Essai
[f. 1 r] Fac-simile de la page

SOMMAIRE

LE IARDIN
D’AMOUR, AVEC
la Fontaine d’a-
mour,

Contenant Elegies, tant inuentees que
traduictes, Epistres, Epigram-
mes, & autres choses fort
plaisantes & re-
creatiues.

Le tout nouuellement imprimé.

[Marque d’imprimeur]

A Lyon,
Par Benoist Rigaud.
1572.



[f. 1 v] Fac-simile de la page





L’AVTEVR ET TRANSLA-
teur, adresse son liuret du Iardin
d’amours à l’amy bien ai-
mant, & bien aimé.

Mes petits vers querez l’amy

Qui a aimé, aime, aimera :

Et à bien aimer endormy

N’a esté, n’est, & ne sera.


Hante le François.









[f. 2 r] Fac-simile de la page [Bandeau] 2

A L’AMY BIEN AI-
mant, & bien aimé,
Salut.

C  omme par ce mois cy les an-
 ciens Romains, laissans la toge,
 qui estoit robe longue & hono-
 rable, se reuestoyent des petites
 robes bigarrees, qu’ils appeloy-
ent Syntheses, pour celebrer leurs Saturnales,
qui estoyent festes de six ou sept iours, en
l’honneur de Saturne, & enuoyoyent des pre-
sens les vns aux autres, faisans ce temps pen-
dant bonne chere de fruicts, & de ieune be-
stial, & lors toutes choses estoyent permises à
ceux qu’ils appeloyent serfs, pource que du
temps de Saturne, qui estoit en l’aage d’or, il
n’y auoit nuls serfs : Ainsi ie vous fay libremẽt
à present des petits fruicts de ma ieunesse vn
petit present (à fin que ie rime en prose) &
d’autant plus hardiment, que conferant le
tẽps moderne auec l’antique, & vostre Astre
auec le mien, ie seray, enuers tout esprit non
Stoique, plus excusable, si en ce temps ie ra-
meine mes petites folies (s’il faut ainsi dire)
A 2 [f. 2 v] Fac-simile de la page en ieu, pour recreer vn amy, & apres luy pos-
sible plus de cent. Aussi ne veux ie taire qu’au-
cuns dient que Ianus a premier mis en auant
icelles libres festes Saturnales, & que nos fe-
stes de Ianus, ou Ianuier, qui sont estrei-
nes, sont ja prochaines : au moyen de quoy,
soit comme estreines petites, ou comme pre-
sent de ligules, ou noix Saturnales (à la mode
du temps passé) ie ne doute que de joyeux vi-
sage receuerez ce que c’est, & non moins gra-
cieusemẽt que fistes, n’a pas long temps, mon
autre petit present : & ne cõdamnerez ny mes-
priserez la liberté du Iardin d’amour, de cil
qui ja est vostre serf, en tout honneur & ami-
tié : non plus que les sages Romains ne con-
damnoyent ny mesprisoyent la recreatiue li-
berté, ou libre recreation, & à dire autremẽt ,
la ioyeuse lasciueté, ou lasciue ioyeuseté de
leurs serfs, esdites festes Saturnales.

Quatrain à la louange d’Amour.

Le grand Seigneur Amour, est bien

De grand valeur, net & sans vice,

Quand ceux lesquels ne valent rien

Ne sont pas bons à son seruice.


Hante le François.

S’EN [f. 3 r] Fac-simile de la page 3 [Bandeau]

S’ENSVIVENT LES
Elegies traduites :

[1]Et premierement, traduction de la cin-
quieme Elegie du premier liure des
amours d’Ouide.

Le Poëte descrit comment il a em-
brassé la Corinne son amie.

I  l faisoit chaut, & estoit le my jour

 Dessus le lict me iettay en seiour :

 Demi ouuerte, & demy close aussi

 Fust la fenestre, & dõnãt iour ainsi

5

Comme forest demy claire & ombreuse :

Ou comme au soir sur la nuict tenebreuse,

Soleil couchant : ou nuict ia terminee,

Quand n’a le iour sa clarté ramenee.

Telle clarté obscure bien conuient

10

A toute fille (à qui vergongne aduient

Et siet tresbien) querant estre cachee.

Corinne vient en robe destachee,

Ses beaux cheueux sur son blanc col espars,

Qui se monstroit telle de toutes parts

A 3 [f. 3 v] Fac-simile de la page ELEGIES 15

Qu’on dit qu’alloit Semiramis la belle

En sa chambrette : ou bien se monstroit telle

Comme Lays bien aimee de mille.

Je romps sa robe, à rompre assez facile,

Elle resiste, & ne la veut lascher :

20

Mais, resistant sans beaucoup se fascher,

Comme voulant non vaincre, fut vaincue.


Quand elle fut deuant moy toute nue

Ie n’apperceu nulle tache en son corps.

O quels beaux bras & espaules alors

25

I’ay attouché & regardé ! O quelles

D’embrassemens plus dignes mãmelles !

Quel ventre rond sous estomac petit !

Quels forts costez ! O quel grand appetit !

Quel passetemps de jeune & ferme cuisse !

30

Mais quel besoin que le tout sauoir fisse ?

Le tout vaut trop. Ainsi l’ay ie pressee,

Et corps à corps toute nue embrassee,

Le reste on sait, tous deux dormimes las :

Souuent m’aduienne à my iour tel soulas.


[2]Traduction de la tierce Elegie du second
liure susdit : laquelle le Poëte adressoit
à l’eunuque qui auoit en garde & en
charge sa dame.

O le malheur, que toy n’hõme, ne femme,

Es cõmis garde à ta maistresse & dame ?

Toy [f. 4 r] Fac-simile de la page TRADVITES. 4

Toy qui sauoir & cognoistre ne peux

Les grans plaisirs que Venus donne à deux :

5

Cil qui chastra le premier enfant masle

Meritoit bien punition egale,

D’estre chastré, mesme playe endurant.

Si ton amour ia de long temps durant

Poursuyuoit dame, & sans l’elle iouyr

10

Tu serois doux, & prest à nous ouyr.

Tu n’es pas né aux cheuaux ny aux armes,

Ny à liurer de guerre les alarmes,

Et à ta main ne conuient point la lance,

Aux hommes est propre ceste vaillance.

15

Quitte l’espoir de faire office d’homme :

Mais il te faut tant seulement en somme

Estre d’accord auecques ta maistresse,

Sa grace acquier, fay qu’el’ t’ayme sans cesse.

Dy moy, sans elle à quoy seruirois tu ?

20

Ses ans, & yeux d’amoureuse vertu

Sont tous remplis : sa beauté, & sa grace

N’a merité que sans amy se passe.

Elle pouuoit tresbien te deceuoir,

Quoy que fascheux fusses à ton pouuoir :

25

On vient à chef quand deux tiennẽt la main.

Mais (mieux pour toy) d’vn moyen plus humain

Nous te prions (quoy qu’il n’est necessaire)

Ce temps pendant que tu peux plaisir faire.


A 4 [f. 4 v] Fac-simile de la page ELEGIES

[3]Traduction de la quatrieme Elegie du
second liure susdit. Le Poëte declare
qu’il est suiet & enclin à aimer les da
mes de toutes sortes & qualitez.

IE n’oserois mes folles mœurs deffendre,

Ny faussement pour elles armes prendre :

Confesser veux (si confesser profite)

Et contre moy mes vices ie recite.

5

Je hay, & si ne puis (qui est grand peine)

Ne desirer cela que i’ay en haine.

O qu’il est bien difficile à porter

Ce que tout on voudroit reietter !

Certes en moy mes forces defaillent,

10

Et nul moyen de resister me baillent :

Ie suis porté ainsi que la nauire

Qui ça & là l’eau rude tourne & vire.


Il n’y a point de certaine beauté

Par qui ie sois à l’amour incité :

15

Cent causes sont par qui i’aime tousjours.

Soit que quelqu’vne un peu rude en amours

Son œil honteux me iette, elle me dompte :

Ie brusle, & trop me deçoit ceste honte.

Si quelque autre a vn œil hardy qui poingt,

20

Elle me plait, car sotte elle n’est point :

Et si me donne espoir bien grandement

Que sur le lict elle a bon branlement :

S’elle [f. 5 r] Fac-simile de la page TRADVITES 5

S’elle est rebelle, ainsi que les Sabines,

Incontinent je dy que ce sont mines :

25

Et pense bien, encor qu’elle recule,

Qu’elle le veut, mais qu’elle dissimule :

Si docte elle est, ie l’aime pour cela

Que tel honneur de grand sauoir elle a :

S’elle n’est docte, alors d’autre costé

30

Elle me plait pour sa simplicité.


S’il y en a qui maintienne tresbien

Qu’aupres de moy Callimachus n’est rien,

Et que ses vers ne sont tels que ceux cy :

Puis que luy plais, elle me plait aussi.

35

S’il y en a quelque autre qui reprouue

Ma poësie, & bonne ne le trouue,

Ie vouldrois bien certes leuer la cuisse

D’elle blasmant, pour luy faire seruice.

S’elle va doux, ma plait sa douce alleure,

40

Si elle est lourde, ha, ce pense ie à l’heure,

On la pourra bien adoucir en somme

Quand elle aura vn peu gousté de l’homme :

A celle cy qui chante doucement,

Ayant la voix tant à commandement,

45

Quãd l’oy chanter en voix haute ou basse,

Bien voluntiers vn baiser desrobasse.

Ceste autre vient les cordes demener

De harpe & lutz, & tant bien fredonner :

Où est celuy d’entre tous les humains

50

Qui n’aimast fort ces tant expertes mains ?

A 5 [f. 5 v] Fac-simile de la page ELEGIES

Mais ceste là plait tant qu’on ne peut dire,

Quand elle bale, & par art ses bras vire :

Et quand on voit son gentil corps leger

De bonne grace en balant voltiger.

55

A celle fin que de moy ie me taise,

A qui n’est cas qui soudain ne me plaise,

En vn tel lieu mets y vn Hippolyte,

Il deuiendra vn Priapus bien vite.


Toy qui de corps es grande, en ta hautesse

60

Tu sembles bien quelque antique deesse,

Et te couchant tu remplis bien ta place.

Ceste petite est mignonne & a grace.

Brief, tout me plait : la grande & apparente

Et la petite aussi me brusle & tente.

65

Celle qui n’a vesture neuue & belle,

S’elle l’auoit, mais que seroit-ce d’elle ?

Celle qui est bien en ordre, demonstre

Que c’est que d’elle : O la belle rencontre.

A mes yeux plait la blanche, & la roussette :

70

Et Venus plait en sa couleur brunette.

Si cheueux noirs pendent de teste blanche

Par sus l’espaule, & iusques sur la hanche,

Leda plaisoit en noire cheueleure.

Si cheueux roux, Aurora claire & pure

75

Fut belle ainsi : ie me conforme à tout.

La ieune d’ans me tente iusqu’au bout

Par sa beauté, & l’autre par ses mœurs.

Brief, s’il en est que les yeux les plus seurs

Vont [f. 6 r] Fac-simile de la page TRADVITES 6

Vont estimant pour cecy ou cela,

80

Amoureux suis de toutes celles là.


[4]Traduction de la dixiesme Elegie du se-
cond liure susdit, laquelle le Poëte ad-
dresse à son amy Grecinus, soustenant
contre luy qu’un homme peut en mes-
me temps aimer deux femmes, & se
propose soymesme pour exemple.

TOy Grecinus, toy mesme (il m’en sou-
 uient)

Alloit disant qu’à nul homme n’aduient

En mesme temps des femmes aimer deux :

Ie suis deceu par toy, dont ie me deulx,

5

Et suis ainsi que sans armes surprins.

Voicy, ie suis d’amour de deux esprins

En mesme temps, & l’vne en braueté

Ressemble à l’autre, & aussi en beauté.

On peut douter laquelle est plus sauante :

10

Ceste cy est plus belle, & plus auenante

Que ceste là : & ceste là aussi

Pareillement l’est plus que ceste cy.

Ceste cy mieux me plait que ceste là,

Et ceste là que ceste cy : voilà

15

Ces deux amours puis ça puis là me tirent,

Comme la nef que vents contraires virent :

[f. 6 v] Fac-simile de la page ELEGIES

Car mon cœur est distrait & diuisé

En deux endroits ausquels il a visé.

Dame Venus pourquoy mes maux redoublent ?

20

N’a vne amie auec soy trop de troubles ?

Pourquoy mets tu des estoilles à plain

Au ciel luisant, lequel en est ia plein ?

Pourquoy mets tu de l’eau en la grand mer ?

Et du fueillage aux arbres viens semer ?

25

Mais toutesfois ainsi vient mieux que si

Ie demourois sans amoureux soucy.

Vie ainsi rude à mon ennemy vienne :

Qu’il couche en lict qui n’ait l’amie sienne,

A son plaisir qu’il se veautre à trauers :

30

Mais quant à moy, tienne mes yeux ouuerts

L’amour poignant, & si ie dors en somme,

Incontinent rompe mon lasche somme,

Et de mon lict le seul fardeau ne soye.

Vse de moy m’amie en toute ioye :

35

Et pour m’vser si ce n’est assez d’vne,

En viennent deux : à ce ie ne repugne :

Alaigres gens ne sont pourtant moins forts :

Nous n’auõs pas pesant, mais puissant corps.

Puis volupté à nos reins donnera

40

La nourriture, & les renforcera.

I’ay en tout lieu tresbien fait mon deuoir :

Et n’ay iamais deceu de son espoir

Aucune dame, & n’eus onc lascheté,

I’ay bien souuent en grande volupté

Passé [f. 7 r] Fac-simile de la page TRADVITES. 7 45

Passé la nuict, & le matin i’estoye

Dispost de corps, & tresbien me portoye.

Heureux celuy de qui la vie est bas

Par soustenir de Venus les combats :

Facent les dieux, de tel bien ie iouysse,

50

Que quelque fois ainsi mourir ie puisse.


Que le soldat s’arme d’vn halecret

Pour sauuegarde, & n’ait point de regret

Querir par sang loz qui point ne s’efface :

Que l’vsurier les richesses pourchasse,

55

Et boyue en fin sa bouche pariurante

L’eau de la mer que tant souuent il hante.

Mais quant à moy languir puisse & secher

Par mouuement du doux faict de la chair :

Et à la fin la mort me venant prendre

60

Face l’esprit en la besongne rendre :

Et que quelqu’vn pleurant dont ie desuie,

Die, tel mort conuenoit à ta vie.


[5]Traduction d’une Elegie de Catulle, de-
plorant la mort du passereau de son
amie.

PLeurez toutes choses plaisantes,

Et toutes personnes viuantes

De beauté, de grace, & bon port :

L’oiseau de ma mignonne est mort,

5

Lequel elle aimoit cent fois mieux

[f. 7 v] Fac-simile de la page ELEGIES

Que ses propres & tendres yeux :

Car il estoit plein de caresse.

Tant bien cognoissoit sa maistresse

Que la fillette fait sa mere.

10

Iamais ne se tiroit arriere

De son giron : mais maintenant

Puis ça, puis là se pourmenant,

Tousiours à sa maistresse seule

Crioit py, py. Qui ne s’en deule,

15

Quand à present il va la voye

Tenebreuse, & où n’a ioye

D’où n’est possible qu’il reuienne.

O tenebres, mal vous aduienne,

Tenebres d’enfer malheureuses,

20

Qui toutes choses amoureuses,

Belles & gentes rauissez.

Tant bel oiseau vous meurtrissez,

Tant doux passereau & plaisant.

O meschant sort, dur & pesant !

25

O malheureux oiseau, par toy

Maintenant les beaux yeux ie voy

De ma mignonne auec douleur

Enflez, & rouges de grand pleur.


[6]Traduction de ce que Catulle escriuoit à
son amie, touchant qu’il veut prendre
son passetemps en amour auec elle pen
dant [f. 8 r] Fac-simile de la page TRADVITES 8
dant qu’il est en vie, & n’engendrer
aucune melencolie pour les biens ne
les propos du monde.

VIuons amie, & nous aimons,

Et tous les propos n’estimons

Vn rouge double, des legeres

Langues de tous vieilards seueres.

5

Le Soleil s’en va, puis retourne,

Mais aussi tost que se destourne

Le petit train de nos briefs iours,

Nous dormons la nuict à tousjours.

Cà donc ma mignonne gentile

10

Cent petits baisers, & puis mille :

Puis autre cent, & mille aussi :

Et quand nous aurons fait ainsi

Inifinis mille, en bien grand nombre,

Les meslerons, qu’on ne les nombre,

15

Et qu’onques ne sachions combien

Nous en aurons ia fait : ou bien

Qu’enuie n’ait quelque meschant

Tel nombre de baisers sachant.

Fin des Elegies traduites


A 8 [f. 8 v] Fac-simile de la page ELEGIES

S’ensuyuent les Elegies inuẽtees par l’au-
teur.

[1]Et premierement, Elegie à la
louange de la nouuelle fleur.

LA fleur des fleurs qui en ce temps florit,

Dont la couleur & odeur ne perit,

Descrire veux : soyez donques, ô Muses,

En mon esprit, & en mes vers infuses.

5

Et toy Flora, des fleurs deesse digne,

Inspire moy par ta vertu benigne.


Communement on estime vne fleur

Pour trois raisons, ou c’est pour la couleur,

Ou pour l’odeur, ou pour la saueur bonne :

10

L’vn resjouit les yeux de la personne,

L’autre le nez, le tiers la langue aussi :

Bien peu ou point ont ces trois vertus cy :

Car maintes fleurs, qui ont force et vigueur,

Sont defaillans en beauté de couleur :

15

Et maintes sont en beauté fort heureuses,

Qui n’ont bonté ny odeur gracieuses.

Si donc la fleur que ie veux louër ores

A tout cela, & d’auantage encores,

Combien doit elle estre plus estimee,

20

Et pour tels biens sur toutes bien aimee ?

Beauté, bonté, & grand vertu en elle

Font leur seiour : car elle est tousiours belle,

Bonne au parfait, vertueuse & puissante.

Par la beauté elle se rend plaisante :

Par [f. 9 r] Fac-simile de la page INVENTEES. 9 25

Par la bonté, heureuse & desirable :

Par la vertu elle est faite admirable :

Pour dire en brief, ses grands proprietez

Sont à tous maux & toutes malheurtez

Remede seur. Contre l’obscur elle a

30

Vne clarté qui splendit tresbien là :

Contre tristesse elle apporte liesse :

Contre folie elle donne sagesse :

Contre courroux, amitié & douceur :

Et contre orgueil humilité de cœur :

35

Contre ignorance elle apporte science :

Et doux espoir contre l’impatience.


Ceste fleur n’est rose ny marguerite,

Mais c’est la fleur qui tresgrand heur merite.

Ceste fleur digne, excellente & tant rare,

40

Qui le mauuais d’auec le bon separe,

Ne croist en Inde, encor moins en Afrique,

Mais en Europe elle croist & s’applique :

En celle terre ou les deux fleuues grans

Droit en la mer du Midy vont courans.

45

Onc Eusculape, & son pere Phebus,

Lequel fut dieu de tous les prés herbus

Ne la congnu : ny Enone s’amie,

Qui la vertu des fleurs n’ignora mie :

Car elle a prins seulement sa croissance

50

Ce temps heureux en ceste heureuse France,

Regnant François, premier du nom François.

Et surpassant tous autres Rois Frãçois.

B [f. 9 v] Fac-simile de la page ELEGIES

Là se maintient en son lieu compassé

La fleur passant les fleurs du temps passé :

55

Là se maintient, & de soy se contente,

Car à plusieurs elle n’est apparente.

O bien heureux à qui elle apert bien,

Et plus heureux qui se sent de son bien !


[2]Elegie contenant description de la venue
& de la beauté, & bonne grace d’une
dame, auec laquelle l’auteur print al-
liance.

DVrant le temps que le cruel dieu Mars

Auoit quitté vouges & braquemars,

Et que la paix du haut ciel descendue

S’estoit sur France & Espaigne espandue,

5

Le dieu d’amour, qui tout seul cheminoit

Parmy la France, adonques machinoit

De me liurer dedans mon cœur la guerre,

Et le briser aussi aisé qu’vn verre :

Disant ainsi, Si Mars cesse son cours,

10

Ne cesseray pourtant ne nuicts ne iours

Que roidemment mes fleches ie ne tire.

Lors en saison que le chaut se retire,

Et que le froit s’en vient tout pas à pas,

En la saison qu’aux arbres n’y a pas

15

Fueille, ne fruict, & que le vent de bise

Foyte [f. 10 r] Fac-simile de la page INVENTEES. 10

Foyte les naufs, & les maisons desbrise :

A brief parler en la morte saison,

Lors que chacun est clos en sa maison,

Dedans mon cœur sentois la saison viue,

20

Et vn prin temps plein de douceur nayue,

Me produisant, ainsi qu’un renouueau,

Dedans le cœur & fleur & fruit nouueau :

C’est à sauoir, mil pensees secrettes,

Ainsi que fleurs gentes & nouuelettes,

25

Et de tant plus que l’esté se passoit,

Tant plus mon cœur de fleurs se tapissoit.

Car cõme aux chãps toutes fleurs declinoyẽt ,

Dedans mon cœur de croistre ne finoyent :

Et fait à fait qu’aux champs le chaud passoit,

30

Le chaud esté dans mon cœur s’auansoit.

A vostre auis, & ie vous pry pensez

Si ce n’estoit pour m’esbahir assez ?

Ha dy ie alors, voicy vn grand presage :

Ha ie sen bien que c’est quelque message

35

D’vn bien prochain, & de quelque bon heur.

Trois iours apres, vne dame d’honneur

Ie vy venir de lointaine contree,

Bien brauement paree & accoustree,

Qui bien monstroit à son port & maintien

40

Qu’elle estoit noble, & tout seur ie m’en tien.

Ainsi venoit de contree lointaine

Laissant la Saone, à fin de voir la Seine :

Car elle auoit laissé l’affection

B 2 [f. 10 v] Fac-simile de la page ELEGIES

Qu’elle portoit au doux & grand Lyon,

45

Pour venir voir Paris ce beau berger,

Lequel voulut à Venus adiuger

La pomme d’or. Cependant auec elle

Faisoit porter, la dame noble & belle,

Vn cabinet lequel n’estoit pas vague,

50

Mais estoffé de mainte riche bague.


Quand ie la vey sur sa belle monture,

Incontinent voicy dame nature

Qui m’enuoya au front vne sueur,

Et m’esblouyt de si grande lueur :

55

Car la beauté qu’en sa face i’admire

Reluit si fort qu’en icelle on se mire,

Comme on feroit en vn tresclair miroir

Qui fait au vif toute chose apparoir.

A bien parler, sa face vous rend lustre

60

Plus que cristal lumineux et illustre :

Ses iouës sont deux roses souëf flairantes,

Et ses deux yeux deux estoilles luisantes,

Ses cheueux blonds, troussez au coin de l’œil,

Luisent autant que les raiz du Soleil.

65

O (dy ie lors) ô cheueulure blonde,

Certes tu es la plus belle du monde :

O (dy ie lors) ô cheuelure digne,

Que la main est heureuse qui te pigne :

Chef reluisant, & cheueux bien troussez,

70

O doigts heureux lesquels vous ont dressez.

Puis contemplay ces deux leures vermeilles

Plus [f. 11 r] Fac-simile de la page INVENTEES. 11

Plus que courail en beauté nompareilles,

Lors tout soudain me senty, & me vey

En vn souhait de les baiser rauy :

75

Et si ne peu me tenir qu’à grand peine,

Que de plus pres ie n’eusse leur alaine.

O quel baiser (disoit ie) ce seroit,

Vn tel baiser les morts susciteroit.

