facilement ie croy
Qu’auez ces iours eu mesme mal que moy :
Car i’ay esté en grant peine, & en doubte
Qu’vn mot de vous n’oyois en somme toute :
5Et ne pouois penser l’occasion
Dont aduenoit telle dilation.
Viendra il point, disoye en longue attente,
Vn messager qui lettres me presente ?
N’auray-ie point ne parolle, n’escript ?
10A quoy tient il que tel, ou tel n’escript ?
Brief, i’ay esté en ces doubtes, & peines
Peu [p. 291] 291Peu plus peu moins, dix ou douze sepmaines :
Qui est long terme, & la seule moytié,
Tenant suspens, est dure en amytié.
15Voila comment i’ay fait experience
Qu’en telle chose on a peu patience,
Et vous außy (ie le sens, & ne le fay)
En vostre endroit en auez fait l’essay :
Car vostre cueur telle amour me demontre
20Qu’il n’est ioyeux quand lettres ne rencontre.
Or Dieu gard donc les deux entiers amis,
Lesquelz se sont de respondre entremis :
Dieu gard les deux, mais les troys à bien dire,
Lesquelz n’ont peu leurs lettres à temps lire,
25Et sans leur faute, ains faute des porteurs,
Qui n’ont esté diligens apporteurs.
Dieu les gard donc ces porteurs tant malsades,
Qui nous ont fait d’vn mesme mal malades,
De non iamais permettre & consentir
30Que tel ennuy ilz nous facent sentir :
Mais tout ainsi que le douteux nauire
(Qui bien souuent par vague tourne, & vire
Sur haute mer) d’autant plus grant espace
Met à trouuer son port, & seure place,
t 2 [p. 292] 292 35Par le moyen du vent contraire, & fort,
D’autant außi c’est plus grand reconfort,
Redoublement de ioye, & de liesse
A cil à qui le nauire s’adresse,
A cil à qui viennent les marchandises
40De loing païs, bien rares, & exquises :
Certes ainsi voz lettres tant virees
Par vents d’oubli, me sont plus desirees.
Voz lettres donc par ces vents retenues,
Sont de mon coeur tant plus cheres tenues,
45Venans au port, ou sont en seureté,
Entre mes mains, & en leur sauueté :
Et grace à Dieu encor dont vers le soir
Elles ont peu leur port desiré, voir.
Or, bon amy, cette solicitude
50De coeur entier, & grande promptitude,
Dont enuers moy, qui suis vn moins que rien,
Vous vsez tant, que mesme vostre bien,
Vostre profit, & domestique affaire
Vous delaissez, à fin de satisfaire
55A me respondre, est si grand amour bonne,
Que ne la peult reualoir ma personne :
Mais quand ne puis par effet reualoir,
Pren [p. 293] 295 [sic pour 293]Prendrez en gré au moins mon bon vouloir,
Mon bon vouloir, qui à dire m’incite.
60I’ay grand vouloir, mais puissance petite.
Außi l[']on doit moins faire mention
Du grand pouuoir que de l’affection :
Car bon vouloir est vn riche tresor
Que les amis poisent au poix de l’or,
65
Mais quant au point, & louange hautaine
Ou requerez que ma viue fontaine,
Veuille en ses eaux vostre esprit abreuuer,
A autre temps me le fault reserver.
[24]Charles Fontaine à son oncle Maistre
Iean Dugué, Aduocat en Par-
lement à Paris.
L’Escrit present pource que ce n’est chose
Digne de vous, presenter ne vous l’ose :
Ce nonobstant s’il vient dessouz voz yeux,
Estimerez que pourray faire mieux
5A l’aduenir, & que mon inscience,
S’adresse à vous pour deuenir science :
Car lon sçait bien, & la chose est certaine,
Que le Gué passe en tout cas la Fontaine :
Et vostre loz pour son decorateur
t 3 [p. 294] 294 10Requiert meilleur Poëte, ou Orateur.
Ce ne me doit pourtant trop retarder
D’escrire à vous, & ne me doit garder
De vous donner, quasi en m’esbatant,
L’honneur, & los dont vous meritez tant,
15Pour deux raisons : l’vne est, car cest escript
Que le nepveu à l’oncle aura escrit
Plus sera ample, ou plus les vers croistront,
Tant plus außi mes fautes paroistront,
Qu’il vous plaira à part me remontrer,
20Quand vous pourrez temps & lieu rencontrer :
Car demourer tel que suis ie ne veux,
Mais bien veux faire ainsi que bons nepueuz,
Qui en vertu veulent leurs oncles suyure,
Et leur sauoir, sens & bon stile ensuyure :
25En quoy valez de loz vn milion,
Ie iuge ainsi aux ongles le Lyon.
L’autre raison, c’est que ie pren plaisir
En vers François, & si ay grand desir
De plus auant gouster cette science :
30En escriuant croistra l’experience :
Celuy qui veut estre en quelque art parfaict,
Faut qu’il y soit par long temps expert fait.
La Poë [p. 295] 295La Poësie est science tant digne,
La Poësie est chose si diuine
35Que les Romains pour a bien exciter
Les ieunes gens, leur venoyent reciter,
Et leur chantoient en leurs conuiz & festes
Les nobles faictz, & les vertueux gestes
De leurs maieurs, en vers, hymnes, cantiques,
40Et en ditez tresbeaux, & poëtiques.
Noz anciens qui par force & bon eur
Sur maint fort peuple ont emporté l’honneur,
Ont honoré les Poëtes si fort
Qu’entre combats, & martial effort,
45S’il auenoit que, par cas d’auenture,
Il les voyent, leur belliqueuse ardure
Cessoit tout court, mesmes les ennemis
S’en desistoient (de Poësie amis :)
Et le Dieu Mars plein d’horreur, & fureur
50Reveroit lors des Muses la douceur.
Cesar Auguste a dit, & arresté,
Que de la loy plustost la magesté
Diminuast, que de mettre en effect
Le testament que Virgile auoit fait :
55Car, sans propos, vne heure eust aboli
t 4 [p. 296] 296Tant de labeurs du Poëte anobli.
Les corps, les biẽs, maisons, chasteaux,
vieillis-
(sent,
L’or, & l’argent par la roille perissent :
Mais les beaux vers ne vont point perissant,
60Car Apollo est tousiours florissant,
Tousiours beau, ieune, & la face en liesse
Ne sent iamais du vieil temps la vieillesse.
Ce beau Phebus, que ie veux pourchasser,
Tira des loix, garda d’aduocasser
65Iadis le beau, & le gentil Properse,
Comme estat plein de bruit & controuerse :
Autant en feit à Ovide, plaisant,
A qui son pere alloit souuent disant,
Que poursuis tu vne estude inutile ?
70Homere n’a laissé ne croix, ne pile :
Laisse tes vers, & poëtique veine,
Ceste science est trop sterile, & vaine :
Mais oncques n’a cet esprit destourné
De son Ovide, aux Muses du tout né :
75Et quoy qu’il fust la cause de son estre,
Si n’a il peu en cela estre maistre.
Le naturel d’vn enfant n’obtempere,
Et ne se vainc par oncle, ne par pere :
Car [p. 297] 297Car la nature est tousiours la maistresse,
80Et, la chassant, retournera sans cesse.
Ce qui aduint à Ouide, car lors
Que de quiter les vers feit ses effortz,
Cuidant escrire en prose, de sa plume
Couloient les vers par nature, & coustume.
85Soymesme ainsi sans y penser se trompe :
Adonc sentant qu’en rien ne se corrompe
Le naturel, & que la plaiderie
Estoit grand faix, & trop grand facherie
Pour son esprit, né à mansuetude,
90A paix, repos, & à plus douce estude,
Se retira, ses Muses poursuyuant,
Et de son temps les Poetes suyuant :
Lesquelz si bien honora en tout lieu,
Qu’il estimoit chascun d’eux estre vn dieu,
95Ainsi qu’il dit luymesme, & le confesse :
Tant honora Poesie sans cesse :
Battus hanta, Properse auec Macer,
Horace graue à ses vers compasser.
Voila comment le naturel d’Ouide
100Ne peut iamais aux Muses tourner bride :
Il n’auoit pas son inclination
t 5 [p. 298] 298A l’auarice, & à l’ambition.
En tout estat y a peine, & souci :
En tout estat on peult tromper außi,
105Fors qu’en cestuy de noble Poësie,
Dont par sus tout l’ay aymee, & choisie :
Si au contraire elle ne m’a choisi,
Et inspiré auant naistre quasi.
Ie vous pry donc que voz oeuures à lire
110Me permetiez, car bien fort les desire :
Maintz cas exquis là ie pratiqueray,
Et en ce champ herbes, & fleurs querray,
Pour, d’abondant, m’exciter l’appetit,
Qui grace à Dieu en moy n’est pas petit.
115Fait par ce moys que l’aigle vole en France
A seureté, & en toute fiance :
[25]Response par maistre Iean Du-
gué, à son nepueu
Charles
Fontaine.
IE congnoy bien par l’epistre presente
Que l’auteur veut que lon me la presente :
Mais tant l’ay leuë, & releuë à present
Que m’en contente, & reçoy le present
5Comme assailli, donc raison ou me fonde,
Me [p. 299] 299Me persuade, & veult que i’y responde :
Ie y respondray, mais faut que soit en brief,
Car ie n’ay temps à present, qui m’est grief.
Premierement i’estime ton epitre
10D’autant qu’en vers françoys l’as voulu tistre,
Et cy deuant tel oeuvre encor n’ay veu
Qui procedast de ton faict, mon nepueu.
Ie ne pensois qu’auec la tienne estude,
Ou tu as pris si entiere habitude
15Par artz humains, querant à les sauoir,
Les vers françoys y peussent lieu auoir :
Peut on vacquer à la Philosophie
Entierement, & en vers ? ie t’affie
Que difficile il est : car qui entend
20Ensemble aux deux, ne vient ou il pretend.
Toute science, & tout art, veult en somme
Pour l’acquerir entierement son homme :
Si que souuent, par vaguer, l’esperit
Quoy q[']uil soit bon, se consume & perit :
25Pource qu’à l’vn entendant, l’autre laisse :
Et prenant l’vn, l’autre auoir tost il cesse.
Ie le say bien, car i’ay passe par là :
Croy à celuy qui comme toy parla
En [p. 300] 300En ma ieunesse, auec maint autre affaire,
30Composay ieux pour honneur, & gaing faire :
I’ay pour esbat fait epitre autresfoys,
Virlais, rondeaux, ballades : toutesfoys,
Le tout pesé, l’yssue est peine traire,
Et de son train s’estranger, & distraire :
35Tant qu’en la fin par trop les vers aymer. [sic pour ]
Me suys trouué peu me faire estimer
L’art est tresbeau quand nature le donne,
Et quand celuy qui le reçoit s’adonne
En temps, & lieu y vacquer pour soulas :
40Mais garde toy d’en prendre ton saôul, las,
Si tu le fais, ie crains que peu te serue
Pour estre filz de la saincte Minerue :
La raison est, l’vn de diuinité
Est tout confict, l’autre en mondanité
45Dont ne peult estre en vn temps, ce me semble,
Qu’hõme vacquer à tous deux puisse ensemble.
Ie ne dy pas que l’esprit fatigué
Ne se recree, & ne soit mitigué
Par quelque esbat de rime, ou poësie,
50Mais qu’on n’y mette auant sa fantaisie
Si qu’en oubly soit le principal mis.
Ie [p. 301] 301Ie te le dy comme vn de tes amis,
Et des plus grans, auquel la chose touche :
Quand tu vouldras plus en auras de bouche.
55
Or mon nepueu à ce que tu requiers
Mes oeuures voir, & dis que cela quiers,
Pour t’exciter, soit sur table, ou sur coffre,
Tout est à toy, de bon cueur te les offre :
Ly, & rely, & tu y trouueras
60Ce que i’ay dit : autre bien n’y verras.
I’ay eu labeur à les faire, & grant peine :
Et bien souuent à les reuoir me peine :
Onc par escrit n’ay sceu oeuure eriger,
Qu’en reuoyant n’y trouue à corriger.
65Pour ce traueil ie n’ay autre salaire
Fors que i’en puys à moy, ou autry plaire :
Mais ie ne veux à ce tant m’eschaufer,
Car mieux vault gaing que de philosopher
A gens qui ont leur mesnage à conduire.
70
Quant au surplus que tu voulus desduire
Louant mon stile, & reprouant le tien,
Mercy t’en rends, par tout y a du bien :
Außi ie croy, si tout on veult comprendre,
Qu’il n’y a oeuure ou n’y ayt à reprendre :
Mais [p. 302] 302 75Mais quant au tien, ie ne voy q[']uil soit temps
Pour deuiser des choses que i’entends
En vers françoys : vn iour, qu’aurons espace,
I’ay bon espoir qu’à ce le temps on passe,
Lors ce que say te sera allegué
80Et en prendras à ton plaisir Dugué.
[26]Response par Charles Fontaine,
à sondict oncle Dugué.
PVis qu’auez veu l’epitre tant mal faicte,
Non qu’ebauchee, & encore imparfaicte,
Qu’on m’a robee (ainsi que fruictz non meurs
Sont arrachez auec branches, & fleurs)
5A celle fin de vous la faire voir :
Puis que l’auez voulu voir, & reuoir,
Et qui plus est, me respondre à icelle,
Bien doy louer cette amour naturelle
Qui mit en vous si forte affection
10Qu’elle a vaincu toute occupation
Dont vous auez assez en toute sorte,
Certes selon que vostre estat le porte :
Et ne doit pas à respondre faillir
Celuy lequel osa vous assaillir :
15Si toutesfois ce a esté luy plus tost
Que [p. 303] 303Que le porteur, dont parleray tantost :
Qui sauoit bien que ce n’est ma coustume
De tost voler, sans ailes, & sans plume :
Mais il dira q[']uil m’estimoit bien tant,
20D’aller à vous mes oeuures esuantant.
