Essai

SOMMAIRE

[p. 1] Fac-simile de la page

ODES, ENIGMES,
ET EPIGRAM-
MES,

*
Adressez pour etreines, au Roy, à la
Royne, à Madame Marguerite, & au-
tres Princes & Princesses de France.

[Marque d’imprimeur]

A LYON,
PAR IEAN CITOYS.
M.D.LVII.


Auec Priuilege du Roy.

[p. 2] Fac-simile de la page

Extrait du Priuilege

Par grace & Priuilege du Roy, il est permis
à maitre Charles Fontaine, faire impri-
mer & mettre en vente par tel Libraire
& Imprimeur que bon lui semblera,
Odes & Epigrammes par lui composez à
l’honneur de France, & augmentation
de la langue Françoise. Auec defenses à
tous autres de ne les imprimer ny ven-
dre, iusques à huit ans, du iour & date de
la premiere impression: Comme à plein
est contenu es Lettres de Priuilege, sur
ce donné à Villiers Coterets, le premier
iour d’Octobre, 1555.

Ainsi signé Declauerie,
& scellé en cire iaune.

[p. 3] Fac-simile de la page 3

ACCOINTANCE DE
Phêbus auec l’Auteur.

Le blond Phebus m’a bien osé promettre.

De rehausser mon beau nom par son metre.

Et que tandis qu’au haut Ciel il luira,

Fontaine en France & hors France on lira.


Amici carmen in hunc Caroli
Fontani libellum.

Prodi, quid dubitas? Fontani parue libelle:

Nam tu, vel Momo iudice, tutus eris.


Vn ami de l’Auteur au Lecteur.

Fontaine par ses vers (pour te le faire court)

Sans bouger, te fait voir quasi toute la Court.


A sa Muse.

Sus, entre au iour, or sus ma Muse, au iour,

Va saluer ce tres-preux tres-grand Roy:

Et ne crein point ceus qui sont alentour,

Diuins Heros qu’en admirant ie voy:

5

Car ilz sont tous tenans d’un mesme aloy

De magesté iointe à humanité:

Du grand Croissant außi telle est la loy

Qu’aus yeus humeins ne fait mal sa clarté.


A 2 Au [p. 4] Fac-simile de la page 4

Au Roy.

Quand ce grand œil du Monde te contemple

De sa grand’ voute en ta grandeur tant ample,

Souuent s’arreste en te voyant si grand:

Et dit qu’il voit en terre son parant

5

En grand’ splendeur de vertu & de graces,

Dont grandement les plus grans tu surpasses:

Grand en ta prestance, en port, en magesté,

Magnificence, & liberalité,

Mais seras grand, trop-plus-grand par les Muses

10

Eternizans tes louenges diffuses.


Au Roy.

Si entre meint tres-grand affaire

Vous peut rester quelque loisir,

Roy tres-prudent, lors pourrez faire

Vous lire cette Ode à plaisir:

5

Außi ma Muse ha bon desir

De resaluer l’exellence

Qui la peut garder de perir,

La tirant hors d’obscur silence.


Au
[p. 5] Fac-simile de la page 5

[1] AV TRESCRE-
STIEN ROY DE
France Henry second
de ce Nom.

Le plvs grand peintre Ephesien

N’a tel pourtrait en auant mis,

Que mon tableau Parnaßien

Ornant mon Roy & ses amis:


5

Bien que ses traits, & ses pourtraits

Fussent sur tous ingenieus,

Toutesfois ses pourtraits & traits

Sont enuieillis par le temps vieus.


Et non seulement enuieillis,

10

Mais auecques leur Maitre außi

Sont enterrez, enseuelis,

Et du tout nuls en ce temps cy.


O foible art que l’on vante tant,

Que de pourtraire un grand Seigneur!

15

Qui donra mil escus contant

Pour acquérir tant peu d’honneur,


A 3 D’auoir [p. 6] Fac-simile de la page 6

D’auoir son corps, ou son seul chef,

A quelques yeus representé,

Soit de plat, ou soit de relief,

20

Et au vray naif raporté?


Peu de gens, & pour peu de temps

Verront ton image, ou pourtrait:

Par cas de feu, de pluye, ou vents

Sera consumé, ou deffait.


25

Mais ce que la Muse ha de beau,

Se fait bien voir par l’Vniuers:

Tousiours dure son saint Tableau,

Coulouré & semé de vers:


Et son chant peut rendre immortels

30

Les mortels qu’elle veut chanter:

Chant qui immortels & mortels

Peut à tout-iamais contenter.


Außi le Roy Agesila’

Ne voulut onq estre pourtrait,

35

Querant autre honneur que cela,

Et plus durable, & plus parfait,


Et Isocrates instruisant

Son [p. 7] Fac-simile de la page ODES. 7

Son Roy, entre autre instruccion

Telle sentence alloit disant,

40

Digne de sa profeßion:


Pense plustot à delaisser

Ta vraye image de l’esprit,

Que de ton corps faire tracer

Le trait & pourtrait qui perit.


45

Ce que ie ne di pour blamer

Les subtils Peintres & sculpteurs:

Ie les admire, & veus aimer,

Mais non pas tant que les Auteurs,


Qui font par leurs diuins esprits

50

Viure & reuiure les Signeurs,

Les pourtrayans en leurs escrits

Des couleurs de mil vrays honneurs,


Sans qu’ilz soient onq decolorez

Ny par le tems, ny par les gens:

55

Mais d’un trait vif bien decorez

Pour luire & reluire en tout temps.


Les plus grans peintres & graueur

Du tems d’Alexandre ont esté,

A 4 Et en [p. 8] Fac-simile de la page 8 ODES.

Et en ont receu grans faueurs:

60

Vn en son art ha exalté:


Mais en science & plus hauts arts

Infinis en ha exaltez:

Si ont apres lui les Cesars,

Les Cesars Romeins tant vantez.


65

Et ce tien Astre paternel

Vn si bon aspect leur donna,

Que son plus grand loz eternel

Plus grand’ gloire & lumiere n’a.


Son influence ha inspiré

70

Ma ieunesse, entre mille, à voir

Ce beau monde ou i’ay aspiré

Ou git la Muse & le sauoir.


Le premier Cesar acheta

Deus tableaus, & les achetant

75

Vn chacun d’iceus lui couta

Plus de dix mil escus contant.


Que sont ces tableaus deuenus

Qui couterent un si grand pris?

Et qui furent si chers tenus?

80

Comme leur maistre ils sont peris:

Mais
[p. 9] Fac-simile de la page ODES. 9

Mais la seur de Cesar second

Desboursa moins, & si fit plus,

Quand pour dixhuits vers, qui seront

Stables, paya cent mil escus.


85

Ces Vers à l’honneur de son fils

Sont encore en vie auiourdhui,

Dont Vergile en eut tels profits

Qu’il en tira par deuers lui


Deux cens escus pour chacun vers

90

Sans auoir peine aucunement

A troter & courir deuers

Le payeur de tel payement.


O Princes, pesez donc außi,

L’honneur des vers, l’autorité,

95

En quoy cette Princesse ci

Bruit par sa liberalité:


Elle oyant les vers reciter

Loant sont fils Marcel ia mort,

Se páma, ne pouuant porter

100

Le regret qui la pique & mord:


Puis sortant de tel’ pamoison,

A 5 Les [p. 10] Fac-simile de la page 10 ODES.

Les cinq mil escus ordonna

Estre deliurez, pour raison

Des vers que Maron lui donna.


105

Telle grand’ somme el’ ne pleignit

Au Poëte bien prononçant,

Et d’un cœur noble la fournit:

Grand loz du vers non perissant!


Außi ces vers lui ont esté

110

Vn beau tombeau, qui dure encor,

Plus luisant, plus ferme arrété,

Qu’un de fin marbre, ou maßif d’or.


Le grand Roy disoit estre heureus

Achilles le fort Grec puissant,

115

Non pas tant par ce qu’il fut preus,

Et en faits d’armes surpassant,


Comme qu’il eut, pour grand bon heur,

Son Homere poëtizant,

Qui le fit reuiure en honneur,

120

Ses louenges eternizant.


Grans Princes deus grans vertus ont,

Premiere est Magnanimité,

Par [p. 11] Fac-simile de la page ODES. 11

Par laquelle grans actes font:

Puis l’autre est Liberalité,


125

Mesmement vers les gens sauans:

Car science ha l’autorité

De les faire en mil ans suiuans,

Reuiure en la postérité.


Vous auez beau faire grans faits,

130

O Princes Magnanimes-forts,

Ilz seront tous, comme imparfaits,

Enseuelis quand serez morts:


Si le Poëte en ses dous sons

Ne les chante à vos sucesseurs,

135

Qui oyans ses viues chansons,

De vos victoires seront seurs.


Tel heur ne vous pourront donner

Ny vos peintres, ny vos sculpteurs:

En un coin s’en vont confiner

140

Meints tels artizans inuenteurs.


Comme Phebus au beau Croissant

Donne sa splendeur & clarté,

La Muse rend clerparoissant

Le Prince plein d’humanité.


Que ne [p. 12] Fac-simile de la page 12 ODES. 145

Que ne surhaussez vous, ô Roys,

De la fortune bien aimez,

Ceus qui par leurs doigts & leurs voix

Vous rendroient trop mieus renommez?


Comment sont en bruit & renom

150

Priam? Enee? Roys Troyens:

Le Grec Achille? Agamemnon?

Que par Poëtiques moyens?


Vertu mesme en son ennemi

Ce nonobstant doit on priser:

155

Car tout bienfaict se fait ami

D’honneur, qu’il ne faut despriser.


Ce Charles regnant à present

Quatre cens ducats ordonna:

Marot en receut le present

160

Pour peu de vers qu’il lui donna:


Mais souuent pour cas qui vaut moins

L[’]on donnera un plus grand bien:

Ma Muse n’entend, neantmoins,

Chanter des Princes que tout bien.


165

Ie ne le di tant seulement

Pour la France assez liberale:

Ie le [p. 13] Fac-simile de la page ODES. 13

Ie le di generalement

Pour toute terre illiberale,


Et trop tardiue à faire bien

170

A ceus qui à son loz ne cessent,

Aus pâles Poëtes, combien

Que dix mil autres s’y engressent.


Poëtes sont tresanciens:

Car les antiques Orateurs,

175

Philosophes, Historiens,

Ne sont que leurs imitateurs:


Apres eus ils ont patronné

Sus le beau Poëtic patron

Tiré, suiuy, & façonné

180

Le principal de leur façon.


Vos Maieurs auoient en honneur,

Ie di de toute antiquité,

Ceus ausquels Dieu estoit donneur

D’une telle Diuinité.


185

Moindre honneur donques soit donné

A une main, & un pinceau,

Qu’à un chef de laurier orné

En tout temps verdissant & beau:


Dans [p. 14] Fac-simile de la page 14 ODES.

Dans lequel chef nature & Dieu

190

Leurs graces & tresors ont mis,

Se consacrans tel diuin lieu

Pour eux, & pour leurs vrays amis.


Leurs vrays amis, & alliez

On dit que sont les Princes grans:

195

Or sus donq, Princes, n’oubliez

Les grans mignons de vos parents.


Lesquelz à votre heur & grandeur

Vne autre peuuent aiouter:

Et qui est bien de si grand heur

200

Que Mort ne la vous peut oter.



[1 bis]Encores au Roy mesme, pour le
iour des Etréines.

Ce Prince renommé qui dit à ses amis

Soupant & souspirant, que son tems fut mal mis

Le iour auquel n’auoit à ses gens nul bien fait,

Combien mieus le diroit ce iourdhui en effet,

5

Ce iourdhui guerdonneur des annuelles peines,

Ce iourdhui dédié aus heureuses Etréines,

S’il le laissoit passer sans montrer sa largesse

Au Poëte priant, qui ses vers lui adresse?


A la
[p. 15] Fac-simile de la page ODES. 15

[2]A la Royne,

ODE II.

Que ne reuiuent meintenant

Mil grans Auteurs de bonne marque?

Mesmement ce grand Grec Plutarque?

Ce Boccace bien auenant

5

A chanter les illustres Dames,

Illustres & de corps & d’ames?


Que ne reuit mesmes encor

Ce grand sauant Cornele Agripe

Faisant que le tems ne nous gripe

10

Ce beau cler nom, plus luisant qu’or,

De la vertu digne de Royne,

Mise en son lieu propre & idoine?