Si sage elle est que n’en eust fait refus,

80

Mais toutesfois en ce constant ie fus.

I’auisay puis son corps fait à souhait,

Qui demonstroit loger vn cœur dehait.

O bien heureux qui du cœur a la grace,

Et plus heureux qui cœur & corps embrace,

85

Pres qui mon cœur comme neige se fond.

Ie contemplay encor son large front,

Lequel estoit plus blanc que blanc marbre :

Son œil plus vert que n’est la fueille en l’arbre

Lors de splendeur iceluy reuestit,

90

Et d’vn destin quant & quant m’aduertit.


Deux iours deuant qu’elle fut arriuee

Son fourrier vint en la maison priuee,

Là où i’estois, & le logis auoit

Desia marqué, comme faire sauoit.

95

Là arriua la dame : à sa venue

La saluay, ma teste toute nue,

Genoil ployé. A son soupper i’assiste,

La contemplant mon œil prins ne desiste.

Ia commençoit, ie vous puis affier

B 3 [f. 11 v] Fac-simile de la page ELEGIES 100

Le bon presage à se verifier.


Qu’est il besoin reciter le seruice

Des mets diuers, & les propos sans vice

Mis en auant par la dame honorable,

Bien poursuyuis, soit à table ou hors table ?

105

Vn parler franc auoit tant gracieux

Comme de sens hautain & precieux,

Iamais vn mot ne repetoit deux fois,

Iamais aussi ne refraignoit sa voix.

Je ne faindray la dire en corps & ame,

110

En faits & dits la nompareille dame.

C’est en beauté la seconde Lucresse,

Venus en grace, ains encores plus est ce.

C’est Penelope en constance & douceur,

C’est vn miroer de tous biens pour tout seur.

115

De iour en iour vers sa grande beauté

Ie gaigne un poinct de quelque priuauté :

De iour en iour quelque gracieux conte

Qu’elle me fait, chasse ma crainte & honte.

L’on dit bien vray, maiesté & amour

120

En mesme lieu ne font iamais seiour.

De plus en plus sa grace & accointance

Me fournissoit d’amour quelque pitance.

Tant plus i’en ay, tant plus i’en veux auoir :

Tant plus la voy, & tant plus la veux voir :

125

Plus ie la voy, plus en elle me mire :

Plus l’ay presente, & plus ie la desire.

Plus l’oy parler, & plus la veux ie ouyr :

Tant [f. 12 r] Fac-simile de la page INVENTEES. 12

Tant seulement me restoit le iouyr.


La main auoit si bien faite à l’aiguille,

130

A bien ouurer si prompte, & si habile,

Qu’elle en faisoit tout ce qu’elle vouloit :

Et luy sembloit que son cœur luy voloit

Quand elle auoit, non du commun vsage,

Quelque patron, ou la main en l’ouurage :

135

Mais n’en laissoit de certain temps elire

Pour s’occuper à escrire, & à lire.


Ie la voyois proprement, & à point

Tant bien ouurer, ou soit à petit point,

A point carré, ou à point de Hongrie.

140

Là ie voyois vne tapisserie

D’ouurage sien : maint ciel bien façonné,

Et de couleurs richement ordonné.

A vostre auis heureux estois ie pas

Quand, soit deuant, soit apres le repas,

145

Auec la dame, aux yeux tant gracieux,

Ie me trouuoye au beau milieu des cieux ?


Là ie voyois plusieurs braues quarreaux :

Là ie voyois des fleurs & fruicts tant beaux,

Qu’ils m’engendroyent tout petit à petit

150

De les cueillir & manger l’appetit.

Vn iour auint, comme ie n’y pensoye,

De ses mains cheut son peloton de soye,

Ie ne fus pas endormy, seurement,

Ains le leuay gayment & dignement,

155

Puis luy rendy : luy rendant ie la baise :

B 4 [f. 12 v] Fac-simile de la page ELEGIES

Cent mil tresors ne m’eussent fait plus aise.


Quant à l’issue, ores ie ne la conte,

Auant le faict ne faut faire le conte.


[3]Elegie, ou Complainte de Venus à son fils
Cupido, de ce qu’il n’auoit rendu l’au-
teur amoureux : auec la respõse de Cu-
pido : le tout par description d’un son-
ge & vision de l’auteur, cõme s’ensuit.

AV mois de May plaisant & gracieux

Me pourmenois en vn champ spacieux,

Tout resiouy de la saison nouuelle :

Là contemplois force verdure belle,

5

Et maintes fleurs que maint passant flora,

Qu’auoit semé la deesse Flora,

Et Zephirus les conseruoit en estre,

Les alenoit, & faisoit souëfues estre.

Puis sur ces fleurs & herbes ie me couche,

10

Comme dessus vne bien molle couche.

Et pour garder la chaleur du Soleil

De me donner sur la teste & sur l’œil,

Derriere moy vn arbre estoit planté,

Qui verdoyoit, iettant fleurs à planté.


15

Alors, & comme en tel estat i’estoye,

A sommeiller bien dispost me sentoye.

En sommeillant, ainsi comme ie songe,

Se [f. 13 r] Fac-simile de la page INVENTEES. 13

Se presenta à mon esprit vn songe :

Auis me fut que Venus la deesse,

20

Dame d’amour, & de toute liesse,

Qui pour certain m’auoit auisé là,

Deuers son fils Cupido s’en alla,

Dedans son char, qu’en ordre & beau parage

Coulomb tiroyent, auec leur blanc plumage.

25

Pres d’elle auoit trois gentiles pucelles,

C’est à sauoir les trois Charites belles,

Qui en habits se tenoyent proprement :

Blanc taffetas fut leur accoustrement,

Lors à son fils, non selon sa coustume,

30

Tint propos tel, & meslé d’amertume.


Mon petit fils, mais de puissance grand,

Que pour enfant, & pour vn dieu l’on prend,

I’ay veu jadis que ta fleche dressas

Si ferme, & droit, que vainquis, & blessas

35

Tant d’hommes forts, & gens cheualeureux,

Les rendant forts au combat amoureux.

Tu as dompté souuent femmes & hommes,

Et les as fait d’amour porter les sommes.

Mais ce n’est riẽ , plus qu’hommes estre fort,

40

Contre les dieux tu as bien fait effort :

T’ay-ie pas veu si tresaudacieux

Que les as fait descendre des hauts cieux ?

Et maintenant as tu puissance moindre ?

Auec Rhea tu as peu Mars conioindre :

45

Et si as fait laisser à Juppiter

B 5 [f. 13 v] Fac-simile de la page ELEGIES

Son throne haut pour Leda visiter.

Aurora gente, & le vieil Titonus

Par tant de nuicts tu les as ioints tous nuds,

Qui bien souuent ont retenu le iour,

50

Prenans eux deux leur esbat & seiour.

Auec Tethis tu as conioint Neptune.

Maintenant donc qu’as tu ? quelle fortune ?

Pourquoy ne peux de ta puissance vser ?

Ne doy-ie pas à bon droit t’accuser ?

55

Enfant tardif, plus pesant qu’vne vache,

Comment se fait que ton arc est si lasche ?

Le voilà bas par terre desbandé :

Pourquoy n’est-il, comme il souloit, bandé ?

Fleches par trop se gastent en ta trousse :

60

Ce n’est à tort qu’à toy ie me courrousse

O cœur failly, plus que trop nonchalant,

Qui autres fois fus si preux & vaillant !

Ce ieune fils, qui en ce champ repose,

De qui l’esprit mesme en dormant compose,

65

Voulut il pas contre nous estriuer,

Tant que n’as peu le vaincre cest hyuer ?

Sus, tout soudain pren ton arc, & luy monstre

Qu’il ne peut plus resister à l’encontre

De ton pouuoir : tire fort, naure, & fier

70

Son cœur, vers nous tant orgueilleux et fier.


Adonc respond, en voix non si amere,

Le ieune enfant Cupido à sa mere :

D’où peut venir, ma mere, ce parler,

Lequel [f. 14 r] Fac-simile de la page INVENTEES. 14

Lequel me vient ainsi fort raualler ?

75

Comment se fait que vostre douce langue

M’ait proposé ainsi rude harangue ?

Quant aux gens forts que ie vaincs, n’est mer
 ueille,

Car force n’est qui contre mon arc veille :

Ains d’autant plus l’hõme est fort, & puissant,

80

Certes plustost de luy suis iouyssant :

Pource que force en vn cœur est requise,

Qui chasse, & veut en amour faire prise.

Mais quãt aux dieux, i’ay d’eux la iouyssance

Par leur liurer toute resiouyssance :

85

Aussi n’ont ils rien à quoy besongner,

De rien qui soit on ne les voit soingner :

Telles gens sont volontiers de ma bande,

Ce sont ceux là pour qui souuent ie bande

Mon arc doré, puis ie leur liure assaut,

90

Brief, ce sont ceux que ma sagette assaut.

Communement à ceux qui n’ont que faire

A mon profit ie dresse mon affaire.


Quant à celuy duquel m’auez parlé,

Qui en ce champ dormir s’en est allé,

95

Sur luy n’a peu onc mordre ma sagette,

Elle rebouche alors que ie luy iette,

Trouuant rampart d’estude, & diligence,

Dont à mon gré n’en puis prẽdre vengeance,

Parce qu’il est aux lettres studieux.

100

Mieux me vaudroit auoir affaire aux dieux

[f. 14 v] Fac-simile de la page ELEGIES

Qu’à la personne à l’estude adonnee :

I’ay beau tirer, ia n’en est estonnee,

De telles gens d’esprit laborieux,

Iamais n’en puis estre victorieux.

105

Mais, ô ma mere, ay-ie pourtant cessé,

Si n’ay vaincu cestuy l’hyuer passé ?

Et bien, c’est vn : quants autres i’ay bas mis,

Et par mes traits à vous & moy soubmis ?

Ha, i’en pourroye alleguer plus de mille,

110

Que i’ay naurez, & aux champs, & en ville.


Sa mere dit, ô garson affetté,

Apres que i’ay ton propos escouté,

Respon à moy, sans le tien propos rompre,

Ne t’ay-ie veu vaincre, dompter, corrompre

115

Des gens sauans les esprits & les cœurs,

Que n’eussent fait tous vaillans belliqueurs ?

Et maintenant tu dis qu’aux gens d’estude

Ton trait rebouche, & n’a point d’habitude.

Au Roy Poëte, & Salomon son fils,

120

Te souuient il quel’ playe tu leur fis ?

Le Philosophe & sauant Aristote

Tu as dompté, & puis l’estude t’oste

Tout ton pouuoir. Virgile tant sauant,

Si grand Poëte, as nauré bien auant :

125

Et ne pourras ce ieune fils fragile

Naurer ainsi comme tu feis Virgile.


C’est biẽ nous mettre à honte, & à despris.

Quand quelqu’vn a certain cas entrepris,

S’il [f. 15 r] Fac-simile de la page INVENTEES. 15

S’il n’y met peine, il n’en vient point à bout.

130

Employe donc ta puissance du tout

Sus ce ieune homme, & playe luy feras,

Ie le say bien, quand tu t’y emploieras.


Le fils Venus comme vaincu alors,

Ne sonna mot, mais il fit des efforts

135

D’executer le vouloir de sa mere :

Banda son arc, & d’vn minois austere

Il proposa de moy bien se venger,

Bon gré mal gré me faire à luy ranger,

Et luy payer son tribut & ma dette.

140

Puis me tira sa poignante sagette

Droit au milieu & profond de mon cœur :

Venus cria, ha tu n’es point mocqueur,

Tu as gaigné celuy qui tout l’hyuer

Auecques nous ne s’est voulu trouuer :

145

Tu as feru (ô heureuse vaillance)

Celuy duquel tu auois deffiance.


Lors du sommeil estant tout lourd, & las,

Je me resueille, & sens (helas, helas)

Vn trait cruel, qui mon cœur outrepasse :

150

Adonc ie suis vne assez grande espace

Gisant tout plat, comme du tout pasmé,

De voir mon cœur en la sorte entamé.

Puis je reduy en memoire mon songe,

Et ie m’escrie, ha ce n’est pas mensonge.

155

O aueuglé qui vois le fond des cœurs,

Me falloit il tenir telles rancueurs ?

[f. 15 v] Fac-simile de la page ELEGIES

O ieune enfant, furieux, plein de rage,

Tu es petit, mais tu as grand courage.

Et cela dit, ie ne sauois que faire,

160

Si ie deuois plus crier, ou me taire.

Lors de mon cœur m’efforçay retirer

Ce trait poignant, mais i’auois beau tirer,

Plus le tirois, plus me faisoit greuance.

Donc pour oster du coup l’apperceuance,

165

Le bout du fust, lequel passoit mon pis,

Pres de ma chair adonques ie rompis :

Et tost apres que ie l’eus arraché,

En mon mouchoir l’ay serré & caché :

Puis l’ay transmis, & enuoyé vers vne

170

A fin qu’elle eust de moy pitié aucune :

Luy escriuant, celuy qu’Amour naura,

Belle, sans toy nul remede n’aura.

Or voy que c’est, ce fust auec ses ailes

Demonstre bien de piteuses nouuelles :

175

Par ce tu vois qu’on m’a nauré le cœur,

Et que de luy Cupido est vainqueur :

Par ce tu vois qu’vn trait, qui roide vole,

Mon poure cœur par grande outrance affole :

Par ce tu vois qu’Amour m’est apparu,

180

Et comme il m’a par grand rigueur feru,

L’homme nauré sa guerison demande :

Gueri moy donc, Amour le te commande.


[4]Elegie, ou Complainte à une jeune dame
trop [f. 16 r] Fac-simile de la page INVENTEES. 16
trop sourde & rigoureuse contre l’a-
mour.

Si de mon cœur, & ferme volonté,

Autant q̃ moy vous n’auiez cognoissance,

Et que souuent vous n’eussiez attesté

Qu’en auiez ferme & certaine asseurance,


5

Faire voudrois toutes choses extremes

A fin de vous la donner à cognoistre :

Mais maintenãt autãt comme moymesmes

La cognoissez, sans bien la recognoistre.


Telle rudesse & mauuais traittement,

10

Telle rigueur ie ne merite en rien.

Or ie vous pry, pour tout appointement,

Que me faciez au moins vn tout seul bien :


C’est que laissiez mon esprit en repos,

Qui à present est loin de toute estude,

15

Car vous l’auez par vos menus propos

Mis en trauail, & en solicitude :


Tant que depuis que vostre œil ie n’ay veu,

En tel estat iour & nuict m’auez mis,

Que nullement ie n’ay mangé ne beu,

20

Fors m’en priant les miẽs plus grãs amis.


Et si l’ay fait auec plus grand regret

Certainement que iamais ie fey chose :

Car mon las cœur souspiroit en secret,

Et souhaitoit sans faire aucune pose,


25

Plustost la fin & abolition

[f. 16 v] Fac-simile de la page ELEGIES

De mon desir ardant, & excité,

Qu’en plus viuant continuation

De mon malheur, & infelicité.


Or m’en mettez dehors, & vous ferez

30

Beaucoup pour moy, en me donnant cõgé

Perpetuel, lequel vous signerez,

Puis ne direz que ie l’auray songé.


Lequel congé ie ne veux, ne doy prendre

Sans vostre sceu, & sans permission :

35

Car si regret par temps en vous s’engẽdre

Ne m’en mettez à sus l’occasion :


Ains à rigueur, laquelle m’aurez faite

A tresgrand tort, & à vostre dommage,

En me sonnant par congé la retraite,

40

Et desprisant mon vray entier courage.


Car i’ay esté, comme vous sauez bien,

Tresprompt à vous obeyr en tous lieux :

Pareillement de vostre honneur & bien

Mille fois plus que du mien curieux.


45

I’ay preferé les commandemens vostres,

Et vos vouloirs, aux prieres de tous,

Me reculant de l’amitié des autres,

Et les laissant tout pour l’amour de vous.


Estimez donc comme à present se passe

50

Ma dure vie en miserable sort,

Quand ie me voy estranger de leur grace,

Et esloigner de la vostre à grand tort :


Certainement de laquelle n’auray

Onc [f. 17 r] Fac-simile de la page INVENTEES. 17

Onc oubliance, encores que ie feisse

55

Loin demourance, ainsi que ie feray,

Et que distrait en autre lieu vesquisse.


Ce que feray de brief, & tost apres

Que ie sauray la response de vous :

Car m’en iray autant loin que suis pres,

60

Si vostre mot m’est plus amer que doux.


Premierement à tout le mien affaire,

Pour conseruer mon honneur & profit,

Ie donray ordre, ainsi que ie doy faire,

Puis vous diray A dieu : & me suffit.


[5]Elegie ou cõplainte de l’auteur à sa sœur
d’alliance, qui par un faux raport se
reculoit de l’amitié de l’auteur.

PVis que ie suis reculé de ta face,

Treschere sœur, que faut il que ie face,

Quand le parler ores m’est defendu,

Fors que i’escriue, & que te soit rendu,

5

Au moins offert par escrit mon seruice,

Que malheur veut empescher sans mon vice ?


Ly donc ma sœur, s’il te plait, la presente :

Qu’un seruiteur, tousiours tien, te presente :

Et ne sois tant encontre elle irritee,

10

Que comme luy, elle soit reboutee.

Pauure vengeance, ô ma sœur, tu feras,

Quand par desdain tu la deschireras,

C [f. 17 v] Fac-simile de la page ELEGIES

Et que pourroit auoir meffait ma lettre,

Pour la vouloir en mille pieces mettre ?

15

Que te pourra on offenser ou nuire,

Quand l’auras leuë, ou quand la viendras lire ?

Peut estre aussi que ton œil y lira

Quelque bon mot qui ne te desplaira.

Entre tes mains elle desire aller

20

Pour t’aduertir, & pour me consoler :

Pour t’aduertir que combien que fortune

Me soit contraire, & par trop importune,

De vouloir mettre en separation

Nos cœurs vnis par une affection

25

Que bonne amour auoit tant fait valoir,

Que de nous deux ce n’estoit qu’vn vouloir.

Ce nonobstant en patience forte

Ce tresgrief mal pour toy, ma sœur, ie porte :

Ie dy grief mal, car c’est vn grand tourment

30

Quand deux amans sont mis en troublemẽt .

I’ay dit pour toy, car l’amour que i’adore,

Fait que ie t’aime, & t’aimeray encore

Parfaitement, tant que seray en vie,

Mal gré malheur, malle bouche, & enuie :

35

Car tu n’as pas en moy, ton seruiteur,

Vn cœur trouué variable & menteur :

Mais vn cœur bon, & à t’aimer tant ferme,

Que seule mort en finira le terme.


Le second point, pour consolation,

40

De nostre amour ie feray mention :

Seule [f. 18 r] Fac-simile de la page INVENTEES. 18

Seule tu es que i’ay voulu elire,

I’ay desiree, & encor ie desire :

Seule tu es qui peux entierement

Faire de moy à ton commandement :

45

Seule tu es à qui ie suis amy,

Et seruiteur entier, & non demy :

Seule tu es que ta grace & douceur

Ont merité que t’appelle ma sœur.

Ie te pry donc par le nom d’amitié,

50

De frere, & sœur, aye de moy pitié :

Si tu ne veux auoir pitié de moy,

Aye pitié des maux que i’ay pour toy :

Et de penser au moins fay moy ce bien,

Qu’en peine suis, pource que ie suis tien :

55

Et que suis tien, pource que m’as fait l’estre

Par tes vertus, qu’amour m’a fait cognoistre :

Et qui feront encor, comme i’espere,

Que moy vny en ta grace prospere,

Repos auray, quand tu l’ordonneras,

60

Et ton amour à moy redonneras.

Car ie suis seur que ta face & beauté

Faites ne sont pour loger cruauté :

Il s’en faut trop que ta douceur humaine

Puisse accorder à rigueur inhumaine.

65

Te plaise donc considerer les maux

Ou suis plongé, les peines & trauaux

Que mon esprit, & mon pauure cœur sent,

Pource que suis de toy à tort absent.

C 2 [f. 18 v] Fac-simile de la page ELEGIES

Infinis maux il conuient que ie sente,

70

Puis que de moy, ma sœur, tu es absente :

Tu es le bien qu’au monde i’aime mieux.

Helas ou sont à present tes beaux yeux ?

Ou sont tes ris ? tes douceurs gracieuses ?

Ou sont, ma sœur, tes graces merueilleuses ?

75

A mon malheur (ce mot on me pardonne)

Le ciel hautain ces grans vertus te donne.

Dire cela ie puis, & ose bien,

Puis que mon mal procede de ton bien.

Car si n’estoyent tes graces accomplies,

80

Et tes vertus, de bonne amour remplies,

Ie ne serois rempli de ton absence

De tel regret, qui tant le cœur m’offense :

Et pleust à Dieu que tes vertus & graces

Plus à douceur qu’à rigueur appliquasses.


85

C’est quelque bien quãd des plaisirs passez

On se souuient, mais ce n’est pas assez :

Car lors ne peut que desplaisir ne croisse,

Quand le plaisir nous laisse auec angoisse,

Et dur regret, qu’il conuient qu’on endure

90

Par le defaut du bon heur qui peu dure.


I’ay veu, ma sœur, si i’auois fascherie,

Bon gré mal gré tu faisois que ie rie.

Car pour certain par ton gracieux œil,

Par ta paole, & par ton doux accueil

95

Tu transmuois ma tristesse en liesse :

Et maintenant, comme dure maistresse,

Plus [f. 19 r] Fac-simile de la page INVENTEES. 19

Plus suis en cœur fasché & tourmenté,

Tant plus tu fais que ie sois molesté :

En m etenant vne forte rigueur,

100

Par qui mourant ie ne vy qu’en langueur.

Rigueur me tient, helas, mais d’ou vient elle ?

De mon amour enuers toy immortelle ?

Non : car l’amour toute douceur procure :

Amour est bonne, amour est douce & pure.

105

Cest rigueur procede elle de toy ?

Npn : ton cœur noble est trop benin de soy.

Certainement ie croirois bien à peine

Que pour amour ton cœur me rende haine,

Seulement donc c’est par le dire d’vne,

110

Qui, sans vers elle auoit fait faute aucune

Me porte tort, d’estre mon ennemie :

Diuertissant, ô sœur & bonne amie,

A son pouuoir ton amour & ton cœur

De moy ton serf, pour y semer rancueur :

115

Comme disant, qu’en moy n’y a fiance,

Que ce n’est rien ma foy & alliance :

Promesse d’homme aussi n’estre que du vent.

Tels faux propos, & faux rapports souuent

Font grand ennuy à l’amour commencee,

120

Et font que soit beaucoup desauancee.

Car faux rapport entre meilleurs amans

Va semant doute, & peines, & tourmens.

Mais toutesfois iamais ne laisseray

Te bien aimer, & tousiours t’aimeray

C 3 [f. 19 v] Fac-simile de la page ELEGIES 125

Iusqu’apres mort : car amour de ma part

A de confiance en mon cœur fait rampart,

Que ne sera de moli, n’abbattu :

Par enemis d’amour & de vertu :

Tous leurs canons, tirez de grand puissance

130

N’abbatront point vne telle constance.


En cest endroit pense ie te supply,

Si ie n’ay pas ton vouloir accomply,

Et en tout cas que tu m’as demandé ?

Ay ie failli en rien qu’as demandé ?

135

As tu trouué aucune defaillance

En mon endroit, depuis nostre alliance ?

Mais i’ay mis peine en tout t’estre agreable.

Voilà comment le dire est veritable

De celle la, de ton amie feinte,

140

Qui veut tascher nostre amour rẽdre esteinte

Tu es plus forte, & plus constante & sage,

Que ruiner l’amy pour vn langage.

