Essai
[p. 1] Fac-simile de la page

LES XXI. EPISTRES
D’OVIDE.
*

Les dix premieres sont traduites par Charles
Fontaines Parisien: le reste est par lui reuù,
& augmenté de Préfaces.


Les amours de Mars & Venus, & de Pluton vers
Proserpine, imitacion d’Homere & Ouide.

[Marque de l’imprimeur]

A LION,
PAR IAN DE TOVRNES,
ET GVIL. GAZEAV
M. D. LVI.
Avec Priuilege du Roy.

[p. 2] Fac-simile de la page

Extrait du Priuilege.

PAR grace & Priuilege du Roy, il est per-
mis à maitre Charles Fontaine faire imprimer
& mettre en vente par tel Libraire & Impri-
meur que bon lui semblera, Les Epitres d’ Oui-
de par lui reuuës & corrigees, auec les pre-
faces & quelques autres petis traitez dudit
Ouide , & le Rauissement de Proserpine en
vers François  : Auec expresses defenses à tous
autres Libraires & Imprimeurs, de ne les im-
primer vendre ou distribuer iusques à huit ans,
à prendre du iour & date de la premiere impres
sion desdits liures : nonostant quelsconques let-
tres au contraire. Comme plus à plein est conte-
nu en la lettre de Priuilege sur ce donné à Vil-
liers en Coterets le premier iour d’Octobre 1555.
Ainsi signé Declauerie , & selle en cire iaune.

[p. 3] Fac-simile de la page 3 [Bandeau]

A NOBLE ET HO-
NORABLE DAME,
Madame de Crussol,
Charles Fon-
taine

s.

I  L y ha enuiron dix ans,
 Madame, que ie transla-
 tois les dix premieres Epi-
 tres d’ Ouide : qui depuis
ont esté imprimees auec mes prefaces
& annotacions, & dedie es à Monsieur
de Crussol votre fils : & tellement re-
cueillies que des l’esté paßé, i’ay eu pei-
ne à en recouurer une couple pour cer-
teins amis qui m’en demandoient. Sur
quoy considerant que ie ne deuois en ce
point laisser obscurcir ou perir (s’il faut
ainsi parler) mon labeur non petit : i’en
auerti ceus à qui ie l’auois premieren t