Mais que reuiuent apres

Ces plus grans hauts diuins Poëtes,

15

Seuls Roßignols ou Alo[ë]tes

Entre les vrays Lyriques Grecs,

Archiloc, Callimac, Pindare,

Pour haut chanter ton honneur rare?


Car quant à moy, en cet endroit

20

Ie ne veus plume ou Muse elire,

Et ne pretens chanter n’escrire,

Ains [p. 16] Fac-simile de la page 16 ODES.

Ains venir tot à ce point droit,

Au point que dit un Auteur sage

Louant en deus briefs mots Carthage.


[3]A Madame Marguerite, Duchesse
de Berri, seur du Roy

ODE III.

Vn Mecenas viuoit à Romme

Quand ce grand Auguste imperoit:

L’un & l’autre encor se renomme

De la vertu qui prosperoit,


5

Et d’amour de literature

Que l[’]on voyoit flamber en eus,

Seul rayon de lumiere pure

Qui les rend immortel tous deus:


Mais auiourdhuy l[’]on peut bien dire

10

Vn second Auguste regner,

Le Roy ton frere, & notre Sire,

Que tout bon heur veut couronner.


Et si la Muse n’est ingrate,

Elle te doit tresbien nommer,

15

La vraye seure Mecenate,

Qui s’est voulu pour elle armer.


A Mons
[p. 17] Fac-simile de la page ODES. 17

[4]A Monseigneur d’Anguyen.
ODE IIII.

Tresbien s’accordans par raison

La peinture, & la Poësie,

Ont leur demourance choisie

Toutes deux en vne maison.


5

Horace fait comparaison

De Poësie, & de peinture

Toutes deux, d’art & de nature,

Diuines en toute saison:


Qui donq l’une ayme, il ayme außi

10

L’autre compaigne, & alliee,

Qui s’est haussee, & publiee

De tout temps, mesme en ce temps cy.


Poësie ha son nom haußé

Et si bien etendu ses ailes,

15

Qu’on voit reuiure sur icelles

Les grans Princes du temps paßé.


Puis qu’en pourtraitz prenez plaisir,

Tesmoing Verriot qui en vse,

Vous excitez ma double Muse

20

Vous louer au double à loisir.


B Außi, [p. 18] Fac-simile de la page 18 ODES.

Außi, pour honneur, & bon heur,

Phebus dit, que ne puis mieux faire

Que de chanter, & onq ne taire

Maint renommé Prince, & Seigneur.


[5]A Monseigneur le Reuerendissime
Cardinal de Lorraine.
ODE V.

Le Soleil qui voit beaucoup d’hommes

Hauts d’eloquence & dignité,

N’en voit au climat ou nous sommes

Vn de plus haute qualité,

5

Ny de pareille humanité.


Puis, si tes Maieurs on auise,

Hauts, Nobles, & Cheualeureux,

La Sainte terre reconquise

L[’]on trouuera estre par eulx,

10

Si qu’ils sont au nombre des Preux.


Cette ferueur, ce diuin zele

Qui de laisser les incitoit

Leurs terres, & leur parentele,

La couronne leur aprestoit

15

Qu’un payen indigne portoit


Ce mer [p. 19] Fac-simile de la page ODES. 19

Ce merueilleux fait magnanime

Si grand renom ha mérité

Que mainte grand’ Cronique anime

Leur haut loz d’immortalité

20

Sur toute la postérité.


Mais touchant les faits de proësse

A l’œil auiourdhuy les voyons

En tous tes freres, qui sans cesse

Se montrent de vrays Scipions,

25

Dont vos histoires mieux croyons:


Ausquelles mainte vaillantise

Maint docte esprit aioutera

De tes Ducs D’aumale & de Guise:

Car chacun d’eux fait, & fera

30

Hauts faits qu’allieurs on ne verra.


Apres il faut qu’on y aioute

Ta haute eloquente douceur

Ta pieté, qui ores ioute

Pour egaler l’antecesseur,

35

Ou pour emporter le pris seur.


B 2 A Mon [p. 20] Fac-simile de la page 20 ODES.

[6]A Monseigneur le Connestable, &
Duc de Montmoranci.

ODE VI.


Que doit chanter ma Muse à ce grand Con-
nestable ,

Digne de cette espee, & nue & redoutable,

Et de ce grand cerueau disposant les affaires

Les plus grandes du Monde, en France necessaires?


5

Que doit ma plume escrire, & reduire en me-
moire,

Fors comparer ses faits à la plus haute histoire?

Son cœur, son corps, sa main à Nestor sage-vtile?

Et au Troyen Hector, ou bien au Grec Achille?


Ou à Vlisse, autant prudent que Magnanime,

10

Qui, les armes en main, de docte langue anime

Vn camp prest à choquer? ou en rang le rappelle

Si d’auenture il est effroyé pesle-mesle?


Mais quand ie m’armermois d’une plus forte Muse,

Enuiron tel subiect se trouueroit confuse:

15

Et puis seroit semer parmi l’air des atomes,

Des yeux au chef d’Argus, plus cler voyant des
  hommes.


A Mons [p. 21] Fac-simile de la page ODES. 21

[7]A Monseigneur le Cardinal de
Chastillon

ODE VII.


Non pource que chacun te prise

Sur toutes perles de la Court

En blancheur & rondeur exquise,

L’eau de Fontaine à ton loz court:


5

Non pource qu’en saison presente

Tu splendis plus fort que iamais,

Croissant en hautesse excellente,

Et croitras encor desormais,


Ains pource que i’ay connoissance

10

De ta grand’ candeur & rondeur,

Quasi-quasi des mon enfance

Admirant ta ronde candeur,


I’escri de toy, & ne veux taire

Ton loz, ton lustre, & ton nom beau:

15

Et te dira ton Secretaire,

Portant le nom aymé de l[’]eau,


Que puis deux fois dix ans ma Muse

Chantoit de toy dedens Paris:

B 3 Et dep [p. 22] Fac-simile de la page 22 ODES.

Et depuis deux ans ne refuse

20

Rechanter ton loz de grand pris.


Auant que cette ornee Lyre

Fut nee en France auec ce bruit,

I’auois voulu ton nom elire,

Qui plus cler qu’un Astre reluit.


25

Et se trouueroient bien encores

Vers & Prose que t’adressois:

Bien qu’alors n’escriuois comme ores

En ces Vers Liriques François.


Berault, ton homme docte & sage,

30

Auecques ton Doyen Basier,

Vers toy me dressoient le passage:

De moy se vouloient soucier.


Ie ne sçay quelle sympathie,

Ie ne sçay quel instruit ma meu,

35

Mais ma Muse en toy fut rauie,

Des que ie t’eù ouy & veu.


A Mons [p. 23] Fac-simile de la page ODES. 23

[8]A Monsieur Durfé, Cheualier de
L’ordre, & Gouuerneur de Mon-
seigneur le Dauphin.

ODE VIII.

Du vray honneur.

L’honneur souuerain est à Dieu,

L’honneur Eternel, & supreme:

L’honneur apres doit auoir lieu

Enuers les Saints, mais non de mesme.


5

L’honneur est deu à la Vertu,

L’honneur est deu à la Science,

Et à cil qui est reuestu

De Noblesse & prééminence.


L’honneur est deu à tous Seigneurs

10

Belliqueux, fuyuans nostre Sire:

Qui par armes, & par bons heurs

Font que l’ennemi se retire.


L’honneur est deu aux alliez

De Roys & illustres personnes:

15

Aux Edits qui sont publiez:

A toutes ordonnances bonnes.


B 4 L’hon [p. 24] Fac-simile de la page 24 ODES.

L’honneur est deu aux Gouuerneurs

De nos ieunes florissans Princes:

A leurs maistres, vrays enseigneurs

20

De bien gouuerner leur Prouinces:


L’honneur est deu à nos parens,

Au pais, & à nostre terre:

A tous bons amis apparens,

Qui ne cachent un cœur de pierre.


25

L’honneur est deu pareillement

(Dit Iuuenal) à la vieillesse:

Et fault quel’ soit reueremment

Honoree de la Ieunesse.


L’honneur n’est point deu vrayement

30

Au riche indigne (dit le Sage:)

Riche, qui n’est riche autrement

Que du vil terrestre auantage:


Il faut qu’il die grand merci

Mes grans biens, & grande richesse:

35

Et ne fault pas qu’il die ici

Grand merci Vertu & Sagesse.


Maint riche quiert est honnoré

En sa grand’ pompe, & brauerie,

En hab [p. 25] Fac-simile de la page ODES. 25

En habit, ou palais doré.

40

En trionfe, & en mommerie:


En braues cheuaus & harnois,

En spadaßins, & satellites,

Dont l’honneur ne donne trois noix,

Ny de tous ces fausses merites:


45

Ains l’honneur les fuit & fuira

D’une perpetuelle fuite:

Et arriere eus sans cesse ira,

Tousiours-tousiours, bien loing-bien vite.


Car ils le veulent prendre au doz,

50

A contrepoil, ou bien à force:

Et cuident attraper le loz

Par une surprise, ou entorse:


Mais luy ailé, volant bien loing

Se rit d’eus, & de leur emprise:

55

Et en riant il est tesmoing

De leur ignorance, ou sottise.


Ce que tu scez trop mieus que moy,

Toy qui es la mesme sagesse:

Et deuroit aprendre de toy

60

Celuy qui ce propos t’adresse.


B 5 Maint [p. 26] Fac-simile de la page 26 ODES.

Maint riche quiert donq ieuz & ris,

Et toute mondaine bobance.

Ce sont les points de luy cheris,

Qui le mettent en grand’ balance.


65

Mais toy qui la sainte Vertu,

Et toutes sciences caresses,

Iamais-iamais ne seras tu

Surpris de leurs delicatesses.


Außi Dieu, Vertu, & Sçauoir,

70

Deuant ce Croissant te font croistre:

Croissant qui par tout se fait voir

Ou la Vertu se peut connoistre.


[9]A Monsieur de Crussol, Comte de
Tonerre.

ODE IX.

Ta viue vertu qui s’auance,

Suit le trac, & chemin batu

De tes maieurs, dont l’excellence

Paruint à sommet de Vertu.


5

Saliat rempli de science

Et qui en elle t’ha instruit,

A la [p. 27] Fac-simile de la page ODES. 27

A la naturelle semence

Aiouta par art le bon fruict.


Ainsi auec l’Art, la Nature

10

Ne peut que tendre à bon effect:

L’arbre bon, en sa bonté dure

Tel que Nature & Art l’ont fait.


[10]A Monseigneur le Cardinal
de Chastillon.
ODE X.

Si notre Lyrique en sa lyre

Chante le loz de vingt ou trente

De ses amis: comme on peut lire,

Et voir en son euure aparente.


5

Bien qu’il die en quelque Antistrophe,

Que la Muse, qui est d’estime,

Quiert peu d’amis de bonne etoffe,

Et deus ou trois seuls elle anime:


Car elle estant de Dieu la fille

10

(Ainsi qu’il dit) ne se valette:

Et tel mot i’estime entre mille

Vn traict de la Muse discrette:


Moy [p. 28] Fac-simile de la page 28 ODES.

Moy Poëte epigrammataire

Et qui salue, & qui etreine,

15

Puis-ie pas louer, & ne taire

Six vingts Signeurs d’une voix pleine?


Mesmement qui suis la Fontaine

Nee au milieu de la grand’ ville,

Et coulant de naïue veine

20

Pour en abreuuer plus de mille?


L’Espaignol epigrammataire

Fit bien des amis dauantage,

Par ses beaux vers qu’il sceut bien faire

En la ville plus noble & sage.


25

Mais Marot à combien de sortes

De Signeurs escrit il en France?

Toutesfois ses Muses sont fortes

Sus la mort mesme à suffisance.


Et plusieurs autres bons Poëtes

30

François, Latins, & Italiques,

Auec leurs Muses franches nettes,

Et par leurs Vers bien veridiques,


À ceus qui ont quelque excellence

De leur tems, donnent renommee,

Renommee [p. 29] Fac-simile de la page ODES. 29 35

Renommee sans defaillance

De la Muse tousiours aymee.


I’ay fait ainsi, ou voulu faire,

Comme apert au chant de mes Muses,

Qui de bon vueil en tel affaire

40

Sont copieuses & diffuses.