Et quand vous deux l’auriez tout ruiné,

Respondez moy, qu’y auriez vous gagné ?

145

Que bel honneur vous en seroit rendu ?

Fors qu’on diroit que vous auriez perdu,

Annihilé, renuersé à grand tort

Et ruiné vn amant iusqu’à mort ?

Il est bien vray, ie n’ay tant de richesse

150

Qu’vn autre auroit, mais richesse en biens
 (qu’est ce ?

Et ce que i’ay, ie le dy seurement,

Est bien le tout à ton commandement.

Puis [f. 20 r] Fac-simile de la page INVENTEES 20

Puis en santé i’ay cœur plein de ieunesse,

Et d’Apollo, & des Muses caresse,

155

Qui mon esprit d’vn immortel thresor

Ont enrichi, qui passe argent, & or,

C’est vn thresor que larron ne peut prendre,

Et qu’on ne peut ne perdre, ne despendre :

C’est un thresor qui ne croist point au mõde,

160

Mais vient du ciel, puis en pensee munde

I’ay bon vouloir, autant bon, au meilleur

Qu’autre qui viẽne : & sans ce grand malheur

Qui me court sus, me vante que i’estoye

Autant heureux qu’autre que cognoissoye,

165

Mais ce malheur (ie t’en veux bien aduertir)

Tu peux tresbien en bon heur conuertir,

I’ay vn bon œil me faisant amander,

Et me venant hardiment commander :

Sans croire plus au faux babil de celle

170

Qui veut soiller nostre amitié tant belle :

Et qui ton mal, & le mien, sans ta grace,

Facilement sous faux semblant pourchasse.


Pren donc pitié, Dame que tant ie prise,

Et si tu crois que faute i’ay commise,

175

En l’amandant tu n’auras plus esgard

Qu’au bon vouloir. ô ma sœur, Dieu te gard.


Fin des Elegies de l’inuention
De l’Autheur.

C 4 [f. 20 v] Fac-simile de la page [Bandeau]

S’ENSVIVENT LES
Epistres

[1]Epistre à une ieune Dame, par laquelle
l’Auteur proteste de sa loyauté, & de
l’aimer tousiour seule sans feintise,
& luy obeyr d’un vray cœur amou-
reux, se dediant à son seruice.

A   Te rescrire, ô ma ioye & desir,

 Mon esprit prẽd non pas moin-
 dre plaisir

 Que fait mon œil à te voir tant
 de fois,

Et mon oreille à escouter ta voix.

5

En te voyant i’ay ioye à suffisance.

En t’esciuant i’en ay la souuenance.

D’ancre & papier ie ne fay point de perte :

Car grandement ta grace m’est apperte,

Souuent ie veux t’escrire desormais,

10

Et ton bon cœur ie n’oubliray iamais.

Ta grace en moy i’aime, i’estime, & prise :

Garder la veux, puis que ie l’ay acquise.


S’il y en a qui ont voulu aimer,

(Ie [f. 21 r] Fac-simile de la page EPISTRES. 21

(Ie n’en veux nul ny blasmer, ny nommer)

15

Et en aimant leur dame ont pourchassee,

Et par aller & venir tant chassee

Qu’ils sont venus à leur poinct pretendu :

Puis de l’honneur qui à la dame est deu

N’en tiennent conte, & apres la main mise,

20

D’elle ne font ne recepte, ne mise.


S’il y en a qui iouënt de tels tours

(Car y en a de desloyaux tousiours)

Ie ne suis tel, i’aime sans vilenie,

I’aime trop bien quand i’ay fait vne amie

25

Ce qu’elle veut, e sera mon vouloir :

S’elle se deult, on me verra douloir :

Si gaye elle est, gay ie me maintiendray,

Et tout ainsi comme elle me tiendray.

Souuent de moy quelques lettres aura :

30

Tout mon secret elle seule saura :

Ie ne pourray mieux penser, ny mieux faire,

Que voir commẽt ie luy pourray complaire.


Pren donc en gré, ô ma ioye, & m’amour,

L’escrit present qui te donne bon iour.


[2]Epistre à deux belles ieunes Damoiselles
ses sœurs d’alliance.

VOus me mandez par vostre missiue

Qu’en vers françois de vous à vous i’es-
criue :

C 5 [f. 21 v] Fac-simile de la page EPISTRES.

Ce que voulez ie ne puis ne vouloir :

Mais ie voudrois seulement tant valoir

5

Soit en douceur de la prose, ou de rime,

Comme ie voy que vostre cœur m’estime,

Qui peut tousiours endroit moy commãder

Non seulement d’escrire, & de mander.


Or toutesfois ie n’ay pas tel loisir

10

D’escrire au long, comme i’ay le desir :

Pour ce matin i’escriray seulement

(Quand ie n’ay temps à mon cõmandement)

Que le blondet iuge de la blondette,

Qu’elle est bien douce, & belle, gẽte , & nette :

15

Pareillement que la blonde, & la brune,

Fors que du taint n’ont difference aucune.

Et par ainsi conclurray hardiment

Que beau corps ont, & bon entendement :

Et qu’en ces deux, de la fille blondette

20

Il y a peu à dire à la brunette.

Heureux soit il qui la vigne planta,

Laquelle ainsi deux beaux raisons porta :

Plus heureux soit qui au temps de vendange

Sera receu, à fin qu’il les vendange.

25

O bien heureux qui les vendangera !

Car ils sont mœurs, & nul grand danger a :

Dire ie veux (à fin qu’on ne m’irrite)

Que l’vne & l’autre vn beau mary merite :

Et quand auront chacune vn bon mary,

30

Mon petit cœur ne sera point marry,

Mais [f. 22 r] Fac-simile de la page EPISTRES. 22

Mais au contraire il en sera tres aise,

Si elles ont parti qui bien leur plaise.


O mes deux sœurs, vous auez vn seruant,

Et si auez en vers vn escriuant :

35

Prenez en gré le seruir, & l’escrire :

Mais le ferez mieux que ie ne puis dire.


[3]Epistre à celle qui refusa une missiue de
l’Auteur.

SI de bon gré, & en vostre faueur

Vous ay escrit, non esprins de ferueur

Desordonnee, ains meu, & incité

Tant seulement par vne honnesteté,

5

Et pour monstrer vne recongnoissance

Que i’estimois de vous la cognoissance

Est-ce raison qu’on en face refus ?

Non : mais pourtant ce ne me rend confus :

Ains c’est raison que ce point ne vous cele,

10

Ce m’est tout vn, ou prenez le, ou laissez le :

En mon esprit troublé ie ne me sens,

Pour vn refus, en eusse ie cinq cens :

Mais toutesfois (honneur en soit aux dames)

Onc mes escrits n’eurent refus ne blasmes :

15

Par fois en a fille ou femme d’honneur,

Ie ne preten à mal & deshonneur,

Ie ne poursuy amour desordonnee,

Mais ie poursuy amour bien ordonnee :

[f. 22 v] Fac-simile de la page EPISTRES.

Comme seroit de louer & priser

20

Honnesteté, beauté, bien deuiser,

Maintiẽ rassis, doux œil plein d’amour pure :

Aussi danser sagement par mesure,

Doucement rire, & constamment ouyr,

En tout honneur s’esbatre & resiouyr.

25

Mais que vaut estre au maintien gracieuse

Quand aux escrits on est trop rigoureuse ?


Si vous voulez à l’excuser ranger,

Qu’en l’escriture y a trop de danger,

Il y en a trop plus en la parole

30

Qu’en vn escrit, que vous voyez par role :

Ne fust sinon qu’elle est dite en presence,

Et l’escriture est escrite en absence.

Vne parole a quasi pieds & mains,

Et vient frapper droit au cœur des humains :

35

De tels effects la lettre n’est pourueuë,

Car seulement elle frappe en la veuë.

Pource l’on dit (ce que bien ie sauois)

La lettre morte, & vne viue voix.

Mais si par tout est permis de baler,

40

Chanter & rire, & priuement parler,

Doit il pas bien estre permis d’escrire ?

Consequemment sera permis de lire.

Mesme parfois les plus grands ennemis

Reçoyuent bien escrits à eux transmis.

45

Or auisez si, par raison plus grande,

N’est pas permis lire ce que l’on mande

En [f. 23 r] Fac-simile de la page EPISTRES. 23

En tout honneur & gracieuseté ?

Vous auez donc peu gracieuse esté :

Et sur ce point ie dy qu’vn personnage

50

Fait son profit de tout quand il est sage.

Si en l’escrit il y trouue du bien,

Il est ioyeux, & dit, cecy vient bien :

Et s’il y trouue aucun poinct à redire,

Quand il luy plait il le brule ou dessire :

55

Il en peut faire à son authorité,

A son plaisir, & à sa liberté.

Mais quant à moy, dame ie vous auise

Que n’eust esté mon epistre reprise

De vous, ou d’autre, ayant bon iugement :

60

Et, qui plus est, ie vous dy seurement,

Que vostre honneur & profit poursuyuoye,

Et y rendois plus qu’en toute autre voye.

Possible vous la voudriez bien voir, mais

Homme viuant ne la verra iamais.

65

Or auisez que c’est de refuser

Legerement, & vouloir s’excuser

En vne chose ou n’y faut point d’excuser,

Quand vn bon cœur en tout honneur en vse.

Eusse ie honneur de trauailler mes doigts

70

S’il y eust mal en ce que ie mandois ?

Ne plaise à Dieu que ma plume trauaille

D’escrire en mal, ne que mon cœur y aille.

En tout honneur escrire ie voulus :

Ho, c’est assez, ie n’en parleray plus :

[f. 23 v] Fac-simile de la page EPISTRES. 75

Mesme cecy prenez le, ou refusez le,

Comme voudrez modereray mon zele.


Fin des Epistres.


A l’amy bien aimant, & bien aimé, sur
ce que l’on doit viure ioyeusement en
ce monde, sans se tourmenter le
cœur & le corps apres les
biens & honneurs
lesquels il faut
laisser

VIuons, viuons ioyeusement,

Mais qui voudroit plus belle chose ?

Nos iours s’en vont legerement,

80

Et se passent comme la rose

Qui d’espines est toute enclose :

Viuons quand le temps nous auons,

Concluans comme ie propose,

Ioyeusement viuons, viuons.


S’en [f. 24 r] Fac-simile de la page 24 [Bandeau]

S’ENSVIVENT LES
Epigrammes

[1]D’vne Damoiselle à qui l’auteur aida à
descendre de dessus son cheual.

Q  Vand du cheual ie vin descẽdre

 La ieune damoiselle tendre,

 Qui est de face & de nom claire,

 M’auisa d’vn œil qui esclaire :

5

 Puis tout sur l’heure, sans atten
 (dre

Se print à son gent corps estendre,

Et à ses bras en l’air hausser :

Et moy ie prins à me baisser.


[2]A vne Geoliere de prisons, qui aussi te-
noit le cœur de l’auteur prisonnier.

N’As tu pitié madame Geoliere

De mon las cœur que tu tiẽs en prison ?

O grand beauté, & grace singuliere,

Ie te supply ceste prime saison

5

Luy faire en brief selon droit & raison :

Ou si tu veux par ta rigueur n’entendre

Entierement à ma liberté rendre

[f. 24 v] Fac-simile de la page EPIGRAMMES.

Fay moy ce bien, enferme en forte tour

Mon corps tout seul, qui est facile à prendre,

10

Et mets mon cœur hors des prisons d’amour.


[3]A celle qui donna vn gracieux baiser à
l’auteur, auec vn bon mot.

LE doux baiser de ta bouche tant saine,

Qui vn bon mot auec bonne halaine

M’apporta hier, a mis dedans mon cœur

Tresgrand espoir d’vn bien encor meilleur.


[4]De Martin qui gagna sa femme par
proces.

ELle est à toy, puis que tu l’as gagnee

Par proces fait, & sentence donnee :

Pren la moy donc : apres boire & manger

Tu pourras bien sur elle te venger :

5

Qu’elle me soit par chacune iournee

A comparoir en personne adiournee :

Visite bien, fay luy moy son proces,

De cœur, de corps, sans exces, par exces :

Elle a perdu, c’est raison qu’elle en sue

10

De tout son corps, toute nuict toute nue :

N’aye point peur de la blesser, la, la,

On luy defend de n’en dire hola.


A vne [f. 25 r] Fac-simile de la page EPIGRAMMES. 25

[5]A vne Damoiselle, touchant que l’amour
ne se peut celer.

DEdans le cœur l’amoureuse estincelle

N’est point sans luire, & sans qu’elle
 estincelle :

Il n’est possible à l’œil de la celer :

Ains, la celant, plus se fait reueler.

5

Ne cele rien donques, ô damoiselle,

Ton œil, ton ris ont declaré ton zelle.


[6]De la femme d’un boucher, laquelle ven-
Doit sa chair bien cher.

VN boucher qui vend la chair morte,

A fin qu’en son estat il viue,

A sa femme de bonne sorte,

Mais elle vend bien sa chair viue

5

A chacun marchand qui arriue :

Frere Bertrand, frere Symon,

Auecques tout leur beau sermon

N’en peuuent auoir que bien chere :

Ie vous demande à sauoir mon

10

Si elle n’est donc point bouchere ?


[7]A vn amy, l’auteur se reprend de ce qu’il
auoit dit que son amie estoit perdue.

I’Ay dit que m’amie est perdue

(Que i’estimois vn si grand bien)

D [f. 25 v] Fac-simile de la page EPIGRAMMES.

Mais le disant i’estoye bien grue,

Ie m’en desdy pour moins que rien :

5

Car tost ou tard, vestue ou nue,

Quelque autre la trouuera bien.


[8]A son amy, qui pour suyure un maistre
laissoit une amie, qu’il appelloit sa
maistresse.

TRescher amy, tu as vn maistre acquis

Qui t’aime bien, & bons gages te donne :

Qui sont deux poincts que chacun n’a pas
  quis,

Dont ie te tien pour heureuse personne,

5

Puis que fortune en ce poinct te façonne.

Mais nonobstant, amy, quel plaisir t’est ce

Ie te supply (s’il fait que ie raisonne)

Quãd pour le maistre as perdu la maistresse ?


[9]A vne femme assez mal presumant, &
mesdisant des autres.

IL n’y a ne celuy, ne celle

Qui au monde n’ait quelque vice,

Soit gentilhomme, ou damoiselle,

Soit ou ton clerc, ou ta nourrice :

5

L’vn tient de maudite auarice,

L’autre est en amours si parfond,

Que [f. 26 r] Fac-simile de la page E¨PIGRAMMES. 26

Que son cœur de grand ioye y fond :

L’autre mesdit de tous ceux cy.

Madame, les autres le font,

10

Et vous en mesdites aussi.


[10]D’vne ieune damoiselle Espousee.

VNe espousee (helas) ieune & estroite,

Voyant ruer son espoux bien en point

Auec sa lance, & bien forte, & bien droite,

En souspirant s’escria en ce point,

5

Elle est trop grosse, & n’y entrera point :

Il luy respond, & bien donques, m’amie,

Ne l’y mettons seulement que demie :

Puis fierement vous vient rompre la porte :

Elle n’estant à ce faict endormie,

10

Dit boutez tout, aussi bien suis ie morte.


[11]L’adieu aux monts des Alpes, l’auteur
retournant d’Italie en France.

OR adieu à ce beau matin

Les grands monts plus d’vn million,

Les monts couuers de blanc satin,

Freres d’Ossa, & Pelion :

5

Ie m’en retourne voir Catin

Ne mandez vous rien à Lyon ?


D 2 [f. 26 v] Fac-simile de la page EPIGRAMMES.

[12]A vne belle ieune dame, qui portoit l’ha-
bit de dueil, de la mort d’un sien pa-
rent.

TV as dessus robe de dueil,

Et dessous, la robe de ioye :

Le dessus est veu de mon œil,

Mais le dessous fay que je voye :

5

Autrement par tout ou ie soye

Rien que tout dueil ie ne verray :

Mais si ce bien ton cœur m’ottroye,

Rien que toute ioye n’auray.


[13]A sa dame & bonne amie estant en
France, & l’auteur en Italie.

CE mois de May sans toy m’en vay mou-
rant,

O mois de May sans moy pourras tu viure ?

Ce mois de May mort sur nous va courant,

Lequel souloit d’amour gaye & deliure

5

Nos petis cœurs faire ensemble reuiure.

O mois de May, cruel, & plein de tort,

Qui iusqu’à mort deux amans veux poursuy-
ure,

Plus n’auras nõ mois de May, mais de mort.


De [f. 27 r] Fac-simile de la page EPIGRAMMES. 27

[14]De dame Marguerite qui estoit à sa
grange, & que l’auteur alla voir.

FAisant chemin vn de ces iours cy pres

Dedãs vn chãp ou fleur des fleurs habite,

Sentois odeur, plus souëue que Cypres,

Dequoy mon cœur n’eut pas ioye petite :

5

Car i’auisay la belle Marguerite,

Pres de laquelle y auoit maint chardon.

O que c’estoit precieux & cher don,

Mais trop espris de son odeur tant souëue,

De la cueillir ie ne pris le brandon,

10

Dont il conuient que souci i’en reçoyue.


[15]Autre Epigramme à elle mesme, lors que
l’auteur ne la voyoit point par le mois
de May.

CE mois de May ie suis bien pris sans verd

Quand i’ay perdu tes yeux verds & luisans :

Ce mois de May de dueil m’a tout couuert,

En lieu de fleurs à plaisir induisans.

5

Ce mois de May, le plus laid de dix ans,

N’a que souci, pensee, melancolie,

Dont il me fait des bouquets mal plaisans :

Car i’ay perdu des fleurs la plus iolie.


D 3 [f. 27 v] Fac-simile de la page EPIGRAMMES.

[16]A vne belle ieune damoiselle, de qui la
mere auoit prié l’auteur luy faire voir
de ses œuures.

MA damoiselle vostre mere

M’a prié que luy face voir

Quelque mienne œuure : & sans priere

Volontiers feray mon deuoir,

5

Mais pourueu que ie puisse auoir

Aussi la veuë de la sienne.

Adonc i’auray, quoy qu’il aduienne,

Meilleur chois de grace nayue :

Car c’est œuure morte la mienne,

10

Mais vous estes son œuure viue.


[17]A la dame qui de bonne grace luy auoit
dit, adieu amy.

LEs doux propos que i’ay trouué en vous

Ont incité ma plume à vous escrire :

Mais par sus tout ce vostre adieu tant doux

M’y a contraint, car auec vn sousrire

5

M’auez changé, & fait mon cœur confire

En vostre amour : iugez donc que sera

Quand vn Dieu gard vous luy viẽdrez à dire ?

De ioye adonc, & d’amour il mourra.


L’au [f. 28 r] Fac-simile de la page EPIGRAMMES. 28

[18]L’auteur à sa dame de laquelle il estoit
absent.

L’Amour, comme chacun tesmoigne,

Est de si tresgrande efficace,

Qu’il augmente quand on s’esloigne

De presence, de corps, & face,

5

D’autant s’en faut qu’il s’en efface :

Mais le dieu d’amours m’est tesmoin,

(Quelque chose qu’on die, ou face)

Que ie t’aime mieux pres que loin.


[19]A deux Damoiselles.

TOutes deux bonnes, sages, belles,

Toutes deux sœurs, & damoiselles,

Receuez d’vn cœur damoiseau

Ce petit salut bien & beau.


[20]Que la nature d’amours est
inconstante.

LEs amours sont comme le ieu de dez,

Tel auiourd’huy s’y trouue fort heureux,

Qui tost sera en chance malheureux.

Ie le say bien, à moy le demandez.


D 4 [f. 28 v] Fac-simile de la page EPIGRAMMES.

[21]A la dame inconstante en amours.

TV romps l’amour & alliance

Qui par toy fut encommencee :

O grand feintise, ô inconstance

De femme, en cœur, & en pensee,

5

Dy moy en quoy t’ay offensee ?

Loyal ie fus, suis, & seray

Point ne faudra qu’on m’en accuse :

Car en ce ne t’offenseray,

Mais tu m’offensas par ta ruse.


[22]De la belle Ieanne qui se lauoit à la ri-
uiere.

IEanne, au beau mois de May, lauoit

Son beau gent corps, & en lauant

Ses iambes & cuisses auoit

Dedans l’eau froide bien auant :


5

Le feu que tu portes deuant,

(Luy di-je) en l’eau ne s’estaindra :

Mais s’estaindra en receuant

Vn pareil feu qui l’attaindra.


[23]A vne dame vertueuse, pleine de bonne
grace, & de bon propos.

VOstre œil doux, & bonne parole,

Me font de vous penser, & dire

Plus [f. 29 r] Fac-simile de la page EPIGRAMMES. 29

Plus de bien que ne puis escrire :

Ie veux venir à vostre escole.


[24]A vn amy.

TRescher amy, en ce beau mois de May

Qu’il n’y a rien qui ne se resiouysse,

Mon pauure cœur pourroit il estre gay

Quand de l’amour faut que ie ne iouysse ?


5

Ha, volontiers ta response i’ouysse.

Car ces iours cy tresbien dire i’ouys,

Qu’à ton plaisir de tes amours iouys,

Iouys donc fort, & iouys pour nous deux,

Resiouyssant mes yeux tous esblouys

10

De ne plus voir ce que par trio ie veux.


[25]Autre que la iouyssance de son dit amy
luy cause deux affects contraires, ioye,
& tristesse.

QVand de ta ioye i’ay liesse,

Ton bon heur, & ta iouyssance,

De mon malheur, & ma tristesse

Soudain me donne souuenance.

5

Voilà comment ton bien me blesse

En me donnant reiouyssance.


[26]A vne damoiselle, sur le propos d’vn qui
D 5 [f. 29 v] Fac-simile de la page EPIGRAMMES.
vouloit tirer vn voile peint en vn ta-
bleau sur la nature d’vn homme.

IAdis Zeusis leuer vouloit

Vn voile au vray naturel peint :

Mais à ce faire il y failloit

Et fut deceu, prins & attaint.


5

Or cestuy cy qui point ne craint

Comme Zeusis estre deceu,

Plus que Zeusis faire n’a sceu

Mais s’il eust peu leuer ce voile,

Tout soudain l’œil eust apperceu

10

Quelque autre chose sous la toile.


[27]L’entree de iouyssance, c’est qu’il
faut foncer.

QVi veut tout droit au bas aller,

Doit premier à la main parler :

Qui autrement attendra,

A peine au bas il entrera.


[28]De dame Ieanne.

IEanne son tout me communique :

Elle entend mal sa Rhetorique,

Car qui veut estre bien cherie,

Doit faire vn peu la rencherie.


Com [f. 30 r] Fac-simile de la page EPIGRAMMES. 30

[29]Comparaison du mois de May à
vne dame.

GArny de verd est ce beau mois de May,

Bien resiouy sur tous mois de l’annee,

Riant, plaisant, sain, gracieux & gay :

Elle est aussi en grace tant bien nee,

5

Grande en beauté de vertu tant ornee,

Auec laquelle elle a la verdeur viue,

C’est sa ieunesse excellente & nayue,

I’enten ieunesse heureuse en bon renom :

Et, quand i’y pense, il faut bien que i’escriue

10

Rien ne m’est plus gracieux que son nom.


[30]A vne dame belle & braue, & mesme-
ment triomphante en paroles.

L’Honnesteté que i’ay trouuee en vous

A incité ma plume à vous escrire

Ce petit mot : puis vos propos tant doux

Y ont serui : mais ils ont peu suffire

5

Seuls à rauir mon cœur, & le confire

En vostre amour : ô courtoise parole !

Par bien parler courant comme par role

Maintes ont eu honneur & grand renom.

En ce vous tien la maistresse d’escole,

10

Et par deuoir ie vous porte ce nom.