a 2 baillé: [p. 4] Fac-simile de la page 4 EPITRE.
baillé : Ce qu’à diuerses fois ayant fait
& les voyant trop longs à y enten-
dre, & que i’estois preßé non seulemẽt
par lettres d’aucuns miens amis, mais
außi par celle afeccion naturelle & pa-
ternelle que chacun vray pere porte à
ses enfans, qu’à grand regret il verroit
mourir, ie me resolu entierement à y
entendre d’ailleurs, & les faire réim-
primer, mesmement auec les figures
s’il m’estoit poß ible : encores (à fin que
l’euure fut plus parfait & acompli)
deliberay y aiouter les onze Epitres qui
restoient : & ce, non de ma traduc-
cion nouuelle, ains de l’antique translat
de feu Monsieur de Saingelais , iadis
Euesque d’Angoulesme  : pour laisser
außi l’honneur deu à celle bonne anti-
que simplicité, ou simple antiquité : que
l[’]on recõ noitra a la trace estre de ce bon
vieus tems : & dequoy meintes gens
le resentans, se pourront delecter. Toute-
fois [p. 5] Fac-simile de la page EPITRE. 5
fois y ay paßé la main par dessus, ne fut
que pour racoutrer l’ortografe, les points
quelques mots & lignes entieres, lais-
sees en sens imparfait. Ce que i’ay bien
voulu supplir par mon nouueau labeur,
& pour l’utilité & recreacion du Le-
cteur : changeant encor quelquefois, &
radoubant les coupes femenines (comme
l[’]on appelle) ou i’ay senti que facilement
se pouuoit faire, sans m’y contreindre,
ny corrompre ou perdre la grace de celle
antiquité qui ne les estimoit à vice,
cõme l[’]on fait auiourd’hui : car de les chã
ger toutes, & de conferer du tout ledit
translat auec le Latin, ce n’eut esté ia-
mais fait : & aymerois autant les re-
traduire tout de nouueau, comme i’en ay
eu bonne enuie, qui n’est pas encores es-
teinte : vray est que le tems, les proces,
& afaires domestiques par moy soute-
nues, ont icelle mienne afeccion iusques
ores retenue & retardee. C’est quant à
a 3 ce [p. 6] Fac-simile de la page 6 EPITRE.
ce point : mais de l[’]honneur que ie pour-
rois auoir acquis en ma premiere tra-
duccion & annotacion, & en mes plu-
sieurs autres euures & labeurs en vers
ou prose, quant à cela ie m’en raporte,
mesmement à la posterité qui en iugera
mieus, & sans afeccion : & bien que ce
soit la chose de ce monde qui naturelle-
ment m’aporte plus de contentement en
mon esprit, ce pendant toutefois de cela,
ny moy, ny ma famille n’en pourrions
viure un seul iour.
Or changeant propos, maintenant ie
vous veus & doy bien auertir que ou-
tre les choses precedentes, & par dessus
les impreßions du paßé, i’ay aiouté außi
aus onze dernieres epitres susdites, les
prefaces ou argumens, pour plus facile,
brieue & sommaire intelligence du sens
& matiere de chacune d’icelles. Et ne
doy oublier que i’ay fourni celles d’ Ero
& Leandre du translat, non du Signeur
Octou [p. 7] Fac-simile de la page EPITRE. 7
Octouian, ains du Signeur de saint Ro-
mat (cõme i’entens) par ce qu’elles sont
trop mieus resentans la perfeccion de
notre tems en honneur literaire. Et à la
mienne volonté que lui, ou quelque au-
tre semblable, eut poursuiui : nous, alors,
n’uß ions eu besoin de recourir à ce bon
vieillart , ayans quelque chose de plus
ferme & robuste. Au reste nous auons
encores aiouté à la fin d’icelles epitres,
les amours de Mars & Venus , imita-
cion d’ Homere  : & le rauissement de
Proserpine , imitacion außi de notre
Ouide  : deus petis traitez, non par ci de-
uãt imprimez. Puis donc, treshonorable
Dame , qu’à Monsigneur de Crussol , vo-
tre fils, i’auois adreßé les dix premieres
epitres, ie puis bien ores à vous, sa me-
re , adresserle total, en ce qui concerne
ce mien dernier labeur, qui est tel que
i’ay declaré ci dessus : lequel si ie puis
sentir que receuiez à gré, vous encou-
a 4 rager [p. 8] Fac-simile de la page 8 EPITRE.
ragerez d’abondan t mes Muses Fran-
çoises à vous faire voir le reste de ma
traduccion, mesmement auec certeins
autres presen s de non moindre estofe.
Qui sera l’endroit ou mettray fin à la
presente (ia assez ou trop longue) priant
le Createur pour vous Madame , que
de sa grace luy plaise acomplir tous
voz bons & nobles desirs.
A Lion ce premier
iour de May
1556. [p. 9] Fac-simile de la page 9

A MONSIEVR DE
Crussol, Seneschal de Cahors en
Querci, & l’un des cent Gentilz-
hommes de la chambre du Roy,
Charles Fonteine S.

