SOMMAIRE
-
Epigrammes
- ✦ 1
- ✦ 2
- ✦ 3
- ✦ 4
- ✦ 5
- ✦ 6
- ✦ 7
- ✦ 8
- ✦ 9
- ✦ 10
- ✦ 11
- ✦ 12
- ✦ 13
- ✦ 14
- ✦ 15
- ✦ 16
- ✦ 17
- ✦ 18
- ✦ 19
- ✦ 20
- ✦ 21
- ✦ 22
- ✦ 23
- ✦ 24
- ✦ 25
- ✦ 26
- ✦ 27
- ✦ 28
- ✦ 29
- ✦ 30
- ✦ 31
- ✦ 32
- ✦ 33
- ✦ 34
- ✦ 35
- ✦ 36
- ✦ 37
- ✦ 38
- ✦ 39
- ✦ 40
- ✦ 41
- ✦ 42
- ✦ 43
- ✦ 44
- ✦ 45
- ✦ 46
- ✦ 47
- ✦ 48
- ✦ 49
- ✦ 50
- ✦ 51
- ✦ 52
- ✦ 53
- ✦ 54
- ✦ 55
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La fontaine d'Amours, Elegies
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- ✦ 3
- ✦ 4
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- ✦ 7
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- ✦ 15
- ✦ 16
- ✦ 17
- ✦ 18
- ✦ 19
- ✦ 20
- ✦ 21
LE IARDIN
D’AMOUR, AVEC
la Fontaine d’a-
mour,
Contenant Elegies, tant inuentees que
traduictes,
Epistres, Epigram-
mes, & autres choses
fort
plaisantes & re-
creatiues.
Le tout nouuellement imprimé.
A Lyon,
Par Benoist Rigaud.
1572.
L’AVTEVR ET TRANSLA-
teur, adresse son liuret du
Iardin
d’amours à l’amy bien ai-
mant, & bien
aimé.
Mes petits vers querez l’amy
Qui a aimé, aime, aimera :
Et à bien aimer endormy
N’a esté, n’est, & ne sera.
Hante le François.
[f. 2 r]
A L’AMY BIEN AI-
mant, & bien
aimé,
Salut.
C
omme par ce mois cy les
an-
ciens
Romains, laissans la toge,
qui estoit robe longue &
hono-
rable,
se reuestoyent des petites
robes
bigarrees, qu’ils appeloy-
ent Syntheses, pour celebrer
leurs Saturnales,
qui estoyent festes de six ou sept iours, en
l’honneur
de Saturne, & enuoyoyent des pre-
sens les vns aux
autres, faisans ce temps pen-
dant bonne chere de
fruicts, & de ieune be-
stial, & lors toutes
choses estoyent permises à
ceux qu’ils appeloyent serfs, pource que
du
temps de Saturne, qui estoit en l’aage d’or, il
n’y auoit nuls serfs : Ainsi ie vous fay
libremẽt
à present des petits fruicts de ma
ieunesse vn
petit present (à fin que ie rime en prose) &
d’autant
plus hardiment, que conferant le
tẽps
moderne auec l’antique, & vostre
Astre
auec le mien, ie seray, enuers tout esprit non
Stoique, plus
excusable, si en ce temps ie ra-
meine mes petites
folies (s’il faut ainsi dire)
A 2
[f. 2 v]
en ieu, pour recreer vn amy, & apres luy pos-
sible plus de cent. Aussi ne veux ie taire
qu’au-
cuns dient que Ianus a premier mis en auant
icelles libres festes Saturnales, & que nos fe-
stes de Ianus, ou Ianuier, qui sont estrei-
nes, sont ja prochaines : au moyen de quoy,
soit comme estreines
petites, ou comme pre-
sent de ligules, ou noix
Saturnales (à la mode
du temps passé) ie ne doute que de joyeux vi-
sage receuerez ce que c’est, & non moins gra-
cieusemẽt
que fistes, n’a pas long temps,
mon
autre petit present : & ne cõdamnerez ny mes-
priserez la liberté du Iardin d’amour, de cil
qui ja est vostre
serf, en tout honneur & ami-
tié : non plus que les
sages Romains ne con-
damnoyent ny mesprisoyent la
recreatiue li-
berté, ou libre recreation, & à dire
autremẽt
,
la ioyeuse lasciueté, ou lasciue
ioyeuseté de
leurs serfs, esdites festes Saturnales.
S’ENSVIVENT LES
Elegies traduites :
[1]Et premierement, traduction de la cin-
quieme
Elegie du premier liure des
amours d’Ouide.
Le Poëte descrit comment il a
em-brassé la Corinne son amie.
I l faisoit chaut, & estoit le my jour
Dessus le lict me iettay en seiour :
Demi ouuerte, & demy close aussi
Fust la fenestre, & dõnãt iour ainsi
5Comme forest demy claire & ombreuse :
Ou comme au soir sur la nuict tenebreuse,
Soleil couchant : ou nuict ia terminee,
Quand n’a le iour sa clarté ramenee.
Telle clarté obscure bien conuient
10A toute fille (à qui vergongne aduient
Et siet tresbien) querant estre cachee.
Corinne vient en robe destachee,
Ses beaux cheueux sur son blanc col espars,
Qui se monstroit telle de toutes parts
A 3 [f. 3 v]Qu’on dit qu’alloit Semiramis la belle
En sa chambrette : ou bien se monstroit telle
Comme Lays bien aimee de mille.
Je romps sa robe, à rompre assez facile,
Elle resiste, & ne la veut lascher :
20Mais, resistant sans beaucoup se fascher,
Comme voulant non vaincre, fut vaincue.
Quand elle fut deuant moy toute nue
Ie n’apperceu nulle tache en son corps.
O quels beaux bras & espaules alors
25I’ay attouché & regardé ! O quelles
D’embrassemens plus dignes mãmelles !
Quel ventre rond sous estomac petit !
Quels forts costez ! O quel grand appetit !
Quel passetemps de jeune & ferme cuisse !
30Mais quel besoin que le tout sauoir fisse ?
Le tout vaut trop. Ainsi l’ay ie pressee,
Et corps à corps toute nue embrassee,
Le reste on sait, tous deux dormimes las :
Souuent m’aduienne à my iour tel soulas.
[2]Traduction de la tierce Elegie du second
liure susdit : laquelle le
Poëte adressoit
à l’eunuque qui auoit en garde & en
charge sa dame.
O le malheur, que toy n’hõme, ne femme,
Es cõmis garde à ta maistresse & dame ?
Toy [f. 4 r]Toy qui sauoir & cognoistre ne peux
Les grans plaisirs que Venus donne à deux :
5Cil qui chastra le premier enfant masle
Meritoit bien punition egale,
D’estre chastré, mesme playe endurant.
Si ton amour ia de long temps durant
Poursuyuoit dame, & sans l’elle iouyr
10Tu serois doux, & prest à nous ouyr.
Tu n’es pas né aux cheuaux ny aux armes,
Ny à liurer de guerre les alarmes,
Et à ta main ne conuient point la lance,
Aux hommes est propre ceste vaillance.
15Quitte l’espoir de faire office d’homme :
Mais il te faut tant seulement en somme
Estre d’accord auecques ta maistresse,
Sa grace acquier, fay qu’el’ t’ayme sans cesse.
Dy moy, sans elle à quoy seruirois tu ?
20Ses ans, & yeux d’amoureuse vertu
Sont tous remplis : sa beauté, & sa grace
N’a merité que sans amy se passe.
Elle pouuoit tresbien te deceuoir,
Quoy que fascheux fusses à ton pouuoir :
25On vient à chef quand deux tiennẽt la main.
Mais (mieux pour toy) d’vn moyen plus humain
Nous te prions (quoy qu’il n’est necessaire)
Ce temps pendant que tu peux plaisir faire.
[3]Traduction de la quatrieme Elegie du
second liure susdit. Le Poëte
declare
qu’il est suiet & enclin à aimer les da
mes de toutes
sortes & qualitez.
IE n’oserois mes folles mœurs deffendre,
Ny faussement pour elles armes prendre :
Confesser veux (si confesser profite)
Et contre moy mes vices ie recite.
5Je hay, & si ne puis (qui est grand peine)
Ne desirer cela que i’ay en haine.
O qu’il est bien difficile à porter
Ce que tout on voudroit reietter !
Certes en moy mes forces defaillent,
10Et nul moyen de resister me baillent :
Ie suis porté ainsi que la nauire
Qui ça & là l’eau rude tourne & vire.
Il n’y a point de certaine beauté
Par qui ie sois à l’amour incité :
15Cent causes sont par qui i’aime tousjours.
Soit que quelqu’vne un peu rude en amours
Son œil honteux me iette, elle me dompte :
Ie brusle, & trop me deçoit ceste honte.
Si quelque autre a vn œil hardy qui poingt,
20Elle me plait, car sotte elle n’est point :
Et si me donne espoir bien grandement
Que sur le lict elle a bon branlement :
S’elle [f. 5 r]S’elle est rebelle, ainsi que les Sabines,
Incontinent je dy que ce sont mines :
25Et pense bien, encor qu’elle recule,
Qu’elle le veut, mais qu’elle dissimule :
Si docte elle est, ie l’aime pour cela
Que tel honneur de grand sauoir elle a :
S’elle n’est docte, alors d’autre costé
30Elle me plait pour sa simplicité.
S’il y en a qui maintienne tresbien
Qu’aupres de moy Callimachus n’est rien,
Et que ses vers ne sont tels que ceux cy :
Puis que luy plais, elle me plait aussi.
35S’il y en a quelque autre qui reprouue
Ma poësie, & bonne ne le trouue,
Ie vouldrois bien certes leuer la cuisse
D’elle blasmant, pour luy faire seruice.
S’elle va doux, ma plait sa douce alleure,
40Si elle est lourde, ha, ce pense ie à l’heure,
On la pourra bien adoucir en somme
Quand elle aura vn peu gousté de l’homme :
A celle cy qui chante doucement,
Ayant la voix tant à commandement,
45Quãd l’oy chanter en voix haute ou basse,
Bien voluntiers vn baiser desrobasse.
Ceste autre vient les cordes demener
De harpe & lutz, & tant bien fredonner :
Où est celuy d’entre tous les humains
50Qui n’aimast fort ces tant expertes mains ?
A 5 [f. 5 v]Mais ceste là plait tant qu’on ne peut dire,
Quand elle bale, & par art ses bras vire :
Et quand on voit son gentil corps leger
De bonne grace en balant voltiger.
55A celle fin que de moy ie me taise,
A qui n’est cas qui soudain ne me plaise,
En vn tel lieu mets y vn Hippolyte,
Il deuiendra vn Priapus bien vite.
Toy qui de corps es grande, en ta hautesse
60Tu sembles bien quelque antique deesse,
Et te couchant tu remplis bien ta place.
Ceste petite est mignonne & a grace.
Brief, tout me plait : la grande & apparente
Et la petite aussi me brusle & tente.
65Celle qui n’a vesture neuue & belle,
S’elle l’auoit, mais que seroit-ce d’elle ?
Celle qui est bien en ordre, demonstre
Que c’est que d’elle : O la belle rencontre.
A mes yeux plait la blanche, & la roussette :
70Et Venus plait en sa couleur brunette.
Si cheueux noirs pendent de teste blanche
Par sus l’espaule, & iusques sur la hanche,
Leda plaisoit en noire cheueleure.
Si cheueux roux, Aurora claire & pure
75Fut belle ainsi : ie me conforme à tout.
La ieune d’ans me tente iusqu’au bout
Par sa beauté, & l’autre par ses mœurs.
Brief, s’il en est que les yeux les plus seurs
Vont [f. 6 r]Vont estimant pour cecy ou cela,
80Amoureux suis de toutes celles là.
[4]Traduction de la dixiesme Elegie du se-
cond
liure susdit, laquelle le Poëte ad-
dresse à son
amy Grecinus, soustenant
contre luy qu’un homme peut en mes-
me temps aimer deux femmes, & se
propose
soymesme pour exemple.
TOy Grecinus, toy mesme (il m’en
sou-
uient)
Alloit disant qu’à nul homme n’aduient
En mesme temps des femmes aimer deux :
Ie suis deceu par toy, dont ie me deulx,
5Et suis ainsi que sans armes surprins.
Voicy, ie suis d’amour de deux esprins
En mesme temps, & l’vne en braueté
Ressemble à l’autre, & aussi en beauté.
On peut douter laquelle est plus sauante :
10Ceste cy est plus belle, & plus auenante
Que ceste là : & ceste là aussi
Pareillement l’est plus que ceste cy.
Ceste cy mieux me plait que ceste là,
Et ceste là que ceste cy : voilà
15Ces deux amours puis ça puis là me tirent,
Comme la nef que vents contraires virent :
[f. 6 v]Car mon cœur est distrait & diuisé
En deux endroits ausquels il a visé.
Dame Venus pourquoy mes maux redoublent ?
20N’a vne amie auec soy trop de troubles ?
Pourquoy mets tu des estoilles à plain
Au ciel luisant, lequel en est ia plein ?
Pourquoy mets tu de l’eau en la grand mer ?
Et du fueillage aux arbres viens semer ?
25Mais toutesfois ainsi vient mieux que si
Ie demourois sans amoureux soucy.
Vie ainsi rude à mon ennemy vienne :
Qu’il couche en lict qui n’ait l’amie sienne,
A son plaisir qu’il se veautre à trauers :
30Mais quant à moy, tienne mes yeux ouuerts
L’amour poignant, & si ie dors en somme,
Incontinent rompe mon lasche somme,
Et de mon lict le seul fardeau ne soye.
Vse de moy m’amie en toute ioye :
35Et pour m’vser si ce n’est assez d’vne,
En viennent deux : à ce ie ne repugne :
Alaigres gens ne sont pourtant moins forts :
Nous n’auõs pas pesant, mais puissant corps.
Puis volupté à nos reins donnera
40La nourriture, & les renforcera.
I’ay en tout lieu tresbien fait mon deuoir :
Et n’ay iamais deceu de son espoir
Aucune dame, & n’eus onc lascheté,
I’ay bien souuent en grande volupté
Passé [f. 7 r]Passé la nuict, & le matin i’estoye
Dispost de corps, & tresbien me portoye.
Heureux celuy de qui la vie est bas
Par soustenir de Venus les combats :
Facent les dieux, de tel bien ie iouysse,
50Que quelque fois ainsi mourir ie puisse.
Que le soldat s’arme d’vn halecret
Pour sauuegarde, & n’ait point de regret
Querir par sang loz qui point ne s’efface :
Que l’vsurier les richesses pourchasse,
55Et boyue en fin sa bouche pariurante
L’eau de la mer que tant souuent il hante.
Mais quant à moy languir puisse & secher
Par mouuement du doux faict de la chair :
Et à la fin la mort me venant prendre
60Face l’esprit en la besongne rendre :
Et que quelqu’vn pleurant dont ie desuie,
Die, tel mort conuenoit à ta vie.
[5]Traduction d’une Elegie de Catulle, de-
plorant
la mort du passereau de son
amie.
PLeurez toutes choses plaisantes,
Et toutes personnes viuantes
De beauté, de grace, & bon port :
L’oiseau de ma mignonne est mort,
5Lequel elle aimoit cent fois mieux
[f. 7 v]Que ses propres & tendres yeux :
Car il estoit plein de caresse.
Tant bien cognoissoit sa maistresse
Que la fillette fait sa mere.
10Iamais ne se tiroit arriere
De son giron : mais maintenant
Puis ça, puis là se pourmenant,
Tousiours à sa maistresse seule
Crioit py, py. Qui ne s’en deule,
15Quand à present il va la voye
Tenebreuse, & où n’a ioye
D’où n’est possible qu’il reuienne.
O tenebres, mal vous aduienne,
Tenebres d’enfer malheureuses,
20Qui toutes choses amoureuses,
Belles & gentes rauissez.
Tant bel oiseau vous meurtrissez,
Tant doux passereau & plaisant.
O meschant sort, dur & pesant !
25O malheureux oiseau, par toy
Maintenant les beaux yeux ie voy
De ma mignonne auec douleur
Enflez, & rouges de grand pleur.
[6]Traduction de ce que Catulle escriuoit à
son amie, touchant qu’il veut
prendre
son passetemps en amour auec elle pen
dant
[f. 8 r]
TRADVITES
8
dant qu’il est en vie, &
n’engendrer
aucune melencolie pour les biens ne
les propos du
monde.
VIuons amie, & nous aimons,
Et tous les propos n’estimons
Vn rouge double, des legeres
Langues de tous vieilards seueres.
5Le Soleil s’en va, puis retourne,
Mais aussi tost que se destourne
Le petit train de nos briefs iours,
Nous dormons la nuict à tousjours.
Cà donc ma mignonne gentile
10Cent petits baisers, & puis mille :
Puis autre cent, & mille aussi :
Et quand nous aurons fait ainsi
Inifinis mille, en bien grand nombre,
Les meslerons, qu’on ne les nombre,
15Et qu’onques ne sachions combien
Nous en aurons ia fait : ou bien
Qu’enuie n’ait quelque meschant
Tel nombre de baisers sachant.
A 8 [f. 8 v]
S’ensuyuent les Elegies
inuẽtees
par l’au-
teur.
[1]Et premierement, Elegie à la
louange de la nouuelle fleur.
LA fleur des fleurs qui en ce temps florit,
Dont la couleur & odeur ne perit,
Descrire veux : soyez donques, ô Muses,
En mon esprit, & en mes vers infuses.
5Et toy Flora, des fleurs deesse digne,
Inspire moy par ta vertu benigne.
Communement on estime vne fleur
Pour trois raisons, ou c’est pour la couleur,
Ou pour l’odeur, ou pour la saueur bonne :
10L’vn resjouit les yeux de la personne,
L’autre le nez, le tiers la langue aussi :
Bien peu ou point ont ces trois vertus cy :
Car maintes fleurs, qui ont force et vigueur,
Sont defaillans en beauté de couleur :
15Et maintes sont en beauté fort heureuses,
Qui n’ont bonté ny odeur gracieuses.
Si donc la fleur que ie veux louër ores
A tout cela, & d’auantage encores,
Combien doit elle estre plus estimee,
20Et pour tels biens sur toutes bien aimee ?
Beauté, bonté, & grand vertu en elle
Font leur seiour : car elle est tousiours belle,
Bonne au parfait, vertueuse & puissante.
Par la beauté elle se rend plaisante :
Par [f. 9 r]Par la bonté, heureuse & desirable :
Par la vertu elle est faite admirable :
Pour dire en brief, ses grands proprietez
Sont à tous maux & toutes malheurtez
Remede seur. Contre l’obscur elle a
30Vne clarté qui splendit tresbien là :
Contre tristesse elle apporte liesse :
Contre folie elle donne sagesse :
Contre courroux, amitié & douceur :
Et contre orgueil humilité de cœur :
35Contre ignorance elle apporte science :
Et doux espoir contre l’impatience.
Ceste fleur n’est rose ny marguerite,
Mais c’est la fleur qui tresgrand heur merite.
Ceste fleur digne, excellente & tant rare,
40Qui le mauuais d’auec le bon separe,
Ne croist en Inde, encor moins en Afrique,
Mais en Europe elle croist & s’applique :
En celle terre ou les deux fleuues grans
Droit en la mer du Midy vont courans.
45Onc Eusculape, & son pere Phebus,
Lequel fut dieu de tous les prés herbus
Ne la congnu : ny Enone s’amie,
Qui la vertu des fleurs n’ignora mie :
Car elle a prins seulement sa croissance
50Ce temps heureux en ceste heureuse France,
Regnant François, premier du nom François.
Et surpassant tous autres Rois Frãçois.
B [f. 9 v]Là se maintient en son lieu compassé
La fleur passant les fleurs du temps passé :
55Là se maintient, & de soy se contente,
Car à plusieurs elle n’est apparente.
O bien heureux à qui elle apert bien,
Et plus heureux qui se sent de son bien !
[2]Elegie contenant description de la venue
& de la beauté, &
bonne grace d’une
dame, auec laquelle l’auteur print al-
liance.
DVrant le temps que le cruel dieu Mars
Auoit quitté vouges & braquemars,
Et que la paix du haut ciel descendue
S’estoit sur France & Espaigne espandue,
5Le dieu d’amour, qui tout seul cheminoit
Parmy la France, adonques machinoit
De me liurer dedans mon cœur la guerre,
Et le briser aussi aisé qu’vn verre :
Disant ainsi, Si Mars cesse son cours,
10Ne cesseray pourtant ne nuicts ne iours
Que roidemment mes fleches ie ne tire.
Lors en saison que le chaut se retire,
Et que le froit s’en vient tout pas à pas,
En la saison qu’aux arbres n’y a pas
15Fueille, ne fruict, & que le vent de bise
Foyte [f. 10 r]Foyte les naufs, & les maisons desbrise :
A brief parler en la morte saison,
Lors que chacun est clos en sa maison,
Dedans mon cœur sentois la saison viue,
20Et vn prin temps plein de douceur nayue,
Me produisant, ainsi qu’un renouueau,
Dedans le cœur & fleur & fruit nouueau :
C’est à sauoir, mil pensees secrettes,
Ainsi que fleurs gentes & nouuelettes,
25Et de tant plus que l’esté se passoit,
Tant plus mon cœur de fleurs se tapissoit.
Car cõme aux chãps toutes fleurs declinoyẽt ,
Dedans mon cœur de croistre ne finoyent :
Et fait à fait qu’aux champs le chaud passoit,
30Le chaud esté dans mon cœur s’auansoit.
A vostre auis, & ie vous pry pensez
Si ce n’estoit pour m’esbahir assez ?
Ha dy ie alors, voicy vn grand presage :
Ha ie sen bien que c’est quelque message
35D’vn bien prochain, & de quelque bon heur.
Trois iours apres, vne dame d’honneur
Ie vy venir de lointaine contree,
Bien brauement paree & accoustree,
Qui bien monstroit à son port & maintien
40Qu’elle estoit noble, & tout seur ie m’en tien.
Ainsi venoit de contree lointaine
Laissant la Saone, à fin de voir la Seine :
Car elle auoit laissé l’affection
B 2 [f. 10 v]Qu’elle portoit au doux & grand Lyon,
45Pour venir voir Paris ce beau berger,
Lequel voulut à Venus adiuger
La pomme d’or. Cependant auec elle
Faisoit porter, la dame noble & belle,
Vn cabinet lequel n’estoit pas vague,
50Mais estoffé de mainte riche bague.
Quand ie la vey sur sa belle monture,
Incontinent voicy dame nature
Qui m’enuoya au front vne sueur,
Et m’esblouyt de si grande lueur :
55Car la beauté qu’en sa face i’admire
Reluit si fort qu’en icelle on se mire,
Comme on feroit en vn tresclair miroir
Qui fait au vif toute chose apparoir.