[f. 30 v] Fac-simile de la page EPIGRAMMES.

[31]A Robinet, qui prioit l’auteur d’escrire
contre la belle & gracieuse Robine, &
la blamer & accuser de laideur, &
de mauuaise grace, par ses vers.

TV veux tout seul, si ie te veux ouyr,

Que ie compose vn dizain, ou sonnet

Contre Robine, au visage brunet,

Qui peut tout œil de son œil resiouyr :

5

Tu es fin homme, ô amy Robinet,

Tu veux tout seul de Robine iouyr.


[32]L’auteur à vn sien amy, qui estoit auec son
amie, par le mois de May : mais non
l’auteur auec la sienne.

VOus auez bien planté le May

(De cela ie n’en doute point)

Ce premier iour du mois de May,

Lequel vous vient voir bien à point,

5

Mais me vient prendre au contrepoint

Sans vert, sans ioye, & sans liesse.


I’ay bien le may qui haut se dresse,

Mais mon iardiner ie n’ay pas,

Pour le planter en bonne adresse,

10

Dont mes plaisirs sont bien au bas.


Respon [f. 31 r] Fac-simile de la page EPIGRAMMES. 31

[33]Response de l’auteur, à vne dame grande,
qui luy disoit qu’il estoit de petite taille.

VNe dame de taille haute

Me disoit que petit i’estoye :

Et ie luy dy, point n’est ma faute,

A moy ne tient qu’on ne me voye

5

Bien plus grand : car en maint quartiers,

Voire quelque part que ie soye,

Ie m’esten tousjours voulontiers.


[34]Response de l’auteur aux damoiselles qui
luy disoyent qu’il s’estoit perdu sur la
brune.

VOus dites, en parole franche,

Que me suis perdu sur la brune :

Et ie vous respon qu’à la lune

Ie me suis trouué sus la blanche.


[35]Quelle amie l’auteur quiert.

II quiers amie belle en face,

Ie quiers amie bonne en grace,

Si ie n’en trouue, ie m’en passe.


[36]A vn amy.

IE t’ay escrit (car ie pensois)

Qu’à ton plaisir entierement

[f. 31 v] Fac-simile de la page EPIGRAMMES.

De tes amours tu iouyssois :

Maintenant ie pense autrement,

5

Et t’en croy bien à ton serment :

Mais i’ay bien tousiours estimé

Que c’est vn grand auancement

Que d’estre seulement aimé.


[37]A madamoiselle de l’Espine.

CVpido, des cœurs grand vainqueur,

Et qui de me piquer ne fine,

M’a picqué d’vne verte espine,

Non pas au doigt, mais droit au cœur.


[38]A son amie, qui changeoit d’amy.

TV m’as aimé, ie t’ay aimee,

Non pour les biens, que peu ie prise :

Aussi i’ay eu la renommee

D’auoir en toy amie acquise :

5

Mais en fin vn autre t’a quise,

Et n’ay de toy sinon refus.

C’est raison que ie temporise :

Adieu donc m’amie qui fus.


[39]De la dame Rose, qui pria l’auteur par
les estreines, d’escrire à l’honneur &
louange de sa beauté.

ROse me prie en bonne estreine

Qu’à sa louange ie compose :

Mais [f. 32 r] Fac-simile de la page EPIGRAMMES. 32

Mais non feray (foy de Fontaine)

Si ie n’ay vn bouquet de Rose.


[40]A vn amy que l’auteur alloit voir, mais
premier rencontra la dame qu’il de-
uina estre son amie.

EN allant voir, toy que tant i’aime,

Premier que toy ta dame vis,

Dont la beauté, & grace extreme

Tint mes deux yeux long temps rauis :

5

Ie croy (n’en es tu point d’auis ?)

Qu’amour (qui les especes seme

De l’vn en l’autre à son deuis)

Me feit en elle voir toy mesme.


[41]A vne ieune damoiselle, à qui l’auteur
presente son seruice.

DAmoiselle d’amour sans vice,

Gente comme vn petit oiseau,

Ie vous vien offrir tout seruice,

Car i’ay le cœur tout damoiseau.


[42]D’vne femme qui faisoit de l’estroite,
& de la resserree, & vouloit crier en l’ac
colant.

QVelque iour vne femme belle

Pour plaisir voulois accoler,

[f. 32 v] Fac-simile de la page EPIGRAMMES.

Ha, ie criray (ce me dit elle)

Si vous ne me laissez aller.

5

Ie ne vous veux pas affoler,

Luy respondi ie, & en deux mots,

Ie vous veux vn petit fouler :

Mais vous crirez s’il est trop gros.


[43]De Venus qui cherchoit son fils, le dieu
d’amour, lequel estoit caché dans le
cœur de l’auteur.

VEnus cherchoit son Cupido par tout,

Mais il estoit dans ma poitrine creuse.

Las que feray (dy-ie) car iusqu’au bout

L’enfant est faux, la mere mal piteuse.

5

En le celant, personne malheureuse,

Tu vois quel dieu les os te bruslera :

Le decelant, pire hoste te sera.

Puis me seroit trop plus aigre la mere

Qu’à son enfant : donc pour mieux se sera,

10

Demeure enfant, mais ne me brusle guere.


[44]L’auteur à vn sien amy, qui s’esbahissoit
qu’il y auoit beaucoup d’amoureux qui
n’auoyent pas belles amies.

BOn amy ne t’esbahy mie

Que n’a de beauté mainte amie :

Si tu [f. 33 r] Fac-simile de la page EPIGRAMMES. 33

Si tu veux sauoir pourquoy c’est

La mienne a tout ce qui en est.


[45]A vne belle ieune fille, braue, esueillee, &
par tout triomphante.

SI Iupiter ne gouuernoit les cieux,

Si Apollo ne menoit ses cheuaux,

Si Cupido n’estoit bandé des yeux,

Si Mars sanglant n’alloit par monts & vaux,

5

Et tous ceux la (entens tu ma pucelle)

Cognoissent bien le grand prix que tu vaux,

Dedans brief iours tu ne serois plus celle.


[46]A la dame sans mercy, larronnesse &
meurtriere des cœurs.

MOn cœur va sans cesse apres toy,

Ton œil l’emble, & tire hors de moy.

O grand’ larronnesse de cœurs !

Par tes regards pleins de douceurs,

5

Par tes sousris, beauté, ieunesse

Pleine d’amoureuse finesse,

Tu tiens mon cœur entre tes laz,

Et luy apprens le grand helas :

Mais, s’il te plait, tourne sa chance,

10

Et luy fay chanter iouyssance.


E [f. 33 v] Fac-simile de la page EPIGRAMMES

[47]De dame Nicole, qui prioit & pressoit
l’auteur d’escrire à sa louange.

NIcole me prie, auec peine,

Que par mes vers son nom i’extolle :

Mais pour elle n’at vers, ne veine,

Puis que ie n’aime pas Nicole.


[48] L’auteur escrit en brief des recrea-
tiues qualitez de son amie.

[48] A vn amy.

SAis tu, amy, quelle est m’amie

Dont ie tenois hier propos ?

Elle est d’esprit non endormie,

D’vn œil qui n’a point de repos.

5

Elle a corps gent, les bras dispos :

Le cœur, l’esprit, l’œil plus follet

Que de son col le poil doillet.


Que veux tu plus ? sa main folatre,

Si elle te tenoit seuler,

10

Te folastreroit plus que quatre.


L’au [f. 34 r] Fac-simile de la page EPIGRAMMES. 34

[49]L’auteur escrit de sa cousine d’alliance,
& de la Corinne, qui fut l’amie d’Oui-
de, & de leurs Perroquets.

LE Perroquet de la belle Corinne

En son langage auoit tant bonne grace :

Mais ie suis seur que cil de ma Cousine,

En sa voix begue, & en sa langue grasse,

5

Parlant, chantant, plus que deux fois le passe.

Or quant à moy, cela n’est de merueille,

Car ma Cousine en sa bouche vermeille,

En sa main docte, & en sa douce voix,

En sa beauté, & grace nompareille

10

Surpasse bien la Corinne trois fois.


[50]A L’AMY BIEN AI-
mant & bien aimé.

Nostre amitié, & alliance,

Iointe en anneau de diamant,

Ne craint flamme, ne sertement,

Ne Lethes, fleuue d’oubliance.


E 2 [f. 34 v] Fac-simile de la page
[Bandeau]

AV LECTEVR.

F  In dul iuret [sic pour du liuret] du Iardin d’amours
  & s’ensuit la Fõtaine d’amours :
  le tout fait par vn mesme au-
 teur, en sa grande ieunesse : com-
 me luy mesme le confesse, & af-
ferme en sa premiere Epistre, qui est inconti-
nent apres les Elegies, & encor en l’epistre li-
minaire, adressee à Monsieur d’Orleans. Ce
que, si l’on auise bien, l’on ne sera, au moins
ne deura l’on estre cẽseur , ou iuge rigoureux :
mesmement considerant la qualité du temps
d’adonc, & non seulement la petite quantité
des ans de l’auteur pour lors : qui pourroit à
present (comme aussi depuis a fait) choses
plus grãdes faire : que verrez bien tost, si vous
mõstrez benins & fauorables en cest endroit,
comme ia auez fait, tesmoin la seconde & tier
ce edition, vente ou despesche desdites Fontai-
nes d’amours, le stile en est doux & facile, &
n’engendre aucune confusion, ou perplexité :
aussi n’entend l’auteur donner peine & trauail
en l’esprit de ceux qui lisent ses œuures, ains
seulement soulas & recreation, & ne se veut faire [f. 35 r] Fac-simile de la page 35
faire ruminer, ny estudier, ny renuoyer le le-
cteur (qui ne cherche point tant de besongne)
rechercher, & estudier les liures : comme aussi
pouuez voir en la Contr’amie de son inuen-
tion, & aux Epistres d’Ouide de sa traductiõ :
chose autant facile & douce, que recreatiue,
& en propres dictions, & phrases, ou manie-
res de parler, purement Françoises, non escor
chees, ou tirees à beau poil, du Latin, du Grec,
ou de l’Italien : mais bien les bonnes senten-
ces, le sens, ou certains traits reuestus toutes-
fois de la douceur & proprieté de la vrayemẽt
douce & naturelle langue Françoise. Ainsi est
la matiere des presentes petites œuures plus
remplie de recreatiue honnesteté, & ronde
naturelle amitié (à la Françoise) que de gran-
des passions d’Italique pitié : de magnifiques
compassions, transfigurations, ou transfor-
matiõs excessiuues, & non naturelles aux Fran
çois, ny en faicts, ny en dicts, ny en escrits,
iusques a present, qu’aucuns François Ita-
liennisez s’en remplument, ou remparent : &
les semblent affecter assez affectueusement :
toutesfois à leur bon commandement, & sans
blasmer personne, soit libre à chacun dire son
opinion. Au reste chacun escriue, & poursuy-
ue son stile à sa fantasie, & à sa mode & de son
sens iouysse, & en iceluy se resiouysse : mais la E 3 [f. 35 v] Fac-simile de la page facilité plait grandemẽt à vn lecteur, tesmoin
Ouide Latin, & Marot François, tant leus &
releus, nommez & renommez. Somme pour
retourner au propos, ce present stile, & façon
d’escrire en vers, & rime Françoise, approche
de la douce veine, & heureuse facilité de Ma-
rot, tant manié, & tant renommé, & non ia-
mais des François assez estimé. Aussi a esté
l’auteur present son amy familier, combien
qu’il fust de beaucoup plus ieune que Marot,
qui a parlé de luy, en disant,

Grand espoir de Muse hautaine :

Rocher faites saillir fontaine.


[52]Et Fontaine luy a rescrit ce
quatrain.

FOntaine, ou plustost Fontainette,

Dit à ta veine immortel nom,

Tant plus sur tous obscur Poëte

Comme sur tous tu as renom.


L’au [f. 36 r] Fac-simile de la page 36 [Bandeau]

[53]L’AVTEVR ADRESSE
ce Septain aux dames.

GArdez vous de toucher ce liure

Medames, il parle d’amours :

C’est aux hommes que ie le liure,

Laissez l’aller vers eux son cours,

5

C’est d’eux, qu’il veut estre entendu :

Mais vous le lirez nuicts & iours

Puis que ie vous l’ay defendu.


[54]Aux detracteurs.

FAux enuieux, meschans railleurs,

Cerueaux tous creux & esuentez,

Qui de rien ne vous contentez,

N’arrestez cy, marchez ailleurs.


E 4 [f. 36 v] Fac-simile de la page
[Bandeau]

A TRESHAUT ET TRES
florissant Prince, Monseigneur,
le Duc d’Orleans,
Charles Fontaine humble salut.

L  ’ON voit par commune obserua-
 tion (Prince tresnoble, & treshu-
 main) que les auteurs de quelques
 œuures, apres labeur & trauail de
leurs esprits, quierent quelque grand person-
nage de nom, & d’autorité, à qui les presen-
ter : pour trouuer en fin soulas & support, à fin
qu’ils ne soyent tousjours en perpetuelle pei-
ne, misere & pauureté, que les lettres appor-
tent à la plus grand part de ceux qui les pour-
suyuent : ou pour l’honneur & gloire, à fin que
sous couleur & faueur de quelque grand nom
& titre, leurs œuures en soyẽt mieux recueil-
lies, & illustrees à perpetuelle memoire. Mais
moy ny pour l’vne, ny pour l’autre de ces rai-
sons principalement ie vous vien offrir le pre
sent recueil : combien que toutes deux me fe-
royent bien besoin, à cause de ma grande pe-
titesse, soit d’esprit, soit de biens. La principale cau-
[f. 37 r] Fac-simile de la page EPISTRE. 37
le cause qui m’a enhardy, & induit à vous fai-
re le petit present, a esté poir donner recrea-
tion à vostre noble & gracieux esprit : la no-
blesse & vertu duquel ne pourroit estre suffi-
samment exprimee, ne poursuyuie d’vn si bas
stile que le mien, attendu le grand renom de
vostre humanité tresgrande, & singuliere a-
mour des lettres : lequel n’est sans le fait, com
me (moy indigne) ay cogneu par experience,
quand par plusieurs fois de vostre grace & be-
nignité naturelle m’auez fait recueil à Paris,
lieu de ma naissance, où vous ay premieremẽt
presenté quelque chant de ma petite Muse,
qu’auez bien pris : en quoy faisant, ensuyuez
bien la trace de vostre noble & vertueux pere,
le Roy nostre Sire, vnique lumiere des let-
tres, la vraye tutele & protection d’icelles, qui
a bien daigné quelques fois abaisser l’œil de
sa haute Royale Maiesté pour prendre plaisir
& passetẽps , aux heures de recreation, à mes
petites Muses Françoises. Or est il (pour ren-
trer à mon propos) que ie fay, & ay aucune-
ment experimenté, que ce monde est remply
de fascheries & d’affaires : & que mesmement
la Cour est tousiours pleine d’importunitez :
en quoy conuient, tant aux grands qu’aux pe-
tis, que l’esprit trauaille. Parquoy est de be-
soin pour le recreer & resiouy, vser de quel-
E 5 [f. 37 v] Fac-simile de la page EPISTRE.
que passetemps & repos honneste : comme dit
bien la dame Phedra en son Epistre, Que tou
te chose qui ne prend repos & recreation par
interualle, n’est point de duree : dont aduient
que les aucuns elisent, & s’ addonnẽt aux ieux
de cartes, des eschets, & de tables : desquels
passetemps apres le temps cõsumé on ne peut
(au mieux) remporter que l’honneur, ou l’ar-
gent : mais de la recreation & passetemps des
lettres (qui n’est iamais sans honneur) on en
remporte tousiours sans doute de rien perdre
quelque fruict de la lecture qui donne ioye &
liesse à l’esprit, soit par moyen de quelque in-
uention, ou allegation de fables : ou histoires,
qui rentrent bien au propos.
Voilà donc la cause (Duc tresnoble & de
grand espoir) pour laquelle i’ay pris la har-
diesse de vous offrir ce present petit liuret,
contenant aucuns esbats & passetmps de ma
petite Muse en sa ieunesse. Mais si quelques
gens d’esprit Stoiques, & de iugement trop
seueres, me veulent reprendre de mettre en
lumiere ces petites choses ioyeuses, traittans
d’amour, ie leur puis respondre que ie ne suis
seul, ny le premier : car les anciens, & moder-
nes, tant François que Latins, l’ont bien fait
sans aucune reprehension, ains auec fruict &
honneur. Aussi ne doit on pas legerement iu-ger [f. 38 r] Fac-simile de la page EPISTRE. 38
ger de la personne qui escrit telles choses d’a-
mour, ioyeuses & recreatiues, plus que vitieu
ses : principalement d’vn Poëte, en l’esprit du-
quel y a tousiours ie ne say quoy de gayeté na
turelle, sans laquelle (i’ose dire) ne se peut ap-
peller Poëte. Et de là vient qu’anciennement
les Poëtes ont feint, & inuenté plusieurs cho-
ses plaisantes, pour auoir matiere & occasion
d’escrire, comme des Nymphes des bois, des
fleurs, des Fleuues, des neuf Muses qui s’en-
tretiennent par la main, & dansent sur la ver-
dure : du mont Helicon, & de Parnassus : d’A-
pollo, qui iouë de la harpe : de Bacchus, tous-
iours ieune & ioyeux : de Venus : de Cupido : de
Pan : des Faunes & Satyres, qui ont auec eux
quelques voluptez & lasciuetez non à despri-
ser en Poësie. Catulle escriuoit ainsi à Aure-
lius, & Furius, qui l’accusoyent d’impudicité
pour raison de ses vers lascifs :

Nam castum decet esse Poëtam

Ipsum, versiculos nihil necesse est :

Qui tam denique habent salem, ac leporem,

Si sunt molliculi, ac parum pudici :

Et quod pruriat incitare possunt.


Que i’ay traduit en ceste sorte.

Il faut que soit le bon Poëte

Pudique, & d’affection nette :

Mais de ses vers n’est ia besoin,

[f. 38 v] Fac-simile de la page EPISTRE.

Qui mesmement plus en sont loin,

Tant plus ont de saueur & de grace,

Quand on les sent comme à la trace,

Doux, chatouilleux, & impudiques :

Non point seueres & pudiques.


Ouide a ainsi escrit parlant de soy mesmes :

Crede mihi mores distant à carmine nostro :

Vita verecunda est, Musa iocosa mihi.


Que i’ay traduit en ceste sorte.

Entre mes mœurs, & le mien metre,

Grand’ difference l’on peut mettre :

Ma vie est honneste & honteuse,

Mais ma Muse est vn peu ioyeuse.


Aussi pareillement Martial,

Innocuos censura potest permittere lusus :

Lasciua est nobis pagina, vita proba est.

Que i’ay traduit en ceste sorte.

Rigueur peut biẽ ioyeux esbats permettre :

Ma vie est bõne, impudique est mõ metre.


L’Empereur Adrian a ainsi orné le tombeau
du Poëte Voconius :

Lasciuus versa, mente pudicus eras.

Que i’ay traduit en ceste sorte.

En vers tu estois impudique :

Mais chaste en cœur, & bien pudique.


Ie n’ay ces choses alleguees pour me iusti-
fier, & rendre innocent : car quand bien seroit
que i’aurois conioint l’experience auec l’es-criture [f. 39 r] Fac-simile de la page EPISTRE. 39
criture, ce ne seroit nouueauté, ne cas si repre
hensible. Il est tout seur que Tibulle Poëte
beau de corps, & sauãt d’esprit, eust pour amie
Nemesis : Properce, Cynthia, qui par fois luy
aidoit à parfaire ses vers, tant estoit sauante :
comme aussi la Corinne, à Ouide : Lesbia, à Ca
tulle. Mais ie voy que ce Proëme est ia parue-
nu à iuste longueur : & que l’œuure n’est telle
qu’elle requiere long propos ny ostentation :
& aussi ie crain que pour estre plus long i’oc-
cupasse trop vostre hautesse, laquelle veux, &
doy aduertir, & prier, d’excuser auec ma har-
diesse, les choses imparfaites que i’ay escrites
en ma grãde ieunesse, qui n’est pas, & ne peut
estre communement coniointe auec pruden-
ce & iugement, enfans d’vsage, & de memoi-
re. Et si ie sens que la basse veine de ma Fon-
taine en ce sien premier ruissel, soit bien re-
ceuë : vostre cœur noble ne doit douter qu’el
le fera son deuoir par cy apres, de vous
enuoyer autres ruisseaux coulans
auec eau plus abondan-
te, & plus fru-
ctueuse.

[croix] [f. 39 v] Fac-simile de la page [Bandeau]

LA FONTAINE D’A-
MOURS.
ELEGIES.

[1]La premiere Elegie.

B  Elle de face, & gẽte de corsage,

 Et de maintien bien gracieuse,
 & sage,

 Et d’vne lãgue ornee de propos

 Par toy ie n’ay en mes esprits
 repos.

5

Certes encor m’est auis maintenat,

Qu’au mesme lieu ta main ie suis tenant

Par qui i’enten en branle, en basse dance,

Si iustement que rien plus, la cadence.

Tu vas si bien par mesure, & compas

10

Que quand tu fais, & compasses tes pas,

Ton corps, tes pieds, tes mains vont si bien
 d’ordre

Que mesnetrier n’y sauroit pas rien mordre.


Certainement bien souuent m’est auis

Que [f. 40 r] Fac-simile de la page ELEGIE 40

Que deuant moy tu es tout vis à vis,

15

Et que le branle auec toy ie meine,

Te contemplant la face tant humaine,

Et ton beau corps : puis ie pense souuent,

Pour te donner au bas vn peu de vent,

Leuer du pied ta cotte bien doublee,

20

Sans que la danse en soit en rien troublee,

Tu m’en croiras, en tous endroits & lieux,

Mille pensers viennent deuant mes yeux,

Lesquels seroit impossible d’escrire.

Comment pourroye en ce papier descrire,

25

Qu’à la lueur de sept ou huict flambeaux,

Ie voy tes yeux plus luisans & plus beaux ?

Ton nez longuet, tes iouës vermeillettes,

Tõ beau taint frais plus que n’ont les fillettes

Ton large front, & ton col cristallin,

30

Aussi le bort des leures courallin,

Tes yeux petis, gracieux de nature,

Plus beaux, plus verds que la mesme verdure ?


Comment aussi mettroye en prose, ou vers

Que ie te voy iceux demi ouuers

35

Tourner vers moy, sans aucun semblãt faire :

Yeux qu’on diroit parler de quelque affaire

A ton amy, à present escriuant,

Sous grand espoir d’estre bien arriuant.


Pourroye ie dire ou bien monstrer par signe

40

Tous les maintiens que mon esprit t’assigne ?

Comment ie t’oy si sagement parler,

[f. 40 v] Fac-simile de la page ELEGIES

Que quand ta voix est diffuse par l’air,

Mon cœur te dit auoir telle faconde,

Qu’au monde n’as premiere ne seconde :

45

Tu as le cœur si gracieux & gay,

Que pour danser pauanne ou branle gay

Onques n’en vey vne de tel courage

S’en acquiter, sans perdre maintien sage :

Mesure tiens, auec ce le corps droit,

50

L’affection y est mise orendroit,

La grace y est, grace tant singuliere,

Qui me contraint dire qu’es la premiere,

Et tant de biens, en toy seule amassez.


En mon esprit ces propos tant pressez

55

Sant nuict & iour : dix mille fantasies

Les lieux secrets, & places ont saisies

De mon cerueau, si que ne puis penser

Sinon que tu me vueilles dispenser

D’elles l’effect : car en toutes tes graces,

60

Ie recognois de vraye amour les traces

Qui de filez & laz me viennent tendre

Pour mes esprits arrester & surprendre.