M  ONSIGNEVR, ce qui
 m’induit vous escrire à pre
 sent est que ie me suis adon
 né, depuis quelques annees,
à mettre en vers François les premieres
Epitres du gentil poëte Ouide , tellement
que mon labeur est paruenu iusques à
la traduccion de dix, dont ie vous fay
un present : & ay eslu ce suget, entre
cent autres, pource que des mon ieune
aage i’ay tousiours eu en admiracion les
euures d’ Ouide, singulier Poëte en in-
uencion, grace, & facilité : entre les-
quelles euures ces Epitres des Heroïdes
ont tousiours esté, au iugement de tous
sauans, estimees de tresgrand artifice:
a 5 outre [p. 10] Fac-simile de la page 10 EPITRE.
outre ce qu’elles sont brieues, vtiles, &
recreatiues : trois points qui emportent
l’honneur en une euure Poëtique, &
qui passent tout, selon le iugement d’ Ho-
race . Et combien que la Metamorphose
soit estimee de tresgrand artifice &
grace (voire de sorte que les Grecs en
ont bien voulu enrichir leur langue) si
est-ce toutefois que pour sa longueur elle
peut sembler estre moins plaisante, ioint
qu’elle se montre plus fabuleuse que hi-
storique, & ces epitres, au contraire,
plus historiques que fabuleuses. Or
donques, Monsigneur, ie vous presente
ce mien translat des dix premieres epi-
tres des Heroïdes : & si puis bien dire
que quiconque entendra bien ce mot,
Heros, selon l’interpretacion de Platon
en son Cratil (duquel mot, Heros, ces
epitres sont dites les Heroïdes) ne dou-
tera que le present ne puisse, aumoins
pour cette raison, estre conuenant à
vous, [p. 11] Fac-simile de la page EPITRE. 11
vous, qui estes extrait de noble & an-
cienne race, & qui estes à present
en la fleur de votre aage, laquelle se
pourra quelquefois delecter en ces ma-
tieres amoureuses, qui à la ieunesse sont
communes & naturelles, & pour-
tant ne lui mesaduienne point, comme
disoit vn Poëte Grec , que Iupiter ayant
pitié des ieunes gens, leur ha suscité ces
gentiles flammes d’amour pour réueil-
ler leurs esprits, & les garder de de-
mourer oisifs, & pareßeus. Ainsi
ie n’ay peu ny deu douter de ce translat
adresser à vous, que i[’]ay par cy deuant
connu de telle facilité de meurs, bonne
& vertueuse amour vers les lettres
& lettrez, que non seulement ce mien
labeur vous seroit deu, mais außi ou-
urage de plus haute lime.

Au reste, Monsigneur , combien que
vous ayez en votre ieune aage esté in-
struit, & assez au ancé en la langue La-
tine [p. 12] Fac-simile de la page 12 EPITRE.
tine par le moyen de monsieur Saliat
(homme rempli, tant de bonnes meurs
que de doctrine es trois langues, Grec-
que , Latine & Françoise , & grand
ami mien & familier des ma ieunesse,
auquel entre autres choses, ie suis tenu
de la connoissance & familiarité que
i’ay euë autrefois auec vous) si est-ce tou
tefois que i’estime que ne desdaignerez
tant le langage François , que de ne l[’] a-
uoir en tel degré de reputacion & afec-
cion que nature veut que l[’]on donne à
tout ce qui est du païs ou nous auons ati-
ré le premier air, & succé le premier
laict. Cy prie Dieu , Monsigneur, vous
donner l’acõplissement de voz bons de-
sirs, suiuant les traces de voz nobles &
bien renõmez predecesseurs, acomplis en
beaucoup de vertus, bien correspon-
dantes à leur noblesse. C’est de
Lion ce premier iour de
Ianuier, L[’]an
1551. [p. 13] Fac-simile de la page 13

AV SVSDIT SIGNEVR
DE CRVSSOL.
*

Ayant desir vous rafreschir memoire

Que ie vous ay connu par long usage

De bon esprit, qu’en vous estre on peut croire

Au seul regard du dous trait de visage,

5

Ie deuois bien vous offrir quelque ouurage

Qui fust tout mien : mais außi ie puis dire

Qu [’] il valoit mieus mille bons vers traduires

Qu’en inuenter dix mille froidement.

Car ie ne puis de moymesme produire

10

A tel Signeur digne contentement.


HANTE LE FRANÇOIS.

