SOMMAIRE
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La Fontaine d'Amour
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Elegies
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1
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3
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16
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18
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19
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20
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21
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22
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Epistres
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1
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2
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3
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4
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5
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6
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7
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8
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9
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10
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12
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13
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14
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15
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16
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17
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18
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19
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Epigrammes
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1
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2
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3
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4
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5
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6
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7
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18
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19
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20
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22
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28
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30
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33
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98
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Deux livres d'épigrammes
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1
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- 1 ✦
- 2 ✦
- 3 ✦
- 4 ✦
- 5 ✦
- 6 ✦
- 7 ✦
- 8 ✦
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- 71

la
FONTAI-
NE
D’A-
movr,
*
Contenant Elegies, Epistres, &
Epigrammes.
A LYON,
Par Iean de Tournes.
1545.

L[’]AVTHEVR AVX
dames.
Gardez vous de toucher ce Liure,
Mes Dames, il parle d[’]amours :
C[’]est aux Hommes que ie le liure,
Que l[’]on tient plus constans tousiours.
Laissez le aller vers eulx son cours :
A eulx, & non à vous est deu.
Mais vous le lirez nuictz et iours,
Puis que ie vous l[’]ay deffendu.
AUX MEDISANS.
Faulx enuieulx, meschans railleurs,
Cerueaux tous creuz, & esuentez,
Qui de rien ne vous contentez,
N[’]arrestez cy, marchez ailleurs.
[p. 3]

A TRESHAVLT,
ET TRESFLORISSANT
PRINCE, MONSEIGNEUR
LE DUC D’OR-
LEANS ,
*
CHARLES FONTAINE
HUMBLE SALVT.
[fleuron]
L
[’]ON voit par commune
obserua
tion (Prince tresnoble, &
treshu
main) que les Autheurs de
quel-
ques œuures, apres labeur &
tra
uail de leur esprit, quierent
quel-
que grand personnage de nom,
& d[’]authorité à qui les presenter : pour trouuer en fin
soulas & support, à fin qu[’]ilz ne soient tousiours en
perpetuelle peine, misere, & poureté, que les lettres
apportent à la plusgrand part de ceulx qui les
pour-
suyuent. Ou pour l[’]honneur & gloire : à fin que soubz
couleur, & faueur de quelque grand nom, & tiltre,
leurs œuures en soient mieulx recueillies, & illustrees
à perpetuelle memoire. Mais moy ny pour l’une ny
pour l[’]autre de ces raisons principalement, ie vous
viens offrir le present recueil. Combien que toutes

deux me feroient bien besoing, à cause de ma grande
petitesse soit d[’]esprit, soit de biens. La principale
cau-
se qui m[’]a enhardi, & induit à vous faire le petit
present, ha esté pour donner recreation à vostre noble
& gracieux esprit. La noblesse, & vertu duquel ne
pourroit estre suffisamment exprimees, ne poursuyuie
d[’]un si bas style que le mien, attendu le grand renom
de vostre humanité tresgrande, & singuliere amour
des lettres : lequel n[’]est sans le faict comme (moy
indi-
gne) ay congneu par experience, quand par plusieurs
fois de vostre grace & benignité naturelle m[’]auez
faict recueil à Paris, lieu de ma naissance, ou vous ay
premierement presenté quelque chant de ma petite
Muse, que auez si bien pris, que apres en avoir eu la
lecture l[’]enuoyastes à madame Mauguerite [sic pour Marguerite] vostre
tresnoble & tresvertueuse sœur, comme monsieur
Maynus, homme certes non moins comblé de science
que de bonté & humanité, m[’]a recité : qui en fut
luy-
mesme le porteur, & lecteur par vostre
commande-
ment : & ce faict, commandastes de vostre
liberali-
té que me fust deliuré quelque present.
Or est il
(pour rentrer à mon propos) que ie sçay, & ay
aucu-
nement experimenté que ce monde est remply de
fas-
cheries, & d[’]affaires : & que mesmemẽt la Court est
tousiours pleine d[’]importunitez : en quoy conuient,
tant aux grans que aux petis, que l[’]esprit travaille.

Parquoy est de besoing pour le recreer & resiouyr,
vser de quelque passetemps & repos honneste.
Com-
me dit bien la dame Phedra en son Epistre, Que toute
chose qui ne prend repos & recreation par
interual-
le, n[’]est point de duree. Dont aduient que les aucuns
eslisent, et s[’]adõnent aux ieux de cartes, des eschetz,
& de tables : desquelz passetemps apres le temps
consumé on ne peult (au mieulx) remporter que
l[’] hon-
neur, ou l[’]argent. Mais de la recreation et passetemps
des lettres (qui n[’]est iamais sans honneur) on en
rem-
porte tousiours (sans doubte de rien perdre) quelque
fruict de la lecture qui donne ioye, & liesse à l[’]esprit,
soit par moyen de quelque inuention, ou allegation de
fables, ou hystoires qui rentrent bien au propos.
Voyla donc la cause (Duc tresnoble & de grand
espoir) pour laquelle i[’]ay pris la hardiesse de vous
of-
frir ce present petit liuret, contenant aucuns esbatz
& passetemps de ma petite Muse en sa ieunesse.
Mais si quelques gens d[’]esprit Stoiques, & de
iuge-
ment trop seueres, me veulent reprendre de mettre en
lumiere ces petites choses ioyeuses, traictãs d[’]amours,
ie leur puis respondre que ie ne suis seul, ny le
pre-
mier. Car les Anciens, & Modernes, tant Françoys
que Latins, l[’]ont bien faict sans aucune reprehension,
ains auec fruict, & honneur. Außi ne doibt on pas
legerement iuger de la personne qui escript telles cho-

ses d[’]amour, ioyeuses & recreatiues, plus que
vicieu-
ses : principalement d[’]un Poëte, en l[’]esprit duquel y ha
tousiours je ne sçay quoy de gayeté naturelle, sans
la-
quelle (i’ose dire) ne se peult appeller Poëte. Et de la
vient que anciennement les Poëtes ont fainct, &
in-
uenté plusieurs choses plaisantes, pour auoir matiere,
& occasion d[’]escrire, comme des Nymphes des boys,
des Fleurs, des Fleuues, des neuf Muses qui
s[’] entre-
tiennent par la main, & dansent sur la verdure. Du
mont Helicon, & de Pernasus : de Apollo, qui ioue
de la harpe : de Bacchus, tousiours jeune & ioyeux :
de Venus, de Cupido, de Pan, des Faunes & Satyres,
qui ont auec eulx quelques voluptez & lasciuitez
non à despriser en poësie. Catulle escriuoit ainsi à
Aurelius, & Furius,
qui l[’]accusoient
d[’]impudicité,
pour raison de ses vers lascifz.
Que i[’]ay tra-Nam castum decet esse pium poëtam
Ipsum, uersiculos nihil necesse est :
Qui tum deniq; habent salem, ac leporem,
Si sunt molliculi, ac parum pudici :
Et quod pruriat incitare possunt.
duictz en ceste sorte,
Il fault que soit bon le Poëte
Pudique, & d[’]affection nette :
Mais de ses vers n[’]est ia besoing.
Qui mesmement plus en sont loing,
Tant plus ont de saueur, & grace,
Quand [p. 7]AV DVC D’ORLEANS. 7
Quand on les sent comme à la trace,
Doulx, chatouilleux, & impudiques :
Non point seueres, & pudiques.
Ovide ha ainsi escript parlant de soymesmes :
Que i[’]ayCrede mihi mores distant à carmine nostro :
Vita verecunda est, Musa jocosa mihi.
traduict,
Entre mes mœurs, & le mien metre
Grand difference l[’]on peult mettre :
Ma vie est honneste, & honteuse :
Mais ma Muse est un peu ioyeuse.
Außi
pa-
reillement Martial,
queInnocuos censura potest permittere lusus :
Lasciva est nobis pagina, vita proba est.
i[’]ay traduict,
Rigueur peult bien ioyeux esbatz permettre :
Ma vie est bonne, impudique est mon metre.
L[’]empereur Adrian ha ainsi orné le Tombeau du
Poëte
Voconius :
que i[’]ay tra-Lasciuus versu, mente pudicus eras.
duict,
En vers tu estois impudique :
Mais chaste en cueur, & bien pudique.
Ie n[’]ay ces choses alleguees pour me iustifier, &
ren-
dre innocent : car quand bien seroit que
i[’]auroye
con-
ioinct l[’]experience auec l[’]escriture, ce ne seroit
nou-
ueaulté, ne cas si reprehensible. Il est tout seur que
Ti-
a 4
bulle
[p. 8]
8
EPIST. AV DVC D’ORLEANS.
bulle poëte beau de corps, & sçauant d[’]esprit, eut pour
amye
Nemesis : Properce,
Cynthia : qui par fois luy
ay-
doit à parfaire ses vers, tant estoit sçauante. Comme
außi la
Corinne, à Ovide :
Lesbia, à Catulle. Mais ie
voy que ce Proëme est ia paruenu à iuste longueur, &
que l[’]œuvre n[’]est telle qu’elle requiere long propos ny
ostentation : & außi ie crains que pour estre plus long,
i[’]occupasse trop vostre haultesse, laquelle veuil, &
doy aduertir, & prier d[’]excuser avec ma hardiesse,
les choses imparfaictes que i[’]ay escrites en ma grande
ieunesse, qui n[’]est pas, & ne peult estre communement
conioincte avec prudence, & iugement, enfans de
vsage, & de memoire. Et si je sens que la basse
vei-
ne de ma Fontaine en ce sien premier ruissel,
soit bien receue : vostre cueur noble ne
doibt doubter qu’elle fera son
de-
uoir par cy apres, de vous
envoyer autres
ruys-
seaux coulans
auec eau
plus
abondante,
& plus fructueuse.

LA
FONTAI-
NE
D’A-
MOVR.
[fleuron]
ELEGIES.
[1] la i. elegie.
B
ELLE de face, & gente de
corsage,
Et de maintien bien gratieuse,
& sage :
Depuis le iour que vey ton blanc
tetin,
Par l[’]entrebail d[’]un collet de satin,
5Quand nous estions semons de nopce ensemble,
Le plus du temps de iour, de nuict, me semble
Qu[’]en grand deduict tout dueil nous effaçons :
Et que te voy en toutes les façons
Comme ie t[’]ay esdicte nopces veuë.
10Maint souuenir te presente à ma veuë.
Ie te voy cy en dansant maintenant,
A qui ie suis la blanche main tenant.
Par qui i[’]entends en bransle, en bassedanse,
a 5 Si [p. 10]
Si iustement que rien plus, la cadence.
15Tu vas si bien par mesure, & compas
Que quand tu fais, & compasses tes pas,
Ton corps, tes piedz, tes mains vont si bien d’ordre
Que menestrier n[’]y sçauroit par rien mordre.
Certainement bien souuent m[’]est aduis
20Que deuant moy tu es tout uis à uis,
Et que le bransle auecques toy ie meine,
Te contemplant mieulx que de la sepmaine
Depuis le hault iusqu[’]en bas, puis souuent
Pour te donner au bas vn peu de vent
25Leue du pied ta cotte bien doublee,
Sans que la danse en soit en rien troublee.
Tu m[’]en croiras, en tous endroitz, & lieux
Mille pensees viennent deuvant mes yeulx,
Lesquelz seroit impoßible d’escrire.
30Comment pourroye en ce papier descrire
Qu[’]a la lueur de sept, ou huict flambeaux
Voy tes tetins qui m[’]y semblent tant beaux ?
Ton nez longuet, tes ioues vermeillettes,
Ton beau tainct fraiz plus que n[’]ont les fillettes ?
35Ton large front, & ton col cristallin,
Außi le bort des leures courllin ?
Tes yeulx rians conduictz de telle forme
Que tu n[’]as rien sur toy qui te difforme ?
Comment außi mettroye en prose, ou vers
Que [p. 11]
Que ie te voy les yeulx demy ouuers
Tourner uers moy, sans aucun semblant faire :
Qui m[’]y sembloient parler de quelque affaire,
A cil qui est de franc cueur escriuant,
Soubz grand espoir d[’]estre bien arriuant.
45Pourroye dire, ou bien monstrer par signe
Tous les maintiens que mon Esprit t’aßigne ?
Comment ie te oy si sagement parler,
Que quand ta uoix est semee par l[’]air,
Mon cueur te dit auoir telle faconde,
50Qu[’]au monde n[’]as premiere ne seconde.
Tu as le cueur si prompt, ioyeulx, & gay,
Que pour danser Pauanne, ou bransle gay
Oncques n[’]en vey vne de tel courage
S[’]en acquiter, sans perdre maintien sage.
55Mesure tiens, auec ce, le corps droit,
L[’]affecion y est mise orendroit,
La grace y est, grace tant singuliere,
Qui me contraint dire qu’es la premiere,
En tant de biens, dont tu as bien assez.
60En mon Esprit ces propos tant pressez
Sont nuict & iour, dix mille fantasies
Les lieux secretz, & places ont saisies
De mon cerueau, si que ne puis penser
Sinon que tu me uueilles dispenser
D’elles [p. 12]
D’elles l[’]effect : à qui si ie plais en ce,
Fay que bien tost recouure ta presence.
[2] la ii. elegie.
Si ton œil vif, & de telle poincture
Qu[’]il perse cueurs tant que son regard dure,
Si l[’]esprit grand qui tous tes faictz regist
Si la beauté (Dame) qui en toy gist
5Ne mentent point, tu es de doulceur plaine
Comme de fruictz en saison une plaine.
Si autrement (ce que croire ne puis)
Apres auoir repeu mes yeulx seduitz,
Ne veulx le cueur pareillement repaistre,
10Mieux me vaudoit, mieux cẽt fois sans yeux estre.
Et s[’]ainsi est que ferme en rigueur sois,
Responds, pourquoy mon cueur si fort blessois ?
S[’]il n[’]a en toy support ny soustenance,
Que dit ton œil, que dit ta contenance ?
15Que tu n’es rien qu’vne tentation
Dont la fin n[’]est que desolation.
Que n’es sinon qu[’]vn arbre de plaisance
Portant vn fruict amer de desplaisance.
Mais quand le feu couuert de ce beau tainct,
20Iusques au cueur les regardans attaint,
Incontinent on iuge que la flamme
Te monstre auoir vn courage de femme,
Tel [p. 13]
Tel que ie quiers. Et pource amye entends
Que si tu veulx trouuer le lieu & temps
25Dire ne peulx que trouuer ne le puisses,
L[’]on sçait assez qu’as tous moyens propices
Le lieu & temps furent le grand moyen
Qui assembla Heleine, & le Troyen :
Le lieu & temps außi moyen sera,
30Qui, s[’]il te plait, nous deux assemblera.
Si ie voulois ta liberté toucher,
Qui en ce cas est vn bien le plus cher :
Si declarois de quelques gens l[’]affaire,
Tu ne deurois craindre de cela faire.
35Si ialleguois le lieu propice tant,
Le lieu bien beau, & spacieux autant,
Si en auant mettois le voysinage,
Ne te tiendroit la crainte en son seruage :
Mais tout cela tu sçais trop mieulx que moy.
40Reiette donc si tu as quelque esmoy,
Et ie ne croy qu’ayes crainte si grande,
Que par long temps te gouuerne, & commande
L[’]on dit que crainte est vne paßion,
Qui tost subiette est à mutation.
45Qui craint ce iour, sera demain bien ferme.
Mais que me sert de faire long proces,
Pour enuers toy auoir meilleur acces ?
Ce [p. 14]
Ce n[’]est mon faict, ce n[’]est point ma coustume :
Donne congé si tu veulx à ma plume,
50Amour de femme oncques ne m[’]a tenté
De la poursuiure oultre sa voulenté :
Car ce seroit manière de contraincte.
Mais puis que n[’]as l[’]affection estaincte,
Non sans cause est que pourchasse tant d’heur.
55Peu parler fault à vn bon entendeur.
[3] la iii. elegie.
EN reduisant en memoire ta grace,
Ton beau maintien, & ta luisante face,
Ie me suis mis à te faire lescrit
Que plus le cueur que la plume tescrit.
5Tu le verras, mais en le voyant garde
Que homme viuant ne le voye, ou regarde,
Soit familier, soit sage, ou indiscret :
Non pas pourtant qu[’]il y ait grand secret :
Mais valent mieulx les choses tousiours seures,
10Auec esgard de temps, de lieux, & dheures.
Car tel souuent se monstre familier,
Qui dit des maulx en derriere vn milier.
Te souuient il doncques de la iournee
Que te trouuay richement atournee ?
15Cest vn des heurs plus grand quonques m’aduint.
Il y en eut des Dames plus de vingt
De [p. 15]
De grand beaulté, contenance, & sagesse,
Dont le regard faisoit vers moy adresse,
Qui comme toy ne naurerent mon cueur.
20Estre ne peult de toy seule vainqueur.
Ie te voyois auec elles aßise,
Si bien parler dune façon raßise.
Ie te voyois (i[’]en ay bien souuenance)
Rire, & parler en bonne contenance.
25Et quand quelcun deuers toy sadressoit,
Tant sagement le tien corps se dressoit
Le receuant dune façon humaine,
A celle fin que danser il te meine.
En quoy faisant n’es semblable à beaucoup,
30Qui lourdement se leuent tout à coup.
N’a celles là apres qui les gens musent,
Ou par orgueil les laissent, & refusent.
A mon vouloir que telles on laissast
Tousiours cropir, de peur quon les blessast.
35Tu sçais si bien en bransle, en bassedanse,
Comment le pied, & comment le corps danse,
Qu[’]on te tenoit de la danse le chief,
Soit à baisser, ou à faire relief.
En tel estat te contemplois adoncques,
40Plus amplement certes que ne feis oncques.
Il ne suffit seulement de sçauoir
Quel au parler maintien on peult auoir :
Mais [p. 16]
Mais au danser cueur de femme s[’]espreuue :
Là le maintien, & la grace se preuue.
45Là on voit bien qui se tient sagement :
Là vn chascun peult donner iugement.
Tantost apres deuers toy ie m[’]adresse.
Lors en doulx œil d[’]amoureuse caresse
Tu m[’]acceptas, sans delay, ne refus :
50Dont fort ioyeux dedans mon cueur ie fus.
Non pas doubtant que femme me refuse,
Ie la rendrois trop plus que moy confuse.
Mais que tant plus auois à toy desir :
En ta caresse auois plus de plaisir.
55Bien me souuient du beau lieu, ou nous fusmes,
Ou à l[’]entree vn si bon recueil eusmes,
Quand veismes l[’]huys vn peu entrebaillé,
Apres busquer, pouuoir nous est baillé
D[’]entrer dedans. O quelle grande chere
60Là on nous faict ! vn chascun mect enchere
A qui mieulx mieulx, suruiennent metz sur metz,
De te seruir sur tout ie m[’]entremetz :
Et quand ce vint à presenter l[’]yssue,
En veismes vn le ventre au feu qui sue.
65Apres les mectz partis deça, dela,
Chascun repeu, nous leuasmes de là,
Ayans bien veu les iardins, & mesnages.
Car vous sçauez que cueur amoureux nage
En [p. 17]
En nouueaultez. Mais partant de ce lieu,
70En mon chemin ie vous fey mon adieu
De bouche, & plus de cueur, & de bon zele,
Disant en moy ce ha esté de par elle
Qu[’]au plaisant auons esté traictez,
Et qu[’]on nous ha si bons mectz apprestez.
75Voyla comment feismes la departie.
Or ie voulant que tu sois aduertie
De mon vouloir, te fais mercis plus amples,
Que n[’]ont esté de bouche les exemples :
Et si veulx bien que saches que suis prest,
80En bon amy de faire mon aprest,
Pour te traicter en la sorte & manière,
Non que m[’]as faict en la chere derniere,
Mais que pourra le mien petit pouuoir,
Quand te plaira. Adieu iusque au reuoir.
[4] la iiii. elegie
Si tu congnois le trauail, & la peine
Dont est d[’]amours la sente toute pleine,
Si tu entends mes maulx aucunement,
Ton plaisir soit me dire absolument
5Ouy, ou non. Par response absolue,
Bien tost sera la question solue.
Le premier est gracieux saufconduict :
Le second est desdaigneux esconduict.
b Par [p. 18]
Par le premier on entend iouissance :
10Par le second rigoureuse puissance.
Ò quand ie voy ta face, & regard d[’]yeulx
Tant attrayant, courtois & gracieux,
Comme ne puis de t[’]amour me deffaire :
Außi voyant ta manière de faire,
15C[’]est que tousiours laisses le temps passer
Sans nul bon mot, ie me sens trespasser.
Ne declarant, soubz espoir qui domine,
L[’]aspre douleur qui sans fin mon cueur mine.
Tel bien souuent se monstre dru & sain,
20Qui n[’]a repos, sur lict, ne trauersain.
Donc si tu as, ou es la medecine,
Ton bon secours le nauvré medecine.
Sans plus tarder, dy ie le veulx : sinon
Incontinent dy sans car, ou sy, non.
25Car dequoy sert faire tant de menees ?
Tant de fatras, & tant de pourmenees ?
Tant deuiser, quand on ne vient au poinct ?
Tant requerir, quand on n[’]accorde point ?
Tant esperer, quand au bien on n[’]attouche ?
30Trop tire en vain qui onc au blanc ne touche.
L[’]on doit sçauoir plus de gré d[’]un plaisir
Faict sans seiour, que quand par desplaisir
D[’]attendre trop, il est force qu[’]on sente
Dueil, & soulcy, tant que l[’]amant consente
Mourir [p. 19]
Mourir soubdain, ou viure languissant.
Rends donc le cueur qu[’]as affoibly puissant.
Rends en santé celuy que tu affolles.
Rends au confus bonnes, seures parolles.
De proceder ne trauaille ma plume,
40Car vraye amour cueur d[’]amans plus allume
Que les escritz : & oultre, le mandeur
Sçait qu[’]il fault peu à vn bon entendeur.
[5] la v. elegie.
LA ou tu sçais, ie ne pris iamais aise,
Qui ne me fust destrempé en mesaise.
Car quel plaisir de pres voir, & toucher
Ce qu[’]on peult bien, mais qu[’]on n’ose attoucher
5Pour esprouuer par pinceau, & par poincte ?
Combien que soit la bague riche & coincte.
Certes ainsi que dit mon iugement,
Cela n[’]est point vn vray allegement,
Ioye, ou plaisir : mais plustost fascherie,
10Qui mesle peine en pensee marrie.
C[’]est seulement vn petit resiouyr,
Qui vient chasser plus oultre le iouyr.
C[’]est vn octroy qui l[’]esperant conforte :
C[’]est vn confort qui l[’]amant desconforte.
15C[’]est vn beau feu, qui ha double chaleur :
C[’]est vn bon sort tout bordé de malheur.
b 2 C’est [p. 20]
C[’]est vn accord, donné par bonne guise :
Vne seurté laquelle se desguise.
C[’]est vn sirop que le medecin donne,
20Pour alonger le mal de la personne.
C[’]est vn acces, à bien le calculer,
Qui faict d[’]autant qu[’]on est pres, reculer.
C[’]est vn vouloir dont l[’]effect est loingtain :
Vn asseurer, lequel est incertain.
25A brief parler ce me fut plaisir souef :
Mais tout cela n[’]estanche point ma soif.
Voyla que c[’]est, tu n[’]estois pas loingtaine :
Mais ie mourois de soif pres la Fontaine.
Dont ne le fault compter pour passedroit.
30La raison est, qu[’]on ne faict pas ce droit,
Qui est requis à bien esprouuer l[’]œuure.
Amye, or sus, par pitié ton cueur se œuuvre :
Luy seul peult tout faire bien prosperer,
Car c[’]est luy seul qui me faict esperer.
[6] la vi. elegie.
OMeschant sort, ô mauldicte fortune,
Qui pour auoir aymé ainsi fort vne,
M[’]as bien tenu l[’]espace de deux ans
Entre tes lacz tant durs, & mal plaisans !
5Car si par fois aduenoit qu’a la trasse
Trouuois ma dame, ou que la rencontrasse,
Subite [p. 21]
Subitement par ta meschanceté
Tu me venois tollir ma liberté :
Si que n[’]osois compter mon cas à elle,
10Ne luy donner à entendre mon zele.
Qui penseroit quel dueil ? quand à regret :
Adonc me fault tenir mon cas secret.
Plus voys auant, plus le zele augmente :
Tant plus il croist, tant plus il me tourmente.
15Car on sçait bien que trop ardant desir,
Sans reueler, nous faict en dueil gesir.
Plus voys auant, plus croist ma hardiesse :
Plus elle croist plus ie sens de lyesse :
Car elle faict que ie propose en moy
20Compter mon cas, & sans aucun esmoy.
Or il aduient que ie trouue ma Dame,
I[’]ay ce propos de luy chanter ma game.
Mais que fais tu, ô tresmalheureux sort !
Tu romps mon coup, car quand i[’]entre, elle sort.
25Voyla comment tu m[’]es tousiours contraire :
Et que de toy ne puis aucun bien traire.
Mais maulgré toy tant ie l[’]ayme, & la sers,
Ie la querray & par champs, & par villes,
Et feray tant par tous moyens habilles
30Que la verray : & si m[’]escoutera.
I’y parviendray, quoy qu[’]il me coustera.
b 3 la