Si autres mains elles n’ont rencontrees,
Loué soit Dieu qu’il vous les a montrees :
Car par moyen de luy, m’est apparent
Qu’estes vers moy bon amy, & parent :
25Et par moyen de luy, i’ay vne lettre,
Que pres mon cueur ie mettray, & doy mettre :
Tant sauez bien remontrer doucement,
Tant sauez bien corriger prudemment :
En quoy faisant l’oncle fait q[']uil appere
30Estre au nepueu au lieu de son feu pere.
Vers le nepueu auez donc, en effect,
D’amy, de pere, & d’oncle office fait.
Or me louez qu’outre vostre pensee
S’est mon estude a cet art avansee :
35C’est don de Dieu, puis q[']uil en est donneur,
A luy tout seul i’en redonne l’honneur :
Mais ne pouuez penser qu’on le poursuyue,
Et qu’auec luy Philosophie on suyue :
Quant [p. 304] 304Quant à cela, ne vous responds, sinon
40Qu’vn petit mot : ou c’est science, ou non :
Si c’est science, en elle qui se fie,
N’est point contraire à la philosophie :
Philosophie, amour de sapience,
Est vn chaos plein de toute science :
45Toute science ensemble symbolise :
Parquoy cet art les siens ne scandalise,
S’il ne rencontre vn iuge sans saueur,
Et qui ne porte à science faueur :
Et si tel iuge on trouue, cetuy-là
50Ne sera pas Metellus, ne Sylla,
Ne sera pas Auguste, ou Alexandre,
Ne Françoys Roy qui a la Salemandre,
Mais vn esprit ne peult sans se blesser
Tant entreprendre, & ensemble embrasser :
55Car ce faisant, dictes qu’il s’extrauague,
En qu’en la fin se rend confus, & vague :
Science n’a nul si petit sentier,
Qu’il ne requiere assez son homme entier.
Il est bien vray qu’auec forse dispute
60Lon disputa, & encor lon dispute
Lequel des deux plus grand loz doit auoir,
Ou [p. 305] 305Ou celuylà qui gouste main sçauoir,
Ou cestuicy qui a l’experience,
Et le parfaict d’vne seule science :
65Et sans cela, les propos dessusdictz
(Sans nul blasmer) sont pris des communs dictz
Des gens qui sont de coeur remis, & lasches,
A leurs labeurs querans toutes relasches,
Et non sentans auec leur lascheté
70Par quantz trauaux l’honneur est acheté.
Mitridates estoit (ce que ie croy)
Comme nous hommes, & si luy estant Roy
Sçauoit parler vingt & deux langues belles,
Les deux Cesars, lumieres immortelles,
75Dont le renom passe tout hautain dire,
Ne passoient iour sans lire, & sans escrire,
Ha, quand ie voy tant d’auteurs diligens,
Et si grand faix d’oeuures de tant de gens,
Si m’en croyez, il m’est aduis en somme,
80Mon oncle amy, qu’aupres d’eux ne suys hõme :
Nous ne goustons quel’ vertu l’honneur a,
Comme apres mort par luy on regnera.
Pource Hercules ayma iadis mieux suyure
Le dur chemin, qui fait par labeur viure,
v [p. 306] 306 85Auec vertu, que vaine oysiueté,
Banquetz, ieux, pompe, auecques volupté.
Me soit permis donc au lieu de iouer
Hanter cet art (ie di sans me louer)
Me soit permis au lieu de dez, ou cartes,
90Et au lieu d’arcs, & sagettes des Parthes,
Soir & matin la plume manier,
Qui vole mieux, on ne le peut nier.
Il n’y a rien qu’en fin on ne surmonte
Par diligence, & labeur qui tout dompte.
95Il n’y a mont si haut, ne si cornu
Ou ne paruienne vn labeur continu :
N’y paruevant, si n’en peut on mesdire,
Car doit l’effort des grans choses suffire.
Et qui verroit de ma prose, peut estre
100Ne me prendroit pour en vers me cognoistre.
Mais s’il y a quelques mondanitez,
Dont auez crainte, & dont m’admonnestez,
Qui nuysent trop à la Minerue sainte,
Que cognoissez dedans mon coeur emprainte,
105Cela ne vient de la science bonne,
Ains vient du mal qui est en la personne :
Car autrement il faudroit reprouuer
Tout [p. 307] 307Toute science, & nulle en approuuer :
Pource qu’il n’est de science si digne
110Dequoy ne puisse abuser l’homme indigne :
Et n’y a rien ou abus ne soit mis,
Mesme en voz loix les dons, & les amis.
Toutes voz loix ce sont toilles d’yraigne :
Ce dict est vray, qui bien viser y daigne :
115La grosse mouche aisement vous les brise,
Mais la petite y demeure bien prise.
Pource disoit le sage Socrates,
Qu’il ne viuroit iamais avec cas telz :
Cent foys mourir luy seroit conuenable,
120Car il auoit vn coeur inuiolable,
A qui ferons de luy comparaison ?
Des Socrates n’en est plus la saison.
Si l’orateur doit estre homme de bien
(Tel les auteurs l’ont defini) combien
125Mieux le sera le seul diuin poëte,
Qui prent son vol plus haut que l’aloete,
Porté du vent, & inspiration
D’vne celeste, & haute inuention ?
Qui est fait tel de Dieu, & de nature,
130Plus que par art, & humaine culture ?
v 2 [p. 308] 308Pource Ennius les Poëtes appelle
Diuins, & sainctz : ceste louange est belle :
Platon diuin les dit tant accomplis,
Vuides de soy, & de Dieu tout remplis,
135Et que vne part de leur diuinité
S’espand au coeur du lecteur excité :
Puys les compare aux mousches à miel gentes,
Qu’on voit par champs voleter, diligentes
D’en rapporter le doux miel des florettes :
140Tout ainsi font (dit Platon) les Poëtes,
Car des iardins des Muses tressacrees,
De leurs ruisseaux, leurs fontaines, & prees,
De leurs vergers, leurs tertres, & buissons
Vont rapportans leurs diuines chansons :
145Et par dessus l’oraison, ou epitre,
La poësie emporte ce haut tiltre
D’estre appellee, & diuine, & hautaine :
Autre science est appellee humaine.
Mais, ie vous pry, Cretin, & les Grebans
150Ont ilz suyui du monde les bobans ?
Ont ilz traicté de plaisirs, & delices ?
Ont ilz escrit pour exciter aux vices ?
N’a Arator homme Chrestien, des nostres,
Mis [p. 309] 309Mis en beaux vers les actes des Apostres ?
155N’a Iuuencus auec vn tres beau stile
Tourné en vers nostre sainct Euangile ?
Dont sainct Ierosme en l’eglise docteur,
De son esprit estime la hauteur ?
Dauid & Iob, personnes autentiques,
160N’ont ilz escrit en vers cent beaux cantiques,
Au nom de Dieu bien faictz & inuentez,
Qui sont souuent en l’eglise chantez ?
N’a pas Marot avecques renommee,
De toutes pars espandue, & semee,
165Et, qui plus est, par le commandement
Du plus grand Roy dessous le firmament,
Maintz psalmes mis d’Hebreu, & de Latin,
En vers françoys, qu’aurons quelque matin ?
N’ont pas plusieurs, dont maint encores vit,
170Mis doctement, & sainct Pol, & Dauid,
En vers latins, que chascun louë, & prise ?
O gens heureux, que Dieu tant fauorise!
A celle fin que ne parle de moy,
Qui n’ose ici me nommer, & ne doy :
175Mais auez veu qu’en mes oeuures tient lieu
En maintz endroits l’honneur, & nom de Dieu,
v 3 [p. 310] 310Si vous venez respondre, que la ryme
N’a poësie, & vers qui soient d’estime,
Et que les vers Grecz, Latins, Italiques
180Sont trop meilleurs, & trop plus poëtiques,
I’en suis assez de vostre fantasie :
Mais ou sera Françoyse poësie ?
Sinon en ryme ? or en la reiettant
Nous desprisons nostre langue d’autant.
185Mais si iadis les Grecs, & les Latins
Ont employé maints soirs, & maints matins
A composer des vers en leur langage,
Serons nous bien de si lasche courage,
Serons nous si rudes & diuers
190De reietter, & mespriser noz vers ?
Ainsi que font quelques gens eshontez,
Quelques Latins qui n’ont iceux goustez.
Si vous auez plus ferme, & meilleur stile
Que ie n’ay pas, la raison est facile,
195Quand vous auez sur moy double auantage,
C’est asauoir de l’aage, & de l’vsage :
Qui vn effect excellent ont causé
En vostre esprit, subiect, bien disposé.
Ie suys trop long, & vous detiens possible,
200Par vne amour à ces vers indicible :
[p. 311] 311Et nonobstant que tiens propos honnestes,
Ailleurs distrait (comme dites) vous estes,
A vostre estat, pour le proufit, & gaing,
Lequel nourrit, & soustient vostre train,
205Qui vous vaut mieux que de philosopher :
Mais i’ayme mieux mon esprit estoffer
De la richesse, & tresor de science,
Et vivre poure en paix, & patience,
Amy de pure & tranquille vertu,
210Qu’estre en vn bruit, qu’estre tresbien vestu,
Et robbe auoir qui contre froit m’eschauffe,
Que luyre en or, & n’estre Philosophe.
Soyez Hortense, ou soyez vn Caton,
Brutus, Cesar, si plus dire peut on,
215Plein de hautz faictz depuys vostre ieunesse,
Et bien, encor chose immortelle n’est ce.
Achilles mort fut homme eureux nommé,
Car par Homere il estoit renommé.
D’autant l’escrit, quand il est bien parfaict,
220Marche deuant, & surpasse le faict :
Car tout haut fait est mis en sepulture
Sans la lumiere, & don de l’escriture.
Qui parleroit d’Achilles, & d’Hector ?
v 4 [p. 312] 312Qui parleroit de l’ancien Nestor ?
225Du Roy Cyrus? & du grand Alexandre ?
Veu qu’apresent ils ne sont plus que cendre ?
Qui parleroit du grand cheual de boys ?
Du Mausolee ? auec les ans, & moys,
Par eau, ou feu, ont senti leur ruine,
230Car il n’est rien que le fort temps ne mine.
Si n’estoit donc l’escriture, leur gloire
Ne seroit plus en renom, & memoire :
Et si n’estoit poësie, à present
Eux, & leur nom seroit de loz exempt :
235Et de là vient qu’auec grande constance,
Et sans souci ny d’or, ny de pitance,
En pain, & eau, en paix, & solitude ,
Au temps eureux poursuiuoit son estude
Tout vray Poete, ayant ce haut regard
240D’estre apres mort immortel. Dieu vous gard.
SENSVYVENT LES
Epigrames du liure du Passetemps
des amis escriuans les
vns
aux autres.
[1]ET PREMIEREMENT,
Charles Fontaine à D.S.
TV t'en vas auecques ton Stace,
Ie demeure auec mon Ovide :
L'vn a par toy en Françoys grace,
L'autre n'est pas de tout loz vuide :
5Quand donc la mort, qui l'esprit guide,
Nous menera a vivre aupres d'eux
Au [sic pour Aux] champs de ioye, alors ie cuyde
Qu'ilz nous feront la court tous deux.
[2]Responce par D.S. audict
Fontaine.
IE te laisse auec ton Ouide,
Et ie m'en vois auec mon Stace :
L'vn a par toy en Françoys grace,
L'autre est pour vray de tout loz vuide :
5Quand donc la mort, qui l'esprit guide,
Te menera a viure aupres d'eux
v 5 [p. 314] 314Aux champs de ioye, en telz endroitz
S'ilz ne te font la court tous deux,
Content suis la faire à tous trois.
[3]F. l'Archer, à son ami Charles
Fontaine.
Ie te pry, & si t'admonneste,
Mon bon amy, & des meilleurs,
Que durant ses grandes chaleurs
Tes vers (qui sont labeur honneste)
5Ne te rompent point trop la teste.
[4]Responce par ledict
Fontaine.
Martial n’a point voulu taire
Qu’assez estudie en Esté
Qui contregarde sa santé,
Mais moy, ie l’ose, & say bien faire.
[5]Ch. Fontaine, à Nicolle le
Iouure.
I’escry, & si ie n’escry point :
I’escry, tu voys mon escriture :
Ie n’escry point, veu ta facture,
Car ie voy bien que de nature
5Tu escris bien d’vn autre poinct.
Resp [p. 315] 315
[6]Response par le Iouure audit
Fontaine.
I’escry tellement quellement :
I’escry, tu voys mon escriture :
Ie n’escry point, veu ta facture,
Car ie voy bien que de nature
5Tes vers coulent plus doucement.
[7]Response par Ch.Fontaine.
Ton stile est bon, & bien parfaict,
Et n’en peult on rien que bien dire :
Mais que me faut il tant redire ?
La veuë en descouure le faict.
[8]Le Scribe de l’vniuersité de Bourges
à M. Nicolle le Iouure,
faisant
mention de Ch.Fontaine.
Puis qu’as à ton commandement
Fontaine, iettant eau tant clere,
Boys en ton saoul, car el’ n’altere,
I’en ay beu tout premierement.
[9]Response par Ch.Fontaine.
Si tant clere estoit ma fontaine
Comme tu maintiens cleremement [sic pour clerement],
De plus clere & plus viue veine
T’abreuueroit presentement.
Mic [p. 316] 316
[10]Michel du Rochay à Charles
Fontaine.
LE tien depart que ta Muse veult faire
Et si soudain, ne me peult pas bien plaire,
Mon cher amy, & n’estoit l'alliance
Qu’ay prinse à toy, dont Phebus ie louë en ce,
5Quasi voudrois que de ton arrivee
La mienne veuë en eust esté priuee :
A tout le moins ne me seroit greuable
Le tien depart, O amy perdurable :
Mais faisant fin, ie te dy à ceste heure
10A Dieu qui va, & à Dieu qui demeure.