[p. 14] Fac-simile de la page
14

PREFACE SVR
L’EPITRE DE
PENELOPE A
VLYSSES.
*

L  A guerre de Grece estant emuë
 pour aller contre la Troye à cau-
 se du rauissement d’Heleine,
 Vlysses filz de Laërtes, & d’Anti-
clie, fut contreint d’y aller, par conseil tenu
en l’assemblee des Grecz, nonobstant qu’il
feingnit d’estre fol, ou insensé, à fin d’estre
excusable. Et cela faisoit il par dissimulacion,
comme esprins de l’amour de Penelope sa
nouuelle espouse, laquelle il ne pouuoit lais-
ser qu’à grand regret. Mais enfin (estant sa
finesse & dissimulacion subtilement descou-
uerte par Palamedes) alla en guerre auec
les autres Grecs : & partit d’Ithaque montant
sur mer auec quarante vaisseaus : comme
recite Dares en son histoire. Or en celle
guerre Vlysses fit & donna conseil de tant de
choses grandes, tant par finesse, que par sa-
gesse, & prouësse, que la plus grand part de
l’hõneur de la victoire lui est atribuee. Apres
donq [p. 15] Fac-simile de la page PREFACE. 15
doncq plusieurs assauts, & batailles par l’espa-
ce de dix ans liurees, fut la Troye entiere-
ment destruite, & du rauissement d’Heleine
la vengeance faite, qui fut en l’an de la crea-
cion du monde, deus mil sept cens quatre
vingts & trois, & auant la natiuité de nostre
Sauueur Iesuschrist, mil septante neuf
ans, le dixsettieme iour deuant le Solstice
estiual, que Troye la grande fut prinse par
les Grecs, qui quarante ans au parauãt auoit
aussi esté prise par Hercules, qui en tua la
Roy Laomedon, mais n’auoit pas esté de-
struite, ains Hercules y constitua Prima Roy,
qui amplifia & orna grandement la vile, si
qu’elle estoit une des plus excellentes villes
du monde en magnificence, & puissance.
Toutefois à l’ocasion d’une seule personne
fut destruite, & du tout ruïnee. Parquoy les
Grecs veinqueurs ramenans Heleine, s’en
retournoient en leur païs auec grandes ri-
chesses de la despouille, & pillage de Troye.
Mais par l’ire, & indignacion de Minerue
qu’ilz auoiẽt ofensee, furent (comme disent
les liures) tant agitez, & tourmentez es pe-
rilz, & naufrages de mer, que bien peu de
gens en reschaperent. Entre lesquelz Vlysses,
apres qu’il eut esté dix ans en peine sur la
mer, s’en retourna, & gaigna son païs, qui
estoit [p. 16] Fac-simile de la page 16
estoit en somme vingt ans qu’il en estoit ab-
sent. Auquel Vlysses, estant ainsi detenu es
perilz de mer, Penelope sa femme, fille d’I-
car, & de Polycaste, ignorant la cause de ce
tant long seiour, douteuse de la santé de son
espous, & soucieuse de son retour, escrit l’e-
pitre suiuante, l’amonneste de reourner puis
q̃ la Troye est destruite, & les autres Princes
Grecs ia de retour, lesquelz le demandent
& desirent : & aussi l’auertit de ceus qui man
gent son bien : Pareillemẽt que son père, Icar
la contreint se remarier : q̃ la ieunesse de son
filz Telemachus, & la vieillesse de son père
Laërtes, (qui estoit père d’Vlysses) requie-
rent sa venue, & sa presence, & non pas seule-
ment sa response par lettres. Ie me tais de ce
que ie trouue que le seul Lycophron, an-
cien auteur ha mal senti & escrit
de la chasteté de Penelo-
pe contre la commune
opinion & re-
nommee.
*

Fin de la Preface.

[p. 17] Fac-simile de la page 17 [Bandeau]

TRADVCCION
EN VERS FRANCOIS
DE LA PREMIERE
EPITRE D’ O-
VIDE

Penelope escrit à Vlysses.

[Figure]

A   TOY escrit Penelope la tienne

 Le cõtenu en cette epitre sienne

 O Vlysses q̃ trop tardif i’atten:

 Ne m’escri rien, mais plustot re-
uien t’en:

5

Troye est à sac, en hayne aux dames Grecques:

Certeinement le roy Priam auecques

b Toute [p. 18] Fac-simile de la page 18 PENELOPE

Toute la Troye, encores bien à peine

Valoient ils tant que leur causer la haine.

O pleust aus dieux quand ses nauz par la mer

10

En Sparte fit l’adultere ramer,

Qu’il en eust esté de l’onde furieuse

Lors englouti: las, froide & soucieuse

Ie n’eusse geu dedens mon lit seulette,

Ni trouué lons les iours que te regrette!

15

Dont ie me plains qu’ils vont trop laschement,

Par toy laissee en doute & pensement:

Ni pour les nuits passer plus au leger

Viendroit les mains de moy vefue, charger

Le long trauail sur ma toile tendue.


20

Quel tems fut onc que triste & esperdue,

Ie ne t’ay creint plus grans dangers auoir

Que ceux qu’as peu veritablement voir?