[7] la vii. elegie.
SI par auoir sur toy ietté ma veuë,
Le plus du temps ton cueur dit, il m[’]a veuë,
De son costé le mien n[’]en dit pas moins :
Les coups de traict en sont les vrays tesmoings.
5I[’]entends de traict, que l[’]œil tira adoncques
Tout droict au cueur, außi bien qu[’]on vit oncques.
Mais s[’]il aduient qu[’]on ne puisse tirer
Le traict dehors. ô Dieu quel martyrer !
O quel tourment ! ô quelle fascherie !
10Car autrement ne peult estre guerie
La playe ainsi en cueur receuë. ô Dieux,
Mieulx ne vauldroit que l[’]hõme n[’]eust point d[’]yeulx ?
Que par iceulx en vn tel martyre estre,
Qui n[’]a relasche en la vie terrestre ?
15C[’]est bien menty, c[’]est bien menty de dire
(Car à present les ose tous desdire)
Que Cupido ha les deux yeulx bendez,
Si que iamais ne luy sont desbendez.
Et mesmement que les deux yeulx il bende,
20A toutes gens, lesquelz sont de sa bende.
Veu qu[’]il n[’]y ha ça bas plus cler voyans :
Ny plus au vif leur regard employans.
Ne voyent ilz sur Cheualier, ou Dame
Le moindre sy, qui face au corps diffame ?
25Ne voyent ilz, & n[’]ont ilz bien notez
Le [p. 23]
Le hault, le bas, le milieu, les costez ?
Ne voyent ilz tout soubdain, & à l[’]heure
De toutes gens le maintien, & alleure ?
Ne voyent ilz, mais ne nombrent ilz pas,
30Secretement tous les bons, & faulx pas ?
Ne voyent ilz s[’]il y a rien qui face
Quelque beaulté, au corps, ou en la face ?
Le nez, les dentz, les yeulz, & les sourcilz ?
Ne voyent ilz les pensers, & soulcis ?
35La ioye, ou dueil mesme que le cueur porte ?
Ilz voyent tout ainsi qu[’]il se comporte,
Et pour parler vrayement, & à poinct,
Plus cler voyans au monde n[’]y ha point.
Rien ne sçait donc, rien n[’]entend, & ne gouste,
40Celuy qui dit, Cupido ne voit goutte.
Quand en vn cueur (qui bien petit apert)
Tire si droit, que tousiours il y pert.
Pareillement quand ceulx qu[’]il naure ainsi,
Ont l[’]œil sur tout iusques au moindre sy.
[8] la viii. elegie.
Apres que i[’]ay par trois, ou quatre fois
(Sans auoir eu response toutesfois)
Escrit à vous de franc cueur, & bon zele,
Ie m[’]esbahy de vous madamoyselle.
5Que i[’]estimois, voyre entre toutes vne.
b 4 Mais [p. 24]
Mais qu[’]i ha il ? est ce quelque fortune,
Qui entremect d[’]escrire empeschement ?
Respondez moy, dictes le franchement.
Est-ce mespris, ou oubly ? ie ne pense,
10Et ne croy point qu[’]il y ait oubly en ce.
Car que vauldroit sa promesse auanser ?
Quand tout est dict ie ne sçay que penser.
Voyla comment tousiours doubteux demeure :
En attendant quelque escrit qui m’asseure :
15Lequel par trop est tardif à venir :
Ou ne l[’]ay peu encor veoir ne tenir,
Pour le seiour des porteurs, & grand pose.
Ie ne sçaurois que penser autre chose.
S[’]il n[’]est ainsi, voyez que fay deuoir :
20Non vous le vostre : encor vous offre à veoir
Presentement la mißiue presente,
Comme si fust ma personne presente.
La raison est, ce que ma plume escrit,
Le prent du cueur qui premier le descrit.
25Si donc en vous y eut de negligence,
Reparez là par bonne diligence.
Combien pourtant ie ne l[’]estime ainsi :
Mais que seroit plus tost quelque autre sy,
Que ie n[’]entends. Quand on ha faict promesse,
30Quelque grand cas suruient si elle cesse.
Car nous n[’]auons (ô cueur que i[’]ay tant cher)
Que [p. 25]
Que nostre foy, nous n[’]auons rien plus cher.
Par mes escritz vous pouuez bien congnoistre,
Ou que ie sois, que veulx de vous bien estre.
35Et sans cela, cecy ne vous mandois.
Car que vauldroit de trauailler mes doigtz ?
Pour estre brief, amour veult, & commande
Que me offre à vous, à qui me recommande.
[9] la ix. elegie.
PAr cest escrit (Dame) ie ne pretends
De m[’]accuser vers vous, qui en tout temps
M[’]auez trouué prest à vostre seruice :
Et trouuerez sans mespris, & sans vice.
5Ie ne pretends außi rentrer en grace,
Ayant commis vers vous crime, ou fallace.
Le seul penser de telle lascheté,
Crime seroit de lese maiesté.
Seulement donc ie veulx vous declarer,
10Et par ces vers escrire, & auerer
Comme à grand tort de legere façon,
L[’]on ha trop eu sur moy faulx souspeçon,
D[’]auoir robbé vn chien à celle Dame,
Que veulx seruir, & sans fin, & sans blasme.
15D[’]autant s[’]en fault qu[’]en faire, ou en penser,
Pour petit cas la voulusse offenser.
Ou est celuy, tant soit il inhumain,
b 5 Qui [p. 26]
Qui auansast sa maleureuse main,
Pour en rien nuyre à telle Dame honneste,
20Ou pour rober le chien qui luy faict feste ?
La Dame en soy est de beaulté tant pleine,
Que la maintien vne seconde Heleine.
Digne pour qui on souffrist mille allarmes :
Et Roys & Ducz missent la main aux armes.
25Elle ha außi auecques sa beaulté,
Conioinct amour, doulceur, & priuaulté :
Si gracieuse, & de si bon accueil,
Que mon grand bien seroit son riant œil.
Et ma perspnne estimois bien heureuse,
30Quand me disoit en parolle amoureuse
Bon iour, bon soir. ô la bouche mignonne,
Ò œil friant, qui vie au cueur me donne.
Veu donc l[’]accueil que m[’]a faict, & l[’]honneur,
Serois ie pas trop plein de deshonneur,
35De la vouloir par mon crime estranger,
Luy faisant pis qu’un barbare estranger ?
Luy tollissant ce que tant cher elle ha :
Le petit chien qui l’a tousiours suyuie :
Qui la congnoist mieulx que Agrus Vlysses :
40Et la perdant n[’]a iamais les yeulx secz.
Le petit chien qui en son iappement,
Chante [p. 27]
Chante encor plus que Graucis doulcement.
Digne d[’]auoir (tant il est beau, & sage)
De Publius la chienne en mariage.
45Le petit chien d[’]amour tant bonne & pure,
Digne d[’]auoir apres mort sepulture,
Auec la chienne (helas) de Atalenta,
Que le sanglier trop cruel adenta,
Digne d[’]auoir sa deploration,
50Et sa louange, & decoration,
Auec l[’]oyseau de l[’]amye à Catulle :
Et perroquet que Ouide y accumule.
Mais que me vault purger de tel meffaict,
Veu qu[’]on sçait bien que ne l[’]ay iamais faict ?
55Si ie l[’]ay faict, & commis telle offense,
Ie soys mengé des chiens pour recompense :
Deschiquetans tous mes membres menus,
Or congnoist on par euidente yssue,
60Qu[’]on ha sur moy opinion conceue.
A bien grand tort, & par trop faulsement.
Vous le sçauez (Dame) premierement.
Dame du cas, à qui la chose touche.
Dame du chien qui leche vostre bouche.
65Que pleust à Dieu que ie disse außi bien,
Dame de moy, comme Dame de chien.
Vous l’auez donc recouuré Dieu mercy :
Le [p. 28]
Le chien est vostre, & ie le suis außi :
Voire le suis, encor que ne vouliez,
70Et qu[’]en rigueur tout au contraire alliez.
Vostre ie suis à vous faire plaisir,
Mieulx que le chien qu[’]auec vous voy gesir.
[10] la x. elegie.
Belle pour qui à tort suis accusé,
Et toutesfois de nul suis excusé,
Fors de celuy qui seul congnoist les cueurs :
Ne voy tu point ie ne sçay quelz mocqueurs
5(Car autrement ie ne les puis nommer)
Qui ton amant me viennent surnommer ?
Par vn seul mot donnans à nous deux blasme,
Qui mest bien grief pour toy honneste Dame.
Dea si i[’]estois vn mignon perruquet,
10Plein de babil, & d[’]amoureux caquet,
On pourroit dire vn mot à l[’]auanture :
Mais gens qui sont d[’]une telle nature
Que sur autruy vont broquardant tousiours,
Et cintrouuant sur luy des meschans tours
15Qui ne sont pas, & n[’]ont esté iamais,
Sont bien meschans. O bailleurs d[’]entremetz,
Qui n[’]espargnez ne voysin ne voysine,
Deussiez vous point estre gens de cuysine
Pour bien larder ? O langue mesdisante
Qui [p. 29]
Qui puis à l[’]un, puis à l[’]autre es nuysante,
Refrene toy. O voix qui soubdain vole,
Qu[’]as tu mesdit ! O parler trop frivole,
Qu[’]as tu semé ! soit imposé silence :
N[’]entreprens plus sur dame d[’]excellence
25De qui les faictz sont si bien compassez,
Comme tu feis ces iours prochains passez
Dont le cueur nect nul mal onc n[’]y pensa.
Si celle là par qui recompense ha
Cil qu[’]on accuse à grand tort & sans cause,
30Dame Raison, auoit ouy la cause
Par Verité nostre bonne aduocate,
Retireroit soubdain sa faulse patte,
Fol Iugement, L[’]aduocat aduersaire,
Ou plainement seroit trouué faulsaire.
35Ie vous pry donc entre vous mesdisans,
Que n[’]allez plus ne si, ne mais disans
De ceulx qui n[’]ont merité deshonneur :
Car en la fin n[’]y auriez point d[’]honneur.
Et quant à toy, Dame, à qui ie rescriptz,
40Ne crains en rien tous leurs blasons, & criz :
Quand les orras ie croy que viendras dire,
Vertu enfin vaincra vostre mesdire.
[11] la xi. elegie.
Pour resiouir mon cueur qui est tout tien,
Tu m[’]as escript en disant Amy, tien,
Tout [p. 30]
Tout est à toy, & ton commandement.
Mais quand on voit que ce qu[’]on mandement,
5Et qu[’]il n[’]aduient ce que l[’]escript portoit :
Doubter on peult que mauluais rapport oyt
Le cueur qui tant s[’]estoit monstré humain.
Te souuient il que quand ta blanche main
Fainctement mis dedans la mienne dextre,
10Dessus ta foy iuras, & promis d[’]estre
Tousiours loyalle amye deuers moy.
Maintenant donc pourquoy romps tu ta foy ?
Ah Cupido certes tresmal me prent
Que tu ne voys, car souuent on mesprent
15Par ton bandeau enuironnant ta teste.
Et celle là qui monstroit cueur honneste,
Craindroit ton œil quand me dit en apert
Qu’elle m[’]aymoit, mentant comme il appert,
Et si seroit punie grieuement,
20En tant que trop elle me griefue, & ment.
Helas, helas quel desplaisir ie gouste,
O Cupido, pourtant que ne voys goutte.
Que ne voys tu (respondz filz de Venus)
Les maulx ou sont maintz Amans deuenus ?
25O moy heureux, si le moyen sçauoye,
O moy ioyeux, si le pouuoir auoye
De deslier de tes yeulx le bandeau,
Ie t[’]enuoyrois quelque epistre, ou rondeau
Pour [p. 31]
Pour te informer de son mauluais affaire.
30Instruy moy donc qu[’]il me conuiendra faire.
Car ie languis en cueur, & Esprit,
Comme vn poisson qui languit, & perit,
Quand il perd l[’]eau, en laquelle il viuoit.
Quiconque soit qui en l[’]estat me voit,
35Dit que ie suis trop plus mort que viuant.
Mais s[’]il te plaist tost seray reuiuant,
Belle, pour qui mon triste cueur lamente.
Et s[’]il te plaist que rigueur me tourmente,
En tel estat außi ie demourray,
40Auquel en brief sans ton ayde mourray.
Que fay ie donc à Cupido complaincte ?
C[’]est à toy seule à qui doy faire plaincte.
Autre inuoquer, est trop grand mesprison :
Toy seule fais la playe, & guerison.
45De me guerir ne fay donc point refus.
Achilles soys, ie feray Telephus.
[12] la xii.elegie.
VN iour ainsi que lun vient, lautre part,
En bon propos me trouuay quelque par
(Bien t’ay voulu cecy faire sçauoir)
Ou desiroit mainct vray amant te veoir.
5Là fut de toy parlé en tout honneur :
Là vn chascun de loz t’estoit donneur.
Lun [p. 32]
Lun te disoit auoir biens de nature,
Qui surpassoient toute autre creature.
Lautre tenoit que nas pareille au monde,
10Que nas en grace ou premiere ou seconde.
Brief, vn chascun sefforçoit de priser
Tes grands vertus quon ne peult despriser.
Tel loz tu as merité grandement,
Car de beaulté tu as abondamment
15Certes trop plus quonques femme viuante.
Ioinct que ta main est tant bien escriuante.
Tu es Sappho en science haultaine :
Tu es en biens Iuno la souueraine.
Tu es Pallas en grace, & grauité :
20Tu es Helene, ou Venus en Beaulté.
Les membres as tant proportionnez,
Quilz semblent estre à proportion nez.
Tant bien couuient le sein auec le reste.
Certainement ton visage angelique,
25Rendroit ioyeux lhomme melancholique.
Tes yeulx sont clers, splendissans, & luysans,
A toute ioye & liesse induisans :
Si gracieux & benings de nature,
Que se depart, lors que ton regard dure,
30Toute tristesse, & faict à ioye place.
Le plaisant tainct de ta luisante face,
Ton [p. 33]
Ton large front, & ton col cristallin,
Ton tetin blanc, quon voit soubz crespe, ou lin
Bien delié, ta leure rouge, & saine,
35Dont vient, & prent son petit cours alaine
Tant souefue & doulce, & tes dorez cheueulx,
Ton corps bien faict, sans quon mempesche, veulx
Autant louer que poßible sera.
Mais qui le tout dignement louera ?
40O grand beaulté, doulceur, & grace d’ange,
Ma muse est bien moindre que ta louange ?
[13] la xiii. elegie.
SI ie tescry, ce nest pas sans raison :
Mais pour autant qu’a toute desraison
As donné lieu, tu verras cest escrit,
Que ma plume ha quasi par ire escrit,
5Sur ce papier contenant ma fortune.
O malheureux quand i[’]ayme ainsi fort vne,
Qui nayme pas dune amour reciproque :
Dont dire peult, onc ne verray Cypre. Ò que
Peu discret suis, & tresmal congnoissant,
10Que nen aymay autres, dont iouyssant
Ie fusse bien, qui me desiroient veoir,
Iaçoit quen moy de richesse, & dauoir
Nayent trouué, toutesfois bien ie sçay
Qu’elles ont faict par plusieurs fois lessay,
c De [p. 34]
De mattrapper en leur retz, & cordelles,
Quasi m’offrans le cueur, & le corps delles.
Il est ainsi, ien suis tresbien records.
I[’]ay grace à Dieu santé en ieune corps,
Et suis tresbien de mes membres deliure.
20Lunettes nay pour lire tout vn liure :
I[’]ay cueur ioyeulx. ie sçay trop plus que assez,
Que telz que moy ne sont iamais cassez
(Ie ne le dy pour me vanter) aux gages
De Cupido, lequel faict feux, & rages.
25Si donc me veulx, ie te veulx bien : mais si
Tu ne me veulx, Ie ne te veulx außi :
Car autrement ie ne tay iamais quise,
Ny autre außi. Si i[’]ay ta grace acquise,
Ou que par trop leger de croyre fus,
30Et maintenant tu fais de moy refus :
Remede quel ? Il fault que ie men passe,
Et que lestude, & les liures iembrasse,
Sans que de toy quelque si, ne car, ioye.
Ou il fauldra, si ie quiers autre ioye,
35Que mon cueur (las) vers vne autre sadonne,
Qui son amour entierement me donne.
Ien sçay plusieurs, & si sçay leur hostel,
Dames dhonneur (dignes dauoir loz tel)
Dames de nom, qui à veoir me demandent :
40Et quelque fois auec honneur me mandent.
Ie ne [p. 35]
Ie ne sçay pas si ie leur semble affable :
Mais certain suis que cela nest pas fable.
A quel propos te monstres tu si fiere ?
Ne pense pas que te aye par priere.
45De tant prier ce nest point ma coustume.
Difficile est qu’a ce ie m’acoustume.
La grace à Dieu encor suis en ieune aage,
Quand le cueur gay en tout ioly ieu nage.
Ie suis encor en mon adolescence,
50Lors que desbas on prent la congnoissance.
Ie suis encor (sans vanterie) seur,
Que de plusieurs puis estre possesseur.
Mais si tu veulx demourer mon party,
Mon cueur auras entier, & non party.
55Ne veulx tu point me prendre pour partie,
Tout außi tost feray la departie.
[14] la xiiii. elegie.
EN attendant auoir de toy secours,
Le temps sen va, tousiours passe ce cours.
Sans y penser, nous dit à Dieu Ieunesse :
Sans y penser nous poursuit la Vieillesse.
5Le beau Soleil tous les iours va, & vient.
Ieunesse va, mais iamais ne revient.
Et trop en vain en fin la regrettons,
Quand ses esbatz par trop nous reiettons.
c 2 Ieunesse [p. 36]
Ieunesse donc (si tu men croys amye)
10Et ses esbatz ne reiectons mye.
Assez aurons vieillesse rigoureuse :
Sans chagriner nostre ieunesse heureuse.
Ne pense pas que si ie ne taymois,
Ieusse esté tant de sepmaines, & moys
15A te servir. Ou est ma recompense ?
De contenter Cupido veult quon pense,
Et toutesfois nullement y entends.
Ie tay si bien seruie, & si long temps,
Est-ce raison que suspens ie demeure,
20Et quen langueur, sans mourir, tousiours meure ?
Long temps y ha que mas tenu soubz laz
Tant durs, que nay de toy aucun soulas.
Car plus ie prens à te veoir de plaisance,
Plus mon las cueur soustient de desplaisance :
25Pource que plus de iouyr il sefforce :
Plus on luy dit que dattendre cest force.
Tu mas nauré, & tu me peulx guerir :
Trop cruelle es, si me laisses perir.
Quand Cupido en vn cueur amour ante,
30Telle personne en langueur va mourante,
Si le iouyr trop tard luy est permis.
En cest escrit ie lay comme expert mis.
Car Cupido par toy ma trop nauré,
Et en ce faict y ha si bien ouuré,
Que [p. 37]
Que i[’]ayme plus ta grace, & ta manière,
Que ie ne fay dor ou dargent miniere.
I[’]ayme trop plus ton gracieux maintien,
Que mesmement des autres lentretien.
Plus me reuient ton bien formé corsage,
40Que dautre, tant soit belle, ou encor sage.
Ta doulce voix, ton parler femenin,
Me semble plus que tout autre benin.
Dame ny ha tant soit de hault lignage,
Deuers laquelle mon Esprit nage
45Comme vers toy. Ce nest donc merueille,
Si le mien cueur à toy seule aymer veille.
Qui est celuy qui est exempt daymer ?
Ie vouldrois bien quon me le peust nommer.
Qui est celuy qui nayt faict quelque amye ?
50Ie croy que tel on ne nommera mye.
Antoine Marc ayma Cleopatra :
Zenone ayma Paris, dont elle entra
En grand douleur quand Helene il rauit.
Le painctre grand, Campaspé nue vit,
55Et fut damour, & dardeur entasmé.
Pyramus ha iusques à mort aymé,
Thysbe außi, tesmoing leurs glaiues nudz.
Le traict damour, le brandon de Venus,
Ont bien senti Ero, & Leander,
60Qui ont voulu des epistres mander :
c 3 Et [p. 38]
Et qui sont mortz en poursuyte amoureuse,
Noyez en mer horrible, & furieuse.
Les dieux haultains mesme ont cure daymer.
Quil soit ainsi, Neptune, Dieu de mer,
65Nayma il pas Tethys ? ouy en effect.
Mars & Venus on ha prins sur le faict.
Et Iuppiter ayma Leda, en signe
Quil se mua pour elle en vn blanc Cigne.
Phebus ayma Leucothee, & Daphné :
70Dune iouyt, lautre la pourmené :
Mais lune & lautre est en arbre muee,
Lune dhonneur, lautre dodeur ornee :
La Lune ayma de grand affection,
Iadis le beau pasteur Endymion,
75Et lendormir sept ans : adonc le baise
Incessamment, & trop plus à son aise.
Tu entends donc que le train damours suyuent
Mesme les Dieux, que les Hommes ensuyuent.
Si i[’]ayme bien, i’ensuys des Dieux la Loy :
80Ce ne sera honte, ou reproche à moy.
[15] la xv. elegie.
DE te rescrire abstenir ne me puys :
Car tant rauy en ton amour ie suys,
Que me contrainct ma pensee secrette
Te declarer que souuent te regrette.
Et te [p. 39]
Et te dira lescriture presente,
Que bon amour si fort te represente
Dedans mon cueur, que sans ton souuenir,
Iamais ne puis ou aller ou venir :
Car mon Esprit tousiours y continue :
10Et de ce mal doulce est la continue.
Par grand desir ie te voy pres de moy :
Pourtant ny es, qui me rend plain desmoy.
Puis ie te voy facondement parler :
Ta doulce voix prendre son cours par lair.
15Rire, chanter : comme tu te maintiens,
Auecques beaux & gracieux maintiens.
Aller te voy, danser, asseoir tes pas.
Et toutesfois (qui mest grief) ny es pas.
Souuent aduient que ce que lon desire
20De cueur feruent, se vient au sens produire :
Si que fust on en lieu distraict, ou voye,
Tel comme il est il semble quon le voye.
Ainsi me sont ces pensemens venus.
Et si tu quiers qui faict cela ? Venus.
25Venus ne veult amans estre loingtains,
A fin quilz soient lun de lautre certains.
Venus le cueur de lun à lautre change :
Venus iamais ne veult que lon sestrange.
Ie vy en toy, & en moy mesme meurs.
30Tant mest à gré ton maintien, & tes mœurs,
c 4 Que [p. 40]
Que mon cueur prent dedans toy sa racine,
Et que seras sa vie, & medecine
Tant que lamour iusque à mort estincelle :
Qui ha tousiours bien entretenu celle,
35Que i[’]ayme seule, & qui me faict valoir :
Qui ha mon cueur du tout à son vouloir :
Et luy escrit regrettant sa presence
Se trouuant mal, tresmal en son absence.
Or sil te plaist changer lennuy en ioye,
40Amye fay que dans brief terme i’oye
Bon mot de toy, sans lequel ie peris :
Car exposé me voy à grands perilz.
Ie nescry pas pretendant ton reuoir.
Ly donc la lettre, & prens en bonne part
45Laffection du cueur dont elle part.
[16] la xvi. elegie.
DE trois regretz mon cueur fut surmonté,
En delaissant (Dame) vostre Cité.
Vostre Cité, helas, & cest le poinct,
Vous y tenez, & ie ne my tiens point.
5Cest le premier des trois regretz en nombre,
Et le plus grand, qui tient mon cueur en vmbre
D’ennuy fascheux, dont procede vn soulci,
Vn pensement, & vn souspir außi.
Non [p. 41]
Non sans raison, & bien grande apparence,
10Quand loing de vous ie fay ma residence.
Secondement i[’]ay vn autre regret
De la Cité, lequel est moins secret,
Cest asçauoir pour le terrain, & cloistre :
Et ce regret vient le premier accroistre.
15Le tiers regret cest que de ce Palais
Auquel ie hante, à cause de ces plais,
Plus pres serois, & plus en cueur de ville.
Ie suis en lieu, & en rue plus vile,
Peuplee moins, & sentant mieulx ses champs,
20Ou ne voy tant de sortes de marchans.
Et dessus tout (Dame) ie ne ty voy.
Dame que i[’]ayme autant, ou plus que moy.
Ces regretz donc me griefuent : mais en somme
Le premier seul tous les autres consomme.
25Lequel regret si au long ie poursuys,
Certainement assailly de peur suis,
Et si croy bien que main, & plume ensemble
Nen escrivoient la moytié ce me semble.
Quand mon Esprit se y vouldroit bien offrir
30Plume, & papier ne le pourroient souffrir.
Car ce regret est de telle nature,
Quil ne se peult comprendre en escriture.
Ie ne voy point meilleur contentement,
Que le laisser à vostre pensement.
c 5 Or [p. 42]
Or à Dieu donc, à Dieu, à Dieu ce dy ie
Incessamment, car amour my oblige.
[17] la xvii. elegie.
APres que i[’]ay bien veillé, & nay peu
Aucunement vous trouuer à temps deu,
Pour vous bailler vn petit mot de lettre :
Dame, croyez que suis contrainct de mettre
5La plume en main pour vous faire sçauoir,
Que de ma part ien ay faict mon debuoir.
Pareillement pour despiter Fortune,
Qui ne nous donne aucune heure opportune.
Car ie pretendz par ces presens escritz,
10Vous declarer mes souspirs, & mes cris
Dont fus serui en cueur, & en pensee,
Incessamment la sepmaine passee.
Et tout ennuy quand il est reuelé,
Ne nuit pas tant que quand il est celé.
15Le cueur humain s’allege, & se soulage
Se descouurant à quelque personnage.
Mesme au besoing (sil se sent trop charger)
Sur le papier il se peult descharger.
Cest ce qui faict quencore vous escriue,
20Et que pour vne aurez double mißiue.
Mais que Malheur tant ne me vueille oultrer,
Quon ne vous puisse à heure rencontrer.
Qui [p. 43]
Qui me seroit vn renfort de mesaise,
Dequoy mon cueur ne seroit iamais aise.
25Ce me seroit vn si aspre rengrief,
Quil nen fut onc, ce croy ie, de tant grief.
Premierement Dame, damour entiere,
Quand le maintien, & grace singuliere,
Qui sont en vous ie vy, & apperceu
30Grande lyesse en mon cueur ie receu.
Et m’en croyez que plus que de ma vie,
Senty en vous ma pensee rauie.
Puis vostre ris, vostre parler courtois,
Me plurent tant, que quand vous escoutois
35(Combien que nous eusmes peu de parolle)
Vous estimois le chef de la Karolle.
Le doigt preßé, & les genoulx frayez,
Les traictz de lœil franchement octroyez,
Du bout du pied la cotte soubzleuee,
40Ioyeusement en manière priuee,
Le bon maintien de corps, & de visage,
Le cueur dehait, le corps droit maintenu,
Le rond tetin vmbrageux, demy nud,
Me faisoient dire, & sans oultrecuydance,
45Femme de cueur est ceste cy qui danse.
Mais qui pourroit ainsi comme ientends,
Le plaisir dire, & le grand passetemps,
Que [p. 44]
Que ie prenois en vostre œil damour pure,
Auant la danse, ou quand la danse dure ?
50Mais qui pourroit, ou escrire, ou penser
Ce que depuis ien ay peu pourpenser ?
Cueur conuoiteux se delecte, & se baigne,
Alors quil faict mil chasteaulx en Hespaigne.
Ie ne veulx donc tant hault philosopher,
55Iyamerois mieulx sur le faict meschauffer.
Las quantesfois le iour ie me transporte
Soir & matin, iusques à vostre porte,
Pour recreer mes yeulx (qui m’est grand heur)
Vous le sçauez que ie ne suis menteur.
60Et ma personne y auez aduisee,
Souuent iettant dessus vous sa visee.
Lors ie me sens damour tant detenir,
Que ie ne sçay quel maintien doy tenir.
Ie voys, ie viens, tout soubdain ie destourne,
65Puis ie reviens, ie marche, ie retourne,
Qui faict cela ? sinon que mes espritz
Sont plus que trop de vostre amour espris ?
Par vn long temps lamour point ne se cele.
Le feu caché en la fin se descele.
70Le feu que sens est feu chault, cler, & beau :
Cest asçauoir de Venus le flambeau,
Qui tousiours luyt, & long temps ne se cache.
Ha vostre cueur nest pas qui ne le sache.
Luy [p. 45]
Luy plaise donc espandre tant soit peu
75De leau de grace au milieu de ce feu,
Dont par vostre œil qui sur moy estincelle,
Mauez ietté la premiere estincelle.
[18]LA XVIII. ELEGIE,
faicte pour
le
recepueur de Glatigny adressee
à
Monsieur du Brueil.
MOn bon Seigneur par deuers vous iadresse
Lescrit present, que ie fay, & ie dresse
En Elegie, & forme de complaincte,
Que verrez cy comme en vn tableau paincte :
5Sur le depart de ma bonne maistresse,
Qui ma remply de tel dueil, & tristesse,
Et tant saisi le cueur de son absence,
Qu’encor sen deult regretant sa presence.
Si ie me plains (las) ce nest pas à tort :
10Car i[’]ay assez souuenance, & record
Que ce pendant quen ce lieu de plaisance,
Madicte Dame y faisoit demourance,
Lon y trouuoit & dedans, & aux portes
Honnestes gens, voire de toutes sortes.
15Musiciens de bonne, & viue voix,
Ioueurs de Lucz, de Flustes, & Haultboys :
Et maintenant seul icy ie demeure.
Que dy ie icy ? Mais ie suis à toute heure
Auec [p. 46]
Auec ma Dame, & ses gens, & si voy
20Mon Seigneur preux au seruice du Roy.
O triste lieu, ô lieu de Glatigny,
Que tu estois bien paré, & muny
Dhonneste gens, humains, & gracieux !
Mais tu lestois encore cent fois mieulx,
25Ou mille fois, mille fois sur mon ame,
Tant seulement par ta maistresse, & Dame.
Dont la presence à toy fauorisoit,
Si que sur tout ta valeur on prisoit.
Elle sembloit vn Soleil splendissant,
30Qui te rendoit bien souef, & florissant.
Et de present qu’elle sen est allee,
Me semble veoir grand nue deuallee
Droit dessus toy, espandant neige, & gresle.
Dont sans cesser mon cueur dit, ou va elle ?
35Reuien, reuien Soleil plaisant, & beau,
Reuien produire icy un temps nouueau.
Ne suffist il que Monseigneur, & maistre,
Soit tant souuent esloigné de cest estre,
Sans que ce lieu tu laisses à autruy
40Vuide de toy, & tout comble dennuy ?
Ha mon penser du tout faulx na esté :
Car nous auons eu yuer pour esté.
Helas, helas, depuis quelle est allee,
Nous auons eu vne froide gelee,
Qui [p. 47]
Qui ha meurdry maintz beaux bourgeons petis,
Mainte florette, & maintz boutons gentilz.
Ainsi chantoit ces tristes vers ma muse,
Quand dur regret la detient, & amuse.
Mais tout soubdain m’oyant chanter cecy,
50Glatigny vient à me respondre ainsi.
Dea Recepueur qui en voix haulte, & forte
Si fort te plains, fault que te reconforte.
Il est bien vray quelque cause il y ha
Pourquoy ton cueur se melencolia,
55Et fut saisi de regret, & destresse
Sur le depart de ta Dame, & maistresse,
Et mienne außi, que Dieu gard, & benie,
Pareillement sa noble compagnie.
Mais son depart, qui tant te picque, & mord,
60Est iuste, & bon, non par force, ou par mort.
Elle sen va, pour le sien espoux veoir,
Et auec luy quelque repos auoir.
Elle sen va (grace à Dieu) gaye, & saine,
Ou bonne amour la transporte, & la meine :
65Elle sen va, non pas sans retourner :
Dieu nous la vueille à santé ramener.
Si tu ten plains combien plaindre men doy,
Qui suis à elle au parauant que toy ?
Tu as icy boys, riuieres, prairies,
70Arbres fruictiers, & vignes bien fleuries :
Tu [p. 48]
Tu as ta femme, & seruante, & valet,
Ne te plains donc que tu sois tout seulet.
Tu m’as außi, qui en vaulx plus que quatre,
Auec qui doibs passer temps, & tesbatre :
75En me faisant (sans vn iour delayer)
Tantost faulcher, puis fenner, puis seyer :
Et autres cas, & plus de mille affaires
De ton estat, qui me sont necessaires.
Cela faisant (comme sans y penser)
80Tu sentiras ton desir auanser :
Et tost verras (le Ciel faisant son tour)
De ton Seigneur, & Dame le retour.
Lhomme occupé iamais il ne sennuye,
Face chault, froid, face vent, face pluye.
85Quant aux bourgeons qui sont endommagez,
Le froid en ha quelques vns vendangez :
Mais non pas tous : ains nous en faict reserue
De plus grand part, que Dieu garde, & conserue.
Et dauantage, ou ma Dame sen va,
90Vn tel meschef de temps ne sy trouua.
Arbres fruictiers, & vignes y sont telles
Quau parauant, bien fleuries, & belles.
Mais (ie te pry) quand tout seroit gelé
(Que Dieu ne uueille) & de long, & de lé
95Au iugement de lhomme, & à la veuë,
Dieu peult il pas ne laisser despourueuë
Sa [p. 49]
Sa creature en son affliction ?
Puis nay ie pas bonne prouision ?
Voyla comment lors que me complaigny,
100Me remonstra le lieu de Glatigny.
I[’]ay tresbien pris sa remonstrance faicte.
Or il est temps de sonner la retraicte :
Car (Monseigneur) maint affaire autre part,
Ia me semond. Le Seigneur Dieu vous gard.
[19]LA XIX. ELEGIE
EScrire veulx (encore que nay mye
Sçauoir pour toy) ma bonne, & sage amye,
Comment mon corps, & mon Esprit se sent,
Toutes les fois que de toy suis absent.
5Comment escrire ? Ha par trop ie presume :
Car il ny ha au monde langue ou plume,
Qui plainement le peust dire, ou escrire :
Mais en diray ce que ie pourray dire.
Iescriray donc, mais non pas la moytié :
10Car qui pourroit bien dire l’amytié
D’entre nous deux, telle que ie la sens ?
Certes Amour passe tout humain sens.
En tescriuant bien te vouldroye induyre,
De supporter ce quen amour peult nuyre,
15Comme ie fay. Car la raison veult bien,
Que quelque mal accompaigne vn grand bien.
d Premie [p. 50]
Premierement quand de toy suis arriere,
Me sens muer en toute autre manière :
Et mest aduis qu’euidemment ie voy,
20Que suis vn autre, & que ce nest plus moy.
Là ou iestois monstrant toute lyesse,
Ie suis mué comme en vne vieillesse.
Là ou iauois cueur ioyeux, & riant,
Ie suis pensif, & tout propos hayant.
25O quel ennuy, ô quelle dure chose,
Quand fault souffrir telle Metamorphose,
En cueur, & corps telle mutation !
Mais quelle ioye, & delectation,
Quand ie te voy, & contemple à mon aise ?
30Amour ne peult rien faire qui ne plaise.
Là ou ie suis, là certes ne suis pas :
Car ou tu es ie quiers faire mes pas.
Ce que ie oy dire, ou que ie voy, se passe :
Tout ne mest rien, tout se perd, & sefface
35Fors que de toy vn tresgrand souuenir,
Qu’incessamment sens aller, & venir
Par tous les lieux de mon pesant creueau,
En luy donnant tousiours trauail nouueau,
Qui est meslé dune ioye nouuelle,
40Qui dans mon cueur sengendre, & renouuelle.
Serois ie ainsi si beaucoup ne taymois ?
Le iour mest an, les heures me sont moys,
Pareil [p. 51]
Pareillement les minutes tousiours,
Quand ne te voy, me semblent bien longs iours.
45Ie tais le reste : außi trop long seroye,
Si ce propos plus loing ie poursuiuoye.
Puis quainsi est doncques que ie supporte
Ces maulx pour toy, il fault que ie tenhorte,
Que de ta part supportes les assaultz,
50Que bonne amour donne à tous ses vassaulx.
Et sil y ha quelque propos d’enuie
(Qui regnera tant quamour soit en vie)
Nen prens soulcy, laissons les enuieux,
Nous maintenans tant que nous soyons vieulx
55En forte amour, & dautant plus constante,
Comme y sera enuie resistante.
Lors prouueray ta bonne affection :
Lors congnoistray ta grand perfection.
Car toute chose excellente, & bien bonne,
60Son contraire ha, qui à faire luy donne.
Iamais doulceur ne va sans quelque fiel.
Ne vois tu pas, si veulx tirer le miel
Dauec la cire, il fault que tu te iettes
Entre aguillons des petites auetes ?
65Qui veult cueillir vne Rose bien souefue,
Quelque poincture il fault quil en reçoyue.
Ainsi qui veult damours cueillir le fruict,
Craindre ne doibt trouuer chose qui nuyt.
d 2 Certain [p. 52]
Cerainement cest tousiours la coustume,
70Quauec doulceur y ait quelque amertume :
Auev bien, mal : auec amours, soulcy :
Peine, trauail, ennuy, & dueil außi :
Car de Venus le brandon, & flambeau
Qui est tant chault, tant luysant, & tant beau,
75Sestaindroit tost sil nesoit par le vent
Meu, excité, & agité souuent.
Mais dautant plus lamour luyt, & est claire,
Comme assaillie elle est par son contraire.
Pour estre brief, toute chose en effect,
80Par son contraire est en estat parfaict.
[20]LA XX. ELEGIE.
PVis que pour moy Cupido ha tant faict,
Quil me presente vn present si parfaict,
Quand vous mauez souuent (ma Damoyselle)
Monstré bon œil, bonne faueur, bon zele,
5Pourrois ie bien (dictes) estre repris
Daymer vn bien de tel valeur, & pris ?
Et doy ie faire à lamour resistance,
Tant que de vous ie quicte laccointance ?
Lon dict souuent, celuy ne faict pas bien,
10Lequel en temps ne poursuit pas son bien.
Pareillement on dit que tel refuse
Vn bien present, qui long temps apres muse :
Et [p. 53]
Et sans lequel pourra long temps souffrir.
Parquoy ce bien qui tant me vient se offrir,
15De bien grand cueur sans cesse vueil poursuyure,
Lapprehender, & sans quelque peur suyure.
Craindre ne doy, puis quil me vient si pres.
Mais sil sesloigne, & bien ie iray apres.
Sil perseuere, encor tousiours iray ie,
20Par pluye & vent, & par glace, & par neige :
Car cest vn bien qui vault bien le pourchas.
O mon seul bien, pourquoy tant m’aprochas,
Et me rauis, tant criray ie apres elle,
Que de pitié aura quelque estincelle.
25En fin aura quelque bon souuenir,
De me veoir tant apres aller, venir.
Ce bien nest point tenant de lauarice,
Ce bien nest point pierrerie, or, argent :
Mais cest vn bien precieux, beau, & gent,
30Qui nest subiect à dressoir, ny à coffre,
Ny aux larrons. ô quel bien, ô quel offre !
Fy de tous biens, fy dargent, & fy d’or,
Si vne fois puis gaigner ce tresor.
Des à present toute ma part ien quicte,
35Si puis auoir ce bien de haulte eslite.
Mais quel doubte ay ie ? est il pas desia mien ?
Ne lay ie pas, le tien ie pas ce bien ?
d 3 Certes [p. 54]
Certes ouy, mon œil, ma main, ma bouche
Quatre ou cinq fois le voit, le tient, le touche.
40Que reste il plus ? fors sans fin lestimer,
Lentretenir, le cherir, & aymer ?
Qui se fera, ien ay bien bonne enuie,
Tant que ce corps demourera en vie.
Car cest vn bien si parfaict, & si hault,
45Quvn million dautres biens il en vault.
Cest le seul bien lequel en ce bas monde
Mect en vn cueur lyesse si parfonde,
Que tant sen fault quil sen puisse assouuir,
Qu’incessamment vers luy se sent rauir.
50Voila comment (Damoyselle cherie)
Ie vous prefere à or, & pierrerie :
Car ce grand bien que i[’]ay tant exalté
Se trouue en vous, cest vous en verité.
Ce nest point or que la rouille consomme :
55Ne perle außi, mais cest vous mesme en somme.
Iespere donc bien heureux deuenir,
Quand vn tel bien ie puis veoir, & tenir.
Veoir, & tenir, ô que cest belle chose !
Mais le mal est que la bague est enclose :
60Ainsi la veoir, cest veoir aucunement,
Mais ce nest veoir, ne tenir proprement.
Cest seulement en veoir la couuerture,
Et la tenir, ô chose griefue, & dure !
Ma [p. 55]
Ma Damoyselle, ostez doncques, ostez
65Ceste closture, & la bague apportez
Deuant mes yeulx sans couuerture, & nuë,
Pour esprouuer sa tant riche valuë.
[21]LA XXI. ELEGIE.
NY ha il point quelque pitié en femme,
A tout le moins en celle qui enflamme
Si fort mon cueur, que la grande chaleur
Redondera à son tresgrand maleur ?
5Maleur tresgrand, si la pluye de grace
Dedans brief temps ne lestainct, & efface,
Car si tousiours il se veult alumer,
Auant huict iours me pourroit consumer.
Puis en la fin par cruelle vengeance
10Tourner sur elle, & sans quelque alegeance
Luy consume cueur, corps, mammelle, & tainct.
Ainsi soit il, si elle ne lestainct,
Quand elle peult, à fin que me resemble,
Et que soyons tous deux bruslez ensemble,
15Dun mesme feu plus grand que cil d’Ethna.
Si enuers moy bon vouloir elle na,
Nest elle pas bien faulse, & peu fidele
De me tenter à querir plaisir d’elle ?
Ha ce nest pas petit cas, par faulx tour,
20Et faulx semblant, de se mocquer damour :
d 4 Et [p. 56]
Et irriter Venus la grand Deesse,
Troublant sa grace, & beaulté, & liesse.
Aux dieux puissans ne faict bon se iouer :
Ains il conuient les aymer, & louer,
25Suyure, seruir dun vray cueur sans faintise.
Quand à l[’]amour, le cueur qui se desguise,
I[’]ay veu souffrir, ardant, impatient :
Et en la fin faire à bon escient.
[22]LA XXI. ELEGIE.
I [’]Ay bien souuent est émeu vous escrire,
Quelque mißiue, à fin que peußiez lire,
Et en lisant sentir ce qui me poinct :
Mais tout soubdain ie disois, nescry point.
5En vn instant ie pense, & contrepense.
Ie me permectz, puis ie me fay deffense,
Tost escriuant, außi tost le deßire :
Mais desirant sans cesse ie desire.
Brief en la fin ayant par maintes nuictz
10Songé, resué, non sans fascheux ennuitz,
Dame, à ce poinct me suis voulu resouldre
De vous escrire : Or m[’]en vueillez absouldre.
Il m[’]est aduis si i[’]ay bon iugement,
Que l[’]escriture est vn allegement
15Aux cueurs pressez, & que ce que la bouche
N[’]ose pas dire, en escrit on le couche.
L’escrire [p. 57]
L’escrire donc me peult bien soulager,
Et ne vous peult (ma Dame) dommager.
On escrit bien aux plus grands ennemis :
20Combien plus tost à ses plus grands amys ?
De vostre part si sentez l[’]amytié,
Que ie vous porte, à peine est ce à moytié.
Mais ie ne sçay si ie doy desirer,
Ce que desire, & y perseuerer :
25C[’]est que soyez (ô ma Dame honoree)
Ou plus que moy, ou moins que moy nauree.
Ou plus à fin que vous m[’]en departiez :
Ou moins, à fin que moindre mal sentiez.
Au monde ay veu Dames, & Damoyselles,
30I[’]ay veu plusieurs filles, & femmes belles,
I[’]en ay veu mainte, & en mainte contree,
De bonne grace, autant bien accoustree :
I[’]ay deuisé, i[’]ay beu, mangé, hanté :
Mais onc ne fus tant surpris, n[’]arresté.
35Ha ie sens bien qu[’]amour, pour toute reste,
Tant plus tard vient, tant plus fort nous moleste.
Mais il fault dire, & la chose est bien vraye,
Que voz vertus m[’]ont faict ceste grand playe.
Le coup est grand, & plus grand qu[’]il ne semble,
40Car il me naure Esprit & corps ensemble.
Si me puis bien d[’]une chose vanter,
Qu[’]amour me vient heureusement tenter.
d 5 Außi [p. 58]
Außi pouuez bien vous vanter adoncques,
Qu[’]auez sur moy ce que femme n[’]eut oncques.
45Vostre Esprit bon, vostre ferme mémoire,
Vostre constance, & grand vertu notoire,
Vostre doulceur, & humble priuauté,
Vostre cueur plain de grande loyaulté,
Vostre sagesse, & bonne contenance,
50Me font de vous l[’]amour, & souuenance.
L[’]amour qui mord, & de si pres me picque,
Que ne s[’]en va pour aucune replique :
Ains que tousiours, plus luy viens repliquer,
Plus aigrement le sens mon cueur picquer.
55Ha, dit mon cueur, fault il que sa vertu
Me rende ainsi confus, & abbatu ?
O Dieu ! fault il (voicy vne grand-chose)
Que son grand bien soit de mon grand mal cause ?
Soit qu[’]a l[’]eguille on vous voit besoigner,
60Soit que veniez vostre fille peigner,
Tout vous siet bien : soit debout, ou à table,
En vous reluit vne façon traictable.
N[’]ay ie senty des traictz d[’]œil gracieux,
Tirez du cueur que sur tous i[’]ayme mieulx ?
65O quel grand bien qu[’]il fault dißimuler !
Mais quel grand mal, puis qu[’]il le fault celer,
Et par souspir tirer de loing l[’]alaine.
Iadis pour veoir, & pour auoir Heleine,
Sen [p. 59]
S[’]en vint de Troye en la Grece Paris :
70Ie vien pour vous d’Italie à Paris.
Ie croyrois bien que ne le pensez pas :
Mais la grand cause estes de ce grand pas.
Soit à Thurin, à Versel, ou Milan,
Ie vous ay eu en cueur le long de L[’]an.
75Soit à Venise, à Mantouë, ou Cremone,
Tousiours pensois à vostre humble personne.
Si lisez bien mon escrit de Lyon,
Le sentirez non sans affection.
Amour me feit au retour tant oser,
80Que vous allay la premiere baiser :
Sans prendre esgard d[’]embrasser vostre Père
Premierement, ou baiser vostre Mere.
Amour me faict ietter l[’]œil tendrement :
Amour me faict menger petitement.
85Et puis ie dy que païs estranger
M[’]aprent ainsi petitement menger.
Amour me faict escrire la presente.
Qui vous descrit mon mal, & represente :
Cause d[’]escrire ay autant que i’euz onc :
90Mais toutesfois ne veulx estre tant long.
Quand aurez leu L[’]epistre (ô fleur des Dames)
Ie vous supply iettez au feu ces flammes,
Et vous gardez que n[’]en soyez attainte,
Car vous aymant i[’]ay de vostre mal crainte,
Et [p. 60]
Et de ma part bien vous veulx faire entendre,
Que me pouuez commander, & deffendre.
Ce qui vous plaist hardiment commandez.
Ce qui ne plaist, si me le deffendez
Ie m[’]en tiendray, Dame, ie vous l[’]ottroye,
100Fors vous aymer : car cela ne pourroye.