[2]La seconde Elegie.

SI ton œil vif est de telle pointure

Qu’il perse cœurs tãt que son regard dure,

Si l’esprit grand qui tous tes faits regist,

Si beauté (dame) qui en toy gist

Ne [f. 41 r] Fac-simile de la page ELEGIES 41 5

Ne mentent point, tu es de douceur pleine

Comme de fruicts en saison vne plaine :

Si autrement (ce que croire ne puis)

Apres auoir repeu mes yeux seduits,

Ne veux mon cœur en ta douceur repaistre,

10

Mieux me vauldoit, mieux cẽt fois sans yeux
 estre

Et s’ainsi est que ferme en rigueur sois,

Respon, pourquoy mon cœur si fort blessois ?

S’il n’a en toy support ny soustenance,

Que dit ton œil, que dit ta contenance ?

15

Que tu n’es rien qu’vne tentation

Dont la fin n’est que desolation :

Que n’es sinon vn arbre de plaisance

Portant vn fruict amer de desplaisance :

Mais quand le feu couuert de ce beau taint,

20

Iusques au cœur les regardans attaint,

Incontinent on iuge que la flamme

Te monstre auoir vn courage de femme,

Tel que ie quier. Et pource amie entens,

Que si tu veux trouuer le lieu & temps,

25

Dire ne peux que trouuer ne le puisses :

L’on fait assez qu’à tous moyens propices

Le lieu & temps furent le grand moyen

Qui assembla Heleine & le Troyen.

Le lieu & temps aussi moyen sera,

30

Qui, s’il te plait, nous deux assemblera.


F [f. 41 v] Fac-simile de la page ELEGIES.

[3]La troisiesme Elegie

EN reduisant en memoire ta grace,

Ton beau maintien, & ta luisante face

Ie me suis mis à te faire l’escrit

Que plus le cœur que la plume t’escrit :

5

Tu le verras, mais en le voyant, garde

Qu’homme viuant ne le voye, ou regarde,

Soit familier, soit sage, ou indiscret :

Non pas pourtant qu’il y ait grand secret :

Mais valent mieux les choses tousiours seures,

10

Auec esgard de gens, de lieux, & d’heures :

Car tel souuent se monstre familier,

Qui dit des maux en derriere vn millier.


Te souuient il donques de la iournee

Que te trouuay richement atournee ?

15

C’est vn des heurs plus grãd qu’onques m’a

Il y en eut des Dames plus de vingt (vint.

De grand beauté, contenance, & sagesse,

Dont le regards faisoit vers moy adresse,

Qui comme toy ne naurerent mon cœur :

20

Estre ne peut de toy seule vainqueur.

Ie te voyois auec elles assise,

Si bien parler d’vne façon rassise :

Ie te voyois (i’en ay bien souuenance)

Rire & parler en bonne contenance :

25

Et quand quelqu’vn deuers toy s’adressoit,

Tant sagement le tien corps se dressoit,

Le [f. 42 r] Fac-simile de la page ELEGIES 42

Le receuant d’vne façon humaine,

A celle fin que danser il te meine.


En quoy faisant n’es semblable à beaucoup

30

Qui lourdement se leuent tout à coup :

N’à celles là apres qui les gens musent,

Ou par orgueil les laissent, & refusent.

A mon vouloir que telles on laissast

Tousiours croupir, de peur qu’on les blessast.


35

Tu sais si bien en branle, en basse danse,

Comment le pied, & comme le corps danse

Qu’on te tenoit de la danse le chief,

Soit à baisser, ou à faire relief.


En tel estat te contemplois adonques

40

Plus amplement certes que ne fey onques.

Il ne suffit seulement de sauoir

Quel au parler maintien on peut auoir,

Mais au danser cœur de femmes s’espreuue :

Là le maintien, & la grace se preuue :

45

Là on voit bien qui se tient sagement :

Là vn chacun peut donner iugement.


Tantost apres deuers toy ie m’adresse,

Lors en doux œil d’amoureise caresse

Tu prins ma main, sans delay, ne refus,

50

Dont fort ioyeux dedans ie fus :

Non pas doutant que femme me refuse,

Ie la rendrois trop plus que moy confuse :

Mais que tant plus i’auois à toy desir

En ta caresse auois plus de plaisir.

F 2 [f. 42 v] Fac-simile de la page ELEGIES 55

Biẽ me souuiẽt du beau lieu ou nous fumes,

Où à l’entree vn si bon recueil eumes,

Quand veimes l’huys vn peu entrebaillé :

Apres buquer, pouuoir nous fust baillé

D’entrer dedans, ô quelle grande chere

60

Là on nous fit ! vn chacun met enchere

A qui mieux mieux, suruiẽnẽt mets sur mets,

De te seruir sur tout ie m’entremets :

Et quand ce vint à presenter l’yssue,

En veimes vn, le ventre au feu, qui sue.


65

Apres les mets partis deça, dela,

Chacun repeu, nous leuames de là,

Ayans bien veu les iardins, & mesnage :

Car tu sais bien que cœur amoureux nage

En nouueautez : mais partant de ce lieu,

70

En mon chemin ie te dy mon adieu

De bouche, & plus de cœur, & de bon zele,

Pensant en moy, c’a esté de par elle

Qu’au lieu plaisant auons esté traittez,

Et qu’on nous a si bons mets apprestez,

75

Voilà comment fimes la departie.


Or ie voulant que tu sois aduertie

De mon vouloir, te fay mercis plus amples

Que n’ont esté de bouche les exemples :

Et si veux bien que saches que suis prest,

80

E bon amy de faire mon aprest,

Pour ta traitter en la sorte & maniere,

Non que m’as fait en la chere derniere,

Mais [f. 43 r] Fac-simile de la page ELEGIES 43

Mais que pourra le mien petit pouuoir,

Adieu amie, Adieu iusqu’au reuoir


[4]La quatrieme Elegie.

SI tu cognois le trauail & la peine

Dont est d’amours la sente toute pleine,

Si tu entens mes maux aucunement,

Ton plaisir soit me dire absolument

5

Ouy ou non : par response absolue

Bien tost sera la question solue.

Le premier est gracieux saufconduit :

Le second est dedaigneux esconduit :

Par le premier on entend iouyssance :

10

Par le second rigoureuse puissance.


O quand ie sens la pointe de tes yeux

Tant attrayans, tant doux, & gracieux,

De ton amour ie ne puis me deffaire :

Aussi voyant ta maniere de faire,

15

C’est que tousiours laisses le temps passer

Sans nul bon mot, lors me sens trespasser,

Ne declarant, sous espoir qui domine,

L’aspre douleur qui sans fin mon cœur mine.

Tel bien souuent se monstre dru & sain,

20

Qui n’a repos sur lict, ne trauersain.


Donc si tu as, ou es la medecine,

Ton bon secours le nauré medecine :

Sans plus tarder, dy ie le veux : sinon

F 3 [f. 43 v] Fac-simile de la page ELEGIES

Incontinent dysans car, ou sy, non.

25

Car dequoy sert faire tant de menees ?

Tant de fatras, & tant de pourmenees ?

Tant deuiser, quand on ne vient au poinct ?

Tant requerir, quand on n’accorde point ?

Tant esperer, quand au bien on n’attouche ?

30

Trop tire en vain qui onc au blanc ne touche.


L’on doit sauoir plus de gré d’vn plaisir

Fait sans seiour, que quand par desplaisir

D’attendre trop il est force qu’on sente

Dueil & soucy, tant que l’amant consente

35

Mourir soudain, ou viure en languissant.


Ren donc le cœur qu’as affoibly, puissant :

Ren en santé celuy que tu affoles :

Ren au confus bonnes seures paroles :

D’estre plus long ne trauaille ma plume :

40

Car vraye amour cœur d’amour plus allume

Que les escrits : & outre, le mandeur

Sait qu’il faut peu à vn bon entendeur.


[5]La cinquieme Elegie

LA où tu sais ie ne prins iamais aise

Qui ne me fust destrempé en mesaise :

Car quel plaisir de pres & voir toucher

Ce qu’on peut bien, mais qu’on n’ose attou-
cher,

5

Pour esprouuer par pinceau & par pointe,

Com [f. 44 r] Fac-simile de la page ELEGIES 44

Combien que soit la bague riche & cointe ?

Dame, dy moy, qui as bon iugement,

Cela est il vray allegement ?

Ioye, ou plaisir ? ou plustost fascherie,

10

Qui mesle peine en pensee marrie ?


C’est seulement le moindre resiouyr

Qui vient chasser plus outre le iouyr,

C’est vn ottroy qui vainement conforte :

C’est vn confort qui l’amant desconforte :

15

C’est vn beau feu qui a double chaleur :

C’est vn bon sort tout bordé de malheur :

C’est vn accord donné sous feinte guise :

Vne seurté laquelle se desguise :

C’est vn sirop que le medecin donne,

20

Pour allonger le mal de la personne :

C’est vn vouloir dont l’effect est lointain :

Vn asseurer lequel est incertain.


A brief parler, ce me fut plaisir souëf :

Mais tout cela n’estanche point ma soif.

25

Voilà que c’est, tu n’estois pas lointaine :

Mais ie mourois de soif aupres de la Fontaine.

Dont ne le faut conter pour passedroit :

La raison est, qu’on ne fait pas ce droit

Qui est requis à bien esprouuer l’œuure.


30

Amie, or sus, par pitié ton cœur s’euure :

Luy seul peut tout faire bien prosperer,

Car c’est luy seul qui me fait esperer.


F 4 [f. 44 v] Fac-simile de la page ELEGIES

[6]La sixiesme Elegie.

O Meschant sort, ô maudite fortune,

Qui pour auoir aimé ainsi fort vne,

M’as bien tenu l’espace de deux ans

Entre tes lacs tant durs, & mal plaisans !

5

Car si par fois auenoit qu’à la trace

Trouuois ma dame, ou que la rencontrasse,

Subitement par ta meschanceté

Tu me venois tollir ma liberté :

Si que n’osois conter mon cas à elle,

10

Ne luy donner à entendre mon zele.

Qui penseroit quel dueil ? quand à regret

Adonc me faut tenir mon cas secret.


Plus vois auant, plus le zele s’augmente :

Tant plus il croist, tant plus il me tourmente :

15

Car on sait bien que trop ardant desir,

Sans reueler, nous fait en dueil gesir.

Plus vay auant, plus croist ma hardiesse :

Plus elle croist, plus ie sens de liesse :

Car elle fait que ie propose en moy

20

Conter mon cas, & sans aucun esmoy.

Or il aduient que ie trouue ma dame,

I’ay ce propos, de luy chanter ma game :

Mais que fais tu, ô tresmalheureux sort ?

Tu rõps mon coup, car quãd i’entre elle sort.

25

Voilà comment tu m’es tousjours contraire,

Et que de toy ne puis aucun bien traire.

Mais [f. 45 r] Fac-simile de la page ELEGIES 45

Mais maugré toy, tant ie l’aime & la sers,

Que la querray auant par les desers :

Ie la querray & par champs & par villes,

30

Et feray tant par tous moyens habiles

Que la verray : & si m’escoutera :

I’y paruiendray quoy qu’il me coustera.


[7]La septieme Elegie.

SI par auoir sur toy ietté ma veuë,

Le plus du tẽps ton cœur dit, il m’a veuë,

De son costé le mien n’en dit pas moins :

Les coups de trait en sont les vrais tesmoins :

5

I’enten de trait, que l’œil tira adonques

Tout droit au cœur, aussi bien qu’on vid on-
ques.

Mais s’il aduient qu’on ne puisse tirer

Le trait dehors, ô Dieu quel martyrer !

O quel tourment ! ô quelle fascherie !

10

Car autrement ne peut estre guerie

La playe ainsi en cœur receuë, ô Dieux

Mieux il vaudroit que l’homme n’eust point
 d’yeux !

Que par iceux en vn tel martyre estre,

Qui ne relasche en la vie terrestre.


15

C’est bien menty, c’est bien menty de dire

(Car à present les ose tous desdire)

Que Cupido a les deux yeux bandez,

F 5 [f. 45 v] Fac-simile de la page ELEGIES

Si que iamais ne luy sont desbandez :

Et mesmement que les deux yeux il bande,

20

A toutes gens lesquels sont de sa bande :

Veu qu’il n’y a ça bas plus clair voyans :

Ny plus au vif leur regard employans.

Ne voyent ils sur Cheualier, ou Dame

Le moindre sy, qui face au corps diffame ?

25

Ne voyent ils, & n’ont ils bien notez

Le haut, le bas, le milieu, les costez ?

Ne voyent ils de leur veuë bien pure

De toutes gens le maintien & alleure ?

Ne voyent ils, mais ne nombrent ils pas

30

Secretement tous les bons & faux pas ?

Ne voyent ils s’il y a rien qui face

Quelque beauté au corps, ou en la face ?

Le nez, les dens, les yeux, & les sourcils ?

Ne voyent ils les pensers & soucis ?

35

La ioye, ou dueil, mesme que le cœur porte ?

Ils voyent tout ainsi qu’ilse comporte,

Et pour parler vrayement & à poinct,

Plus clair voyans au monde n’y a point.


Rien ne fait donc, rien n’ entẽd & ne gouste

40

Celuy qui dit, Cupido ne voit goutte :

Quand en vn cœur (qui bien petit appert)

Tire si droit, que tousjours il y pert :

Pareillement quand ceux qu’il naure ainsi,

Ont l’œil sur tout iusques au moindre sy.


La [f. 46 r] Fac-simile de la page ELEGIES 46

[8]La huictieme Elegie.

APres que i’ay par trois ou quatre fois

(Sans auoir eu response, toutesfois)

Escrit à vous d’vn amour de bon zele,

Ie m’esbahy de vous, madamoiselle,

5

Que i’estimois voire entre toutes vne.

Mais qu’y a il ? est ce quelque fortune,

Qui entremet d’escrire empeschement ?

Respondez moy, dites le franchement.

Est-ce mespris, ou oubly ? ie ne pense,

10

Et ne croy point qu’il y ait oubly en ce :

Car que vaudroit sa promesse auancer ?

Quand tout est dit, ie ne say que penser.


Voilà comment en doute ie demeure,

En attendant quelque escrit qui m’asseure,

15

Lequel par trop est tardif à venir :

Ou ne l’ay peu encor voir, ne tenir,

Pour le seiour des porteurs, & grand pose.

Ie ne saurois que penser autre chose,

S’il n’est ainsi : i’ay fait donc mon deuoir,

20

Non vous le vostre : encor vous offre à voir

Presentement la missiue presente,

Comme si fust ma personne presente.

La raison est, ce que ma plume escrit,

Le prend du cœur qui premier le descrit.


[f. 46 v] Fac-simile de la page ELEGIES 25

Si donc en vous y eut de negligence,

Reparez la par bonne diligence.

Combien pourtant ie ne l’estime ainsi :

Mais que seroit plustost quelque autre sy,

Que ie n’enten, quand on a fait promesse,

30

Quelque grand cas suruient si elle cesse.

Car nous n’auons, ô cœur que i’ay tant cher,

Que nostre foy, nous n’auons rien plus cher.

Par mes escrits vous pouuez biẽ cognoistre,

Où que ie sois, que veux de vous bien estre,

35

Et sans cela cecy ne vous mandois :

Car que vaudroit de trauailler mes doigts ?

Pour estre brief, amour veut, & commande

Que m’offre à vous, à qui me recommande.


[9]La neufuieme Elegie.

PAr cest escrit, dame, ie ne pretens

De m’accuser vers vous, qui en tout tẽps

M’auez trouué prest à vostre seruice,

Et trouuerez sans mespris, & sans vice :

5

Ie ne preten aussi rentrer en grace,

Ayant commis vers vous crime, ou fallace :

Le seul penser de telle lascheté

Crime seroit de lese maiesté.


Seulement donc ie vous veux declarer,

10

Et par ces vers escrire, & auerer

Comme à grand tort de legere façon,

L’on [f. 47 r] Fac-simile de la page ELEGIES 47

L’on a trop eu sur moy faux souspeçon :

D’auoir robbé vn chien à celle Dame

Que veux seruir, & sans fin, & sans blame :

15

D’autant s’en faut qu’en faire, ou en penser,

Pour petit cas la voulusse offenser.

Où est celuy, tant soit il inhumain,

Qui auançast sa malheureuse main,

Pour en rien nuire à telle dame honneste,

20

Ou pour robber le chien qui luy fait feste ?

La dame en soy est de beauté tant pleine

Que ie la dy vne seconde Heleine,

Digne pour qui on souffrist mille alarmes :

Et Rois & Ducs missent la main aux armes.

25

Elle a aussi auecques sa beauté

Conioint amour, douceur, & priuauté,

Si gracieuse, & de si bon accueil,

Que mon grand bien seroit son riant œil.

Et ma personne estimois bienheureuse,

30

Quand me disoit en parole amoureuse

Bon iour, bon soir. ô la bouche mignonne !

Oeil friant, qui vie au cœur me donne.


Veu donc l’accueil que m’a fait, & l’hõneur,

Serois ie pas trop plein de deshonneur

35

De la vouloir par mon crime estranger,

Luy faisant pis qu’vn barbare estranger ?

Luy tollissant ce que tant cher elle a :

Le petit chien qui la suit ça, & là :

Le petit chien, son cœur, s’amour, sa vie :

[f. 47 v] Fac-simile de la page ELEGIES 40

Le petit chien qui l’a tousiours suyuie :

Qui la cognoit mieux qu’Argus, Vlysses :

Et, la perdant, n’a iamais les yeux secs :

Le petit chien qui en son iappement

Chante encor plus que Graucis doucement,

45

Digne d’auoir, tant il est beau & sage,

De Publius la chienne en mariage :

Le petit chien d’amour tant bonne & pure,

Digne d’auoir apres mort sepulture

Auec la chienne, helas, d’Atalenta,

50

Que le sanglier trop cruel adenta :

Digne d’auoir sa deploration,

Et sa louange, & decoration,

Auec l’oiseau de l’amie à Catulle,

Et le perroquet qu’Ouide y accumule.


55

Mais que me vaut purger de tel meffait

Veu qu’on sait bien que ne l’ay iamais fait ?

Si ie l’ay fait, & commis telle offense,

Ie sois mangé des chiens pour recompense,

Deschiquetans tous mes membres menus,

60

Comme iadis Acteon, & Linus.


Or cognoit on par euidente issue,

Qu’on a sur moy opinion conceuë

A bien grand tort, & par trop faussement :

Vous le sauez, Dame, premierement,

65

Dame du cas, à qui la chose touche,

Dame du chien qui lesche vostre bouche :

Que pleust à Dieu que ie disse aussi bien

Dame [f. 48 r] Fac-simile de la page ELEGIES 48

Dame de moy, comme dame de chien.


Vous l’auez donc recouuré Dieu mercy :

70

Le chien est vostre, & ie le suis aussi :

Voire le suis, encor que ne vouliez,

Et qu’en rigueur tout au contraire alliez.

Vostre ie suis à vous faire plaisir,

Mieux que le chien qu’auec vous voy gesir.


[10]La dixieme Elegie.

BElle, pour qui à tort suis accusé :

Mais toutesfois de toy suis excusé,

Et de celuy qui seul cognoit les cœurs,

Ie ne pren pied à ces langars moqueurs,

5

(Car autrement ie ne les peux nommer)

Ton courtisan me venans surnommer :

Par vn seul mot donnans à nous deux blame,

Qui m’est biẽ grief, pour toy, honneste dame.

Dea si i’estois vn mignon perroquet

10

Plein de babil, & d’amoureux caquet,

On pourroit dire vn mot à l’auanture :

Mais ce sont gens de langarde nature.


Le temps de toy la vengeance fera,

Meschant langard, le temps nous vengera :

15

Et la vertu t’imposera silence.

N’entrepren donc sur dame d’excellence,

De qui les faits sont si bien compassez,

Comme tu fis ces iours prochains passez.


[f. 48 v] Fac-simile de la page ELEGIES

Et quant à toy dame à qui ie rescri,

20

Ne crains en rien tout leur blason & cry :

Mais, comme moy, ie say que viendra dire

Vertu en fin vaincra tout leur mesdire.


[11] La vnzieme Elegie.

POur resiouyr mon cœur qui est tout tien,

Pour resiouyr ton cœur qui est tout mien :

Au moins ie pense, & ie le croy ainsi,

I’ay entrepris, non sans peine & soucy,

5

Maint cas estrange & difficile à faire,

Pour seulement à toy seule complaire.


Helas, helas quel desplaisir ie gouste

O Cupido, pourtant que ne vois goutte,

Que ne vois tu, respon fils de Venus,

10

Les maux où sont maints amans deuenus ?

O my heureux, si le moyen auoye !

O moy ioyeux si le pouuoir auoye

De deslier le bandeau de tes yeux,

Lors tu verrois l’estat pernicieux

15

Auquel ie suis, trop plus mort que viu ant [sic pour viuant].


Mais s’il te plait tost seray reuiuant,

Belle, pour qui mon triste cœur lamente :

Toy seule peux appaiser la tourmente.

Que fay ie donc à Cupido complainte,

20

C’est à toy seule à qui doy faire plainte.

Autre inuoquer c’est trop grand mesprison :

Toy [f. 49 r] Fac-simile de la page ELEGIES 49

Toy seule fais la playe & guerison.

De me guerir ne fay donc point refus :

Tu sois Achil’, ie seray Telephus.


[12] La douzieme Elegie.

I’Ay veu chacun parler à ton honneur,

Et de los estre à ta vertu donneur :

L’vn te disoit auoir biens de nature,

Qui surpassoiyent toute autre creature :

5

L’autre tenoit qu’es vn miracle au monde,

Et qu’en douceur tu n’as point de seconde.

Brief, à toute autre on venoit preposer

Toy seulement, sans trop dire, ou gloser.


Tel los tu as merité grandement,

10

Car de beauté tu as abondamment,

Certes trop plus qu’onque femme viuante :

Ioint que ta main est tant bien escriuante.

Tu es Sappho en science hautaine :

Tu es en biens Iuno la souueraine :

15

Tu es Pallas en grace, & grauité :

Tu es Heleine, ou Venus en beauté.

Les membres as tant proportionnez,

Qu’ils semblent estre à proportion nez.

Tant bien conuient le col auec la teste :

20

Tant bien conuient le sein auec la reste.

Certainement ton visage Angelique

Rendroit ioyeux l’homme melancolique.

G [f. 49 v] Fac-simile de la page ELEGIES

Tes yeux sont clairs, splendissans & luisans,

A toute ioye & liesse induisans :

25

Si gracieux & benins de nature,

Que se depart, lors que ton regard dure,

Toute tristesse, & fait à ioye place.


Le plaisant taint de ta luisante face,

Ton large front, & ton col cristallin,

30

Ton tetin blãc , qu’on voit sous crespe, ou lin

Bien delié : ta leure rouge, & saine,

D’où vient, & prend son petit cours halaine

Tant souëue & douce, & tes dorez cheueux,

Ton corps bien fait, brief, tout en toy ie veux

35

Autant louër que possible sera.

Mais qui le tout dignement louëra ?

O grand beauté, douceur, & grace d’ange,

Ma Muse est bien moindre que ta louange ?


[13]La trezieme Elegie.

SI ie t’escry, ce n’est pas sans raison :

Mais pour autant qu’à toute desraison

As mis ton cœur, tu verras cest escrit,

Que ma plume a quasi par ire escrit,

5

Sur ce papier contenant ma fortune.