La bonne amour de creinte est tousiours pleine,

Qui en l’esprit donne trauail & peine.

25

Les fiers Troyens ie geingoye, à part moy

Deuoir venir alencontre de toy:

Mesme au seul nom d’Hector tousiour trẽbloye,

Ie palissois, & morte ie sembloye.


Si i’entendois raconter par deça

30

Comment Hector iusques à mort bleça

Antilocus, de dueil i’estoye atteinte,

Antilocus alors causoit ma creinte:

Ou que Patrocle, auec ses feintes armes,

Estoit tué, lors mes yeux iettoient larmes:

Dout [p. 19] Fac-simile de la page A VLYSSES 19 35

Doutant de toy, adonques ie pleurois,

Et de ton dol male fin i’esperois.

Quand Tlepoleme eut en sang obscurcie

La clere lance au Prince de Lycie,

La mort qui lors Tlepoleme surprint

40

Fit que souci renouuelé me print.

A brief parler, quelconque Grec qu’on dist

Que par Troyen la vie au camp perdist,

Incontinent ie trembloye en la place:

Mon cœur qui t’ayme estoit plus froid que glace.


45

Mais Dieu, vray iuste, ha esté bien propice

Au caste amour, car mon espous Vlysse

Demoura sauf, la Troye estant en cendre.

Les princes Grecs on ha ia vù se rendre

En leurs maisons, faire fumer autelz,

50

Et à nos Dieus ofrir de tous cotez

Des bien rauis en la despouille, & proye

De la barbare, & estrangere Troye.

Les dames font, de bon cœur à leur tour,

Presens aus Dieus pour le ioyeux retour

55

De leur maris: leurs maris vont contant

Que le destin des Gregeois valut tant

Contre le sort des Troyens obstinez,

Qu’eus & leur fort ont esté ruinez.

Les bons vieillarts, les creintiues pucelles

60

Merueille en ont, & aus paroles telles

De son mari, la femme en est rauie.


Defia quelcun, qu’au banquet on conuie

b 2 En [p. 20] Fac-simile de la page 24 [sic pour 20] PENELOPE

En deuisant represente sur table

Apres souper meint combat effroyable:

65

Et peint auec peu de vin sur le champ

Toute la Troye, & tout l’ordre du camp.

Par ci (dit il) couroit Simoïs, fleuue:

Le champ Sigee en cet endroit se treuu:

Là de Priam estoit le grand palais:

70

Ci Vlysses, là campoit Achilles:

Ici Hector, trainé par monts & vaus,

Epouuenta d’Achilles les cheuaus.


Ce que ie say, car ton fils reuenu

De s’enquerir vers Nestor le chenu,

75

A fin d’ouir de toy quelque nouuelle,

Ainsi le tout me conte, & me reuelle:

Mesme comment Rhesus & Dolon eurent

Les coups mortelz, & comment surpris furent,

Dolon en dol, & Rhesus en dormant.

80

Tu as osé (ô par trop grandement,

Par trop des tiens oublieus) entreprendre

Le camp de Thrace assaillir, & surprendre

Durant la nuict, & tant de gens en somme

Mettre à la mort, aydé d’un tout seul homme

85

(Mais tu estois, parauant telz efforts,

Fin & subtil, & de moy bien recors.[)]

Mon poure cœur, & ma personne toute

Par ce recit fut en peine, & en doute

Iusques à tant qu’en fin on m’a conté

90

Qu’au cãp des Grecs veinqueur vins bien mõté

Sur [p. 21] Fac-simile de la page A VLYSSES. 21

Sur les cheuaus de Rhesus roy de Thrace[.]


Mais que me vaut, quel bien, ny quelle grace

Que terre soit qui fut le mur Troyen?

Que vous ayez bien trouué le moyen,

95

Par vos forts bras de ruiner la Troye:

Si seule encor, comme fus, faut que soye?

Si ie demeure en un mesme estat ores

Comme i’estois, la Troye estant encores?

De mon mary s’il me faut estre veuue

100

Par tems si long que la fin ie n’en treuue?


La Troye est donq pour toutes autres Dames

Totalement destruite, & mise en flames:

Mais pour moy seule est encore sus.