EPISTRES.
[fleuron][1]LA I. EPISTRE.
Q Vand en tes mains ce liure frequẽtoit,
Et que releu comme le liure estoit
De bout en bout, ma bõne damoyselle,
Tu m[’]en croyras, ie fus esmeu d[’]un zele
5De grand remors, & encor ie le sens,
Pour d[’]aucuns motz, & außi pour le sens.
Supporte doncpar ta grande sagesse,
Les passetemps, & abus de ieunesse.
Bon faict sçauoir le mal, pour l’euiter :
10Non pour mouuoir, & pour se y esciter.
Des choses ha que si ieune i[’]ay faictes,
Qu[’]impoßible est que n[’]en soient moins parfaictes :
Car en l[’]esprit bien difficilement
On trouuera ieunesse, & iugement.
15Plaisir me fut veoir la copie entiere :
Mais dueil me feit l[’]escriture premiere.
Par poinctz mal faictz, & imperfections,
Faulse orthographe, & incorrections.
Le tout n[’]aduint sinon par mon absence,
20Quand l[’]escriuain desiroit ma presence.
Ainsi mes vers, que bien que mal, rimez,
[p. 62]
Ne furent pas par ma plume limez :
Car l[’]escriuain n[’]en auoit que le double,
Qu’vn ignorant rendit confus, & trouble.
25Dont tu ne dois m[’]en mettre rien à sus.
Or i[’]ay paßé ma plume par-dessus.
Mais si i[’]en ay bien trenché, & osté,
I[’]en ay außi non pas moins adiousté.
Brief l[’]ay reueu, recorrigé, refaict.
30Reçoy le donc comme tout nouueau faict.
I’y ay pris peine, & ay l’œuure refaicte,
Que ie vouldrois veoir encor plus parfaicte.
Mais i[’]en voy peu, à mon affection,
D[’]autre, ou de moy ayant perfection.
35Voyla que c[’]est, apres peine bien grande,
Rien n[’]est parfaict ainsi qu[’]on le demande.
Et puis souuent entre les conferens,
Les iugemens sont si tresdifferens,
Que là, ou l[’]un du bien en vouldra dire,
40L[’]autre dira qu[’]il y trouue à redire.
L[’]un le dit cler, l[’]autre le dit obscur :
L[’]un veult du mol, & l[’]autre veult du dur.
Parquoy en tout y ha besoing d’excuse :
Et en premier moymesme ie m[’]accuse.
[2]LA II. EPISTRE.
ET iours, & nuictz, pensant à ta beaulté,
Dame de cueur tant plain de loyaulté,
Rauy [p. 63]
Rauy me sens en vn tel pensement,
Que suis content penser incessamment.
5Car ta beaulté, honneur, sçauoir, & grace,
Et tout en toy toutes autres surpasse.
Beaulté, sçauoir, & grace sont vertuz,
Plaines d[’]honneur. Ceulx qui en sont vestuz,
Meritent bien d[’]entrer en renommee,
10Et en memoire. Ainsi, Dame estimee,
Ne t[’]esbahy si ta grace immortelle
Se represente en moy tant haulte, & belle :
Et si i[’]en ay souuenance souuent :
Car de vertu ie veulx estre seruant.
15Et la vertu ie ne veulx iamais taire.
Tu es le chef, & le vray exemplaire
De tout honneur, beaulté, grace, sçauoir.
O grand miroer, ou tout bien se peult veoir !
Ou recongnoist tout le femenin sexe,
20Toute vertu qui en toy n[’]a point cesse.
Plus ioyeux suis regardant ton maintien,
Que qui diroit en ouurant ma main, tien
Voyla deux cens escuz d[’]or au soleil.
Mais que pourroit se trouuer dessoubz l[’]œil,
25Que i[’]ay en teste, à moy plus agreable,
Que contempler ta grace tant traictable ?
Vn doulx parler de ta bouche prent cours,
Tes motz dorez ne sont trop longs ne courts :
Ce [p. 64]
Ce beau don là t[’]a eslargy Mercure.
30Par grand beaulté tu luys oultre mesure :
Dame Venus ce grand don t[’]a donné.
Par sagesse est tout ton faict ordonné :
Pallas te faict de ce beau don iouyr.
Doy ie pas donc grandement m[’]esiouyr,
35Quand ie te voy si amplement parfaicte,
Que pour exemple aux autres tu es faicte ?
Bien heureux donc qui par bonne accointance
De tant de biens aura la congnoissance :
Et plus heureux, cent fois plus, sur mon ame,
40Qui congnoistra de tant de biens la Dame.
[3]LA III. EPISTRE.
DEpuis que i’eu l[’]autrier en la Karolle
Ouy ta voix, & benigne parolle,
Depuis que vy ton maintien gracieux,
Quand ie te dy qu’auois plains de grace yeulx :
5Quand en dansant me serras bras, & poulce,
Comme faignant qu[’]a ce faire on te poulse,
I[’]ay eu à toy incessamment regret :
Et mille fois t[’]ay dit le mot segret,
En te voyant par pensee, & phantasme.
10Et bien souuent quelque propos i’entasme,
Comme voulant à toy Dame parler.
Mon cueur te voit puis venir, puis aller,
Danser, [p. 65]
Danser, bransler, marcher, parler, soubzrire.
Et briefuement, ie ne sçaurois escrire,
15Quand mesmement i[’]en serois vn grand maistre,
Toutes façons, ou te voy, ma Dame, estre.
Car l[’]esperit bien souuent à part soy
(Ainsi qu[’]en moy tous les iours i[’]apperçoy)
Pourpense, voit, songe, suppose, & faingt,
20Ce que la plume à escrire se faint.
Ou qu[’]il n[’]est pas de ce faire poßible.
Ou qu[’]il n[’]est pas le plus souuent loysible.
Mais pense tu qu[’]on peust mettre en escrit
Comment ie te oy parler de grand esprit ?
25Comment te voy vestue, & comment nue ?
Comment te voy de corps gente, & menue ?
Comment en cotte, & comment en chemise ?
Comment ma main sur ta chair blanche est mise ?
Comment ie tien ton tetin bien refaict ?
30Tu m[’]en croyras, on n[’]auroit iamais faict.
Plume n[’]y ha qui le peust bien escrire :
Ny Orateur qui le peust bien descrire.
Langue n[’]y ha qui le peust racompter :
Ce papier cy ne le pourroit porter :
35La main n[’]est pas de ce trauail capable :
L[’]entrepreneur se sentiroit coulpable.
Pren donc en gré ce petit mot d[’]epistre,
Ton seruiteur ie me tien pour mon tiltre.
e LA [p. 66]