Ie pren cas que mes epigrames

Soient les filez que ie veus tendre,

Pour trente amis de bonnes ames

Esprouuer, atirer & prendre:


45

Que retenir ie delibere

Et honorer auec ma Muse,

Qui d’une grace volontaire

Son bien aus bons onq ne refuse.


Mais quant aus autres qui m’eschapent,

50

Ou mesmement mes filez rompent,

Deus ou trois fois ne m’y atrapent,

S’ils m’ont trompé, plus ne m’y trompent.


Or ne sera iamais trompee

La Muse qui vers toy s’adresse,

55

La Muse à ton loz occupee,

Comme celle que ie te dresse.


A Mons [p. 30] Fac-simile de la page 30 ODES.

[11]A Monsieur de Saintgelais.
ODE XI.

Ie t’ay connu auant que te connoitre:

De moy, poßible, il t’en est pris ainsi:

Ie t’ay connu par Phebus, Prince & maitre,

Par qui tu as acquis grand nom außi.


5

Tu m’as connu, peut estre, par les graces,

Et par le nom en France assez connu,

Que m’ont donné les Mues & les Graces,

En poursuyuront, me rendant plus tenu:


Et connoitras de voix viue, & de face,

10

Quand te viendra à plaisir & loisir,

Celui qui tient de Phebeane race,

Mais qui pour tel trop mieus te veut choisir.


A Mons [p. 31] Fac-simile de la page ODES. 31

[12]A Monseigneur le Cardinal
de Chastillon.
ODE XII.

Les noms amis ie graueray

D’un fort ciseau, c’est de ma plume:

Et plus haut les eleueray

Qu’a l’Egypcienne coutume.


5

De tout haut euure terrien

Ce n’est auiourd’hui que risee:

Sus les beaus vers ne gaignent rien

Pyramide, ny Colisee.


Mais l’artifice, & batiment

10

Qu’aus Mecenas ie preten faire,

En mon esprit diuinement

Par Phebus se verra parfaire.


A Mons [p. 32] Fac-simile de la page 32 ODES.

[13]A Monsieur Danesius, Precepteur
des enfans du Roy.
ODE XII.

Mais pourquoy serois-ie confus

Pres de ta docte humanité,

Puis que ton disciple ie fus

En la grande Vniuersité?


5

De mon Vers ne fay donq refus,

Tesmoing à la postérité

De ce grand don en toy infus,

Digne de ta prosperité.


Aux [p. 33] Fac-simile de la page ODES. 33

[14]Aux doctes & vertueus Poëtes
François.
ODE XIIII.

Les beaus vers tousiours vers ont tel’ viuacité

Qu’ilz ne ne craingnent la foudre, & la mortalité.

O qu’à peu de gens c’est que la Muse fait grace

De suiure le haut trac de l’immortelle trace!

5

Viue vertu ne meurt, n’y honneur merité,

Ains luit deuant les yeus de la posterité.

Vos vertus, & vos vers, passans le mont Parnasse,

Iusqu’au plus haut des cieus vous ont aßigné place.


[15]A Pierre Pascal, Croniqueur
du Roy.
ODE XV.

Si le Philosophe ancien

Grand Philosophe Samien

Reuiuoit, & venoit en France,

Oyant ta Latine eloquence,

5

Il te diroit par grand bon heur,

De l’Arpinat l’ame & l’honneur

De l’Arpinat l’honneur & l’ame,

Que le Tybre encores reclame.


C A tresill [p. 34] Fac-simile de la page 34

A Tresillustres Princes & Princesses
Messeigneurs les enfants
du Roy.

Ces Enigmes ie vous presente:

(Princes) pour l’Etreine presente

C’est pour vostre eureuse Noblesse

Par fois ebatre en sa ieunesse.

5

Si trouuez ma rime facile,

Le sens n’en est moins difficile,

Mais quand apres l’obscurité

On voit reluire la clarté

D’esprit prompt en la question,

10

Là git la recreation.


S’EN
[p. 35] Fac-simile de la page 35

S’ENSVIVENT
TRENTE ET VN
Enigmes, nouuellement
composez en vers
François.
*

[1]Enigme Premier.

Ie vole haut en l’air par force,

Mais i’en descens sans qu’on m’efforce.


[2]II.

Si l[’]on dit que ie picque fort,

Ie ne picque qui ne me mord.


[3]III.

Ie rends l’esprit mille fois en un iour:

Ie le repren mille fois sans séiour.


[4]IIII.

Engendree de pere & de mere

Ne filz ne fille ie n’engendre:

Ie ne resemble à mere ou pere,

Mais à mes seurs sans bru, ne gendre.


C 2 I’ay [p. 36] Fac-simile de la page 36 ENIGMES

[5]V.

I’ay une teste, & un piéd seulement:

Ie fay dormir, & ne dors proprement.


[6]VI.

Ie suis une forest en l’eau

Replantee en païs nouueau.


[7]VII.

Ie suis petite teste ronde,

I’ay cent mil poilz sous ma rondeur:

Souuent ie vole en grand roideur

Sans montrer mes cheueux au monde.


[8]VIII.

Ie vis de neuf hommes la vie:

Le mal predis, mais sans enuie.


[9]IX.

Ie suis main, non pas en peinture:

Soit pres soit loing on me pourmeine:

Souuent le chaud & froid i’endure:

I’ay peau sans os, sans nerf ne veine.


[10]X.

I’ay robe blonde, blanche & dure:

Si on la rompt, la mort i’endure.


Ie ne [p. 37] Fac-simile de la page ENIGMES. 37

[11]XI.

Ie ne me voy, & si me voy:

Non fay, si fay: ce n’est pas moy.


[12]XII.

Ving seurs ou vingt freres nous sommes,

Separez en quatre parties:

Nous piquons bien plus fort qu’orties,

Sans nous ne vont femmes ny hommes.


[13]XIII.

I’honore l’homme, & le demontre:

Quand femme m’a, elle est un monstre.


[14]XIIII.

Ie suis außi rare que rien:

Ie ne crains point, on me craint bien.


[15]XV.

Ie me repose sus deux piedz,

Et de la teste ie chemine:

Quand mes deux pieds sont appuyez

Alors mon chemin ie termine:


[16]XVI.

Ie perds la vie & la repren,

Et à maints le chemin i’apren.


C 3 Ie [p. 38] Fac-simile de la page 38 ENIGMES

[17]XVII.

Ie n’ay qu’une ame seulement,

I’en auois deux hier seurement:

Mon corps n’est debout, ny aßis:

Or deuinez donc qui ie suis.


[18]XVIII.

Ie suis visible, & inuisible:

Ie suis, & si ie ne suis rien:

I’oste & ie donne maint grand bien:

Rien ne me fut onq impoßible:

5

Tost ie m’en vois, tost ie reuien,

Et tousiours chez l’homme paisible.


[19]XIX.

I’ay veu, & i’en puis bien parler,

Des gens qui cheminoient par l’air,

Et leur chemin entrelié

Estoit plus estroit que leur pié.


[20]XX.

De tout le monde suis loué

Pour ma beauté & ma richesse:

Ie suis un grand troupeau cloué,

Et si ie chemine sans cesse.


Les [p. 39] Fac-simile de la page ENIGMES 39

[21]XXI.

Les plus petis membres ie lie:

Et grand’ amour ie signifie.


[22]XXII.

Ie ne suis pas autrement fort,

Et si mange plus fort que moy,

Facilement & sans effort:

Dont ie mets les gens en esmoy.


[23]XXIII.

L[’]on ha veu enfant qui endure

Grand’ playe d’un poignard d’eau dure:

Ce dur froid poignard (chose vraye)

Se fondant en la chaulde playe.


[24]XXIIII.

Ie vois, ie viens, & parle à maints,

Conuersant entre les humains:

Ie suis moy: & ne suis en somme

Fille, femme, garson, ny homme.


[25]XXV.

Grand’ Royne sous le firmament,

Cecy auient communément,

Qui ha ta iouissance, craint:

Et qui ne l’a, tousiours se plaint.


C 4 Vne [p. 40] Fac-simile de la page 40 ENIGMES.

[26]XXVI.

Vne seur noire, un frere blanc engendre:

Mais tost le tue, & bien tost le rengendre.


[27]XXVII.

Ie n’ay poil, pieds, ny chair, ny sang, ny os,

Chez moy seulet tousiours prens mon repos:

I’ay yeux cornus quand les veux auancer:

Qui suis-ie donq? ie vous laisse à penser.


[28]XXVIII.

Quatre ou deux seurs, par bon accords

Cotoyons tousiours un grand corps.


[29]XXIX.

Masle ie suis aux grans oreilles,

Et ay enfanté des petis,

Tous vifs de mon ventre sortis:

Ne sont ce pas grandes merueilles?


[30]XXX.

Deux freres bien pres nous touchons,

En repos ensemble couchons:

Mais nous nous rencontrons de iour,

Nous frotans bien fort sans seiour

5

L’un l’autre à beaux grans coups de taille:

Plusieurs [p. 41] Fac-simile de la page ENIGMES 41

Plusieurs durant cette bataille

Se mettent en nous, helas!

Mais ils tombent bien tost à bas.


[31]XXXI.

Deux seurs sommes parmi le monde:

L’une & l’autre est en un sens ronde:

Toutes deux iointes proprement,

Toutes deux fortes seurement:

5

L’une ne bouge nuits ne iours,

L’autre vire-vire tousiours,

A tout le moins bien fort souuent,

Ou soit par l’eau, ou par le vent.

Le bien que le monde nous donne

10

Ce n’est pas pour notre personne:

Sans l’aualer nous le machons,

Et en mil pars nous le tranchons:

Le cœur n’auons chiche ou inique,

C’est tout pour le profit publique.


Fin des Enigmes

C 5
[p. 42] Fac-simile de la page 42 EPIGRAMMES.

[A Henry II]A TRESHAVT, TRES
magnanime, & treshumain
Roy de France Henry
second de ce
nom.
*

Lire par fois quelque Epigrame

Brief, en grace ou inuention,

Et fait à bonne intention

Au loz de maint Seigneur & Dame,

5

C’est honneste occupation,

De petite detention:

C’est (sans que ie ne louë, ou bláme

Royale recreation.


Etreines [p. 43] Fac-simile de la page EPIGRAMMES. 43

ETREINES AVX
plus grans Princes
de France:

[1]Et premierement,
Au Roy.

Puis qu’a plein poing tiens les cheueux

Du beau front chauue par derriere,

Ore-ore, encores mieux, tu peux,

(Et tu le peux bien si tu veux)

5

Tourner plus outre en plus arriere.


[2]Autre, au Roy mesme.

Roy belliqueux en cœur & corps,

En hauts faits-d’armes bien te plais:

Mais tandis entre les efforts

Ton sage esprit est bien recors

5

Qu’on fait la guerre pour la paix.


[3]Encores au Roy.

Ce grand Henry second-unique,

Illustre en race, en grace, en face,

Soit en loix du temps pacifique,

Pour grand bien de la Republique

5

(Qui tous autres grans biens surpasse)

Soit en hauts faits d’acte bellique,

Mille autres Roys passe & efface.


A Tresill [p. 44] Fac-simile de la page 44 EPIGRAMMES

[4]A tresillustre & tresflorissant Prince
Monseigneur le Dauphin.

Si l[’]on fait cas de maints Dauphins de mer,

Ie feray cas d’un seul Dauphin de terre,

Que ia se fait aymer & renommer

Depuis Corsegue à l’humide Angleterre.


[5]Encores, à mondit Seigneur le Dau-
phin , & à Monseigneur le
Duc d’Orleans.

Rare est des freres la concorde,

Ce dit Ouide apertement:

Mais l[’]on ha tel contentement

En votre vnitè sans discorde,

5

Qu’Ouide escriroit seurement

Qu’elle est grande en vous grandement:

Car Phebus de sa quarte Sphere,

Dont il voit tout tresclerement,

Ne voit tel frere auec tel frere.


[6]A Monseigneur le Reuerendissime
Cardinal de Bourbon.

Y eut il iamais Cardinal

Si hautement tresnoble & bon,

Qui fust parangon, ou egal,

Au grand Cardinal de Bourbon?


A Mons [p. 45] Fac-simile de la page EPIGRAMMES. 45

[7]A Monseigneur le Reuerendissime
Cardinal de Vendóme.