Là l’estranger, lequel l’a mise ius,

105

Laboure aus beufs par le pillage emblez:

Ou estoit Troye y sont ia grans les blez:

Du sang Troyen les chams engressez sont,

Pleins de blez druz, qui tot fauchez seront.

Les os des morts, à demi enterrez,

110

Par la charrue ores sont rencontrez

En labourant: & là les herbes nees

Coururent desia les maisons ruinees.

Estant vainqueur, tu es absent de moy,

Et si n’ay peu onques sauoir pourquoy

115

Fais tel seiour (quoy que l’on t’ayt cherché)

Ni en quel lieu (cruel) tu es caché.


Quiconque soit qui en cette isle arriue,

Ne s’en va point que ma main ne t’escriue,

b 3 (Si [p. 22] Fac-simile de la page 6 [sic pour 22] PENELOPE

(Si d’auenture en quelque part te voit)

120

Ne que de toy par moy bien enquis soit.


I’ay enuoyé en Pylon (c’est le bien

Du vieil Nestor, par Neleus pere sien)

Et puis en Sparte: & encore ne scet l’on

De toy nouuelle en Sparte, n’en Pylon.

125

En quelle terre habites tu? ou est-ce

Que loing de moy te tiens tardif sans cesse?

Mieus me vaudroit, & seroit plus utile

Qu’encor sus bout fust de Phebus la vile.

(Ie me courrouce à mon vœu & priere,

130

O que ie suis inconstante & legere!)

Au moins saurois en quel lieu combatrois,

Et seulement le combat ie creindrois.

Alors seroit ma pleinte, & ma tristesse

Iointe à mainte autre en ce païs de Grece:

135

Et meintenant ie ne say que ie creins,

Mais ie creins tout (simple) et de tout me plains

Et ay un champ tout rempli de souci.

Tous les dangers de terre, & mer außi,

Me font penser, & douter à toute heure

140

Qu’ils vont causant ta si longue demeure.


Mais, quand ceci ie pense folement,

Parauenture il va bien autrement:

La liberté d’entre vous hommes est

D’aller au change ainsi comme il vous plait.

145

Ainsi tu peus, pour ta resiouissance,

D’une autre femme auoir prins acointance.

Et [p. 23] Fac-simile de la page A VLYSSES. 23

Et poßible est que de moy tu lui dis,

Que ta femme est trop lourde en faits, & dits,

Qui ne scet rien sinon filer la laine.

150

O, que me soit cette pensee vaine!

Et nullement ne t’auienne en effet

D’estre souillé de tel crime, & forfait:

Ains le plustot que pourras retourner

Garde t’en bien de vouloir seiourner.


155

Mon pere Icar (de ce ie t’auerti)

Me vient contraindre à prendre autre parti:

Tousiours me crie, & me vient reprocher

Que i’atten trop: mais me vienne prescher

Et que pour telle on me die, & me tienne:

160

Car d’Vlysses iusqu’au iour que mourray,

Penelopé la femme demourray.

Luy toutefois adouci ha esté

Par mon amour, priere, & chasteté:

Et sa puissance en mon endroit modere

165

En atrempant son ira, & sa colere.


Ceux de Palis, & de la haute Zante,

Et du Samo, (tourbe en exces viuante,)

Me vont pressant les prendre en mariage:

De ton palais ils font leur heritage

170

Sans contredit: & tes biens (noz entrailles)

Sont dißipez parmi ces truandailles.

Qu’est il besoin que Pysandre ie nomme

Auec Polybe, & Medon, cruel homme?

b 4 Puis [p. 24] Fac-simile de la page 24 PENELOPE

Puis Eurymaque, & Antinoz, puissans

175

A te manger, & tes biens rauissans?

Maint autre encor, que toy par grand difame,

Estan absent, nourris auec ta femme

Des biens aquis au danger de ta vie.

Et pour combler ta perte, & infamie,

180

Irus maraut tout rempli de malheur,

Melanthius außi, le conseilleur

De gourmander le tien betail, gourmandent.