[11]Response par Charles Fontaine.
S’Il est ainsi que la mienne venue,
De toy, amy, soit si chere tenue,
Que mon depart te cause vn tel ennuy,
Resiouy toy, ie ne m’en voys d'en huy,
5Ny de demain : puis quand ie m’en iray,
Pour dire à Dieu la plume maniray,
Ou bonne amour quelque mot soufflera,
Pour le depart que le corps seul fera.
Car (sois en seur) la plus noble partie,
10De toy, amy, ne sera departie.
Nico [p. 317] 317
[12]Nicolle le Iouure à Charles
Fontaine.
SAns la vigueur de source Caballine
De ta clere eau, de saueur Nectaree,
Mon champ trop sec n’auoit grain ne racine
Dont i’eusse espoir de moysson asseuree :
5Mais quand fut bien ma terre labouree,
Et la Fontaine eut ses conduictz ouuers
Pour ses ruisseaux escouler à trauers,
Lors tu rendis fructueux, & fertile
Mon petit champ, ce sont mes rudes vers,
10Par le ruisseau de ta veine subtile.
[13]Response par Charles Fontaine.
PAr le ruisseau de ma veine subtile
(Ainsi te plaist, bon amy, la nommer)
Si i’ay rendu ton champ non infertile,
Le seul ruisseau l’on ne doit estimer,
5Mais le bon champ lon doit bien renommer,
Qui son profit a fait de cette veine,
Veine, pour vray, sans le bon champ trop vaine,
Car ne pourroit faire la terre bonne,
Mais de bonté de nature elle pleine
10Fait son profit des moyens qu’on luy donne.
Char [p. 318] 318
[14]
Ch. Fontaine
salue la ville de
Bourges.
Dieu gard Bourges, & les bourgeoys,
Seigneurs, & Dames qui y sont :
I’ayme autant que si n’en bougeoys
Tous ceux qui en souuenance ont,
5Et en bonne amour la Fontaine.
Dieu gard Ioubert, Girard, le Iouure,
Dieu gard Penin, de bonté pleine :
Et Dieu gard le Chateau, qui se ouure
A ses amis tost, & sans peine.
[15]Autre, sur le propos de sa bougette
qu'il perdit à quatre lieues
de
Bourges.
Dieu gard Bourges, si ma bougette
Elle pouuoit me faire rendre :
Dieu gard Bourges, mais ie regrette
Ma bougette qu’on voulut prendre :
5Si dessus la main ie reiette
Ie cri’ray hault, pour mieux l’entendre,
Dieu gard Bourges, & ma bougette.
[16] Ch. Fontaine à N. le Iouure.
Pour adoucir la perte qui me point
De ma bougette, ou les Muses estoyent,
Non [p. 319] 319Non les escuz, que Muses n'ayment point,
Et qui à moy bien peu se presentoyent,
5Veu le regret que mes espritz sentoyent,
Il a fallu que mon cueur se descouure,
En petis vers qui tristement chantoyent,
A son amy, son bon amy le Iouure.
[17]Response par ledict Iouure.
Si la Fontaine en douceur tresfluente
Estoit à sec, & ses ruisseaux taris,
De ta bougette, (o la perte dolente!)
Ce seroit faict : & tes vers, tant cheris,
5I’estimerois tous perduz, & peris :
Mais le sourion dont ilz estoyent yssus
A le pouuoir de les remettre sus
De mesme sens, & mesmes esperitz,
Voire trop mieux qu’onc ne furent tyssus.
[18]Autre, dudict Iouure, audict Fontaine.
Si ta bougette de peau noire
Par le chemin est demouree,
La bougette de ta memoyre
N’est perdue ny esgaree :
5La premiere, d’escritz paree,
N’eust sceyu le perdu recouurer :
Mais [p. 320] 320Mais l’autre est tousiours asseuree
Pouoir tant bien, ou mieux ouurer.
[19]Response par Charles
Fontaine.
LA mere qui son enfant perd,
Combien qu’elle en peult d’autres faire,
Montre si grand dueil qu'il y pert,
Et ne fait que crier & braire :
5Noz vers qu’à peine auons peu traire,
Amy, sont noz enfans petis,
Dont la perte nous rend chetifz :
Mais pour vn tel malheur peruers
Le Comic en mortelz perilz
10Noya sa vie apres ses vers.
[20]S. H. à Charles Fontaine.
AV departir de Lyon, la grand ville,
Ie suis ioyeux, & marry tout ensemble :
Ioyeux, allant voir de la loy Ciuile
Le fondement, qui me duit, ce me semble :
5Marry, d’autant qu’il fault que ie m’assemble
Auec le Rosne, eau terrible, & mal saine,
Et que ie laisse (helas, dont mon coeur tremble)
En toy, Lyon trop eureux, la Fontaine.
Respon [p. 321] 321
[21]Response par Charles Fontaine.
Lyon n’est point tant eureux de m’auoir,
Cest d’auenture, & non pas de nature :
Mais quand encor par naturel deuoir
Ie serois sien, & non pas d’auenture,
5Il ne seroit pour moy ny ma facture
Si fort eureux : si toutesfoys ma veine
Suit bien son cours (car n’est en Frãce obscure)
Lyon aura renom par ma Fontaine.
[22]Antonius Perardus ad C. Fontanum
Papia discedentem.
I, pete
Maurusios, Numidas, Libyae extima
quantum,
O Fontane, voles, vel glaciale fretum :
Non tamen à nostra tolléris mente, sed idem
Est detenturus certus vtrumq; [sic pour vtrum[que]] locus.
[23]Traduction, en vers François, des vers La-
tins
precedens, qu’Antoine Perard adres-
soit à Charles Fontaine Parisien,
depar-
tant de Pauie.
Va en Afrique, & au bout de Libie,
En mer glacee, & là ou tu voudras :
Fontaine ami, nonobstant ie t’affie
Qu’en certain lieu auec moy demour’ras.
x [p. 322] 322
[24]Response de Charles Fontaine,
par Antithese.
Dedans Pauis, ami Perard, demeure,
Dedans Padoue, ou la ou tu voudras :
Ce nonobstant en tout lieu (ie t’asseure)
Là ou i’iray, auec moy tu viendras.
[25]René Chandelier à Charles Fontaine.
Quand ie serois bien fort malade
Du mal qu’on dit hydropisie,
Encor de boire eau douce, & sade
I’aurois tousiours en fantasie :
5Si elle estoit de moy choisie,
I’elirois l’eau de ta Fontaine,
Qui court auec tant douce veine,
Et en beuuant ne nuit en rien :
C’est vne eaue diuine, & tressaine,
10Qui ne sent son goust terrien.
[26]Response par Charles Fontaine,
Tu aymes tant l’eau de Fontaine
Que quand tu serois hydropique,
Encor d’en boire à bouche pleine
L’enuie te presse, & te picque :
5Mais ie te dy, pour ma replique,
Que i’ayme mieux qu’en ta santé,
Et [p. 323] 323Et en ta soif, forte en Esté,
Ie t’en presente, & donne à boire :
Mais qu’elle t’ayt tant delecté,
10Ie le croy, & ne le puis croire.
[27]I. Morel à Ch. Fontaine.
Tout mon viuant crainte ma tenu coy,
Et defendu tout acte temeraire,
En me disant, que dira lon de toy
Qui scez le bien, si tu fais le contraire ?
5Laisse ce vent, & gloire populaire
A qui en veut : car de verty le fruict
Est que content soys d’elle, non du bruit.
Raison aussi tousiours m’a retenu,
Me promettant qu’assez serois congnu,
10Si aux meilleurs ie taschois à complaire :
Puys, si d’iceux pour tel i’estois tenu,
Asseurement ie me pourrois bien taire.
[28]Response par Charles Fontaine.
Se tenir coy est vne chose belle,
Car de se taire on ne se repent point :
Mais la vertu qui se contente d’elle,
Veut toutesfois luire en temps, & apoint,
5Comme Phebus alors que le iour point.
x 2 [p. 324] 324Il est bien vray que l’honneur elle fuyt,
Et ne quiert point des indignes le bruyt,
Les hautz tyrans, les triomphes, les regnes,
Les peuples grans peu souuent elle suyt :
10Platon luy est plus qu’vn peuple d’Athenes,
[29]Charles Fontaine à N. Le Iouvre, pour
auoir nouuelles de luy.
Ces iours passez tu as esté malade,
Ie n’en say rien, mais tresbien le deuine :
Le deuinant, encor me persuade
Bien pis, amy, c’est que la Mort qui mine
5Parens, amis, te mine, & extermine
Tant, & si bien qu’elle te rend tout mort,
Dont i’ay tristesse, & grand dueil non à tort,
O amy mort, menteur n’est mon escript,
Mort est l’amy que l’oubliance endort
10Tant qu’aux amys plus ne parle n’escrit.
[30]Responce par le Iouure.
Tes vers exquis pleins d’amour violente,
Le tien amy de mort ont suscité,
Duquel la main, tardiue, & negligente,
Auec ton stile as de somme excité :
5Or puys que l’as à reuiure incité,
Et que [p. 325] 325Et que de Mort as rompu ses obstacles,
Canonisé seras aux habitacles
Des Muses neuf, par ta veine immortelle :
Mais tu feras beaucoup de telz miracles
10Auant qu'on t’offre ou gros cierge, ou chãdelle.
[31]Alexis Gaudin, à Ch. Fontaine, qui
luy auoit enuoyé la copie de
sa
Contr'amie de court.
CEste viue eau que ces iours m’as donnee,
(Fontaine amy,) a fait d’vn alteré,
D’vn corps tout sec, de substance estonnee,
Vn corps, vers qui premier s’est retiré
5Vn boire frais, auquel a adheré :
Pour le second, vne humeur de nature,
Qui la substance à fait constante, & pure
Par vne forme en beuuant redoublee :
Ou la prens tu ? mais l’as tu point emblee
10En la Fontaine aux Muses Caballine ?
Ie croy que non : on dit qu’elle est troublee,
Tu l’as puisee en source plus diuine.
[32]Responce par Ch. Fontaine.
Si c’est eau viue, & boire frais, amy,
L’eau que ie t’ay ces iours cy enuoyee,
x 3 [p. 326] 326Ton corps est sec, estonné, endormy,
Et de substance assez mal auoyee,
5En qualitez formelles desuoyee :
Mais ie suis seur qu’endormy n’est ton corps,
Sec, n’estonné, ains qu’y font bons accords
Les qualitez en leur ordre requises :
D’estre außi seur ne me reste donc fors
10Que viue soit mon eau, dont tu deuises.
[33]Charles Fontaine à N. le Iouure.
Tu estois mort, & ie t’ay fait reuiure,
Et derechef amy tu vas mourant :
Mais Dieu te face en nostre amitié viure,
Et garde toy qu’oubly à mort te liure
5Car si tousiours à mort t’alloit liurant,
Tu n’aurois pas tousiours sainct delivrant.
[34]V. L. à Ch. Fontaine.
Du bon du coeur vn present ie te fais
De ce huictain, non que pourtant ie pense
Qu’il soit escrit comme les tiens parfaictz,
Mais bon vouloir le deffaut recompense,
5Que, pour le mieux, t’offre au lieu de science :
Pren garde au coeur, & non pas à la ryme :
En estimant que, pour vraye sentence,
Le coeur dehors, le present ie n’estime.
Resp [p. 327] 327
[35]Response par Charles Fontaine.
Le coeur dehors, le present tu n’estimes,
Pource tu veux que ton coeur ie regarde :
Certes, amy, or, argent, proses, rymes,
Sans le bon coeur, estimer ie n’ay garde :
5Car, sans bon coeur, me semble qu’on me farde.
I’estime donc ton huictain, que ie sens
Venir du coeur, qui le defend, & garde :
Puys ie l’estime en la ryme, & au sens.
[36]Charles Fontaine au Contreroleur
de Lixieux, Antoine
de Surie.
A Dieu te dy, si à Dieu te puis dire,
Mais ie ne puys, & außi ie ne veux :
Le mot est bon & à dire, & à lire :
Mais vn dieu gard siet trop mieux à nous deux.
[37]Response par ledit Contreroleur.
La fontaine est si abondante
Qu’elle a produit nouuel ruisseau,
Lequel de sa source s’absente,
Courant depuis la Saone, en l’eau
5De Seine : mais au renouueau
La verra deuers soy retraire,
Par vertu de bonne-à-m’attraire :
x 4 [p. 328] 328
[38]Ch. Fontaine, à René Chandelier.
Ie n’ay de toy nouuelle aucune
Depuis troys moys, ou peu s’en faut :
Me portes tu quelque rancune ?
Ou ay ie fait quelque deffaut,
5Qu’en amitié faire ne faut ?
Ie ne t’ay voulu oublier,
Mais d’escrire deux foys prier :
Donne responce à ma complainte :
La chandelle du Chandelier
10Est elle en mon endroit estainte ?
[39]Response par ledit René
Chandelier.
Depuis troys moys, ou peu s’en fault,
Tu n’euz de moy nouuelle aucune,
Il est bien vray, mais le deffaut
Prouient de deux choses, dont l’vne
5Est Chandelier, qui de la Lune
Pourroit auoir dedans sa teste :
Puis il craint trop d’estre dict beste
De ses vers mettre en euidence :
Mais l’excuse est plus vraye, & preste,
10Te prier d’excuser l’absence.
C. Te [p. 329] 329
[40]G. Teshault, à Charles Fontaine.
Pour paruenir quelque iour au dessus
De la sacree, & noble poësie,
Ie suis monte au fourchu Parnassus,
Puis la maison des Muses ay choisie,
5Ou i’ay dormi : si qu’à ma fantasie
Rien ne me reste à parfaire ma veine,
Que ta clere eau, trop plus que maluaisie
Digne & vallable, ô celeste fontaine.
[41]Autre, du temps de sa maladie.