Estre aymé, ce dit Iuuenal,

Des grans, n’est pas peu de louange:

C’est pourquoy, orné Cardinal,

A ton loz ma Muse se range.


[8]Au Roy de Navarre, & Duc de
Vendóme.

C’est un nom composé bien rare

Que le Vandomois-Nauarrois,

Qui de haut noble lustre pare

Ducs, Duchesses, Roynes & Roys.


[9]A Monsieur d’Anguyen.

Ta race en honneur extollee

Par faits de magnanimité,

Et par actes d’humanité,

S’est consacree, & enrollee

5

A la haute immortalité.


[10]A Monsieur le Prince de Condé.

Quand la viue vertu ouuerte

Par le monde s’egareroit,

Ie ne l’estimerois à perte:

En vous on la retrouueroit.


A Mons [p. 46] Fac-simile de la page 46 EPIGRAMMES.

[11]A Monsieur le Prince de la
Roche surion.

Ton cœur en bien haut lieu aßis,

Comme Roche, constant & ferme,

En vertus en vaut deux fois six:

La Dame ailee ainsi l’afferme.


[12]A Monsieur de Montpensier.

Si ma Muse vers toy s’adresse

S’humiliant pour son deuoir,

C’est qu’elle ha enuie de voir

Et de saluer ta Noblesse.


[13]A Monsieur de Neuers.

I’espere que c’est à ton bon heur

Que i’honore maint grand Seigneur:

Or ie sçay que mes petis Vers

N’oubliront Monsieur de Neuers.


[14]A Tresillustre & florissant Prince
Monseigneur le Duc
de Lorraine.

De Noblesse & Vertu les traces

Sont en ce ieune Prince Illustre,

Luisant en biens, honneurs & graces,

En plein d’un beau naturel lustre.


A Mons [p. 47] Fac-simile de la page EPIGRAMMES. 47

[15]A Monsieur de Nemours.

Grande Noblesse, & grande humanité

En grand Seigneur sont bien iointes ensemble:

Grande prudence & animosité

L’une auec l’autre ici endroit s’assemble.


[16]A Monseigneur le Reuerendissime
Cardinal de Lorraine.

Ce grand Precesseur Cardinal,

Vray Mecenas, ami des Muses,

Te voit ià plus haut d’heur fatal,

Et non pas moindre, ains plus qu’egal

5

En grand’ faueur dont tu leurs uses.


[17]A Monseigneur le Cardinal
de Guïse.

Sous ce chapeau Cardinalin,

Dignité qui t’estoit bien due,

L[’]on voit plus cler qu’en cristallin

La pierre à son lustre rendue.


[18]A Messeigneurs les Ducs de Guïse
& d’Aumale, freres.

Soit à l’épée ou à la lance

Voici les Scipions de la France:

Soit pour bien garder une place

Deuant l’Imperiale face.


A Mons [p. 48] Fac-simile de la page 48 EPIGRAMMES.

[19]A Monsieur le grand Prieur de
France, leur frere.

Tu es grand de nom, & de fait:

Il faudroit doncques en effet

Que ma Muse consequemment

Te chantast außi grandement.


[20]A Monseigneur le Reuerendissime
Cardinal de Ferrare.

Ce n’est ici premierement

Que i’ay ton haut nom salué:

Mais non encore assez loué:

Car qui le lou’roit deuëment?


[21]A Monsieur le Prince de
Ferrare.

Illustre en race paternelle,

Illustre en race maternelle,

Tu ne peux qu’Illustre ne sois

Par sang Italique & François.


[22]A Monseigneur le Connestable.

Louer ton nom i’attente & ie desire:

Mais c’est entrer en une Mer profonde:

Souuent i’y entre, & souuent m’en retire:

Puis y rentrant ie me suffoque en l’onde.


A Mons [p. 49] Fac-simile de la page EPIGRAMMES. 49

[23]A Monseigneur l’Admiral.

Qui n’admireroit l’Admiral

Quand Neptune mesme l’admire?

Et deuant lui, son general,

Maint Triton courant se retire.


[24]A Monseigneur le Cardinal
de Chastillon.

C’est un beau nom que Chastillon:

C’est un fort nom pareillement:

La Muse, en ce disant ne ment,

Chastillon est son bastillon.


[25]A Monsieur le Mareschal de
Saint-André.

Force & prudence sont ici:

Ici sont la force & prudence:

Bon heur y est par euidence,

Bon heur ioint à l’honneur außi.


[26]A Monsieur le Mareschal
de Sedan.

Il me desplaist que ta proësse,

Ainsi bien iointe à grand’ Noblesse,

Dont tu estois grand grandement,

À si tost pris deffinement.


D A Mon [p. 50] Fac-simile de la page 50 EPIGRAMMES.

[27]A Monsieur le Mareschal
de Brissac.

Ma Muse chante qu’il est deu

L’honneur à toy tant honnorable,

Qui à nostre Roy as rendu

Le peuple ennemi fauorable.


[28]A Monsieur le Mareschal
Pierre Strose.

Tu es renommé toute part

Non moins par industrieux art

Et longue experiense acquise,

Que de force en hauts faits requise.


[29]A Monsieur le grand Escuyer.

L’œil de ma Muse ha bien choisi

En cette Court, sans l’oublier

Ce grand Seigneur, ce grand Boisy,

Grand vertueux, grand Escuyer.


[30]A Monsieur le Cardinal de
Tournon.

Qui est cil qui ha par tout nom?

Cil qui un beau College dresse?

Cil vers qui Minerue s’adresse?

C’est le Cardinal de Tournon.


A Mons [p. 51] Fac-simile de la page EPIGRAMMES 51

[31]A Monsieur le Cardinal de
Lixieux.

Ma Muse & moy auons les yeux

Sus la Vertu sans nul émoy:

Donq ce Cardinal de Lixieux

Honorerons ma Muse & moy.


[32]A Monsieur le Cardinal de la
Meudon.

Puis qu’Apollon m’a voulu faire

Cette grand’ grace, & ce beau don,

Ie ne les veux celer: ny taire

Ce bon Cardinal de Meudon.


[33]A Monsieur le Cardinal de la
Lenoncourt.

Qui est celuy dont le nom court

Par toute bouche, & par honneur?

Le mot le porte, par bon heur,

C’est le Cardinal Lenoncourt.


[34]A Monsieur le Cardinal de la
Giury.

Ainsi comme au dehors tu luis

En ce beau lustre Purpurin,

Autant au dedens tu reluis

En beau plus cler lustre Yuoirin.


D 2 A Mon [p. 52] Fac-simile de la page 52 EPIGRAMMES.

[35]A Monsieur le Cardinal
d’Armignac.

Les Vertueux, & les Sauans

Vont file-à file deuers toy:

Tes pas & traces vont suiuans,

Comme l[’]on dit, mais ie le voy.


[36]A Monsieur le Cardinal
du Bellay.

Mais, ô ma Muse, oubliras tu

Ce grand sauant plein de Vertu?

Ce grand Mecenas renommé,

Et pour sa Vertu tant aymé?


[37]A Monsieur le Cardinal
d’Anebault
.

Phebus dit que ce Cardinal

Fils du renommé Admiral,

Fils de l’Admiral renommé,

Sera par mes Vers bien nommé.


[38]A Monsieur le Chancelier.

Ma Muse des bons bien voulue

Voit luire en vous une constance,

Vne grand’ science & prestance,

Vne grand’ vertu resolue.


A Mon [p. 53] Fac-simile de la page EPIGRAMMES. 53

[39]A Monsieur Bertrandi, Garde des
seaux de France.

Phebus qui t’a esté humain

Te rendant santé douce & forte,

Par ce beau miracle il t’enhorte

Qu’aux Poëtes tiennes la main.


[40]A Monsieur d’Auanson President
au Conseil du Roy.

Ce beau nom qui est d’Auanson

Requiert un bien plus auant son,

Vn son de Muse plus hautaine

De Parisienne Fontaine.


[41]A Monsieur de l’Hospital, Maistre
des Requestes chez le Roy.

L’honneur de vertu & des Lettres

Toutes deux te donnans leur voix,

Font ton Nom luire entre mes metres

Comme il reluit entre tes Loix.


[42]A Monsieur le Vidáme de
Chartres.

Voicy l’amy de la Vertu,

De la Vertu iointe à Science:

Ma Muse, or sus, que luy fais tu?

Au moins fay luy la reuerence.


D 3 A Mon [p. 54] Fac-simile de la page 54 EPIGRAMMES.

[43]A Monsieur de Saintgelais.

Tes Muses te caressent tant,

Que te dois contenter d’autant:

Et n’en sera ia plus notoire

Ton nom, ton renom & ta gloire,

5

Si à present ie te rameine

Par ebat vers cette Fontaine.


[44]A Monsieur Lancelot Carle, Euesque
de Rhiez.

De ton sauoir le bruit qui court

Par toute France, & par la Court,

Incite ma Muse, & ma Lyre

Te saluer: & ore elire

5

Ce petit traict du petit Charle

Pour voler droit à ce grand Carle.


[45]A Monseigneur Durfé, Cheualier
de L’ordre, & Gouuerneur
de Monseigneur le
Dauphin.

Quand Phebus m’aura echaufé

Echaufé plus que maintenant,

Ie chanteray ce nom Durfé,

Durfé aux bons la main tenant.


A Mons [p. 55] Fac-simile de la page EPIGRAMMES. 55

[46]A Monsieur le Grand Rapporteur
Fumee.

Ici sont la Muse & la Loy,

Ici sont la Loy & la Muse,

Deux grans seurs tousiours auec toy,

Dont ton haut cœur iamais n’abuse.


[47]A Monsieur de Termes, Cheualier
de L’ordre.

Ie te prendrois pour un Vlisse.

Sans flaterie & sans malice:

Soit que cette taille t’auise,

Ou cette langue bien aprise.


[48]A Monsieur le Comte de Tonerre,
Seigneur de Crussol.

Ce n’est du iourdhuy seulement

Qu’à ma Muse donnez louange,

Qui vous donna en contr’échange

Vn translat fait nouuellement.


[49] Aux freres dudit Seigneur de Crussol,
ayans Saliat pour Precepteur.

Ma Muse escrit, & chante apertement

Que ne pouuez sinon vertueux estre:

Ayans beau corps, & bon entendement,

Et puis außi bonne Mere, & bon Maistre.


D 4 A Mon [p. 56] Fac-simile de la page 56 EPIGRAMMES.

[50]A Monsieur le Comte de Tande,
Gouuerneur pour le Roy en Prouence.

Ma Muse, il faut que tu entende

Saluer ce Comte de Tande,

Chantant tout hault que tu le comptes

Au nombre des vertueux Comtes.


[51]A Monsieur le Baron de la Garde,
Cheualier de L’ordre, & Ge-
neral des Galeres du Roy.

Par grand’ route de Terre & Mer,

Par grand’ route de Mer & Terre,

Tu as bien fait ton Nom semer

Des Thrace iusqu’en Angleterre.


[52]Au Capitaine Pierre Bon.

Souuent le fait conuient au nom,

Souuent au nom conuient le fait:

Que si quelcun doutoit que non,

La preuue en toy ores se fait.


ETREIN
[p. 57] Fac-simile de la page 57

ETREINES AVX
Princesses de France

[1]Et premierement,
A la Royne.

Royne en vertus, Royne en honneur,

Royne en royale progenie

Royne des plus grans biens munie,

Tu as le bon heur du bon heur,

5

Et les grans dons du grand donneur.


[2]Autre, à elle mesme.

Les cieux ne nous ont fait paroitre,

N’en plus d’honneurs & grandeurs croitre,

Vne autre Royne autant diuine

Qu’est cette Royne Caterine.


[3]A la Royne d’Escosse.

Voici la perle de tel lustre

Qu’Orient seroit ialous d’elle,

Perle sur diamant illustre,

Brillant en splendeur naturelle.


[4]A Madame Marguerite, Du-
chesse de Berri.

Ma Muse honnore en grand’liesse

L’humaine-diuine Deesse

D 5 Auant [p. 58] Fac-simile de la page 58 EPIGRAMMES

Auant mort immortalizee,

Qui nous fait reflorir sans cesse

5

Des Muses le champ Elisee.


[5]A la Royne de Nauarre.