A bien parler, sa face vous rend lustre
60Plus que cristal lumineux et illustre :
Ses iouës sont deux roses souëf flairantes,
Et ses deux yeux deux estoilles luisantes,
Ses cheueux blonds, troussez au coin de l’œil,
Luisent autant que les raiz du Soleil.
65O (dy ie lors) ô cheueulure blonde,
Certes tu es la plus belle du monde :
O (dy ie lors) ô cheuelure digne,
Que la main est heureuse qui te pigne :
Chef reluisant, & cheueux bien troussez,
70O doigts heureux lesquels vous ont dressez.
Puis contemplay ces deux leures vermeilles
Plus [f. 11 r]Plus que courail en beauté nompareilles,
Lors tout soudain me senty, & me vey
En vn souhait de les baiser rauy :
75Et si ne peu me tenir qu’à grand peine,
Que de plus pres ie n’eusse leur alaine.
O quel baiser (disoit ie) ce seroit,
Vn tel baiser les morts susciteroit.
Si sage elle est que n’en eust fait refus,
80Mais toutesfois en ce constant ie fus.
I’auisay puis son corps fait à souhait,
Qui demonstroit loger vn cœur dehait.
O bien heureux qui du cœur a la grace,
Et plus heureux qui cœur & corps embrace,
85Pres qui mon cœur comme neige se fond.
Ie contemplay encor son large front,
Lequel estoit plus blanc que blanc marbre :
Son œil plus vert que n’est la fueille en l’arbre
Lors de splendeur iceluy reuestit,
90Et d’vn destin quant & quant m’aduertit.
Deux iours deuant qu’elle fut arriuee
Son fourrier vint en la maison priuee,
Là où i’estois, & le logis auoit
Desia marqué, comme faire sauoit.
95Là arriua la dame : à sa venue
La saluay, ma teste toute nue,
Genoil ployé. A son soupper i’assiste,
La contemplant mon œil prins ne desiste.
Ia commençoit, ie vous puis affier
B 3 [f. 11 v]Le bon presage à se verifier.
Qu’est il besoin reciter le seruice
Des mets diuers, & les propos sans vice
Mis en auant par la dame honorable,
Bien poursuyuis, soit à table ou hors table ?
105Vn parler franc auoit tant gracieux
Comme de sens hautain & precieux,
Iamais vn mot ne repetoit deux fois,
Iamais aussi ne refraignoit sa voix.
Je ne faindray la dire en corps & ame,
110En faits & dits la nompareille dame.
C’est en beauté la seconde Lucresse,
Venus en grace, ains encores plus est ce.
C’est Penelope en constance & douceur,
C’est vn miroer de tous biens pour tout seur.
115De iour en iour vers sa grande beauté
Ie gaigne un poinct de quelque priuauté :
De iour en iour quelque gracieux conte
Qu’elle me fait, chasse ma crainte & honte.
L’on dit bien vray, maiesté & amour
120En mesme lieu ne font iamais seiour.
De plus en plus sa grace & accointance
Me fournissoit d’amour quelque pitance.
Tant plus i’en ay, tant plus i’en veux auoir :
Tant plus la voy, & tant plus la veux voir :
125Plus ie la voy, plus en elle me mire :
Plus l’ay presente, & plus ie la desire.
Plus l’oy parler, & plus la veux ie ouyr :
Tant [f. 12 r]Tant seulement me restoit le iouyr.
La main auoit si bien faite à l’aiguille,
130A bien ouurer si prompte, & si habile,
Qu’elle en faisoit tout ce qu’elle vouloit :
Et luy sembloit que son cœur luy voloit
Quand elle auoit, non du commun vsage,
Quelque patron, ou la main en l’ouurage :
135Mais n’en laissoit de certain temps elire
Pour s’occuper à escrire, & à lire.
Ie la voyois proprement, & à point
Tant bien ouurer, ou soit à petit point,
A point carré, ou à point de Hongrie.
140Là ie voyois vne tapisserie
D’ouurage sien : maint ciel bien façonné,
Et de couleurs richement ordonné.
A vostre auis heureux estois ie pas
Quand, soit deuant, soit apres le repas,
145Auec la dame, aux yeux tant gracieux,
Ie me trouuoye au beau milieu des cieux ?
Là ie voyois plusieurs braues quarreaux :
Là ie voyois des fleurs & fruicts tant beaux,
Qu’ils m’engendroyent tout petit à petit
150De les cueillir & manger l’appetit.
Vn iour auint, comme ie n’y pensoye,
De ses mains cheut son peloton de soye,
Ie ne fus pas endormy, seurement,
Ains le leuay gayment & dignement,
155Puis luy rendy : luy rendant ie la baise :
B 4 [f. 12 v]Cent mil tresors ne m’eussent fait plus aise.
Quant à l’issue, ores ie ne la conte,
Auant le faict ne faut faire le conte.
[3]Elegie, ou Complainte de Venus à son fils
Cupido, de ce qu’il n’auoit rendu l’au-
teur amoureux : auec la
respõse de Cu-
pido : le tout par description d’un
son-
ge & vision de l’auteur, cõme
s’ensuit.
AV mois de May plaisant & gracieux
Me pourmenois en vn champ spacieux,
Tout resiouy de la saison nouuelle :
Là contemplois force verdure belle,
5Et maintes fleurs que maint passant flora,
Qu’auoit semé la deesse Flora,
Et Zephirus les conseruoit en estre,
Les alenoit, & faisoit souëfues estre.
Puis sur ces fleurs & herbes ie me couche,
10Comme dessus vne bien molle couche.
Et pour garder la chaleur du Soleil
De me donner sur la teste & sur l’œil,
Derriere moy vn arbre estoit planté,
Qui verdoyoit, iettant fleurs à planté.
15
Alors, & comme en tel estat i’estoye,
A sommeiller bien dispost me sentoye.
En sommeillant, ainsi comme ie songe,
Se [f. 13 r]Se presenta à mon esprit vn songe :
Auis me fut que Venus la deesse,
20Dame d’amour, & de toute liesse,
Qui pour certain m’auoit auisé là,
Deuers son fils Cupido s’en alla,
Dedans son char, qu’en ordre & beau parage
Coulomb tiroyent, auec leur blanc plumage.
25Pres d’elle auoit trois gentiles pucelles,
C’est à sauoir les trois Charites belles,
Qui en habits se tenoyent proprement :
Blanc taffetas fut leur accoustrement,
Lors à son fils, non selon sa coustume,
30Tint propos tel, & meslé d’amertume.
Mon petit fils, mais de puissance grand,
Que pour enfant, & pour vn dieu l’on prend,
I’ay veu jadis que ta fleche dressas
Si ferme, & droit, que vainquis, & blessas
35Tant d’hommes forts, & gens cheualeureux,
Les rendant forts au combat amoureux.
Tu as dompté souuent femmes & hommes,
Et les as fait d’amour porter les sommes.
Mais ce n’est riẽ , plus qu’hommes estre fort,
40Contre les dieux tu as bien fait effort :
T’ay-ie pas veu si tresaudacieux
Que les as fait descendre des hauts cieux ?
Et maintenant as tu puissance moindre ?
Auec Rhea tu as peu Mars conioindre :
45Et si as fait laisser à Juppiter
B 5 [f. 13 v]Son throne haut pour Leda visiter.
Aurora gente, & le vieil Titonus
Par tant de nuicts tu les as ioints tous nuds,
Qui bien souuent ont retenu le iour,
50Prenans eux deux leur esbat & seiour.
Auec Tethis tu as conioint Neptune.
Maintenant donc qu’as tu ? quelle fortune ?
Pourquoy ne peux de ta puissance vser ?
Ne doy-ie pas à bon droit t’accuser ?
55Enfant tardif, plus pesant qu’vne vache,
Comment se fait que ton arc est si lasche ?
Le voilà bas par terre desbandé :
Pourquoy n’est-il, comme il souloit, bandé ?
Fleches par trop se gastent en ta trousse :
60Ce n’est à tort qu’à toy ie me courrousse
O cœur failly, plus que trop nonchalant,
Qui autres fois fus si preux & vaillant !
Ce ieune fils, qui en ce champ repose,
De qui l’esprit mesme en dormant compose,
65Voulut il pas contre nous estriuer,
Tant que n’as peu le vaincre cest hyuer ?
Sus, tout soudain pren ton arc, & luy monstre
Qu’il ne peut plus resister à l’encontre
De ton pouuoir : tire fort, naure, & fier
70Son cœur, vers nous tant orgueilleux et fier.
Adonc respond, en voix non si amere,
Le ieune enfant Cupido à sa mere :
D’où peut venir, ma mere, ce parler,
Lequel [f. 14 r]Lequel me vient ainsi fort raualler ?
75Comment se fait que vostre douce langue
M’ait proposé ainsi rude harangue ?
Quant aux gens forts que ie vaincs, n’est
mer
ueille,
Car force n’est qui contre mon arc veille :
Ains d’autant plus l’hõme est fort, & puissant,
80Certes plustost de luy suis iouyssant :
Pource que force en vn cœur est requise,
Qui chasse, & veut en amour faire prise.
Mais quãt aux dieux, i’ay d’eux la iouyssance
Par leur liurer toute resiouyssance :
85Aussi n’ont ils rien à quoy besongner,
De rien qui soit on ne les voit soingner :
Telles gens sont volontiers de ma bande,
Ce sont ceux là pour qui souuent ie bande
Mon arc doré, puis ie leur liure assaut,
90Brief, ce sont ceux que ma sagette assaut.
Communement à ceux qui n’ont que faire
A mon profit ie dresse mon affaire.
Quant à celuy duquel m’auez parlé,
Qui en ce champ dormir s’en est allé,
95Sur luy n’a peu onc mordre ma sagette,
Elle rebouche alors que ie luy iette,
Trouuant rampart d’estude, & diligence,
Dont à mon gré n’en puis prẽdre vengeance,
Parce qu’il est aux lettres studieux.
100Mieux me vaudroit auoir affaire aux dieux
[f. 14 v]Qu’à la personne à l’estude adonnee :
I’ay beau tirer, ia n’en est estonnee,
De telles gens d’esprit laborieux,
Iamais n’en puis estre victorieux.
105Mais, ô ma mere, ay-ie pourtant cessé,
Si n’ay vaincu cestuy l’hyuer passé ?
Et bien, c’est vn : quants autres i’ay bas mis,
Et par mes traits à vous & moy soubmis ?
Ha, i’en pourroye alleguer plus de mille,
110Que i’ay naurez, & aux champs, & en ville.
Sa mere dit, ô garson affetté,
Apres que i’ay ton propos escouté,
Respon à moy, sans le tien propos rompre,
Ne t’ay-ie veu vaincre, dompter, corrompre
115Des gens sauans les esprits & les cœurs,
Que n’eussent fait tous vaillans belliqueurs ?
Et maintenant tu dis qu’aux gens d’estude
Ton trait rebouche, & n’a point d’habitude.
Au Roy Poëte, & Salomon son fils,
120Te souuient il quel’ playe tu leur fis ?
Le Philosophe & sauant Aristote
Tu as dompté, & puis l’estude t’oste
Tout ton pouuoir. Virgile tant sauant,
Si grand Poëte, as nauré bien auant :
125Et ne pourras ce ieune fils fragile
Naurer ainsi comme tu feis Virgile.
C’est biẽ nous mettre à honte, & à despris.
Quand quelqu’vn a certain cas entrepris,
S’il [f. 15 r]S’il n’y met peine, il n’en vient point à bout.
130Employe donc ta puissance du tout
Sus ce ieune homme, & playe luy feras,
Ie le say bien, quand tu t’y emploieras.
Le fils Venus comme vaincu alors,
Ne sonna mot, mais il fit des efforts
135D’executer le vouloir de sa mere :
Banda son arc, & d’vn minois austere
Il proposa de moy bien se venger,
Bon gré mal gré me faire à luy ranger,
Et luy payer son tribut & ma dette.
140Puis me tira sa poignante sagette
Droit au milieu & profond de mon cœur :
Venus cria, ha tu n’es point mocqueur,
Tu as gaigné celuy qui tout l’hyuer
Auecques nous ne s’est voulu trouuer :
145Tu as feru (ô heureuse vaillance)
Celuy duquel tu auois deffiance.
Lors du sommeil estant tout lourd, & las,
Je me resueille, & sens (helas, helas)
Vn trait cruel, qui mon cœur outrepasse :
150Adonc ie suis vne assez grande espace
Gisant tout plat, comme du tout pasmé,
De voir mon cœur en la sorte entamé.
Puis je reduy en memoire mon songe,
Et ie m’escrie, ha ce n’est pas mensonge.
155O aueuglé qui vois le fond des cœurs,
Me falloit il tenir telles rancueurs ?
[f. 15 v]O ieune enfant, furieux, plein de rage,
Tu es petit, mais tu as grand courage.
Et cela dit, ie ne sauois que faire,
160Si ie deuois plus crier, ou me taire.
Lors de mon cœur m’efforçay retirer
Ce trait poignant, mais i’auois beau tirer,
Plus le tirois, plus me faisoit greuance.
Donc pour oster du coup l’apperceuance,
165Le bout du fust, lequel passoit mon pis,
Pres de ma chair adonques ie rompis :
Et tost apres que ie l’eus arraché,
En mon mouchoir l’ay serré & caché :
Puis l’ay transmis, & enuoyé vers vne
170A fin qu’elle eust de moy pitié aucune :
Luy escriuant, celuy qu’Amour naura,
Belle, sans toy nul remede n’aura.
Or voy que c’est, ce fust auec ses ailes
Demonstre bien de piteuses nouuelles :
175Par ce tu vois qu’on m’a nauré le cœur,
Et que de luy Cupido est vainqueur :
Par ce tu vois qu’vn trait, qui roide vole,
Mon poure cœur par grande outrance affole :
Par ce tu vois qu’Amour m’est apparu,
180Et comme il m’a par grand rigueur feru,
L’homme nauré sa guerison demande :
Gueri moy donc, Amour le te commande.
[4]Elegie, ou Complainte à une jeune dame
trop
[f. 16 r]
INVENTEES.
16
trop sourde & rigoureuse contre
l’a-
mour.
Si de mon cœur, & ferme volonté,
Autant q̃ moy vous n’auiez cognoissance,
Et que souuent vous n’eussiez attesté
Qu’en auiez ferme & certaine asseurance,
5
Faire voudrois toutes choses extremes
A fin de vous la donner à cognoistre :
Mais maintenãt autãt comme moymesmes
La cognoissez, sans bien la recognoistre.
Telle rudesse & mauuais traittement,
10Telle rigueur ie ne merite en rien.
Or ie vous pry, pour tout appointement,
Que me faciez au moins vn tout seul bien :
C’est que laissiez mon esprit en repos,
Qui à present est loin de toute estude,
15Car vous l’auez par vos menus propos
Mis en trauail, & en solicitude :
Tant que depuis que vostre œil ie n’ay veu,
En tel estat iour & nuict m’auez mis,
Que nullement ie n’ay mangé ne beu,
20Fors m’en priant les miẽs plus grãs amis.
Et si l’ay fait auec plus grand regret
Certainement que iamais ie fey chose :
Car mon las cœur souspiroit en secret,
Et souhaitoit sans faire aucune pose,
25
Plustost la fin & abolition
[f. 16 v]De mon desir ardant, & excité,
Qu’en plus viuant continuation
De mon malheur, & infelicité.
Or m’en mettez dehors, & vous ferez
30Beaucoup pour moy, en me donnant cõgé
Perpetuel, lequel vous signerez,
Puis ne direz que ie l’auray songé.
Lequel congé ie ne veux, ne doy prendre
Sans vostre sceu, & sans permission :
35Car si regret par temps en vous s’engẽdre
Ne m’en mettez à sus l’occasion :
Ains à rigueur, laquelle m’aurez faite
A tresgrand tort, & à vostre dommage,
En me sonnant par congé la retraite,
40Et desprisant mon vray entier courage.
Car i’ay esté, comme vous sauez bien,
Tresprompt à vous obeyr en tous lieux :
Pareillement de vostre honneur & bien
Mille fois plus que du mien curieux.
45
I’ay preferé les commandemens vostres,
Et vos vouloirs, aux prieres de tous,
Me reculant de l’amitié des autres,
Et les laissant tout pour l’amour de vous.
Estimez donc comme à present se passe
50Ma dure vie en miserable sort,
Quand ie me voy estranger de leur grace,
Et esloigner de la vostre à grand tort :
Certainement de laquelle n’auray
Onc [f. 17 r]Onc oubliance, encores que ie feisse
55Loin demourance, ainsi que ie feray,
Et que distrait en autre lieu vesquisse.
Ce que feray de brief, & tost apres
Que ie sauray la response de vous :
Car m’en iray autant loin que suis pres,
60Si vostre mot m’est plus amer que doux.
Premierement à tout le mien affaire,
Pour conseruer mon honneur & profit,
Ie donray ordre, ainsi que ie doy faire,
Puis vous diray A dieu : & me suffit.
[5]Elegie ou cõplainte de l’auteur à sa sœur
d’alliance, qui par un faux
raport se
reculoit de l’amitié de l’auteur.
PVis que ie suis reculé de ta face,
Treschere sœur, que faut il que ie face,
Quand le parler ores m’est defendu,
Fors que i’escriue, & que te soit rendu,
5Au moins offert par escrit mon seruice,
Que malheur veut empescher sans mon vice ?
Ly donc ma sœur, s’il te plait, la presente :
Qu’un seruiteur, tousiours tien, te presente :
Et ne sois tant encontre elle irritee,
10Que comme luy, elle soit reboutee.
Pauure vengeance, ô ma sœur, tu feras,
Quand par desdain tu la deschireras,
C [f. 17 v]Et que pourroit auoir meffait ma lettre,
Pour la vouloir en mille pieces mettre ?
15Que te pourra on offenser ou nuire,
Quand l’auras leuë, ou quand la viendras lire ?
Peut estre aussi que ton œil y lira
Quelque bon mot qui ne te desplaira.
Entre tes mains elle desire aller
20Pour t’aduertir, & pour me consoler :
Pour t’aduertir que combien que fortune
Me soit contraire, & par trop importune,
De vouloir mettre en separation
Nos cœurs vnis par une affection
25Que bonne amour auoit tant fait valoir,
Que de nous deux ce n’estoit qu’vn vouloir.
Ce nonobstant en patience forte
Ce tresgrief mal pour toy, ma sœur, ie porte :
Ie dy grief mal, car c’est vn grand tourment
30Quand deux amans sont mis en troublemẽt .
I’ay dit pour toy, car l’amour que i’adore,
Fait que ie t’aime, & t’aimeray encore
Parfaitement, tant que seray en vie,
Mal gré malheur, malle bouche, & enuie :
35Car tu n’as pas en moy, ton seruiteur,
Vn cœur trouué variable & menteur :
Mais vn cœur bon, & à t’aimer tant ferme,
Que seule mort en finira le terme.
Le second point, pour consolation,
40De nostre amour ie feray mention :
Seule [f. 18 r]Seule tu es que i’ay voulu elire,
I’ay desiree, & encor ie desire :
Seule tu es qui peux entierement
Faire de moy à ton commandement :
45Seule tu es à qui ie suis amy,
Et seruiteur entier, & non demy :
Seule tu es que ta grace & douceur
Ont merité que t’appelle ma sœur.
Ie te pry donc par le nom d’amitié,
50De frere, & sœur, aye de moy pitié :
Si tu ne veux auoir pitié de moy,
Aye pitié des maux que i’ay pour toy :
Et de penser au moins fay moy ce bien,
Qu’en peine suis, pource que ie suis tien :
55Et que suis tien, pource que m’as fait l’estre
Par tes vertus, qu’amour m’a fait cognoistre :
Et qui feront encor, comme i’espere,
Que moy vny en ta grace prospere,
Repos auray, quand tu l’ordonneras,
60Et ton amour à moy redonneras.
Car ie suis seur que ta face & beauté
Faites ne sont pour loger cruauté :
Il s’en faut trop que ta douceur humaine
Puisse accorder à rigueur inhumaine.
65Te plaise donc considerer les maux
Ou suis plongé, les peines & trauaux
Que mon esprit, & mon pauure cœur sent,
Pource que suis de toy à tort absent.
C 2 [f. 18 v]Infinis maux il conuient que ie sente,
70Puis que de moy, ma sœur, tu es absente :
Tu es le bien qu’au monde i’aime mieux.
Helas ou sont à present tes beaux yeux ?
Ou sont tes ris ? tes douceurs gracieuses ?
Ou sont, ma sœur, tes graces merueilleuses ?
75A mon malheur (ce mot on me pardonne)
Le ciel hautain ces grans vertus te donne.
Dire cela ie puis, & ose bien,
Puis que mon mal procede de ton bien.
Car si n’estoyent tes graces accomplies,
80Et tes vertus, de bonne amour remplies,
Ie ne serois rempli de ton absence
De tel regret, qui tant le cœur m’offense :
Et pleust à Dieu que tes vertus & graces
Plus à douceur qu’à rigueur appliquasses.
85
C’est quelque bien quãd des plaisirs passez
On se souuient, mais ce n’est pas assez :
Car lors ne peut que desplaisir ne croisse,
Quand le plaisir nous laisse auec angoisse,
Et dur regret, qu’il conuient qu’on endure
90Par le defaut du bon heur qui peu dure.
I’ay veu, ma sœur, si i’auois fascherie,
Bon gré mal gré tu faisois que ie rie.
Car pour certain par ton gracieux œil,
Par ta paole, & par ton doux accueil
95Tu transmuois ma tristesse en liesse :
Et maintenant, comme dure maistresse,
Plus [f. 19 r]Plus suis en cœur fasché & tourmenté,
Tant plus tu fais que ie sois molesté :
En m etenant vne forte rigueur,
100Par qui mourant ie ne vy qu’en langueur.
Rigueur me tient, helas, mais d’ou vient elle ?
De mon amour enuers toy immortelle ?
Non : car l’amour toute douceur procure :
Amour est bonne, amour est douce & pure.
105Cest rigueur procede elle de toy ?
Npn : ton cœur noble est trop benin de soy.
Certainement ie croirois bien à peine
Que pour amour ton cœur me rende haine,
Seulement donc c’est par le dire d’vne,
110Qui, sans vers elle auoit fait faute aucune
Me porte tort, d’estre mon ennemie :
Diuertissant, ô sœur & bonne amie,
A son pouuoir ton amour & ton cœur
De moy ton serf, pour y semer rancueur :
115Comme disant, qu’en moy n’y a fiance,
Que ce n’est rien ma foy & alliance :
Promesse d’homme aussi n’estre que du vent.