Monsieur le medecin a dit
Que pour moy le vin est trop chault,
Et pourtant le m’a interdit :
Mais, par mon ame, il ne m’en chault :
5Ie boy de l’eau clere qui vault
Cent mille fois plus que le vin,
De la fontaine de la hault,
Dont sort le ruisseau Caballin.
[42]Responce par C. Fontaine.
Tu desiras de boire en ma fontaine,
Pensant que l’eau t’esclarciroit l’esprit :
Puis tu y beuz en santé incertaine,
Et trouuas l’eau, comme le m’as escrit,
x 5 [p. 330] 330 5Mieux à ton goust que le vin qui nourrit :
Si tu perds donc le goust, & la memoire
Du vin, par leau, dont le cours ne perit,
Ma fontaine est la seconde Clitoire.
[43]HVBERT PHILIPPE
de Villiers,
à la louenge
de
l’Auteur.
ODELETTE.
MAis d’ou sourd cette Fontaine
Qui parmy la franche plaine
Verse, vn dous-coulant ruisseau,
Dont distille la docte eau ?
5
Et qui par ses ondes role
Plus de tresors que Pactole,
Ny que les flots rous lechans
Les bors des Indiques champs ?
Icy l’ample ciel prodigue
10Repand la grace qui brigue
L’heu [p. 331] 331L’heureus honneur ancien
Du saint font Castalien :
Et Nature ailleurs auare,
Largement de vertu rare
15Cette onde de tout son mieux
Egale au Nectar des Dieux.
Ia la chaste & docte troupe
Fuit le mont à double croupe,
Pour icy semer les fleurs
20De ses celeste douceurs :
Embellissant la campaigne
Que cette Fontaine baigne
(Par son sacré-cours certain)
Du Parnasien butin.
A. P. [p. 332] 332
[44]A. P. ad Carolum
fontanum
Parisiensem.
Te Charites ornãt, castae celebrãt quoq; Musae,
Forma, valetudo, venáque nota tua est.
[45]P. S. ad C. Fontanum Parisiensem.
Et facis, & scribis, que laus est maxima : nempe
Virtutem, & Musas, ingeniúmque colis :
Qui facit, est magnus : qui scribit, credo, minorẽ
Non retinet laudem : maius vtroque quid est ?
5Perge igitur magnum semper te ornare poëtam,
Floreat vt gallo maius in orbe nihil.
[46]A. P. à Charles Fontaine.
Ton doux stile qu’on oyt
Fait qu’on s’en esmerueille
(Fontaine) & à bon droit,
Ce n’est pas de merueille :
5Ta veine nompareille
Fait vn fleuue de rime,
Contentant toute oreille
D’vn doux bruit qu’on estime.
[47]Charles Fontaine à ses doctes amis.
Mon vers trop nu, & impuissant
Deuant vous s’en va rougissant :
Mais [p. 333] 333Mais tant auez preßé ma Muse
Que ne puis plus vser d’excuse.
[48]Autre.
Mes iours tendans à leur taisniere,
M’admonnestent mettre en lumiere,
Auant que redouble l’Esté,
(Si Dieu me maintient en santé)
5L’autre reste de mes labeurs,
Couronnement de mes honneurs.
[49]Charles Fontaine, à son compere
Iean
Chaliart, Notaire
Royal, à Lyon.
Tu es en ton art bien expert,
Comme en maints endroits il appert :
Et ie suis expert en ma Muse,
Qui les loix, & carnets refuse.
[50]A Benoist Troncy son gendre,
aussi de pareil
estat.
Ton bon sauoir, ta grace, & bon vouloir,
Qu’on voit reluire en ta face & parolle,
A mon aduis te font beaucoup valoir :
Mais en vn mot ton esprit, & le mien
5(Si ie n’ay point la pensee trop folle)
Sont grans cousins : le croiras tu pas bien ?
A Hub [p. 334] 334
[51]A Hubert Philippe, de
Villiers.
Et les Muses, & la Musique,
Toutes deux sciences celestes,
Toutes deux se font manifestes
En toy, d’vsance, & theorique.
[52]A son cousin Iean Bureau.
Cousin, amy, que te puis-ie donner
Ce nouuel an, pour suffisante estreine ?
Fors vn seul cas, qu’amour veult ordonner
Aux gens aymez d’amour parfaite, & pleine ?
5C’est bon vouloir en cueur plein d’amour saine.
Qui dit les biens, il parle vn beau langage,
Et va donnant de son amour grand gage :
Mais s’on fait cas du seul bien terrien,
Le corps est plus, le cueur est dauantage :
10Qui dit le cueur, dit tout & n’omet rien.
[53]A Monsieur du Val, Euesque
de Sees.
Auec ta Muse tant diuine
Ma Muse ne s’ose iouer,
N’en son bas stile te louer,
Veu ta vertu, & ta doctrine.
Ode [p. 335] 335
[54]Ode à Charles Fontaine, par
Bona-
uenture du
Tronchet.
Puisque de louer i’entreprens
Vn de mes plus parfaitz amis,
Sus, Muse m’amie, reprens
Le meilleur son qu’en toy soit mis.
5
Laisse vn peu les aigres chansons,
Car le meilleur de mon cerueau,
D’auoir chanté tant piteux sons
Est las, commence vn chant nouueau.
C’est de mon Charles doux-sauant
10Dequoy ie te veux honorer,
Combien qu’aux siecles, suruiuant,
Mieux que moy se set decorer.
C’est la Fontaine qui reluit,
Et qui par France va coulant
15En son iardin d’amour, & suit
Tant bien son cours non violent.
C’est la Fontaine ou les neuf soeurs
Se [p. 336] 336Se peignans eleuent leurs chefs,
Et de nectarees douceurs
20Chacent loing d’elle tous meschefs,
En mon Charles, leur conducteur
A respandu l’heur de son mieux :
Phebus de son honneur vanteur,
Le fera voler iusqu’aux cieux.
25
Mais Charles ayant deffendu
Bonne amour contre faulse amour,
Il a desia le ciel fendu
Ou il reluira comme iour.
Tairay-ie ses beaux sixains mis
30Deuant Pallas ? ses diuins Vers,
Vers qui sont de Mort ennemis,
Vers qui ne craignent point les vers ?
Tairay-ie son Ouide außi
Qu’il fait reuiure en plusieurs parts ?
35Par sa Muse, son doux souci,
Et part ses beaux, & diuins arts ?
Puis [p. 337] 337Puis tairay-ie le loz & bruit
De son Artemidor François
Qui m’a si bien montré le fruit
40Des songes que vains ie pensois ?
Tairay-ie sa prose, & recueil
Du Promptuaire precieux ?
A qui Pallas fait grant accueil
Pour labeur tant laborieux ?
45
Außi les cieux l’ont fortuné,
Et se montrans larges donneurs,
De beaux enfans luy ont donné,
Des enfans qui sont ses honneurs.
Vanteray-ie pas son Charlet,
50Son passetemps, & son deduit,
Qui non encor sorti du laict
Montre trace de futur fruict ?
I’admire en luy ie ne sçay quoy
Qui à chacun n’est pas commun :
55Et la semblance que ie voy
y [p. 338] 338Me le iuge au pere tout vn.
Chante chacun ce qu’il voudra,
Quant à moy ie te veux chanter,
Fontaine, & nul temps ne pourra
60De ton amour me desplanter.
Ie croy donq qu’vn mesme Ascendant
Sur toy, sur moy le fut außi :
Puis ie suis comme toy tendant
Au but de l’amoureux souci :
65
Souci qui ne te ronge tant
Des qu’à ta Flora tu t’allie
Comme moy qui m’en vois vantant
Les hautz honneurs de ma Thalie,
Flora que tost tu feras voir
70Auec vn printemps qui ne fuit :
Et qui suiura, pour son deuoir,
De ton eau douce le doux bruit.
Laisse, delaisse le desir
Mon [p. 339] 339Mon Charles, des biens perissans :
75Noz nepueuz, de ton sainct plaisir
Seront les eureux iouissans.
Que taschez vous, mes petis vers ?
Retirez vostre moindre pas,
Car luy pompeux par l’vniuers,
80Ne craint point les communs trespas.
[55]Charles Fontaine audict
Bonauen-
ture du
Tronchet.
Apres le liure de Medales,
Et autres qu’en prose dressay,
Facent les deesses Fatales
Tout leur effort, & leur eßay
5Sur mon seul corps (comme ie sçay
Quelles le feront quelquesfois)
Malgré leur effort toutesfois,
Viura ma Muse prosaïque :
Puis Apollo donne sa voix
10Qu’außi fera ma poëtique.
y 2 [p. 340] 340
[56]Ode par Charles Fontaine,
à sa
Flora.
Ny ce fruit tant delicieux,
Ny cette voix tant delicate,
Ny ces arbres tant precieux,
Ny ce chant qui l’oreille flate,
5
Ny Calypso, ny la Circé
Qui retindrent le Grec, plus sage
De tous ceux qui ont repoußé
De Troye l’iniure, & outrage :
Ny Omphale pareillement
10Qui pleine d’vne grant audace
Couurit de mol habillement
Le vertueux qui portoit mace :
Ny Yole qui suruainquit
Ce grant vainqueur de maint dur monstre,
15Que derniere elle reconquit,
Et entra en triomphe & montre :
Tout cela, ores qu’ici fust,
Ne [p. 341] 341Ne m’auroit tenu, ie t’asseure :
De tout cela rien n’est qui peust
20M’arrester vne petite heure :
Tout cela donc n’a retenu,
Et retenir ne pourroit onques
Ton Vlisse, ici bien-venu,
Autant bien comme autres quelconques
25
Tout cela faire ne peut point
Que vers sa chaste Penelope
Diminue d’vn tout seul poinct
Cette amour qui nous enuelope :
Tout cela ne m’a peu garder,
30Et tout cela ne m’a peu nuire,
Ny vn seul moment retarder
De voir ma chaste Dianire :
C’est la fumee du pays,
Fumee qui fut desiree
35(Parquoy n’en soyons esbahis)
Du sage de Grecque contree,
y 3 [p. 342] 342Ce sont les seigneurs, & amis
(Ie n’vse point de femenine
Diction, & ne m’est permis
40Par verité, ny loy diuine)
Ce sont ceux qui ont detenu
En la grant ville ton Poëte,
Qui rendra chacun d’eux congnu
Par son chant passant l’aloëte :
45
Et qui außi fera parler
Ta chaste, & diuine alliance
Par sa Muse qui va voler
Par l’air eureux de nostre France.
[57]Ode par Charles Fontaine, à
Monsieur
Fornel,
Conseiller au siege
presidial de Lyon.
Le saint lien qui fust iadis
Institué, & commencé
Dans le terrestre paradis
Deuant que Dieu fut offensé,
Est [p. 343] 343 5
Est vn lien si naturel,
Si necessaire & si commun,
Spirituel, & corporel,
Que deux en tout sont faits comme vn.
Cest vn lien diuinement,
10Des le premier temps ordonné,
Puis apres naturellement
De pere en fils à nous donné.
Car ie ne sçay comme se fait
Que nature nous recolant
15A nostre moitié, nous parfait,
Si viuement nous chatoillant.
Mais n’est ce point vn grant soulas
Que d’auoir son pair pres de soy ?
Et quand on est fasché, ou las,
20Rompre tout souci & esmoy ?
Et que de ce contentement,
De ce soulas, & ce deduit,
S’engendre tresheureusement
y 4 [p. 344] 344Le plus beau, & precieux fruict ?
25
Fruict qui s’estend souuent si loing
Q[']uil se fait quasi eternel,
Et de son planteur long tesmoing :
Ainsi en aduienne à Fournel.
[58]Au Receueur François Coulaud,
Lyonnois.
Ma Muse extolle franchement
En voix françoise franche, & nette,
Ce françois, vertueusement
Loyal-veillant en sa recepte.
TRA
TRADVCTION
EN VERS FRANCOYS
du premier liure du Reme-
de d’Amours, iadis
com-
posé en vers Latins
par le Poëte
Ouide.
Plus l’Epistre liminaire & la pre-
face, & außi pareillement vn
petit sommaire dudict
traicté,
Par Charles Fontaine
Parisien .
[p. 346]
346
[1]Au Seigneur Brinon , Ch. Fontaine S.
L’enfant Amour donna iadis licence
De ce liuret en vers latins escrire:
(Mais luy volage, & fol des son essence,
Son regne ici voit abbatre & destruire)
5Or l’ay voulu en vers françois traduire,
(Labeur vtile & à toy, & à moy:)
Donne luy donc deux heures pour le lire:
Il part, ioyeux, delaissant moy, pour toy.
Brinon , fuy, recule
L’ardeur qui te brule
En ta loyauté:
Nul Amant te cede:
5Mais li ce remede
Que i’ay translaté:
Ta Sidere dure
Par trop long temps dure
En sa cruaulté,
10Cruaulté cruelle
Autant immortelle
Que ta fermeté ,
Le [p. 347] 347
[3]LE TRANSLATEUR
aux
Lecteurs.
AMis lecteurs, s[’]il vous plaist
lire ce
mien translat en vers François
du premier liure du remede d’A-
mour, composé
en vers latins par
Ouide , i’espere que vous y trou-
uerez plaisir & proufit, nõ moindre, mais en-
cores plus grãd qu’en ma traduction des dix
epistres du mesme Ouide , que vous auez veuë
ces iours passez. Car ce remede n’est point re-
fusable, tant à ceux qui sont en santé, pour les
preseruer,
cõme à ceux qui sont en malladie,
pour les guerir. Et certes comme
chacũ peult
biẽ sauoir, c’est vne tresmauluaise & tresgrié-
ue malladie que d’amour, i’entẽ voluptueuse,
qui est pire que fieure
continue, & de laquelle
il fait tresbon entẽdre & pratiquer
bien le re-
mede: lequel vous verrez amplement
deduit
par plusieurs raisons en ce petit traité. Et sur
certains
passages, i’ay fait des annotatiõs, ou-
tre la
preface: comme aussi i’ay fait le sembla-
ble sur
les dix epistres du mesme Ouide , par
moy
traduites. Et pource que i’ay ia fait offi-
ce de
translateur esdictes epistres, & encor le
fay
[p. 348]
348
fay ie à present, il ne vous grieuera point
d’en
tendre encor en deux motz, ce que i’en puis
congnoistre par science & experience, afin de
vous faire ce
proufit, & à ceux qui en vou-
dront faire
estat, & qu’ilz obseruent le plus
pres qu’il leur sera possible
les trois pointz
que ie vueil cy declarer, ou qu’ilz ne s’en mes-
lent point. Ie trouue donc qu’il y a trois cho-
ses que doit obseruer vn qui veult bien tra-
duire: La premiere, c’est qu’il retienne &
rende les termes, & dictions de l’auteur, au-
tant pres qu[’]il est possible: ce que
l[’]on peult ap-
peller la
robbe.