Ma Muse n’ha teu, ny peu taire

Ta Marguerite blanchissant

(La franche fleur resplendissant

De toutes fleurs bel exemplaire)

5

Ny cette fleur d’icelle issant.


[6]A Madame de Montpensier.

Mon penser est de Montpensier

Chanter par mes vers & ma prose:

Mon stile n’est pas si großier

Que bien ne le puisse & ne l’oze.


[7]A Madame Renee de France,
Duchesse de Ferrare.

Le tant renommé Roy ton pere,

Et pere du peuple, est loué

En hauts faits de guerre prospere,

Ou son cœur de vertus doué,

5

Par destinee estoit voué:

Mais [p. 59] Fac-simile de la page EPIGRAMMES 59

Mais toy d’autre vertu douee,

Par grand’ bonté tu t’es vouee

A toute douceur & clemence:

En quoy seras sans fin louee,

10

Duchesse, & royale semence.


[8]A Madame la Duchesse de Touteuille,
& Comtesse de Saint Pol.

Voyant toutes vertus ensemble

En la Dame de Touteuille,

Dame en tous hauts dons tant fertile,

C’est Pallas mesme, ce me semble:

5

Ou bien fort elle luy resemble.


[9]A Madame de Neuers.

Ie ne fay ne Prose ne Vers

Que ma double Muse ne tire

Mon affection, qu’elle aspire

Chanter haut l’honneur de Neuers.


[10]A Madame la Princesse de
Touteuille.

En cette Princesse on voit luire

Beauté, ieunesse, & tout bon heur:

Leur place ici viennent elire

Les trois Graces pleines d’honneur.


A Mad [p. 60] Fac-simile de la page 60 EPIGRAMMES.

[11]A Madame la Duchesse
de Guïse.

La vertu, la beauté, la grace,

Le sçauoir, ici ont pris place:

Ce n’est pas ma Muse premiere

Aux vertus d’elle, & de sa mere.


[12]A Madame la Duchesse de
Valentinois, Diane
de Poitiers.

La grande Diane ancienne,

Grande Desse Ephesienne

Fut renommee & reclamee,

Et de maint Poëte clamee:

5

Mais la Dianne Francienne,

Dianne Saint-valierienne,

De la grand’ France tant aymee,

La surpasse ore en renommee.


[13]A Madame de Crussol, Comtesse
de Reindgraue.

Que faut il mes doigts trauailler

D’orner ton heureuse Noblesse?

Lignee, honneurs ioints à richesse

Tous les cieux t’ont voulu bailler.


A Mad [p. 61] Fac-simile de la page EPIGRAMMES 61

[14]A Madame la Comtesse
de Tonerre.

Qui te dit vertueuse, il n’erre,

Ie dy vertueuse & constante

Contre le feu, foudre ou tonnerre

Qui sus ton Tonerre te tente.


[1] AV ROY, A LA LOVAN-
ge de la trefue, & pour la poursuite de la Paix.

Puis que ce Roy en grandeur admirable

Tenant en main Fortune fauorable,

Et adoré comme un Soleil leuant

(Soleil soulas de tout homme viuant)

5

Puis que ce Roy, grand Roy de la grand’ France,

Grand de renom, mais plus grand de puissance,

Veut rappeller l’Astree, & l’embrasser,

Et à ces fins ha fait desia passer

La belle Trefue en son char apparente,

10

Tiré d’espoir, portant table d’attente

Par toute France, & Martial Piémont,

Son peuple à ioye & repos il semond:

Peuple esperant qu’apres la messagere

Dieu nous donra la iouïssance entiere

15

De la grand’ Dame heureuse & trionfante,

Qui tous grans biens seule en ce Monde enfante.


Au [p. 62] Fac-simile de la page 62 EPIGRAMMES.

[2]Au Roy.

Roy, fils de ce grand Roy de France,

Roy grand de nom & de puissance,

Pourroit ta petite Fontaine

Te donner suffisante etreine,

5

Quand te donroit plus que soymesme?

Ie di que non: mais, Roy supreme,

Mais ta largesse trouueroit,

Trop mieux dequoy m’estreneroit.


[3]Aus tresillustres Princes & Princesses de France.

Si mes dons & petis presens,

Que vous voyez ici presens,

Se presenter pour vos etreines,

Ne sont point d’etoffes hauteines

5

Ornez, enrichis, phalerez,

Diaprez, dorez, colorez:

Les Dieux reçoiuent des offrans

Les dons autant petis que grans:

Et par fois ont plus agreables

10

Les offrandes moins ostentables,

Venans d’un cœur deuot & dous.

Außi d’un poure homme à genous

Vn grand Prince reçut de l’eau,

De l’eau, pour present bien nouueau,

De [p. 63] Fac-simile de la page EPIGRAMMES. 63 15

De l’eau qu’il porteit en sa main,

Tant fut ce noble Prince humain:

Et l’eau du donneur n’estoit sienne.

Receuez donques cette eau mienne,

Eau de ma fonteine Francique,

20

Ressentant de la Thessalique,

Et presentee par la Muse

Qui chanter vos noms ne refuse:

Mais qu’außi vous ne refusez

Luy changer ses habits usez.


[4]Encores ausdits Princes
& Princesses.

Si vos grans vertus honorees

Ie n’ay bien au vif remirees

De mes yeux non assez agus,

Außi ne suis-ie pas Argus

5

Ie ne suis Argus Courtisan,

Mais de cœur votre partisan.


[5]A la nation Françoise.

I’escri en François doucement,

Qui en Latin pouuois escrire

Plus amplement & doctement,

Leur [p. 64] Fac-simile de la page 64 EPIGRAMMES.

Leur langue est plus ample à vray dire:

5

La notre honorer ie desire

Comme ont fait les Latins la leur:

Leur nation n’est plus en fleur,

La notre s’en va florissant,

Et croist auec ce grand Croissant

10

Que nous produist le grand François,

(C’est mon double Astre ou que ie sois,

Et quelque part qu’il vienne ou voise.)

Mais ne somme nous pas François?

Notre langue est-ell’ pas Françoise?


[6]Encore à ladite Nation.

O forts François, nation belliqueuse,

Que dites vous? le cœur vous croist il point?

Quand la Fortune, estant victorieuse,

Vous rid si bien? ou (parlant mieux à point)

5

Quand le Ciel mesme est vostre de tout point?

C’est celuy seul qui au droit donne force,

Et qui les Francs & leur fort droit renforce:

C’est luy qui or’ ce Croissant fauorise,

Contre lequel trop vainement s’efforce

10

L’Aigle qui ha Plus outre en sa deuise.


Au [p. 65] Fac-simile de la page EPIGRAMMES 65

[7]Au Roy.

Roy, qui n’as pareil que ton Pere,

Du cler Phebus amy prospere,

Fay que ma Muse droite & iuste

Te chante Mecenas Auguste:

5

Fay que ie chante que tu n’as

Rien moins d’Auguste & Mecenas.


[8]Au Princes & Princesses de France
& autres ses bons Seigneurs
& amis.

Bien que la mesnagere mouche

N’ait fait son miel dedens ma bouche

Ainsi qu’elle fit, ce dit on,

A ce ieune diuin Platon:

5

Mesme ce nonostant encore

Que, comme au bers de Stesicore

Le Roy des Chantres n’ait couché

Roßignolé, chanté, niché,

En mon berceau des mon enfance,

10

(Signe d’eloquente abondance)

Et que mon precepteur n’ait veu

Qu’il ait un blanc Cigne receu

Quand son disciple ie fus fait

Pour tendre à un art parfait:

E Chacnn [sic pour Chacun] [p. 66] Fac-simile de la page 66 EPIGRAMMES 15

Chacun de vous pourtant soit seur,

Que ma Muse n’est sans douceur,

Et que la vertu honoree

Sera par mes Vers decoree:

Si ce n’est bien eloquemment,

20

A tout le moins disertement


[9]A eux encores.

Si ma Muse ha, comme ie sens, puissance,

De viure, & voir longue postérité,

Vous en aurez la mesme iouissance,

Par votre Nom sur mes ailes porté.


[10]A Ioachin du Bellay, Pierre de Ronsard,
Estienne Iodelle, Baïf &
Oliuier de Maigni,
Poëtes.

Les vers Latins i’ay delaissez

Pour escrire en nos vers François,

Ou la Muse vous ha poussez.

C’estoit c’estoit aux temps passez,

5

Parauant ce grand Roy François

Qu’on brouilloit tout en Latinois.


A Mon [p. 67] Fac-simile de la page EPIGRAMMES. 67

[11]A Monsieur de Cheuriere.

Aller ne veux auant n’arrire,

Sans orner le nom de Cheuriere,

Nom de soy mesme bien orné:

Cheuriere est en toute maniere

5

A vertu & proesse né.


[12]A Monsieur de Pollienay.

Ton nom de ma Muse connu,

Ici sera graué & mis,

Afin d’estre le bien venu

Entre mes Seigneurs & amis.


[13]A Monsieur de Tyart.

Le grand sens & non petit art

Font haut renommer un Tyart,

Vn Tyart haut de nom, de fait,

Poëte & Orateur parfait.


[14]A Pierre de Ronsard, Poëte
du Roy.

Ne creins, ne creins, Ronsard, ce dous stile poursuiure,

Stile qui te fera, non moins que l’autre, viure:

Antre obscure & scabreux, s’il ne fait à blamer,

Si se fait il pourtant trop plus creindre qu’aymer.


E 2 Au [p. 68] Fac-simile de la page 68 EPIGRAMMES.

[15]Au Lecteur.

Si ie fay de diferens Vers

Et mes Epigrammes diuers,

Le plus grand Epigrammataire

Les souloit bien en ce point faire.


[16]A un certain medisant
enuieux.

Tu dis mes Vers froids en couleurs:

Les tiens sont ils mieux colorez?

Tu dis mes Vers mal sauourez,

Mais tu n’en fais point de meilleurs.


[17]Raison de son voyage
à la Court.

Si les meres des oisillons

Par les buissons & les sillons

S’en vont là bechee chercher,

Pour l’aporter à leur fruit cher:

5

Qui est ce qui blamer pourra

Ma Muse, quand elle courra

Vers celle grand’ Court honorable,

Des Muses l’honneur, & la table?

Pour y rechercher cinq miettes,

10

Sauuans mes cinq de grans disettes?

Mes [p. 69] Fac-simile de la page EPIGRAMMES. 69

Mes cinq petis, à brief parler,

Qui ne peuuent encor’ voler?

Mais quand, par temps, voler pourront,

Eux mesmes ils en chercheront.


[18]A Monsieur de l’Aubépine, Tresorier
de l’Espargne.

L’epine pique voirement,

Mais ce n’est pas donc cette ci:

Cette ci guerit meint tourment,

Et meint trauail & meint souci.


[19]A Iaques de Cambray, Conseiller, &
Aumonier du Roy, Chancelier
de Bourges & Ambassa-
deur en Trans-
syluanie .

Ton cler renom va bien auant

Auecques un lumineux ray

Luisant du Ponant au Leuant,

Par un lustre non faux, mais vray.

5

L[’]on entend ton beau nom Cambray

Louer, & aymer tout ensemble:

Mercure ha ta langue à l’essay,

Et ta barbe à Phebus ressemble.


E 3 A Guil [p. 70] Fac-simile de la page 70

[20]A Guillaume des autelz,
Poëte.

Apres tenir longues ou courtes tables,

L[’]on se recree aux cartes ou aux tables.

Mais le Poëte aux Vers tousiours s’amuse,

Et n’a plaisir sinon auec sa Muse.

5


[21]A Remi Belleau, Poëte.

Bon Ami, tu as un beau nom,

Et par ton Apollon renom:

Ton Nom conuient auec le mien,

Mon renom aproche du tien:

5

Car i’ay la Françoise Fontaine:

Tu as Bell’eau, bien viue & saine.


[22]Excuses à ses amis, & amis
de sa Muse.

Nul ne vienne ma Muse mordre

Touchant cette ordonnance ou ordre

Que ie tiens en mes Epigrames,

Escriuant aux Seigneurs & Dames.

5

A la Poétique maniere,

Qui soit deuant ou soit derriere

Ou en honneurs, ou en cheuance,

Ie n’en pren si grand’ connoissance.


A P. [p. 71] Fac-simile de la page EPIGRAMMES. 71

[23]A P. de Ronsard.