Tels faux propos, & faux rapports souuent
Font grand ennuy à l’amour commencee,
120Et font que soit beaucoup desauancee.
Car faux rapport entre meilleurs amans
Va semant doute, & peines, & tourmens.
Mais toutesfois iamais ne laisseray
Te bien aimer, & tousiours t’aimeray
C 3 [f. 19 v]Iusqu’apres mort : car amour de ma part
A de confiance en mon cœur fait rampart,
Que ne sera de moli, n’abbattu :
Par enemis d’amour & de vertu :
Tous leurs canons, tirez de grand puissance
130N’abbatront point vne telle constance.
En cest endroit pense ie te supply,
Si ie n’ay pas ton vouloir accomply,
Et en tout cas que tu m’as demandé ?
Ay ie failli en rien qu’as demandé ?
135As tu trouué aucune defaillance
En mon endroit, depuis nostre alliance ?
Mais i’ay mis peine en tout t’estre agreable.
Voilà comment le dire est veritable
De celle la, de ton amie feinte,
140Qui veut tascher nostre amour rẽdre esteinte
Tu es plus forte, & plus constante & sage,
Que ruiner l’amy pour vn langage.
Et quand vous deux l’auriez tout ruiné,
Respondez moy, qu’y auriez vous gagné ?
145Que bel honneur vous en seroit rendu ?
Fors qu’on diroit que vous auriez perdu,
Annihilé, renuersé à grand tort
Et ruiné vn amant iusqu’à mort ?
Il est bien vray, ie n’ay tant de richesse
150Qu’vn autre auroit, mais richesse en
biens
(qu’est ce ?
Et ce que i’ay, ie le dy seurement,
Est bien le tout à ton commandement.
Puis [f. 20 r]Puis en santé i’ay cœur plein de ieunesse,
Et d’Apollo, & des Muses caresse,
155Qui mon esprit d’vn immortel thresor
Ont enrichi, qui passe argent, & or,
C’est vn thresor que larron ne peut prendre,
Et qu’on ne peut ne perdre, ne despendre :
C’est un thresor qui ne croist point au mõde,
160Mais vient du ciel, puis en pensee munde
I’ay bon vouloir, autant bon, au meilleur
Qu’autre qui viẽne : & sans ce grand malheur
Qui me court sus, me vante que i’estoye
Autant heureux qu’autre que cognoissoye,
165Mais ce malheur (ie t’en veux bien aduertir)
Tu peux tresbien en bon heur conuertir,
I’ay vn bon œil me faisant amander,
Et me venant hardiment commander :
Sans croire plus au faux babil de celle
170Qui veut soiller nostre amitié tant belle :
Et qui ton mal, & le mien, sans ta grace,
Facilement sous faux semblant pourchasse.
Pren donc pitié, Dame que tant ie prise,
Et si tu crois que faute i’ay commise,
175En l’amandant tu n’auras plus esgard
Qu’au bon vouloir. ô ma sœur, Dieu te gard.
S’ENSVIVENT LES
Epistres
[1]Epistre à une ieune Dame, par laquelle
l’Auteur proteste de sa
loyauté, & de
l’aimer tousiour seule sans feintise,
& luy
obeyr d’un vray cœur amou-
reux, se dediant à son
seruice.
A Te rescrire, ô ma ioye & desir,
Mon esprit
prẽd
non pas moin-
dre plaisir
Que fait mon œil à te voir tant
de
fois,
Et mon oreille à escouter ta voix.
5En te voyant i’ay ioye à suffisance.
En t’esciuant i’en ay la souuenance.
D’ancre & papier ie ne fay point de perte :
Car grandement ta grace m’est apperte,
Souuent ie veux t’escrire desormais,
10Et ton bon cœur ie n’oubliray iamais.
Ta grace en moy i’aime, i’estime, & prise :
Garder la veux, puis que ie l’ay acquise.
S’il y en a qui ont voulu aimer,
(Ie [f. 21 r](Ie n’en veux nul ny blasmer, ny nommer)
15Et en aimant leur dame ont pourchassee,
Et par aller & venir tant chassee
Qu’ils sont venus à leur poinct pretendu :
Puis de l’honneur qui à la dame est deu
N’en tiennent conte, & apres la main mise,
20D’elle ne font ne recepte, ne mise.
S’il y en a qui iouënt de tels tours
(Car y en a de desloyaux tousiours)
Ie ne suis tel, i’aime sans vilenie,
I’aime trop bien quand i’ay fait vne amie
25Ce qu’elle veut, e sera mon vouloir :
S’elle se deult, on me verra douloir :
Si gaye elle est, gay ie me maintiendray,
Et tout ainsi comme elle me tiendray.
Souuent de moy quelques lettres aura :
30Tout mon secret elle seule saura :
Ie ne pourray mieux penser, ny mieux faire,
Que voir commẽt ie luy pourray complaire.
Pren donc en gré, ô ma ioye, & m’amour,
L’escrit present qui te donne bon iour.
[2]Epistre à deux belles ieunes Damoiselles
ses sœurs d’alliance.
VOus me mandez par vostre missiue
Qu’en vers françois de vous à vous i’es-
criue :
Ce que voulez ie ne puis ne vouloir :
Mais ie voudrois seulement tant valoir
5Soit en douceur de la prose, ou de rime,
Comme ie voy que vostre cœur m’estime,
Qui peut tousiours endroit moy commãder
Non seulement d’escrire, & de mander.
Or toutesfois ie n’ay pas tel loisir
10D’escrire au long, comme i’ay le desir :
Pour ce matin i’escriray seulement
(Quand ie n’ay temps à mon cõmandement)
Que le blondet iuge de la blondette,
Qu’elle est bien douce, & belle, gẽte , & nette :
15Pareillement que la blonde, & la brune,
Fors que du taint n’ont difference aucune.
Et par ainsi conclurray hardiment
Que beau corps ont, & bon entendement :
Et qu’en ces deux, de la fille blondette
20Il y a peu à dire à la brunette.
Heureux soit il qui la vigne planta,
Laquelle ainsi deux beaux raisons porta :
Plus heureux soit qui au temps de vendange
Sera receu, à fin qu’il les vendange.
25O bien heureux qui les vendangera !
Car ils sont mœurs, & nul grand danger a :
Dire ie veux (à fin qu’on ne m’irrite)
Que l’vne & l’autre vn beau mary merite :
Et quand auront chacune vn bon mary,
30Mon petit cœur ne sera point marry,
Mais [f. 22 r]Mais au contraire il en sera tres aise,
Si elles ont parti qui bien leur plaise.
O mes deux sœurs, vous auez vn seruant,
Et si auez en vers vn escriuant :
35Prenez en gré le seruir, & l’escrire :
Mais le ferez mieux que ie ne puis dire.
[3]Epistre à celle qui refusa une missiue de
l’Auteur.
SI de bon gré, & en vostre faueur
Vous ay escrit, non esprins de ferueur
Desordonnee, ains meu, & incité
Tant seulement par vne honnesteté,
5Et pour monstrer vne recongnoissance
Que i’estimois de vous la cognoissance
Est-ce raison qu’on en face refus ?
Non : mais pourtant ce ne me rend confus :
Ains c’est raison que ce point ne vous cele,
10Ce m’est tout vn, ou prenez le, ou laissez le :
En mon esprit troublé ie ne me sens,
Pour vn refus, en eusse ie cinq cens :
Mais toutesfois (honneur en soit aux dames)
Onc mes escrits n’eurent refus ne blasmes :
15Par fois en a fille ou femme d’honneur,
Ie ne preten à mal & deshonneur,
Ie ne poursuy amour desordonnee,
Mais ie poursuy amour bien ordonnee :
[f. 22 v]Comme seroit de louer & priser
20Honnesteté, beauté, bien deuiser,
Maintiẽ rassis, doux œil plein d’amour pure :
Aussi danser sagement par mesure,
Doucement rire, & constamment ouyr,
En tout honneur s’esbatre & resiouyr.
25Mais que vaut estre au maintien gracieuse
Quand aux escrits on est trop rigoureuse ?
Si vous voulez à l’excuser ranger,
Qu’en l’escriture y a trop de danger,
Il y en a trop plus en la parole
30Qu’en vn escrit, que vous voyez par role :
Ne fust sinon qu’elle est dite en presence,
Et l’escriture est escrite en absence.
Vne parole a quasi pieds & mains,
Et vient frapper droit au cœur des humains :
35De tels effects la lettre n’est pourueuë,
Car seulement elle frappe en la veuë.
Pource l’on dit (ce que bien ie sauois)
La lettre morte, & vne viue voix.
Mais si par tout est permis de baler,
40Chanter & rire, & priuement parler,
Doit il pas bien estre permis d’escrire ?
Consequemment sera permis de lire.
Mesme parfois les plus grands ennemis
Reçoyuent bien escrits à eux transmis.
45Or auisez si, par raison plus grande,
N’est pas permis lire ce que l’on mande
En [f. 23 r]En tout honneur & gracieuseté ?
Vous auez donc peu gracieuse esté :
Et sur ce point ie dy qu’vn personnage
50Fait son profit de tout quand il est sage.
Si en l’escrit il y trouue du bien,
Il est ioyeux, & dit, cecy vient bien :
Et s’il y trouue aucun poinct à redire,
Quand il luy plait il le brule ou dessire :
55Il en peut faire à son authorité,
A son plaisir, & à sa liberté.
Mais quant à moy, dame ie vous auise
Que n’eust esté mon epistre reprise
De vous, ou d’autre, ayant bon iugement :
60Et, qui plus est, ie vous dy seurement,
Que vostre honneur & profit poursuyuoye,
Et y rendois plus qu’en toute autre voye.
Possible vous la voudriez bien voir, mais
Homme viuant ne la verra iamais.
65Or auisez que c’est de refuser
Legerement, & vouloir s’excuser
En vne chose ou n’y faut point d’excuser,
Quand vn bon cœur en tout honneur en vse.
Eusse ie honneur de trauailler mes doigts
70S’il y eust mal en ce que ie mandois ?
Ne plaise à Dieu que ma plume trauaille
D’escrire en mal, ne que mon cœur y aille.
En tout honneur escrire ie voulus :
Ho, c’est assez, ie n’en parleray plus :
[f. 23 v]Mesme cecy prenez le, ou refusez le,
Comme voudrez modereray mon zele.
A l’amy bien aimant, & bien aimé, sur
ce que l’on doit viure ioyeusement en
ce monde, sans se tourmenter le
cœur & le corps
apres les
biens & honneurs
lesquels il faut
laisser
VIuons, viuons ioyeusement,
Mais qui voudroit plus belle chose ?
Nos iours s’en vont legerement,
80Et se passent comme la rose
Qui d’espines est toute enclose :
Viuons quand le temps nous auons,
Concluans comme ie propose,
Ioyeusement viuons, viuons.
S’en [f. 24 r]
S’ENSVIVENT LES
Epigrammes
[1]D’vne Damoiselle à qui l’auteur aida à
descendre de dessus son
cheual.
Q Vand du cheual ie vin descẽdre
La ieune damoiselle tendre,
Qui est de face & de nom claire,
M’auisa d’vn œil qui esclaire :
5
Puis tout sur l’heure, sans atten
(dre
Se print à son gent corps estendre,
Et à ses bras en l’air hausser :
Et moy ie prins à me baisser.
[2]A vne Geoliere de prisons, qui aussi te-
noit le
cœur de l’auteur prisonnier.
N’As tu pitié madame Geoliere
De mon las cœur que tu tiẽs en prison ?
O grand beauté, & grace singuliere,
Ie te supply ceste prime saison
5Luy faire en brief selon droit & raison :
Ou si tu veux par ta rigueur n’entendre
Entierement à ma liberté rendre
[f. 24 v]Fay moy ce bien, enferme en forte tour
Mon corps tout seul, qui est facile à prendre,
10Et mets mon cœur hors des prisons d’amour.
[3]A celle qui donna vn gracieux baiser à
l’auteur, auec vn bon
mot.
LE doux baiser de ta bouche tant saine,
Qui vn bon mot auec bonne halaine
M’apporta hier, a mis dedans mon cœur
Tresgrand espoir d’vn bien encor meilleur.
[4]De Martin qui gagna sa femme par
proces.
ELle est à toy, puis que tu l’as gagnee
Par proces fait, & sentence donnee :
Pren la moy donc : apres boire & manger
Tu pourras bien sur elle te venger :
5Qu’elle me soit par chacune iournee
A comparoir en personne adiournee :
Visite bien, fay luy moy son proces,
De cœur, de corps, sans exces, par exces :
Elle a perdu, c’est raison qu’elle en sue
10De tout son corps, toute nuict toute nue :
N’aye point peur de la blesser, la, la,
On luy defend de n’en dire hola.
[5]A vne Damoiselle, touchant que l’amour
ne se peut celer.
DEdans le cœur l’amoureuse estincelle
N’est point sans luire, & sans qu’elle
estincelle :
Il n’est possible à l’œil de la celer :
Ains, la celant, plus se fait reueler.
5Ne cele rien donques, ô damoiselle,
Ton œil, ton ris ont declaré ton zelle.
[6]De la femme d’un boucher, laquelle ven-
Doit sa
chair bien cher.
VN boucher qui vend la chair morte,
A fin qu’en son estat il viue,
A sa femme de bonne sorte,
Mais elle vend bien sa chair viue
5A chacun marchand qui arriue :
Frere Bertrand, frere Symon,
Auecques tout leur beau sermon
N’en peuuent auoir que bien chere :
Ie vous demande à sauoir mon
10Si elle n’est donc point bouchere ?
[7]A vn amy, l’auteur se reprend de ce qu’il
auoit dit que son amie estoit perdue.
I’Ay dit que m’amie est perdue
(Que i’estimois vn si grand bien)
D [f. 25 v]Mais le disant i’estoye bien grue,
Ie m’en desdy pour moins que rien :
5Car tost ou tard, vestue ou nue,
Quelque autre la trouuera bien.
[8]A son amy, qui pour suyure un maistre
laissoit une amie, qu’il
appelloit sa
maistresse.
TRescher amy, tu as vn maistre acquis
Qui t’aime bien, & bons gages te donne :
Qui sont deux poincts que chacun n’a pas
quis,
Dont ie te tien pour heureuse personne,
5Puis que fortune en ce poinct te façonne.
Mais nonobstant, amy, quel plaisir t’est ce
Ie te supply (s’il fait que ie raisonne)
Quãd pour le maistre as perdu la maistresse ?
[9]A vne femme assez mal presumant, &
mesdisant des autres.
IL n’y a ne celuy, ne celle
Qui au monde n’ait quelque vice,
Soit gentilhomme, ou damoiselle,
Soit ou ton clerc, ou ta nourrice :
5L’vn tient de maudite auarice,
L’autre est en amours si parfond,
Que [f. 26 r]Que son cœur de grand ioye y fond :
L’autre mesdit de tous ceux cy.
Madame, les autres le font,
10Et vous en mesdites aussi.
[10]D’vne ieune damoiselle Espousee.
VNe espousee (helas) ieune & estroite,
Voyant ruer son espoux bien en point
Auec sa lance, & bien forte, & bien droite,
En souspirant s’escria en ce point,
5Elle est trop grosse, & n’y entrera point :
Il luy respond, & bien donques, m’amie,
Ne l’y mettons seulement que demie :
Puis fierement vous vient rompre la porte :
Elle n’estant à ce faict endormie,
10Dit boutez tout, aussi bien suis ie morte.
[11]L’adieu aux monts des Alpes, l’auteur
retournant d’Italie en
France.
OR adieu à ce beau matin
Les grands monts plus d’vn million,
Les monts couuers de blanc satin,
Freres d’Ossa, & Pelion :
5Ie m’en retourne voir Catin
Ne mandez vous rien à Lyon ?
[12]A vne belle ieune dame, qui portoit l’ha-
bit de
dueil, de la mort d’un sien pa-
rent.
TV as dessus robe de dueil,
Et dessous, la robe de ioye :
Le dessus est veu de mon œil,
Mais le dessous fay que je voye :
5Autrement par tout ou ie soye
Rien que tout dueil ie ne verray :
Mais si ce bien ton cœur m’ottroye,
Rien que toute ioye n’auray.
[13]A sa dame & bonne amie estant en
France, & l’auteur en
Italie.
CE mois de May sans
toy m’en vay mou-
rant,
O mois de May sans moy pourras tu viure ?
Ce mois de May mort sur nous va courant,
Lequel souloit d’amour gaye & deliure
5Nos petis cœurs faire ensemble reuiure.
O mois de May, cruel, & plein de tort,
Qui iusqu’à mort deux amans veux poursuy-
ure,
Plus n’auras nõ mois de May, mais de mort.
[14]De dame Marguerite qui estoit à sa
grange, & que l’auteur alla
voir.
FAisant chemin vn de ces iours cy pres
Dedãs vn chãp ou fleur des fleurs habite,
Sentois odeur, plus souëue que Cypres,
Dequoy mon cœur n’eut pas ioye petite :
5Car i’auisay la belle Marguerite,
Pres de laquelle y auoit maint chardon.
O que c’estoit precieux & cher don,
Mais trop espris de son odeur tant souëue,
De la cueillir ie ne pris le brandon,
10Dont il conuient que souci i’en reçoyue.
[15]Autre Epigramme à elle mesme, lors que
l’auteur ne la voyoit point par
le mois
de May.
CE mois de May ie suis bien pris sans verd
Quand i’ay perdu tes yeux verds & luisans :
Ce mois de May de dueil m’a tout couuert,
En lieu de fleurs à plaisir induisans.
5Ce mois de May, le plus laid de dix ans,
N’a que souci, pensee, melancolie,
Dont il me fait des bouquets mal plaisans :
Car i’ay perdu des fleurs la plus iolie.
[16]A vne belle ieune damoiselle, de qui la
mere auoit prié l’auteur luy faire voir
de ses œuures.
MA damoiselle vostre mere
M’a prié que luy face voir
Quelque mienne œuure : & sans priere
Volontiers feray mon deuoir,
5Mais pourueu que ie puisse auoir
Aussi la veuë de la sienne.
Adonc i’auray, quoy qu’il aduienne,
Meilleur chois de grace nayue :
Car c’est œuure morte la mienne,
10Mais vous estes son œuure viue.
[17]A la dame qui de bonne grace luy auoit
dit, adieu amy.
LEs doux propos que i’ay trouué en vous
Ont incité ma plume à vous escrire :
Mais par sus tout ce vostre adieu tant doux
M’y a contraint, car auec vn sousrire
5M’auez changé, & fait mon cœur confire
En vostre amour : iugez donc que sera
Quand vn Dieu gard vous luy viẽdrez à dire ?
De ioye adonc, & d’amour il mourra.
[18]L’auteur à sa dame de laquelle il estoit
absent.
L’Amour, comme chacun tesmoigne,
Est de si tresgrande efficace,
Qu’il augmente quand on s’esloigne
De presence, de corps, & face,
5D’autant s’en faut qu’il s’en efface :
Mais le dieu d’amours m’est tesmoin,
(Quelque chose qu’on die, ou face)
Que ie t’aime mieux pres que loin.
[19]A deux Damoiselles.
TOutes deux bonnes, sages, belles,
Toutes deux sœurs, & damoiselles,
Receuez d’vn cœur damoiseau
Ce petit salut bien & beau.
[20]Que la nature d’amours est
inconstante.
LEs amours sont comme le ieu de dez,
Tel auiourd’huy s’y trouue fort heureux,
Qui tost sera en chance malheureux.
Ie le say bien, à moy le demandez.
[21]A la dame inconstante en amours.
TV romps l’amour & alliance
Qui par toy fut encommencee :
O grand feintise, ô inconstance
De femme, en cœur, & en pensee,
5Dy moy en quoy t’ay offensee ?
Loyal ie fus, suis, & seray
Point ne faudra qu’on m’en accuse :
Car en ce ne t’offenseray,
Mais tu m’offensas par ta ruse.
[22]De la belle Ieanne qui se lauoit à la ri-
uiere.
IEanne, au beau mois de May, lauoit
Son beau gent corps, & en lauant
Ses iambes & cuisses auoit
Dedans l’eau froide bien auant :
5
Le feu que tu portes deuant,
(Luy di-je) en l’eau ne s’estaindra :
Mais s’estaindra en receuant
Vn pareil feu qui l’attaindra.
[23]A vne dame vertueuse, pleine de bonne
grace, & de bon
propos.
VOstre œil doux, & bonne parole,
Me font de vous penser, & dire
Plus [f. 29 r]Plus de bien que ne puis escrire :
Ie veux venir à vostre escole.
[24]A vn amy.
TRescher amy, en ce beau mois de May
Qu’il n’y a rien qui ne se resiouysse,
Mon pauure cœur pourroit il estre gay
Quand de l’amour faut que ie ne iouysse ?
5
Ha, volontiers ta response i’ouysse.
Car ces iours cy tresbien dire i’ouys,
Qu’à ton plaisir de tes amours iouys,
Iouys donc fort, & iouys pour nous deux,
Resiouyssant mes yeux tous esblouys
10De ne plus voir ce que par trio ie veux.
[25]Autre que la iouyssance de son dit amy
luy cause deux affects
contraires, ioye,
& tristesse.
QVand de ta ioye i’ay liesse,
Ton bon heur, & ta iouyssance,
De mon malheur, & ma tristesse
Soudain me donne souuenance.
5Voilà comment ton bien me blesse
En me donnant reiouyssance.
[26]A vne damoiselle, sur le propos d’vn qui
D 5
[f. 29 v]
EPIGRAMMES.
vouloit tirer vn voile peint en vn
ta-
bleau sur la nature d’vn homme.
IAdis Zeusis leuer vouloit
Vn voile au vray naturel peint :
Mais à ce faire il y failloit
Et fut deceu, prins & attaint.
5
Or cestuy cy qui point ne craint
Comme Zeusis estre deceu,
Plus que Zeusis faire n’a sceu
Mais s’il eust peu leuer ce voile,
Tout soudain l’œil eust apperceu
10Quelque autre chose sous la toile.
[27]L’entree de iouyssance, c’est qu’il
faut foncer.
QVi veut tout droit au bas aller,
Doit premier à la main parler :
Qui autrement attendra,
A peine au bas il entrera.
[28]De dame Ieanne.
IEanne son tout me communique :
Elle entend mal sa Rhetorique,
Car qui veut estre bien cherie,
Doit faire vn peu la rencherie.
[29]Comparaison du mois de May à
vne dame.
GArny de verd est ce beau mois de May,
Bien resiouy sur tous mois de l’annee,
Riant, plaisant, sain, gracieux & gay :
Elle est aussi en grace tant bien nee,
5Grande en beauté de vertu tant ornee,
Auec laquelle elle a la verdeur viue,
C’est sa ieunesse excellente & nayue,
I’enten ieunesse heureuse en bon renom :
Et, quand i’y pense, il faut bien que i’escriue
10Rien ne m’est plus gracieux que son nom.