O malheureux quand i’aime ainsi fort vne,

Qui n’aime pas d’vne amour reciproque :

Dont dire peut, onc ne verrau Cypre. O que

Feu discret suis, & tresmal cognoissant,

Que [f. 50 r] Fac-simile de la page ELEGIES 50 10

Que n’en aimay autres, dont iouyssant

Ie fusse bien, qui me desiroyent voir,

Ia soit qu’en moy de richesse & d’auoir

N’ayent trouué, toutesfois bien ie fay

Qu’elles ont fait par plusieurs fois l’essay

15

De m’attraper en leur rez, & cordelles,

Quasi m’offrans le cœur, & le corps d’elles,

Tant ont esté vers moy de bons accords.


I’ay, grace à Dieu, santé en ieune corps,

Et suis tresbien de mes membres deliure :

20

Lunettes n’ay pour lire tout vn liure :

I’ay cœur ioyeux : ie fay trop plus qu’assez,

Que tels que moy ne sont iamais cassez

(Ie ne le dy pour me vanter) aux gages

De Cupido, lequel fait feux & rages.

25

Si tu me veux, ie te veux bien aussi : mais si

Tu ne me veux, ie ne te veux aussi :

Car autrement ie ne t’ay iamais quise.

Si autrefois ta grace i’ay acquise,

Ou que par trop leger de croire fus,

30

Et maintenant tu fais de moy refus :

Remede quel ? Il faut que ie m’en passe,

Et que l’estude, & les liures i’embrasse,

Sans que de toy quelque si, ne car, i’oye.

Ou il faudra, si ie quiers autre ioye,

35

Que mon cœur (las) vers vne autre s’adonne

Qui son amour entierement me donne.

I’en say plusieurs, & si say leur hostel,

G 2 [f. 50 v] Fac-simile de la page ELEGIES

Dames d’honneur (dignes d’auoir los tel)

Dames de nom, qui à me voir demandent :

40

Et quelque fois auec honneur me mandent :

Ie ne say pas si ie leur semble affable,

Mais certain suis que cela n’est pas fable.


A quel propos te monstres tu si fiere ?

Ne pense pas que t’aye par priere :

45

De tant prier ce n’est point ma coustume :

Difficile est qu’à ce ie m’accoustume.

La grace à Dieu encor suis en ieune aage,

Quand le cœur gay en tout ioly ieu nage :

Ie suis encor en mon adolescence,

50

Lors que d’esbats on prend la cognoissance.

Ie suis encor (sans vanterie) seur,

Que de plusieurs peux estre possesseur.


Mais si tu veux demeurer mon party,

Mon cœur auras entier, & non party :

55

Ne veux tu point me prendre pour partie,

Tout aussi tost feray la departie.


[14]La quatorzieme Elegie.

EN attendant auoir de toy secours,

Le temps s’en va tousiours passe ce cours

Sans y penser, nous dit adieu ieunesse :

Sans y penser nous poursuit la vieillesse :

5

Le beau soleil tous les iours va & vient :

Ieunesse va, mais iamais ne reuient :

Et [f. 51 r] Fac-simile de la page ELEGIES 51

Et trop en vain en fin al regretons,

Quand ses esbats par trop nous reiettons.

Ieunesse donc (si tu m’en crois amie)

10

Et ses esbats ne reietterons mie.

Assez aurons vieillesse rigoureuse :

Sans chagriner nostre ieunesse heureuse.

Respon moy donc, sans me tenir confus,

Loyal ami te suis, comme ie fus.

15

Faut il tousiours que suspens ie demeure ?

Et qu’en langueur sans mourir touiours meu
 (re?


Qui est celuy qui est exempt d’aimer ?

Ie voudrois bien qu’on me le peust nommer.

Qui est celuy qui n’ait fait quelque amie ?

20

Ie croy que tel on ne nommera mie.

Anthoine Marc aima Cleopatra :

Enone aima Paris, dont elle entra

En grand douleur quand Heleine il rauit.

Le peintre grand, Campaspé nue vid,

25

Et fut d’amour, & d’ardeur entamé.

Pyramus a iusques à mort aimé,

Thysbé aussi, tesmoin leurs glaiues nuds.

Le trait d’amour, le brandon de Venus,

Ont bien senti Ero, & Leander,

30

Qui ont voulu des epistres mander :

Et qui sont morts en poursuite amoureuse,

Noyez en mer horrible & furieuse.


Les dieux hautains mesme ont plaisir d’ai-
mer :

G 3 [f. 51 v] Fac-simile de la page ELEGIES

Qu’il soit ainsi, Neptune, dieu de mer,

35

N’aima il pas Tethys ? ouy en effect.

Mars & Venus on a pris sur le fait.

Et Juppiter aima Leda, en signe

Qu’il se mua pour elle en vn blanc Cygne.

Phebus aima Leucothee, & Daphné :

40

D’vne iouy, l’autre l’a pourmené :

Mais l’vne & l’autre est en arbre muee,

L’vne d’honneur, l’autre d’odeur ornee.

La Lune aima de grand affection

Iadis le beau pasteur Endymion,

45

Et l’endormit sept ans : adonc le baise

Incessamment, & trop plus à son aise.


Tu entẽs dõc que le train d’amours suyuẽt

Mesme les dieux, que les hommes ensuyuẽt .

Si i’aime bien, i’ensuy des dieux la Loy :

50

Ce ne sera honte ou reproche à moy :

Mais ce sera à toy reproche & honte,

Qui de m’aimer ne tiens raison, ne conte.


[15]La quinzieme Elegie.

SOuuent aduient que ce que l’on desire

De cœur feruẽt , se vient au sens produire :

Si que fust on à l’esquart, ou par voye,

Tel comme il est il semble qu’on le voye.

5

Ainsi me sont maints pensemens venus :

Et si tu quiers, qui fait cela ? Venus,

Venus [f. 52 r] Fac-simile de la page ELEGIES 52

Venus ne veut amans estre lointains,

A fin qu’ils soyent l’vn de l’autre certains :

Venus le cœur de l’vn à l’autre change :

10

Venus iamais ne veut que l’on s’estrange.


Ie vy en toy, en moy mesme ie meurs :

Tant m’est à gré ton maintien, & tes mœurs,

Que mon cœur prend dedans toy sa racine,

Et que seras sa vie & medecine,

15

Tant que l’amour iusqu’à mort estincelle :

Car à iamais ie te maintiendray celle,

Que i’aime seule, & qui me fait valoir :

Qui a mon cœur du tout à son vouloir :

A qui i’escry regrettant sa presence

20

Me trouuant mal de sa trop longue absence.


Or s’il te plait changer mon dueil en ioye,

Amie, fay que dans brief terme j’oye

Bon mot de toy, sans lequel ie peris :

Car exposé me voy à grands perils.

25

Ie n’escry pas pretendant ton auoir :

Mais ie t’escry pretendant ton reuoir.


Ly donc la lettre, & pren en bonne part

L’affection du cœur dont elle part.


[16]La sexieme Elegie.

DE trois regrets mon cœur fut surmõté,

En delaissant, dame, vostre cité.

Vostre cité, helas, & c’est le poinct,

G 4 [f. 52 v] Fac-simile de la page ELEGIES

Vous y tenez, & ie ne m’y tien point.


5

C’est le premier de trois regrets en nõbre,

Et le plus grand, qui tiẽt mon cœur en ombre

D’ennuy fascheux, dont procede vn souci,

Vn pensement, & vn souspir aussi :

Non sans raison, & bien grande apparence,

10

Quand loin de vous ie fay ma residence.


Secondement i’ay vn autre regret

De la cité, lequel est moins secret,

C’est à sauoir pour le terrain, & cloistre :

Et ce regret vient le premier accroistre.


15

Le tiers regret c’est que de ce palais

Ou quelquefois pourmener ie me plais

Plus pres seroye, & plus en cœur de ville :

Ie suis en lieu, & en rue plus vile,

Peuplee moins, & sentant mieux ses champs,

20

Ou ne voy tant de sortes de marchans :

Et dessus tout, dame, ie ne t’y voy,

Dame que i’aime autant ou plus que moy.


Ces regrets dõc me greuẽt : mais en somme

Le premier seul tous les autres consomme :

25

Lequel regret si au long ie poursuis,

Certainement assailly de peur suis,

Et si croy bien que main & plume ensemble

N’en escriroyent la moitié ce me semble.


Quand mon esprit s’y voudroit biẽ offrir,

30

Plume & papier ne le pourroyent souffrir :

Car ce regret est de telle nature,

Qu’il [f. 53 r] Fac-simile de la page ELEGIES. 53

Qu’il ne se peut comprendre en escriture :

Ie ne voy point meilleur contentement

Que le laisser à vostre pensement.


35

Or à Dieu donc, à Dieu, à Dieu ce dy ie

Incessamment, car amour m’y oblige.


[17]La dixseptieme Elegie.

APres que i’ay bien veillé, & n’ay peu

Aucunement vous trouuer à temps deu,

Pour vous bailler vn petit mot de lettre

Dame, croyez que suis contraint de mettre

5

La plume en main pour vous faire sauoir

Que de ma part i’en ay fait mon deuoir :

Pareillement pour despiter Fortune,

Qui ne nous donne aucune heure opportune :


Car ie preten par ces presens escrits

10

Vous declarer mes souspirs & mes cris,

Dont fus seruy en cœur & en pensee,

Incessamment la semaine passee.

Et tout ennuy quand il est reuelé,

Ne nuit pas tant que quand il est celé.

15

Le cœur humain s’allege & se soulage

Se descouurant à quelque personnage :

Mesme au besoin (s’il se sent trop charger)

Sur le papier il se peut descharger.


C’est ce qui fait qu’encore vous escriue,

20

Et que pour vne aurez double missiue :

G 5 [f. 53 v] Fac-simile de la page ELEGIES

Mais que malheur tant ne me vueille outrer,

Qu’on ne vous puisse à heure rencontrer :

Qui me seroit vn renfort de mesaise,

Dequoy mon cœur ne seroit iamais aise :

25

Ce me seroit vn si aspre rengrief,

Qu’il n’en fut onc, ce croy ie, de tant grief.


Premierement, dame, d’amour entiere,

Quand le maintien, & grace singuliere,

Qui sont en vous ie vy, & apperceu,

30

Grande liesse en mon cœur ie receu :

Et m’en croyez que plus que de ma vie,

Senty en vous ma pensee rauie.


Puis vostre ris, vostre parler courtois,

Me pleurent tant, que quand vous escoutois,

35

(Combien que nous eumes peu de parole)

Vous estimois le chef de la Carolle.

Le doigt pressé, & les genoux frayez,

Les traits de l’œil franchement ottroyez,

Du bout du pied la cotte souleuee,

40

Ioyeusement en maniere priuee,

Le bon maintien de corps, & de visage,

Tel qu’est requis pour feminin vsage :

Le cœur dehait, le corps droit maintenu,

Le rond tetin ombrageux, demy nud,

45

Me faisoyent dire, & sans outrecuidance,

Femme de cœur est ceste cy qui danse.


Mais qui pourroit, ainsi comme i’entens,

Le plaisir dire, & le grand passetemps

Que [f. 54 r] Fac-simile de la page ELEGIES 54

Que ie prenois en vostre œil d’amour pure,

50

Auant la danse, ou quand la danse dure ?

Mais qui pourroit, ou escrire, ou penser

Ce que depuis i’en ay peu pourpenser ?

Cœur conuoiteux se delecte, & se baigne,

Alors qu’il fait mil chasteaux en Espaigne :

55

Ie ne veux donc tant haut philosopher,

I’aimerois mieux sur le fait m’eschauffer.


Las, quantesfois le iour ie me transporte

Soir & matin iusques à vostre porte,

Pour recreer mes yeux (qui mes grand heur)

60

Vous le sauez que ie ne suis menteur :

Et ma personne y auez auisee,

Souuent iettant dessus vous sa visee.

Lors ie me sens d’amour tant detenir

Que ie ne say quel maintien doy tenir.

65

Ie vay, ie vien, tout soudain ie destourne,

Puis ie reuien, ie marche, ie retourne,

Qui fait cela ? sinon que mes esprits

Sont plus que trop de vostre amour espris.

Par vn long temps l’amour point ne se cele :

70

Le feu caché en la fin se decele.

Le feu que sens est feu chaut, clair & beau :

C’est à sauoir de Venus le flambeau,

Qui tousiours luit, & long temps ne se cache,

Ha vostre cœur n’est pas qu’il ne le sache :

75

Luy plaise donc espandre tant soit peu

De l’eau de grace au milieu de ce feu,

[f. 54 v] Fac-simile de la page ELEGIES

Dont par vostre œil, qui sus moy estincelle,

M’auez ietté la premiere estincelle.


[18]La dixhuictieme Elegie.

EScrire veux comment mon corps se sent,

Et mon esprit quand de toy suis absent.

Comment escrire ? ha par trop ie presume :

Car il n’y a au monde langue ou plume,

5

Qui plainement le peut dire ou escrire :

Mais en diray ce que ie pourray dire.


I’escriray donc, mais non pas la moitié :

Car qui pourroit bien dire l’amitié

D’entre nous deux, telle que ie la sens ?

10

Certes amour passe tout humain sens.

En t’escriuant bien te voudroye induire

De supporter ce qu’en amour peut nuire,

Comme ie fay : car la raison veut bien,

Qu’vn peu de mal accompagne vn grand biẽ .


15

Premierement quand de toy suis arriere,

Me sens muer en toute autre maniere :

Et m’est auis qu’euidemment ie voy

Qui suis vn autre, & que ce n’est plus moy.

La où i’estois monstrant toute liesse,

20

Ie suis mué comme en vne vieillesse.

La où i’auois cœur ioyeux & riant,

Ie suis pensif, & tout propos fuyant.


O quel ennuy, ô quelle dure chose,

Quand [f. 55 r] Fac-simile de la page ELEGIES 55

Quand fait souffrir telle metamorphose,

25

En cœur & corps telle mutation !

Mais quelle ioye & delectation,

Quand ie te voy & contemple à mon aise !

Amour ne peut rien faire qui ne plaise

La où ie suis, là certes ne suis pas :

30

Car où tu es ie quier faire mes pas.

Ce que i’oy dire, ou que ie voy, se passe :

Tout ne m’est rien, tout se perd, & s’efface,

Fors que de toy vn tresgrand souuenir,

Qu’incessamment sens aller & venir

35

Par tous les lieux de mon pesant cerueau,

En luy donnant tousiours trauail nouueau,

Qui est meslé d’vne ioye nouuelle,

Qui dans mon cœur s’ engẽdre & renouuelle.


Seroy ie ainsi si beaucoup ne t’aimois ?

40

Le iour m’est an, les heures me sont mois,

Pareillement les minutes tousiours,

Quãd ne te voy, me semblẽt bien longs iours.

Ie tay le reste : aussi trop long seroye,

Si ce propos plus loin ie poursuyuoye.


45

Puis qu’ainsi est donques que ie supporte

Ces maux pour toy, il faut que ie t’enhorte

Que de ta part supportes les assaux

Que bonne amour donne à tous ses vassaux.

Et s’il y a quelque propos d’enuie

50

(Qui regnera tant qu’amour soit en vie)

N’en pren soucy, laissons les enuieux,

[f. 55 v] Fac-simile de la page ELEGIES

Nous maintenãs tant que nous soyons vieux

En forte amour, & d’autant plus constante,

Comme y sera enuie resistante.

55

Lors prouueray ta bonne affection :

Lors cognoistray ta grand perfection :

Car toute chose excellente, & bien bonne,

Son contraire a qui à faire luy donne :

Iamais douceur ne va sans quelque fiel.

60

Ne vois tu pas, si veux tirer le miel

D’auec la cire, il faut que tu te iettes

Entre aiguillon des petites auettes ?

Qui veut cueillir vne rose bien souëue,

Quelque pointure il faut qu’il en reçoyue :

65

Ainsi qui veut d’amour cueillir le fruict,

Craindre ne doit trouuer chose qui nuit.

Certainement c’est tousiours la coustume

Qu’auec douceur y ait quelque amertume :

Auec bien, mal : auec amours, soucy,

70

Peine, trauail, ennuy, & dueil aussi :

Car de Venus le brandon & flambeau,

Qui est tant chaut, tant luisant, & tant beau

S’estaindroit tost, s’il n’estoit par le vent

Meu, excité, & agité souuent :

75

Mais d’autant plus l’amour lui & doit plaire,

Comme assailli il est par son contraire.

Pour estre brief, toute chose en effect

Par son contraire est en estat parfait.


La [f. 56 r] Fac-simile de la page ELEGIES 56

[19]La dixneufieme Elegie.

PVis que pour moy Cupido a tant fait

Qu’il me presente vn present si parfait,

Quand vous m’auez souuent, madamoiselle,

Monstré bon œil, bonne faueur, bon zele :

5

Pourrois ie bien, dites, estre repris

D’aimer vn bien de tel valeur & prix ?

Et doy ie faire à l’amour resistance,

Tant que de vous ie quitte l’accointance ?

L’on dit souuent, celuy ne fait pas bien,

10

Lequel en temps ne poursuit pas son bien :

Pareillement on dit que tel refuse

Vn bien present, qui long temps apres muse,

Et sans lequel pourra long temps souffrir.


Parquoy ce bien qui tant me vient s’offrir,

15

De biẽ grãd cœur sans cesse veux poursuyuure,

L’apprehender, & sans quelque peu suyure :

Craindre ne doy puis qu’il me vient si pres :

Mais s’il s’esloigne, & bien i’iray apres :

S’il perseuere, encor tousiours iray ie

20

Par pluye & vent, & par glace, & par neige.


Ce bien n’est point office, ou benefice,

Ce bien n’est point tenant de l’auarice,

Ce bien n’est point pierrerie, or, argent :

Mais c’est vn bien precieux, beau & gent,

25

Qui n’est faict à dressoir, ny à coffre,

Ny aux larrons : ô quel bien, ô quel offre !

[f. 56 v] Fac-simile de la page ELEGIES

Fy de tous biens, fy d’argent, & fy d’or,

Si vne fois puis gaigner ce tresor :

Dés à present toute ma part i’en quitte,

30

Si puis auoir ce bien de haite eslite.


Mais quel doute ay ie ? est il pas desia mien ?

Ne l’ay ie pas ? le tien ie pas ce bien ?

Certes ouy : mon œil, ma main, ma bouche

Quatre ou cinq fois le voit, le tient, le touche.

35

Que reste il plus ? fors sans fin l’estimer,

L’entretenir, le cherir & aimer ?

Qui se fera, i’en ay bien bonne enuie,

Tant que ce corps demeurera en vie :

Car c’est le seul bien lequel en ce bas monde

40

Met en vn cœur liesse si parfonde,

Que tant s’en faut qu’il s’en puisse assouuir,

Qu’incessamment cers luy se sent rauir.


Voilà comment (damoiselle cherie)

Ie vous prefere à or, & pierrerie :

45

Car ce grand bien que i’ay tant exalté

Se trouue en vous, c’est vous en verité.

Ce n’est point or que la rouille consomme :

Ne perle aussi, mais c’est vous mesme en som-
 (me.

Ie me sen donc bien heureux deuenir

50

Quand vn tel bien ie puis voir & tenir :

Voir, & tenir, ô que c’est belle chose !

Mais le mal est que la bague est enclose :

Ainsi [f. 57 r] Fac-simile de la page ELEGIES 57

Ainsi la voir, c’est voir aucunement,

Mais ce n’est voir, ne tenir proprement :

55

C’est seulement en voir la couuerture,

Et la tenir : ô chose grieue & dure !

Ma damoiselle, ostez donques, ostez

Ceste closture, & la bague apportez

Deuant mes yeux, sans couuerture, & nue,

60

Pour esprouuer sa tant riche value.


[20]La vingtieme Elegie.

N’Y a il point plus d’amitié en femme,

A tout le moins en celle qui enflamme

Si fort mon cœur, que la grande chaleur

Redondera à son tresgrand malheur ?

5

Malheur tresgrand, si la pluye de grace

Dedans brief temps ne l’estaint & efface.

Car tousiours il se veut allumer,

Auant huict iours me pourroit consumer.

Puis en la fin par cruelle vengeance

10

Tourner sur elle, & sans quelque allegeance

Luy consumer cœur, corps, mãmelle , & taint.

Ainsi soit il, si elle ne l’estaint,

Quand elle peut, à fin que me resemble,

Et que soyons tous deux bruslez ensemble

15

D’vn mesme feu, plus grand que cil d’Ethna,

Si enuers moy bon vouloir elle n’a.

N’est elle pas bien fausse, & peu fidele,

H [f. 57 v] Fac-simile de la page ELEGIES

De me tenter à querir plaisir d’elle ?


Ha ce n’est pas petit cas par faux tour,

20

Et faux semblant, de se moquer d’amour :

Et irriter Venus la grand deesse,

Troublant sa grace, & beauté, & liesse.


Aux dieux puissans ne fait bon se iouër :

Ains il conuient les aimer, & louër,

25

Suyure, seruir d’vn vray cœur sans faintise.


Quant à l’amour, le cœur qui se desguise

I’ay veu souffrir, ardant, impatient :

Et en la fin faire à bon escient.


[21]La vingtunieme Elegie.

I’Ay bien souuent est émeu vous escrire

En vers Frãçois , esquels vous viẽdrez lire,

Et en lisant sentir ce qui me poingt :

Mais tout soudain ie disois, n’escry point.

5

En vn instant ie pense, & contrepense :

Ie me permets, puis ie me fay defense,

Tost excriuant, aussi tost le dessire :

Mais desirant sans cesse ie desire.


Brief en la fin ayant par maintes nuicts

10

Songé, resué, non sans fascheux ennuis,

Dame, à ce poinct me suis venu resoudre

De vous escrire : or m’en vueillez absoudre,

Il m’est auis, si i’ay bon iugement,

Que l’escriture est vn allegement

Aux [f. 58 r] Fac-simile de la page ELEGIES. 58 15

Aux cœurs pressez, & que ce que la bouche

N’ose pas dire, en escrit on le couche.

L’escrire donc me peut bien soulager,

Et ne vous peut, ma dame, dommager.

On escrit bien aux plus grans ennemis :

20

Combien plustost à ses plus grans amis ?

De vostre part si sentez l’amitié

Que ie vous porte, à peine est ce à moitié.

Mais ie ne say si ie doy desirer

Ce que desire, & y perseuerer :

25

C’est que soyez (ô ma dame honoree)

Ou plus que moy, ou moins que moy nauree :

Ou plus, à fin que vous m’en departiez :

Ou moins, à fin que moindre mal sentiez.


Au monde ay veu dames, & damoiselles,

30

I’ay veu plusieurs filles, & femmes belles,

I’an ay veu mainte, & en mainte contree,

De bonne grace, autant bien accoustree :

I’ay deuisé, i’ay beu, mangé, hanté :

Mais onc ne fus tant surpris ne tenté.


35

Ha ie sen bien qu’amour, pour toute reste,

Tãt plus viẽt tard, tãt plus fort nous moleste.

Mais il faut dire, & la chose est bien vraye,

Que vos vertus m’ont fait ceste grand playe.

Le coup est grãd , & plus grãd qu’il ne semble,

40

Car il me naure esprit & corps ensemble.

Si me puis bien d’vne chose vanter,

Qu’Amour me vient heureusement tenter.

H 2 [f. 58 v] Fac-simile de la page ELEGIES.

Aussi pouuez tresbien vous vanter donques,

Qu’auez sur moy ce que femme n’eust onq̃s .


45

Vostre esprit bon, vostre ferme memoire,

Vostre constance, & grand vertu notoire,

Vostre douceur, & humble priuauté,

Vostre cœur plein de grand loyauté,

Vostre sagesse, & bonne contenance,

50

Me font de vous l’amour, & souuenance :

L’amour qui mord, & de si pres me pique,

Que ne s’en va pour aucune replique :

Ains que tousiours, plus luy viens repliquer,

Plus aigrement le sens mon cœur piquer.