[4]LA IIII. EPISTRE.
DAme d’honneur, d[’]excellence, & de pris,
Dame de nom entre les bons Espritz
Dame qu[’]on tient chef d[’]oeuure de nature,
En qui beaulté, & grace est sans mesure :
5Ie te vueil faire vn petit souuenir
Du temps auquel soulions aller, venir,
Et tracasser puis en hault, puis en bas,
Estans petis, prenions petis esbas,
Courans par tout, mesme sur les fumiers,
10Comme l[’]on faict entour les ans premiers,
Lors que l[’]on est en bien tendre, & bas aage,
Lors qu[’]on n[’]a pas congnoissance, & vsage.
Te souuient il (responds moy) de ce temps,
Quand nous mettions tout nostre passetemps
15A nous iouer, rager, & babiller ?
A chien, & chat, & poupee habiller ?
A regarder des liures les images,
En les baisant, & leur faisant hommages ?
Quoy que ie fusse vn petit garsonnet,
20Souillé, brouillé, ainsi qu’vn garson nect,
Si toutesfois me souuient il encor,
Que nous soufflions en sublet, & en cor,
Puis nous venions l[’]une, ou l[’]autre attraper.
L[’]une venoit dessus l[’]autre frapper :
25L[’]un me poulsoit tant que tombois arriere :
L ’ autre [p. 67]
L[’]autre tenoit bien ferme vne barriere.
L[’]une en vn coing se cache, & se mussette,
Iouant au Ieu qu[’]on dit cligne mussette.
L[’]un nous vient faire vn asperges d[’]eau chaulde :
30Et l’autre faict de la cochemiaulde.
Voila les ieux ou preignent appetits
Filles, & filz pendant qu[’]ilz sont petis.
Certainement tout temps ne se resemble,
Veu qu[’]en bas aage auons vescu ensemble,
35Et maintenant tout est bien au rebours.
Ne plus ne moins que billes sur tabours,
Nostre aage va, qui tousiours coule, & passe :
Le temps, l[’]estat en si petit espace,
Les alliez bien souuent à part mettent.
40Or la raison, & l[’]usance permettent,
Qu[’]en bonne amour ceulx là viuent tousiours,
Qui ont vescu ensemble es premiers iours.
S[’]il te plaist donc de moy te souuiendras :
Et pour ton serf & amy me tiendras.
[5]LA V. EPISTRE.
I [’]Ay esté meu de rechef te rescrire :
Et ce qui est à moy notoire escrire.
Le filz Venus en mes escritz me instruit :
Le filz Venus à t[’]escrire me induit :
5Le filz Venus de bonne sorte, & guise,
e 2 Les [p. 68]
Les cueurs enflamme, & les espritz aguise.
Qui est celuy qui sans viures nourrit ?
Qui faict que fille, ou que femme nous rit ?
Mais qui conioinct les puceaux, & pucelles ?
10Qui est celuy qui tousiours repaist celles,
Et ceulx qui ont d[’]amours le train suyui ?
Qui rend vn cueur en lyesse asseruy ?
Qui faict saulter, rire, iouer, chanter ?
Qui peult les cueurs, & Espritz enchanter,
15Contre tout mal ? Qui est cil qui attraict
Les plus distraictz ? Qui est cil qui ha traict
Poignant les cueurs de viues estincelles ?
Voire tous cueurs iusques au plus rebelles ?
Qui faict que soient les Sages deuenus,
20Serfz de l[’]amour ? c[’]est le filz de Venus.
Amour nous mue ainsi en sa fournaise,
Amour ne peult rien faire qui ne plaise.
[6]LA VI. EPISTRE.
AQuoy tient il (Dame) qu’a ma semonse
Tu n[’]as pas faict vn seul mot de response ?
Ne sçais tu pas que de cueur bien feruent,
Les bons amys sentr’escriuent souuent ?
5Quand te plairoit le moindre mot mander,
Quand ne ferois que te recommander,
Me saluant par vn seul mot de lettres,
I[’]excuserois, ou ta prose, ou tes metres,
Si peulx [p. 69]
Si peulx tu bien encore y recouurer.
10Mais responds moy ne trouues tu que ouurer
Ne que rescrire en amoureux langage ?
Car on desire auoir escritz en gage
De l[’]amytié qui entre amans suruient :
Et bien souuent (de ce i[’]en suis seur) vient
15La bonne amour qui mect escritz par rolle.
Amour iamais n[’]a perdu la parolle :
Plus ha parlé, tant plus trouue à parler.
Incontinent vole sa voix par l[’]air,
Mais tout soubdain en vient d[’]autre, & surcroist,
20Car beau parler dedans sa bouche croist.
Plus il recite, & plus veult reciter :
Plus il excite, & plus veult exciter :
Plus ha escrit, & plus trouue à escrire :
Plus il ha ry, & plus il trouue à rire.
25Plus ha son aise, & plus se veult aiser :
Plus ha baisé, & plus il veult baiser,
Plus il induict, & plus il veult induire.
Amour est grand, Amour ha c[’]est vn Sire :
Plus ha ioué, & plus il veult iouer.
30Plus ha loué, & plus il veult louer.
Plus ha congneu, & plus il veult congnoistre.
Plus ha esté, & tant plus il veult estre.
Plus il ha veu, & tant plus il veult veoir.
Tant plus il ha, & tant plus veult auoir.
e 3 Tant [p. 70]
Tant plus il veille, & tant plus veult veiller :
Plus il trauaille, & plus veult trauailler :
Plus il ha faict, & plus il trouue à faire.
Brief, en amour c[’]est tousiours à refaire.
Quand il est saoul, c[’]est adonc qu[’]il ha faim.
40Et bien souuent quand on l[’]estime vain,
Adoncques c[’]est qu[’]il veult recommencer.
C[’]est le plus fort en tout que commencer.
[7]LA VII. EPISTRE.
QVand vous plaira iecter l[’]œil sur ces lettres,
(En supportant ma muse, & petis metres,
Qu[’]en vostre cueur mettrez comme en registre)
Vous congnoistrez qu[’]en la presente Epistre,
5Ie vueil louer vostre port souuerain,
Vostre beaulté, & regard tant serain.
Car affermer ie puis, & de vous dire,
Que Pandora en qui n’eut que redire
Touchant beaulté, beau parler, bonne grace,
10N[’]eut tel beaulté, ne contenance en face :
Bien aduisé le corsage, & maintien,
Dont bien heureuse, & sage ie vous tien.
Pandora eut de Pallas sapience,
Et d’ Apollo musicale science.
15Beaulté de corps luy octroya Venus.
Auec ces dons qui luy sont aduenus,
Eloquence [p. 71]
Eloquence eut du tresfacond Mercure.
Mais enuers toy de tout cela n[’]ay cure :
Car Apollo, Minerue, ne Pallas,
20Ne außi Venus, chef de grace, & soulas,
Combien que soient tenuz Dieux, & Deesses
De si haultz dons les Princes, & Princesses,
A peine sont à vous equiparez :
D[’]autant moins ceulx qu[’]ilz ont de loz parez.
25Accourez cy Nymphes toutes par rangs,
Et maintenant laissez ruysseaulx courans.
Laissez voz Montz, ô Muses Parnasides :
Venez icy deesses Pegasides.
Vous qui auez puissance sur la mer,
30Que mariniers ne faignans reclamer,
Par vostre nom appellent Nereïdes :
Et vous außi gracieuses Hymnides,
Dames des prez : vmbrageuses Dryades,
Nymphes des boys. Et vous Hamadryades,
35Qui possedez les haultz arbres vtiles :
Pareillement vous Nappees gentilles,
Ie vous inuite. Et vous Dames Naiades,
Fleuues laissez. Et vous les Oreades,
Qui habitez les montz hault eleuez,
40Ensemblement vous pry que vous leuez
Et venez droit au lieu ou de present
Vous verrez bien vn excellent present.
e 4 Celle [p. 72]
Celle de qui mon cueur succe sa vie :
Celle tant belle, & qui sera seruie
45Tousiours par moy : puis quand vous l’aurez veuë,
Sa grand beaulté plaira à vostre veuë.
Et ses vertus passans le bruit qui court,
Vous induiront à luy faire la court.
Lors la verray dessus vous establie,
50Pour les vertus dont elle est anoblie.
Royne sera des dominations
Que possedez, & toutes nations
Luy seruiront comme petis vassaulx.
Les verdz buyssons, les prez, les montz, les vaulx
55Seront tousiours à son commandement.
Mais mon sçauoir, ma plume, entendement,
Ne pourroient pas sa dignité poursuyure,
Quand poursuyuant i[’]en emplirois vn liure.
Tant digne elle est, & de moy tant aymee
60Qu[’]amour en moy au vif l[’]a imprimee,
Prometheus qui simulachres feit
Premierement, oncques tel n[’]en parfeit,
Comme est celuy que Cupido imprime
Dedans mon cueur, de celle que i[’]estime.
65Certainement onc au double ne triple,
Ne Lisippus, ne Cares son disciple
Sceurent pourtraire image si parfaicte,
Que celle là, que Cupido m[’]a faicte.
Pyrgo [p. 73]
Pyrgoteles de pierres precieuses
70Graueur subtil, choses tant radieuses
Oncques ne feit, ne tout autre graueur,
Que Cupido plain de grace, & saueur.
Onc de Zeusis les raisins bien tirez,
Combien qu[’]ilz soient des oyseaux attirez,
75N[’]außi le Lin naifuement pourtraict,
Que feit vn iour Parrhasius, par traict
De son pinceau (iaçoit que y fut deceu,
Ledict Zeusis, quand il eut aperceu)
Telz n[’]ont esté ne si viuement faictz,
80Comme en mon cueur de l[’]amour les pourtraictz.
Onc Phidias, bon & expert tailleur,
Ne fut si bien en son art batailleur,
Qu[’]il surmontast par son art approuué,
Ce que l[’]amour en mon cueur ha graué :
85Combien qu[’]il ait l[’]image de Minerue
(A qui il fault que tout bon Esprit serue)
Faicte en yuoire, & en or richement,
D[’]un hault Esprit ouurant bien haultement.
Pour estre brief, L[’]epistre finiray :
90Mais à l[’]amour iamais fin ne feray.
[8]LA VIII. EPISTRE.
EN t[’]escriuant, de toy ie ne me plains :
En t[’]escriuant, ne fay, ne cris, ne plaintz.
e 5 En
[p. 74]
En t[’]escriuant sur l[’]heure tout dueil cesse,
5Et en son lieu y vient Dame Lyesse.
Quand Amoureux fruict d[’]aymer attendans,
Font telz regretz, il y ha ia tant dans,
Que ta rigueur (Dame trop rigoureuse)
Me faict mener vie tant langoureuse.
10O cueur remply d’aspre rebellion !
O fiere plus qu’Aspic, Tygre, ou Lyon !
Entiere amour à toy seule ay donnee,
Et telle amour de rien n[’]as guerdonnee.
Iectans souspirs, estans plains de regretz,
15Se contristans en termes non secretz :
Telz doiuent bien le temps qu[’]ilz perdent plaindre :
Car ilz ne font sinon que se complaindre,
Bannis d’espoir, saisiz de desconfort.
Mais moy qui ay matiere de confort,
20Ce n[’]est raison que sois à eulx semblable,
Quand i[’]ay congneu ton vray cueur secourable.
Ce qui se faict par desplaisir, & dueil,
Ce qui se faict quand la lerme part d[’]œil,
Ce qui se faict par refus sans respit :
25Ce qui se faict par ire, & par despit
N[’]a point de grace, & perd on temps, & peine :
Puis l[’]escriture est mal plaisante, & vaine.
Mais ce que faict vn cueur plain de lyesse,
Vn cueur à qui l[’]amour ha faict caresse,
Donne [p. 75]
Donne à tout œil & cueur vn plaisir tel,
Qu[’]il n[’]a semblable en ce monde mortel.
[9]LA IX. EPISTRE.
QVand tu me voys t[’]escrire de rechef,
O de beaulté, & de grace le chef,
Et quand tu lys tant de menus propos,
Tu dois penser qu’amour n[’]a nul repos.
5Esté, yuer, autant festes que veilles,
De nuict, de iour, amour faict grands merueilles.
Qui les pourroit escrire, ou racompter ?
Mais quelque peu t[’]en veulx icy compter.
Amour iamais ne sommeille, ne dort.
10Amour faict tout, & si n[’]a iamais tort.
Amour requiert vn esprit esueillé.
Amour n[’]est las, amour n[’]est traueillé.
Amour est chault, amour est merueilleux.
Amour n[’]a nulz dangers pour perilleux,
15Desquelz il sçait bien tirer le plaisir.
Amour iamais n[’]est sans ioye, & desir.
Qui faict parler amoureuses parolles ?
Qui faict rondeaux souuent mettre par rolles ?
Qui faict Rommans, & plaisantes ballades ?
20Qui faict iecter attrayantes œillades ?
Qui faict donner baisers tant souefz, & doulx ?
Qui ioinct ensemble espouses, & espoux.
Qui [p. 76]
Qui faict chanter, & motetz, & dictons,
Et iouer fluste à neuf, ou à dix tons ?
25Qui faict danser, saulter, rire, esiouyr ?
Qui faict du bien tant desiré iouyr ?
Le Dieu Amour. Amour faict tout celà.
Amour domine & de ça, & delà,
Amour est craint, loué, aymé, prisé,
30Amour n[’]est point hay, ne mesprisé.
Amour est grand, Amour est puissant maistre.
Amour faict l[’]homme, & außi la femme estre
Subiectz à luy. Amour est vn Seigneur,
Qui de tout bien, & grace est enseigneur.
35Parquoy d’amour la grace, qui n[’]est vaine,
Entretenons : & n[’]ayons nerf ne veine
Qu’a secourir l[’]un l[’]autre ne soit preste,
Yuer, Esté, & iour ouurier, & feste.
[10]LA X. EPISTRE.
S [’]Il est ainsi qu’on se mect en mesnage,
Et qu[’]on eslit l[’]estat de mariage,
Plus pour auoir lignee que autrement :
Et que souldain, voire bien caultement,
5Le feu d[’]amour deux cueurs ensemble mesle,
Si qu[’]on engendre enfant masle, ou femelle :
Comparer puis cest estat vertueux,
Bien dignement à l[’]arbre fructueux :
Duquel [p. 77]
Duquel le fruict merite grand estime.
10Et dire außi (sans aucun desestime)
Virginité estre vn arbre sans fruict,
Fueillu, & beau, ainsi qu[’]il en ha bruict.
Ou vne fleur au prim temps belle, & rare,
Qui le sien lieu bien souefuement repare.
15Or tout ainsi que fruict vault mieulx que fleur,
Tant souefue soit, & de belle couleur,
D[’]autant l[’]estat de mariage passe
Virginité, si les deux on compasse.
Car le premier est fertile de soy :
20Le second non. En ce ne me deçoy,
Et ne desplaise à prieure, ou abbesse,
Ne crient ia que leur honneur i’abbaisse.
Ie sçay tresbien que la virginité
Aproche plus de la diuinité.
25Sans le premier si fussent ilz à naistre :
Mesme vn chascun tant soit il puissant maistre.
Sans le second, qui est vn haultain bien,
L[’]on peult pourtant à Dieu complaire bien.
Changeons propos. Vostre chere endormie,
30Ha maintenant vostre physonomie,
Vostre tetin mollet, & engrossy,
Et duquel sort le premier laict außi,
Disent assez que vous n[’]estes plus celle,
Qui fut iadis quand vous estiez pucelle.
Mainte [p. 78]
Maintenant donc pouuez bien dire, ha Lict
Que dois aymer, ha pudicque Chaslit,
Dessus lequel pour vne fleur donnee,
I[’]ay eu vn fruict par puissance ordonnee
Du createur, qui ha tout ordonné :
40C[’]est asçauoir vn beau filz nouueau né.
Dessus lequel (ô le grand bien) naguere
Fille ie fus, & maintenant suis mere.
S[’]il ne vous ha donc beaucoup esté grief
A ceste fois, ie prie à Dieu qu[’]en brief
45Vous puisse veoir encor enfler le ventre :
Et qu[’]il en sorte außi doulx qu[’]il y entre.
[11]LA XI. EPISTRE.
SI au traict d[’]œil on entend à peu pres,
Qu[’]on doit auoir la grace cy apres,
De celle là qui tout droit au cueur tire
Son traict par l[’]œil, oseray ie point dire,
5Que nullement ie n[’]ay mal rencontré ?
Quoy que ie soye vn peu mal acoustré,
Non seulement en habitz, mais en grace
Pour la beaulté qui reluit en ta face.
Si ce n[’]estoit ta grace, & yeulx rians,
10Yeulx dameretz, gracieux, & frians,
Nauré ne fusse ainsi comme ie suis :
Dequoy sans toy guerir ie ne me puis,
Ne [p. 79]
Ne veulx außi. Car bien ie m[’]y complais,
Soit qu[’]en cela ie te plais, ou desplais.
15Si ie te plais, la chose mieulx s[’]en porte :
Si ne te plais, pourtant ne me deporte,
Ains priseray (que tu vueilles, ou non)
Incessamment ta beaulté, & ton nom.
Voila que c[’]est tu me peulx bien entendre,
20Que ie ne quiers qu[’]a honnesteté tendre.
L[’]honneur de toy m[’]est si tresprecieux,
Que ne pretends aucun poinct vicieux.
[12]LA XII. EPISTRE.
SI au songer on peult prendre fiance,
Ou si l[’]on ha par luy signifiance
De l[’]aduenir, mon cueur bon espoir prent,
Que de t[’]aymer nullement se mesprent.
5Car ceste nuict i[’]ay songé que i[’]estoye
Aupres de toy, sur qui mon œil iectoye,
Par grand desir (dont me sens embraser)
D[’]auoir de toy vn gracieux baiser.
Et quand tu euz ma personne aduisee,
10Sur moy iectas si poignante visee,
Qu[’]elle persa mon cueur entierement.
Puis tout soubdain, & tout ioyeusement
(Te destournant à cause de ta mere,
Qui deuisoit auecques sa commere)
De [p. 80]
De bien bon cueur la bouche me prestas,
Et à ce coup mon cueur tu emportas
Entierement, sans laisser part aucune :
Comme voulant que ie n[’]en ayme que vne.
Brief m[’]a esté ce seul baiser tant souef,
20Qu[’]il ha estaint iusque à present ma soif.
Et m[’]est aduis qu[’]il peult assez suffire
A toute amour des autres desconfire.
[13]LA XIII. EPISTRE.
DE nostre faict voluntiers escrirois,
Et voluntiers de vous response aurois.
Mais pour autant que sçay que la matiere
Ne se peult pas escrire bien entiere :
5Et qu[’]on ne trouue außi messagers seurs,
Lesquelz soient bien de l[’]affaire dresseurs,
Ie ne me vueil trop aduanturer à ce.
Sans doubte, suis de tel courage, & race,
Que recongnoy (ie ne dy pas combien)
10Tout bon plaisir, toute grace, & tout bien.
Ne m[’]accusez doncques de nonchalance,
Ne de mespris, de cueur fainct, d[’]oubliance.
Mais receuez pour raisonnable excuse
(Comme deuez) les raisons de quoy ie vse.
15Ce que ferez si bien me congnoissez :
Si autrement, vous me mescongnoissez.
LA [p. 81]

[14]LA XIIII. EPISTRE.
LA SVPERSCRIPTION.
Epistre va à seureté,
Aux deux dames de grand beaulté.
QVand i[’]ay beaucoup appliqué ma pensee,
5Dessus le faict de la danse passee,
Ie n[’]en ay peu autre chose penser,
Fors que vouldrois estre à recommencer.
Non pas pourtant que ie y sache beaucoup,
Mais que me plais d[’]en mener deux au coup.
10Que si quelcun trouuve la chose estrange,
Excusé sois, car ie ne puis estre ange.
Ie vous voyois toutes deux sur le poinct
De bassedance, & à moy ne tint point.
Car auec moy toutes deux la dansastes,
15Ie ne sçay pas puis apres qu[’]en pensastes.
Soit beau, soit laid, la mienne intention
N[’]accomplissoit que vostre affection.
Mais trop en ha celuy qui deux en meine :
Il en ha plus celuy qui trois en traine.
20Or Dieu mercy i[’]ay deux mains, voire bien
Deux yeulx, deux piedz, c[’]est chascune le sien.
Mais ie ne puis deux autres choses dire,
Que ie vouldrois pour à vous deux suffire :
Parquoy außi n[’]en vouldrois deux, ne quatre.
25Ie n[’]en vouldrois que vne à part pour combatre.
f Car [p. 82]
Car mesme on dit que Hercules, homme preux,
Feroit assez de se combatre à deux.
Or excusez la danse, & l[’]escriture,
Puis qu’a ces deux est requise mesure.
30Et estimez que la puissance nostre,
Le cueur, le corps, le sçauoir, tout est vostre.
[15]LA XV. EPISTRE.
SI par n[’]auoir attendu grand longueur
De moys, & d’ans, i[’]ay vsé de rigueur
En te priant, ou (comme tu veulx dire)
En te pressant pour ton honneur destruire,
5Pardonne moy. Mais hault & clair ie iure,
Que ie n[’]euz onc vouloir te faire iniure.
Et suis celuy, si tu me congnois bien,
Qui veult garder ton honneur, & ton bien.
Et ne vouldrois à toy, ou autruy, faire
10Rien dont sortist quelque mauluais affaire,
Car ie ne crains trop despris, & deshonneur.
Excuse donc en tout bien, & honneur
Celuy lequel la plume ha voulu mettre
Sur ce papier, t[’]escriuant ceste lettre.
15Car bon vouloir qu[’]il eut empraint en cueur,
Par forte amour ha esté son vainqueur.
Pareillement ta tant honneste grace,
L[’]a incité de prendre ceste audace.
Ie te [p. 83]
Ie te pry donc de cueur, & de pensee
20Me pardonner si ie t[’]ay offensee :
Mais ie sçay bien qu[’]en faict, ny en penser,
Onc ne voulu fille, ou femme offenser.
Et si tu dys, ce ne sont que redictes :
Ie feray tant par mes loyaulx merites,
25Que tu n[’]auras de plaindre occasion.
Oste, oste donc la persuasion,
Que contre moy tu me sembles auoir.
Car de ma part ie feray tout deuoir.
La peine ou suis m[’]est vne chose griefue :
30Mais ton absence encore plus me griefue.
Plaise toy donc de ton meilleur courage,
Aymer le cueur que tu tiens en seruage.
Et en l[’]aymant bien tost me viendras veoir :
Ce me sera plaisir de te reuoir.
35En te voyant me mettras hors de peine,
Et de soulcy dont ma pensee est plaine.
Celuy qui veult tousiours tien demourer,
T[’]aymer, seruir, priser, & honorer :
Te presentant de bien bon cueur sans vice,
40A tout iamais humble, & loyal seruice.
[16]LA XVI. EPISTRE.
MErcy te rends de la tienne responce,
Qui au premier va picquant comme ronce,
f 2 Mais [p. 84]
Mais au milieu, & en fin se adoulcist,
Comme en l[’]espine vne rose doulce yst.
5Or te veulx tu fonder sur vn exemple
D[’]un faict que fey pour raison grande, & ample.
Dy ie raison ? I[’]en sçay vn milion :
N[’]allegue plus la Dame de Lyon.
Car ma doulceur n[’]est sucre de madaire :
10Mon cueur ne va ainsi qu’vn dromadaire :
Mais il quiert bien s[’]arrester en bon lieu.
Tel te seray en fin, comme au milieu.
La bonne amour n[’]est pas comme vne nue,
Pour s[’]en aller si tost qu[’]elle est venue.
15Tu as de moy à tort mal estimé,
Ne pensant pas qu[’]eusse tant imprimé
Le souuenir de toy, iusque à escrire,
Moy qui te veulx par sus toute autre eslire.
Il est aisé de dire, on doibt sçauoir
20Qu[’]il fault espoir, & patience auoir :
Mais c[’]est außi grand oultrage, & nuysance,
Ne secourir quand on ha la puissance.
Pour estre brief ie me veulx inciter
A inuocquer le nom de Iuppiter,
25Pallas, Venus, Apollo, & Mercure,
Qui nous mettront hors de tristesse obscure.
De par celuy qui quiert ton amytié
Autant qu[’]il dit, & plus de la moytié.
LA [p. 85]