La secõde, qu’il rende aussi le sens par tout
entier (car il ne fault
tãt estre curieux des ter-
mes que de laisser le
sens, ou le rẽdre obscur :)
ce que l[’]on peult
appeller le corps.
La tierce, c’est qu’il rende & exprime aussi,
naïuement la
naturelle grace, vertu, energie,
la doulceur, elegance, dignité, force
& viuaci-
té de son auteur qu’il veult
traduire, & des
personnes introduictes parlãs ou faisans au-
cunes choses: ce que l[’]on
peult appeller l’ame
de l’oraison: mais bien peu de ceux qui tradui
sent aduiennent eureusement à ces trois po-
intz, pour la grant difficulté. Parquoy la
plus
grand part des plus sages & experts transla-
teurs sont plus soigneux à rendre le sens & la
grace
que les motz: de l’aduis & du nombre
desquelz i’ay esté, ie suis,
& vueil estre.
Or quant à ceux qui sont si grans ennemis
de toute traduction, à leur
bon commande-
ment: mais que ce pendant ilz ne
perseuerent
point à desrober (qu’ilz appellent imiter) plu-
sieurs vers, & periodes des anciẽs Poëtes,
les-
quelz vers sentences & periodes toutes
entie-
res, ilz s’attribuent: car ilz ne
sauroient si bien
se couurir de ce qu’aucuns Poëtes renommez
ont
fait le semblable, que ce pẽdant l[’]on ne les
puisse, & l[’]õ ne les doiue à bon droit renuoyer
au iugement que feit Aristophanes deuant le
Roy Ptolomee , & à la punition que ledict
Roy feit de telz cinges de Poëtes plagiaires.
Ie vous pry donc,
lecteurs debõnaires, ne des-
daigner ce mien labeur
de traduction, con-
gnoissant mon vouloir &
effort, en quelque
partie honorable, vtile & vertueux, car i’ay
traduit cecy pour bien, & pour la vertu: com-
me aussi pour mesme raison, à bonne inten-
tion, & pour induire à pudiques mœurs, i’ay,
long temps
a, cõposé le petit traité de la con-
tr’amie de
Court. Sur quoy ie vueil bien ad-
uertir, & prier les detracteurs, (si d’auenture
il s’en rencontre
aucuns) qu’auant que d’en
mesdire ilz facent quelque chose de
meilleur,
& plus vtile, pour la conseruation de la plus
belle rose de toutes les vertus: Laquelle, au
contraire, il semble
quasi que de propos deli-
beré l’on se vouë pour la
souiller: chose, cer-
tes, tresmal correspõdante à
ce saint nom que
nous portons, Adieu, amis lecteurs, lequel ie
prie vous conseruer en corps & esprit sain.
[4]PREFACE DU TRANS-
lateur, sur le premier liure du
Remede
d’amour d’ Ouide .
APres qu’Ouide eut cõposé les
trois
liures de l’art d’aymer, au premier
desquels il enseigne
aux hõmes la
maniere comment ils doiuent cher
cher, & acquerir
amie: au second, comment
apres qu’ils l’auront acquise, ils la doiuent
garder, & entretenir: & au tiers, comment
aussi les
filles, & femmes peuuent acquerir &
entretenir leurs amis:
pour la composition
desquels trois liures, il encourut tellement en
la hayne de Cesar Auguste , Empereur de
Rõ-
me , pour lors regnant, qu’il en fut
dechacé
hors de la ville & païs, & enuoye en exil, en
vne ville nommee Tomos qui est au païs dict
le Pont , par delà Constantinople
bien loing,
& pres des Sarmates
& Tartares , nations e-
strangeres & Barbares, situees en païs fort
froid, ou quand il cuidoit boire le vin, il le
mangeoit, car il
estoit incõtinẽt gelé, comme
il le recite luy mesme, en ses liures de
Tristi-
bus, & de Põto: somme qu’il y a
enduré beau-
coup, tant pour auoir perdu la
conuersation
de sa femme, & de ses amis, gens sauans &
grans Seigneurs de la court, & du Senat de
Romme , comme pour les mœurs difficiles, le
langage incongnu, & les guerres, & courses
continuelles des
Sarmates , tirans de l’arc a-
uec des flesches empoisonnees, en laquelle
contree il
demoura par longues annees, & en
fin y mourut, ne pouant auoir aucune grace,
ny relasche de l’ Empereur , auquel il reque-
roit seulement, & par plusieurs escripts en
vers, d’estre banni & renuoyé en autre païs
moins froit,
& moins Barbare: car il n’enten-
doit point, ny
ne pouuoit aprendre aucune-
ment si estrange, &
fascheux langage. Apres
(di-ie) que ledict Ouide
eut fait & composé le
traité de l'art d'aymer, pour
lequel il eut si
mauuaise recompense, aumoins on luy mit à
sus
cette faute d'auoir enseigné vne doctri-
ne qui ne
seruoit qu'à gaster, polluer, & cor-
rompre les
bonnes mœurs, la pudicité virgi-
nale, l'honneste
chasteté, & l'honneur & ver-
tu de la
pudique loyauté & integrité des ma-
riages,
comme luymesme tesmoigne, quand
il dit,
(Ie n'allegue point ici les autres raisons, &Naso parum prudens, artem dum tractat amãdi,
Doctrinæ precium triste, magister habet:
haynes particulieres de l' Empereur , cachees, possi [p. 353] 353
possible, sous cette couuerture, dont le Poëte
parle quand il dit,
il se mit (di-ie) à tourner visage, & chanter, &Nocuit mihi visus, & error)
traiter le contraire desdits liures de l'art d'ay
mer, en composant deux liures, qu'il nomma
du remede d'amour. le premier desquels i'ay
prins peine & plaisir de traduire en vers de
nostre langue Françoise , pour la bonne do-
ctrine qui y est contenue, & deduite auec plai
sir qui n'est sans fruict. Lisez le donc hardi-
ment, & ne craignez rien: car il n'en peult, ny
doit, par raison, aduenir mal, ny au transla-
teur, ny au lecteur, comme a fait, & pourroit
faire de composer, traduire, ou lire des liures
d'amours, retirans sus les liures de l'art d' ay-
mer, pour lesquels Ouide eut si grande puni-
tion, & desquels il parle en ce present liure, en
cette maniere,
que i'ay ainsi traduit, comme pourrez voirEt quæ nunc ratio est, impetus ante fuit:
sus le commencement,
5Ie ne vueil pas pourtãt dire que l[’]on ne puisseEt ce qui est pour le present sagesse,
Fut parauant chaleur de la ieunesse.
quelquesfois s'esbatre à composer ou lire en Z [p. 354] 354
amours, mais ie recongnoy (& si fera bien
tout homme d'aage, &
de sens) que les plus
courtes folies sont les meilleures, & la
conti-
nue, comme l[’]on
dit, emporte les gens, pour-
ce gardez vous en, si
vous voulez : & à
tant vous suffise: car le Poëte
veult
parler, incontinent apres que
vous auray
touché en
deux mots les prin
cipaux points
de
son li-
ure.
[5]
SOMMAIRE DE LA
principale matiere du pre-
sent liure.
OVide , pour tendre à son but, qui est
de
remedier à l'amour vicieuse, dit & re-
montre en premier lieu, & sus tout, qu'il fault
fuyr
oysiueté: pour à quoy paruenir, il propo
se le plaider
& le batailler : hanter les champs,
iardiner, & cultiuer la
terre: puis chacer, ou
pescher. Si tout cela n'y peult bien seruir, il
conseille fuyr bien loing le lieu ou se tient
l'amie, qui nous
enchante, & seduit: & demour
rer long tẽps absent.
Mais si les affaires, train,
ou traffique, requierent faire residẽce
au lieu
mesme ou la dame se tient, il dit, qu'alors il
fault
souuent reduire en memoire les imper-
fections,
fautes, & offenses, pompe, gloire, aua
rice &
audace de l'amie, qui nous tient liez, &
captifs, comme poures
bestes encheuetrees,
& reduites sous le ioug de quelque peu de
beauté ou de grace: & si telles imperfections
ne sont en
elle, les y fault feindre, & pour-
penser qu'à
l'auenir, & possible bien tost, elles
y pourroyent estre: comme
c'est l'ordinaire
que les hommes trop à tel amour subiets,
soyent par leurs dames, ou
amies, ainsi dom-
tez, subiuguez & traitez. Dit
aussi qu'il ne
fault que prendre vn peu de courage: car le
plus
difficile est le commencement. Dit d' a-
uantage
qu'il faut s'auancer de voir l'amie de
grand matin, & la
surprendre deuant qu'elle
se farde, pour se descourager en sa laideur,
ou
à l'heure mesme qu'elle se farde, pour desdai-
gner & abhorrir l'ordure de ses fards. Som-
me, voila les principaux nerfs de tout le
corps de ce
liure en vers: ceux qui voudront,
en pourront voir vn autre petit en
Prose,
que ie trouue bien fait, & bien deduit,
c'est la
Deiphire de Leon Baptiste
Albert , qui enseigne
d'euiter
l'amour: il a esté composé
en Italiẽ
, & traduit en
François , & im-
primé
par
plu-
sieurs fois: aussi est il bien
digne d'estre leu, & re-
leu. A tant vous
suffira.
[6]TRADVCTION EN
vers François
du premier liure
du remede d'Amours, iadis
composé par le Poëte
latin, Ouide .
LE Dieu Amour außi tost qu'il a eu
De ce liuret le nom & tiltre veu,
Dist ie voy biẽ que l'õ me dõne affaire
Guerre à present, la guerre on me veut faire.
5Ha Cupido , ton Poëte d'offense
Excusedu Poë-
te en-
uers Cu-
pido, a-
uec insi-
nuations.
N'accuse point: qui dy pour ma deffense,
Que tu scez bien comment i'ay tant souuent
Souz toy porté l'enseigne, & mise au vent
Ie ne suis pas (de faict, ny de pensee)
10Diomedes , qui ta mere a blessee:
Dequoy fort triste au ciel tost remonta,
Sur les cheuaux que de Mars emprunta:
Autres souuent se refroidissent, mais
Moy, i'ay aymé sans desister iamais.
15Et si tu quiers que c'est que ie fay ores,
O Dieu d'amour , sois seur que i'ayme encores.
Mesme on m'a veu escrire, & enseigner
z 3Par quel moyen l[’]on te pourroit gaigner:
20Et ce qui est pour le present sagesse,
Fut parauant chaleur de la ieunesse.
O doux enfant que l[’]on ne doit hair,
Toy, ny nostre art ie ne veux pas trahir,
Et ne deffaict ceste nouuelle Muse ,
25L[’]oeuure ia faicte: en cela ne t'abuse.
Si quelcun ayme, & qu'il s'en trouue bien,
Il est heureux, & rencontre vn grand bien,
Ioyeux en soit, & selon ce vent tire:
Mais si quelque autre est cõme en vn martyre,
30Souffrant par trop l'orgueil, & la fierté
De fille estant pleine de cruauté,
S'en vienne à moy, afin qu'il ne perisse,
Prenne en mon art secours qui le guerisse.
Quel besoing est que l'amãt, par grãd faulte,
35S'en aille pendre à vne poultre haulte?
Piteusement ayant serré le col
D'vn mortifere, & infame licol?
A quel propos d'vn glaiue transpersant,
Bien roide ira son pauure cueur persant?
40Tu es haï, toy de paix amateur,
Comme vn meurdrier, & de gens abbateur.
Celuy [p. 359] 359Celuy lequel en amour dure, & triste,
Sans desister se perdroit, qu'il desiste:
Ainsi à nul la mort ne causeras.
45Tu es enfant, & tousiours le seras:
Rien sinon ieu ne conuient à ton aage:
Vn regne doux est propre à ton courage.
Vser pouois de cruelles sagettes
A batailler, mais celles que tu iettes
50Ne font point sang de leur pointe qui pique.
Que ton beau pere & d'espee, & de pique
Combate fort, le sang humain espande,
Et soit vainqueur par effusion grande:
Mais toy, poursuy tes ruses maternelles,
55Qui de danger de mort n'ont point en elles,
Par le moyen de qui, ne perd la mere
Ses chers enfans auec douleur amere.
Fay de la dame, entre menuz debatz,
Rompre la porte, & de nuict mettre à bas,
60Et mainte fleur sur elle estre assemblee.
Fay gentiment se trouuer à l'emblee
Les ieunes filz, & les craintiues filles,
Qui par moyen d'entreprinses subtiles,
Les plus rusez viendront à deceuoir.
z 4 [p. 360] 36065
Fay que l'amant tantost on puisse voir
Prier tout doux, tantost prendre querelle,
Et se debatre à la porte rebelle:
Et luy banny, qu'il chante tristement.
Content seras de ce gemissement,
70Sans mortel crime: außi ne dois pretendre
Par tes flambeaux à le reduire en cendre.
Tout außi tost que i'eu dit ce narré,
Le Dieu d'amour de fin or tout paré
Meut gentiment ses ailes de grand pris,
75Et me dit lors, parfay l'oeuure entrepris.