Nous sommes trois, tous telz cõme ils demandẽt,

Trop mal puissans, moy ta femme debile,

185

Puis Laërtes le vieillart mal habile:

Le ieune enfant Telemachus außi,

Voire lequel m’a esté ces iours ci

Par vne embuche à bien peu pres surpris,

Quand il auoit, malgré tous, entrepris

190

De voyager en Pylon, vers Nestor.

Si prie aus Dieus qu’ils permettent encor

Son fil des ans durer iusqu’à tel terme

Qu’à toy, & moy, mourans, les yeus nous ferme:

Puis ton bouuier, ta caduque nourrice,

195

Et ton porcher, feal en ton seruice,

Telle priere auec moy font sans cesse.


Or Laërtes, foible de grand vieillesse,

Ne pourroit pas auoir bon ordre mis

Pour dominer entre tant d’ennemis.

200

Telemachus, s’il plait aus Dieus qu’il uiue [sic.],

Viendra en aage & plus forte, & plus viue.

Tu [p. 25] Fac-simile de la page A VLYSSES. 25

Tu deurois bien, comme pere, defendre

Pour le present sa ieunesse encor tendre.

Et quant à moy, ie n’ay paas force assez

205

Que par moy soient tant d’ennemis chaßez.

Vien, le plus brief, toy notre seul support,

Pour estre aux tiens le bon vent, & leur porte.

Tu as un filz (& ie pry que tu l’ayes)

Qui ieune d’ans requiert que tu essayes

210

De sa ieunesse instruire, & bien mener,

Et son esprit à tes arts façonner.

Penser à venir clore à Laërt les yeus,

La mort le tire, il est ia des plus vieus,


A ton depart ie qui fus ieune, & fresche,

215

Ia sembleray toute passee, & seche

A ton retour: encor que tu retournes

Incontinent, sans que tu seiournes.


Fin de l’epitre premier, qui est de
Penelope à Vlysses.

ANNOTACIONS
sur l’Epitre de Penelope
à Vlysses.

O Plust aus Dieus quand ses nauz par la
  mer

En Sparte fit l’adultere ramer.


Sparte, autrement dite Lacedemon, & à
b 5 present [p. 26] Fac-simile de la page 26
present Mizitre, est une vile de Laconie en
Peloponese, à present apellee la Moree, qui
est une partie de Grece.

Ni pour les nuits passer plus au leger

Viendroit les mains de moy vefue, charger,

Le long trauail sur ma toile tendue.


C’est de soymesme que Penelope parle,
qui se dit vesue de son mari Vlysses, non par
mort, mais par longue absence. Et faut en-
tẽdre qu’elle usa d’une bõne ruse pour abu-
ser les ieunes gens qui la pressoient de se re-
marier, disans que son mari Vlysses estoit
mort, atendu le long tems que lon n’auoit
aucunes nouuelles de lui: c’est qu’elle leur
disoit & prometoit que quand elle auroit
acheué de faire sa toile qu’elle auoit com-
mencee, qu’alors elle se remarieroit: or est
il que de nuit elle alloit deffaire tout ce
qu’elle auoit fait & tissu de iour: ainsi sa toile
ne s’auançoit, ni ne se parfaisoit point: & ce
pendant les ieunes Gentilshommes amou-
reus d’elle (car elle estoit belle, sage, & gra-
cieuse) viuoit sous esperance, chacun en-
droit soy, de l’auoir quelque iour en maria-
ge, apres que sa toile seroit acheuee: & fai-
soient grand chere en la maison, aus des-
pens du bon homme Vlysses absent, qui s’en
vengea bien, puis apres, à son retour. Et de
ceus [p. 27] Fac-simile de la page 27
ceus ci elle parle en son espitre, disant:

Ceux de Palis, & de la haute Zante,

Et du Samo, tourbe en exces viuante,

Me vont pressant les prendre en mariage:

De ton palais ils font leur heritage

Sans contredit: & tes biens (noz entrailles)

Sont dißipez parmi ces truandailles.


Si i’entendois raconter par deça

Comment Hector iusques à mort blessa

Antilochus, de dueil i’estoye atteinte,

Antilochus alors causoit ma creinte.