[17]LA XVII. EPISTRE, par la
Damoyselle à qui s[’]adressoit
la precedente.
MErcy te rends, & ay veu ton escrit,
Bien composé, & de bien bon esprit,
Ce neantmoins tu m[’]estimes picquante,
Mais ie n[’]en suis d[’]un seul mot recordante.
5Quand à l[’]affaire en l[’]escrit recitee
Tu la confesse. Or ne suis incitee
D[’]en plus parler : car cela te desplaist.
Puis tu me dis chose qui trop ne plaist,
Ie picque tant, & puis apres suis doulce :
10Ie suis ioyeuse, & puis ie me courrousse.
Tu l[’]as escrit, qui n[’]est faict honorable :
Car sembleroit que ie fusse muable.
Or quand à toy, ton amour continue :
Mais ie croy bien qu[’]assez en diminue.
15Si tu me veulx par-dessus toute eslire,
Rien ie n[’]en iuge, ains i[’]ose bien te dire,
Que tu as bien c[’]est art, & la science,
De te munir de bonne patience.
Quand au secours de Iuno, Iuppiter.
20Cela ne peult mon cueur precipiter.
Venus, Pallas, Mercure & tous le [sic pour les] Dieux,
En ce cas là ie les trouue odieux :
Considerant qu[’]en peine ne pense estre.
f 3 Voulant [p. 86]
Voulant tousiours tout labeur recongnoistre.
[18]LA XVIII. EPISTRE, de l[’]autheur :
responsiue à la precedente.
QVand à l[’]esprit qui composa la lettre,
A qui tu as bien respondu en metre,
Il est tel quel, & non tel qu[’]il veult :
Mais seulement il est tel comme il peult.
5Et tous les iours à plus sçauoir aspire :
Si luy suffit qu[’]il est meilleur qu’vn pire.
Quand à l[’]escrit ie te voy replicquer,
Que n[’]as aucun record de ton picquer.
Tu prens en mal, & ton cueur se courrousse :
10Qu’ay dit ta lettre estre rude, & puis doulce.
Si ne fault il, sans que plus on estriue,
Que bien reueoir ta premiere mißiue.
Et quand au vers, ou m[’]euz difficulté,
Bien se deffend. Le vers tel ha esté.
15(Qui nous mettront hors de tristesse obscure)
Tant seulement ma liberté procure.
Car tout ainsi que nous vsons de, Vous,
Pour vn, ou plus, außi faisons de, Nous :
Et, nous, pour, moy, souuentesfois se prent.
20Ton esprit donc cy endroit se mesprent.
Mais ô amye, aymee, & bien voulue,
Rends moy soubdain la response absolue :
Et [p. 87]
Et garde toy apres de repentir,
Si à m[’]aymer tu ne veulx consentir.
[19]LA XIX. EPISTRE.
LA SVPERSCRIPTION.
Epistre va droit aux deux sœurs
Pleines de graces, & de doulceurs.
PAr vn esbat, & comme en passant temps,
5Au tabourin auons pris passetemps,
Auecques vous, deux sœurs, que Dieu benie :
Pareillement auec la compagnie,
En tout honneur. Car il est bien raison
Aucunesfois selon temps, & saison
10De son Esprit recreer, & s[’]esbatre.
Quand est de moy ne m[’]en veulx faire batre,
Et pour laisser liure, plume, papier,
Pour tel deduit, ne m[’]en fay pas prier.
Car ie sçay bien que prendre esbat esueille
15Souuentesfois vn Esprit qui traueille :
Et si l[’]aguise, & luy donne vigueur,
En appaisant sa trop grande rigueur.
Car la femme est toute doulceur benigne.
Mesme il n[’]y ha (ce croy ie) esbat plus digne,
20Plus gracieux, & plus recreatif,
Bening, ioyeux, courtois, consolatif,
Que cestuy là dont vn peu nous vsasmes,
Quand en dansant, ou apres deuisasmes.
f 4 Certaine [p. 88]
Certainement ie croy qu[’]il n[’]y ha point
25Pour ieunes gens vn esbat si à poinct.
Außi la femme est creature faicte,
A fin que l[’]homme elle recree, & traicte.
Doncques ne quiers soit en dit, ou en faict,
Autre moyen que cil que Dieu ha faict.
30C[’]est le moyen plus seur, & necessaire
Á toutes gens qui sont de bon affaire.
Autres esbatz font noyses, & tençons :
Cestuy cy faict que seulement pensons
D[’]auoir la grace ou de femme, ou de fille :
35Qui est vn bien qui en vault plus de mille.
Si i[’]auois temps, à present, ie ferois
Epistre longue, ou ie deschiffrerois
Le bien, que c[’]est d[’]auoir acquis la grace
De fille, ou femme estant de bonne race.
40Parquoy (mes sœurs) ne vous attendez pas,
De veoir icy long propos de ce cas.
Mais i[’]ay espoir de brief vous en escrire,
Tant qu[’]aurez trop, & à lire, & à rire.
[p. 89]

EPIGRAM-
MES.
*
[1]A Catin.
C ATIN, ton chãt, & doulce voix,
Mon cueur, & sens ha resjouy.
Et en tescoutant tant de fois,
De grande liesse ay iouy,
5Quand si doulx chant de toy i’ouy.
Or ton chant auec toy mourra,
Et apres toy ne demourra :
Mais ce petit chant de ma Muse,
Long temps apres moy durera :
10Oy le donc, & ne le refuse.
[2]A quelque dame.
Vostre boucquet est plus riche que moy,
Car il est tout de fin or, & de soye.
Et dessus moy, or, ne soye ne voy.
Mais nonobstant que rien moins ie ne soye
5Que son pareil, & que ie ne me voye
Si richement vestu, paré, orné
Certes iamais ne le refuseroye,
Venant du lieu dont il me fut donné.
[3]Autre.
La bourse que donné m’auez
f 5 D ’ une [p. 90]
D[’]une affection tant heureuse,
Est belle, grande, & plantureuse,
Et vault plus que ne me debuez.
5Mais (madame) vous ne sçauez,
Ce que m[’]en ont dict en maintz lieux,
Plusieurs amys qui ont bons yeulx,
Et en telz cas tresbien expertz :
Vn mal y ha (dont beaucoup perds)
10Que ne fut pleine d[’]escuz vieux.
[4]De Anne.
Quand me ioue à Anne, elle dit,
Or deportez vostre ieunesse :
Mais si par ieu ie n[’]ay credit,
Ne le puis ie auoir par largesse ?
5Largesse en est la grand prouesse :
Largesse y vaut plus que sagesse.
Quand donc la vainqs par fonsement.
D[’]vn ieune homme rien que ieu n’est ce,
(Ce dit Anne) & par mon serment
10Il fault supporter sa ieunesse.
[5]La ieune Dame se plainct de son
Mary vieillard.
Quand souuent je pry mon Mary,
Il me respond, ie suis marri
Qu[’]il faut que ie vous le refuse :
Nest ce pas vne belle excuse ?
Plus [p. 91]

[6]Plus est veoir, que lire les beaultez.
Quant à beaulté, l[’]experience
De regard, & de viue voix
Vault dauantage, & mieulx cent fois
Que la lecture, & la science.
[7]De la doulceur d[’]amours.
I[’]ay veu que desprisoye amours :
Mais maintenant tout au rebours,
Depuis qu’ay gousté sa doulceur,
Il n[’]y ha ne frere ne sœur,
5Il n[’]y ha ne Grac, ne Latin,
Qui me gardast d[’]aymer Catin.
[8]A sa Dame.
Ma bonne amye, i[’]ay songé
Que prenois les Grues volantes.
Que dit cela ? est ce congé
Et refus des choses plaisantes,
5Que soubz paroles trop cuisantes
Me donras, me baillant la grue ?
Garde t[’]en bien. car tost ie rue
Fort & ferme sur deux, ou trois :
Et ay songé que je les tue.
10Cela dit que m[’]en vengerois.
[9]Autre à sa Dame.
Ne t[’]esbahy de ce grand froid,
Comme [p. 92]
Comme il gele à pierres fendantes :
Car toutes chaleurs sont tout droit
Deuers mon foible cueur tendantes.
5Toutes les grans chaleurs branslantes
Au monde (Amye) ont dit adieu,
Et se logent au beau milieu
De mon cueur : forte amour l[’]ordonne.
Approche donc de ce chault lieu,
10A celle fin que je t[’]en donne.
[10]De son hostesse.
Madame Ieanne mon hostesse,
Autant belle qu[’]il en peult estre,
Me demandoit si querois maistre :
Non (dy ie) mais vne maistresse.
[11]A une Damoiselle qui auoit
un antrac au doz.
Madamoyselle tant benigne,
Il fault appliquer la lancette,
Non sur l’antrac de ton eschigne,
Mais sur ta playe vermeillette.
[12]De Catin
Ainsi comme Catin se mire,
En peignant son beau chef doré,
Le Soleil vient droit dessus luyre :
Et ha si beau chef adoré.
Autre [p. 93]

[13]Autre.
Par vn matin Catin se mire,
Et peignant son beau chef doré :
Mais le Soleil ses rays retire,
De dueil qu[’]il ha & de grand ire,
5De veoir vn chef si bien paré.
[14]A M. Pierre Saliat.
Pour tes estreines ie te donne
Ce que ie ne me puis donner.
C[’]est une amye belle, & bonne :
Riche, sage, telle personne
5Que tu sçaurois bien blasonner.
[15]Autre, d[’]un Amant mallade
par trop aymer.
Pour vn Amant resusciter
Transi d[’]amours tant que c[’]est rage,
On luy vient dire, & rapporter
Qu[’]il prenne vn petit de courage,
5Et qu[’]il l[’]aura en mariage.
Il se guerit : on la marie
A vn autre. saincte Marie
N[’]en perd il point l[’]entendement
Pour telle proye ainsi perie ?
10Non : mais deux fois meurt seulement.
De [p. 94]

[17]De
Martin qui auoit gaigné le
proces par lequel il plaidoit
pour avoir femme.
Martin playdoit vne monture :
Son proces gaigna d[’]aventure.
Dessus monta, vers la minuict,
Car c[’]estoit monture de nuict.
[18]A vne Dame.
𝆹𝅥𝅯𝆺𝅥𝅯
Partition
Si vraye amour merite recompense,
Et si pitié n[’]a perdu son pouuoir,
Chef de beauté il fauldra bien qu[’]on pense
De quelque octroy gracieux me pouruoir.
5Car si pitié n’ouure tes yeux pour veoir
L[’]estat auquel ie suis pour t[’]aymer seule,
T’amour en fin me sera vne meule
Pendue au col, me plongeant en la Mer
De desespoir, ou sans fin je me deule
10De tel aymer, trop plus que fiel amer.
[19]A Catin.
Prié t[’]auoye (amye) en amytié,
Que souppißions hier ton Oye grasse :
Mais [p. 95]
Mais tu n[’]en mis au feu que la moytié :
Ne suis ie donc qu’ademy en ta grace ?
[20]A quelcun.
Tu t[’]esbahis qu[’]en champs & villes
Je me ry tant auec les Filles :
Plus m[’]esbahis de tes façons,
Qui tant ris avec les Garsons.
[21]A vne Damoyselle, touchant
son Espie.
Ce iourdhuy, veille de dimenche,
I[’]ay plus de cent fois souhaitté
Que ce Mouschart dedans ma manche,
Comme mon mouschoir eust esté.
5Bien durement l[’]eusse traicté.
Tu es asseuree de faict,
Que je l[’]eusse bien molesté
Autant ou plus qu[’]il nous ha faict.
[22]A vne Dame qui differoit
trop.
Ie t[’]ayme d[’]amour si extreme,
Que ie me donne à toy moymesme :
Si tu ne veulx iouyr de moy,
Au moins que iouysse de toy.
Autre [p. 96]

[23]Autre.
Fy de long temps faire aux Dames la court :
I[’]ayme qu[’]on m[’]ayme, & qu[’]on le face court.
[24]A celle qui craignoit la tempeste.
Ce iourdhuy pour l[’]amour du temps
Tu ne veulx coucher auec moy :
Mais (amye) si tu l[’]entends
Te garderay de tout esmoy.
5Car si la fouldre en grand effroy
Descend auec vn gros tonnerre
Fauldra que pres de toy me serre :
Pour t[’]asseurer t[’]embrasseray :
Puis te liureray autre guerre
10Si tost qu[’]entre tes bras seray.
[25]De la perte d[’]un Anneau.
𝆹𝅥𝅯𝆺𝅥𝅯
Partition
Ie l[’]ay perdu bien meschamment
L[’]anneau que n[’]ay porté qu[’]vn iour :
Mais si i[’]en eusse gentiment
Faict quelque Dame par amour !
[26]A vne Damoyselle qui auoit
la fieure.
Madamoyselle, si la fieure
Qui de soupper vous ha gardee,
Cou [p. 97]
Couroit außi viste qu[’]vn Lieure
Quand les Chiens l[’]auroient regardee :
5Tost eust esté contregardee
Vostre beaulté de sa malice.
Car pour chasser la faulse lice,
I[’]eusse hallé grans chiens expres,
A fin de vous faire service,
10Qu[’]eussiez recongneu puis apres.
[27]De
Catin.
𝆹𝅥𝅯𝆺𝅥𝅯
Partition
Souuent je veulx baiser Catin,
Laquelle n[’]ose pour sa mere
Me baiser ne soir, ne matin :
Qui est dure chose, & amere.
5Vn jour la mere par mystere
Fut deceue sans y viser,
Catin vient l[’]enfant appaiser,
Mais elle entend bien son latin.
Lors ie fay semblant de baiser
10L[’]enfant, & je baise Catin.
[28]De la Femme, & du Nauire.
Entre vne Femme, & vn Nauire,
Il n[’]y ha pas beaucoup à dire :
Car tous deux (qui veult monter)
Ne sont faictes que pour porter.
g A Dame [p. 98]

[29]A Dame Ieanne.
I[’]ay congneu deux belles fillettes,
L[’]une à Angers, & l[’]autre à Tours :
Toutes deux ieunes, gentes, nettes,
Et bien propres en leurs atours :
5Dignes de Royalles amours.
Toutes deux portans le nom d’ Anne :
Toutes deux blanches comme mannes :
De cueurs gays, & de corps legers :
En ce different (dame Ieanne)
10L[’]une est de Tours, l[’]autre est d’Angers.
[30]A
Catin.
𝆹𝅥𝅯𝆺𝅥𝅯
Partition
Catin ma gentille brunette,
Tu t[’]es faicte saigner du bras :
Pour estre plus saine & plus nette,
Il te falloit saigner du bas.
[31]A vne Dame, de son
depar-
tement.
Ton grief depart m’a departi :
Et ton depart te laisse entiere,
Car mon cueur s[’]est de moy parti
Pour te suyure à coste, ou arriere :
5Le seul corps demeure derriere.
Mais tu as ton cueur à toute heure,
Car [p. 99]
Car auec moy point ne demeure.
O auare qui as deux cueurs,
Rens m[’]en l[’]un, ou bien ie t[’]asseure
10Sans plus attendre ie me meurs.
[32]Contre Amour.
Amour fuy t[’]en au loing de moy,
Avec tous tes bancquetz, & pompes
Tu n[’]es que dueil, peine, & esmoy,
Et le meilleur en fin tu trompes.
[33]A Catin.
Fuy t[’]en de moy, fuy t[’]en arriere:
Car ta beaulté tant singuliere
Trop dangereux mal me pourchasse,
Si tu ne me fais quelque grace.
[34]De Amour, qui faict feu, & eau.
Ie m[’]esbahy qu[’]en eau je suis fondu,
Qui n[’]ay iamais les poures ioues seiches :
Plus m[’]esbahy qu’Amour ne m[’]a rendu
Tout conuerti en cendres, & flammesches,
5Ausßi aisé comme petites mesches.
Ie suis le Nil, & suis le mont Etna :
Etna, pourtant qu[’]au monde tel feu n[’]a :
Le Nil, pourtant que ie fondz tout en pleurs.
g 2 Feu, [p. 100]
Feu, boy ces pleurs qu’Amour me resigna :
10Pleurs restraignez ce feu, & ces chaleurs.
[35]D[’]vne femme qui s[’]esbahissoit
comment elle estoit sterile.
A vne dame de Bretaigne,
Doubtant pourquoy ne conceuoit,
Luy respondy qu[’]elle resuoit
En presence de sa compaigne :
5Et que ne m[’]en esbahy point.
Lors elle en veult sçavoir le poinct,
Que tost declairer ie ne daigne.
Mais quand en train ie fus entré,
Ie luy dis quelle estoit brehaigne,
10Et son mary estoit chastré.
[36]A dame Michelle.
Ie te renvoye ton liuret,
Tout sain & sauf dame Michelle,
Preste m[’]en vn autre secret
De ta librairie plus belle :
5Ou de cueur, de corps, & grand zele ;
Par maintes nuictz i[’]estudiray,
Et les fueilletz retourneray.
O le trebeau, & plaisant liure !
Auquel s[’]il te plaist i[’]escriray.
Dy [p. 101]
Dy donc le mot, & me le liure.
[37]Au Lecteur.
Estre ne veulx en mesme livre
Spirituel et terrien :
Puis l[’]amour, puis la vertu suyure,
Brouillant le mal auec le bien.
5Mais les Anciens le font bien,
Qui ont vescu tant bien prosperes.
Tout cela ie ne ignore rien :
Mais ie ne veulx suyure mes Peres.
[38]De Catin.
Ie fuis trop plus viste qu’vn Lieure,
Deuant la face de Catin :
Car ny mon Grec, ny mon Latin
Me garderoient de chaulde fieure.
[39]A Catin.
Si tu es constante à m[’]aymer,
En mes œuures te feray viure :
Viure sans fin, sans consumer,
Telle recompense te liure.
5Ton nom sera de mort deliure,
Soit par mes vers, soit par ma prose.
O que plusieurs (si leur bouche ose)
g 3 Diroyent [p. 102]
Diroient (amy) i[’]en suis d[’]accord !
Car qui vouldroit plus belle chose,
10Que viure encor apres la mort ?
[40]A deux Damoiselles qui eurent
la fieure l[’]une apres l[’]autre.
Vous estes donc deux (ce me semble)
Damoiselles bonnes ensemble :
Car ce que l[’]une va laissant,
L[’]autre le va tost embrassant.
5Mais ie pren vn cas qui se face
C[’]est que l[’]une & l[’]autre embrasse.
[41]A damoiselle Bieure.
Pour guerir damoiselle Bieure,
Droict en sa chambre me rendray :
Et seule seul la surprendray.
Je luy feray perdre la fieure.
[42]Les propos d[’]un Vieillard.
𝆹𝅥𝅯𝆺𝅥𝅯
Partition
Vn vieillard maintenir vouloit
Que son engin estoit plus fort
Que de tout temps il ne souloit :
Et je n[’]en estois pas d[’]accord.
5Mais de son dire il n[’]eut pas tort,
La raison qui vouldra, l[’]entende.
I’ay [p. 103]
I[’]ay veu que tout seul il se bende
(Dit il) mais ores sur ma foy,
Si nous ny sommes (qu[’]on me pende)
10Bien empeschez ma femme, & moy.
[43]A vne qui luy refusa vn
baiser.
Vn baiser tu m[’]as refusé,
Comme rusee, & non pas fine.
Mais ie m[’]estois bien abusé,
Baiser te fault (belle Robine)
5D[’]un Maure la grosse babine
Sentant son Bouc. ou bien Pernet
Qui faict cent fois plus laide mine,
Que maistre Pierre du coignet.
[44]Dun bouquet enuoyé à vne
dame, huitain qui n[’]est de
L[’]autheur.
Va mon bouquet puis q̃ tant es heureux
D[’]estre logé sans soupson, & sans crainte
Avecques celle, ou moy trop malheureux
Ne puis donner sinon de l[’]œil attainte.
5Au moins bouquet pour faire ton deuoir,
Si tant de bien te pouuoit aduenir,
Que dans un lict nue la peusse veoir,
Souhaitte moy vif en ton lieu venir.
g 4 Le [p. 104 ]

[45]Le Bouquet respond, faict par
L[’]autheur.
S[’]il ne tenoit sinon à mon souhait,
Ne la verrois en un lict toute nue,
Ainsi que moy, qui ioyeux & dehait,
Mais sans nulz yeux l[’]y ay veue, & reueue :
5Sans main touchee, & sans bouche baisee,
N[’]estant esmeu : mais toy tout au contraire
(La chose en est à croire bien aisee)
Tu luy ferois ce que ie n[’]ay peu faire.
[46]A vne menteuse.
Tu te deuois de grand matin leuer,
Pour me venir en ma chambre trouuer :
Mais le dormir, ou autre amy t[’]amuse.
Bren donc pour toy, & bren pour ton excuse.
[47]Response au propos d[’]une Dame.
Vne Dame (en amours grand proye)
Vn iour me dit, & me propose
Que le bout du nez rouge auoye :
Mais ie n[’]eu pas la bouche close,
5Ains luy respondy promptement :
Aussi ay ie bien autre chose
Dame à vostre commandement.
A Dame [p. 105]

[48]A dame Thomasse.
Dame, & bonne amye Thomasse,
On dit que tu es toute hommasse :
Et que je suis tout femenin.
Je te pry donc de cueur benin
5Trouue toy quelque part seulette,
Tu scauras si ie suis fillette :
Lors par mesme moyen en somme
Ie scauray bien si tu es homme.
[49]De dame Claire.
Quelcun disoit à dame Claire,
N[’]espargnez si auez affaire
De quelque chose que ie pisse
(En cuydant dire que ie puisse)
5Elle respond, s[’]il vient à poinct
Ie ne vous l[’]espargneray point.
[50]De L[’]autheur qui tomba de
cheual.
Le genoil qui sert à Venus,
Ha eu des maulx à ce matin,
Si ces maulx luy sont aduenus
Par bien cheuaucher en Latin,
5Je m[’]en rapporte à ma Catin.
Mais vn bon gentil Robinet
g 5 Qu[’]ay [p. 106]
Qu[’]ay rencontré au matinet,
A mon secours est accouru.
Je pry Dieu de cueur franc, & nect,
10Qu[’]onc ne coure comme ay couru.
[51]A quelque amy.
𝆹𝅥𝅯𝆺𝅥𝅯
Partition
La Dame qui tant te farfouille,
(Si de ses ieux entends la source)
Cherche si tu as bonne bourse :
Non pas si tu as bonne couille.
[52]Au Lecteur.
Les Epigrammes ont licence,
Et de poindre, & de chatouiller :
Et pourtant l[’]ignorant ne pense
De me venir cy barbouiller,
5Que trop mes vers je vien souiller,
Et que i[’]offense les oreilles.
L[’]epigramme est mal accoustré,
S[’]il ne point. Mais voicy merueilles,
Qui vit onc Priapus chastré ?
[53]A une Dame.
Tu me fais bien mourir en languissant,
Dame pour qui je souffre tant de peine :
Car faulx rapport qui va affoiblissant
Mon [p. 107]
Mon poure cueur, m[’]a trop mis en ta hayne.
5Mais s[’]il te plaist ces iours en bonne estreine,
Donner congé de parler à ma bouche,
Et n[’]estre plus si estrange, & farouche,
Tu congnoistras qu[’]envers toy n[’]ay mespris :
Et que t[’]amour si viuement me touche,
10Que suis tousiours ton prisonnier bien pris.
[54]Estreines.
Chef de beaulté que Dieu feit estre né
Pour recreer mes sens, & mes Espritz,
Si n[’]as esté de par moy estrené
Jusque à ce iour, ne me metz à despris,
5Ny mon present qui est de petit pris,
Vers la splendeur de la fleur de ton aage.
Mais toutesfois il vient de bon courage,
Et le bon cueur faict le present valoir.
Avec lequel me donne pour hostage
10A ta puissance, & à ton hault vouloir.
[55]D[’]une Damoiselle, & d[’]un glorieux qui
l[’]auoit en gouuernement.
Je m[’]esbahy Madamoiselle,
Que tu te souffres tant garder,
Que ny au jour, n[’]a la chandelle
L[’]on ne te ose pas regarder.
Or si [p. 108]
Or si diray ie, sans bourder,
Que tu n[’]es point Yo, qu[’]il faille
Que Iuno à garder te baille
A Argus garny de cent yeulx.
Mais ton Argus est de sa taille:
10Car il est assez glorieux.
[56]D[’]une Fille de Tours.
Pour ma petite Tourengelle,
Tant gracieuse honneste, & belle,
Souuent i[’]endure froid, & chault.
Ie voys, ie viens, & ne me chault
5Que ie despende par la voye,
Tant seulement mais que la voye.
[57]A la Dame qui auoit mengé du
boudin pour l[’]amour de luy,
& contre sa coustume.
Puis qu[’]avez mengé le boudin
Pour l[’]amour de moy : ie feray
Qu’vn plus beau vous presenteray
Quand viendrez en nostre Iardin.
[58]De Catin.
Catin se plainct, Catin se deult,
Quelle ne voit tous mes escriptz :
Et dit, [p. 109]
Et dit, ie veulx que me les liures.
Puis quand i[’]entends ses plaintz & criz,
5Ie suis content s’elle me veult
Donner ses lebures pour mes liures.
[59]D[’]un Mercerot.
Vn Mercerot troussant ses hardes,
Se fiche au doigt quelques eschardes :
Et dit, lors qu[’]il s[’]en trouuoit mal,
Petite chose faict grand mal :
5Sa femme respond, außi bien
Petite chose faict grand bien.
[60]A vne Damoiselle.
Ie sens en moy regner dame Discorde,
Et c[’]est par toy, & si tu n[’]en peulx mais :
Amour qui art, contre Crainte Discorde :
Crainte me serre, Amour vainc desormais,
5Et ha iure qu[’]il vaincra à iamais.
Puis que de toy ce different procede,
Donne conseil, faueur, ayde, & remede,
Iugeant ainsi que le requiert le droict.
Ne te mesprens, car seule es qui possede
10Tout le moyen de la cause orendroit.
[61]A une Dame.
L[’]œil navré, l[’]œil ne me peult guerir :
Mallade [p. 110]
Malade suis, l[’]œil n[’]est pas ma santé :
Œil si tu veulx me rendre contenté,
Soubdain te fault le vray content querir.
[62]Autre.
𝆹𝅥𝅯𝆺𝅥𝅯
Partition
Nauré m[’]auez, vous me pouuez guerir :
Malade suis, & ma sante vous estes.
Excusez moy, car voz maintiens honnestes
M[’]ont enhardy le remede querir.
[63]Autre.
Oeil responds moy, pourquoy m[’]as tu nauré ?
Langue, pourquoy as tu mon cueur rauy ?
O mon las cueur si tu n[’]es assouuy,
Iamais pour vray ma liberté n[’]auray.
[64]De Amour.
Amour gouuerne la personne :
Amour au cueur la ioye donne :
Amour presente tout seruice :
Et n[’]y ha rien qu[’]amour ne puisse.
5Amour bien hault entreprendra :
Amour à son honneur viendra.
Amour nous dompte, Amour nous change.
Mais n[’]est ce point vn cas estrange ?
On dit qu[’] amour n[’]est qu[’]vn enfant :
10Je le trouue un Dieu triumphant.
A soymes [p. 111]