A ta grand’ Muse industrieuse

Apollon donne autorité:

Dont ton euure laborieuse

Sur le fort temps victorieuse,

5

Viura en la postérité.


[24]A Iean Dorat, Lecteur du Roy
en l’Vniuersité
de Paris.

Ton Nom tout d’or reluit en France,

Reluit, treluit à suffissance:

Mais ton sçauoir plus que tout d’or

Te fait bien mieux reluire encor.


[25]A Monsieur du Parq, Historiographe
du Roy, estant malade
à Paris.

Fontaine aura tresbelle Etreine

Quand son amy retournera

En bon heur, & en santé pleine:

Mais ce pendant l’estrenera

5

De l’immortelle eau de sa veine.


E 4 Au [p. 72] Fac-simile de la page 72 EPIGRAMMES.

[26]Au Lecteur.

Si ma Muse bien hault n’entonne,

I’emprunte bien peu de personne:

Et mes fruits sont bien recueillis

Qu’en mon iardinet i’ay cueillis.


[27]A Claude Laurencin, Seigneur
de Riuirie.

Ie te connois & reconnois

Pour bon vray Nestor Lyonnois,

Chanu de chef, de mœurs, & d’ans

Et bien rond dehors & dedens.


[28]A Monsieur le Lieutenant
Bryau.

Chacun voit, comme außi ie voy,

En vous trois grans couleurs ensemble,

L’honneur, la Vertu, & la Loy,

Loy qui au fin argent resemble.


[29]Au Chanoine Gauteret.

Deux ou trois ans Parisiens,

Et douze ou treize ans Lyonnois,

Nous trament ces beaux blancs liens

Que tu aymes & reconnois.


A l’Ec [p. 73] Fac-simile de la page EPIGRAMMES. 73

[30]A l’Ecuyer Caterin Iean.

Caterin reçoit mes pacquetz

Et mes lettres, non pas d’acquetz:

Caterin aura ce Quatrin,

Quatrin frais fait pour Caterin.


[31]Au Receueur François
Coulaud.

Peu parler, & bien auiser,

La vigilance en ton office,

Auecques prudence propice,

Sont les points qui te font priser.


[32]A Iean Seneton, & Iean de
Rochefort.

L’oncle & neueu sont double Fort

Qui se munit en double sorte

Pour defendre la maison forte

De Seneton & Rochefort.


[33]A Monsieur de Vens.

Eolus est Seigneur des Vents

Qui sont en nombre trentedeux:

Mais cure n’ha de luy ny d’eux

E 5 Ce [p. 74] Fac-simile de la page 74 EPIGRAMMES.

Ce Lyonnois Seigneur de Vens,

5

Qui prent tousiours en gré le temps:

Car pleuue ou vente, c’est tout un:

Auoir ne faut souci aucun

Des trente freres combatans.


[34]A Iean le ieune.

Ieune de nom, & ieune d’ans,

Mais meur de sens & bonne grace:

Prens ce Quatrein que ie te trace,

Car ton beau nom y luit dedans.


[35]A Marie Bourgeoise, petite fille
de cinq ans.

L[’]on dit Sapho Muse dixieme

Pour sa sçience en vers Lyrique:

Ie te diray la Muse onzieme

Pour ton bien chanter en Musique.


[36]Au Lecteur.

De mes Epigrammes le nombre,

S’il te fait ennuy ou encombre,

Et te charge la quantité

Quand en as leu, ou récité:

5

N’en ly plus que trois en effait,

Tu auras incontinent fait.


Autre [p. 75] Fac-simile de la page EPIGRAMMES. 75

[37]Autre.

Entre les grans ie n’omets pas

Les noms de mes plus grans amis,

Marchans en sçience à grans pas,

Par grans labeurs non intermis.


[38]A ses amis.

Mes Vers d’etreines vont courans

Parmi les moyens & les grans:

Außi entend tout homme humain

Que l[’]on à cinq doigts en la main.


[39]Au detracteur.

I’ecri aux petis, ce dis tu:

I’enten qu’ils sont gens de vertu:

A ton sens, moqueur Democrite,

Vertu est donc chose petite.


[40]Autre.

Iadis un Roy mesloit bien sa vaisselle

D’or & de terre, & si la trouuoit belle.


[41]A Pierre Saliat.

Iamais ie n’auray oubliance

De l’amitié & alliance

Qui est honneste & vertueuse:

Y ha il chose plus heureuse?


Autre [p. 76] Fac-simile de la page 76 EPIGRAMMES.

[42]Autre à luy mesme.

Voy que ce grand faucheur refuse,

Mais ne sçauroit faucher ma Muse:

Muse non iamais assouuie

Du loz de l’immortelle vie.


[43]A quelque detracteur,
euuieux.

Chacun epigramme à part soy

Ce n’est pas grand cas quant à toy:

Veux tu un mot qui tranche & coupe?

Außi n’est-ce pas quant à moy:

5

Mais au moins valent ils en troupe.


[44]Autre.

Tu dis que mes Vers sont petis:

Ils sont petis, ie le voy bien:

Ils sont petis, mais c’est du mien:

Petis aulx donnent appetis.


[45]Autre.

Tu dis que mes Vers sont petis:

Tant plus tót les auras tu leuz:

Ils sont petis (di peu subtils)

Ils sont petis, mais non chetifs:

5

Ils sont petis, mais bien-voulus.


A un [p. 77] Fac-simile de la page EPIGRAMMES. 77

[46]A un sien ami, nommé
la Tour.

Chacun me prend, & me prendra

(Dit il) pour toy, quand me verra,

Car ie te ressemble tant fort:

Contre chacun ne fay effort:

5

Chacun fera comme entendra:

Chacun dira ce qu’il voudra,

Mais si ne suis-ie point si fort.


[47]A Iean Fournaud.

Ainsi que ie me pourpensois,

Comment feray-ie recompense

A ses Vers Latins? mes François,

En nombre six tout à la fois,

5

Et tout à l’heure que i’y pense,

Se presentent tout en presence.


[48]A I. Gohorri, & Cl. Gruget,
Parisiens.

Et le païs, & le sçauoir,

Dont vos labeurs sont vrays tesmoins,

Vos deux beaux noms vous feront voir

En un Quatrain: c’est pour le moins.


Aux [p. 78] Fac-simile de la page 78 EPIGRAMMES.

[49]Aux doctes Poëtes & Orateurs
en la langue Françoise.

Que me font Latins anciens?

D’eux ie tire profit aux miens:

Si les miens n’entendent Latin,

Profit y auront, bien matin.

5

Ie vous voy grans esprits de France,

Mettre la France en florissance.

Poursuiuez (sus, là, hardiment)

En Prose & en Vers viuement.

Notre langue n’est si barbare

10

Que dit un latineur ignare.

Plutarque dit: Chacun harangue,

Et escriue bien en sa langue.


[50]A Alexis Gaudin, Medecin
à Bloys.

C’est un grand cas que l’alliance

Faite en Vertu, & en science!

Tu ne m’as veu, ie ne t’ay veu,

Qui es des meilleurs biens pourueu:

5

Et si sommes bien alliez,

Et des meilleurs liens liez.

Außi ie t’ay veu par escrit,

Ie t’ay bien veu en mon esprit.


A Iean [p. 79] Fac-simile de la page EPIGRAMMES. 79

[51]A George de la Boutiere.

Quatre quatrains bons & ouuerts

Ne te sufiroient pas encores,

Quand ia la France tu honores

Et par ta Prose & par tes Vers.


[52]A Iean Citois.

Chacun n’a pas & l’entree & l’honneur

Que ie te voy pour bon commencement:

Apres l’honneur ensuit tousiours bon heur,

Au moins souuent, & plus communement.

5

C’est peu de fait d’auoir auancement

Si l’honneur est delaißé en mespris:

Cheris le donq: car naturellement

Il suit ceux la qui lui rendent son pris.


[53] I.C. Iean Citois à C.B. Lyonnoise.

Incessamment depuis ta connoissance

Espoir en moy, d’une amour pure & sainte,

A eu pour but ton honneste acointance,

Ne querant mieux: tu le sais: ce n’est feinte.

5

Ce doux maintien, auec de Dieu la creinte,

Ioint à beauté, dont ie te voy ornee,

T’ha de tout point, ô Pucelle bien nee,

Outr’exaltee en grand loz & honneur.

Ie tiendrois donq grande ma destinee

10

Si ie pouuois ATINDRE A CE BON HEVR.


A elle [p. 80] Fac-simile de la page 80 EPIGRAMMES

[54]A elle encores, sur le commun
dire, que alliances sont
faites au Ciel.

Ie sçay fort bien que les Cieux ont infus

Cette vertu en l’Ambre & en l’Aimant

(Comme l[’]on voit) d’atraire fer, fetus,

Bien qu’on n’en sçait la cause proprement.

5

Garde n’auront toutefois bonnement

De s’acoupler, qu’un tiers ne les approche:

L’astre außi peu sert à deus s’entr’aymant,

Bonne amitié si premier ne les touche.


[55]Au Lecteur.

Veux tu sçaoir de Pucelle si gente,

Et de celuy qui meurt pour l’amour d’elle,

Les noms, surnoms, que (pour cause) ie cele?

Compris ils sont aux vers que te presente.

5


[56]A H.D.R. Lyonnoise.

Maints gens d’esprit osent prendre l’audace

De te hanter, pour entrer en ta grace:

Lesquelz tu sçais, d’un sçauoir moult prouide,

Tous contenter, sans que ton loz s’en change

5

Par mesdisans: & ne le trouue estrange,

Veu que tousiours RICHE VERTV TE GVIDE.


A auc [p. 81] Fac-simile de la page EPIGRAMMES 81

[57]A aucuns de ses amis, qui s’esbahis-
soient qu’il n’auoit esté
auancé par les
Princes.

I’ay des moyens (ie le say bien)

De rehausser mon petit bien:

Mais pour conclusion donner,

Ie n’ay le fait, ny le meintien

5

De flater, ny d’importuner.


[58]A un quidam, affermant que
le Soleil n’est essen-
ciellement
chault.

Le plus grand Ciel par son grand mouuement

Cerne le Monde en un naturel iour:

Lune & Soleil vont plus tardiuement,

Et chacun d’eux à part soy fait son tour,

5

Qui est diuers à ce rauissement.

Le plus hault Ciel, à ton sot iugement,

Vn accident ainsi violemment,

Deuroit trop plus donques luire & flammer:

Et pourroit bien, mouuant si roidement,

10

Tout l’Vniuers destruire & enflammer.


F A luy [p. 82] Fac-simile de la page 82 EPIGRAMMES

[59]A luy encores

Qui que tu sois, il ne m’en chaut:

Mais si say-ie tresbien un point,

Que Philosophe tu n’es point,

Niant que le Soleil soit chault.


[60]Encore contre cette folle
opinion.

Philosophie odieuse & nouuelle

Tu veux tenir, ô poure iugement!

Le Soleil ha, ce dis tu, seulement

Vne chaleur qui est accidentelle,

5

Acquise en luy par son seul mouuement:

Ie dy qu’il ha sa chaleur naturelle,

Et par effait nous la demontre telle.

Ne peut durer continuellement,

Si du subiet n’esteint l’essence belle.


[61]A un glorieux.

Tu veux l’honneur? il te fuira:

Ne le veux tu? il te suiura.


A un [p. 83] Fac-simile de la page EPIGRAMMES. 84 [sic pour 83]

[62]A un grand corrigeart.

En tes euures n’ay point apris

La douceur que me veux aprendre:

C’est bien fait, quand tu veux reprendre,

Garde toy bien d’estre repris.


[63]A Iaques Pelletier.

Ton euure assez de louenge te donne,

Et ce flambeau par toymesme alumé

De tel honneur & splendeur t’enuironne,

Que Phebus dit qu’aurois trop presumé

5

Si ie pensois à ton Nom cler-aymé,

Donner clarté par la mienne alumette:

Ou faire un vers plus net, & mieux limé

Que ce beau vers de ta Muse tant nette.


[64]A Monsieur Philander.

Quand Vitruue retourneroit

(S’il faloit croire à Pythagore)

En ton corps il retrouueroit

Que son ame reuit encore.


F 2 A l’Aut [p. 84] Fac-simile de la page EPIGRAMMES. 84

[65]L’Auteur à sa chaste
Flora.