Vous ieunes gẽs, que vostre amour trop forte
Changement de
propos,
qui ores
s'adrece
aux gẽs
mal for-
tunez en
amours.
A faussement trompez en toute sorte,
Gens en amour estans mal fortunez,
Venez vers moy, & de moy aprenez:
80Aprenez d'estre exemptz par celuy mesme
Qui vous aprint comment il faut qu'on ayme.
La mesme main, comme il est bien raison,
Qui vous naura, vous donra guerison.
Ne voyez vous la terre produisante
85Communement l'herbe vtile, & nuisante?
De toutes deux elle est si bien sortie,
Que la rose est souuent pres de l'ortie.
L e [p. 361] 361Le mesme fer dont Achille ferut
La lanced' Achil-
les ꝗ na-
ura Tele
phus aus
si le gue
rit.
Son ennemi, remede & secours eut:
90Mais tout cela qu'aux hommes dirons cy,
Femmes, pensez qu'à vous s'adresse außi.
Armes donnons, qui de toutes blesseures
Garentiront les deux parties seures.
Et s'il y a pour l'homme quelque point
95Qui ne vous duit, l'exemple ne nuit point.
C'est bõ propos d'amours la flãme esteindre:
Et de seruir aux vices se restreindre:
Phyllis viuroit, si pour maistre m'eust prins:
Et le chemin qu'elle a neuf foys reprins,
100Elle l'eust plus suyui, & frequenté.
De se tuer Dido n'eust attenté,
En regardant droit de sa haute tour
Troyens sur mer, sans espoir de retour.
La mere n'eust aux siens esté si dure
105Que pour venger de son espoux l'iniure,
Cruellement ses enfans mettre à mort.
Tereûs n'eust point par son vilain effort
D'estre en oyseau transmué deseruy,
Si ma doctrine, & mon art eust suiuy:
110Quoy que son cueur bien lasche, & peu fidele,
z 5 [p. 362] 362Se sentist point d'amour vers Philomele .
Fay moy venir Pasiphe , & l [’] on verra
Que tost l'amour du taureau laissera.
Vienne Phedra , lairra s'amour vilaine.
[Phedraayma
Hippo-
lyte, filz
de son
mari
The-
seus.
voyez la
4. epitre
d' Ouide] 115
Vienne Paris , incontinent Heleine
Restituee à son mary sera,
Et par les Grecz la Troye ne cherra.
Si mes liuretz eust leu Scylla meschante,
O Roy Nisus , tu aurois (ie m'en vante)
120Ton cheueu rouge entre les tiens cheueux.
Tous amoureux ensuyuez moy, ie veux
Vous enseigner comment deuez, sans faindre,
Les pensemens qui vous cuisent, enfraindre:
Moy conducteur, & patron, le nauire
125Auec les miens le beau droit chemin tire,
Il vous falloit quand apprinstes d'aymer,
Ouide lire, & Ouide estimer:
Le mesme Ouide en ces traitez presens
Il vous fault lire. [sic pour ,] à fin d'en estre exemptz.
130Ie suis celuy qui metz en liberté
Tous & chacun, donnant tranquillité
Aux cœurs pressez: chacun donc fauorise
Sa liberté, & cause que i'ay prise.
C y [p. 363] 363Cy te supply, O Phebus , ta couronne
Il inuoq̃l'ayde de
Phebus ,
prĩce de
Poësie &
de mede
cine. 135
De verd laurier, qui aux vers force donne,
Me soit presente: O Phebus d'autrepart,
Qui inuentas de medecine l'art,
Tout d'vn moyen (car tu le peux ainsi)
A moy Poëte, & medecin außi,
140Donne faueur. Des le beau premier point,
Apresl' inuoca-
tiõ il en-
tre en
matiere,
à deduire
ses mo-
yẽs pour
remedi-
er à l' a-
mour.
Qu'encor amour bien au vif ne te point,
S'il t'en desplaist, & amour ne t'agree,
Demeure là tout court, & à l'entree:
Estains bien tost, quand le peux à ton aise,
145D'vn mal subit l'occasion mauuaise.
Et ton cheual, qui de courir commence,
Tout court s'arreste, & face demourance:
Car le temps donne vn respit vigoureux:
Le temps meurit les raisins sauoreux,
150Et mue l'herbe en fortz blez sur la plaine.
L'arbre souz qui à l'ombre on se pourmeine,
A son premier commencement estoit
Petite verge alors qu'on le plantoit.
Lors on l'eust peu arracher de la terre
155Auec les mains: maintenant il tient serre,
Et est sa force augmentee à merueilles.
I l fault [p. 364] 364Il fault donc bien que tu penses, & veilles
A voir quel est ce que tu aymes, lors
De ce fort ioug ton col retire hors.
160Va au deuant des le commencement,
Car quand les maux ont prins accroissement
Par vn long temps, la medecine est vaine.
Mais haste toy, ne differe, ne traine,
Qui n'est ce iour prest d'y mettre la main,
165Encore moins le sera il demain.
L'Amour se trompe, attendant par long aage:
Verbadat oĩs a
mor, alij
legunt
Amans.
Mais attendant elle croist d'auantage:
Pour se venger tresbien de tel affaire,
Le prochain iour est propre à s'en deffaire:
170Tu vois bien peu sortir des grans fontaines
Les fleuues grans, & les riuieres pleines:
Mais à la longue ilz croissent, & si emblent
Plus grãd hauteur, par des eaux qui s'assemblẽt.
Ie me fay fort, Myrrha , si tu sentisses
Myrrhacoucha
auec son
pere, le
Roy Cy
nare , luy
ignorãt
q̃ ce fust
elle. 175
Le vilain cas, auant que le commisses:
Ne cacherois sous l'escorce ta face.
La playe ay veu curable en brief espace,
Qui pour auoir trop long temps attendu,
Le differer sentoit bien cher vendu.
M ais [p. 365] 365 180Mais pour autant qu'à cueillir sont plaisantes
Les fleurs d'amours, souefues & blandissantes:
l'impressiõ de Ve
nise met
flores:
les au-
tres met
tent fru-
ctus.
Nous proposons continuellement
Que nous ferons demain l'amandement.
Le feu secret, qui le cueur ard, & brusle,
185Sans y penser ce temps pendant pullule
De plus en plus: & l'arbre meschant iette
Tousiours auant sa racine tendrette.
Si toutesfois le temps n'est plus en cours,
Pour en vser de ce premier secours,
190Et si l'amour ia de long temps aßiege
Le cueur de l'homme, ou s'il y tient son siege,
C'est plus grand faict, & plus haulte besoigne:
Mais nonobstant si fault il qu'on en soigne:
Et quoy que tard appellé ie seray
195Au patient, ne le delaisseray.
Philoctetes au peril eminent
Philoctetes al-
lant à la
guerre
de troye
fut bles-
sé au pié
d'vn des
dards de
Hercu -
les .
Deuoit son pied coupper incontinent:
Et toutesfois on croit qu[’]il n'est peri,
Ains qu'à traict d'ans, estant sain, & gueri,
200Il a mis fin à la guerre de T roye .
Ie qui l'amour, encor naissant, chassoye,
Pour le present y metz la main tardiue.
F ay [p. 366] 366Fay ton deuoir d'estaindre l'ardeur viue
D'amour, si tost que tu la sens venue,
205Ou quand son feu descroist, & diminue:
Quand fureur regne, à fureur dois ceder:
Toute force est fascheuse à aborder.
Celuy qui nage est bien sot, & bien veau
De s'esforcer contre le fil de l'eau,
210Quand il peult bien echaper à trauers.
L'impatient, & ieune esprit diuers,
Qui n'est encor par bon moyen traitable,
Va reiettant tout propos raisonnable,
Et hayt celuy qui fait la remontrance:
215Mieux le pourray aborder, sans doubtance,
Quand souffrira que ses playes on touche,
Quand bien prendra les propos de ma bouche.
Qui est celuy, s'il n'est bien peu discret,
Qui deffendra à la mere vn regret
220Meslé de pleurs, quand voit son filz en biere?
Biere, estvne cap-
se, dans
laquelle
on porte
le corps
mort,
pour l'ẽ-
terrer.
Ce lieu n'est pas propre à telle matiere.
Quand sera lassé & de plaindre, & pleurer,
Ce dueil faudra par doux motz temperer.
En temps & lieu la medecine est bonne:
225Pareillement le vin que l[’]on ordonne
E n [p. 367] 367En temps, est bon, mais autrement il nuit.
Mesme tu peux (si temps & lieu ne duit)
L'ardeur du vice, y obuiant, acroistre.
Parquoy si tost que te sentiras estre
230De mon remede, & doctrine capable,
Fuy moy premier oysiueté damnable:
Fuir oy
siueté est
le
pre-
mier &
plus
grand
remede
d'amour
C'est celle là qui amoureux te fait:
C'est celle là qui entretient son faict:
C'est celle là qui engendre, & nourrit
235Ce tant doux mal, qui nous plaist, & nous rit.
Si tu tollis oysiueté, sans doubte,
L'arc de l'amour perd sa puissance toute,
Et sans chaleur demeurent ses flambeaux.
Comme vn platan ayme fort les ruisseaux,
240Vn peuplier l'eau, vn roseau terre molle:
Autant Venus ayme oysiueté folle.
Sois occupé, toy qui fin d'amour quiers,
En ce faisant d'amour franchise acquiers.
4. occa-sions d'a
mours,
& de pail
lardises.
Cautele
d'amour
Le nonchaloir, le trop dormir seulet,
245Le ieu de dez, & le cerueau foiblet
De trop de vin, tollissent sans rigueur
A l'esperit toute force, & vigueur.
Amour, trop fin & cauteleux, ne tarde
D' ent [p. 368] 368D'entrer sur ceux qui ne s'en donnent garde,
250Cest enfant là, toute oysiueté suit:
C'estCupido,
prĩce d'a
mour.
Il hayt les gens occupez, & les fuit:
A ton esprit, remis, & lasche, donne
Pour l'occuper quelque œuure qui soit bonne.
Des lieux de plaitz, des loix y a, & si
255As des amis que peux deffendre außi.
Pourmeine toy parmy les beaux palais
Plaider,ou ba-
tailler,
pour
fuir oisi
ueté.
De la iustice ou se tiennent les plaitz:
Ou ta ieunesse aille de cueur bien franc
Prendre l'estat de Mars tout plein de sang,
260Incontinent delices, qui sont vaines,
Te laisseront, & s'enfuiront soudaines.
Voila, desia les Parthes fuitifs (belle
Occasion de victoire nouuelle)
Voyent chez eux de Cesar les banieres:
265Des Parthes vainqs, & (par mesmes manieres)
D'amour les traictz: ainsi en ces deux sortes
Fay qu'à tes Dieux deux despouilles rapportes.
Si tost que fut Venus de l'orde pointe
Du cruel dard de Diomedes pointe,
Diome -des Roy
d' Etolie 270
Le faict de guerre à son amy quicta.
Si
l[’]on s'en quiert qui
Egysthe tenta
Egysthe
pareille-
mẽt,
pail
larda a-
uec Cly-
tẽnestre,
fẽme du
roy Aga
mẽnon.
D'estre adultere, y a raison expresse,
C'est qu'il estoit homme plein de paresse:
Les autres Grecz , de batailler contens,
275Faisoient la guerre à Troye par long temps,
Ou toute Grece auoit ses gens transmis:
Soit dõc Egysthe aux plaitz son cueur eust mis,
Ou aux cõbatz, c'estoit à luy simplesse,
Combatz ny plaitz ne se tenoient en Grece :
280Ce qu'il a peu il a fait, c'est qu'il a
Aymé, au lieu de ne rien faire là.
Ce ieune enfant Cupido (ie t'asseure)
En ce point vient, & en ce point demeure.
Außi les champs recreent les espritz,
Hanterles chãps
& culti-
uer la
terre. 285
Et le labeur, duquel le cueur espris
Facilement laisse toute autre cure.
Fay que taureaux, robustes de nature,
Prestent leur col, qui souz le ioug se rende,
Si que le soc la dure terre fende:
290Seme ton blé, & en ton champ l'enterre,
A grand profit te le rendra la terre.
Regarde moy des beaux arbres les branches,
Courbes de fruitz, poires & pommes frãches,
Comme à grand peine vn chacun arbre porte
A [p. 370] 370 295Le faix du fruict qu'il produit, & rapporte
Preste l'oreille, & me iette tes yeux
Sus les ruisseaux faisans bruit gracieux.
Regarde außi les brebis tant vtiles,
Qui vont paissant les herbettes fertiles.
300
Voy d'autrepart les chieures si tu veux,
Montans rochers mal rabotez, & creux,
Puis rapportans à leurs petis cheureaux,
Tout plein de laict, leur pis aux grandes peaux.
Le gay berger parmy les champs gringote
305D'vn chalumeau vne chanson sans note,
Autour de luy ayant tousiours ses gens,
Ce sont ses chiens, messagers diligens.
D'autre costé les grans forestz resonnent,
Et en maint lieu du cry des bestes tonnent:
310La vache crie apres son petit veau.
Quoy? n'estce pas vn passetemps bien beau,
Quand par fumee on vous fait desloger
Mouches à miel, pour ruches descharger?
Sus leschamps,
on se
peut oc-
cuper en
tout
temps.
Raisins & fruictz en recueille en autonne:
315Durant l'Esté on faulche, & on moissonne:
Puis le printemps les florettes produit:
Et en l'yuer le boys pour chaufer duit. Le pai [p. 371] 371
Le paisan en vn temps de l'annee,
Et en saison que Dieu a ordonnee
320Ses raisins couppe, & puis en les foulant,
Souz ses piedz nudz le moust s'en va coulant.
En autre temps tu le verras fener,
Et le rateau par la terre trainer.
Arracher peux, & transplanter les plantes
325En tes iardins, ou vont les eaux coulantes:
Tu peuz außi entre tes arbrisseaux,
Faire courir les beaux petis ruisseaux.