[65]A soymesmes.
Amour, ie ne sçay comment c[’]est,
Mais sans cesse, ne sans arrest,
Dedans le ventre me fretille :
Il me debat, il me petille.
5Comme les femmes à mon tour
Ne serois ie point gros d’amour ?
Or ie pry doncques saincte Auoye,
Que descharger tost, & à ioye.
Saincte pres, & saincte concorde,
10Saincte grace, & misericorde,
Saincte gente, & saincte menue,
Saincte abas, & saincte corps nue,
Saincte blonde, & saincte ragonde,
Et sainste [sic pour saincte] premiere, ou seconde,
15Saincte toute, & saincte chascune,
Saincte clere, & saincte opportune,
Saincte adresse, & saincte rencontre,
Qu[’]ilz m[’]en enuoyent bonne encontre.
[66]A vne Dame.
Aux Innocens quand vous me dictes,
Que priasse bien Dieu pour vous,
Ie le fey : donc par mes merites
Ie veulx gaigner vostre cueur doulx.
5Plus de cent fois, mais à tous coups
Disois [p. 112]
Disois ainsi ma patenostre :
Le Dieu d[’]amours la face nostre.
Mon cueur deuot, à vostre aduis,
Priant si fort l[’]amour du vostre,
10Prioit il pour les mors, ou vifz ?
[67]A la Dame sans mercy.
𝆹𝅥𝅯𝆺𝅥𝅯
Partition
Ta beaulté me donne esperance :
Ta cruaulté desesperance :
Espoir me paist, & vient nourrir :
Mais desespoir me faict mourir.
[68]Autre.
𝆹𝅥𝅯𝆺𝅥𝅯
Partition
Par toy ie vis, par toy ie mœurs :
Ie vis en te voyant si belle :
Mais ie mœurs par tes dures mœurs,
Quand ie te sens si fort cruelle.
[69]Les trois perfections de sa Dame.
Ie t[’]ayme plus que mes deux yeulx,
Car tu sçais bien parler, & taire,
Et par grand artifice faire
La chose que i[’]ayme le mieulx.
[70]A un amy.
Bon Amy, d[’]une bonne amye,
Ce [p. 113]
Ce iourdhuy te veulx estrener :
Car tu dis que tu n[’]en as mye,
Qui est assez pour m[’]estonner.
5Une Nymphe te veulx donner,
Que soubz maint arbre, & mainte branche
Iras cherchant, soit brune, ou blanche.
Ce present ie t[’]ay voulu faire,
D[’]une bonne volunté franche :
10Car on en ha souuent affaire.
[71]A Damoiselle Blaise.
Tu sçais tresmal temporiser,
Ma gente Damoiselle Blaise :
Mais si tu ne me veulx baiser,
A tout le moins que ie te baise.
[72]Estreines.
Amy Datiches, pour estreines,
Je te donne cent mille peines
A trouuer une amye telle,
Qu[’]en beaulté passe les Heleines :
5Mais par sa rigueur trop cruelle
Qu[’]en fin ne puisses iouyr d[’]elle.
Ie t[’]estreine comme ie doy :
C[’]est asçavoir de mesme moy.
h A vne [p. 114]

[73]A vne fille.
Si humble & doulx me trouueras,
Que tout seruice te feray :
Mesme quand crotee seras,
De bon cueur te descroteray.
[74]A vne Dame.
Ie suis ioyeux pensant estre en ta grace,
Que s[’]il est faulx le mien tel pensement,
Confesser doy que ne congnoy la trace
Du Dieu d[’]amours, ne son auansement,
5Et que mon œil y voyoit troublement.
Mais s[’]il y voit assez cler, sans doubtance,
Son iugement doit auoir importance.
Confesse donc, autrement ton soubz ris,
Maintien, regard, feront signifiance,
10Que amour secret est declaré soubz ris.
[75]De Dame Rolline.
Si femme y ha de bonne grace,
Gente de corps, belle de face,
Et à toutes vertus encline,
Ie dy que c[’]est Dame Rolline.
[76]Autre.
Dame Rolline se comporte,
Et [p. 115]
Et parle de tant bonne sorte,
Que quiconque l[’]oyt (& l’orra)
Dit, c[’]est une autre Pandora.
[77]
A vne Damoiselle, qui se railloit de deux
gentilzhommes, qu’elle appelloit
ses prisonniers.
Madamoiselle est ce raison
De tenir les gens en prison,
Et puis apres se railler d[’]eulx ?
Sainct Iean si i[’]estois l[’]un des deux,
5Ie trouuerois bien la maniere
De vous tenir ma prisonniere.
Croyez que ie m[’]en vengerois :
Et quelque chose vous ferois.
[78]Estreines.
Dame, que peult le cueur nostre,
Qui est vostre,
Pour estreines vous donner ?
Fors à vous se redonner :
5Non à autre ?
[79]Dizain va t[’]en, & me quiers celle
Ioyeuse, & honneste pucelle.
Le vert boucquet de belles violettes
h 2 Si [p. 116]
Si bien troußé, si gay, si façonné,
Que l[’]autre hyer pris entre ses mammelettes,
Ma doulce amour, tel soulas ma donné,
5Tel grand plaisir, dont suis enuironné,
Que iour & nuict luy fay recueil, & feste.
Le iour cent fois à le baiser m[’]arreste :
La nuict le metz dessus mon trauersain.
Puis quand me prent quelque mal à la teste,
10I[’]espere en toy, car il vient de ton sein.
[80]De s[’]amye.
Ie ne veulx plus mes yeulx repaistre,
A contempler la beaulté d’ame :
Car quand voy ma maistresse, & Dame,
Ie voy tout ce qui en peult estre.
[81]A s[’]amye.
C[’]est vn grand bien certes que d[’]estre à soy :
Mais plus grand bien, amye, d[’]estre à toy
Qui est à soy, il ne iouyt de rien :
Qui est à toy, il iouyt dun grand bien.
[82]A vne Damoiselle qui auoit
la fievre.
Je m[’]esbahy, Madamoiselle,
Qu’à ceulx qui veulent vostre bien,
Et [p. 117]
Et qui vous ayment de bon zele,
Ne vous laissez toucher en rien.
5Mais vous laissez taster tresbien
A ceulx qui vostre mal desirent :
Qui vous troublent, faschent, detirent.
Voilà, la fieure vous embrasse,
Et estraint fort : ce qu[’]onc ne feirent,
10Ceulx qui desirent vostre grace.
[83]Autre.
Pleust à Dieu que seulement fusse
Fieure trois iours : je vous ferois
Autant de tours qu[’]onques feit pulce,
Sur vostre corps, ou ie serois.
5De vous (croyez) me vengerois :
Sur vous n[’]auroit ne nerf ne veine,
Que ie ne misse en grosse alaine.
Et (qui ne vous ose toucher
En tout honneur) vous faisant peine,
10Ie viendrois avec vous coucher.
[84]Estreines.
Vostre beaulté est si extreme,
Que ie ne puis l[’]estrener, si
Ce n[’]estoit que fusse moymesme
L[’]estreneur, & l[’]estreine außi.
h 3 Le [p. 118]

[85]Le propos de deux Dames.
Vne Dame qui d[’]amours tient,
Demande à l[’]autre ayant du bien,
Comment son Mary l[’]entretient :
Qui luy respond froidement, bien
5(Dit elle) il ne m[’]y faict rien,
Par mon serment le bon corps d[’]homme :
L[’]autre respond rondement, comme
Il s[’]ensuit (mais ce fut en prose)
Mieulx vauldroit qu[’]il ne fust en somme
10si bon, & vous feist quelque chose.
[86]A la Dame sans mercy.
Ie te sçay tant de grace auoir,
Que i[’]ayme mieulx cent fois te veoir,
Que ie ne fay mon propre cueur.
Penses tu que ie sois moqueur ?
[87]D[’]un païsant.
Vn païsant de la champaigne,
Ayant vne vachere belle,
Si fort l[’]ayma que sa compaigne
La veult faire, & monter sur elle.
5Son occasion estoit telle,
Que sa femme estoit acouchee.
La garse non effarouchee
Le [p. 119]
Le remect loing : vn veau luy baille.
S’elle eust esté par luy touchee,
10Deux en eust eu, diuers de taille.
[88]De s[’]amye, trop froide, & de L[’]yuer
trop peu froit.
Vous estonnez vous si L[’]yuer
Ne se peult au monde trouuer ?
Au monde ne se trouue mye,
Il se tient au cueur de m[’]amye.
[89]Autre.
Qui l[’]yuer vouldra recouurer,
En Ianvier ne le peult trouuer :
En Ianvier ne le quiere mye :
Mais le quiere au cueur de m[’]amye.
[90]A vne Dame Lyonnoise.
Ce liure je vous enuoye
N[’]est à la court moins estimé,
Que celuy qui se mect en voye
Est de vostre cueur bien aymé :
5Amadis de Gaule est nommé,
Qui fut preux aux amours, & armes :
Aussi vostre cueur bien armé
N[’]est sans amours, ny sans alarmes.
h 4 De [p. 120]

[91]De
Catin.
𝆹𝅥𝅯𝆺𝅥𝅯
Partition
Catin veult que souuent la voye:
Que tousiours avec elle soye.
C[’]est adire que ie l[’]accolle.
Deuinez si Catin est folle ?
[92]A un amy.
Ce moys de May mal gracieux,
Tant plein de uent, & de grand pluye :
Ce moys de May tant pluuieux,
Qui les oyseaux, & gens ennuye,
5Rendant la saison endormye,
Sçais tu qu[’]il faict ? c[’]est chose aperte,
Qu[’]il va plorant de mon amye
Auec moy, l[’]absence, & la perte.
[93]De Catin. A un amy.
Bon amy quand ton œil verra
Dames sans grace, & sans beaulté,
Dy hardiment, Catin leur ha
Tout desrobé, & tout osté.
[94]A Iehan Bidault.
Quand ie suis pres tu te retires,
Quand ie suis loing adonc tu sors :
Voila comment tu me martyres,
Et [p. 121]
Et puis d[’]esprit, & puis de corps.
5Va t[’]en donc tout d[’]un train dehors,
Donne à mon corps allegement,
Ou à l[’]esprit contentement.
En temps & lieu, soit pres, ou loing
(Pour dire en vn mot rondement)
10Ne sors point, ou sors au besoing.
[95]A vne Dame.
Toutes les nuictz quand me resueille,
Amour me faict en vous penser :
Mon petit cueur sans cesse y veille.
Vueillez le donc recompenser.
[96]A Antoine Du Moulin.
Quel plaisir selon nature est ce,
Qui apporte plus grand lyesse,
Qu[’]auoir continuellement
La Dame à son commandement ?
5Que d[’]estre tousiours autour d[’]elle,
Parlant de l[’]œuure naturelle ?
Que deuiser de son amour,
Et la baiser cent fois de iour ?
O qu[’]il est heureux, & bien aise,
10Qui sans cesser deuise, & baise !
Qui mil baisers n[’]estime exces,
h 5 Fuyant [p. 122]
Fuyant tout ennuy, tout proces,
Fuyant toute humaine follie,
Qui engendre melencolie.
15Recommançant cent fois & mieulx,
Tout en despit des enuieux.
Et demenant heureuse vie,
Mal gré malle bouche, & enuie.
Mesprisant tous honneurs, & biens,
20Fors ceulx que l[’]amour donne aux siens.
O de rechef, ô vie heureuse,
Seule vie, vie amoureuse !
O derechef qu[’]il est heureux,
Qui en ce poinct est amoureux !
25Ie laisse courir benefices :
Je quicte ma part des offices,
Je desprise l[’]argent, & l[’]or,
Pour iouyr de si grand tresor.
Je dy plus : ie mesprise mesme,
30Sceptre, couronne, diadesme,
Du grand Iuppiter immortel,
Si en amour puis estre tel.
Quel plaisir selon nature est ce,
Qui apporte plus grand lyesse,
35Qu[’]avoir continuellement
La Dame à son commandement ?
De [p. 123]

[97]De Anne.
Petit ennuy qui est mal sade,
Tout soubdain rend Anne malade :
Puis tost quelque mousche soubdaine,
Vous rend Anne bien gaye, & saine.
5Tantost au lict, ou en la chambre,
La verrez vaine de tout membre.
Tantost en bouticque, ou en rue,
La verrez saine, gaye, & drue.
Tantost crier, tantost besler,
10Tantost venir, tantost aller,
Tantost pleurer, & tantost rire,
Tantost iaser, & tantost lire.
Tantost aller aux champs s[’]esbattre,
Faisant la folle plus que quatre :
15Tantost d[’]estomach flumatique :
Tantost de teste fantastique :
Tantost crier le costé dextre :
Helas allez querir le prebstre.
Tantost blesme, & tantost vermeille :
20Brief c[’]est la femme nompareille,
Qui se maintient de telle sorte :
Tantost est viue, & tantost morte.
Mais le prouerbe accomplit elle,
Lequel dit que la femme est telle :
25Femme se plaint, femme se deult :
Femme [p. 124]
Femme est malade quand el’ veult :
Elle ha iuré saincte Marie,
Quand elle veult est guerie.
O doncques ( Anne) par ce poinct
30De toy ie ne m[’]esbahy point.
[p. 125]

S[’]ENSVYVENT
DEVX LIVRES
D’EPIGRAM-
mes,
[fleuron]
Du mesme Autheur, & de diuerse
matiere.
*
[p. 128]

A
MONSIEVR DV PEY-
RAT
LIEVTENANT GE-
NERAL POVR LE ROY
en la seneschavlcé
de lyon.
CHARLES FONTAINE
salut.
*
CE moys qui ha de L[’]annee l[’]honneur,
Prenant son nom de la mere à Mercure,
Ce Moys tant plain de grace, & de bon heur,
Qu[’]a tout esprit toute ioye procure,
5Ce Moys duquel zephyrus à pris cure,
Ce Moys qui faict rire les gens, & champs,
Te veult offrir de ma Muse les chantz :
Non pas les chantz du messager des Dieux.
O vray Mercure, à le prendre en bon sens,
10Excuse moy, ta Muse chante mieulx.
[p. 129]

LE PREMIER
LIVRE.
[fleuron]
[1]A Monsieur
Tiraqueau, Conseiller
en parlement à Paris.
SI I[’]ESTOIS la
Fontaine aux
Muses,
I[’]entends d’Helicon la fontaine,
Ie ferois, sans quelques excuses,
Courir mon eau par mont, par plaine,
5Iusque à Paris, ou est la Seine.
Mais ie suis tant petit ruisseau,
Que l[’]eau de ma petite veine
N[’]ose tirer vers Tiraqueau.
[2]A Monsieur
du Puys, Lieutenant parti-
culier en la Seneschaucé de
Lyon.
Il semble bien que sans doubter,
La Fontaine auec ses conduitz,
Deuers le Puys se doit porter :
Car elle aura pour saufconduitz
5(Selon que comprendre ie puis)
Ceste conuenance certaine :
Mais ie crains, car tu es grand Puys,
Et ie suis petite Fontaine.
i Au [p. 130]

[3]Du Roy.
En Françoys sont beaulté, sagesse :
En Françoys sont force, & prouesse :
En Françoys est bonté expresse.
Or iugez donc de Françoys qu[’]est ce ?
[4]De la Royne de Nauarre.
Marguerite en faict, & en dict,
Est encor plus que l[’]on n[’]en dit :
Car le beau Soleil en tout aage
Ne veit Royne plus noble, & sage.
[5]A Madame la
Princesse de Nauarre,
qui auoit esté malade.
Il fault chasser tout dueil dehors,
Tresnoble, & illustre Princesse :
Plus ne fault parler de tristesse :
Mais fault chanter par bons accordz,
5Dueil ha donné lieu à lyesse,
Puis que maladie ha pris cesse
De tourmenter ce petit corps.
[6]A Monsieur
Christofle Boulaud, Aduo-
cat en Parlement à Paris.
Ton cueur tant bon, & tant aymable,
Liberal, prompt, & secourable
(Sans [p. 131]
(Sans oublier tes autres freres)
Promect toutes choses prosperes.
[7]Aux Dames.
Les Epigrammes qui s[’]ensuyuent,
Vous pouuez lire hardiement :
Car le train des premiers ne suyuent,
Ilz sonnent plus modestement.
5Lisez, oyez asseurément,
O mes Dames, il n[’]y ha rien
De chatouilleux. Mais voirement
Vous ne les lirez pas si bien.
[8]De L[’]annee presente.
Tresbien se porte cest an cy,
Ce dit le monde en mainte part.
Il se porte bien Dieu mercy :
Mais l[’]on ne sçait pas sur le tard,
5Quelz dangers, & maulx aduiendront.
Car il est bien en grant hazart,
Que les vsuriers se pendront.
[9]A Monsieur maistre
Françoys Verius
chanoine de Mascon.
Ie ne t[’]auois point salué de bouche
Iusque à ce iour recreant mon Esprit,
i 2 Quand [p. 132]
Quand par rencontre on se voit, & se touche,
Quand le bon heur auec ton œil me rit.
5
Or ie vueil bien encores par escrit
Te saluer, & par affection,
Pour le renom qui de ton sçauoir bruit,
Et de ton cueur plain de perfection.
[10]De la mort, & de Marot.
Marot viuant auoit vn pied sur Mort,
Et Morte mort n[’]auoit rien dessus luy.
Or à present qu[’]elle ha faict son effort
Dessus son corps, qui n[’]estoit le plus fort,
5Qu[’]elle ha nauré, & meurdry auiourd[’]huy,
Elle ha vn pied dessus luy voirement.
Mais tost sera vengé de la cruelle :
Car son enuie aura deffinement,
Et luy aura de loz redoublement :
10Et par ainsi aura deux piedz sur elle.
[11]A Monsieur
Vincent Hugand,
Esleu de Mascon.
La fontaine n[’]ayme point tant
L[’]authorité, & la richesse,
(Que tout le monde va vantant)
Comme des Muses la Caresse,
5La liberté, & la lyesse,
Que [p. 133]
Que la vertu veult compasser.
Tu aymes Muses, pourtant est ce
Ma Muse te veult caresser.
[12]A Monsieur le
cheualier
Rochefort.
L[’]humanité, & le sçauoir,
Ce sont deux poinctz dont tu excelles :
Ce sont en toy deux vertus telles,
Qu[’]a les congnoistre, & les bien veoir,
5Ie ne sçay laquelle dicelles
Plus de louange doit auoir.
Mais ie sçay qu’a la verité
Phebus plain de diuinité,
Dit que immortel te feront elles,
10Ces deux grans vertuz immortelles,
Le sçauoir, & l[’]humanité.
[13]A maistre
Iacques Bryau
: sur son
partement, pour aller
en
Italie.
Amy Bryau, veulx tu si brief
Laisser tes Oncles, & ta Mere,
Et tes deux sœurs ? las, il est grief,
C[’]est departie trop amere.
5Ton seiour, & ta bonne chere
Leur plaist affectueusement :
i 3 Mais [p. 134]
Mais ne leur plaist ton partement.
Or as conclud veoir les Itales.
Va donc : ie pry que heureusement
10Facent les deesses fatales.
[14]Epitaphe de feu Monsieur
Budé
: en
son viuant maistre des
Reque-
stes du Roy.
Cy gist Budé, qui attaingnit le but
De hault sçauoir pendant qu[’]il fut en vie :
Mais en payant le naturel tribut,
A Atropos par trop plaine d[’]enuie,
5O viateur, pense tu qu[’]il desuie ?
Ie dy que non : car mort il viura mieulx,
Et plus (malgré la mort non assouuie)
Qu[’]il ne feit onc icy entre les vieulx.
[15]A Monsieur le Viconte de Vsez.
Grec, & Latin sont deux belles sciences :
Viconte, donc puis qu’aux deux tu commences,
Sus, à grans coups, de soir, & de matin,
Me soit gallé ce Grec, & ce Latin.
[16]A Maistre
Annemond Polier
procu-
reur de Lyon : lors qu[’]il fut Marié.
Ces iours passez Apollo me feit dire,
Que i[’]esperois te veoir bien marié.
Quand [p. 135]
Quand à ce poinct, plus n[’]espere, ou desire :
Car le bruit court qu[’]es tresbien allié,
5Et par honneur heureusement lié
Auec Iuno Dame tousiours Fleurie.
Seulement donc ie desire, & ie prie,
Que ie te voye außi Iuppiter estre,
Pour faire à tous qui cherchent tromperie,
10Sentir bien sec la fouldre de ta dextre.
[17]MAY.
A
Marguerite Senneton
Lyonnoise.
Pres sainct Nisier tant renommé,
Là se maintient la Marguerite.
O gentil May tant bien nommé,
C[’]est la fleur doulce, qui merite
5Louange, & faueur non petite.
Va donc vers elle sans seiour :
Car sa bonne grace me incite
Luy donner par toy le bon iour.
[18]MAY.
A sa commere, qui ha en sa deuise,
la Dame porte le
verd.
May, ioly May, de vert vestu,
May plain d[’]honneur, de grace, & ioye :
May qui sur tous portes vertu,
Pren de Lyon la droite voye,
i 4 Vers [p. 136]
Vers la Dame à qui ie t[’]enuoye
Auec ton chef de vert couuert.
Va hardiment, & ne t[’]esmoye,
Car la Dame porte le vert.
[19]MAY.
A sa commere
Glaude Brielle
Lyonnoise.
De toutes amours ie m[’]en ry,
Depuis que ie suis marié.
Donc (ma commere) i[’]ay prié,
Et encor à present ie pry,
5Que ton bon cueur soit allié
Par ce beau May, d[’]un bon mary.
[20]MAY.
A
Marie Brielle
Lyonnoise.
May, va t[’]en droit vers la Marie,
I[’]entends ceste belle brunette,
La ieune maistresse à Fleurie,
Qui se tient là en la Grenette :
5Tu la trouueras gente, & nette :
Porte luy salut en mon nom.
Et quelque autre fois ma rimette
Luy donnera plus grant renom.
A L[’]amye [p. 137]

[21]
A
L[’]amye de Maistre Antoine du
Moulin
Masconnois.
Ie ne sçay pas qu[’]elle estoit la Cynthie,
Ny Nemesis, Lesbie, & la Corine :
Mais ie veulx bien que tu soys aduertie,
Que ton amy n[’]est pas d[’]elles indigne :
5Qui te fera de leur loz, & nom digne.
(O Dame heureuse en ses graces diffuses !)
Car c[’]est Moulin renommé, & insigne,
Qui moult tousiours pour l[’]honneur, & les Muses.
[22]A
Monsieur de Saleignac, docteur de Mon-
seigneur le Cardinal de
Lorraine.
Gisant au lict de fieure tierce,
Vostre arriuer ay entendu :
Et combien que ce mal me perse,
Me trouble, me tourne, & renuerse,
5Tout soubdain m[’]a ioyeux rendu
Vostre arriuer non attendu.
Si que douleur, & ioye ensemble
Font vn combat, dont tout ie tremble.
Or, Monsieur, le cas entendu
10Faictes vaincre qui bon vous semble.
[23]L’autheur aux Medecins, de son
Mal de reste.
Les Cyclopes s[’]en vont forgeans
i 5 Dedans [p. 138]
Dedans ma teste iour, & nuict :
Et ne vont beuuans ne mengeans,
Ny à my iour, ny à minuict,
5Disans que fabriquer leur duit.
Steropes trop l[’]enclume estonne :
Puis Pyracmon à grans coups tonne :
Et sans repos l[’]un l[’]autre suyt.
Brontes souffle vn grand feu qui bruit.
10Forgent ilz chose malle ou bonne ?
[24]Au Prieur de Daulmont.
De toy, & de ton aymtié
Bien au long ie desire escrire :
Mais à cela que ie desire
Ne suis suffisant amoytié [sic pour a moytié].
[25]A sa Sœur.
A toy ma sœur, ma seule sœur à toy,
Qui as esprit assez digne de moy,
Voys descouurant toutes les oeuuvres miennes,
A celle fin qu[’]a louer Dieu tu viennes.
5
Sus donc ma sœur, ma seule sœur or sus,
Loue sans fin le hault Dieu de la sus,
Dequoy tu voys durant tes iours maint liure,
Qui apres mort fera ton frere viure.
Du [p. 139]