Si i’ay pouuoir de faire viure

Mon Nom, ainsi comme ie croy,

Mal gré commun mortel desroy,

Le tien viura, par le mien suiure:

5

Toy auec moy, moy auec toy.


[66]Autre.

Tu es Florie & de mœurs & de nom,

Tes mœurs me sont plus ordorans que bâme,

Ton Nom plait fort, ô fleur sans aucun blâme,

Tu floriras par eternel renom.


[67]Encore, d’elle
mesme.

Florie vingt mil fois me lie

En ses vingt mil laz d’amitié,

Qui, de vingt mil Vers anoblie

Par ma Poësie polie,

5

Reluira trop plus qu’à moitié.


Ode, [p. 85] Fac-simile de la page ODE. 85

[68]Ode, de sadite
Flora.

Depuis que le saint Ceste

Me ioint à mon Alceste,

Plus libre ie me voy:


Chanteray-ie pas donques

5

La liberté qui onques

Ne faut en elle & moy?


Liberté vertueuse,

Et non voluptueuse

Dont la fin n’est qu’esmoy:


10

Ie la chanteray ores,

Rechnateray encores,

Car chanter ie la doy


Macrin à la louenge

De sa Gilon se renge,

15

Et moy à ma Flora:


De qui la floriture

Ma Muse en sa peinture

Par tout demontrera:


F 3 Ma [p. 86] Fac-simile de la page 86 ODES.

Ma Muse libre chante,

20

Et Flora libre vante

Au saint lien d’Amour:


Duquel la ligature

Etroite libre, & pure,

Nous lasse tout autour:


25

Et sans lasser nous lasse,

Relasse & entrelasse

En mille enlassans las:


Car de telle enlassure

Qui libre nous assure

30

Iamais ne sommes las.


[69]L’Auteur à ses cinq Florons, qui
sont les cinq petis enfans de
de luy, & de sa
Flora.

Par mes cinq labeurs pouuez voir

Comme à bien ie vous veux induire:

D’obeïr faites bon deuoir,

Et bon deuoir feray d’instruire.


Bonauent [p. 87] Fac-simile de la page EPIGRAMMES. 87

[70]Bonauenture du Tronchet,
à l’Auteur.

De tes Ruisseaux le cours tant gracieux,

Va coulant doux par notre heureuse France,

Y apportant certeine connoissance

Combien vers toy sont prodigues les cieux.

5

Chassant de toy le soing ambicieux

(Qui du vray bien forclot la iouïssance)

Tu vas chantant d’Amour la grand’ puissance,

Ses feuz, ses traits, ses faits audacieux.

On voit tousiours ta bouillante poitrine

10

En ta fureur, par ta Flora diuine,

Mettre en auant vos immortalitez.

Ie prie Amour, Amour qui nos cœurs lie,

Permettre ainsi que ma haute Thalie

Ayt par mes Vers ses honneurs meritez.


[71]A Apollon, pour ledit
Fontaine.

O cler Phebus, qui en cette Fontaine

Vas inspirant par ta force hautaine

Vn cours bruyant mille immortalitez,

Recompensant ses guerdons meritez,

5

Sois luy tousiours tant doux, & tant propice,

Qu’en exerceant dessous toy son office,

Pour un bon heur cent luy soient suscitez.


F 4 Resp [p. 88] Fac-simile de la page 88 EPIGRAMMES.

[72]Responses par l’Auteur audit
du Tronchet.

Pour un bon heur t’en soient suscitez mille,

Mil millions que tu as meritez,

Par ton Amour, & ta Muse gentille,

Mil millions de grans prosperitez.


[73]Au Seigneur Louïs des
Masures.

Ioye & douleur, contraires paßions,

D’un doux amer ont repeu ta docte ame:

Tes Vers plaintifs & lamentations,

Monstrent le dueil qui trop ton cœur entâme:

5

Ta lettre außi de Liesse ha le bâme,

Qui adoucit le coup de l’amertume.

Poëte amy, le Poëte l’[’]on blâme,

Qui tousiours trempe en triste ancre sa plume.


[74]Réponse à Charles Fontaine.

De Fortune ie ne me plains,

Ayant la douceur sauourée

Dont les Vers sont plains

En l’euure par toy labourée.


Ayant [p. 89] Fac-simile de la page EPIGRAMMES 89 5

Ayant de toy receu encor

L’ofre de ton amitié bonne,

A moy plus precieuse qu’or,

Ny perle que l’Orient donne.


Cette amitié veux-ie extoller:

10

De qui l’honneur par moy s’entende:

Et si auant puisse voler

Que l’Uniuers tant ne s’estende.


A ton pris toute autre vertu,

Bien que (modeste) tu la cœuures,

15

Sonne plus qu’à l’airain tortu

Par les Muses, & par tes euures.


Ie prise donques l’amitié,

Present de grace singuliere:

Qui entre nous deux par moitié

20

Demeure à iamais familiere.


Pas ne bruiroit tant à demy

Le renom qui auiourdhui reste,

Sans la seure foy de l’amy

Qui de bon cœur suiuit Oreste.


25

Or puis que par le don des Dieux

Ie reçoy l’heur tant desirable,

Et que de mon nom studieux

Tu te rends à moy fauorable.


Par ta dextre, & la sainte foy,

30

Ie t’obteste & requier (Fontaine)

F 5 Que [p. 90] Fac-simile de la page 90 EPIGRAMMES.

Que l’ofice & labeur de toy

Me donne quelque heure certaine:


Si qu’à l’imprimer de mes vers,

Dont en ton sçauoir ie me fie,

35

L’ordre se garde aux lieux diuers

Des points, & de l’ortorgrafie.


Sur les motz ne soit entrepris:

Les changer à nul il ne chaille,

Pour d’autruy n’usurper le pris,

40

Ou que par autrui ie ne faille.


Or tout à ta foy ie commetz:

Laquelle à mon secours i’inuoque.

En ce pendant pour tout iamais

Reçoy la mienne reciproque.


[75]De la mort de Iean Prunier,
Receueur de Lyonnois
& Forest.

La noire dame auec son dard

Ce grand Prunier ha abbatu,

Non tant par force ou par vertu

Comme par un traiturier art:

5

Car ce Prunier de part en part

Enraciné en bonne terre

Y tenoit bien fort, & bien serre,

Pour ne tomber si tót, mais tard,

Si n’eust [p. 91] Fac-simile de la page EPIGRAMMES 91

Si n’eust esté la trahison

10

De celle Dame sans raison,

Mais plus tót furie orde & nue

Cachee souz la continue,

Qui l’ébranla, puis l’abbatit,

Mais maint reietton en sortit.

15

Ces reiettons, ô masque noire,

Tout malgré toy reuerdiront,

Et bons & beaux fruits produiront,

Dont sera la tige en memoire.


[76]Contre fortune bon cœur.
Si fortuna tonat, caueto mergi.

ODE.

I’ay veu le tems außi noir que la poix.

I’ay veu les vents desbridez & sans Loix,

I’ay veu, par fois, vents, tempeste & tonnerre

Arbre arracher, ruer maisons par terre.


5

Iusques aux cieux i’ay veu monter la mer,

Iusqu’aux enfers ie l’ay veuë abimer:

I’ay ce pendant veu la póure nauire

Qui çà & là, haut & bas tourne & vire.


Ma [p. 92] Fac-simile de la page 92 EPIGRAMMES

Ma Muse iointe à la haute Vertu,

10

N’a point permis que fusse onq abbattu:

Plus haut qu’Enuie eleueray ma teste,

Guignant ça bas mer, vent, foudre & tempeste.


[77]Au Lieutenant Touchet
d’Orleans.

Ie n’ay amitié qui me touche

De plus pres, ami, que la tienne,

Bien éprouuee par la mienne

Ainsi comme l’or à la Touche.


[78]Au Secretaire Grauier

Si tu me porte amitié saine,

Cela n’est pas chose nouuelle:

Car, par la raison naturelle,

Le grauier porte la fontaine.


[79]A René Chandelier.

Vne prompte dextérité

Remplie de vertueux zele,

T’est une chose naturelle,

Naturelle en viuacité.


A Franç [p. 93] Fac-simile de la page EPIGRAMMES. 93

[80]A François l’Archer.

Hausse ici ton beau chef, ma Muse,

Et marche d’un pas plus hautain,

Pour saluer l’ami certain,

Qui iamais iamais ne refuse

5

De me voir, & d’ouir ma Muse.


[81]Contre aucuns par trop Se-
ueres censeurs.

Mes petits vers en stile bas

Que ma Muse voulut elire,

Sont les passetems & ebas

Ou ie ne puis ne me deduire:

5

Mais à qui donq peuuent-ils nuire?

Estre facheux? ou mal-plaisans?

Fors aux Stoïcs, que l[’]on peut dire

Graues, sourcilleux, & pesans?


[82]Autre.

Qui ha plus haut et riche stile,

Si l’admire, & le garde bien:

Mais au moins ne suis inutile

Ny chiche de mon petit bien.

5

Ce petit talent ancien

Que Dieu m’a donné, ie ne cache:

Si le [p. 94] Fac-simile de la page 94 EPIGRAMMES.

Si le talent nouueau ha rien

Meilleur, ie veux bien qu’on le sache.


[83]Autre.

Mais si feray-ie encores bruire

Cent traits de ma Muse Françoise,

Pour eblouïr, etonner, cuire,

À mon Censeur qui mes Vers croise:

5

Bien qu’à mon cœur son fait peu poise,

Ie sens ia renforcer ma Muse,

Dont la splendeur, ou que ie voise,

Me sera bouclier de Meduse.


[84]A Monsieur de la Source, Rece-
ueur de Lyonnois.

Ma veine par France coulante

Court vers vous sa petite course:

Car c’est bien chose conuenante

Que la fontaine ayme la Source.


[85]De trois siens amis Mede-
cins à Paris.

Quiconque est pres de ce grand Herebus,

Horrible & noir, à fin qu’il s’en retire,

Ne quiere point en la Grece Phebus,

Ni Machaon auecques Podalyre:

Ne [p. 95] Fac-simile de la page EPIGRAMMES. 95 5

Ne voise aux prez, pour des herbes elire:

Mais quiere droit Fernel, Granger, Planson:

Qui feront plus, si l[’]on croit à leur dire,

Qu’Orpheus ne fit par sa forte chanson.


[86]A Pontus de Tyart, Maurice
Sceue, & Guillaume
des autelz.

Vos clers-vifs esprits bien ouuers

Montrent vos Proses & beaux Vers

En notre langue maternelle:

(Mais que ne dy-ie paternelle?)

5

Beaux Vers qui point ne tomberont,

Ains tousiours sur leurs piez feront:

Sinon que la langue Françoise

Tombast un iour en Ecossoise.


[87]A Monsieur de Iugerie Medecin
de Monsieur le Cardinal de
Lorraine.

La Muse ha un long souuenir

De l’amitié dont on luy use:

Et les tems & gens à venir

Lou’ront ton amour & ma Muse.


Au [p. 96] Fac-simile de la page 96 EPIGRAMMES.

[88]Au Protenotaire de la Saulx.

Comme le saule, arbre utile & plaisant,

Se resiouit aux ruisseaux de fontaine,

Ainsi la Saulx, ami plaisir faisant,

Ayme & cherit ces beaux Vers de ma veine.


[89]A Charles de la Porte.

Quand ma Muse ses Vers vous porte,

Vous ne luy fermerez la porte:

Car c’est par la grace & le bien

Des Muses, que vous portez bien.


[90]A Bartelemi Teste.

Amitié demande amitié:

Bonne amitié tu m’as montree,

Et de moy ne l’as rencontree

Encores, sinon qu’à moitié:

5

Toutefois ma Muse s’apreste

Pour orner un iour cette teste.


[91]Au Tresorier Ferrier.

Puis qu’aymez donc ouir & lire

Mes Vers François, receuez or’

De cette Muse ce tresor,

Qu’elle vient tout nouueau produire.


Au [p. 97] Fac-simile de la page EPIGRAMMES. 97

[92]Au Seigneur de
Villette.

Qui dit que ma Muse valette?

Mais elle honore les amis:

Entre lesquels tu seras mis,

Orné du beau nom de Villette.


[93]A Iacques Dalechamps,
Medecin.

Tu marche auant dedens les champs

De l’immortelle Medecine,

Chassant maux les mortels fauchans,

Amy, & voisin Dalechamps:

5

Außi auec science insigne

Tu as une grace diuine.