[30]A vne dame belle & braue, & mesme-
ment
triomphante en paroles.
L’Honnesteté que i’ay trouuee en vous
A incité ma plume à vous escrire
Ce petit mot : puis vos propos tant doux
Y ont serui : mais ils ont peu suffire
5Seuls à rauir mon cœur, & le confire
En vostre amour : ô courtoise parole !
Par bien parler courant comme par role
Maintes ont eu honneur & grand renom.
En ce vous tien la maistresse d’escole,
10Et par deuoir ie vous porte ce nom.
[31]A Robinet, qui prioit l’auteur d’escrire
contre la belle &
gracieuse Robine, &
la blamer & accuser de laideur, &
de mauuaise grace, par ses vers.
TV veux tout seul, si ie te veux ouyr,
Que ie compose vn dizain, ou sonnet
Contre Robine, au visage brunet,
Qui peut tout œil de son œil resiouyr :
5Tu es fin homme, ô amy Robinet,
Tu veux tout seul de Robine iouyr.
[32]L’auteur à vn sien amy, qui estoit auec son
amie, par le mois de May :
mais non
l’auteur auec la sienne.
VOus auez bien planté le May
(De cela ie n’en doute point)
Ce premier iour du mois de May,
Lequel vous vient voir bien à point,
5Mais me vient prendre au contrepoint
Sans vert, sans ioye, & sans liesse.
I’ay bien le may qui haut se dresse,
Mais mon iardiner ie n’ay pas,
Pour le planter en bonne adresse,
10Dont mes plaisirs sont bien au bas.
[33]Response de l’auteur, à vne dame grande,
qui luy disoit qu’il estoit
de petite taille.
VNe dame de taille haute
Me disoit que petit i’estoye :
Et ie luy dy, point n’est ma faute,
A moy ne tient qu’on ne me voye
5Bien plus grand : car en maint quartiers,
Voire quelque part que ie soye,
Ie m’esten tousjours voulontiers.
[34]Response de l’auteur aux damoiselles qui
luy disoyent qu’il s’estoit
perdu sur la
brune.
VOus dites, en parole franche,
Que me suis perdu sur la brune :
Et ie vous respon qu’à la lune
Ie me suis trouué sus la blanche.
[35]Quelle amie l’auteur quiert.
II quiers amie belle en face,
Ie quiers amie bonne en grace,
Si ie n’en trouue, ie m’en passe.
[36]A vn amy.
IE t’ay escrit (car ie pensois)
Qu’à ton plaisir entierement
[f. 31 v]De tes amours tu iouyssois :
Maintenant ie pense autrement,
5Et t’en croy bien à ton serment :
Mais i’ay bien tousiours estimé
Que c’est vn grand auancement
Que d’estre seulement aimé.
[37]A madamoiselle de l’Espine.
CVpido, des cœurs grand vainqueur,
Et qui de me piquer ne fine,
M’a picqué d’vne verte espine,
Non pas au doigt, mais droit au cœur.
[38]A son amie, qui changeoit d’amy.
TV m’as aimé, ie t’ay aimee,
Non pour les biens, que peu ie prise :
Aussi i’ay eu la renommee
D’auoir en toy amie acquise :
5Mais en fin vn autre t’a quise,
Et n’ay de toy sinon refus.
C’est raison que ie temporise :
Adieu donc m’amie qui fus.
[39]De la dame Rose, qui pria l’auteur par
les estreines, d’escrire à
l’honneur &
louange de sa beauté.
ROse me prie en bonne estreine
Qu’à sa louange ie compose :
Mais [f. 32 r]Mais non feray (foy de Fontaine)
Si ie n’ay vn bouquet de Rose.
[40]A vn amy que l’auteur alloit voir, mais
premier rencontra la dame
qu’il de-
uina estre son amie.
EN allant voir, toy que tant i’aime,
Premier que toy ta dame vis,
Dont la beauté, & grace extreme
Tint mes deux yeux long temps rauis :
5Ie croy (n’en es tu point d’auis ?)
Qu’amour (qui les especes seme
De l’vn en l’autre à son deuis)
Me feit en elle voir toy mesme.
[41]A vne ieune damoiselle, à qui l’auteur
presente son seruice.
DAmoiselle d’amour sans vice,
Gente comme vn petit oiseau,
Ie vous vien offrir tout seruice,
Car i’ay le cœur tout damoiseau.
[42]D’vne femme qui faisoit de l’estroite,
& de la resserree, &
vouloit crier en l’ac
colant.
QVelque iour vne femme belle
Pour plaisir voulois accoler,
[f. 32 v]Ha, ie criray (ce me dit elle)
Si vous ne me laissez aller.
5Ie ne vous veux pas affoler,
Luy respondi ie, & en deux mots,
Ie vous veux vn petit fouler :
Mais vous crirez s’il est trop gros.
[43]De Venus qui cherchoit son fils, le dieu
d’amour, lequel estoit caché
dans le
cœur de l’auteur.
VEnus cherchoit son Cupido par tout,
Mais il estoit dans ma poitrine creuse.
Las que feray (dy-ie) car iusqu’au bout
L’enfant est faux, la mere mal piteuse.
5En le celant, personne malheureuse,
Tu vois quel dieu les os te bruslera :
Le decelant, pire hoste te sera.
Puis me seroit trop plus aigre la mere
Qu’à son enfant : donc pour mieux se sera,
10Demeure enfant, mais ne me brusle guere.
[44]L’auteur à vn sien amy, qui s’esbahissoit
qu’il y auoit beaucoup d’amoureux qui
n’auoyent pas belles amies.
BOn amy ne t’esbahy mie
Que n’a de beauté mainte amie :
Si tu [f. 33 r]Si tu veux sauoir pourquoy c’est
La mienne a tout ce qui en est.
[45]A vne belle ieune fille, braue, esueillee, &
par tout
triomphante.
SI Iupiter ne gouuernoit les cieux,
Si Apollo ne menoit ses cheuaux,
Si Cupido n’estoit bandé des yeux,
Si Mars sanglant n’alloit par monts & vaux,
5Et tous ceux la (entens tu ma pucelle)
Cognoissent bien le grand prix que tu vaux,
Dedans brief iours tu ne serois plus celle.
[46]A la dame sans mercy, larronnesse &
meurtriere des cœurs.
MOn cœur va sans cesse apres toy,
Ton œil l’emble, & tire hors de moy.
O grand’ larronnesse de cœurs !
Par tes regards pleins de douceurs,
5Par tes sousris, beauté, ieunesse
Pleine d’amoureuse finesse,
Tu tiens mon cœur entre tes laz,
Et luy apprens le grand helas :
Mais, s’il te plait, tourne sa chance,
10Et luy fay chanter iouyssance.
[47]De dame Nicole, qui prioit & pressoit
l’auteur d’escrire à sa
louange.
NIcole me prie, auec peine,
Que par mes vers son nom i’extolle :
Mais pour elle n’at vers, ne veine,
Puis que ie n’aime pas Nicole.
[48]
L’auteur escrit en brief des recrea-
tiues
qualitez de son amie.
[48] A vn amy.
SAis tu, amy, quelle est m’amie
Dont ie tenois hier propos ?
Elle est d’esprit non endormie,
D’vn œil qui n’a point de repos.
5Elle a corps gent, les bras dispos :
Le cœur, l’esprit, l’œil plus follet
Que de son col le poil doillet.
Que veux tu plus ? sa main folatre,
Si elle te tenoit seuler,
10Te folastreroit plus que quatre.
[49]L’auteur escrit de sa cousine d’alliance,
& de la Corinne, qui fut
l’amie d’Oui-
de, & de leurs Perroquets.
LE Perroquet de la belle Corinne
En son langage auoit tant bonne grace :
Mais ie suis seur que cil de ma Cousine,
En sa voix begue, & en sa langue grasse,
5Parlant, chantant, plus que deux fois le passe.
Or quant à moy, cela n’est de merueille,
Car ma Cousine en sa bouche vermeille,
En sa main docte, & en sa douce voix,
En sa beauté, & grace nompareille
10Surpasse bien la Corinne trois fois.
[50]A L’AMY BIEN AI-
mant & bien aimé.
Nostre amitié, & alliance,
Iointe en anneau de diamant,
Ne craint flamme, ne sertement,
Ne Lethes, fleuue d’oubliance.
AV LECTEVR.
F
In dul iuret [sic pour du liuret] du Iardin d’amours
& s’ensuit la Fõtaine d’amours :
le tout fait par vn mesme
au-
teur,
en sa grande ieunesse :
com-
me
luy mesme le confesse, &
af-
ferme
en sa premiere Epistre, qui
est inconti-
nent apres les Elegies, & encor en l’epistre li-
minaire, adressee à Monsieur d’Orleans. Ce
que, si l’on auise bien, l’on ne sera, au moins
ne deura l’on estre
cẽseur
, ou iuge rigoureux :
mesmement
considerant la qualité du temps
d’adonc, & non seulement la petite
quantité
des ans de l’auteur pour lors : qui pourroit à
present
(comme aussi depuis a fait) choses
plus
grãdes
faire : que verrez bien tost, si vous
mõstrez benins & fauorables en cest endroit,
comme ia auez fait, tesmoin la seconde &
tier
ce edition, vente ou despesche desdites Fontai-
nes d’amours,
le stile en est doux & facile, &
n’engendre aucune confusion,
ou perplexité :
aussi n’entend l’auteur donner peine & trauail
en l’esprit de ceux qui lisent ses œuures, ains
seulement soulas & recreation, & ne se veut
faire
[f. 35 r]
35
faire ruminer, ny estudier, ny renuoyer le
le-
cteur (qui ne cherche point tant de besongne)
rechercher,
& estudier les liures : comme aussi
pouuez voir en la Contr’amie de
son inuen-
tion, & aux Epistres d’Ouide de sa traductiõ :
chose autant facile & douce, que recreatiue,
& en propres
dictions, & phrases, ou manie-
res de parler, purement Françoises,
non escor
chees, ou tirees à beau poil, du Latin, du Grec,
ou de
l’Italien : mais bien les bonnes senten-
ces, le sens, ou certains
traits reuestus toutes-
fois de la douceur & proprieté de la vrayemẽt
douce & naturelle langue
Françoise. Ainsi est
la matiere des presentes petites œuures plus
remplie de recreatiue honnesteté, & ronde
naturelle amitié (à la
Françoise) que de gran-
des passions d’Italique pitié : de
magnifiques
compassions, transfigurations, ou transfor-
matiõs
excessiuues, & non naturelles aux Fran
çois, ny en faicts, ny en
dicts, ny en escrits,
iusques a present, qu’aucuns François Ita-
liennisez s’en remplument, ou remparent : &
les semblent affecter
assez affectueusement :
toutesfois à leur bon commandement, &
sans
blasmer personne, soit libre à chacun dire son
opinion. Au
reste chacun escriue, & poursuy-
ue son stile à sa fantasie, &
à sa mode & de son
sens iouysse, & en iceluy se resiouysse :
mais la
E 3
[f. 35 v]
facilité plait
grandemẽt
à vn lecteur, tesmoin
Ouide Latin,
& Marot François, tant leus &
releus, nommez & renommez.
Somme pour
retourner au propos, ce present stile, & façon
d’escrire en vers, & rime Françoise, approche
de la douce veine,
& heureuse facilité de Ma-
rot, tant manié, & tant renommé,
& non ia-
mais des François assez estimé. Aussi a esté
l’auteur present son amy familier, combien
qu’il fust de beaucoup plus
ieune que Marot,
qui a parlé de luy, en disant,
Grand espoir de Muse hautaine :
Rocher faites saillir fontaine.
[52]Et Fontaine luy a rescrit ce
quatrain.
FOntaine, ou plustost Fontainette,
Dit à ta veine immortel nom,
Tant plus sur tous obscur Poëte
Comme sur tous tu as renom.
[53]L’AVTEVR ADRESSE
ce Septain aux dames.
GArdez vous de toucher ce liure
Medames, il parle d’amours :
C’est aux hommes que ie le liure,
Laissez l’aller vers eux son cours,
5C’est d’eux, qu’il veut estre entendu :
Mais vous le lirez nuicts & iours
Puis que ie vous l’ay defendu.
[54]Aux detracteurs.
FAux enuieux, meschans railleurs,
Cerueaux tous creux & esuentez,
Qui de rien ne vous contentez,
N’arrestez cy, marchez ailleurs.
A TRESHAUT ET TRES
florissant Prince, Monseigneur,
le Duc
d’Orleans,
Charles Fontaine humble salut.
L
’ON voit par commune
obserua-
tion
(Prince tresnoble, &
treshu-
main)
que les auteurs de quelques
œuures, apres labeur & trauail de
leurs esprits, quierent quelque grand person-
nage de
nom, & d’autorité, à qui les presen-
ter : pour trouuer en fin
soulas & support, à fin
qu’ils ne soyent tousjours en perpetuelle
pei-
ne, misere & pauureté, que les lettres appor-
tent à la
plus grand part de ceux qui les pour-
suyuent : ou pour l’honneur &
gloire, à fin que
sous couleur & faueur de quelque grand nom
& titre, leurs œuures en
soyẽt
mieux recueil-
lies, & illustrees
à perpetuelle memoire. Mais
moy ny pour l’vne, ny pour l’autre de ces
rai-
sons principalement ie vous vien offrir le pre
sent recueil :
combien que toutes deux me fe-
royent bien besoin, à cause de ma grande
pe-
titesse, soit d’esprit, soit de biens. La
principale cau-
[f. 37 r]
EPISTRE.
37
le
cause qui m’a enhardy, & induit à vous fai-
re le
petit present, a esté poir donner recrea-
tion à vostre noble &
gracieux esprit : la no-
blesse & vertu duquel ne pourroit estre
suffi-
samment exprimee, ne poursuyuie d’vn si bas
stile que le mien, attendu le grand renom de
vostre humanité tresgrande, & singuliere a-
mour des lettres :
lequel n’est sans le fait, com
me (moy indigne) ay cogneu par
experience,
quand par plusieurs fois de vostre grace & be-
nignité naturelle m’auez fait recueil à Paris,
lieu de ma naissance, où
vous ay premieremẽt
presenté quelque chant de ma
petite Muse,
qu’auez bien pris : en quoy faisant, ensuyuez
bien la
trace de vostre noble & vertueux pere,
le Roy nostre Sire, vnique
lumiere des let-
tres, la vraye tutele & protection d’icelles,
qui
a bien daigné quelques fois abaisser l’œil de
sa haute Royale
Maiesté pour prendre plaisir
&
passetẽps
, aux heures de recreation, à mes
petites Muses Françoises. Or est il (pour ren-
trer à mon propos) que
ie fay, & ay aucune-
ment experimenté, que ce monde est remply
de fascheries & d’affaires : & que mesmement
la Cour est
tousiours pleine d’importunitez :
en quoy conuient, tant aux grands
qu’aux pe-
tis, que l’esprit trauaille. Parquoy est de be-
soin pour le recreer & resiouy, vser
de quel-
E 5
[f. 37 v]
EPISTRE.
que passetemps &
repos honneste : comme dit
bien la dame Phedra en son Epistre, Que
tou
te chose qui ne prend repos & recreation par
interualle,
n’est point de duree : dont aduient
que les aucuns elisent, & s’
addonnẽt
aux ieux
de cartes, des eschets,
& de tables : desquels
passetemps apres le temps cõsumé on ne
peut
(au mieux) remporter que l’honneur, ou l’ar-
gent : mais de
la recreation & passetemps des
lettres (qui n’est iamais sans
honneur) on en
remporte tousiours sans doute de rien perdre
quelque fruict de la lecture qui donne ioye &
liesse à l’esprit,
soit par moyen de quelque in-
uention, ou allegation de fables : ou
histoires,
qui rentrent bien au propos.
Voilà donc la cause (Duc
tresnoble & de
grand espoir) pour laquelle i’ay pris la har-
diesse de vous offrir ce present petit liuret,
contenant aucuns esbats
& passetmps de ma
petite Muse en sa ieunesse. Mais si quelques
gens d’esprit Stoiques, & de iugement trop
seueres, me veulent
reprendre de mettre en
lumiere ces petites choses ioyeuses,
traittans
d’amour, ie leur puis respondre que ie ne suis
seul, ny
le premier : car les anciens, & moder-
nes, tant François que
Latins, l’ont bien fait
sans aucune reprehension, ains auec fruict
&
honneur. Aussi ne doit on pas legerement
iu-ger
[f. 38 r]
EPISTRE.
38
ger
de la personne qui escrit telles choses d’a-
mour, ioyeuses &
recreatiues, plus que vitieu
ses : principalement d’vn Poëte, en
l’esprit du-
quel y a tousiours ie ne say quoy de gayeté
na
turelle, sans laquelle (i’ose dire) ne se peut ap-
peller Poëte. Et de
là vient qu’anciennement
les Poëtes ont feint, & inuenté plusieurs
cho-
ses plaisantes, pour auoir matiere & occasion
d’escrire, comme des Nymphes des bois,
des
fleurs, des Fleuues, des neuf Muses qui
s’en-
tretiennent par
la main, & dansent sur la
ver-
dure :
du mont Helicon, & de
Parnassus :
d’A-
pollo,
qui iouë de la harpe : de Bacchus,
tous-
iours
ieune & ioyeux : de Venus : de Cupido : de
Pan : des Faunes
& Satyres, qui ont auec eux
quelques voluptez & lasciuetez non
à despri-
ser
en Poësie. Catulle
escriuoit ainsi à
Aure-
lius, & Furius, qui l’accusoyent
d’impudicité
pour raison de ses vers lascifs :
Que i’ay traduit en ceste sorte.Nam castum decet esse Poëtam
Ipsum, versiculos nihil necesse est :
Qui tam denique habent salem, ac leporem,
Si sunt molliculi, ac parum pudici :
Et quod pruriat incitare possunt.
Ouide a ainsi escrit parlant de soy mesmes :Il faut que soit le bon Poëte
Pudique, & d’affection nette :
Mais de ses vers n’est ia besoin,
[f. 38 v]EPISTRE.
Qui mesmement plus en sont loin,
Tant plus ont de saueur & de grace,
Quand on les sent comme à la trace,
Doux, chatouilleux, & impudiques :
Non point seueres & pudiques.
Que i’ay traduit en ceste sorte.Crede mihi mores distant à carmine nostro :
Vita verecunda est, Musa iocosa mihi.
Aussi pareillement Martial,Entre mes mœurs, & le mien metre,
Grand’ difference l’on peut mettre :
Ma vie est honneste & honteuse,
Mais ma Muse est vn peu ioyeuse.
Que i’ay traduit en ceste sorte.Innocuos censura potest permittere lusus :
Lasciua est nobis pagina, vita proba est.
L’Empereur Adrian a ainsi orné le tombeauRigueur peut biẽ ioyeux esbats permettre :
Ma vie est bõne, impudique est mõ metre.
du Poëte Voconius :
Que i’ay traduit en ceste sorte.Lasciuus versa, mente pudicus eras.
Ie n’ay ces choses alleguees pour me iusti-En vers tu estois impudique :
Mais chaste en cœur, & bien pudique.
fier, & rendre innocent : car quand bien seroit
que i’aurois conioint l’experience auec l’es-criture [f. 39 r]
criture, ce ne seroit nouueauté, ne cas si repre
hensible. Il est tout seur que Tibulle Poëte
beau de corps, & sauãt d’esprit, eust pour amie
Nemesis : Properce, Cynthia, qui par fois luy
aidoit à parfaire ses vers, tant estoit sauante :
comme aussi la Corinne, à Ouide : Lesbia, à Ca
tulle. Mais ie voy que ce Proëme est ia parue-
nu à iuste longueur : & que l’œuure n’est telle
qu’elle requiere long propos ny ostentation :
& aussi ie crain que pour estre plus long i’oc-
cupasse trop vostre hautesse, laquelle veux, &
doy aduertir, & prier, d’excuser auec ma har-
diesse, les choses imparfaites que i’ay escrites
en ma grãde ieunesse, qui n’est pas, & ne peut
estre communement coniointe auec pruden-
ce & iugement, enfans d’vsage, & de memoi-
re. Et si ie sens que la basse veine de ma Fon-
taine en ce sien premier ruissel, soit bien re-
ceuë : vostre cœur noble ne doit douter qu’el
le fera son deuoir par cy apres, de vous
enuoyer autres ruisseaux coulans
auec eau plus abondan-
te, & plus fru-
ctueuse. [croix] [f. 39 v]
LA FONTAINE D’A-
MOURS.
ELEGIES.
[1]La premiere Elegie.
B Elle de face, & gẽte de corsage,
Et de maintien bien gracieuse,
& sage,
Et d’vne lãgue ornee de propos
Par toy ie n’ay en mes esprits
repos.
Certes encor m’est auis maintenat,
Qu’au mesme lieu ta main ie suis tenant
Par qui i’enten en branle, en basse dance,
Si iustement que rien plus, la cadence.
Tu vas si bien par mesure, & compas
10Que quand tu fais, & compasses tes pas,
Ton corps, tes pieds, tes mains vont si bien
d’ordre
Que mesnetrier n’y sauroit pas rien mordre.
Certainement bien souuent m’est auis
Que [f. 40 r]Que deuant moy tu es tout vis à vis,
15Et que le branle auec toy ie meine,
Te contemplant la face tant humaine,
Et ton beau corps : puis ie pense souuent,
Pour te donner au bas vn peu de vent,
Leuer du pied ta cotte bien doublee,
20Sans que la danse en soit en rien troublee,
Tu m’en croiras, en tous endroits & lieux,
Mille pensers viennent deuant mes yeux,
Lesquels seroit impossible d’escrire.
Comment pourroye en ce papier descrire,
25Qu’à la lueur de sept ou huict flambeaux,
Ie voy tes yeux plus luisans & plus beaux ?
Ton nez longuet, tes iouës vermeillettes,
Tõ beau taint frais plus que n’ont les fillettes
Ton large front, & ton col cristallin,
30Aussi le bort des leures courallin,
Tes yeux petis, gracieux de nature,
Plus beaux, plus verds que la mesme verdure ?
Comment aussi mettroye en prose, ou vers
Que ie te voy iceux demi ouuers
35Tourner vers moy, sans aucun semblãt faire :
Yeux qu’on diroit parler de quelque affaire
A ton amy, à present escriuant,
Sous grand espoir d’estre bien arriuant.
Pourroye ie dire ou bien monstrer par signe
40Tous les maintiens que mon esprit t’assigne ?