[26]Du chant des oyseaulx,
Et bruit des ruisseaux.
Ruisseaux courans entre les buyssonnetz
Auec doulx bruit resiouyssans l[’]oreille,
Et vous anßi [sic pour außi] mes gentilz Sansonnetz,
Tarins, Sereins, Roßignolz mignonnetz,
5Qui decoupez de grace nompareille
Mille motetz gracieux à merueille,
Vous me incitez auecques voz sons netz,
Chanter chansons, ballades, & sonnetz,
Et puis haulser le cul de ma bouteille.
[27]De Marot.
Quand Dauid voyons en maint Pseaulme,
Parlant Françoys par le Royaulme,
A qui en dirons grand mercy ?
A Marot qui traduit ainsi.
[28]Autre.
Martial, le gentil poëte,
Parle Françoys beau, & plaisant,
En maint Epigramme luysant :
A Marot en debuons la debte.
[29]De
Monsieur de Canaples
Capitaine,
&
Canape
Medecin.
En
[p. 140]

En France vaillans personnages.
Tous deux en leur art seurs, & preux,
Tous deux expertz, bien mœurs, & sages.
5L[’]un est des plus hardis courages,
Bon deffendeur, preux assaillant.
L[’]autre qui ne va bataillant,
Deffend les corps de mal, & peine.
Brief l[’]un est Medecin vaillant,
10Et l[’]autre est vaillant Capitaine.
[30]A vn sien amy.
Si tu me viens demander (Pierre)
Si maladie vault santé,
Te respondray, sans que ie y erre,
Car ie l[’]ay experimenté,
5Par vn mal qui m[’]a tourmenté
Tout le cerueau, & la ceruelle.
Il est vray que santé est belle :
Mais elle est vn peu dissoluë :
Maladie, amy, n[’]est pas telle,
10Et si de nul n’est bien vouluë.
[31]Autre.
Si maintenant sçauoir pretends,
Qui reuisite mes amours,
Ie me doubteray que tu tends
A leur [p. 141]
A leur donner pour moy secours :
5Ainsi croistra mon mal tousiours :
Mais cessera tost en effect :
Car ie iray au guet nuitz, & iours
Pour te y prendre dessus le faict.
[32]L[’]autheur à son compere le Sire
Iean
de
Rochefort
Lyonnois.
A mon retour dedans Lyon,
Ou Dieu aydant de brief seray,
Ie prye Dieu d[’]affection,
Que lors que chez vous i[’]entreray,
5Et quand vostre seur saluray
Le mal m[’]aduienne, que ie doubte.
C[’]est que tel retour ie feray,
Que chez vous ie n[’]y voye goutte.
[33]A Maistre Antoine Senneton.
Tes propos de tant bonne grace,
Font que Fontaine t[’]ayme, & prise.
Mais ton sçauoir qui la surpasse,
La rend quasi comme entreprise,
5Doubteuse, confuse, & surprise,
Si par ses vers te salura.
Brief, de t[’]escrire trop esprise,
Ce petit huytain te donra.
A Sire [p. 142]

[34]
A
Monsieur du Peyrat
Lieutenant de Lyon
presenté sur les Rampars de sainct Iust.
Bien sois venu de Lyon Lieutenant
En ces Rampars, ou Pallas la Deesse,
Qui est aux siens tousiours la main tenant,
Ha adreßé, & maintenant t[’]adresse
5Le ruisselet, qui pour sa petitesse
Ne se ose pas vers toy nommer Fontaine :
Mais toutesfois sa tant basse richesse
Te va offrant : c[’]est sa petite veine.
[35]A Sire Ymbert Faure Lyonnois.
Tu es beau, & de belle taille,
Honneste, & gracieux außi,
Et à qui la fortune baille
Des biens assez : il est ainsi.
5Mais toutesfois oultre cecy,
Ie dy fortune de deuoir
Vn poinct, que si tu peulx auoir
Tu seras par tout triumphant :
Lors la Grenette pourra veoir
10De ta façon vn bel enfant.
[36]A Monsieur
Nicolle Mellier
Lieutenant de
Monsieur le Iuge ordinaire de
Lyon.
Si ce iourd[’]huy que Aeolus le grand Roy,
Ha [p. 143]
Ha descouuert la cauerne des vens,
Qui vont soufflans en tempeste, & desroy,
La nue, & l[’]air, leur naturel suyuans,
5Non que de mal en ce monde seruans.
Si ce iourd[’]huy doncques tel que dessus
T’a faict monter, non le mont Parnasus,
Mais bien le mont qui est de toutes pars
A Mars sacré, qui veult regner ça sus :
10Il faict deuoir, car c[’]est le iour de Mars.
[37]A Maistre Iean Grauier.
En t[’]attendant le long de la sepmaine,
Nous t[’]auons heu lors que le viel Saturne,
Triste, & tardif regnant en son dommaine,
Le temps, & gens de tristesse importune :
5Mais toutesfois si à heure opportune,
Fais deliurer argent sans contester,
Saturne aura assez bonne fortune,
Et vauldra bien Sol, Mars, & Iuppiter.
[38]A Sire Philibert Trougnart.
A ce beau iour de Venus gracieuse,
Qui nonobstant est l[’]amye de Mars,
S[’]il est ainsi que ma Muse ioyeuse
Te veult donner salut sur ces Rampars,
5C[’]est pour autant qu[’]en plusieurs autres pars
Tu es [p. 144]
Tu es distraict, soit par pluye, ou par vent :
Et i[’]ay regret que de nous tu te pars,
Et qu[’]il nous fault te perdre si souuent.
[39]A l[’]honneur des Lyonnois.
Vn grand honneur est deu certainement
A ceulx qui ont amour à leur païs :
Loz immortel appartient seurement
A ceulx qui ont bons statuz establiz,
5Par qui les gens sont ornez, & poliz.
Mais quel grand loz, & quel moncean [sic pour monceau] de gloire
Aux Lyonnois, plains de vertu notoire,
Qui par argent, & gens vn million,
Pour bien plumer, & batre L[’]aigle noire,
10Vous font Lyon außi fort qu[’]vn Lyon ?
[40]A Dame blanche.
Blanche ie dy que tu es brune,
Et pardonne à ma Muse franche :
Blanche ie te dy sans rancune,
Que tu es blanche, & n[’]es pas blanche.
[41]A Colin malheureux.
Tu maintiens que tu as vescu
Quarante bons ans, & entiers :
Et que ne vis onc vn escu,
Non [p. 145]
Non pas demy, non pas le tiers
5Qui fust tien : Car par durs sentiers
La poureté t[’]a pourmené,
Et t[’]a tousiours des maulx donné,
Et de maladie, & de guerre.
Mais ie maintiens que ta langue erre.
10Rabbas trente ans de tout ton viure :
O miserable sur la terre,
Viure en peine, ce n[’]est pas viure.
[42]A Monsieur Maurice Sceue.
Tes vers sont beaux, & bien luysans,
Graues, & plains de maiesté :
Mais pour leur haulteur moins plaisans :
Car certes la difficulté
5Le grand plaisir en ha osté.
Brief ilz ne quierent vn Lecteur,
Mais la commune autorité
Dit qu[’]ilz requierent vn docteur.
[43]De maistre
Christofle Boulaud
aduocat à Paris.
Boulaud est rond comme vne boule,
En faictz & dictz va rondement.
Boulaud boult tout d[’]amour qui coule
De son bon cueur incessamment.
k Boulaud [p. 146]
5
Boulaud est rond parfaictement,
Et en sa rondeur par tout roule.
O Boulaud, ne sçay bonnement
Par escript declarer comment,
De t[’]aymer mon cueur ne se saoule.
[44]Du bon Michault.
Maint detracteur, & mesdisant
Vient sur les gens de bien, gronder,
Du bon Michault s[’]en va disant,
Qu[’]il ne faict rien que gourmander :
5S[’]ilz ne se veulent amander
Ie les iray contredisant.
Et s[’]il fault que les contredise,
Ie maintiendray, sans trop cuyder,
Qu[’]ilz sont menteurs pour leur deuise.
10Menger du bon (qui bien y vise)
N[’]est gourmander, mais friander.
N[’]est gourmandise, ains friandise.
[45]A vn Importun.
Tu t[’]esbahis qu[’]on ne te veult respondre,
Quand tu requiers de plaisir, ou de bien :
Tu entends mal, ou qu[’]on te puisse tondre :
Assez respond qui ne te respond rien.
De [p. 147]

[46]De Michault le bon mesnager.
Michault vous faict tousiours grand chere,
Et ne luy chault combien il couste :
Il n[’]espargne pour sœur ne frere,
Il desieune, il disne, & puis gouste.
5Boit, menge, & nulz maulx ne redoubte,
Froide cuysine ne veult suyure.
Que diray plus ? en somme toute,
Michault sçait bien comme il fault viure.
[47]Autre.
Michault menge tousiours la miche,
Boit du meilleur, & n[’]est point chiche,
Et si ne peult deuenir riche.
[48]Maistre Iacob à L[’]autheur.
Puis qu[’]en Fontaine y ha si grand plaisir,
Mesme en la rime, & art de rhetorique,
De boire en elle ay vn si grand desir
Pour sa vertu qui est tant autentique.
5L[’]eau qui en part est tresssubstantifique,
Qui l[’]esperit esclarcit promptement.
Peu i[’]en ay beu, & m[’]en sens grandement :
Mais si ie puis encores i[’]en beuray
A mon souhait, & si abondamment,
10Que sçauray mieulx de poësie au vray.
k 2 Autre [p. 148]

[49] Autre.
Si mes escritz sont baignez, & lauez,
Comme i[’]espere,en la clere Fontaine,
Plus ne seront de bon sens deprauez,
Car ilz tiendront de trop meilleure veine.
[50]Response par L[’]autheur.
En la Fontaine on estanche la soif,
En la Fontaine on se laue, & se mire.
En la Fontaine on prent soulas bien souef,
Quand on y voit la belle eau clere luire,
5Qui l[’]esprit peult esclarcir, & instruire.
Mais pour trouuer vne Fontaine telle,
En sa vertu, & si bonne, & si belle,
Ne fault chercher de Paris la Fontaine :
Mais bien plus tost il fauldroit chercher celle
10De Pegasus, tant sacree, & tant saine.
[51]Estreines.
A
Bartolomy Royet, &
sa Femme.
Prenez en gré ceste petite estreine,
Le pot à l[’]eau venant de la Fontaine.
[52]Maistre Nicolle le Iouure à L[’]authenr [sic pour autheur].
Sans vne longue, & lourde maladie,
Qui m[’]a rendu maigre, palle, & deffaict,
Et dont [p. 149]
Et dont ma teste est encore eslourdie,
Ie t[’]eusse escrit, O bon amy parfaict.
5Mais ie ne suis encore bien refaict,
Parquoy te pry la faulte me remettre,
Si ie ne puis vser de longue lettre.
Car ie suis tant du long mal affoibly,
Que n[’]y pourroye adiouster vn seul metre :
10Ce nonobstant ne t[’]ay mis en oubly.
[53]Response par L[’]autheur.
Tu ne m[’]as pas en oubly mis,
Ainsi comme ta Muse chante :
Car (amy entre tous amys)
Ta lettre de douleur trenchante,
5Tout de dueil, & d[’]ennuy m’enchante.
Mais ie prie, O cueur anobly,
Que ta maladie meschante
Pour iamais te mette en oubly.
[54]A Monsieur Danesius.
Seigneur, ton disciple petit
(Lequel en tes doctes lectures
Ha bien pris si grand appetit,
Que souuent dernier en partit,
5Pour tes dictz mettre en escritures)
Peult il comprendre assez ta veine
k 3 De [p. 150]
De sçauoir, & de doulceur pleine ?
Ton eloquence des plus pures ?
Non : tu es mer, il est fontaine.
[55]A Phebus malade.
Phebus le Dieu de medecine,
Doit il querir vn Esculape,
Qui le pense, & le medecine,
De peur que la mort ne le happe ?
5Quand ie serois Euesque, ou Pape,
Si ne puis entendre cecy.
Mais mettez moy demain la nappe,
Et ie iray veoir s[’]il est ainsi.
[56]Autre.
Ton mal de pied sans allegence,
Phebus, vient il de ton amye,
Ou de Venus ton ennemye,
Te donnant son mal par vengence ?
[57]A ses deux amys Monsieur
Maurice Sceue,
& maistre
Bartholomy
Aneau.
Si vostre Esprit estoit en moy,
Ie ne faindrois de vous escrire :
Car i[’]entends bien, & si le voy,
Qu[’]en luy pouuez trop mieulx eslire
Ce que [p. 151]
Ce que les sçauans vouldroient lire.
Mais ie vous escry seulement
Pour donner vostre iugement
Sus mes passetemps de ieunesse.
Va donc, liuret, doubteusement
10Receuoir d’eulx sentence expresse.
[58]A Monsieur maistre
Iacques de
Cambray
Chancelier de Bour-
ges,
estant à Ferrare.
On te faisoit mort par deça
Y ha vn an, amy parfaict.
Mais depuis quelque temps en ça,
Par du Moulin certain fus faict,
5Qu[’]il n[’]en est rien de ce cas la.
Or (bon amy) i[’]ayme plus fort
Qu’en vie sois de pardela,
Que par deça tu fusses mort.
[59]A son Cousin maistre
Iean
Bureau.
A Dieu Tornus ville petite,
Mais que sur toute i[’]ayme bien,
Pour vn Bureau, qui y habite,
D[’]amytié digne, & de tout bien.
5Or à dieu, Bureau, que ie tien
k 4 Plus [p. 152]
Plus cher que fin drap en plain iour.
A dieu le Grenier, & le Four.
Ie ne te dy à Dieu, la Saone,
Car s[’]il te plaist à mon retour
10M[’]accompagneras iusque au Rosne.
[60]A Iean Chalant.
Ie diray dieu gard le Chalant,
Qui rit, & rime voluntiers :
Qui se maintient tousiours galant,
Des plus verdz, & des plus entiers,
5Qui va semant tous les sentiers
D[’]equiuoques galentement,
En disant deuant tous rotiers,
Passe ly gourt ioyeusement.
[61]A maistre Guillaume de Troëmont.
La ieunesse sçauante, & belle,
La simplicité de pucelle,
Mais la bonne amour, me semond
De saluer vn Troëmont.
[62]A Monsieur
Morelet, Conseiller du
Roy, Seigneur de la
Mar-
cheferriere.
Si, veu ton sens, & ton sçauoir,
Pouuoient mes vers la force auoir
De [p. 153]
De t[’]estrener suffisamment,
Tu dois bien croire seurement,
5Ma Muse en feroit son debuoir :
Ma Muse basse doublement.
[63]A Monseigneur le
Daulphin, traduit
des vers Latins de
Borbonius.
Veu qu[’]encor ieune as Esprit, & soing d[’]homme,
Et le cueur prompt en vertueuse voye,
Veu qu[’]a François ton Pere, que ie nomme
Roy inuaincu, es son espoir, & ioye,
5De race yssant du preux Hector de Troye,
Veu que tu as en armes tel’vaillance,
Que chascun craint de rencontrer ta Lance,
Veu (brief) qu[’]en toy gist tout ce qui est digne
D[’]un Prince grand, si par grace benigne
10Dieu te faict viure, O combien ta vertu
Fera florir la France tant insigne ?
O Prince heureux combien grand seras tu !
[64]A maistre Nicolle le Iouure.
Bon amy Iouure,
Ne fault que i’ouure
La basse veine
De ma Fontaine,
5Pour essayer
k 5 Sans [p. 154]
LE I. LIVRE
Sans delayer
D[’]un plein tonneau
De la sienne eau.
10Tu en as veu,
Et en as beu.
[65]Response par le Iouure.
I[’]ay veu la veine,
De ta Fontaine,
De riue en riue
Rendant l[’]eau viue.
5Ie crains si i’ouure
Celle du Iouure,
Moins nette & pure,
Que rende impure
Plus d[’]un tonneau
10De ta bonne eau.
[66]A Monsieur
Sceue
Conseiller
de Chambery.
Ces iours passez on troubla mes espritz,
Ce fut du temps qu[’]on disoit que la Mort
T[’]auoit vaincu, & en ses laz bien pris :
Mais toutesfois de ce dire on ha tort.
5Car tu es bien demouré le plus fort,
Et le vainqueur. Si Mort craint ta vertu,
Et ton [p. 155]
Et ton sçauoir (deux poinctz qu[’]on prise fort)
Doresnauant (Seigneur) que craindras tu ?
[67]A Monsieur le Capitaine
Sala, Capitaine
de la Ville de Lyon : presenté
pour
ses Estreines le moys de Ian-
uier dernier passé.
Autre cas mon cueur ne conçoit,
Pour t[’]estrener cest an present,
Qu[’]un souhait dont te faict present :
Que t[’]amye, ta femme soit.
[68]A
Anne Durande, Estreines pour le
mesme temps.
Petit cueur en amours nourry,
Prendras tu pas en bonne estreine
Ce seul souhait de la Fontaine,
Que ton amy, soit ton Mary ?
[69]Au Capitaine
George Regnart
Lyonnois.
La courtoisie, & bonne grace,
Que ie voy tant reluyre en toy,
Ha faict que ce huytain ie trace
Te faisant de Fontaine octroy,
5Que bien prendras comme ie croy.
Car [p. 156]
Car ta personne est tant bien nee
Que ma Muse ie sens, & voy
D[’]affection estre menee.
[70]Epitaphe de
Iean Thezé
Lyonnois,
faict en vers Alexandrins.
Pour tes gr~ades vertuz, & tes t~at doulces mœurs,
La Mort eust bien voulu n[’]auoir si grand puissance
De te tuer ( Thezé ) helas, qui trop tost mœurs.
Pource elle prolongoit ton mal de longue instance,
5Craignant de renuerser ta grace, & ta constance.
Mais ta mere t[’]aymant, prioit son Dieu sans cesse,
Qu[’]elle t[’]eust pres de soy. Lors feit obeissance
A Dieu, la dure Mort, qui te tue, & me blesse.
[71]A Monsieur de Boyssoné Con- seiller de Chambery.
A qui pourroit mieulx s[’]adresser ma Muse,
Qu[’]a cil qui ayme, & qui iuge les vers ?
C[’]est Boyssoné, qui de grand grace infuse,
Poëtes ayme, & de poësie vse.
5
Sus donc mes vers, soyez luy descouuertz :
Soient les conduitz de la Fontaine ouuertz :
Mais tost soient cloz, craignant ceste leçon :
Que la Fontaine en son cours trop diuers,
Pour Boyssoné c[’]est trop basse boysson.
A Mon [p. 157]

[72] A Monsieur le Conseiller de L[’]estoille.
Tu es L[’]estoille nette, & claire,
Qui toute autre passe en clarté :
Tu es L[’]estoille qui esclaire
De nuict, de iour, en verité
5Deschassant toute obscurité.
Tu es L[’]estoille au tant doulx œil.
Mais en sçauoir, & en bonté
Ie te veulx nommer le Soleil.
[73]A Monsieur
Brinon, filz vnique de feu
Monsieur le President de
Rouen.
Grec, & Hebrieu en ton ieune aage,
Tu as apris, amy Brinon :
C[’]est bien pour acquerir renom
Comme ton Pere docte, & sage :
5Et pour tousiours haulser le nom,
Qui sur tout nom ha l[’]auantage.
[74]A Monsieur
Tignac
Iuge ordinai-
re Ciuil, & Criminel en
la
Ville de Lyon.
L[’]authorité, & le sçauoir,
Quand ilz sont en vne personne,
Telle personne doit auoir
Honneur de tous, que le deuoir
Pour [p. 158]
Pour l[’]heur, & pour la vertu donne.
Mais d[’]abondant la grace bonne,
Qui en toute humanité sonne,
Ne peult que les cueurs ne retienne.
Ce triple bien veult, & ordonne,
10Que vn Tignac en memoire on tienne.
[75]A Monsieur
du Lyon, Conseiller en
Parlement à Paris.
Le Lyon est grand, & puissant :
Et tu es grand, fourny, & fort.
Le Lyon ne se va baissant,
Pour aux plus petis faire effort :
5Ny toy außi, ie le croy fort.
Mais le Lyon est inhumain,
Mouuant aux grans guerre, & discord :
Et toy tu es à tous humain.
[76]A Monsieur
Quelin, aussi Conseiller
au Parlement de Paris.
L[’]amour, & faueur dont tu vses
Vers les sçauans, mesme au Sauluage,
Mon parent du costé des Muses,
Mon grand amy de long vsage,
5Que i[’]ayme autant que mon lignage,
Te font veoir ce petit huytain :
Auquel [p. 159]
Auquel porteras vn visage
Meilleur qu[’]il n[’]est, i[’]en suis certain.
[77]A
Marguerite Senneton
Lyonnoise, fem-
me du Sire
Iean de
Rochefort.
L[’]enfant qui est dens vostre ventre,
Dieu le face à heure prospere
Sortir außi doulx qu[’]il y entre :
Qu[’]il resemble en vertu son Pere,
5Et en bonne grace sa Mere.
Ce sont trois poinctz que grandement
Ie desire presentement.
Si en vain ne suis desireux,
Ie pourray dire hardiment
10Heureuse Mere, enfant heureux.
[78]A Monsieur
du Peyrat
Lieutenant de
Lyon : presenté aux nopces de
sa
fille Madame
Magdeleine.
Peyrat plain dart, qui entre vn million
As de doulceur, & la grace, & la voix :
Peyrat qui tiens dedans ce beau Lyon
De iuste Loy la balance, & le poix :
5Peyrat rengeant à l[’]equité les Loix,
Pourrois tu bien auoir onc si expresse
Occasion d[’]une extreme lyesse,
O Peyrat [p. 160]
O Peyrat Pere en tout point approuué,
Que quand ta fille en sa fleur de ieunesse,
10Ha pour espoux vn Torueon trouué ?
[79]A Monsieur le Conseiller
Torueon, &
dame
Magdeleine du Peyrat,
pour le
iour precedent leurs nopces, quand
il plouuoit.
De ce temps ne prenez ennuy,
Beaux Espoux au cueur tant humain,
Car ie sçay bien qu[’]il pleure en huy,
A fin qu[’]il vous rie demain.
[p. 161]

LE SECOND
LIVRE DES
EPIGRAM-
MES.
[fleuron]
[p. 162]

[1]A Monsieur
Morelet de Museau, Conseil-
ler du
Roy, & Ambassadeur
pour le-
dit Seigneur en Suisse : Seigneur de la
Marcheferriere,
& du Bourgeau,
Char-
les Fontaine
Salut.
L [’]Vsage est tel de toute antiquité,
Que les Autheurs leurs ouurages adressent
Aux gens sçauans, & gens d[’]authorité,
Qui Apollo, & les Muses caressent.
5Mes Muses donc me prient, & me pressent
Te presenter aucun ouurage mien.
Or va (liuret) & que tes pas ne cessent
Iusque en Suisse, ou tu seras faict sien.
[p. 163]
LE SECOND
LIVRE.
[fleuron]
[2]L[’]autheur à son Liure.
TV AS enuie de troter,
Mais tu deuois premierement
Ton Pere, & amys escouter,
Et leur remonstrance noter,
5Qu[’]es en secret plus seurement.
Mais tu dis que tu troteras :
Et bien, à ton commandement
Troteras, & repentiras.
[3]A Monsieur
Philippes de Pise,
Esleu pour le Roy à
Mascon.
La bonne grace, & bon vouloir,
Qui sont en toy auec prudence,
Sont trois poinctz qui te font valoir :
Ioinct que tu aymes la science,
5Comme on voit par experience :
Ceulx qui l[’]ont sceu ainsi le dient.
Donc de te faire reuerence
Les Muses, & amys me prient.
l 2 A Mon [p. 164]

[4]
A
Monsieur le
Cardinal de
Lorraine.
Puis que tu prens à ma Muse plaisir,
Le deuoir veult que pas long temps ne cesse
De saluer, & louer ta noblesse :
Ains qu[’]a t[’]escrire elle prenne desir.
[5]A Antoine de Pise.
En allant veoir Monsieur Verius
Au chappeau rouge à vn matin,
Quand parlions d’ Artemidorus
Lequel i[’]ay traduit de Latin :
5Ta grace, mieulx que ton Satin
Me pleut adonc, & me feit dire,
Que l[’]esprit que ie voy reluyre
Soit en ton faict, soit en ta face,
Peult aisément tout homme induyre
10A t[’]estimer en toute place.
[6]A Monsieur le
Cardinal de Tournon
retournant sain par Lyon, par ou
il
auoit passé estant fort malade.
Ma Muse auoit conclud, & arresté
A l[’]arriuer le dieu gard vous escrire :
Quand maladie, ayant trop attenté,
Vostre corps (las) tenoit trop mal traicté.
Mais [p. 165]
Mais au retour à Dieu i[’]ayme mieulx dire :
Quand ie vous voy recouurer la santé.
[7]L[’]autheur à ses deux amys Maistre
Denis
Sauluage, & Monsieur
de Besze
: en-
tre les mains &
Iugement desquelz il
remect son Liure.
Liuret va t[’]en de Saone à Seine
Faire vn grand sault vers le Sauluage,
Et vers de Besze : qui ont veine
Tant doulce, & riche à l[’]auantage,
5Qui ont Esprit tant docte, & sage.
Si de ton faict on determine,
Et les veulx croire, en maint passage
Tu passeras par l[’]estamine.
[8]A Zephyrus, & à sa Dame Flora.
O doulx zephyre en ce beau moys regnant
Donne faueur, & doulceur à mes vers.
Ainsi te soit ta Flora couronnant
Par grand lyesse emmy les champs ouuertz.
5
Et toy Flora qui fais les prez tous verdz,
Toy qui fais tout florir, & qui floris,
Toy qu[’]on nommoit par autre nom Chloris :
Fay florissant du beau Paris la Muse :
Et te rendra la Muse de Paris
10Tousiours honneur, ayant ta grace infuse.
l 3 Autre [p. 166]