[94]A Iean de Sylua, aussi
Medecin.

Suiuant la trace paternelle,

L’heur, & l’honneur qui sont en elle,

Tu ne peux qu’a tout bien venir:

A quoy te peuuent parfournir

5

Sauoir, ieunesse, & vertu belle.


G A ses [p. 98] Fac-simile de la page 98 EPIGRAMMES.

[95]A ses vrays amis.

Les gens presens, & qui sont à venir

De siecle en siecle en heureuse affluance,

Auront un long un treslong souuenir

Que vous auez à ma Muse alliance,

5

Qui me mettroit plus tót en oubliance

Que cette amour qu’a elle & moy portez:

Et retenez ce seul mot à fiance,

Tous vos grans biens ne vous feront point tels.


[96]Le but de l’Auteur.

Puis que l’homme est de Dieu l’image,

En l’honorant i’honore Dieu:

Mesme quand maint grand personnage

I’honore, qui tient maint grand lieu.


[97]A Iaques de Cambray, Conseiller &
Aumonier du Roy, Chancelier
Bourges.

Par fois aux grans Seigneurs i’adresse

Quelques gentils petis quatrains,

Se haussans en leur petitesse

Iusqu’à hanter les plus hauts trains

5

De race & Noblesse hautains.

Sans se rabaisser, ou rabatre,

Par fois außi se font certains,

Que quelcun d’eux en vault bien quatre.


P. de [p. 99] Fac-simile de la page EPIGRAMMES. 99

[98]A P. de Ronsard.

Nous auons perdu ton Brinon:

Perdu? tu me diras que non:

Car tousiours l’auons en memoire,

Qui ferons blanche sa mort noire.


[99]M. Chassagnon à
l’Auteur.

Par moyen de cheual Pegase

Vint la Fontaine Caballine:

Par moyen d’un diuin extase

Nous vient la tienne belle, insigne:

5

L’une est terrestre, mais diuine

L’autre voyons apertement:

L’une qui ha profondement

En terroir Grec, n’est mesprisee,

L’autre qui l’a diuinement

10

Doit el’ pas mieux estre prisee?


[100]Autre.

La Seine, en son eau bonne à boire,

La Saone, auec son pas douteux,

Auec son eau loing-courant, Loire,

Le Róne en son cours rioteux

5

Nous garde d’estre souffreteux

G 2 Des [p. 100] Fac-simile de la page 100 EPIGRAMMES.

Des biens à nos corps profitables:

Si cela les rend honorables.

Plus d’honneur soit à toy, Fontaine:

Car de l’esprit les biens durables

10

Nous parfournit ta Muse humaine.


[101]Response par l’Auteur.

Pegase, Seine, Saone, Loire,

Et Róne roidement roulant,

Sont & seront bien en memoire

Mal gré le faucheur violant,

5

Et le siecle tousiours volant:

Mais quant à ma fontaine clere,

En sa Muse, qui luy eclere,

Par France long temps coulera:

Et par mon Apollon i’espere

10

Que d’elle & moy l[’]on parlera.


[102]A ses Bons amis, amateurs
des Muses.

Homere aueugle benissoit

Par ses Vers Grecs ses bons amis:

Par ses Vers außi maudissoit

Et coniuroit ses ennemis

5

D’un stile non láche & remis.

Archil [p. 101] Fac-simile de la page EPIGRAMMES. 101

Archiloc fit bien le semblable,

Quand d’un stile agu effroyable

Contreignit Lycambe à se pendre:

Mais ma Muse ne veult pretendre

10

Fors à dire tout bien de tous:

Entre lesquels pouuez entendre

Que les mieux venus serez vous.


[103]Du bon vouloir & espoir de
l’Auteur.

Si Lachesis en mon endroit n’est lasche,

Ie parleray, aydant Phebus, ma tasche:

Tasche que i’ay pour Vertu entrepris,

Et qui aura sus mes euures le pris.


[104]Antonius Perardus ad Lectorem.

Fontani Musam mellitaque carmina, Lector,

Et quas huic vires Gallica lingua dedit,

Cùm bene gustaris, iure admirabere mecum:

Ac dices, vatis nomine dignus hic est.


[105]L’Auteur à Antoine Perard.

Ce nom Perard, amy Perard,

Me sent ie ne sçay quoy de hault:

Et l’equiuoque n’y deffault,

Car tout en toy se fait par art.


G 3 Resp [p. 102] Fac-simile de la page 102 EPIGRAMMES.

[106]Response par ledit
Perard

Quam mihi das artem, ni tu Fontane dedisses,

Fonti par poterat fortisan esse tuo.


[107]L’Auteur à Antoine Perard, &
à tous ses meilleurs
amis.

Si i’ay une simplicité

Auecques bien peu de parole:

Si i’ay par foys néceßité

Du bien mondain qui tost s’enuole:

5

Si iou’ray-ie si bien mon rolle

Que toute France m’entendra:

Et le plus Braue à mon école

Et dessous ma Muse aprendra.


[108]Ad Carolum Fontanum,
Io. Fournaudi te-
trastichon.

Te tua mortalem mater genuisse putabat:

Longius at viues Nestore, Carole mi.

Non, quæso, indocti cures ludibria vulgi,

Cùm placeas doctis, queis placuisse sat est.


L’Aut [p. 103] Fac-simile de la page EPIGRAMMES. 103

[109]L’Auteur à son filz Iean
Fontaine.

Fay peu d’amis, & à loisir:

Tu en auras moins de plaisir,

Mais außi moins de desplaisir.


[110]Autre, à son petit filz Iaques
Fontaine.

Mon filz Iaques, le bien i’acqueste,

Qui par la mort ne perira:

Mon filz Iaques, fay moy donc feste,

Et puis ma Muse te rira.


[111]A Pierre Voeriot, lors
qu’il pourtrayoit
l’Auteur.

De ma plume le petit trait,

Amy, si tu me pourtrais bien,

Te rendra encor mieux pourtrait

Que ce doux trait du pinceau tien

5

Ne va trassant ce pourtrait mien.


G 4 Od [p. 104] Fac-simile de la page 104

[fin]Odelette.

A petit de frais s’entretient

Le Poëte en sa douce veine:

Et rien d’auarice ne tient

Cil qui ha le nom de Fontaine.


5

Trente amis trente blocs d’escus,

Raclans de leur extr’ordinaire,

Feroient reuiure leurs vertus

Ayans Poëte debonnaire.


Cent escus ils ne plaindront pas

10

En menus plaisirs & delices,

Qui seront apres leur trespas

Cent braues tesmoins de leurs vices.


Voyant les gens tant aueuglez

Apres le vice allans si vite,

15

Si deprauez, si desraiglez,

Volontiers me rendrois Hermite.


HANTE LE FRANCOIS.

[p. 105] Fac-simile de la page 105

EXHORTATION
A MESSIEVRS DE
la Iustice, & du Consulat de la
ville de Lion, pour le bien
& honneur, augmen-
tation, & conser-
uation d’i-
celle.

ODE.

Vn beau grand temple iadis fut

En la belle ville Amazonienne

Qui sur tous autres renom eut

Pour la Vertu Dianienne.


5

Ce fut un grand chef d’euure, fait

En deux cens vingt ans sur la pleine:

Et pour se rendre plus parfait,

Il mit toute l’Asie en peine.


Fondé en lieu marécageux

10

Il fut, pour estre en asseurance

Du tremblement trop outrageux

De la grand’Mere qui s’élance


G 5 Et [p. 106] Fac-simile de la page 106 ODE.

Et se creuace en abaissant

Aucunefois maint edifice,

15

Que le ciel alloit menassant

Pour sa hauteur & artifice.


Là mirent cent vingt & deux Rois

Cent vingt & deux colomnes belles

De marbre, & hautes toutefois

20

De soixante pieds estoient elles:


Dont trente six y en auoit

Par grand artifice grauees:

Là l’outrage hardi viuoit

En mil images releuees.


25

Que diriez vous qu’il en auient

D’une euure de telle excellence?

Helas! le plus hault monté vient

Par fois en plus grand’ decadence.


Herostrat homme ambicieux

30

D’ambicion pernicieuse,

Outrecuidé, malicieux,

Brula cette euure somptueuse:


Seulem [p. 107] Fac-simile de la page ODE. 107

Seulement pour auoir renom

Immortel en terre mortelle,

35

Et immortalizer son nom

D’une note perpetuelle.


Votre Ville en trionfant bruit

Fut en une nuit consumee:

Voire de cette seule nuit

40

N’en resta que cendre & fumee.


Qui est un des merueilleux cas

Que l[’]on puisse voir ou entendre,

De voir en une nuit à bas

Vne grand’ ville, & toute en cendre:


45

Sans qu’il y eut guerre, ennemis,

Canonnemens, ny aucuns signe,

Ou quelconque doute premis

Qui presagist feu, ou ruine.


Ce cas auint tant seulement

50

Cent ans apres que ce Munace

Vous y dressa le batiment

Dont n’apparut plus que la place:


Soit [p. 108] Fac-simile de la page 108 ODE.

Soit par diuine volonté,

Punicion ou destinee,

55

Ou cas fortuit, tout comté,

Elle fut ainsi ruinee.


Ne te fie point trop auant,

Lyon, en ta grande abonce,

Car une nuit par cy deuant

60

Te mit ia toute en decadance.


Et que deuons nous esperer

De seur, en ce monde volage,

Qui durer puisse, & prosperer

Contre le mal, & contre l’aage?


65

Rien, fors le renom par Vertu:

Car seule bonne Renommee

Ha son corps & son chef vétu

D’Immortalité renommee.


Le renom acquis par honneur,

70

Non par moyen deshonorable,

C’est celui seul qui pour bon heur

Rend son possesseur perdurable.


Le bruit [p. 109] Fac-simile de la page ODE. 109

Le bruit de votre ville est grand,

Ville longue aßise sus Saone,

75

Et plus courant & apparant

Que n’est la Saone ni le Róne.


Chassez touiours les loups & rats

(Ruine de la Republique)

Et soyez bons, & non ingrats

80

Vers les bons (votre gloire unique.)


Soyez constans en dit & fait:

La chose au conseil arrétee,

Pour votre honneur sortisse effet . [sic pour ,]

Sans estre enfrainte ou retractee.


85

Puis deux mil ans Zaleuc, Torquat,

Sont estimez par leur constance,

L’un Iuge, ou Chef de Consulat,

Et l’autre Chef de l’ordonnance.


Fuyez ses pompes & estats,

90

Ces banquets & ces mommeries.

Et vous montrez vrays Potestats,

Publicoles sans plaideries.


Fuyez [p. 110] Fac-simile de la page 110 ODE.

Fuyez ces doux trompeurs flateurs,

Qui ont la langue emmiellee:

95

Fuyez außi ces grans vanteurs,

Ces vrays Trasons en la meslee.


Chacun de vous soit touiours prest

A donner secours au debile:

Et n’affligez par interest

100

Le póure, la vefue & pupille.


Par gens sauans de bonne mœurs

Faites votre ieunesse instruire,

Non par ces flateurs enchanteurs,

Qui d’autruy ne sauroient bien dire:


105

Qui font montre d’argent & or,

Plus que de vertu & science:

Qui sus un roseau de tresor

Ont leur appuy & confiance.


Trop mieux vault l’homme sans argent,

110

Que ne fait pas l’argent sans l’homme:

Le second est plus indigent,

Tesmoing Athene, Sparte & Romme.


Ie sçay [p. 111] Fac-simile de la page ODE. 111

Ie sçay que l’entendez tresbien:

Montrez donq de fait, ie vous prie,

115

Que ferez encor plus de bien

Que ce dont mon Vers vous supplie.


Mettez à raisonnable pris

Le viure le plus necessaire,

Comme fait mon païs, Paris,

120

Paris des villes l’exemplaire.


Chassez dißimulation,

Et sa fardee seur feintise,

Loing en quelque autre nation,

La notre n’est faite à leur guise.


125

Chassez le monstre Enuie, Orgueil

Et Auarice rapineuse,

Cuydans asseruir à leur vueil

La franche ville populeuse.


Que si perseuerez ainsi,

130

Votre grand’ville sus la Saone

Vous rendra de l’honneur außi

Plus que l’Ephese à l’Amazone.


FIN.