Comment ie t’oy si sagement parler,
[f. 40 v]Que quand ta voix est diffuse par l’air,
Mon cœur te dit auoir telle faconde,
Qu’au monde n’as premiere ne seconde :
45Tu as le cœur si gracieux & gay,
Que pour danser pauanne ou branle gay
Onques n’en vey vne de tel courage
S’en acquiter, sans perdre maintien sage :
Mesure tiens, auec ce le corps droit,
50L’affection y est mise orendroit,
La grace y est, grace tant singuliere,
Qui me contraint dire qu’es la premiere,
Et tant de biens, en toy seule amassez.
En mon esprit ces propos tant pressez
55Sant nuict & iour : dix mille fantasies
Les lieux secrets, & places ont saisies
De mon cerueau, si que ne puis penser
Sinon que tu me vueilles dispenser
D’elles l’effect : car en toutes tes graces,
60Ie recognois de vraye amour les traces
Qui de filez & laz me viennent tendre
Pour mes esprits arrester & surprendre.
[2]La seconde Elegie.
SI ton œil vif est de telle pointure
Qu’il perse cœurs tãt que son regard dure,
Si l’esprit grand qui tous tes faits regist,
Si beauté (dame) qui en toy gist
Ne [f. 41 r]Ne mentent point, tu es de douceur pleine
Comme de fruicts en saison vne plaine :
Si autrement (ce que croire ne puis)
Apres auoir repeu mes yeux seduits,
Ne veux mon cœur en ta douceur repaistre,
10Mieux me vauldoit, mieux
cẽt
fois sans yeux
estre
Et s’ainsi est que ferme en rigueur sois,
Respon, pourquoy mon cœur si fort blessois ?
S’il n’a en toy support ny soustenance,
Que dit ton œil, que dit ta contenance ?
15Que tu n’es rien qu’vne tentation
Dont la fin n’est que desolation :
Que n’es sinon vn arbre de plaisance
Portant vn fruict amer de desplaisance :
Mais quand le feu couuert de ce beau taint,
20Iusques au cœur les regardans attaint,
Incontinent on iuge que la flamme
Te monstre auoir vn courage de femme,
Tel que ie quier. Et pource amie entens,
Que si tu veux trouuer le lieu & temps,
25Dire ne peux que trouuer ne le puisses :
L’on fait assez qu’à tous moyens propices
Le lieu & temps furent le grand moyen
Qui assembla Heleine & le Troyen.
Le lieu & temps aussi moyen sera,
30Qui, s’il te plait, nous deux assemblera.
[3]La troisiesme Elegie
EN reduisant en memoire ta grace,
Ton beau maintien, & ta luisante face
Ie me suis mis à te faire l’escrit
Que plus le cœur que la plume t’escrit :
5Tu le verras, mais en le voyant, garde
Qu’homme viuant ne le voye, ou regarde,
Soit familier, soit sage, ou indiscret :
Non pas pourtant qu’il y ait grand secret :
Mais valent mieux les choses tousiours seures,
10Auec esgard de gens, de lieux, & d’heures :
Car tel souuent se monstre familier,
Qui dit des maux en derriere vn millier.
Te souuient il donques de la iournee
Que te trouuay richement atournee ?
15C’est vn des heurs plus grãd qu’onques m’a
Il y en eut des Dames plus de vingt (vint.
De grand beauté, contenance, & sagesse,
Dont le regards faisoit vers moy adresse,
Qui comme toy ne naurerent mon cœur :
20Estre ne peut de toy seule vainqueur.
Ie te voyois auec elles assise,
Si bien parler d’vne façon rassise :
Ie te voyois (i’en ay bien souuenance)
Rire & parler en bonne contenance :
25Et quand quelqu’vn deuers toy s’adressoit,
Tant sagement le tien corps se dressoit,
Le [f. 42 r]Le receuant d’vne façon humaine,
A celle fin que danser il te meine.
En quoy faisant n’es semblable à beaucoup
30Qui lourdement se leuent tout à coup :
N’à celles là apres qui les gens musent,
Ou par orgueil les laissent, & refusent.
A mon vouloir que telles on laissast
Tousiours croupir, de peur qu’on les blessast.
35
Tu sais si bien en branle, en basse danse,
Comment le pied, & comme le corps danse
Qu’on te tenoit de la danse le chief,
Soit à baisser, ou à faire relief.
En tel estat te contemplois adonques
40Plus amplement certes que ne fey onques.
Il ne suffit seulement de sauoir
Quel au parler maintien on peut auoir,
Mais au danser cœur de femmes s’espreuue :
Là le maintien, & la grace se preuue :
45Là on voit bien qui se tient sagement :
Là vn chacun peut donner iugement.
Tantost apres deuers toy ie m’adresse,
Lors en doux œil d’amoureise caresse
Tu prins ma main, sans delay, ne refus,
50Dont fort ioyeux dedans ie fus :
Non pas doutant que femme me refuse,
Ie la rendrois trop plus que moy confuse :
Mais que tant plus i’auois à toy desir
En ta caresse auois plus de plaisir.
F 2 [f. 42 v]Biẽ me souuiẽt du beau lieu ou nous fumes,
Où à l’entree vn si bon recueil eumes,
Quand veimes l’huys vn peu entrebaillé :
Apres buquer, pouuoir nous fust baillé
D’entrer dedans, ô quelle grande chere
60Là on nous fit ! vn chacun met enchere
A qui mieux mieux, suruiẽnẽt mets sur mets,
De te seruir sur tout ie m’entremets :
Et quand ce vint à presenter l’yssue,
En veimes vn, le ventre au feu, qui sue.
65
Apres les mets partis deça, dela,
Chacun repeu, nous leuames de là,
Ayans bien veu les iardins, & mesnage :
Car tu sais bien que cœur amoureux nage
En nouueautez : mais partant de ce lieu,
70En mon chemin ie te dy mon adieu
De bouche, & plus de cœur, & de bon zele,
Pensant en moy, c’a esté de par elle
Qu’au lieu plaisant auons esté traittez,
Et qu’on nous a si bons mets apprestez,
75Voilà comment fimes la departie.
Or ie voulant que tu sois aduertie
De mon vouloir, te fay mercis plus amples
Que n’ont esté de bouche les exemples :
Et si veux bien que saches que suis prest,
80E bon amy de faire mon aprest,
Pour ta traitter en la sorte & maniere,
Non que m’as fait en la chere derniere,
Mais [f. 43 r]Mais que pourra le mien petit pouuoir,
Adieu amie, Adieu iusqu’au reuoir
[4]La quatrieme Elegie.
SI tu cognois le trauail & la peine
Dont est d’amours la sente toute pleine,
Si tu entens mes maux aucunement,
Ton plaisir soit me dire absolument
5Ouy ou non : par response absolue
Bien tost sera la question solue.
Le premier est gracieux saufconduit :
Le second est dedaigneux esconduit :
Par le premier on entend iouyssance :
10Par le second rigoureuse puissance.
O quand ie sens la pointe de tes yeux
Tant attrayans, tant doux, & gracieux,
De ton amour ie ne puis me deffaire :
Aussi voyant ta maniere de faire,
15C’est que tousiours laisses le temps passer
Sans nul bon mot, lors me sens trespasser,
Ne declarant, sous espoir qui domine,
L’aspre douleur qui sans fin mon cœur mine.
Tel bien souuent se monstre dru & sain,
20Qui n’a repos sur lict, ne trauersain.
Donc si tu as, ou es la medecine,
Ton bon secours le nauré medecine :
Sans plus tarder, dy ie le veux : sinon
F 3 [f. 43 v]Incontinent dysans car, ou sy, non.
25Car dequoy sert faire tant de menees ?
Tant de fatras, & tant de pourmenees ?
Tant deuiser, quand on ne vient au poinct ?
Tant requerir, quand on n’accorde point ?
Tant esperer, quand au bien on n’attouche ?
30Trop tire en vain qui onc au blanc ne touche.
L’on doit sauoir plus de gré d’vn plaisir
Fait sans seiour, que quand par desplaisir
D’attendre trop il est force qu’on sente
Dueil & soucy, tant que l’amant consente
35Mourir soudain, ou viure en languissant.
Ren donc le cœur qu’as affoibly, puissant :
Ren en santé celuy que tu affoles :
Ren au confus bonnes seures paroles :
D’estre plus long ne trauaille ma plume :
40Car vraye amour cœur d’amour plus allume
Que les escrits : & outre, le mandeur
Sait qu’il faut peu à vn bon entendeur.
[5]La cinquieme Elegie
LA où tu sais ie ne prins iamais aise
Qui ne me fust destrempé en mesaise :
Car quel plaisir de pres & voir toucher
Ce qu’on peut bien, mais qu’on n’ose attou-
cher,
Pour esprouuer par pinceau & par pointe,
Com [f. 44 r]Combien que soit la bague riche & cointe ?
Dame, dy moy, qui as bon iugement,
Cela est il vray allegement ?
Ioye, ou plaisir ? ou plustost fascherie,
10Qui mesle peine en pensee marrie ?
C’est seulement le moindre resiouyr
Qui vient chasser plus outre le iouyr,
C’est vn ottroy qui vainement conforte :
C’est vn confort qui l’amant desconforte :
15C’est vn beau feu qui a double chaleur :
C’est vn bon sort tout bordé de malheur :
C’est vn accord donné sous feinte guise :
Vne seurté laquelle se desguise :
C’est vn sirop que le medecin donne,
20Pour allonger le mal de la personne :
C’est vn vouloir dont l’effect est lointain :
Vn asseurer lequel est incertain.
A brief parler, ce me fut plaisir souëf :
Mais tout cela n’estanche point ma soif.
25Voilà que c’est, tu n’estois pas lointaine :
Mais ie mourois de soif aupres de la Fontaine.
Dont ne le faut conter pour passedroit :
La raison est, qu’on ne fait pas ce droit
Qui est requis à bien esprouuer l’œuure.
30
Amie, or sus, par pitié ton cœur s’euure :
Luy seul peut tout faire bien prosperer,
Car c’est luy seul qui me fait esperer.
[6]La sixiesme Elegie.
O Meschant sort, ô maudite fortune,
Qui pour auoir aimé ainsi fort vne,
M’as bien tenu l’espace de deux ans
Entre tes lacs tant durs, & mal plaisans !
5Car si par fois auenoit qu’à la trace
Trouuois ma dame, ou que la rencontrasse,
Subitement par ta meschanceté
Tu me venois tollir ma liberté :
Si que n’osois conter mon cas à elle,
10Ne luy donner à entendre mon zele.
Qui penseroit quel dueil ? quand à regret
Adonc me faut tenir mon cas secret.
Plus vois auant, plus le zele s’augmente :
Tant plus il croist, tant plus il me tourmente :
15Car on sait bien que trop ardant desir,
Sans reueler, nous fait en dueil gesir.
Plus vay auant, plus croist ma hardiesse :
Plus elle croist, plus ie sens de liesse :
Car elle fait que ie propose en moy
20Conter mon cas, & sans aucun esmoy.
Or il aduient que ie trouue ma dame,
I’ay ce propos, de luy chanter ma game :
Mais que fais tu, ô tresmalheureux sort ?
Tu rõps mon coup, car quãd i’entre elle sort.
25Voilà comment tu m’es tousjours contraire,
Et que de toy ne puis aucun bien traire.
Mais [f. 45 r]Mais maugré toy, tant ie l’aime & la sers,
Que la querray auant par les desers :
Ie la querray & par champs & par villes,
30Et feray tant par tous moyens habiles
Que la verray : & si m’escoutera :
I’y paruiendray quoy qu’il me coustera.
[7]La septieme Elegie.
SI par auoir sur toy ietté ma veuë,
Le plus du tẽps ton cœur dit, il m’a veuë,
De son costé le mien n’en dit pas moins :
Les coups de trait en sont les vrais tesmoins :
5I’enten de trait, que l’œil tira adonques
Tout droit au cœur, aussi bien qu’on vid on-
ques.
Mais s’il aduient qu’on ne puisse tirer
Le trait dehors, ô Dieu quel martyrer !
O quel tourment ! ô quelle fascherie !
10Car autrement ne peut estre guerie
La playe ainsi en cœur receuë, ô Dieux
Mieux il vaudroit que l’homme n’eust point
d’yeux !
Que par iceux en vn tel martyre estre,
Qui ne relasche en la vie terrestre.
15
C’est bien menty, c’est bien menty de dire
(Car à present les ose tous desdire)
Que Cupido a les deux yeux bandez,
F 5 [f. 45 v]Si que iamais ne luy sont desbandez :
Et mesmement que les deux yeux il bande,
20A toutes gens lesquels sont de sa bande :
Veu qu’il n’y a ça bas plus clair voyans :
Ny plus au vif leur regard employans.
Ne voyent ils sur Cheualier, ou Dame
Le moindre sy, qui face au corps diffame ?
25Ne voyent ils, & n’ont ils bien notez
Le haut, le bas, le milieu, les costez ?
Ne voyent ils de leur veuë bien pure
De toutes gens le maintien & alleure ?
Ne voyent ils, mais ne nombrent ils pas
30Secretement tous les bons & faux pas ?
Ne voyent ils s’il y a rien qui face
Quelque beauté au corps, ou en la face ?
Le nez, les dens, les yeux, & les sourcils ?
Ne voyent ils les pensers & soucis ?
35La ioye, ou dueil, mesme que le cœur porte ?
Ils voyent tout ainsi qu’ilse comporte,
Et pour parler vrayement & à poinct,
Plus clair voyans au monde n’y a point.
Rien ne fait donc, rien n’ entẽd & ne gouste
40Celuy qui dit, Cupido ne voit goutte :
Quand en vn cœur (qui bien petit appert)
Tire si droit, que tousjours il y pert :
Pareillement quand ceux qu’il naure ainsi,
Ont l’œil sur tout iusques au moindre sy.
[8]La huictieme Elegie.
APres que i’ay par trois ou quatre fois
(Sans auoir eu response, toutesfois)
Escrit à vous d’vn amour de bon zele,
Ie m’esbahy de vous, madamoiselle,
5Que i’estimois voire entre toutes vne.
Mais qu’y a il ? est ce quelque fortune,
Qui entremet d’escrire empeschement ?
Respondez moy, dites le franchement.
Est-ce mespris, ou oubly ? ie ne pense,
10Et ne croy point qu’il y ait oubly en ce :
Car que vaudroit sa promesse auancer ?
Quand tout est dit, ie ne say que penser.
Voilà comment en doute ie demeure,
En attendant quelque escrit qui m’asseure,
15Lequel par trop est tardif à venir :
Ou ne l’ay peu encor voir, ne tenir,
Pour le seiour des porteurs, & grand pose.
Ie ne saurois que penser autre chose,
S’il n’est ainsi : i’ay fait donc mon deuoir,
20Non vous le vostre : encor vous offre à voir
Presentement la missiue presente,
Comme si fust ma personne presente.
La raison est, ce que ma plume escrit,
Le prend du cœur qui premier le descrit.
[f. 46 v]
Si donc en vous y eut de negligence,
Reparez la par bonne diligence.
Combien pourtant ie ne l’estime ainsi :
Mais que seroit plustost quelque autre sy,
Que ie n’enten, quand on a fait promesse,
30Quelque grand cas suruient si elle cesse.
Car nous n’auons, ô cœur que i’ay tant cher,
Que nostre foy, nous n’auons rien plus cher.
Par mes escrits vous pouuez biẽ cognoistre,
Où que ie sois, que veux de vous bien estre,
35Et sans cela cecy ne vous mandois :
Car que vaudroit de trauailler mes doigts ?
Pour estre brief, amour veut, & commande
Que m’offre à vous, à qui me recommande.
[9]La neufuieme Elegie.
PAr cest escrit, dame, ie ne pretens
De m’accuser vers vous, qui en tout tẽps
M’auez trouué prest à vostre seruice,
Et trouuerez sans mespris, & sans vice :
5Ie ne preten aussi rentrer en grace,
Ayant commis vers vous crime, ou fallace :
Le seul penser de telle lascheté
Crime seroit de lese maiesté.
Seulement donc ie vous veux declarer,
10Et par ces vers escrire, & auerer
Comme à grand tort de legere façon,
L’on [f. 47 r]L’on a trop eu sur moy faux souspeçon :
D’auoir robbé vn chien à celle Dame
Que veux seruir, & sans fin, & sans blame :
15D’autant s’en faut qu’en faire, ou en penser,
Pour petit cas la voulusse offenser.
Où est celuy, tant soit il inhumain,
Qui auançast sa malheureuse main,
Pour en rien nuire à telle dame honneste,
20Ou pour robber le chien qui luy fait feste ?
La dame en soy est de beauté tant pleine
Que ie la dy vne seconde Heleine,
Digne pour qui on souffrist mille alarmes :
Et Rois & Ducs missent la main aux armes.
25Elle a aussi auecques sa beauté
Conioint amour, douceur, & priuauté,
Si gracieuse, & de si bon accueil,
Que mon grand bien seroit son riant œil.
Et ma personne estimois bienheureuse,
30Quand me disoit en parole amoureuse
Bon iour, bon soir. ô la bouche mignonne !
Oeil friant, qui vie au cœur me donne.
Veu donc l’accueil que m’a fait, & l’hõneur,
Serois ie pas trop plein de deshonneur
35De la vouloir par mon crime estranger,
Luy faisant pis qu’vn barbare estranger ?
Luy tollissant ce que tant cher elle a :
Le petit chien qui la suit ça, & là :
Le petit chien, son cœur, s’amour, sa vie :
[f. 47 v]Le petit chien qui l’a tousiours suyuie :
Qui la cognoit mieux qu’Argus, Vlysses :
Et, la perdant, n’a iamais les yeux secs :
Le petit chien qui en son iappement
Chante encor plus que Graucis doucement,
45Digne d’auoir, tant il est beau & sage,
De Publius la chienne en mariage :
Le petit chien d’amour tant bonne & pure,
Digne d’auoir apres mort sepulture
Auec la chienne, helas, d’Atalenta,
50Que le sanglier trop cruel adenta :
Digne d’auoir sa deploration,
Et sa louange, & decoration,
Auec l’oiseau de l’amie à Catulle,
Et le perroquet qu’Ouide y accumule.
55
Mais que me vaut purger de tel meffait
Veu qu’on sait bien que ne l’ay iamais fait ?
Si ie l’ay fait, & commis telle offense,
Ie sois mangé des chiens pour recompense,
Deschiquetans tous mes membres menus,
60Or cognoit on par euidente issue,
Qu’on a sur moy opinion conceuë
A bien grand tort, & par trop faussement :
Vous le sauez, Dame, premierement,
65Dame du cas, à qui la chose touche,
Dame du chien qui lesche vostre bouche :
Que pleust à Dieu que ie disse aussi bien
Dame [f. 48 r]Dame de moy, comme dame de chien.
Vous l’auez donc recouuré Dieu mercy :
70Le chien est vostre, & ie le suis aussi :
Voire le suis, encor que ne vouliez,
Et qu’en rigueur tout au contraire alliez.
Vostre ie suis à vous faire plaisir,
Mieux que le chien qu’auec vous voy gesir.
[10]La dixieme Elegie.
BElle, pour qui à tort suis accusé :
Mais toutesfois de toy suis excusé,
Et de celuy qui seul cognoit les cœurs,
Ie ne pren pied à ces langars moqueurs,
5(Car autrement ie ne les peux nommer)
Ton courtisan me venans surnommer :
Par vn seul mot donnans à nous deux blame,
Qui m’est biẽ grief, pour toy, honneste dame.
Dea si i’estois vn mignon perroquet
10Plein de babil, & d’amoureux caquet,
On pourroit dire vn mot à l’auanture :
Mais ce sont gens de langarde nature.
Le temps de toy la vengeance fera,
Meschant langard, le temps nous vengera :
15Et la vertu t’imposera silence.
N’entrepren donc sur dame d’excellence,
De qui les faits sont si bien compassez,
Comme tu fis ces iours prochains passez.
[f. 48 v]
Et quant à toy dame à qui ie rescri,
20Ne crains en rien tout leur blason & cry :
Mais, comme moy, ie say que viendra dire
Vertu en fin vaincra tout leur mesdire.
[11] La vnzieme Elegie.
POur resiouyr mon cœur qui est tout tien,
Pour resiouyr ton cœur qui est tout mien :
Au moins ie pense, & ie le croy ainsi,
I’ay entrepris, non sans peine & soucy,
5Maint cas estrange & difficile à faire,
Pour seulement à toy seule complaire.
Helas, helas quel desplaisir ie gouste
O Cupido, pourtant que ne vois goutte,
Que ne vois tu, respon fils de Venus,
10Les maux où sont maints amans deuenus ?
O my heureux, si le moyen auoye !
O moy ioyeux si le pouuoir auoye
De deslier le bandeau de tes yeux,
Lors tu verrois l’estat pernicieux
15Auquel ie suis, trop plus mort que viu ant [sic pour viuant].
Mais s’il te plait tost seray reuiuant,
Belle, pour qui mon triste cœur lamente :
Toy seule peux appaiser la tourmente.
Que fay ie donc à Cupido complainte,
20C’est à toy seule à qui doy faire plainte.
Autre inuoquer c’est trop grand mesprison :
Toy [f. 49 r]Toy seule fais la playe & guerison.
De me guerir ne fay donc point refus :
Tu sois Achil’, ie seray Telephus.
[12] La douzieme Elegie.
I’Ay veu chacun parler à ton honneur,
Et de los estre à ta vertu donneur :
L’vn te disoit auoir biens de nature,
Qui surpassoiyent toute autre creature :
5L’autre tenoit qu’es vn miracle au monde,
Et qu’en douceur tu n’as point de seconde.
Brief, à toute autre on venoit preposer
Toy seulement, sans trop dire, ou gloser.
Tel los tu as merité grandement,
10Car de beauté tu as abondamment,
Certes trop plus qu’onque femme viuante :
Ioint que ta main est tant bien escriuante.
Tu es Sappho en science hautaine :
Tu es en biens Iuno la souueraine :
15Tu es Pallas en grace, & grauité :
Tu es Heleine, ou Venus en beauté.
Les membres as tant proportionnez,
Qu’ils semblent estre à proportion nez.
Tant bien conuient le col auec la teste :
20Tant bien conuient le sein auec la reste.
Certainement ton visage Angelique
Rendroit ioyeux l’homme melancolique.
G [f. 49 v]Tes yeux sont clairs, splendissans & luisans,
A toute ioye & liesse induisans :
25Si gracieux & benins de nature,
Que se depart, lors que ton regard dure,
Toute tristesse, & fait à ioye place.
Le plaisant taint de ta luisante face,
Ton large front, & ton col cristallin,
30Ton tetin blãc , qu’on voit sous crespe, ou lin
Bien delié : ta leure rouge, & saine,
D’où vient, & prend son petit cours halaine
Tant souëue & douce, & tes dorez cheueux,
Ton corps bien fait, brief, tout en toy ie veux
35Autant louër que possible sera.