[9]
Autre.
A ladicte Deesse
Flora.
I[’]ay grand espoir d[’]obtenir ma demande,
Tant pour raison de ta benignité,
Comme pourtant ( Flora Deesse grande)
Que ma Fleurie est de ta parenté :
5A tout le moins ton beau nom elle porte,
Fay donc florir en toute gayeté
Tes alliez, Flora en bon heur forte.
[10]A Maistre
Marin Aublé, precepteur des
enfans de Monsieur
le
Connestable.
Comme la Rose freschement
Depuis vn quart d[’]heure cueillie,
Est tenue bien cherement,
Auant qu[’]elle soit enuieillie :
5Ainsi l[’]oeuure qui se desplie
Nouuellement, est de requeste :
Et außi tost qu[’]on la publie,
Chascun luy rit, & luy faict feste.
[11]A Maistre Iean des Gouttes.
Ie sçay bien que c[’]est la raison,
Que la Muse de la Fontaine,
Dont on pourra ceste saison
Veoir l[’]eau courant par mont, par pleine,
Salue [p. 167]
Salue en sa petite veine
Celuy qui cherit la science,
Et ha des vers l[’]experience.
Sus donc mes vers marchez auant,
Chantans icy par euidence,
10Qu[’]il est Poëte, & est sçauant.
[12]A Maistre
Vincent de la Louppe,
aduocat en Parlement à Paris.
La Louppe que ma Muse louë,
Mais plus sa vertu, & sa veine,
L[’]an paßé estoit à Padoue :
Maintenant à Paris sus Seine,
5Loing de Lyon, ou est Fontaine.
Toutesfois l[’]amour dont il me vse
Faict que distance plus loingtaine
Ne romproit m’amour, ny ma Muse.
[13]A Sire
Iacques Senneton
Lyonnois.
Voluntiers feroit son deuoir
De te honorer, ma Muse basse :
Mais l[’]honneur que te sçait auoir
Auec tes freres • Jean Senneton et Claude Senneton , qu[’]on peult veoir
5Bien estimez en toute place,
Est honneur qui ma Muse passe :
l 4 Tel [p. 168]
Tel, & si grant, à bien noter,
Que comme l[’]on n[’]en doit oster,
Pareillement de bonne grace
10Ie n[’]y pourrois rien adiouster.
[14]A
Pierre Moyreau
de Dourdan
Com-
pagnon Imprimeur : Lors qu[’]il
composoit en L[’]imprimerie
le present Liure.
Ton art tant aymé de la Muse,
Ton art dont tu es tant expert,
Faict que mon art ne te refuse
Vn Epigramme, comme appert.
5
Bon Poëte par toy ne pert
Ny son honneur, ny son ouurage,
Ains sur le temps prent auantage.
Si ie compose dessus toy,
C[’]est bien raison : car mainte page
10Tu vas composant dessus moy.
[15]A
Alexis Iure, de Quiers : &
Claude
le Maistre
Lyonnois.
Tous deux ensemble bons amys,
Tous deux de feu Marot aymez,
Tous deux en qui Phebus ha mis,
Ses dons de tous tant estimez,
Tous [p. 169]
Tous deux vous serez renommez
Par ma Muse s’elle ha renom.
Tous deux pour quatre amys nommez,
Dont mes amys lyront le nom.
[16]A Maistre
Annemond Polier
procureur de Lyon.
Laissant la ville pour le mont,
Ie vous ay bien laißé passer
La feste de sainct Annemond
Facilement sans y penser.
5Mais si fault il nous dispenser
De la remettre à la huytaine,
Pour la grand solennité plaine
Deuement accomplir, & parfaire.
Ou bien aduisons au contraire
10Si (sans le Pape supplier)
Dimenche ne pourrions pas faire
De sainct Annemond sainct Polier.
[17]De Pierre.
Pierre empruntoit souuent mon saye,
Plus souuent que moy le portoit :
Et pour affaire qu[’]en i[’]en aye
Iamais ne me le rapportoit.
5Mais bien ce pendant il doubtoit
l 5 De [p. 170]
De l[’]achepter pour tant, ou tant.
Et l[’]achepta, sot qu[’]il estoit :
Il me trompa en l[’]acheptant.
[18]A celuy qui se vantoit de ses
debtes mal assignees.
Tu dis que Guillaume te doit
Cent escuz, & Gaultier cinquante.
Souuent tu les monstres au doigt,
Comme celuy qui trop s[’]en vante.
5Mais trop deceuë, & deceuante
Est ta parolle, & ta pensee,
De debte si mal addressee.
Dy autrement, tu diras bien.
C[’]est que ta debte est trespassee,
10Car qui rien n[’]a, ne te doit rien.
[19]A celuy qui auoit peur de mourir.
Quand malade au lict tu seras
Voire à l[’]article de la mort :
Sçay tu (Monsieur) que tu feras ?
Pour faire à la mort vn grand tort,
5Et faire à santé ton accord ?
Ne cherche Medecins exquis :
Ne soient Apothicaires quis :
Mais pour chemin plus brief du tiers,
Fay [p. 171]
Fay moy, sur tes amys acquis,
10Le plus grand de tes heritiers.
[20]A Maistre
Odoart le Verrier, Clerc
au greffe du Roy à Lyon.
Ma Muse, or sus ie te veulx commander
Ce que tu scez, & que tu veulx bien faire.
C[’]est vn huytain à mon amy mander,
Qui te congnoist, & ton loz ne ueult taire :
5Il ayme honneur, & vers luy se veult traire,
Pource qu[’]il suyt vertu sans varier.
Va donc à toy, & à moy satisfaire,
Par ce moys vert visiter le Verrier.
[21]A celuy qui perdit sa maison, &
S[’]amye :
Sa Maison, le Samedy par sentence : &
S[’]amye fut emmenee par vn nom-
mé
Dimenche.
Ce moys de May ne porte pas
A vn chascun trop bonne estreine :
Mesmement touchant quelques cas
Qui aduindrent l[’]autre sepmaine.
5Car celuy qui voluntiers meine
Ioyeuse vie autant que deux,
A eu deux iours fort hazardeux.
Samedy sa maison osta :
Et le [p. 172]
Et le Dimenche autant fascheux,
10De sa Dame le desmonta.
[22]A Maistre
Antoine Noailly
pro-
cureur à Lyon.
Par ce Quatrain Polier sçaura,
Mesmement le Verrier verra,
Que Fontaine n[’]aura failly
A saluer son Noailly.
[23]L[’]autheur à son compere, le
Chanoine
Gauteret
Lyonnois : pour le conso-
ler sur la mort de
sa
sœur.
La mort tuant ta sœur tant bien aymee,
Tant gracieuse, honneste, sage, & bonne,
Ne pourra pas tuer sa renommee,
Que la vertu mal gré la mort luy donne.
5Prend donc en gré (amy) & ne te estonne.
Elle ha lignee à qui laisse du bien :
Elle ha vescu l[’]aage d[’]une personne.
Maintes vouldroient bien mourir außi bien.
[24]A Maistre
Françoys Larcher, Clerc
des Comptes.
L[’]archer qui plus pres du blanc tire,
Doit emporter l[’]honneur & pris.
L[’]honneur [p. 173]
L[’]honneur & pris ie te desire,
Veu l[’]espoir dont tu es espris.
5
Amy Archer tant bien apris
Tirer ou ton bon cueur aspire,
Tu donnes ioye à mes Espritz.
[25]A vn beau prometeur, qui ce pen-
dant faisoit l[’]amour.
Tu me promectz de tes habitz,
Tu me promectz ton Dyamant :
Tu me ptomectz [sic pour promectz] ton beau Rubis :
Et puis tu trenches de l[’]amant.
5Lors comme la pierre d’aymant
Tire le fer, certes ainsi,
Tes voysines tirent außi
Anneaux, habitz. Ie me repens,
Que premier ne prins tout cecy.
10Tu le fais trop à mes despens.
[26]De Michault.
Le iour que la paix on crioyt,
Et qu[’]on faisoit les feuz de ioye :
Michault de rien ne s[’]en rioyt,
Estant content que l[’]on le voye
5Comme qui de rien ne s[’]esmoye.
Contre luy le monde se meult,
Querant [p. 174]
Querant si de la paix se deult.
Non (dit il) mais par toute terre,
Qu[’]on crye la paix si l[’]on veult,
10I[’]auray tousiours chez moy la guerre.
[27]Autre • pièce adressée à Michault, comme la précédente pour response.
Ta femme qui ha bonne teste,
Le long du iour entierement
Crye apres toy, & se tempeste
Assez tempestatiuement.
5Mais toy tu fais tout autrement :
Toute la nuict les potz, & plaitz
Sont à ta bouche voirement.
Comment dyable aurois tu la paix.
[28]A celuy qui auoit changé de mœurs,
par les biens, &
honneurs.
Quand tu auois tant seulement
Deux cens liures de reuenu,
Tu hantois tous egalement
Autant le gros que le menu.
5Maint amy estoit soustenu
Par toy, & aux champs, & en ville.
Mais ores que tu as deux mille,
Tu es glorieux deuenu.
Tu laisses maint amy tout nud,
Et [p. 175]
Et n[’]aymes que la croix, & pile
Brief tu es riche, & inutile.
Or pour rentrer à ton bon sens,
Et estre à tes amys vtile,
Retourne donc à tes deux cens.
[29]A vn Repreneur.
Ie n[’]ay veu de tes vers, ne gris,
Et ne sçay comme ilz sont mordans :
Mais si tu mords plus mes escritz,
Tu sentiras qu[’]ilz ont des dens.
[30]A
Monsieur de Chemant, president
de Piedmont : L[’]autheur allant
à Venise.
La Fontaine conioincte au Gué,
Chemant icy chef de iustice,
Te offre humble salut de bon gré.
O vray Caton en ton office,
5En ta science vray Sulpice,
Puis que son cours tend autre part
(Que Dieu parface, & accomplisse)
Te vient dire à Dieu, & dieu gard.
[31]A Monsieur de Loudon son gendre.
Ta grace, & ta docte parolle,
Qui sont deux poinctz à estimer,
Font [p. 176]
Font que ma Muse basse, & molle,
Qui apres montz veult veoir la mer,
5Te congnoissant te veult aymer :
Et t[’]aymant ha voulu t[’]escrire :
T[’]escriuant faire renommer :
Et par escrit à Dieu te dire.
[32]A quelcun.
Tu veulx compter dessus tes doigtz
Pour me bailler ce que me doibs :
Mal me congnois, car mon cueur gent
Requiert l[’]amour, & non l[’]argent.
[33]Autre.
Tu vas comptant dessus tes doigtz,
Pour me payer ce que me doibs.
Rien ne me doibs, car mon cueur gent
Ne veult t[’]amour ny ton argent.
[34]A Monsieur
Danebault,
Lieutenant
pour le Roy en Piedmont.
Si nostre Roy vous ha tant honoré,
Que de vous faire icy son Lieutenant,
Pour les vertus dont vous estes paré,
Qu[’]il congnoissoit, & qu[’]on voit maintenant :
5Encor que soit mon style mal sonnant
Pour [p. 177]
Pour saluer vostre haultesse grande,
Grande raison à ma Muse commande
A l[’]arriuer ce salut vous donner.
Vostre vertu plus merite, & demande :
10Mais son plaisir sera me pardonner.
[35]A Maistre
Françoys Morel
Greffier en
la Court ordinaire de
Lyon.
Ton naturel de parler sobrement,
Et d[’]aymer ceulx qui ayment la science
(Dont i[’]ay le bruit, & quelque experience)
Font la Fontaine à ton commandement.
[36]A Monsieur le Chanoine Caille.
Puis que tu as ia veu ma Muse,
Et estimee de ta grace :
Pas ne fault que ie te refuse
Cest Epigramme que ie trace,
5Pour se presenter à ta face,
Et recreer ce moys de May,
Qui rend la Muse en toute place
De l[’]œil riant, & de cueur gay.
[37]Resiouyssance au commun peuple
pour ceste Annee 1545.
Resiouy toy, ô populaire,
Qui tous ces iours fus tant fasché :
m Resiouy [p. 178]
Resiouy toy, ie te declaire,
Que ton mal sera relasché :
5Tu auras à meilleur marché
Le pain, le vin, & leur sequele,
Par cest an qui se renouuelle.
Dieu te donne vn regard propice :
Et le Roy faict vne nouuelle
10Ordonnance sur la police.
[38]Au
Roy. A qui L[’]autheur auoit
faict
presenter vn Liure.
Roy sur tous Roys puissant, & eloquent,
En hault sçauoir ton Esprit colloquant :
Vray Xenophon, en qui parlent les Muses,
Vray Ciceron qui tant d[’]eloquence vses.
5
O vray Platon, dont la Royalle bouche
Porte le miel qui toute France embouche !
Vray Lysias, à qui Pallas en gage
De bon amour, ha donné beau langage :
Puis qu[’]il ha pleu à ton cueur tant humain
10Mon oeuure ouyr, la tenir en ta main,
Et son Autheur retenir en memoire,
Faisant de luy mention bien notoire :
Que fera donc ta petite Fontaine
Fors enuoyer ruisseaux d[’]eau pure, & saine
15Vers ta Royalle, & haulte maiesté,
Qui [p. 179]
Qui tant splendit en sa benignité ?
A qui ie pry encore de sa grace
Presentement excuser mon audace.
Celuy qui est vn peu audacieux
20Aucunesfois n[’]en est moins gracieux.
[39]De la Royne de Nauarre.
Comme entre les fleurs ha renom
La Marguerite : en grand constance
Entre les Roynes ha le nom,
Vne Marguerite de France.
[40]A Maistre
Guillaume Durand
Lyonnois.
Soit temps de chault, ou de froidure,
Chascun va au monde endurant :
Mais sans souffrir chose en rien dure
Tu merites à grand mesure
5Estre cent fois cent ans durand.
[41]A
Hugues Salel,
Valet de chambre du
Roy : & Poëte Françoys.
Salel amy bon, & parfaict,
Ta veine est tant bonne, & parfaicte,
Haulte en doulceur, de tel art faicte,
Que tu es hault par dict, par faict.
m 2 A Maistre [p. 180]

[42]
A Maistre
Guillaume Tellin,
Secretaire
de Monsieur le
Duc de Guyse.
Amy Tellin ta langue est telle,
Pareillement ton cueur est tel,
Que quand en ce monde mortel
Trouue parolle en cueur fidelle,
5Ie dy c[’]est luy, Ie dy c[’]est elle.
[43]A Maistre
Antoine Virieu,
Enque-
steur en la Seneschaucé de
Lyon.
Ie t[’]ayme, & si ne sçay pourquoy,
Sinon que tu as vn maintien,
Qui ha de bon ie ne sçay quoy :
Auec vn Esprit que ie croy
5Né à bon heur, & à tout bien.
[44]A trois Medecins de Lyon, qui
auoient visité L[’]autheur malade.
Voyans le patient mollet,
Le delicat, le mignolet,
5Qu[’]vn autre Adonis on veult dire :
Ont faict en luy santé reluyre,
Au lieu de laide maladie,
Qui auoit sa face enlaidie.
Plus [p. 181]
Plus ne luy fault (dit l[’]un pour rire)
10Sinon que sa Venus luy rie.
[45]A L[’]escuyer
Caterin Iean,
Maistre
de la
Poste du Roy à Lyon.
Puis que tu congnois la Fontaine,
Et que tu aymes tant les Muses,
Qu[’]en recreation certaine
Aucunesfois tu t[’]y amuses,
5Tu en iouys, & tu en vses :
De ma Muse ce May auras,
Et ne croy pas que tu refuses
Mes petis vers quand les verras.
[46]A
Pierre Reclus,
Apothicaire, L[’]au-
theur estant malade à Lyon.
Le Reclus, vray Reclus de faict,
Salue le Reclus de nom :
Et si vouldroit tel estre faict,
Reclus de nom, & non d[’]effect.
5Mais quand de nom, & de renom
L[’]un est Reclus, & de faict non,
C[’]est raison que le nom il quicte,
Car le seul faict, le nom merite.
Et s[’]il ne trouue cela bon,
10Prenne le faict, & qu[’]il m[’]acquite.
m 3 A L[’]aua [p. 182]

[47] A L[’]auaricieux.
S[’]esbahit on si tu as bien
De l[’]argent, & si tu es riche ?
Fors que l[’]argent tu n[’]aymes rien :
Tu es vsurier, vieil, & chiche.
[48]Le ieune Homme.
S[’]esbahit on si ie n[’]ay rien,
Et si par cueur souuent desieune ?
I[’]açoit que i[’]aye eu de grand bien,
Amoureux suis, liberal, ieune.
[49]A Monsieur
Corqueron,
Maistre
de la Chapelle du Roy.
Qui veult sçauoir que c[’]est d[’]honnesteté,
De bon vouloir, & de faire plaisir :
Que c[’]est d[’]un cueur qui ha tousiours esté
Remply d[’]honneur, & vertueux desir,
5Digne d[’]un Roy, d[’]un Duc, ou d[’]un Baron.
Qui veult sçauoir tout cela, doit choisir,
Et emprunter le cueur de Corqueron.
[50]A Maistre Denis Sauluage.
Le vin clairet qui largement
Entre le Bacchus, & la treille,
Te mouilloit solennellement
Pour [p. 183]
Pour en remplire la bouteille
5De ton ventre, qui ne s[’]esueille,
S[’]il te feit peur plus que dommage,
A mon aduis ce n[’]est merueille :
La raison ? car tu es Sauluage.
[51]A Maistre
Pierre Saliat :
L[’]autheur
retournant de dela les Montz.
I[’]ay laißé le païs de guerre,
Sçays tu pourquoy bon amy Pierre,
Point ne veulx mourir pour le Roy :
Ie ne veulx mourir que pour moy.
[52]A quelques siens Amys.
Vous vous esbahissez comment
I[’]escry tant en langue Françoyse :
Ce n[’]est faulte de iugement,
Que i[’]ay petit, dont ce me poise :
5Mais vn seul mot sans bruit, & noise,
Renuerse toutes raisons vostres.
C[’]est que vne langue si courtoise
Est nostre, & si faict fruit aux nostres.
[53]A celuy qui l[’]appelloit son Frere.
Par tout tu me vas appellant
Ton frere, & ie ne sçay pourquoy.
m 4 Comme [p. 184]
Comme vne fille vas parlant,
Pour moins que rien tu as esmoy :
5Tu es trop plus petit que moy :
Et si n[’]as barbe qui appere,
Non plus qu[’]a ta sœur, & ta Mere.
Que veulx tu plus ? cela est seur
Si tu m[’]appelles plus ton Frere
10Ie t[’]appelleray donc ma Sœur.
[54]A vn Receueur.
Quand ie cuyde parler à toy,
Non pas sans que ie y aye affaire,
Tousiours me renuoyes chez moy.
Pour excuse ne voulant taire,
5Qu[’]as ailleurs à veoir, & à faire.
Tu rends registre, tu rends compte,
Pour Monseigneur le Duc, ou Conte.
Tu rends raison du preterit :
Tu rends argent qui beaucoup monte.
10Que puisses tu rendre l’Esprit.
[55]A Maistre
Denis Sauluage
aduo-
cat, & Poëte Françoys.
Ce style hault de poësie obscure,
Ces vers qui sont si graues, & pesans,
Ces vers enflez dont aucuns prennent cure
Son [p. 185]
Son les admire, & pompeux, & luysans,
5Ce temps pendant ilz ont peu de lisans :
La raison est pour l[’]obscure haultesse.
Qu[’]on les admire, & six ans, & dix ans :
Les miens on lyse auec leur petitesse.
[56]De la mort de Monsieur
Braillon,
Me-
decin de Paris
tresrenommé.
Braillon qui la santé bailloit
Aux malades facilement,
A se guerir trop deffailloit,
Quand mort le print subtillement.
5T[’]esbahys tu (Lecteur) comment ?
Le mal d[’]autruy chascun voit bien,
Pour y donner amendement :
Mais chascun ne voit pas le sien.
[57]A dieu à Thurin, L[’]autheur retour-
nant
de Venise.
A dieu Piedmont, à dieu Thurin,
A dieu Capitaines de Guerre :
A dieu Fifre, à dieu Tabourin,
L[’]yuer crie qu[’]on se reserre.
5Or à dieu Iean, or à dieu Pierre.
Ie m[’]en voys me chaufer chez moy,
Au cueur de France, & en la terre,
Qui est sans guerre, & sans esmoy.
m 5 Au [p. 186]

[58]
Au
Cardinal de Ferrare Arce-
uesque de
Lyon.
La haulteur de ta dignité,
Et de ton sang la grand noblesse,
Conioincte auec ta grauité
Pleine de prudence, & sagesse,
5Me tollissent la hardiesse
D[’]aprocher pres de ta personne.
Mais ta sœur la bonne Duchesse,
Elle, & non autre la me donne.
[59]A Maistre Pierre Saliat.
Saliat, dont ne peut saillir,
Que tout bien d[’]amytié parfaicte :
O que l[’]on pourroit bien faillir
D[’]en trouuer vne si bien faicte,
5Qui ne seroit iamais deffaicte ?
Telle est la nostre : qu[’]en dis tu ?
Tu dis que par mesme deffaicte
Seroit deffaicte la vertu.
[60]A Monsieur
Granger,
docteur
en Medecine à Paris.
Granger la grange de tous biens,
Qu[’]en amytié l[’]on peult trouuer :
Le grand amy entre les miens,
Que [p. 187]
Que Dieu m[’]a faict tant esprouuer.
5Ie croy (encor sans le prouuer)
Que tant plus seras secourable,
Comme on te voit bien arriuer
Au port de science honorable.
[61]A Pierre bon grain.
Bon grain iamais ne fut mauluais :
Cela s[’]en va son petit train.
Que diray plus ? par sainct Geruais
Iamais ne fut mauluais bon grain.
[62]A vn de nouueau faict de Glorieux.
Ie m[’]esbahy qui te faict glorieux,
Ie ne sçaurois en penser la raison.
Il semble à veoir que sois tombé des cieulx
Tant seulement depuis l[’]autre saison.
5Tu n[’]as changé d[’]amye, ou de maison,
Tu n[’]as changé de rien en aucun point.
Vrayment si as : tu changeas de pourpoint
Ces iours passez, & par quelque matin
Tu te pensois veoir braue, & bien en point,
10Laissant le sac pour prendre le Satin.
[63]A celuy qui de son Amy vouloit
faire vn seruiteur.
Tu me viens charger de ta charge,
Ie pense [p. 188]
Ie pense que c[’]est pour trois iours :
Trois iours passez nul me descharge,
Et tant s[’]en va du temps le cours,
5Que trente iours te semblent cours.
Si que (la chose bien comprise)
Tu me veulx charger à ta guyse
Pour tousiours sans aucun recours.
I[’]ay pour trois iours ta charge prise :
10Reprens ta charge pour tousiours.
[64]A vn grand Bauart.
L[’]eau tombant du Ciel bien menue
Par temps, & par experience,
Les cailloux caue, & diminue
Combien qu[’]ilz soient de dure essence.
5La terre qui prent patience
Vse son soc par grans iournees :
Les arbres vsent leurs coignees :
Mais ton babil plain de harengue,
Et tes motz de longues menees,
10N[’]ont iamais peu vser ta langue.
[65]Du temps passé, & present.
Le temps paßé l[’]on souloit recongnoistre,
Et honorer ceulx qui par leurs escritz
Faisoient le bruit, & l[’]honneur des gens croistre,
Et occu [p. 189]
Et occupoient leur Muse, & leurs Espritz
5Pour à vertu donner son loz, & pris.
Mais à present que nous courons apres
Les biens mondains, pour qui soit loing, soit pres
A tous les maulx nous sommes trop vouez,
Laissans pour lor les faictz de loz expres,
10Ne tenons compte außi d[’]estre louez.
[66]A vn Glorieux.
Quand ie te dy, & ie te donne
Bon iour, & Dieu gard tous les iours,
Nul bon mot n[’]ay de ta personne :
Or me dy à dieu pour tousiours.
[67]A Monsieur de la Fay Lyonnois.
Vertu constante, & en face, & en mœurs
(Seigneur tant plain de grace, & de constance)
Certes ne peult que n[’]attire les cueurs
A honorer sa force, & sa prestance.
5Pource (Seigneur) de toute sa puissance
Tres voluntiers t’honoreroit ma Muse,
Qui (de ta grace) ha de toy congnoissance :
Mais comme toy n[’]a pas la grace infuse.
[68]A Maistre Noë Alibert Lyonnois.
L[’]amour qu[’]on te porte en la Ville,
Et le [p. 190]
Et le renom qu’as iusque au Roy,
Pour ton Esprit vif, & habille
En ton art, que louer ie doy,
5Treßingulier comme ie voy :
Pareillement (amy Noé )
Ton cueur tant plain de bonne Foy,
En ton amytié m’ont noué.
[69]L[’]autheur au Detracteur.
Quelcun dira quand tu me blasmes,
Que voirement ce n[’]est grand cas
De faire ainsi des Epigrammes,
Et que grand peine n[’]y ha pas.
5
Or ie te responds sur ce pas,
Deux Epigrammes sont faciles
A escrire à Frere Lucas :
Mais deux Liures sont difficiles.
[70]L[’]autheur à son Liure.
Tu as esté tant chastié,
As-tu enuie encor de l[’]estre ?
Tu seras plié, replié,
Noté à dextre, & à senestre.
5
Mais tu veulx le monde congnoistre.
Sçays tu que le monde fera ?
Le monde de toy se rira.
Mais [p. 191]
Mais tu me responds, nonobstant,
Que tel de toy se mocquera,
10Qui n[’]en sçauroit pas faire autant.
[71]Aux
Compagnons Imprimeurs
de la Ville de Lyon.
Si aux sçauans on doibt porter honneur,
On doibt porter honneur à vous außi :
Qui apportez au monde ce bon heur,
Que le sçauoir est par vous esclarcy :
5Lequel sans vous est obscur, & noircy :
Vous l[’]auancez, & luy donnez son lustre.
Parquoy de vous ie doy chanter icy,
O gens heureux, ô Art noble, & illustre.

L[’]imprimeur au Lecteur.
Quand par moy maintz Liures recoeuures,
Diras (Lecteur) que mon desir
C[’]est d’Imprimer nouuelles oeuures
A fin de te donner plaisir.