Quand la saison d'enter sera venue,
Tu enteras mainte branche menue:
330Tes arbres soyent peuplez de branches belles
Qui ne leur soient propres, & naturelles.
Tout außi tost que ces plaisirs des champs,
Sont de tout point le cœur d'homme touchans,
Amour vaincu d'occupations telles,
335Part, & s'enuole, auec ses foibles ailes.
Ou si tu veux, tu pourras pourchasser
Le passetemps, & deduit de chasser:
Souuent Venus, laidement prenant fuite,
Est par la sœur de Phebus desconfite.
La sœurde Phe-
bus, c'est
Diane,
deesse de
la chace,
& des fo
restz. 340
Va t'en courir le lieure, & le pourchasse A 2
[p. 372] 372Auec tes chiens qui sont faictz à la chace:
Puis tends tes retz sur les mõtz d'arbres pleins:
Poursuy souuent les cerfz fuitifz, & dains:
Donne de front auec ton fort espieu
345Au porc sanglier, qui cherra sur le lieu.
En ce point las, tu ne sentiras comme
Te surprendra en la nuict le doux somme,
Qui te rendra de tous membres agile,
Et ne seras troublé d'amour de fille.
350
L[’]esbat est moindre, il est bon toutesfoys
Quelque oyselet gaigner aucunesfoys,
Et l'attraper auec retz, ou vergeons
De chalumeaux engluez, ou de ioncs:
Ou amorser quelque ameson encore,
355Qu'à son grand damp le glout poisson deuore.
Par ces moyens, ou maintz autres de mesmes,
Il faut que tu deçoiues toymesmes,
Te desrobant tout petit à petit,
Tant que d'amour tu perdes l'appetit.
360
Mais si encor dedans l'amoureux train
Fuir lelieu ou
se tient
l'amie.
Es fort lié, fay voyage loingtain:
Au departir ie sçay que pleureras,
Et qu'en chemin souuentesfoys auras
V n [p. 373] 373Vn grand regret de ta dame laissee:
365Mesme ton pied en voye commencee
Au beau milieu s'arrestera tout court:
Mais plus ton cueur fait le long, & le sourd,
Et d'autant moins tu veux outre passer,
Adonc tant plus tu te dois auanser:
370Courage, il faut tes piedz tardifz sans faindre,
A bien courir bon gré malgré contraindre.
Lors ne souhaite auoir temps pluuieux,
Et le Sabbat trop cerimonieux
Des estrangers, ny Allia , ce fleuue,
375(Qui trop congneu à nostre damp se treuue)
A ce fleuue furẽt
bien fro
tez, & va
incuz les
Romma
ins par
les Gau-
lois .
Aucunement ne te retarde vn pas.
Combien as fait de chemin, n'enquiers pas,
Mais bien plustost combien t'en reste à faire:
Pour seiourner, ne faings d'auoir affaire:
380Ne nombre point le temps, les iours, les moys:
Ne iette l'oeil sur Romme plusieurs foys:
Mais fuy tousiours: les Parthes courans fort,
Deliurés sont de leur ennemy fort
Iusqu'à present, par leur fuite legere.
385
Si quelcun dit ma doctrine seuere,
Seuere soit, bien, nous le confessons:
A 3 [p. 374] 374Mais mille maux, & en mille façons,
Tu souffriras pour recouurer santé.
I'ay souuent beu outre ma voulenté,
390Bruuage amer, quand malade i'estoys:
Et n'ay mangé quand manger appetoys:
Pour la santé de ton corps, bas ou hault,
Tu souffriras le feu, & le fer chault:
Et en ta soif ne prendras point d'eau fresche
395Pour rafreschir ta bouche amere, & seche:
Et ce pendant ne voudras rien souffrir,
Pour le repos à ton esprit offrir?
Ce nonobstant ceste partie insigne,
Plus que le corps est precieuse, & digne.
400
Mais toutesfoys nostre art, & document
N'a rien fascheux qu'à son commencement:
Le seulcõmẽ ce-
ment de
rõpre le
lien d' a-
mour, est
difficile.
Et si n'y a qu'vne peine asseuree,
C'est d'endurer vn petit à l'entree.
Tu vois comment les iongs [sic pour iougs] pesans, & neufz,
405Du premier coup griefuent les ieunes beufz:
Ne vois tu pas que le cheual endure,
Quand on luy met la sangle neufue, & dure?
Peult estre außi qu'il te griefuera tant,
De delaisser ton païs, nonobstant
L e [p. 375] 375 410Le laisseras, puis voudras retourner:
Et ton païs ne te viendra donner
L'affection de faire ce retour,
Mais ce sera de ta dame l'amour,
Dessouz beaux motz couurant ton mal, & vice.
415
Quand seras hors, te feront grand seruice
Les champs, les gens, le long chemin aussy,
En allegeant ton amoureux soucy.
Or tu ne dois penser qu'assez feras
D'estre parti, mais tardif tu seras,
420Iusques à tant que l'ardeur d'amour meure,
Et que sans feu seulle cendre demeure.
S'ainsi ne veux retourner vaillament,
Souz propos ferme à n'aymer nullement,
Rebelle amour, plein d'ire, & de vengence,
425Te rassaudra sans pitié n'allegence.
Tel que tu fus, tel tu retourneras,
Aspre, eschauffé, & couuoiteux seras:
Et tout le temps qu'auras mis d'auantage,
Retournera à ton desauantage.
430
Si quelcun tient que
l'herbe tresmeschante Il reprou
ue entre
ses reme
des d' a-
mour les
bruua-
ges, & le
sort.
De Thessalie, ou le sort qui enchante
Par art magique, y serue grandement: A4
[p. 376] 376Bon prou luy face, à son commandement.
Donner poyson, & vser d'art magique,
435C'est à la mode, & la façon antique:
Nostre Apollo par vers sacrez, & sainctz,
Enseigne bien des remedes plus sains.
Qui me suyura, pour chose que i'enhorte,
N'enioindra point qu'esprit du tombeau sorte:
440Ny la vilaine, & la vieille sorciere
Ne fendra point par sort la terre entiere:
Iamais les blez, par les magiques chantz,
Ne passeront de champs en autres champs.
Ny ne perdra le souleil enchanté
445En vn instant sa tresbelle clarté.
Le Tybre , ainsi que de coustume aura,
Droit en la mer retirer se sçaura:
La Lune außi de son cours asseuree,
Par cheuaux blancs sera tousiours tiree.
450Nulz cueurs d'amans amour delaisseront
Par charme ou sort, qui les enchanteront:
L'amour qui est dedans vn cueur venue,
Par soulphre vif ne s'enfuyra vaincue.
Mais que t'a l'herbe en ton païs aydee,
455Quand desirois de n'en partir, Medee ?
Q ue [p. 377] 377Que t'ont valu, Circe tes herbes pires,
Quand d' Vlysses tu perdis les nauires?
Tu as tout fait ce que tu peuz, afin
Que ne partist ton hoste caut, & fin:
460Ce nonobstant il a tendu ses voiles:
De vens de fuite il a rempli ses toiles.
Rien n'as omis afin de reculer
L'ardente amour qui te venoit bruler:
Mais par long temps malgré le tien courage,
465Dedans ton cueur regna d'amour la rage.
Toy qui pouuois les gens en mille formes
Soudain muer, & les rendre difformes,
Tu ne pouois te faire ce plaisir
De transmuer de ton cueur le desir.
470Mesme l[’]on dit, quand vouloit retourner,
Vlysses.Souz telz propos l'en venois destourner:
Ie ne te pry que mon espoux tu sois:
(Comme au premier i'esperois, & pensois)
Combien que (veu ma naissance, & mon estre)
475Ie te pouois sembler bien digne d'estre
La tienne espouse, & chef de ta famille,
Comme Deesse, & du grand Souleil fille:
Mais seulement que sans te haster partes:
A 5 [p. 378] 378Et que si tost d'auec moy ne departes:
480Petit seiour te quiers pour vn present:
Que puis ie moins souhaiter à present?
Tu vois la mer esmeuë, loing, & pres,
Et la dois craindre: & le vent, cy apres,
Doux, & meilleur sera pour ta conduite,
485Mais qui te meut de prendre ainsi la fuite?
La Troye icy point ne se renouuelle:
Tes compaignons en guerre on ne rappelle:
Amour, & paix, sont en cette contree,
Durant laquelle, ah, seule suis oultree:
490Tu regiras cette contree toute:
Entre tes mains, & souz toy ie la boute.
A Vlysses Circe parloit ainsy:
Mais Vlysses , de cueur tout endurcy,
Ce temps pedant desencroit son nauire.
495Incontinent les vens tous d'vne tire
S'en vont souflans les grans voiles tendues,
Et quant & quant ces parolles perdues.
Circe troublee à son sort print recours,
Mais n'en descreut de son amour le cours.
500Toy donc qui quiers ton remede en mes carmes,
N'adiouste foy en poysons, ny en charmes.
S i [p. 379] 379Si quelque cause, & affaire te somme
De ne laisser la grand ville de Romme :
Pren mon conseil: d'amour s'est bien vengé,
505Qui ne souffre estre en ses durs laz rengé,
Ains qui les a desrompuz iusque au bout,
Et franchement en a quitté le tout:
Mais qui aura telle vertu supreme,
Il me rendra tout étonné moymesme:
510Et si diray, voicy le personnage
Qui n'a besoing de mon art, tant est sage.
Seulement donc instruire ie te veux,
Toy qui d'amour deffaire ne te peux:
Et voulontiers, sans quelque remontrance,
515Tu le ferois, si auois la puissance.
Reduy souuent en memoire posee
Les faictz & tours de ta Dame rusee:
Deuant tes yeux metz tous les accidens,
Pertes, perilz, & grans fraiz euidens.
520Elle a cecy & cela: tel profit,
Telle rapine à elle ne suffit:
Son auarice extreme d'auantage
Vendre m'a fait mon bien, & heritage:
Ainsi sa foy m'a promise, & iuree,
E t [p. 380] 380 525Et me trompant ainsi s'est pariuree,
Combien m'a fait à sa porte coucher?
Maint autre elle ayme, & ne m'a point tãt cher:
Elle me hayt, & de m'aymer se lasse:
Vn mercerot, de
condition basse,
D'elle iouyt (ô la maudicte ruse!)
Toutes les nuictz lesquelles me refuse.
Imprime moy tous ces pointz, & propos
En tes espritz iour & nuict sans repos:
Repete les, fay qu'ilz soyent la certaine
Occasion, & cause de ta hayne:
535Et pleust à Dieu que les reciter seusses
Facondement, & que bonne grace eusses:
Sois desplaissant, c'est vne chose aperte
Que de toymesme auras langue diserte.
Ces iours passez quelqu'vne m'arrestoit
540Entre ses laz, qui à mon gré n'estoit:
Lors ie mallade, & medecin sauant,
Mettois en moy mes herbes en auant:
Et si estois (s'il fault que ie le die)
Laid medecin tombé en malladie.
545Si me fut bon de fort penser, elle a
Sur elle à dire & cecy, & cela:
E t [p. 381] 381Et plusieurs fois ie m'en trouuay tresbien.
Ainsi disoye à toute heure, ô combien
Celle qui veult de mon cueur estre aymee,
550A grosse iambe, & la cuisse affamee!
Et toutesfois ie sauois bien comment,
A dire vray, c'estoit tout autrement.
O que les bras de mon amie sont
Bien mal bâtis, & mauuaise grace ont,
555Et toutesfois ie sauois bien comment,
A dire vray, c'estoit tout autrement.
Qu'elle est petite, (elle l'estoit außi:)
Que d'amis quiert! & voyla le vray si,
Le grãdnombre
d'amis,
ou de
dõs que
l'amie
quiert,
est vn
puissant
remede
d'amour
Qui m'engendra vne hayne aspre, & forte.
560Außi maint vice est bien de telle sorte,
Que par erreur la vertu est nommee
Souuent pour vice, & reprinse, & blasmee.
Renuerse donc, tant que tu pourras faire,
Ce que ta dame a de bon, au contraire:
565Et me deçoy, par le plus brief sentier,
Ton iugement, qui fut sain, & entier.
Si elle est pleine, appelle la enflee:
Si brune elle est, noire soit appellee:
Si d'auenture elle est gresle, & alaigre,
T u [p. 382] 382 570Tu trouueras à dire qu'elle est maigre:
Celle qui scet bien dire, & racompter,
Pour eshontee il la faudra compter.
L'humble de cueur, & simple de visage,
Tu la diras sentir tout son village.
575Mesme prier ton amie il te fault
De chacun point qui en elle deffault.
Celle qui a la voix casse, & meschante,
A tous les coups prie la qu'elle chante:
Et de danser tu dois prier tousiours
580Celle qui a les piedz tardifz, & lourdz:
Si au parler elle a mauuaise grace,
Fay qu'elle parle auec toy longue espace.
Des instrumens ne scet toucher les cordes,
Fay luy tenir des lutz ou manicordes.
585Semblablement s'elle a mauuaise allure,
Fay la marcher auec sa marche dure:
S'elle a gros sein, de tetes tout couuert,
Fay que tousiours le voyes descouuert.
Si elle est mal endentee, il fault dire
590Comptes ioyeux, & la fault faire rire.
S'elle a les yeux fort tendres à pleurer,
Dy quelques cas pour des pleurs en tirer.
A uß [p. 383] 383Außi est bon, deuant qu'elle se farde,
Voir l'a-mie auãt
qu'elle
se farde.
Aller courir, quand ne s'en donne garde,
595Subitement par quelque matinet,
Droit en sa chambre, & en son cabinet.
Nous sommes trop esprins communement
Par leur richesse, & braue acoutrement:
Tout est trop braue, & souuent i'apperçoy
600Que la Dame est le moindre cas de soy.
En tant de cas tu doubteras toymesmes
Souuent ou gist ce qu'en elle tu aymes.
La Dame braue attrait maintz yeux vers elle,
Et les deçoit souz couuerture telle.