55

Ha, dit mon cœur, faut il que sa vertu

Me rende ainsi confus & abatu ?

O Dieu, faut il (voicy vne grand’ chose)

Que son grãd biẽ soit de mon grãd mal cause ?


N’ay ie senty les traits d’œil gracieux,

60

Tirez du cœur que sur tous i’aime mieux ?

O quel grand bien qu’il faut dissimuler !

Mais quel grand mal, puis qu’il le faut celer,

Et par souspirs tirer de loin l’haleine.


Iadis pour voir, & pour auoir Heleine,

65

S’en vint de Troye en la Grece Paris :

Ie vien pour vous d’Italie à Paris.

Ie croirois bien que ne le pensez pas :

Mais la grand cause estes de ce grand pas,

Soit à Turin, à Verseil, ou Milan,

70

Ie vous ay eu en cœur le long de l’an :

Soit [f. 59 r] Fac-simile de la page ELEGIES. 59

Soit à Venise, à Mantouë, ou Cremone,

Tousiours pẽsois à vostre humble personne :

Si lisez bien mon escrit de Lyon,

Le sentirez non sans affection.


75

Amour me feit au retour tant oser

Que vous allay la premiere baiser :

Sans prendre esgard d’embrasser vostre pere

Premierement, ou baiser vostre mere.

Amour me fait jetter l’œil tendrement :

80

Amour me fait manger petitement :

Et puis ie dy que pays estranger

M’aprent ainsi petitement manger :

Amour me fait escrire la presente,

Qui vous descrit mon mal, & represente :

85

Cause d’escrire ay autant que j’eus onc :

Mais toutesfois ie veux estre long.


Quãd auez leu l’epistre (ô fleur des dames)

Ie vous supply iettez au feu ces flammes,

Et vous gardez que n’en soyez attainte,

90

Car vous aimant i’ay de vostre mal crainte.


Et de ma part biẽ vous veux faire entẽdre ,

Que me pouuez commander, & defendre :

Ce qui vous plait, hardiment commandez :

Ce qui ne plait, si me le defendez,

95

Ie m’en tiendray, dame, ie vous l’ottroye,

Fors vous aimer : car cela ne pourroye.

Fin des Elegies.


H 3 [f. 59 v] Fac-simile de la page [Bandeau]

EPISTRES.

[1]La premiere Epistre.

Q  Vand en tes mains ce liure fre-
quentoit,

 Et que releu cõme le liure estoit

 De bout en bout, ma bonne da-
moiselle

Tu m’en croiras, ie fus esmeu d’vn zele

5

De grand remors, & encor ie le sens,

Pour d’aucuns mots, & aussi pour le sens.

Supporte donc par ta grande sagesse,

Les passetemps, & abus de ieunesse :

Bon fait sauoir le mal, pour l’euiter :

10

Non pour mouuoir, & pour s’y exerciter.


Des choses a que si ieune i’ay faites,

Qu’impossible est que n’en soyent moins par
 faites :

Car en l’esprit bien difficilement

On trouuera ieunesse, & iugement.

15

Plaisir me fut voir la copie entiere :

Mais dueil me feit l’escriture premiere :

Par poinct mal faits, & imperfections,

Fausse orthographe, & incorrections.

Le [f. 60 r] Fac-simile de la page EPISTRES. 60

Le tout n’auint sinon par mon absence,

20

Quand l’escriuain desiroit ma presence.


Ainsi mes vers, que bien, que mal rimez,

Ne furent pas par ma plume limez :

Car l’escriuain n’en auoit que le double,

Qu’vn ignorant rendit confus, & trouble :

25

Dont tu ne dois m’en mettre rien à sus.


Or i’ay passé ma plume par dessus,

Mais si i’en ay bien trenché & osté,

I’en ay aussi non pas moins adiousté.

Brief, l’ay reueu, recorrigé, refait :

30

Reçoy le donc comme tout nouueau fait.


I’y ay pris peine, & ay l’œuure refaite,

Que ie voudrois voir encor plus parfaite.

Mais i’en voy peu, à mon affection,

D’autre, ou de moy, ayant perfection.


35

Voila que c’est, apres peine bien grande,

Rien n’est parfait ainsi qu’on le demande.

Et puis souuent entre les conferens,

Les iugemens sont si tres differens,

Que là où l’vn du bien en voudra dire,

40

L’autre dira qu’il y trouue à redire.

L’vn le dit clair, l’autre le dit obscur :

L’vn veut du mol, & l’autre veut du dur.

Parquoy en tout y a besoin d’excuse :

Et en premier moy mesme ie m’accuse.


H 4 [f. 60 v] Fac-simile de la page EPISTRES.

[2] La seconde Epistre.

ET iours & nuicts pensant à ta beauté,

Dame de cœur tant plein de loyauté,

Rauy me sens en vn tel pensement,

Que suis content penser incessamment :

5

Car ta beauté, honneur, sauoir, & grace,

Et tout en toy toutes autres surpasse.

Beauté, sauoir, & grace sont vertus

Pleines d’honneur : ceux qui en sont vestus

Meritent bien d’entrer en renommee :

10

Par ainsi dame, en tout tant estimee,

Ne t’esbahy si ta grace immortelle

Se represente en moy, tant haute, & belle :

Et si i’en ay souuenance souuent :

Car de vertu ie veux estre seruant :

15

Et la vertu ie ne veux iamais taire.


Tu es le chef, & le vray exemplaire

De tout honneur, beauté, grace, sauoir.

O grand miroir, ou tout bien se peut voir !

Ou recognoit tout le femenin sexe

20

Toute vertu, qui en toy n’a point cesse.


Vn doux parler de ta bouche prend cours,

Tes mots dorez ne sont trop longs ne cours,

Ce beau don là t’a eslargi Mercure.

Par grand beauté tu luis outre mesure :

25

Dame Venus ce grand don t’a donné.

Par sagesse est tout ton faict ordonné :

Pallas [f. 61 r] Fac-simile de la page EPISTRES. 61

Pallas te fait de ce beau don iouyr.

Me doy ie pas donc beaucoup resiouyr

Quand ie te voy si amplement parfaite,

30

Que pour exemple aux autres tu es faite ?

O bien heureux qui par bonne accointance

De tant de biens aura la cognoissance :

Et bien heureuse en ce monde est mon ame,

Qui recognoit de tant de biens la dame.


[3] La troisieme Epistre.

DEpuis que i’eu l’autrier en la Carole

Ouy ta voix, & benigne parole,

Quand tu me dis, par moyen gracieux,

Qu’auons tous deux petits & rians yeux,

5

I’ay eu à toy incessamment mon cœur,

Et mille fois ie sen le tien vainqueur,

En te voyant par pensee & phantasme :

Assez souuent quelque propos i’entame,

Comme voulant à toy dame parler.

10

Mon cœur te voit puis venir, puis aller,

Danser, branler, marcher, parler, sourire :

Et, brieuement, ie ne serois escrire,

Quãd mesmemẽt i’en serois vn grãd maistre,

Toutes façons où te voy ma dame estre.

15

Car nostre esprit bien souuent à part soy

(Ainsi qu’en moy tous les iours i’apperçoy)

Pourpense, voit, songe, suppose, & feint,

H 5 [f. 61 v] Fac-simile de la page EPISTRES.

Ce que la plume à escrire se feint

Ou qu’il n’est pas de ce faire possible :

20

Ou qu’il n’est pas le plus souuent loisible.


Mais pẽses tu qu’on peust mettre en escrit

Comment ie t’oy parler de grand esprit ?

Comment te voy vestue, & comment nue ?

Comment te voy de corps gente & menue ?

25

Comment en cotte, & comment en chemise ?

Cõment ma main sur ta chair blãche est mise ?

Sur ton tetin poli, blanc et refait ?

Tu m’en croiras, on n’auroit iamais fait.

Plume n’y a qui le peust bien escrire :

30

Ny Orateur qui le peust bien descrire.

Langue n’y a qui le peust raconter :

Ce papier cy ne le pourraoit porter :

La main n’est pas de ce trauail capable :

L’entrepreneur se sentiroit coulpable.


35

Pren donc en gré, ce petit mot d’Epistre,

Ton seruiyeur ie me tien pour mon tiltre.


[4]La quatrieme Epistre.

DAme d’honneur, d’excellence, & de prix,

Dame de nom entre les bons esprits,

Dame qu’on tient chef d’oeuure de nature,

En qui beauté & grace est sans mesure,

5

Ie te veux faire vn petit souuenir

Du Temps auquel soulions aller, venir,

Et [f. 62 r] Fac-simile de la page EPISTRES. 62

Et tracasser, puis en haut, puis en bas :

Estans petis, prenions petis esbats,

Les premiers ans en sont tous coustumiers :

10

Mais ils s’en sont volez nos ans premiers :

Tost est passé ce tendre, & ce bas aage,

Lors que n’auions cognoissance, & vsage.

Te souuient il (respon moy) de ce temps,

Quand nous mettions tout nostre passetẽps

15

A nous iouër, rager, & babiller ?

A chien, & chat, & poupee habiller ?

A regarder des liures les images,

En les baisant, & leur faisant hommages ?

Quoy que ie fusse vn petit garçonnet,

20

Souillé, brouillé, ainsi qu’vn garson nect,


Si toutesfois me souuient il encor,

Que nous soufflions en siblet, & en cor,

Puis nous venions l’vne ou l’autre attraper :

L’vne venoit dessus l’autre frapper :

25

L’vn me poussoit tant que tombois arriere :

L’autre tenoit bien ferme vne barriere :

L’vne en vn coin se cache, & se mussette :

Iouant au ieu qu’on dit cligne mussette :

L’vn nous vient faire vn asperge d’eau chau-
(de :

30

Et l’autre fait de la cochemiaude.


Voilà les ieux ou prennent appetits

Et passtemps ieunes enfans petis.

Certainement tout temps ne se ressemble,

Veu qu’en bas aage auons vescu ensemble :

[f. 62 v] Fac-simile de la page EPISTRES. 35

Et maintenant tout est bien au rebours.

Ne plus ne moins que billes sur tabours,

Nostre aage va, qui tousiours coule & passe

Le temps, l’estat e, si petit espace,

Les alliez bien souuent à part mettent.

40

Or la raison, & l’vsance permettent,

Qu’en bonne amour ceux la viuẽt tousiours,

Qui ont vescu ensemble és premiers iours.

S’il te plait donc de moy te souuiendras :

Et pour amy ) iamais me tiendras.


[5]La cinquieme Epistre.

I’Ay est émeu derechef te rescrire,

Et ce qui est à moy notoire escrire :

Le fils Venus en mes escrits m’instruit :

Le fils Venus à t’escrire m’induit :

5

Le fils Venus de bonne sorte & guise

Les cœurs enflamme, & les esprits aguise.

Qui est celuy qui sans viure nourrit ?

Qui fait que fille, ou que femme nous rit ?

Mais qui conioint les puceaux & pucelles ?

10

Qui est celuy qui tousiours maintient celles,

Et ceux qui ont d’amours le train suyuy ?

Qui rend vn cœur en liesse asseruy ?

Qui fait sauter, rire, iouër, chanter ?

Qui peut les cœurs & esprits enchanter

15

Contre tout mal ? Qui est cil qui attrait

Les [f. 63 r] Fac-simile de la page EPISTRES. 63

Les plus distraits ? Qui est cil qui attrait

Poignant les cœurs de viues estincelles ?

Voire tous cœur, iusques aux plus rebelles ?

Qui fait que soyent les sages deuenus

20

Serfs de l’amour ? c’est le fils de Venus.

Amour nous mue ainsi en sa fournaise,

Amour ne peut rien faire qui ne plaise.


[6]La sixiesme Epistre.

A Quoy tient il, dame, qu’à me semonse

Tu n’as pas fait vn seul mot de respõse ?

Ne sais tu pas que de cœur bien seruent,

Les bons amis s’entr’escriuent souuent ?

5

Quand te plairoit le moindre mot mander,

Quand ne serois que te recommander,

Me saluant par vn seul mot de lettres,

I’excuserois, ou ta prose, ou tes metres,

Si peux tu bien encore y recouurer.

10

Mais respon moy, ne trouues tu qu’ouurer,

Ne que rescrire en amoureux langage ?

Car on desire auoir escrit en gage

De l’amitié qui entre amans suruient :

Et bien souuent (de ce i’en suis seur) vient


15

La bonne amour qui met escrits par rolle.

Amour iamais n’a perdu la parole :

Plus a parlé, tant plus trouue à parler :

Incontinent vole sa voix par l’air,

[f. 63 v] Fac-simile de la page EPISTRS.

Mais tous soudain en viẽt d’autre, & surcroit :

20

Car beau parler dedans sa bouche croist.

Plus il recite, & plus veut reciter :

Plus il excite, & plus veut exciter :

Plus a escrit, & plus trouue à escrire :

Plus il a ry, & plus il trouue à rire.

25

Plus a son aise, & plus se veut aiser :

Plus a baisé, & plus il veut baiser,

Amour nous fait ainsi comme de cire :

Amour est grand, Amour, ha c’est un Sire :

Plus a ioué, & plus il veut iouër :

30

Plus a loué, & plus il veut louër :

Plus a cogneu, & plus il veut cognoistre :

Plus a esté, & tant plus il veut estre :

Plus il a veu, & tant plus il veut voir :

Tant plus il a, & tant plus veut auoir :

35

Tant plus il veille, & tant plus veut veiller :

Plus il trauaille, & plus veut trauailler :

Plus il a fait, & plus il trouue a faire.


Brief, en amour c’est tousiours à refaire :

Quand il est saoul, c’est adonc qu’il a faim.

40

Et bien souuent quand on l’estime vain,

Adonques c’est qu’il veut recommencer :

C’est le plus fort en tout que commencer.


[7]La septiesme Epistre.

QVand vous plaira ietter l’œil sus ces let-
tres,

Et [f. 64 r] Fac-simile de la page EPISTRES. 64

Et caresser ma Muse & petits metres,

Qu’ ẽ vostre esprit mettrez cõme en registre,

Vous cognoistrez qu’en la presente epistre

5

Ie veux louër la dame souueraine,

En grand’ beauté, & grace tant seraine.

Car affermer ie puis, & de vous dire,

Que Pandora, en qui n’eut que redire

Touchant beauté, beau parler, bonne grace,

10

Telle beauté n’eut en corps ny en face :

Bien auisé le corsage et maintien,

Dont belle & sage en tout ie vous maintien.


Pandora eust de Pallas sapience,

Et d’Apollo musicale science,

15

Beauté de corps luy octroya Venus,

Auec ces dons qui luy sont auenus :

Eloquence eust du beau parleur Mercure :

Mais enuers vous de tout cela n’ay cure,

Car Apollo, Minerue, ne Pallas,

20

N’aussi Venus, chef de grace & soulas,

Combien qu’ils soyent tenus dieux & deesses,

De si hauts dons les Princes & Princesses

A peine sont à vous equiparez :

D’autant moins ceux qu’ils ont de loz parez.


25

Accourez cy Nymphes toutes par rangs,

Et maintenant laissez ruisseaux courans,

Laissez vos monts, ô Muses Parnasides :

Venez icy deesses Pegasides :

Vous qui auez puissance sur la mer,

[f. 64 v] Fac-simile de la page EPISTRES. 30

Que mariniers ne saignans reclamer,

Par vostre nom appellent Nereides :

Et vous aussi gracieuses Hymnides,

Dames des prez, ombrageuses Dryades,

Nymphes des bois, & vous Hamadryades,

35

Qui possedez les hauts arbres vtiles,

Pareillement vous Napees gentiles,

Ie vous inuite, & vous dames Naiades,

Fleuues laissez, & vous les Oreades,

Qui habitez les monts hauts esleuez,

40

Ensemblement vous pry que vous leuez,

Et venez droit au lieu ou de present

Vous verrez bien vn excellent present

Celle de qui mon cœur succe sa vie :

Celle tant belle, & qui sera seruie

45

Tousiours par moy : puis quand vous l’aurez

Sa grand beauté plaira à vostre veuë (veuë,

Et ses vertus passans le bruit qui court,

Vous induiront à luy faire la court.


Lors la verray dessus vous establie,

50

Pour les vertus dont elle est anoblie :

Royne sera des dominations

Que possedez, & toutes nations

Luy seruiront comme petis vassaux :

Les verds buissõs, les prez, les mõts, les vaux

55

Seront tousiours à son commandement.

Mais mon sauoir, ma plume, entendement

Ne pourroyẽt pas son los entier poursuyure,

Quand [f. 65 r] Fac-simile de la page EPISTRES. 65

Quand poursuyuant i’en emplirois vn liure.


Tant digne elle est, & de moy tant aimee

60

Qu’amour en moy au vif l’a imprimee.

Prometheus premier tailleur d’image,

Onques n’en fit vne de tel parage,

Qu’est celle la que Cupido imprime

Dedans mon cœur, de celle que i’estime.

65

Certainement onc au double ne triple,

Ne Lisipus, ne Cares son disciple

Sceurent pourtraire image si parfaite

Que celle la, que Cupido m’a faite.


[8]La huictieme Epistre.

La superscription.

Epistre va à seureté,

Aux deux dames de grand beauté.

QVand i’ay beaucoup appliqué ma pensee

Dessus la faict de la danse passee,

5

Ie n’en ay peu autre chose penser,

Fors que voudrois estre à recommencer :

Non pas pourtant que i’y sache beaucoup,

Mais que me plais d’en mener deux au coup :

Que si quelcun trouue la chose estrange,

10

Excusé sois, car ie ne puis estre Ange.

Ie vous voyois toutes deux sur le poinct

De bassedance, & à moy ne tint point :

I [f. 65 v] Fac-simile de la page EPISTRES.

Car auec moy toutes deux la dansastes,

Ie ne say pas puis apres qu’en pensastes,

15

Soit beau, soit laid, la mienne intention

N’accomplissoit que vostre affection.


Mais trop en a celuy qui deux en meine,

Il en a plus celuy qui trois en traine.


Or Dieu mercy i’ay deux mains, voire bien

20

Deux yeux, deux pieds, c’est chacune le sien :

Mais ie ne puis deux autres choses dire,

Que ie voudrois pour à vous deux suffire,

Parquoy aussi n’en voudrois deux ne quatre,

Ie n’en voudrois qu’vne à part pour cõbatre :

25

Car mesme on dit qu’Hercule, hõme preux,

Eust fait assez de se combattre à deux.


Or excusez la danse, & l’escriture,

Puis qu’à ces deux est requise mesure,

Et estimez que la puissance nostre,

30

Le cœur, le corps, le sauoir tout est vostre.


[9]La neufieme Epistre.

SI par n’auoir attentdu grand longueur

De mois, & d’ans, i’ay vsé de rigueur

En te priant, ou (comme tu veux dire)

En te pressant pour ton honneur destruire,

5

I’ay donc mal fait, mais haut & clair ie iure

Que ie n’eus onc vouloir te faire iniure,

Et suis celuy, si tu me cognois bien,

Qui [f. 66 r] Fac-simile de la page EPISTRES. 66

Qui veut garder ton honneur & ton bien :

Et ne voudrois à toy, ou autruy, faire

10

Rien dont sortist quelque mauuais affaire,

Car ie crain trop despris & deshonneur.

Excuse donc en tout bien & honneur

Celuy lequel la plume a voulu mettre

Sur ce papier, t’escriuant ceste lettre.

15

Car bon vouloir, qu’il eut empraint en cœur,

Par forte amour a esté son vainqueur :

Pareillement ta tant honneste grace

L’a incité de prendre ceste audace.

Ie te pry donc de cœur & de pensee

20

Me pardonner, si ie t’ay offensee :

Mais ie say bien qu’en fait, ny en penser,

Onc ne voulu fille, ou femme offenser.

Et si tu dis, ce ne sont que redites :

Ie feray tant par mes loyaux merites,

25

Que tu n’auras de plaindre occasion :

Oste, oste donc la persuasion,

Que contre moy tu me sembles auoir :

Car de ma part ie feray tout deuoir.


La peine ou suis m’est vne chose grieue :

30

Mais ton absence encore plus me grieue.

Plaise toy donc de ton meilleur courage

Aimer le cœur que tu tiens en seruage :

Et en l’aimant bien tost me viendras voir :

Ce me sera plaisir de te reuoir :

35

En te voyant me mettras hors de peine,

I 2 [f. 66 v] Fac-simile de la page EPISTRES.

Et de soucy, dont ma pensee est pleine.

Celuy qui veut tousiours rien demourer,

T’aimer, seruir, priser, & honnorer :

Te presentant de bien bon cœur sans vice,

40

A tout iamais humble & loyal seruice.


[10]La dixieme Epistre.

MErcy te ren de la tienne response,

Qui au premier va piquãt cõme ronce,

Mais au milieu, & en fin s’adoucist,

Comme en l’espine vne rose douce yst.


5

Or te veux tu fonder sur un exemple

D’vn fait que fey pour raison grãde & ample,

Dy ie raison ? I’en fay un million :

N’allegue plus la dame de Lyon :

Car ma douceur n’est sucre de madaire :

10

Mon cœur ne va ainsi qu’vn dromadaire :

Mais il quiert bien s’arrester en bon lieu.

Tel te seray en fin, comme au milieu,

La bonne amour n’est pas comme vne nue,

Pour s’en aller si tost qu’elle est venue.


15

Tu as de moy à tort mal estimé,

Ne pensant pas qu’eusse tant imprimé

Le souuenir de toy, iusqu’à escrire,

Moy qui te veux par sus toute autre eslire.


Il est aisé de dire, on doit sauoir

20

Qu’il faut espoir, & patience auoir :

Mais [f. 67 r] Fac-simile de la page EPISTRES. 67

Mais c’est aussi grand outrage & nuisance,

Ne secourir quand on a la puissance.


Pour estre brief, ie ma veux inciter

A inuoquer le nom de Iuppiter,

25

Pallas, Venus, Apollo, & Mercure,

Qui nous mettront hors de tristesse obscure.


De par celuy qui quiert ton amitié

Autant qu’il dit, & plus de la moitié.


[11]La vnzieme Epistre, par la damoiselle à
qui s’adressoit la precedente

MErcy ie ren, & ay veu ton escrit,

Bien composé, & de bien bon esprit,

Ce neanmoins tu m’estimes piquante,

Mais ie n’en suis d’vn seul mot recordante,

5

Quant à l’affaire en l’escrit recitee

Tu la confesses : or ne suis incitee

D’en plus parler, car cela te desplait.

Puis tu me dis chose qui trop ne plait,

Ie pique tant, & puis apres suis douce :

10

Ie suis ioyeuse, & puis ie me courrousse :

Tu l’as escrit, qui n’est fait honorable :

Car sembleroit que ie fusse muable.


Or quant à toy, ton amour continue :

Mais ie croy bien qu’assez en diminue.

15

Si tu me veux par dessus toute eslire,

Rien ie n’en iuge, ains i’ose bien te dire

I 3 [f. 67 v] Fac-simile de la page EPISTRES.

Que tu as bien cest art, & la science,

De te munir de bonne patience.

Quant au secours de Iuno, Iuppiter,

20

Cela ne peut mon cœur precipiter.

Venus,Pallas, Mercure, & tous les dieux,

En ce cas là ie les trouue odieux :

Considerant qu’en peine ne pense estre :

Voulant tousiours tout labeur recognoistre.


[12]La douzieme Epistre de l’auteur, respon-
siue à la precedente.

QVant à l’esprit qui composa la lettre,

A qui tu as bien respondu en metre,

Il est tel quel, & non pas tel qu’il veut :

Mais seulement il est tel comme il peut :

5

Et tous les iours, à plus sauoir aspire :

Si luy suffit qu’il est meilleur qu’vn pire.