Mais qui le tout dignement louëra ?
O grand beauté, douceur, & grace d’ange,
Ma Muse est bien moindre que ta louange ?
[13]La trezieme Elegie.
SI ie t’escry, ce n’est pas sans raison :
Mais pour autant qu’à toute desraison
As mis ton cœur, tu verras cest escrit,
Que ma plume a quasi par ire escrit,
5Sur ce papier contenant ma fortune.
O malheureux quand i’aime ainsi fort vne,
Qui n’aime pas d’vne amour reciproque :
Dont dire peut, onc ne verrau Cypre. O que
Feu discret suis, & tresmal cognoissant,
Que [f. 50 r]Que n’en aimay autres, dont iouyssant
Ie fusse bien, qui me desiroyent voir,
Ia soit qu’en moy de richesse & d’auoir
N’ayent trouué, toutesfois bien ie fay
Qu’elles ont fait par plusieurs fois l’essay
15De m’attraper en leur rez, & cordelles,
Quasi m’offrans le cœur, & le corps d’elles,
Tant ont esté vers moy de bons accords.
I’ay, grace à Dieu, santé en ieune corps,
Et suis tresbien de mes membres deliure :
20Lunettes n’ay pour lire tout vn liure :
I’ay cœur ioyeux : ie fay trop plus qu’assez,
Que tels que moy ne sont iamais cassez
(Ie ne le dy pour me vanter) aux gages
De Cupido, lequel fait feux & rages.
25Si tu me veux, ie te veux bien aussi : mais si
Tu ne me veux, ie ne te veux aussi :
Car autrement ie ne t’ay iamais quise.
Si autrefois ta grace i’ay acquise,
Ou que par trop leger de croire fus,
30Et maintenant tu fais de moy refus :
Remede quel ? Il faut que ie m’en passe,
Et que l’estude, & les liures i’embrasse,
Sans que de toy quelque si, ne car, i’oye.
Ou il faudra, si ie quiers autre ioye,
35Que mon cœur (las) vers vne autre s’adonne
Qui son amour entierement me donne.
I’en say plusieurs, & si say leur hostel,
G 2 [f. 50 v]Dames d’honneur (dignes d’auoir los tel)
Dames de nom, qui à me voir demandent :
40Et quelque fois auec honneur me mandent :
Ie ne say pas si ie leur semble affable,
Mais certain suis que cela n’est pas fable.
A quel propos te monstres tu si fiere ?
Ne pense pas que t’aye par priere :
45De tant prier ce n’est point ma coustume :
Difficile est qu’à ce ie m’accoustume.
La grace à Dieu encor suis en ieune aage,
Quand le cœur gay en tout ioly ieu nage :
Ie suis encor en mon adolescence,
50Lors que d’esbats on prend la cognoissance.
Ie suis encor (sans vanterie) seur,
Que de plusieurs peux estre possesseur.
Mais si tu veux demeurer mon party,
Mon cœur auras entier, & non party :
55Ne veux tu point me prendre pour partie,
Tout aussi tost feray la departie.
[14]La quatorzieme Elegie.
EN attendant auoir de toy secours,
Le temps s’en va tousiours passe ce cours
Sans y penser, nous dit adieu ieunesse :
Sans y penser nous poursuit la vieillesse :
5Le beau soleil tous les iours va & vient :
Ieunesse va, mais iamais ne reuient :
Et [f. 51 r]Et trop en vain en fin al regretons,
Quand ses esbats par trop nous reiettons.
Ieunesse donc (si tu m’en crois amie)
10Et ses esbats ne reietterons mie.
Assez aurons vieillesse rigoureuse :
Sans chagriner nostre ieunesse heureuse.
Respon moy donc, sans me tenir confus,
Loyal ami te suis, comme ie fus.
15Faut il tousiours que suspens ie demeure ?
Et qu’en langueur sans mourir touiours
meu
(re?
Qui est celuy qui est exempt d’aimer ?
Ie voudrois bien qu’on me le peust nommer.
Qui est celuy qui n’ait fait quelque amie ?
20Ie croy que tel on ne nommera mie.
Anthoine Marc aima Cleopatra :
Enone aima Paris, dont elle entra
En grand douleur quand Heleine il rauit.
Le peintre grand, Campaspé nue vid,
25Et fut d’amour, & d’ardeur entamé.
Pyramus a iusques à mort aimé,
Thysbé aussi, tesmoin leurs glaiues nuds.
Le trait d’amour, le brandon de Venus,
Ont bien senti Ero, & Leander,
30Qui ont voulu des epistres mander :
Et qui sont morts en poursuite amoureuse,
Noyez en mer horrible & furieuse.
Les dieux hautains mesme ont plaisir d’ai-
mer :
Qu’il soit ainsi, Neptune, dieu de mer,
35N’aima il pas Tethys ? ouy en effect.
Mars & Venus on a pris sur le fait.
Et Juppiter aima Leda, en signe
Qu’il se mua pour elle en vn blanc Cygne.
Phebus aima Leucothee, & Daphné :
40D’vne iouy, l’autre l’a pourmené :
Mais l’vne & l’autre est en arbre muee,
L’vne d’honneur, l’autre d’odeur ornee.
La Lune aima de grand affection
Iadis le beau pasteur Endymion,
45Et l’endormit sept ans : adonc le baise
Incessamment, & trop plus à son aise.
Tu entẽs dõc que le train d’amours suyuẽt
Mesme les dieux, que les hommes ensuyuẽt .
Si i’aime bien, i’ensuy des dieux la Loy :
50Ce ne sera honte ou reproche à moy :
Mais ce sera à toy reproche & honte,
Qui de m’aimer ne tiens raison, ne conte.
[15]La quinzieme Elegie.
SOuuent aduient que ce que l’on desire
De cœur feruẽt , se vient au sens produire :
Si que fust on à l’esquart, ou par voye,
Tel comme il est il semble qu’on le voye.
5Ainsi me sont maints pensemens venus :
Et si tu quiers, qui fait cela ? Venus,
Venus [f. 52 r]Venus ne veut amans estre lointains,
A fin qu’ils soyent l’vn de l’autre certains :
Venus le cœur de l’vn à l’autre change :
10Venus iamais ne veut que l’on s’estrange.
Ie vy en toy, en moy mesme ie meurs :
Tant m’est à gré ton maintien, & tes mœurs,
Que mon cœur prend dedans toy sa racine,
Et que seras sa vie & medecine,
15Tant que l’amour iusqu’à mort estincelle :
Car à iamais ie te maintiendray celle,
Que i’aime seule, & qui me fait valoir :
Qui a mon cœur du tout à son vouloir :
A qui i’escry regrettant sa presence
20Me trouuant mal de sa trop longue absence.
Or s’il te plait changer mon dueil en ioye,
Amie, fay que dans brief terme j’oye
Bon mot de toy, sans lequel ie peris :
Car exposé me voy à grands perils.
25Ie n’escry pas pretendant ton auoir :
Mais ie t’escry pretendant ton reuoir.
Ly donc la lettre, & pren en bonne part
L’affection du cœur dont elle part.
[16]La sexieme Elegie.
DE trois regrets mon cœur fut surmõté,
En delaissant, dame, vostre cité.
Vostre cité, helas, & c’est le poinct,
G 4 [f. 52 v]Vous y tenez, & ie ne m’y tien point.
5
C’est le premier de trois regrets en nõbre,
Et le plus grand, qui tiẽt mon cœur en ombre
D’ennuy fascheux, dont procede vn souci,
Vn pensement, & vn souspir aussi :
Non sans raison, & bien grande apparence,
10Quand loin de vous ie fay ma residence.
Secondement i’ay vn autre regret
De la cité, lequel est moins secret,
C’est à sauoir pour le terrain, & cloistre :
Et ce regret vient le premier accroistre.
15
Le tiers regret c’est que de ce palais
Ou quelquefois pourmener ie me plais
Plus pres seroye, & plus en cœur de ville :
Ie suis en lieu, & en rue plus vile,
Peuplee moins, & sentant mieux ses champs,
20Ou ne voy tant de sortes de marchans :
Et dessus tout, dame, ie ne t’y voy,
Dame que i’aime autant ou plus que moy.
Ces regrets dõc me greuẽt : mais en somme
Le premier seul tous les autres consomme :
25Lequel regret si au long ie poursuis,
Certainement assailly de peur suis,
Et si croy bien que main & plume ensemble
N’en escriroyent la moitié ce me semble.
Quand mon esprit s’y voudroit biẽ offrir,
30Plume & papier ne le pourroyent souffrir :
Car ce regret est de telle nature,
Qu’il [f. 53 r]Qu’il ne se peut comprendre en escriture :
Ie ne voy point meilleur contentement
Que le laisser à vostre pensement.
35
Or à Dieu donc, à Dieu, à Dieu ce dy ie
Incessamment, car amour m’y oblige.
[17]La dixseptieme Elegie.
APres que i’ay bien veillé, & n’ay peu
Aucunement vous trouuer à temps deu,
Pour vous bailler vn petit mot de lettre
Dame, croyez que suis contraint de mettre
5La plume en main pour vous faire sauoir
Que de ma part i’en ay fait mon deuoir :
Pareillement pour despiter Fortune,
Qui ne nous donne aucune heure opportune :
Car ie preten par ces presens escrits
10Vous declarer mes souspirs & mes cris,
Dont fus seruy en cœur & en pensee,
Incessamment la semaine passee.
Et tout ennuy quand il est reuelé,
Ne nuit pas tant que quand il est celé.
15Le cœur humain s’allege & se soulage
Se descouurant à quelque personnage :
Mesme au besoin (s’il se sent trop charger)
Sur le papier il se peut descharger.
C’est ce qui fait qu’encore vous escriue,
20Et que pour vne aurez double missiue :
G 5 [f. 53 v]Mais que malheur tant ne me vueille outrer,
Qu’on ne vous puisse à heure rencontrer :
Qui me seroit vn renfort de mesaise,
Dequoy mon cœur ne seroit iamais aise :
25Ce me seroit vn si aspre rengrief,
Qu’il n’en fut onc, ce croy ie, de tant grief.
Premierement, dame, d’amour entiere,
Quand le maintien, & grace singuliere,
Qui sont en vous ie vy, & apperceu,
30Grande liesse en mon cœur ie receu :
Et m’en croyez que plus que de ma vie,
Senty en vous ma pensee rauie.
Puis vostre ris, vostre parler courtois,
Me pleurent tant, que quand vous escoutois,
35(Combien que nous eumes peu de parole)
Vous estimois le chef de la Carolle.
Le doigt pressé, & les genoux frayez,
Les traits de l’œil franchement ottroyez,
Du bout du pied la cotte souleuee,
40Ioyeusement en maniere priuee,
Le bon maintien de corps, & de visage,
Tel qu’est requis pour feminin vsage :
Le cœur dehait, le corps droit maintenu,
Le rond tetin ombrageux, demy nud,
45Me faisoyent dire, & sans outrecuidance,
Femme de cœur est ceste cy qui danse.
Mais qui pourroit, ainsi comme i’entens,
Le plaisir dire, & le grand passetemps
Que [f. 54 r]Que ie prenois en vostre œil d’amour pure,
50Auant la danse, ou quand la danse dure ?
Mais qui pourroit, ou escrire, ou penser
Ce que depuis i’en ay peu pourpenser ?
Cœur conuoiteux se delecte, & se baigne,
Alors qu’il fait mil chasteaux en Espaigne :
55Ie ne veux donc tant haut philosopher,
I’aimerois mieux sur le fait m’eschauffer.
Las, quantesfois le iour ie me transporte
Soir & matin iusques à vostre porte,
Pour recreer mes yeux (qui mes grand heur)
60Vous le sauez que ie ne suis menteur :
Et ma personne y auez auisee,
Souuent iettant dessus vous sa visee.
Lors ie me sens d’amour tant detenir
Que ie ne say quel maintien doy tenir.
65Ie vay, ie vien, tout soudain ie destourne,
Puis ie reuien, ie marche, ie retourne,
Qui fait cela ? sinon que mes esprits
Sont plus que trop de vostre amour espris.
Par vn long temps l’amour point ne se cele :
70Le feu caché en la fin se decele.
Le feu que sens est feu chaut, clair & beau :
C’est à sauoir de Venus le flambeau,
Qui tousiours luit, & long temps ne se cache,
Ha vostre cœur n’est pas qu’il ne le sache :
75Luy plaise donc espandre tant soit peu
De l’eau de grace au milieu de ce feu,
[f. 54 v]Dont par vostre œil, qui sus moy estincelle,
M’auez ietté la premiere estincelle.
[18]La dixhuictieme Elegie.
EScrire veux comment mon corps se sent,
Et mon esprit quand de toy suis absent.
Comment escrire ? ha par trop ie presume :
Car il n’y a au monde langue ou plume,
5Qui plainement le peut dire ou escrire :
Mais en diray ce que ie pourray dire.
I’escriray donc, mais non pas la moitié :
Car qui pourroit bien dire l’amitié
D’entre nous deux, telle que ie la sens ?
10Certes amour passe tout humain sens.
En t’escriuant bien te voudroye induire
De supporter ce qu’en amour peut nuire,
Comme ie fay : car la raison veut bien,
Qu’vn peu de mal accompagne vn grand biẽ .
15
Premierement quand de toy suis arriere,
Me sens muer en toute autre maniere :
Et m’est auis qu’euidemment ie voy
Qui suis vn autre, & que ce n’est plus moy.
La où i’estois monstrant toute liesse,
20Ie suis mué comme en vne vieillesse.
La où i’auois cœur ioyeux & riant,
Ie suis pensif, & tout propos fuyant.
O quel ennuy, ô quelle dure chose,
Quand [f. 55 r]Quand fait souffrir telle metamorphose,
25En cœur & corps telle mutation !
Mais quelle ioye & delectation,
Quand ie te voy & contemple à mon aise !
Amour ne peut rien faire qui ne plaise
La où ie suis, là certes ne suis pas :
30Car où tu es ie quier faire mes pas.
Ce que i’oy dire, ou que ie voy, se passe :
Tout ne m’est rien, tout se perd, & s’efface,
Fors que de toy vn tresgrand souuenir,
Qu’incessamment sens aller & venir
35Par tous les lieux de mon pesant cerueau,
En luy donnant tousiours trauail nouueau,
Qui est meslé d’vne ioye nouuelle,
Qui dans mon cœur s’ engẽdre & renouuelle.
Seroy ie ainsi si beaucoup ne t’aimois ?
40Le iour m’est an, les heures me sont mois,
Pareillement les minutes tousiours,
Quãd ne te voy, me semblẽt bien longs iours.
Ie tay le reste : aussi trop long seroye,
Si ce propos plus loin ie poursuyuoye.
45
Puis qu’ainsi est donques que ie supporte
Ces maux pour toy, il faut que ie t’enhorte
Que de ta part supportes les assaux
Que bonne amour donne à tous ses vassaux.
Et s’il y a quelque propos d’enuie
50(Qui regnera tant qu’amour soit en vie)
N’en pren soucy, laissons les enuieux,
[f. 55 v]Nous maintenãs tant que nous soyons vieux
En forte amour, & d’autant plus constante,
Comme y sera enuie resistante.
55Lors prouueray ta bonne affection :
Lors cognoistray ta grand perfection :
Car toute chose excellente, & bien bonne,
Son contraire a qui à faire luy donne :
Iamais douceur ne va sans quelque fiel.
60Ne vois tu pas, si veux tirer le miel
D’auec la cire, il faut que tu te iettes
Entre aiguillon des petites auettes ?
Qui veut cueillir vne rose bien souëue,
Quelque pointure il faut qu’il en reçoyue :
65Ainsi qui veut d’amour cueillir le fruict,
Craindre ne doit trouuer chose qui nuit.
Certainement c’est tousiours la coustume
Qu’auec douceur y ait quelque amertume :
Auec bien, mal : auec amours, soucy,
70Peine, trauail, ennuy, & dueil aussi :
Car de Venus le brandon & flambeau,
Qui est tant chaut, tant luisant, & tant beau
S’estaindroit tost, s’il n’estoit par le vent
Meu, excité, & agité souuent :
75Mais d’autant plus l’amour lui & doit plaire,
Comme assailli il est par son contraire.
Pour estre brief, toute chose en effect
Par son contraire est en estat parfait.
[19]La dixneufieme Elegie.
PVis que pour moy Cupido a tant fait
Qu’il me presente vn present si parfait,
Quand vous m’auez souuent, madamoiselle,
Monstré bon œil, bonne faueur, bon zele :
5Pourrois ie bien, dites, estre repris
D’aimer vn bien de tel valeur & prix ?
Et doy ie faire à l’amour resistance,
Tant que de vous ie quitte l’accointance ?
L’on dit souuent, celuy ne fait pas bien,
10Lequel en temps ne poursuit pas son bien :
Pareillement on dit que tel refuse
Vn bien present, qui long temps apres muse,
Et sans lequel pourra long temps souffrir.
Parquoy ce bien qui tant me vient s’offrir,
15De biẽ grãd cœur sans cesse veux poursuyuure,
L’apprehender, & sans quelque peu suyure :
Craindre ne doy puis qu’il me vient si pres :
Mais s’il s’esloigne, & bien i’iray apres :
S’il perseuere, encor tousiours iray ie
20Par pluye & vent, & par glace, & par neige.
Ce bien n’est point office, ou benefice,
Ce bien n’est point tenant de l’auarice,
Ce bien n’est point pierrerie, or, argent :
Mais c’est vn bien precieux, beau & gent,
25Qui n’est faict à dressoir, ny à coffre,
Ny aux larrons : ô quel bien, ô quel offre !
[f. 56 v]Fy de tous biens, fy d’argent, & fy d’or,
Si vne fois puis gaigner ce tresor :
Dés à present toute ma part i’en quitte,
30Si puis auoir ce bien de haite eslite.
Mais quel doute ay ie ? est il pas desia mien ?
Ne l’ay ie pas ? le tien ie pas ce bien ?
Certes ouy : mon œil, ma main, ma bouche
Quatre ou cinq fois le voit, le tient, le touche.
35Que reste il plus ? fors sans fin l’estimer,
L’entretenir, le cherir & aimer ?
Qui se fera, i’en ay bien bonne enuie,
Tant que ce corps demeurera en vie :
Car c’est le seul bien lequel en ce bas monde
40Met en vn cœur liesse si parfonde,
Que tant s’en faut qu’il s’en puisse assouuir,
Qu’incessamment cers luy se sent rauir.
Voilà comment (damoiselle cherie)
Ie vous prefere à or, & pierrerie :
45Car ce grand bien que i’ay tant exalté
Se trouue en vous, c’est vous en verité.
Ce n’est point or que la rouille consomme :
Ne perle aussi, mais c’est vous mesme en
som-
(me.
Ie me sen donc bien heureux deuenir
50Quand vn tel bien ie puis voir & tenir :
Voir, & tenir, ô que c’est belle chose !
Mais le mal est que la bague est enclose :
Ainsi [f. 57 r]Ainsi la voir, c’est voir aucunement,
Mais ce n’est voir, ne tenir proprement :
55C’est seulement en voir la couuerture,
Et la tenir : ô chose grieue & dure !
Ma damoiselle, ostez donques, ostez
Ceste closture, & la bague apportez
Deuant mes yeux, sans couuerture, & nue,
60Pour esprouuer sa tant riche value.
[20]La vingtieme Elegie.
N’Y a il point plus d’amitié en femme,
A tout le moins en celle qui enflamme
Si fort mon cœur, que la grande chaleur
Redondera à son tresgrand malheur ?
5Malheur tresgrand, si la pluye de grace
Dedans brief temps ne l’estaint & efface.
Car tousiours il se veut allumer,
Auant huict iours me pourroit consumer.
Puis en la fin par cruelle vengeance
10Tourner sur elle, & sans quelque allegeance
Luy consumer cœur, corps, mãmelle , & taint.
Ainsi soit il, si elle ne l’estaint,
Quand elle peut, à fin que me resemble,
Et que soyons tous deux bruslez ensemble
15D’vn mesme feu, plus grand que cil d’Ethna,
Si enuers moy bon vouloir elle n’a.
N’est elle pas bien fausse, & peu fidele,
H [f. 57 v]De me tenter à querir plaisir d’elle ?
Ha ce n’est pas petit cas par faux tour,
20Et faux semblant, de se moquer d’amour :
Et irriter Venus la grand deesse,
Troublant sa grace, & beauté, & liesse.
Aux dieux puissans ne fait bon se iouër :
Ains il conuient les aimer, & louër,
25Suyure, seruir d’vn vray cœur sans faintise.
Quant à l’amour, le cœur qui se desguise
I’ay veu souffrir, ardant, impatient :
Et en la fin faire à bon escient.
[21]La vingtunieme Elegie.
I’Ay bien souuent est émeu vous escrire
En vers Frãçois , esquels vous viẽdrez lire,
Et en lisant sentir ce qui me poingt :
Mais tout soudain ie disois, n’escry point.
5En vn instant ie pense, & contrepense :
Ie me permets, puis ie me fay defense,
Tost excriuant, aussi tost le dessire :
Mais desirant sans cesse ie desire.
Brief en la fin ayant par maintes nuicts
10Songé, resué, non sans fascheux ennuis,
Dame, à ce poinct me suis venu resoudre
De vous escrire : or m’en vueillez absoudre,
Il m’est auis, si i’ay bon iugement,
Que l’escriture est vn allegement
Aux [f. 58 r]Aux cœurs pressez, & que ce que la bouche
N’ose pas dire, en escrit on le couche.
L’escrire donc me peut bien soulager,
Et ne vous peut, ma dame, dommager.
On escrit bien aux plus grans ennemis :
20Combien plustost à ses plus grans amis ?
De vostre part si sentez l’amitié
Que ie vous porte, à peine est ce à moitié.
Mais ie ne say si ie doy desirer
Ce que desire, & y perseuerer :
25C’est que soyez (ô ma dame honoree)
Ou plus que moy, ou moins que moy nauree :
Ou plus, à fin que vous m’en departiez :
Ou moins, à fin que moindre mal sentiez.
Au monde ay veu dames, & damoiselles,
30I’ay veu plusieurs filles, & femmes belles,
I’an ay veu mainte, & en mainte contree,
De bonne grace, autant bien accoustree :
I’ay deuisé, i’ay beu, mangé, hanté :
Mais onc ne fus tant surpris ne tenté.
35
Ha ie sen bien qu’amour, pour toute reste,
Tãt plus viẽt tard, tãt plus fort nous moleste.
Mais il faut dire, & la chose est bien vraye,
Que vos vertus m’ont fait ceste grand playe.
Le coup est grãd , & plus grãd qu’il ne semble,
40Car il me naure esprit & corps ensemble.