605Vien t'en sans bruit, & tu la surprendras
Nue, & sans fard, confuse la rendras:
La malheureuse en ce point desarmee,
Pour sa laideur ne sera plus aymee.
Ce nonobstant ne conseille, & afferme
610Q u'en ce cas cy l[’]on se tienne trop ferme:
Car la beauté naturelle, & sans art,
Les amoureux deçoit, pour la plus part.
Or maintenant ie t'enseigneray comme
Fault sur le faict prendre remede en somme:
615Par tous moyens on doit l'amour chasser.
I l [p. 384] 384Il est bien vray maint cas faudra passer
Legerement, außi faire le doy,
Car autrement ce seroit honte à moy:
Mais ton esprit, quand ie t'en escriray,
620Conçoyue plus que ie ne t'en diray:
Car quelques gens de fausse enuie esprins,
Ces iours passez mes liuretz ont reprins:
Et dessus moy la sentence ont donnee,
Que ma Muse est par trop abandonnee.
625Pourueu qu'ainsi ie plaise à tout le monde,
Et i'aye bruit dessus la terre ronde,
Quelcun, ou deux, autant comme ilz pourront,
Viennent blasmer mes œuures qui courront.
Ia long temps a, la faulse enuie amere,
630A detraicté du grand esprit d'Homere :
Quiconque sois, o zoïle blasmé,
Es pour cela ainsi dict, & nommé.
Toy qui descris comme Eneas außi
VergileAapporté ses Dieux vaincuz ici,
635Tu as senti les langues enuieuses,
Qui sur tes vers furent calomnieuses.
Maudicte enuie aux haultz œuures s'attache:
Le vent puissant les haultes choses fasche:
L a [p. 385] 385La foudre außi, lors que Iuppiter tonne,
640Les hautes tours & grans arbres estonne.
Mais toutesfoys toy, quiconque sois tu,
Qui me reprens de faulte de vertu,
Et comme vsant de trop grande licence,
Poise bien tout. si tu as la science.
645La forte guerre, & les assaultz diuers,
Se veulent dire en Heroiques vers:
En telz combatz, entre cheuaux & lices,
Quel lieu auroient les petites delices?
Vn stile enflé aux Tragiques conuient,
650Ire, fureur, & tout mal qui en vient:
Les vers moyens sont propres aux C omiques:
Les vers legers, qu'on appelle Iambiques,
Legerement doyuent estre transmis
Pour foudroyer les plus grans ennemis:
655Mais la petite Elegie gentille
Chanté [sic pour Chante] d'amours, comment la femme, ou fille,
Souuent se change, & à son gré se iouë.
Achilles preux. qui aux armes se vouë,
En pareilz vers ne doit estre d'escript,
660Qu'a en amours Callimachus escrit.
Cydippe außi, qu' Aconce à femme espere,
B [p. 386] 386Ne conuient point à ton hault stile, Homere :
Qui souffriroit que Thaïs impudique,
Iouast en ieu Andromache pudique?
665Certes celuy est bien de son païs,
Qui iouë au lieu d' Andromache Thaïs :
Thaïs me duit, & est propre à mes liures,
Pleins d'alegresse, & de tout dueil deliures:
Ie n'escry point de femme mariee,
670Thaïs m'est propre, & bien appariee .
Si aux propos molletz, & delicatz
Mon vers conuient, il est seur qu'en ce cas
I'ay gain de cause: & ma ioyeuse Muse
L[’] on charge à tort, & à tort on l'accuse.
675O faulse enuie, or creue de despit,
I'ay grand renom, creue sans nul respit,
Car ie l'auray trop plus grand desormais
Que ie n'ay pas, & que ie n'eu iamais.
Tant seulement qu'il poursuyue, de faict,
680Le mesme train comme il a desia fait.
Mais, faux langard, tu t'es bien trop hasté,
Car si ie vi, c'est vn point arresté,
Que tu auras cause de plus d'enuie:
Des vers sans nombre escriray en ma vie:
Car [p. 387] 387 685Car ie m'y baigne, & desir d'auoir nom
Croist en mon cœur par mon bruit, & renom.
Au pied du mont, en laissant la campaigne,
Mon cheual sue à monter la montaigne:
Autant d'honneur l'Elegie confesse
690Deuoir à moy, qui l'extolle sans cesse,
Et non pas moins qu'à Vergile autentique
Se sent tenu le grant œuure Heroique.
B 2
[1]Ode par
Charles Fontaine,
à
Bo-
nauenture du
Tronchet.
Pourquoy au ciel plante tu des estoilles ?
Pourquoy au boys porte tu des rameaux ?
Pourquoy en l’air y mets tu des oyseaux,
Qui vont nageans pres de ces blancs-noirs
voiles ?
5
Pourquoy mets tu des monstres de marine
En l’Ocean ? & aux petites eaux
Petis poissons, auec petis bateaux,
Courans ioyeux en vne eau plus benigne ?
Pourquoy aux prez seme tu des florettes ?
10Pourquoy aux champs y iette tu des blez,
Et aux iardins mille grains assemblez
Pour floronner mil boucquetz, & fleurs nettes ?
Ne scez tu pas que ma Nymphe est deesse
Des beaux champs verds, des
iardins & des
prez,
Et que par elle ilz sont tous diaprez,
De cent mil fleurs qui luy rient sans cesse ?
Odelet [p. 389] 389
[2]Odelette de
Charles Fontaine,
à
vn sien amy.
Tu penses faire vn grand office
D’amitié, & d’honnesteté,
Ou tu penses faire vn seruice
Qui par moy doit estre acheté,
5
Quand lors que l’enragee chienne,
Qui court à grans pas diligens,
Pour appaiser la rage sienne
Va brulant les champs & les gens,
Tu cours querir ta riche tasse,
10Pour la baigner en l’eau coulant
Du front de ce roc qui l’amasse
A ses piedz, tousiours en filant :
Et puis apres tu la couronnes,
Pour presenter à ma Flora,
15Et tout aussi tost tu luy donnes
Que l’argent couronné l’or a.
B 3 [p. 390] 390
[3]Odelette à sa
Flora
enceinte.
En augmentant tu acourcis
Eureusement, de ta ceinture :
En dix ans i’ouure des foys siz
Le plus secret en la nature :
5
Quand en sa demie rondeur
Ie vois touchant ce demi globe,
Pour contempler vn si grand eur,
Nature mon esprit desrobe.
Là elle a paint de son pinceau,
10Ces petites fleurs, qu’onde à onde
Zephyr éuente de nouueau
Pour en produire vn petit monde,
Qui viura successiuement
Par la Fontaine, dont la sourse [sic.]
15Durera eternellement,
Auec Phebus prenant sa course,
Mais [p. 391] 391Mais n’as-tu science certaine
Que ma Flora eureusement
Est deesse de la Fontaine
20Qui s’enfle à son commandement ?
[4]Au Roy.
L
e Nautonnier, qu’on appelle
Fon-
taine,
Le Nautonnier, qui ieune tant vogua
Que seulement luy reste mal & peine
Du sort facheux qui trop le fatiga,
5Tristement chante, & fait cette eclogu’a
Pour declarer sa fortune improspere
A vous son Roy, en qui seul il espere :
Sire, oyez donc ses vœuz, plaintes, requestes,
Vous qui rendez la terre, & mer prospere,
10Vous qui trois foys plus grand que
Neptune
estes.
B 4 [p. 392] 192 [sic pour 392]
[5]Eclogue marine, ou sont introduitz
deux Nautonniers.
Hugues
Salel,
Et
Charles Fontaine.
Fontaine commence.
Tu t’esbahis, Salel, que peu ie chante,
Ou de ma voix, ou bien de ma Musette,
Que tu disois doucement resonnante,
Quant i’entonnois aucune chansonnette :
5Là m’escoutoit mainte Naiade nette,
En s’esbatant auecques les poissons.
Puis y venoit Florie, ma brunette,
Secher ses raiz aux riues ou passons.
Il eust esté plus que poisson sourd,
10Qui n’eust ouy ton chant auecques ioye,
Plus dur que roche ou l’eau tresclere sourd,
Par les cailloux bruyant, & faisant voye.
Dont me desplaist qu’à present l[’]on te voye
Triste de face, & de chanter tant las :
15Mais la raison bien sauoir i’en voudroye
Qui t’a tollu & vigueur, & soulas.
Fon [p. 393] 393
Lors ieune estois, de voguer curieux
En fleuues grans, iusqu’à la mer, leur mere,
Dont me trouuay entre rocz furieux,
20De iour, de nuict, sur mer, & sur riuiere.
Le Rosne roide, & sa sœur Saone arriere,
Meuze, Mozelle, & Loire, Marne, Seine,
Le Pau puissant le long de sa liziere
I’ay nauigué iusque à la mer loingtaine.
25
Par plusieurs fois mauuais vent, & orage
M’a tant chassé, cassé, brisé, deffaict,
Qu’avec ma nef perds quasi mon courage.
Ne vois tu pas mon nauire en effect
Tout aggraué, ou l’eau entre de faict ?
30Les pans froissez ? mast, & voiles rompues ?
Rames à val ? dont palle, & triste faict,
Avec cela mes chansons ay perdues.
I’ay entendu ce que voudrois n’entendre,
Et pourquoy c’est que plus ne vas chantant
35En si doux son, qui tel plaisir engendre,
B 5 [p. 394] 394Que la Sereine, en champ de mer estant,
Eust eu sommeil, Fontaine, en t’escoutant.
N’ay-ie à ton chant veu les Tritons, Thetys,
Cymothoé, Glaucé, Glaucus, & tant
40De Dieux marins, des grans & des petis ?
D’autant suis plus dolent de ton dommage,
Comme tu es de tout dommage indigne :
Et si me fend le cueur ce tien naufrage,
Naufrage, helas, d’autre, non de toy digne.
45A nauiger, pescher, chanter insigne
(Las !) ie t’ay veu : encor halcioné
Ne me plaist tant, ny le chant du blanc cigne,
Que cetuy-là qu’ores as entonné.
Tu dis de moy ce que de toy fault dire
50Quand le Daulphin de nostre mer tu pleures,
Le beau Dauphin que mort des mortz la pire
Nous a tollu en maleureuses heures :
Auec chãt triste en plaintz & pleurs labeures,
Nous inuitant tous autres Nautonniers :
55Douce haultesse est en tes chansons seures,
Car [p. 395] 395Car Apollo t’inspire des premiers.
Mais puis que tant à m’aymer tu t’enclines,
Amy Salel, ie te vueil demander
Ayde, & conseil, par tes raisons diuines :
60Conseille moy, qui me peux commander.
De mon pouuoir bien te voudroye ayder,
Si me sentois assez suffisant estre
Pour ton nauire asseurer, & fonder,
Et par effect tu le viendrois congnoistre.
65
Veu ton estat, & fascheuse fortune,
Vn seul conseil te reste, & vn refuge :
C’est que tes vœux dresses au grand Neptune,
Qui m’a gardé de semblable deluge :
Sur l’eau en peine ainsi comme toy fus-ie,
70Le grand Neptune auecques son trident
M’en deliura aussi de toy ie iuge
Qu’il t’âydera, tant est noble, & prudent.
Encon [p. 396] 396
Encontre toy auroient tant conspiré,
75Qu’entre les vens, & les vagues sans cesse
Comme Eneas tu serois martiré,
Si ton cueur a vers Neptune aspiré,
En vn instant les tempestes horribles
(Ayant de l’eau son noble chef tiré)
80Il chassera avec craintes terribles.
Fontaine.
Ie say tresbien qu’il a cette puissance,
Et que tousiours ses Troyens il conserue :
Mesmement ceux dont il a congnoissance
Qu’ilz sont ses serfz sur tous il est preserue :
85O bon amy, ne doubte que le serue,
Car en tout temps, sur riuiere, ou sur mer,
De mon salut l’honneur ie luy reserue,
Et en mes maux ie le vien reclamer.
N’a pas long temps (tu ne metz en memoire)
90Vers sa haultesse adressas ta priere :
Et si passas de Saone iusqu’à Loire
Lors qu’on peschoit tout estang, & riuiere :
Il [p. 397] 397Il t’entendit en aucune maniere :
Mais les Tritons qui pour lors ont corné,
95Ont empesché ton oraison entiere,
Pource il n’a pas de ton faict ordonné.
Ce nonobstant à l’exemple de toy,
Salel, en luy i’espereray tousjours
Qu’il chassera tout malheur loing de moy,
100Tempeste, & vens agitans nuictz & iours
Ma poure nef, qui ne va pas son cours.
Aussi ie croy que, comme Palinure,
Sans sa faueur, & espoir de secours
La mer salee eussions pour sepulture.
favtes advenues
à l’impression.
Page 26. ligne 2. lisez Tours vien t’en droit. pag.
84. lig. 2. Ou cent mil
fleurs. pag. 221. lign. ii. la fin. pag.
232. lig.
20. Elle fait. pag. 240. lign. i. Chants tous di-
uins. pag. 256. lig. 18. Florissant ieunesse. pag.
374.
Les iougs.
- Epitres.
- Au Roy, en la page 5
- A vne Dame 13
- A E. H. 19
- A N. le Iouure 25
- A vne Dame pour la consoler sur la mort de
son mari 37 - A Madame Renee de France, Duchesse de
Ferrare 46 - Les Elegies commencent en la page 49
- Chants diuers 55
- Epigrammes 67
- Odes 127
- Estrenes au Roy, à la Royne, & à quelques
- Autres Princesses 163. 164. & 165
- Autres Estrenes à plusieurs Seigneurs,
& a-
mis de l’Auteur, commencent 167 - Enigmes 217
- Le traité du Passetemps des amis 227
- Epigrammes dudict traité 313 Apres [p. 399] 399
- Apres lesquels y a encor quelques odes, &
epi-
grammes. - Le Translat du premier liure du Remde d’a-
mours d’Ouide 357 - Puis y a encor certaines odes
- Eclogue marine adressee au Roy 391