Quant à l’escrit, ie te voy repliquer,

Que n’as aucun record de ton piquer.

Tu prens en mal, & ton cœur se courrouce,

10

Qu’ay dit ta lettre estre rude, & puis douce :

Si ne faut il, sans que plus on estriue,

Que bien reuoir ta premiere missiue.


Et quant aux vers, où meus difficulté,

Bien se deffend : le vers tel a esté,

15

(Qui nous mettrõt hors de tristesse obscure)

Tant seulement ma liberté procure.

Car [f. 68 r] Fac-simile de la page EPISTRES. 68

Car tout ainsi que nous vsons de vous,

Pour vn, ou plus, aussi faisons de nous :

Et nous, pour moy, souuentesfois se prend :

20

Ton esprit donc cy endroit se mesprend.

Mais, ô amie, aimee, & bien voulue,

Ne me sois point par vn autre tollue :

Et garde toy apres de repentir,

Si à m’aimer tu ne veux consentir.


[13]La treizieme Epistre.

La Superscription.

Epistre va droit aux deux sœurs

Pleines de grace, & de douceurs.

PAr vn esbat, & comme en passant temps,

Au tabourin auons pris passetemps,

5

Auecques vous, deux sœurs, que Dieu benie

Pareillement auec la compagnie,

En tout honneur : car il est bien raison

Aucunesfois, selon temps & saison,

De son esprit recreer, & s’esbatre.

10

Quant est de moy ne m’en veux faire batre,

Et pour laisser liure, plume, papier,

Pour tel deduit, ne m’en fay pas prier :

Car ie say bien que prendre esbat, esueille,

Souuentesfois vn esprit qui trop veille,

15

Et si l’aguise, & luy donne vigueur,

En appaisant sa trop grande rigueur.

I 4 [f. 68 v] Fac-simile de la page EPISTRES.

Car la femme est toute douceur benigne.

Mesme il n’y a (ce croy ie) esbat plus digne,

Plus gracieux, & plus recreatif,

20

Benin, ioyeux, courtois, consolatif,

Que cestuy la dont vn peu nous vsames,

Quand en dansant, ou apres deuisames.

Certainement ie croy qu’il n’y a point

Pour ieunes gens vn esbat si à point.

25

Aussi la femme est creature faite,

A fin que l’homme elle recree, & traitte.

Donques ne quiers, soit en dit, ou en fait,

Autre moyen que cil que Dieu a fait.

C’est le moyen plus seur, & necessaire

30

A toutes gens qui sont de bon affaire.

Autres esbats font noise & tançons :

Cestuy cy fait que seulement pensons

D’auoir la grace ou de femme, ou de fille :

Qui est vn bien qui en vaut plus de mille.


35

Si i’auois temps, à present ie feraois

Epistre longue, ou ie feschiffrerois

Le bien que c’est d’auoir acquis la grace

De fille, ou femme estant de bonne race.

Parquoy, mes sœurs, ne vous attendez pas,

40

De voir icy long propos de ce cas.

Mais i’ay espoir de brief vous en escrire,

Tant qu’aurez trop, & à lire, & à rire.


Fin des Epistres.

EPI [f. 69 r] Fac-simile de la page 69 [Bandeau]

EPIGRAMMES.

[1]A Catin

C  Atin, ton chant, & douce voix,

 Mon cœur & sens a resiouy :

 Et en t’escoutant tant de fois,

 De grande liesse ay iouy,

5

  Quãd si doux chãt de toy i’ouy :

Or ton chant auec toy mourra,

Et apres toy ne demourra :

Mais ce petit chant de ma Muse,

Long temps apres moy durera :

10

Oy le donc, & ne le refuse.


[2]A quelque Dame, pour le present d’vn
bouquet de soye

VOstre bouquet est plus riche que moy,

Car il est tout de fin or & de soye,

Et dessus moy, or ne soye ne voy.

Mais nonobstant que rien moins ie ne soye

5

Que son pareil, & que ie ne me voye

Si richement vestu, paré, orné :

Certes iamais ne le refuseroye,

I 5 [f. 69 v] Fac-simile de la page EPIGRAMMES.

Venant du lieu dont il me fut donné.


[3]Autre à elle mesme, pour le present
d’vne bourse.

LA bourse que m’auez donnee

(Dame que sur toutes ie sers)

Est bien belle, & bien façonnee,

Bien bordee de velours pers :

5

Mais à bien voir (car i’ay bons yeux)

Vn mal y a, dont trop ie perds,

Que ne fut pleine d’escus vieux.


[4]De Anne.

QVand me iouë a Anne, elle dit,

Or deportez vostre ieunesse :

Mais si par ieu n’ay credit,

Ne le puis ie auoir par largesse ?

5

Largesse en est la grand proesse :

Largesse y vaut plus que sagesse.

Quand donc la vaincs par fonsement,

D’vn ieune homme rien que ieu n’est ce,

(Ce dit Anne) & par mon serment

10

Il faut supporter sa ieunesse.


[5]La ieune dame se plaint de son
mary vieillard.

QVand souuent ie pry mon mary,

Il m’y respond, ie suis marry

Qu’il [f. 70 r] Fac-simile de la page EPIGRAMMES. 70

Qu’il faut que ie vous le refuse :

N’est ce pas vne belle excuse ?


[6]De la cheuelure de Catin, qui se mi-
roit en la peignant.

AInsi comme Catin se mire

En peignant son beau chef doré,

Le soleil droit dessus vient luire,

Et a si beau chef adoré.


[7]Autre par contraire.

PAr vn matin Catin se mire,

En peignant son beau chef doré :

Mais le soleil ses rais retire,

De dueil qu’il a, & de grand ire,

5

De voir vn chef si bien paré.


[8]Autre, d’vn amant malade par
trop aimer.

POur vn amant ressusciter,

Transi d’amours tant que c’est rage,

On luy vient dire, & rapporter

Qu’il prenne vn petit courage,

5

Et qu’il l’aura en mariage :

Il se guerit : on la marie

A vn autre : saincte Marie

[f. 70 v] Fac-simile de la page EPIGRAMMES.

N’en perd il point l’entendement

Pour telle proye ainsi perie ?

10

Non : mais deux fois meurt seulement.


[9] De Anne la belle.

ANne est si sage, bonne, & belle,

Que bien me veux mirer sur elle.


[10] De Martin qui auoit gaigné le proces,
par lequel il plaidoit pour auoir femme.

MArtin plaidoit vne monture,

Son proces gaigna d’auenture :

Dessus monta vers la minuict,

Car c’estoit monture de nuict.


[11] A vne Dame.

SI vraye amour merite recompense,

Et si pitié n’a perdu son pouuoir,

Chef de beauté il faudra bien qu’on pense

De quelque ottroy gracieux me pouruoir :

5

Car si pitié n’ouure tes yeux pour voir

L’estat auquel ie suis pour t’aimer seule,

L’amour en fin me sera vne meule

Pendue au col, me plongeant en la mer

De desespoir, ou sans fin ie me deule

De [f. 71 r] Fac-simile de la page EPIGRAMMES. 71 10

De tel aimer, trop plus que fiel amer.


[12]A Catin.

PRié t’auoye (amie) en amitié,

Que souppissions hier ton oye grasse :

Mais tu n’en mis au feu que la moitié :

Ne suis ie donc qu’à moitié en ta grace ?


[13]De Catin.

SOuuent ie veux baiser Catin,

Laquelle n’ose pour sa mere

Me baiser ne soir, ne matin,

Qui m’est chose dure & amere.


5

Vn iour la mere par mystere

Fut deceuë sans y viser,

Catin vint l’enfant appaiser,

Mais elle entend bien son Latin :

Lors ie fay semblant de baiser

10

L’enfant, & ie baise Catin.


[14]De la femme & du nauire.

ENtre vne femme & vn nauire,

Il n’y a pas beaucoup à dire :

Car tous les deux (qui veut monter)

Ne sont faits sinon pour porter.


[f. 71 v] Fac-simile de la page EPIGRAMMES.

[15]A dame Ieanne.

I’Ay cogneu deux belles fillettes,

L’vne à Angers, & l’autre à Tours :

Toutes deux ieunes, gentes, nettes,

Et bien propres en leurs atours,

5

Dignes de Royales amours :

Toutes deux portans le nom d’Anne,

Toutes deux blanches comme manne,

De cœurs gays, & de corps legers :

En ce different (dame Ieanne)

10

L’vne est de Tours, l’autre est d’Angers.


[16]A Catin.

CAtin, ma gentile brunette,

Tu t’es faite saigner du bras :

Pour estre plus saine & plus nette,

Il te falloit seigner du bas.


[17]A vne dame, sur son departement.

TOn grief depart m’a departy,

Et ton depart te laisse entiere :

Car mon cœur s’est de moy party

Pour te suyuure à costé, ou arriere :

5

Le seul corps demeure derriere.

Mais tu as ton cœur à toute heure,

Car auec moy point ne demeure.


O aua

EPIGRAMMES [f. 72 r] Fac-simile de la page 72

O auare qui as deux cœurs,

10

Ren m’en l’vn, mais bien ie t’asseure

Si ie n’ay les deux, que ie meurs.


[18]Contre amour.

AMour fuy t’en au loin de moy,

Auec tous tes banquets & pompes,

Tu n’es que dueil, peine, & esmoy,

Et le meilleur en fin tu trompes.


[19]A Catin.

FUy t’en de moy, fuy t’en arriere :

Car ta beauté tant singuliere

Trop dangereux mal me pourchasse,

Si tu ne me fais quelque grace.


[20]D’amour, qui fait feu & eau.

IE m’esbahy qu’en eau ne suis fondu,

Que n’ay iamais les pauures iouës seches :

Plus m’esbahy qu’Amour ne m’a rendu

Tout conuerty en cendres, & flammeches,

5

Aussi aisé comme petites meches.


Ie suis le Nil, & suis le mont Etna :

Etna pourtant qu’au monde tel feu n’a :

Le Nil, pourtant que ie fond tout en plaurs :

Feu, boy ces pleurs qu’Amour me resigna,

10

Pleurs restraignez ce feu, & ces chaleurs.


[f. 72 v] Fac-simile de la page EPIGRAMMES.

[21]D’vne femme qui s’esbahissoit comment
elle estoit sterile.

A Vne dame de Bretaigne,

Doutant pourquoy ne conceuoit :

Ie respondy qu’elle resuoit

En presence de sa compaigne,

5

Et que ne m’en esbahy point.


Lors elle en veut sauoir le poinct,

Que tost declairer ie ne daigne :

Mais quand en train ie fus entré,

Ie luy dy qu’elle estoit brehaigne,

10

Et son mary estoit chastré.


[22]De Catin.

IE fuis trop plus viste qu’vn lieure

Deuant la face de Catin :

Car ny mon Grec, ny mon Latin

Me garderoyent de chaude fieure.


[23]A Catin.

SI tu es constante à m’aimer,

En mes œuures te feray viure,

Viure sans fin, sans consommer :

Telle recompense te liure :

5

Ton nom sera de mort deliure,

Soit [f. 73 r] Fac-simile de la page EPIGRAMMES 73

Soit par mes vers, soit par ma prose.

O que plusieurs (si leur bouche ose)

Diroyent, amy, i’en suis d’accord :

Car qui voudroit plus belle chose,

10

Que viure encor apres la mort ?


[24]A deux Damoiselles qui eurent la fieure
l’vne apres l’autre.

VOus estes donc deux, ce me semble,

Damoiselles bonnes ensemble :

Car ce que l’vne va laissant,

L’autre le va tost embrassant :

5

Mais ie pren vn cas qui se face,

C’est que l’vne & l’autre m’embrasse.


[25]A Damoiselle Bieure.

POur guerir damoiselle Bieure,

Droit en sa chambre me rendray,

Et seul la surprendray :

Ie luy feray perdre la fieure.


[26]A vne Damoiselle, qui se railloit de deux
Gentilshommes, qu’elle appelloit ses
prisonniers.

MAdamoiselle est ce raison

De tenir les gens en prison,

K [f. 73 v] Fac-simile de la page EPIGRAMMES.

Autant de tours qu’onques feit puce

Sur vostre corps, où ie serois,

5

De vous (croyez) me vengerois :

Sur vous n’auroit ne nerf ne veine

Que ie ne misse en grosse halaine.

Lors (moy qui n’ose vous toucher

En tout honneur) vous faisant peine,

10

Ie viendrois auec vous coucher.


[27]Estreines.

VOstre beauté est si extreme,

Que ie ne puis l’estrener, si

Ce n’estoit que fusse moy mesme

L’estreneur, & l’estreine aussi.


[28]Le propos de deux dames.

VNe dame qui d’amours tient

Demande à l’autre ayant du bien,

Comment son mary l’entretient :

Qui luy respond froidement, bien

5

(Dit elle) il ne m’y fait rien,

Par mon serment le bon corps d’homme :

L’autre respond rondement (comme

Il s’ensuit, mais ce fut en prose)

Mieux vaudroit qu’il ne fust en somme

10

Si bon, & vous fist quelque chose.


A la [f. 74 r] Fac-simile de la page […]



[f. 74 v] Fac-simile de la page […]



[f. 75 r] Fac-simile de la page EPIGRAMMES. 75

[29]A la dame sans mercy.

IE te fay tant de grace auoir,

Que i’aime mieux cent fois te voir,

Que ie ne fay mon propre cœur.

Penses tu que ie sois mocqueur ?


[30]D’vn Paysant.

VN Paysant de la Champagne,

Ayant vne vachere belle,

Si fort l’aima, que sa compagne

La veut faire, & monter sur elle.

5

Son occasion estoit telle,

Que sa femme estoit accouchee :

La garse non effarouchee,

Le remet loin, vn veau luy baille,

Pour l’uoir auec luy couchee :

10

S’elle eus testé par luy touchee,

Deux en eust eu, diuers de taille.


[31]De son amie trop froide, & de l’hyuer
trop peu froid.

VOus estonnez vous si l’hyuer

Ne se peut au monde trouuer ?

Au monde ne se trouue mie,

Il se tient au cœur de m’amie.


K3 [f. 75 v] Fac-simile de la page EPIGRAMMES.

[32]Autre.

QVi l’hyuer voudra recouurer,

En Ianuier ne le peut trouuer :

En Ianuier ne le quiers mie,

Mais le quiere au cœur de m’amie.


[33]A vne dame Lyonnoise.

CE liure que ie vous enuoye

N’est à la cour moins estimé,

Qye celuy qui se met en voye

Est de vostre cœur bien aimé :

5

Le liure est Amadis nommé,

Qui fut preux aux amours, & armes :

Aussi vostre cœur bien armé,

N’est sans amours, ny sans alarmes.


[34]A vn amy.

CE mois de May mal gracieux,

Tant plein de vent, & de grand pluye,

Ce mois de May tant pluuieux,

Qui les oiseaux, & gens ennuye,

5

Rendant la saison endormie,

Sais tu qu’il fait ? c’est chose aperte,

Qu’il va plorant de mon amie

Auec moy, l’absence, & la perte.


De [f. 76 r] Fac-simile de la page EPIGRAMMES. 76

[35]De Catin, à vn amy.

BOn amy quand ton œil verra

Dames sans grace, & sans beauté,

Dy hardiment, Catin leur a

Tout derobé, & tout osté.


[36]A vne Dame.

NE nuict, ne iour ne sommeille,

Amour me fait en vous penser :

Mon cœur malade tousiours veille,

Vueillez le traitter & penser.


[37]A maistre Anthoine du Moulin.

QVel plaisir selon nature est ce,

Qui apporte plus grand liesse,

Qu’auoir continuellement

La dame à son commandement ?

5

Que d’estre tousiours autour d’elle,

Parlant de l’œuure naturelle ?

Que deuiser de son amour,

Et la baiser cent fois le iour ?


O qu’il est heureux, & bien aise,

10

Qui sans cesser deuise, & baise ?

Qui mil baisers n’estime exces,

Fuyant tout ennuy, tout proces,

K 4 [f. 76 v] Fac-simile de la page EPIGRAMMES.

Fuyant toute humaine folie,

Qui engendre melancolie :

15

Recommençant cent fois & mieux,

Tout on despit des enuieux :

En demenant heureuse vie,

Mal gré male bouche & enuie :

Mesprisant tous honneurs & biens,

20

Fors ceux que l’amour donne aux siens.


O derechef, ô vie heureuse,

Seule vie, vie amoureuse !

O derechef qu’il est heureux,

Qui en ce poinct est amoureux !


25

Ie laisse courir benefices :

Ie quitte ma part des offices,

Ie desprise l’argent & l’or,

Pour iouyr de si grand tresor.

Ie dy plus : ie mesprise mesme,

30

Sceptre, couronne, diadesme

Du grand Iuppiter immortel,

Si en amour puis estre tel.


Quel plaisir selon nature est ce,

Qui apporte plus grande liesse,

35

Qu’auoir continuellement

La dame à son commandement ?


[38] De Anne.

PEtit ennuy qui est mal sade,

Tout soudain rend Anne malade :

puis [f. 77 r] Fac-simile de la page EPIGRAMMES. 77

Puis tost quelque mouche soudaine

Vous rend Anne bien gaye & saine.

5

Tantost au lict, ou en la chambre,

La verrez vaine de tout membre :

Tantost en boutique, ou en rue,

La verrez saine, gaye, & drue :

Tantost crier, tantost besler,

10

Tantost venir, tantost aller,

Tantost pleurer, & tantost rire,

Tantost iaser, & tantost lire.

Tantost aller aux champs s’esbatre,

Faisant le folle plus que quatre :

15

Tantost d’estomach flegmatique :

Tantost de teste fantastique :

Tantost crier le costé dextre :

Helas allez querir le Prestre,

Tantost blesme, & tantost vermeille.


20

Brief, c’est la femme nompareille,

Qui se maintient de telle sorte :

Tantost est viue, & tantost morte.

Mais le prouerbe accomplit elle,

Lequel dit que la femme est telle,

25

Femme se plaint, femme se deult,

Femme est malade quand elle veut :

Elle a iuré saincte Marie,

Quand elle veut elle est guerie.

O donques, Anne, par ce poinct

30

De toy ne m’esbahy point.


K 5 [f. 77 v] Fac-simile de la page EPIGRAMMES.

[39]A dame Thomasse.

DAme & bonne amie Thomasse,

On dit que tu es toute hommasse,

Et que ie suis tout femenin,

Ie te pry donc de cœur benin

5

Trouue toy quelque part seulette,

Tu sauras si ie suis fillette :

Lors par mesme moyen en somme

Ie sauray bien si tu es homme.


[40] Au Lecteur.

LEs Epigrammes ont licence

Et de poindre, & de chatouiller.

Et pourtant l’ignorant ne pense

De me venir cy barbouiller,

5

Que trop mes vers ie viens souiller,

Et que i’offense les oreilles.


O langage, en vain tu trauailles :

L’Epigramme est mal accoustré,

S’il ne poingt : mais voicy lerueilles,

10

Qui vid onc Priapus chastré ?


[41]A vne Dame.

TV me fais bien mourir en languissant,

Dame pour qui ie souffre tant de peine.

Car faux rapport, qui va affoiblissant

Mon pauure cœur, m’a trop mis en ta haine.

Mais [f. 78 r] Fac-simile de la page EPIGRAMMES. 78 5

Mais s’il te plait ces iours en bonne estreine

Donner congé de parler à ma bouche,

Et ne sois plus si estrange, & farouche,

Lors cognoistras qu’enuers toy n’ay mespris

Et que t’amour si viuement me touche,

10

Que suis tousiours ton prisonnier bien pris.


[42] Estreines.

CHef de beauté, que Dieu fit estre né

Pour recreer mes sens, & mes esprits :

Si n’as esté de par moy estrené

Iusqu’à ce iour, ne me mets à despris,

5

My mon present qui est de petit prix,

Vers la splendeur de la fleur de ton aage,

Mais toutesfois il vient de bon courage,

Et le bon cœur fait le present valoir,

Auec lequel ie me donne en ostage

10

A ta puissance, & à ton haut vouloir.


[43]D’vne damoiselle, & d’vn glorieux qui
l’auoit en gouuernement.

IE m’esbahy, madamoiselle,

Que tu te souffres tant garder,

Que ny au iour, n’a la chandele

L’on ne t’ose pas regarder.


5

Or si diray ie, sans bourder,

Que tu n’es point Yo, qu’il faille

[f. 78 v] Fac-simile de la page EPIGRAMMES

Que Iuno à garder te baille

A Argus, garny de cent yeux.

Mais ton Argus est de sa taille,

10

Car il est assez glorieux.


[44]D’vne fille de Tours.

POur ma petite Tourangelle,

Tant gracieuse honneste, & belle,

Souuent i’endure froid, & chaud :

Ie vay, ie vien, & ne me chaut

5

Que ie despende par la voye,

Tant seulement mais que la voye.


[45]De Catin.

CAtin se plaint, Catin se deult,

Qu’elle ne voit tous mes escrits,

Et dit, ie veux que me les liures.

Puis quand i’enten ses plaints, & cris,

5

Ie suis content s’elle me veut

Donner ses leures pour mes liures.


[46]D’vn mercerot.

VN mercerot troussant ses hardes,

Se mit au doigt quelques eschardes,

Puis dit, lors qu’il s’en trouuoit mal,

Petite chose fait grand mal :

5

Sa femme respond, aussi bien

Petite chose fait grand bien.


A vne [f. 79 r] Fac-simile de la page EPIGRAMMES. 79

[47]A vne Damoiselle.

IE sen en moy regner dame Discorde,

Et c’est par toy, & si tu n’en peux mais,

Amour qui est, contre crainte discorde,

Crainte me serre, Amour vainc desormais,

5

Et a juré qu’il vaincra à iamais.


Puis que de toy ce different procede,

Donne conseil, faueur, aide, & remede,

Iugeant ainsi que le requiert le droit,

Ne te mesprens, car seule es qui possede

10

Tout le moyen de la cause orendroit.


[48]A vne Dame.

L’Oeil m’a nauré, l’œil ne me peut guerir,

Malde suis, l’œil n’est pas ma santé,

Oeil, si tu veux me rendre contenté,

Soudain te faut le vray contant querir.


[49]Autre.

NAuré m’auez, vous me pouuez guerir,

Malde suis, & ma santé vous estes,

Excusez moy car vos maintiens honnestes

M’ont enhardy le remde querir.


[50]Autre.

OEil respõ moy, pourquoy m’as tu nauré ?

Langue, pourquoy as tu mõ cœur rauy ?

O mon las cœur, si tu n’es assouuy,

[f. 79 v] Fac-simile de la page EPIGRAMMES.

Iamais pour vray ma liberté n’auray.


[51]D’Amour.

AMour gouuerne la personne,

Amour au cœur la ioye donne,

Amour presente tout seruice,

Et n’y a rien qu’Amour ne puisse.


5

Amour bien haut entreprendra,

Amour à son honneur viendra.

Amour nous dompte, Amour nous change :

Mais n’est ce point vn cas estrange ?

On dit qu’Amour n’est qu’vn enfant,

10

Ie le trouue vn Dieu triomphant.


[52]A M. F. L’Archer, huictain touchant
ceux qui composent en stile graue, hau
tain, & obscur.

CE stile haut, de Poësie obscure,

Ces vers qui sont si graues & pesans,

Ces vers enflez, dont aucuns prennent cure,

S’on les admire & pompeux, & luisans,

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Ce temps pendant ils ont peu de lisans,

La raison est pour l’obscure hautesse.

Qu’on les admire & ent, & six vingts ans,

Les miens on lise auec leur petitesse.


Fin des Epigrammes.

Hante le François.

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[Figure]




















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A LYON,
Imprimé par Pierre Roussin.

1572.