Si me puis bien d’vne chose vanter,
Qu’Amour me vient heureusement tenter.
H 2 [f. 58 v]Aussi pouuez tresbien vous vanter donques,
Qu’auez sur moy ce que femme n’eust onq̃s .
45
Vostre esprit bon, vostre ferme memoire,
Vostre constance, & grand vertu notoire,
Vostre douceur, & humble priuauté,
Vostre cœur plein de grand loyauté,
Vostre sagesse, & bonne contenance,
50Me font de vous l’amour, & souuenance :
L’amour qui mord, & de si pres me pique,
Que ne s’en va pour aucune replique :
Ains que tousiours, plus luy viens repliquer,
Plus aigrement le sens mon cœur piquer.
55
Ha, dit mon cœur, faut il que sa vertu
Me rende ainsi confus & abatu ?
O Dieu, faut il (voicy vne grand’ chose)
Que son grãd biẽ soit de mon grãd mal cause ?
N’ay ie senty les traits d’œil gracieux,
60Tirez du cœur que sur tous i’aime mieux ?
O quel grand bien qu’il faut dissimuler !
Mais quel grand mal, puis qu’il le faut celer,
Et par souspirs tirer de loin l’haleine.
Iadis pour voir, & pour auoir Heleine,
65S’en vint de Troye en la Grece Paris :
Ie vien pour vous d’Italie à Paris.
Ie croirois bien que ne le pensez pas :
Mais la grand cause estes de ce grand pas,
Soit à Turin, à Verseil, ou Milan,
70Ie vous ay eu en cœur le long de l’an :
Soit [f. 59 r]Soit à Venise, à Mantouë, ou Cremone,
Tousiours pẽsois à vostre humble personne :
Si lisez bien mon escrit de Lyon,
Le sentirez non sans affection.
75
Amour me feit au retour tant oser
Que vous allay la premiere baiser :
Sans prendre esgard d’embrasser vostre pere
Premierement, ou baiser vostre mere.
Amour me fait jetter l’œil tendrement :
80Amour me fait manger petitement :
Et puis ie dy que pays estranger
M’aprent ainsi petitement manger :
Amour me fait escrire la presente,
Qui vous descrit mon mal, & represente :
85Cause d’escrire ay autant que j’eus onc :
Mais toutesfois ie veux estre long.
Quãd auez leu l’epistre (ô fleur des dames)
Ie vous supply iettez au feu ces flammes,
Et vous gardez que n’en soyez attainte,
90Car vous aimant i’ay de vostre mal crainte.
Et de ma part biẽ vous veux faire entẽdre ,
Que me pouuez commander, & defendre :
Ce qui vous plait, hardiment commandez :
Ce qui ne plait, si me le defendez,
95Ie m’en tiendray, dame, ie vous l’ottroye,
Fors vous aimer : car cela ne pourroye.
Fin des Elegies.
EPISTRES.
[1]La premiere Epistre.
Q
Vand en tes mains ce
liure fre-
quentoit,
Et que releu cõme le liure estoit
De bout en bout, ma bonne da-
moiselle
Tu m’en croiras, ie fus esmeu d’vn zele
5De grand remors, & encor ie le sens,
Pour d’aucuns mots, & aussi pour le sens.
Supporte donc par ta grande sagesse,
Les passetemps, & abus de ieunesse :
Bon fait sauoir le mal, pour l’euiter :
10Non pour mouuoir, & pour s’y exerciter.
Des choses a que si ieune i’ay faites,
Qu’impossible est que n’en soyent moins
par
faites :
Car en l’esprit bien difficilement
On trouuera ieunesse, & iugement.
15Plaisir me fut voir la copie entiere :
Mais dueil me feit l’escriture premiere :
Par poinct mal faits, & imperfections,
Fausse orthographe, & incorrections.
Le [f. 60 r]Le tout n’auint sinon par mon absence,
20Quand l’escriuain desiroit ma presence.
Ainsi mes vers, que bien, que mal rimez,
Ne furent pas par ma plume limez :
Car l’escriuain n’en auoit que le double,
Qu’vn ignorant rendit confus, & trouble :
25Dont tu ne dois m’en mettre rien à sus.
Or i’ay passé ma plume par dessus,
Mais si i’en ay bien trenché & osté,
I’en ay aussi non pas moins adiousté.
Brief, l’ay reueu, recorrigé, refait :
30Reçoy le donc comme tout nouueau fait.
I’y ay pris peine, & ay l’œuure refaite,
Que ie voudrois voir encor plus parfaite.
Mais i’en voy peu, à mon affection,
D’autre, ou de moy, ayant perfection.
35
Voila que c’est, apres peine bien grande,
Rien n’est parfait ainsi qu’on le demande.
Et puis souuent entre les conferens,
Les iugemens sont si tres differens,
Que là où l’vn du bien en voudra dire,
40L’autre dira qu’il y trouue à redire.
L’vn le dit clair, l’autre le dit obscur :
L’vn veut du mol, & l’autre veut du dur.
Parquoy en tout y a besoin d’excuse :
Et en premier moy mesme ie m’accuse.
[2] La seconde Epistre.
ET iours & nuicts pensant à ta beauté,
Dame de cœur tant plein de loyauté,
Rauy me sens en vn tel pensement,
Que suis content penser incessamment :
5Car ta beauté, honneur, sauoir, & grace,
Et tout en toy toutes autres surpasse.
Beauté, sauoir, & grace sont vertus
Pleines d’honneur : ceux qui en sont vestus
Meritent bien d’entrer en renommee :
10Par ainsi dame, en tout tant estimee,
Ne t’esbahy si ta grace immortelle
Se represente en moy, tant haute, & belle :
Et si i’en ay souuenance souuent :
Car de vertu ie veux estre seruant :
15Et la vertu ie ne veux iamais taire.
Tu es le chef, & le vray exemplaire
De tout honneur, beauté, grace, sauoir.
O grand miroir, ou tout bien se peut voir !
Ou recognoit tout le femenin sexe
20Toute vertu, qui en toy n’a point cesse.
Vn doux parler de ta bouche prend cours,
Tes mots dorez ne sont trop longs ne cours,
Ce beau don là t’a eslargi Mercure.
Par grand beauté tu luis outre mesure :
25Dame Venus ce grand don t’a donné.
Par sagesse est tout ton faict ordonné :
Pallas [f. 61 r]Pallas te fait de ce beau don iouyr.
Me doy ie pas donc beaucoup resiouyr
Quand ie te voy si amplement parfaite,
30Que pour exemple aux autres tu es faite ?
O bien heureux qui par bonne accointance
De tant de biens aura la cognoissance :
Et bien heureuse en ce monde est mon ame,
Qui recognoit de tant de biens la dame.
[3] La troisieme Epistre.
DEpuis que i’eu l’autrier en la Carole
Ouy ta voix, & benigne parole,
Quand tu me dis, par moyen gracieux,
Qu’auons tous deux petits & rians yeux,
5I’ay eu à toy incessamment mon cœur,
Et mille fois ie sen le tien vainqueur,
En te voyant par pensee & phantasme :
Assez souuent quelque propos i’entame,
Comme voulant à toy dame parler.
10Mon cœur te voit puis venir, puis aller,
Danser, branler, marcher, parler, sourire :
Et, brieuement, ie ne serois escrire,
Quãd mesmemẽt i’en serois vn grãd maistre,
Toutes façons où te voy ma dame estre.
15Car nostre esprit bien souuent à part soy
(Ainsi qu’en moy tous les iours i’apperçoy)
Pourpense, voit, songe, suppose, & feint,
H 5 [f. 61 v]Ce que la plume à escrire se feint
Ou qu’il n’est pas de ce faire possible :
20Ou qu’il n’est pas le plus souuent loisible.
Mais pẽses tu qu’on peust mettre en escrit
Comment ie t’oy parler de grand esprit ?
Comment te voy vestue, & comment nue ?
Comment te voy de corps gente & menue ?
25Comment en cotte, & comment en chemise ?
Cõment ma main sur ta chair blãche est mise ?
Sur ton tetin poli, blanc et refait ?
Tu m’en croiras, on n’auroit iamais fait.
Plume n’y a qui le peust bien escrire :
30Ny Orateur qui le peust bien descrire.
Langue n’y a qui le peust raconter :
Ce papier cy ne le pourraoit porter :
La main n’est pas de ce trauail capable :
L’entrepreneur se sentiroit coulpable.
35
Pren donc en gré, ce petit mot d’Epistre,
Ton seruiyeur ie me tien pour mon tiltre.
[4]La quatrieme Epistre.
DAme d’honneur, d’excellence, & de prix,
Dame de nom entre les bons esprits,
Dame qu’on tient chef d’oeuure de nature,
En qui beauté & grace est sans mesure,
5Ie te veux faire vn petit souuenir
Du Temps auquel soulions aller, venir,
Et [f. 62 r]Et tracasser, puis en haut, puis en bas :
Estans petis, prenions petis esbats,
Les premiers ans en sont tous coustumiers :
10Mais ils s’en sont volez nos ans premiers :
Tost est passé ce tendre, & ce bas aage,
Lors que n’auions cognoissance, & vsage.
Te souuient il (respon moy) de ce temps,
Quand nous mettions tout nostre passetẽps
15A nous iouër, rager, & babiller ?
A chien, & chat, & poupee habiller ?
A regarder des liures les images,
En les baisant, & leur faisant hommages ?
Quoy que ie fusse vn petit garçonnet,
20Souillé, brouillé, ainsi qu’vn garson nect,
Si toutesfois me souuient il encor,
Que nous soufflions en siblet, & en cor,
Puis nous venions l’vne ou l’autre attraper :
L’vne venoit dessus l’autre frapper :
25L’vn me poussoit tant que tombois arriere :
L’autre tenoit bien ferme vne barriere :
L’vne en vn coin se cache, & se mussette :
Iouant au ieu qu’on dit cligne mussette :
L’vn nous vient faire vn asperge d’eau
chau-
(de :
Et l’autre fait de la cochemiaude.
Voilà les ieux ou prennent appetits
Et passtemps ieunes enfans petis.
Certainement tout temps ne se ressemble,
Veu qu’en bas aage auons vescu ensemble :
[f. 62 v]Et maintenant tout est bien au rebours.
Ne plus ne moins que billes sur tabours,
Nostre aage va, qui tousiours coule & passe
Le temps, l’estat e, si petit espace,
Les alliez bien souuent à part mettent.
40Or la raison, & l’vsance permettent,
Qu’en bonne amour ceux la viuẽt tousiours,
Qui ont vescu ensemble és premiers iours.
S’il te plait donc de moy te souuiendras :
Et pour amy ) iamais me tiendras.
[5]La cinquieme Epistre.
I’Ay est émeu derechef te rescrire,
Et ce qui est à moy notoire escrire :
Le fils Venus en mes escrits m’instruit :
Le fils Venus à t’escrire m’induit :
5Le fils Venus de bonne sorte & guise
Les cœurs enflamme, & les esprits aguise.
Qui est celuy qui sans viure nourrit ?
Qui fait que fille, ou que femme nous rit ?
Mais qui conioint les puceaux & pucelles ?
10Qui est celuy qui tousiours maintient celles,
Et ceux qui ont d’amours le train suyuy ?
Qui rend vn cœur en liesse asseruy ?
Qui fait sauter, rire, iouër, chanter ?
Qui peut les cœurs & esprits enchanter
15Contre tout mal ? Qui est cil qui attrait
Les [f. 63 r]Les plus distraits ? Qui est cil qui attrait
Poignant les cœurs de viues estincelles ?
Voire tous cœur, iusques aux plus rebelles ?
Qui fait que soyent les sages deuenus
20Serfs de l’amour ? c’est le fils de Venus.
Amour nous mue ainsi en sa fournaise,
Amour ne peut rien faire qui ne plaise.
[6]La sixiesme Epistre.
A Quoy tient il, dame, qu’à me semonse
Tu n’as pas fait vn seul mot de respõse ?
Ne sais tu pas que de cœur bien seruent,
Les bons amis s’entr’escriuent souuent ?
5Quand te plairoit le moindre mot mander,
Quand ne serois que te recommander,
Me saluant par vn seul mot de lettres,
I’excuserois, ou ta prose, ou tes metres,
Si peux tu bien encore y recouurer.
10Mais respon moy, ne trouues tu qu’ouurer,
Ne que rescrire en amoureux langage ?
Car on desire auoir escrit en gage
De l’amitié qui entre amans suruient :
Et bien souuent (de ce i’en suis seur) vient
15
La bonne amour qui met escrits par rolle.
Amour iamais n’a perdu la parole :
Plus a parlé, tant plus trouue à parler :
Incontinent vole sa voix par l’air,
[f. 63 v]Mais tous soudain en viẽt d’autre, & surcroit :
20Car beau parler dedans sa bouche croist.
Plus il recite, & plus veut reciter :
Plus il excite, & plus veut exciter :
Plus a escrit, & plus trouue à escrire :
Plus il a ry, & plus il trouue à rire.
25Plus a son aise, & plus se veut aiser :
Plus a baisé, & plus il veut baiser,
Amour nous fait ainsi comme de cire :
Amour est grand, Amour, ha c’est un Sire :
Plus a ioué, & plus il veut iouër :
30Plus a loué, & plus il veut louër :
Plus a cogneu, & plus il veut cognoistre :
Plus a esté, & tant plus il veut estre :
Plus il a veu, & tant plus il veut voir :
Tant plus il a, & tant plus veut auoir :
35Tant plus il veille, & tant plus veut veiller :
Plus il trauaille, & plus veut trauailler :
Plus il a fait, & plus il trouue a faire.
Brief, en amour c’est tousiours à refaire :
Quand il est saoul, c’est adonc qu’il a faim.
40Et bien souuent quand on l’estime vain,
Adonques c’est qu’il veut recommencer :
C’est le plus fort en tout que commencer.
[7]La septiesme Epistre.
QVand vous plaira
ietter l’œil sus ces let-
tres,
Et caresser ma Muse & petits metres,
Qu’ ẽ vostre esprit mettrez cõme en registre,
Vous cognoistrez qu’en la presente epistre
5Ie veux louër la dame souueraine,
En grand’ beauté, & grace tant seraine.
Car affermer ie puis, & de vous dire,
Que Pandora, en qui n’eut que redire
Touchant beauté, beau parler, bonne grace,
10Telle beauté n’eut en corps ny en face :
Bien auisé le corsage et maintien,
Dont belle & sage en tout ie vous maintien.
Pandora eust de Pallas sapience,
Et d’Apollo musicale science,
15Beauté de corps luy octroya Venus,
Auec ces dons qui luy sont auenus :
Eloquence eust du beau parleur Mercure :
Mais enuers vous de tout cela n’ay cure,
Car Apollo, Minerue, ne Pallas,
20N’aussi Venus, chef de grace & soulas,
Combien qu’ils soyent tenus dieux & deesses,
De si hauts dons les Princes & Princesses
A peine sont à vous equiparez :
D’autant moins ceux qu’ils ont de loz parez.
25
Accourez cy Nymphes toutes par rangs,
Et maintenant laissez ruisseaux courans,
Laissez vos monts, ô Muses Parnasides :
Venez icy deesses Pegasides :
Vous qui auez puissance sur la mer,
[f. 64 v]Que mariniers ne saignans reclamer,
Par vostre nom appellent Nereides :
Et vous aussi gracieuses Hymnides,
Dames des prez, ombrageuses Dryades,
Nymphes des bois, & vous Hamadryades,
35Qui possedez les hauts arbres vtiles,
Pareillement vous Napees gentiles,
Ie vous inuite, & vous dames Naiades,
Fleuues laissez, & vous les Oreades,
Qui habitez les monts hauts esleuez,
40Ensemblement vous pry que vous leuez,
Et venez droit au lieu ou de present
Vous verrez bien vn excellent present
Celle de qui mon cœur succe sa vie :
Celle tant belle, & qui sera seruie
45Tousiours par moy : puis quand vous l’aurez
Sa grand beauté plaira à vostre veuë (veuë,
Et ses vertus passans le bruit qui court,
Vous induiront à luy faire la court.
Lors la verray dessus vous establie,
50Pour les vertus dont elle est anoblie :
Royne sera des dominations
Que possedez, & toutes nations
Luy seruiront comme petis vassaux :
Les verds buissõs, les prez, les mõts, les vaux
55Seront tousiours à son commandement.
Mais mon sauoir, ma plume, entendement
Ne pourroyẽt pas son los entier poursuyure,
Quand [f. 65 r]Quand poursuyuant i’en emplirois vn liure.
Tant digne elle est, & de moy tant aimee
60Qu’amour en moy au vif l’a imprimee.
Prometheus premier tailleur d’image,
Onques n’en fit vne de tel parage,
Qu’est celle la que Cupido imprime
Dedans mon cœur, de celle que i’estime.
65Certainement onc au double ne triple,
Ne Lisipus, ne Cares son disciple
Sceurent pourtraire image si parfaite
Que celle la, que Cupido m’a faite.
[8]La huictieme Epistre.
La superscription.Epistre va à seureté,
Aux deux dames de grand beauté.
QVand i’ay beaucoup appliqué ma pensee
Dessus la faict de la danse passee,
5Ie n’en ay peu autre chose penser,
Fors que voudrois estre à recommencer :
Non pas pourtant que i’y sache beaucoup,
Mais que me plais d’en mener deux au coup :
Que si quelcun trouue la chose estrange,
10Excusé sois, car ie ne puis estre Ange.
Ie vous voyois toutes deux sur le poinct
De bassedance, & à moy ne tint point :
I [f. 65 v]Car auec moy toutes deux la dansastes,
Ie ne say pas puis apres qu’en pensastes,
15Soit beau, soit laid, la mienne intention
N’accomplissoit que vostre affection.
Mais trop en a celuy qui deux en meine,
Il en a plus celuy qui trois en traine.
Or Dieu mercy i’ay deux mains, voire bien
20Deux yeux, deux pieds, c’est chacune le sien :
Mais ie ne puis deux autres choses dire,
Que ie voudrois pour à vous deux suffire,
Parquoy aussi n’en voudrois deux ne quatre,
Ie n’en voudrois qu’vne à part pour cõbatre :
25Car mesme on dit qu’Hercule, hõme preux,
Eust fait assez de se combattre à deux.
Or excusez la danse, & l’escriture,
Puis qu’à ces deux est requise mesure,
Et estimez que la puissance nostre,
30Le cœur, le corps, le sauoir tout est vostre.
[9]La neufieme Epistre.
SI par n’auoir attentdu grand longueur
De mois, & d’ans, i’ay vsé de rigueur
En te priant, ou (comme tu veux dire)
En te pressant pour ton honneur destruire,
5I’ay donc mal fait, mais haut & clair ie iure
Que ie n’eus onc vouloir te faire iniure,
Et suis celuy, si tu me cognois bien,
Qui [f. 66 r]Qui veut garder ton honneur & ton bien :
Et ne voudrois à toy, ou autruy, faire
10Rien dont sortist quelque mauuais affaire,
Car ie crain trop despris & deshonneur.
Excuse donc en tout bien & honneur
Celuy lequel la plume a voulu mettre
Sur ce papier, t’escriuant ceste lettre.
15Car bon vouloir, qu’il eut empraint en cœur,
Par forte amour a esté son vainqueur :
Pareillement ta tant honneste grace
L’a incité de prendre ceste audace.
Ie te pry donc de cœur & de pensee
20Me pardonner, si ie t’ay offensee :
Mais ie say bien qu’en fait, ny en penser,
Onc ne voulu fille, ou femme offenser.
Et si tu dis, ce ne sont que redites :
Ie feray tant par mes loyaux merites,
25Que tu n’auras de plaindre occasion :
Oste, oste donc la persuasion,
Que contre moy tu me sembles auoir :
Car de ma part ie feray tout deuoir.
La peine ou suis m’est vne chose grieue :
30Mais ton absence encore plus me grieue.
Plaise toy donc de ton meilleur courage
Aimer le cœur que tu tiens en seruage :
Et en l’aimant bien tost me viendras voir :
Ce me sera plaisir de te reuoir :
35En te voyant me mettras hors de peine,
I 2 [f. 66 v]Et de soucy, dont ma pensee est pleine.
Celuy qui veut tousiours rien demourer,
T’aimer, seruir, priser, & honnorer :
Te presentant de bien bon cœur sans vice,
40A tout iamais humble & loyal seruice.
[10]La dixieme Epistre.
MErcy te ren de la tienne response,
Qui au premier va piquãt cõme ronce,
Mais au milieu, & en fin s’adoucist,
Comme en l’espine vne rose douce yst.
5
Or te veux tu fonder sur un exemple
D’vn fait que fey pour raison grãde & ample,
Dy ie raison ? I’en fay un million :
N’allegue plus la dame de Lyon :
Car ma douceur n’est sucre de madaire :
10Mon cœur ne va ainsi qu’vn dromadaire :
Mais il quiert bien s’arrester en bon lieu.
Tel te seray en fin, comme au milieu,
La bonne amour n’est pas comme vne nue,
Pour s’en aller si tost qu’elle est venue.
15
Tu as de moy à tort mal estimé,
Ne pensant pas qu’eusse tant imprimé
Le souuenir de toy, iusqu’à escrire,
Moy qui te veux par sus toute autre eslire.
Il est aisé de dire, on doit sauoir
20Qu’il faut espoir, & patience auoir :
Mais [f. 67 r]Mais c’est aussi grand outrage & nuisance,
Ne secourir quand on a la puissance.
Pour estre brief, ie ma veux inciter
A inuoquer le nom de Iuppiter,
25Pallas, Venus, Apollo, & Mercure,
Qui nous mettront hors de tristesse obscure.
De par celuy qui quiert ton amitié
Autant qu’il dit, & plus de la moitié.
[11]La vnzieme Epistre, par la damoiselle à
qui s’adressoit la
precedente
MErcy ie ren, & ay veu ton escrit,
Bien composé, & de bien bon esprit,
Ce neanmoins tu m’estimes piquante,
Mais ie n’en suis d’vn seul mot recordante,
5Quant à l’affaire en l’escrit recitee
Tu la confesses : or ne suis incitee
D’en plus parler, car cela te desplait.
Puis tu me dis chose qui trop ne plait,
Ie pique tant, & puis apres suis douce :
10Ie suis ioyeuse, & puis ie me courrousse :
Tu l’as escrit, qui n’est fait honorable :
Car sembleroit que ie fusse muable.
Or quant à toy, ton amour continue :
Mais ie croy bien qu’assez en diminue.
15Si tu me veux par dessus toute eslire,
Rien ie n’en iuge, ains i’ose bien te dire
I 3 [f. 67 v]Que tu as bien cest art, & la science,
De te munir de bonne patience.
Quant au secours de Iuno, Iuppiter,
20Cela ne peut mon cœur precipiter.
Venus,Pallas, Mercure, & tous les dieux,
En ce cas là ie les trouue odieux :
Considerant qu’en peine ne pense estre :
Voulant tousiours tout labeur recognoistre.
[12]La douzieme Epistre de l’auteur, respon-
siue à
la precedente.
QVant à l’esprit qui composa la lettre,
A qui tu as bien respondu en metre,
Il est tel quel, & non pas tel qu’il veut :
Mais seulement il est tel comme il peut :
5Et tous les iours, à plus sauoir aspire :
Si luy suffit qu’il est meilleur qu’vn pire.
Quant à l’escrit, ie te voy repliquer,
Que n’as aucun record de ton piquer.
Tu prens en mal, & ton cœur se courrouce,
10Qu’ay dit ta lettre estre rude, & puis douce :
Si ne faut il, sans que plus on estriue,
Que bien reuoir ta premiere missiue.
Et quant aux vers, où meus difficulté,
Bien se deffend : le vers tel a esté,
15(Qui nous mettrõt hors de tristesse obscure)
Tant seulement ma liberté procure.
Car [f. 68 r]Car tout ainsi que nous vsons de vous,
Pour vn, ou plus, aussi faisons de nous :
Et nous, pour moy, souuentesfois se prend :
20Ton esprit donc cy endroit se mesprend.
Mais, ô amie, aimee, & bien voulue,
Ne me sois point par vn autre tollue :
Et garde toy apres de repentir,
Si à m’aimer tu ne veux consentir.
[13]La treizieme Epistre.
La Superscription.Epistre va droit aux deux sœurs
Pleines de grace, & de douceurs.
PAr vn esbat, & comme en passant temps,
Au tabourin auons pris passetemps,
5Auecques vous, deux sœurs, que Dieu benie
Pareillement auec la compagnie,
En tout honneur : car il est bien raison
Aucunesfois, selon temps & saison,
De son esprit recreer, & s’esbatre.
10Quant est de moy ne m’en veux faire batre,
Et pour laisser liure, plume, papier,
Pour tel deduit, ne m’en fay pas prier :
Car ie say bien que prendre esbat, esueille,
Souuentesfois vn esprit qui trop veille,
15Et si l’aguise, & luy donne vigueur,
En appaisant sa trop grande rigueur.
I 4 [f. 68 v]Car la femme est toute douceur benigne.
Mesme il n’y a (ce croy ie) esbat plus digne,
Plus gracieux, & plus recreatif,
20Benin, ioyeux, courtois, consolatif,
Que cestuy la dont vn peu nous vsames,
Quand en dansant, ou apres deuisames.
Certainement ie croy qu’il n’y a point
Pour ieunes gens vn esbat si à point.
25Aussi la femme est creature faite,
A fin que l’homme elle recree, & traitte.
Donques ne quiers, soit en dit, ou en fait,
Autre moyen que cil que Dieu a fait.
C’est le moyen plus seur, & necessaire
30A toutes gens qui sont de bon affaire.
Autres esbats font noise & tançons :
Cestuy cy fait que seulement pensons
D’auoir la grace ou de femme, ou de fille :
Qui est vn bien qui en vaut plus de mille.
35
Si i’auois temps, à present ie feraois
Epistre longue, ou ie feschiffrerois
Le bien que c’est d’auoir acquis la grace
De fille, ou femme estant de bonne race.
Parquoy, mes sœurs, ne vous attendez pas,
40De voir icy long propos de ce cas.
Mais i’ay espoir de brief vous en escrire,
Tant qu’aurez trop, & à lire, & à rire.
EPIGRAMMES.
[1]A Catin
C Atin, ton chant, & douce voix,
Mon cœur & sens a resiouy :
Et en t’escoutant tant de fois,
De grande liesse ay iouy,
5Quãd si doux chãt de toy i’ouy :
Or ton chant auec toy mourra,
Et apres toy ne demourra :
Mais ce petit chant de ma Muse,
Long temps apres moy durera :
10Oy le donc, & ne le refuse.
[2]A quelque Dame, pour le present d’vn
bouquet de soye
VOstre bouquet est plus riche que moy,
Car il est tout de fin or & de soye,
Et dessus moy, or ne soye ne voy.
Mais nonobstant que rien moins ie ne soye
5Que son pareil, & que ie ne me voye
Si richement vestu, paré, orné :
Certes iamais ne le refuseroye,
I 5 [f. 69 v]Venant du lieu dont il me fut donné.
[3]Autre à elle mesme, pour le present
d’vne bourse.
LA bourse que m’auez donnee
(Dame que sur toutes ie sers)
Est bien belle, & bien façonnee,
Bien bordee de velours pers :
5Mais à bien voir (car i’ay bons yeux)
Vn mal y a, dont trop ie perds,
Que ne fut pleine d’escus vieux.
[4]De Anne.
QVand me iouë a Anne, elle dit,
Or deportez vostre ieunesse :
Mais si par ieu n’ay credit,
Ne le puis ie auoir par largesse ?
5Largesse en est la grand proesse :
Largesse y vaut plus que sagesse.
Quand donc la vaincs par fonsement,
D’vn ieune homme rien que ieu n’est ce,
(Ce dit Anne) & par mon serment
10Il faut supporter sa ieunesse.
[5]La ieune dame se plaint de son
mary vieillard.
QVand souuent ie pry mon mary,
Il m’y respond, ie suis marry
Qu’il [f. 70 r]Qu’il faut que ie vous le refuse :
N’est ce pas vne belle excuse ?
[6]De la cheuelure de Catin, qui se mi-
roit en la
peignant.
AInsi comme Catin se mire
En peignant son beau chef doré,
Le soleil droit dessus vient luire,
Et a si beau chef adoré.
[7]Autre par contraire.
PAr vn matin Catin se mire,
En peignant son beau chef doré :
Mais le soleil ses rais retire,
De dueil qu’il a, & de grand ire,
5De voir vn chef si bien paré.
[8]Autre, d’vn amant malade par
trop aimer.
POur vn amant ressusciter,
Transi d’amours tant que c’est rage,
On luy vient dire, & rapporter
Qu’il prenne vn petit courage,
5Et qu’il l’aura en mariage :
Il se guerit : on la marie
A vn autre : saincte Marie
[f. 70 v]N’en perd il point l’entendement
Pour telle proye ainsi perie ?
10Non : mais deux fois meurt seulement.
[9] De Anne la belle.
ANne est si sage, bonne, & belle,
Que bien me veux mirer sur elle.
[10]
De Martin qui auoit gaigné le proces,
par lequel il plaidoit pour auoir femme.
MArtin plaidoit vne monture,
Son proces gaigna d’auenture :
Dessus monta vers la minuict,
Car c’estoit monture de nuict.
[11] A vne Dame.
SI vraye amour merite recompense,
Et si pitié n’a perdu son pouuoir,
Chef de beauté il faudra bien qu’on pense
De quelque ottroy gracieux me pouruoir :
5Car si pitié n’ouure tes yeux pour voir
L’estat auquel ie suis pour t’aimer seule,
L’amour en fin me sera vne meule
Pendue au col, me plongeant en la mer
De desespoir, ou sans fin ie me deule
De [f. 71 r]De tel aimer, trop plus que fiel amer.
[12]A Catin.
PRié t’auoye (amie) en amitié,
Que souppissions hier ton oye grasse :
Mais tu n’en mis au feu que la moitié :
Ne suis ie donc qu’à moitié en ta grace ?
[13]De Catin.
SOuuent ie veux baiser Catin,
Laquelle n’ose pour sa mere
Me baiser ne soir, ne matin,
Qui m’est chose dure & amere.
5
Vn iour la mere par mystere
Fut deceuë sans y viser,
Catin vint l’enfant appaiser,
Mais elle entend bien son Latin :
Lors ie fay semblant de baiser
10L’enfant, & ie baise Catin.
[14]De la femme & du nauire.
ENtre vne femme & vn nauire,
Il n’y a pas beaucoup à dire :
Car tous les deux (qui veut monter)
Ne sont faits sinon pour porter.
[15]A dame Ieanne.
I’Ay cogneu deux belles fillettes,
L’vne à Angers, & l’autre à Tours :
Toutes deux ieunes, gentes, nettes,
Et bien propres en leurs atours,
5Dignes de Royales amours :
Toutes deux portans le nom d’Anne,
Toutes deux blanches comme manne,
De cœurs gays, & de corps legers :
En ce different (dame Ieanne)
10L’vne est de Tours, l’autre est d’Angers.
[16]A Catin.
CAtin, ma gentile brunette,
Tu t’es faite saigner du bras :
Pour estre plus saine & plus nette,
Il te falloit seigner du bas.
[17]A vne dame, sur son departement.
TOn grief depart m’a departy,
Et ton depart te laisse entiere :
Car mon cœur s’est de moy party
Pour te suyuure à costé, ou arriere :
5Le seul corps demeure derriere.
Mais tu as ton cœur à toute heure,
Car auec moy point ne demeure.
O aua
EPIGRAMMES [f. 72 r]O auare qui as deux cœurs,
10Ren m’en l’vn, mais bien ie t’asseure
Si ie n’ay les deux, que ie meurs.
[18]Contre amour.
AMour fuy t’en au loin de moy,
Auec tous tes banquets & pompes,
Tu n’es que dueil, peine, & esmoy,
Et le meilleur en fin tu trompes.
[19]A Catin.
FUy t’en de moy, fuy t’en arriere :
Car ta beauté tant singuliere
Trop dangereux mal me pourchasse,
Si tu ne me fais quelque grace.
[20]D’amour, qui fait feu & eau.
IE m’esbahy qu’en eau ne suis fondu,
Que n’ay iamais les pauures iouës seches :
Plus m’esbahy qu’Amour ne m’a rendu
Tout conuerty en cendres, & flammeches,
5Aussi aisé comme petites meches.
Ie suis le Nil, & suis le mont Etna :
Etna pourtant qu’au monde tel feu n’a :
Le Nil, pourtant que ie fond tout en plaurs :
Feu, boy ces pleurs qu’Amour me resigna,
10Pleurs restraignez ce feu, & ces chaleurs.
[21]D’vne femme qui s’esbahissoit comment
elle estoit sterile.
A Vne dame de Bretaigne,
Doutant pourquoy ne conceuoit :
Ie respondy qu’elle resuoit
En presence de sa compaigne,
5Et que ne m’en esbahy point.
Lors elle en veut sauoir le poinct,
Que tost declairer ie ne daigne :
Mais quand en train ie fus entré,
Ie luy dy qu’elle estoit brehaigne,
10Et son mary estoit chastré.
[22]De Catin.
IE fuis trop plus viste qu’vn lieure
Deuant la face de Catin :
Car ny mon Grec, ny mon Latin
Me garderoyent de chaude fieure.
[23]A Catin.
SI tu es constante à m’aimer,
En mes œuures te feray viure,
Viure sans fin, sans consommer :
Telle recompense te liure :
5Ton nom sera de mort deliure,
Soit [f. 73 r]Soit par mes vers, soit par ma prose.
O que plusieurs (si leur bouche ose)
Diroyent, amy, i’en suis d’accord :
Car qui voudroit plus belle chose,
10Que viure encor apres la mort ?
[24]A deux Damoiselles qui eurent la fieure
l’vne apres l’autre.
VOus estes donc deux, ce me semble,
Damoiselles bonnes ensemble :
Car ce que l’vne va laissant,
L’autre le va tost embrassant :
5Mais ie pren vn cas qui se face,
C’est que l’vne & l’autre m’embrasse.
[25]A Damoiselle Bieure.
POur guerir damoiselle Bieure,
Droit en sa chambre me rendray,
Et seul la surprendray :
Ie luy feray perdre la fieure.
[26]A vne Damoiselle, qui se railloit de deux
Gentilshommes, qu’elle
appelloit ses
prisonniers.
MAdamoiselle est ce raison
De tenir les gens en prison,
K [f. 73 v]Autant de tours qu’onques feit puce
Sur vostre corps, où ie serois,
5De vous (croyez) me vengerois :
Sur vous n’auroit ne nerf ne veine
Que ie ne misse en grosse halaine.
Lors (moy qui n’ose vous toucher
En tout honneur) vous faisant peine,
10Ie viendrois auec vous coucher.
[27]Estreines.
VOstre beauté est si extreme,
Que ie ne puis l’estrener, si
Ce n’estoit que fusse moy mesme
L’estreneur, & l’estreine aussi.
[28]Le propos de deux dames.
VNe dame qui d’amours tient
Demande à l’autre ayant du bien,
Comment son mary l’entretient :
Qui luy respond froidement, bien
5(Dit elle) il ne m’y fait rien,
Par mon serment le bon corps d’homme :
L’autre respond rondement (comme
Il s’ensuit, mais ce fut en prose)
Mieux vaudroit qu’il ne fust en somme
10Si bon, & vous fist quelque chose.
[f. 74 v]
[f. 75 r]
[29]A la dame sans mercy.
IE te fay tant de grace auoir,
Que i’aime mieux cent fois te voir,
Que ie ne fay mon propre cœur.
Penses tu que ie sois mocqueur ?
[30]D’vn Paysant.
VN Paysant de la Champagne,
Ayant vne vachere belle,
Si fort l’aima, que sa compagne
La veut faire, & monter sur elle.
5Son occasion estoit telle,
Que sa femme estoit accouchee :
La garse non effarouchee,
Le remet loin, vn veau luy baille,
Pour l’uoir auec luy couchee :
10S’elle eus testé par luy touchee,
Deux en eust eu, diuers de taille.
[31]De son amie trop froide, & de l’hyuer
trop peu froid.
VOus estonnez vous si l’hyuer
Ne se peut au monde trouuer ?
Au monde ne se trouue mie,
Il se tient au cœur de m’amie.
[32]Autre.
QVi l’hyuer voudra recouurer,
En Ianuier ne le peut trouuer :
En Ianuier ne le quiers mie,
Mais le quiere au cœur de m’amie.
[33]A vne dame Lyonnoise.
CE liure que ie vous enuoye
N’est à la cour moins estimé,
Qye celuy qui se met en voye
Est de vostre cœur bien aimé :
5Le liure est Amadis nommé,
Qui fut preux aux amours, & armes :
Aussi vostre cœur bien armé,
N’est sans amours, ny sans alarmes.
[34]A vn amy.
CE mois de May mal gracieux,
Tant plein de vent, & de grand pluye,
Ce mois de May tant pluuieux,
Qui les oiseaux, & gens ennuye,
5Rendant la saison endormie,
Sais tu qu’il fait ? c’est chose aperte,
Qu’il va plorant de mon amie
Auec moy, l’absence, & la perte.
[35]De Catin, à vn amy.
BOn amy quand ton œil verra
Dames sans grace, & sans beauté,
Dy hardiment, Catin leur a
Tout derobé, & tout osté.
[36]A vne Dame.
NE nuict, ne iour ne sommeille,
Amour me fait en vous penser :
Mon cœur malade tousiours veille,
Vueillez le traitter & penser.
[37]A maistre Anthoine du Moulin.
QVel plaisir selon nature est ce,
Qui apporte plus grand liesse,
Qu’auoir continuellement
La dame à son commandement ?
5Que d’estre tousiours autour d’elle,
Parlant de l’œuure naturelle ?
Que deuiser de son amour,
Et la baiser cent fois le iour ?
O qu’il est heureux, & bien aise,
10Qui sans cesser deuise, & baise ?
Qui mil baisers n’estime exces,
Fuyant tout ennuy, tout proces,
K 4 [f. 76 v]Fuyant toute humaine folie,
Qui engendre melancolie :
15Recommençant cent fois & mieux,
Tout on despit des enuieux :
En demenant heureuse vie,
Mal gré male bouche & enuie :
Mesprisant tous honneurs & biens,
20Fors ceux que l’amour donne aux siens.
O derechef, ô vie heureuse,
Seule vie, vie amoureuse !
O derechef qu’il est heureux,
Qui en ce poinct est amoureux !
25
Ie laisse courir benefices :
Ie quitte ma part des offices,
Ie desprise l’argent & l’or,
Pour iouyr de si grand tresor.
Ie dy plus : ie mesprise mesme,
30Sceptre, couronne, diadesme
Du grand Iuppiter immortel,
Si en amour puis estre tel.
Quel plaisir selon nature est ce,
Qui apporte plus grande liesse,
35Qu’auoir continuellement
La dame à son commandement ?
[38] De Anne.
PEtit ennuy qui est mal sade,
Tout soudain rend Anne malade :
puis [f. 77 r]Puis tost quelque mouche soudaine
Vous rend Anne bien gaye & saine.
5Tantost au lict, ou en la chambre,
La verrez vaine de tout membre :
Tantost en boutique, ou en rue,
La verrez saine, gaye, & drue :
Tantost crier, tantost besler,
10Tantost venir, tantost aller,
Tantost pleurer, & tantost rire,
Tantost iaser, & tantost lire.
Tantost aller aux champs s’esbatre,
Faisant le folle plus que quatre :
15Tantost d’estomach flegmatique :
Tantost de teste fantastique :
Tantost crier le costé dextre :
Helas allez querir le Prestre,
Tantost blesme, & tantost vermeille.
20
Brief, c’est la femme nompareille,
Qui se maintient de telle sorte :
Tantost est viue, & tantost morte.
Mais le prouerbe accomplit elle,
Lequel dit que la femme est telle,
25Femme se plaint, femme se deult,
Femme est malade quand elle veut :
Elle a iuré saincte Marie,
Quand elle veut elle est guerie.
O donques, Anne, par ce poinct
30De toy ne m’esbahy point.
[39]A dame Thomasse.
DAme & bonne amie Thomasse,
On dit que tu es toute hommasse,
Et que ie suis tout femenin,
Ie te pry donc de cœur benin
5Trouue toy quelque part seulette,
Tu sauras si ie suis fillette :
Lors par mesme moyen en somme
Ie sauray bien si tu es homme.
[40] Au Lecteur.
LEs Epigrammes ont licence
Et de poindre, & de chatouiller.
Et pourtant l’ignorant ne pense
De me venir cy barbouiller,
5Que trop mes vers ie viens souiller,
Et que i’offense les oreilles.
O langage, en vain tu trauailles :
L’Epigramme est mal accoustré,
S’il ne poingt : mais voicy lerueilles,
10Qui vid onc Priapus chastré ?
[41]A vne Dame.
TV me fais bien mourir en languissant,
Dame pour qui ie souffre tant de peine.
Car faux rapport, qui va affoiblissant
Mon pauure cœur, m’a trop mis en ta haine.
Mais [f. 78 r]Mais s’il te plait ces iours en bonne estreine
Donner congé de parler à ma bouche,
Et ne sois plus si estrange, & farouche,
Lors cognoistras qu’enuers toy n’ay mespris
Et que t’amour si viuement me touche,
10Que suis tousiours ton prisonnier bien pris.
[42] Estreines.
CHef de beauté, que Dieu fit estre né
Pour recreer mes sens, & mes esprits :
Si n’as esté de par moy estrené
Iusqu’à ce iour, ne me mets à despris,
5My mon present qui est de petit prix,
Vers la splendeur de la fleur de ton aage,
Mais toutesfois il vient de bon courage,
Et le bon cœur fait le present valoir,
Auec lequel ie me donne en ostage
10A ta puissance, & à ton haut vouloir.
[43]D’vne damoiselle, & d’vn glorieux qui
l’auoit en gouuernement.
IE m’esbahy, madamoiselle,
Que tu te souffres tant garder,
Que ny au iour, n’a la chandele
L’on ne t’ose pas regarder.
5
Or si diray ie, sans bourder,
Que tu n’es point Yo, qu’il faille
[f. 78 v]Que Iuno à garder te baille
A Argus, garny de cent yeux.
Mais ton Argus est de sa taille,
10Car il est assez glorieux.
[44]D’vne fille de Tours.
POur ma petite Tourangelle,
Tant gracieuse honneste, & belle,
Souuent i’endure froid, & chaud :
Ie vay, ie vien, & ne me chaut
5Que ie despende par la voye,
Tant seulement mais que la voye.
[45]De Catin.
CAtin se plaint, Catin se deult,
Qu’elle ne voit tous mes escrits,
Et dit, ie veux que me les liures.
Puis quand i’enten ses plaints, & cris,
5Ie suis content s’elle me veut
Donner ses leures pour mes liures.
[46]D’vn mercerot.
VN mercerot troussant ses hardes,
Se mit au doigt quelques eschardes,
Puis dit, lors qu’il s’en trouuoit mal,
Petite chose fait grand mal :
5Sa femme respond, aussi bien
Petite chose fait grand bien.
[47]A vne Damoiselle.
IE sen en moy regner dame Discorde,
Et c’est par toy, & si tu n’en peux mais,
Amour qui est, contre crainte discorde,
Crainte me serre, Amour vainc desormais,
5Et a juré qu’il vaincra à iamais.
Puis que de toy ce different procede,
Donne conseil, faueur, aide, & remede,
Iugeant ainsi que le requiert le droit,
Ne te mesprens, car seule es qui possede
10Tout le moyen de la cause orendroit.
[48]A vne Dame.
L’Oeil m’a nauré, l’œil ne me peut guerir,
Malde suis, l’œil n’est pas ma santé,
Oeil, si tu veux me rendre contenté,
Soudain te faut le vray contant querir.
[49]Autre.
NAuré m’auez, vous me pouuez guerir,
Malde suis, & ma santé vous estes,
Excusez moy car vos maintiens honnestes
M’ont enhardy le remde querir.
[50]Autre.
OEil respõ moy, pourquoy m’as tu nauré ?
Langue, pourquoy as tu mõ cœur rauy ?
O mon las cœur, si tu n’es assouuy,
[f. 79 v]Iamais pour vray ma liberté n’auray.
[51]D’Amour.
AMour gouuerne la personne,
Amour au cœur la ioye donne,
Amour presente tout seruice,
Et n’y a rien qu’Amour ne puisse.
5
Amour bien haut entreprendra,
Amour à son honneur viendra.
Amour nous dompte, Amour nous change :
Mais n’est ce point vn cas estrange ?
On dit qu’Amour n’est qu’vn enfant,
10Ie le trouue vn Dieu triomphant.
[52]A M. F. L’Archer, huictain touchant
ceux qui composent en stile graue,
hau
tain, & obscur.
CE stile haut, de Poësie obscure,
Ces vers qui sont si graues & pesans,
Ces vers enflez, dont aucuns prennent cure,
S’on les admire & pompeux, & luisans,
5Ce temps pendant ils ont peu de lisans,
La raison est pour l’obscure hautesse.
Qu’on les admire & ent, & six vingts ans,
Les miens on lise auec leur petitesse.
Hante le François.
[Figure]
A LYON,
Imprimé par Pierre Roussin.
1572.