Le commun lit ainsi, Antilochus, mais
toutefois il ne fut pas tué par Hector, ains
par Memnon. or on peut excuser cette con-
fusion & changemẽt de nom pour un autre,
ou sur la personne de Penelope, femme, qui
n’estoit tant curieuse de chercher la verité
de l’histoire, cõme de declarer son afeccion,
peine & passion qu’elle auoit pour la longue
absence de son mari: ou sur la personne du
Poëte mesme, qui se donne cette liberté de
prendre un non pour autre, comme on lit le
sẽblable en la sixieme Eclogue de Vergile:

Quid loquar? aut Scyllam nisi, quam fama se-
cuta est

Candida succinctã latrantibus inguina monstris

Dulichias vexasse rates?



Atend [p. 28] Fac-simile de la page 26 [sic pour 28]
Atendu que Vergile en ce lieu atribue à
Scylla fille de Nisus, ce qu’il deuoit atribuer
à Scylla fille de Phorcus: en ce faisant les
Poëtes suiuent quelquefois le naturel de la
renommee qui est assez mensongere, & qui
prend & confond souuent les noms des uns
pour les autres. Mais, pour retourner à notre
Antilochus, Politian lit, Amphimacus, sui-
uant Homere: Ce nonostant Dares Troyen,
qui fut en celle guerre, ha ecrit que Hector
tua Archilochus, & Eneas Amphimachus.

Ou que Patrocle, ayant ses feintes armes,

Estoit tué: lors mes yeux iettoient larmes


Patroclus fut tué estant vetu & couuert
des armures & harnois d’Achiles son grant
amy: Et pourtant le Poëte les appelle fausses
ou feintes armes, car elles representoient
Achilles sous Patroclus.

Quand Tlepoleme eut en sang obscurcie

La clere lance au Prince de Lycie,


Tlepoleme fils d’Hercules & d’Astioche,
habitant & signeur en partie de Rhodes, vint
contre les Troyens auec neuf galeres, & fut
tué par Sarpedon, Roy de Lycie, venu au se-
cours des Troyens.

Que le destin des Gregeois valut tant

Contre le sort des Troyens obstinez,


Le Poëte veut dire que la destinee ou or-
donn [p. 29] Fac-simile de la page 29
donnance fatale des Grecs veinqueurs, ha sur
monté celle des Troyens veincuz.

Par ci (dit il) couroit Simoïs, fleuue:

Le champ Sigee en cet endroit se treuue.


Simoïs estoit un fleuue ou riuiere au des-
sus de Troye.

Sigee est un mont qui s’estend en la mer,
& là est le port ou se tint l’armee des Grecs
cõtre Troye: là sont les tõbeaus d’Achilles &
Patroclus: à present on l’apelle au païs Ianiz-
zari , & en Latin Castellum sanctæ Mariæ.

Tu as osé &c.

Le camp de Thrace assaillir, & surprendre.


Pylus, ou Pylos, à present Nauarino, &
Abarino, est une vile de Messenie en la Mo-
ree . I’ay usé de l’acusatif au lieu du nomina-
tif, pour ayder à la rencontre & brieueté du
sens en la rime non cõtrainte, cõme s’ensuit,

Et encore ne scet lon

De toy nouuelle en Sparte, n’en Pylon.

Ie me courrouce à mon vœu & priere:

O que ie suis inconstante & legere!


Elle veut dire que son vouloir present est
contraire à son vouloir precedẽt: Car aupar-
auant elle prioit & desiroit que Troye fust
destrui [p. 30] Fac-simile de la page 30
destruite, à fin que son mari fust bien tot
vers elle de retour: & meintenant elle vou-
droit que Troye ne fust pas encore destruite,
& que les Grecs fussent encor campez de-
uant, à fin qu’elle sceust que son mari seroit
là, pour le moins: duquel à present elle n’a
aucunes nouuelles, & ne scet ou il est.

Ceux de Palis, & de la haute Zante,

Et du Samo, &c.


Dulichium, à present Taphus ou Palis, &
en vulgaire, Palichi, est une ville en Chipalo
nie, isle de Grece, pres de laquelle estoit Itha-
que , à present Compare, ou Tiachi, qui est
une autre petite Isle dont estoient Vlisses &
Penelope. Samos, à present Samo, ou Same,
est une autre vile au contraire de Palichi, &
en la mesme isle vis à vis d’Ithaque. Il y ha
une autre isle du nom de Samos qui est au-
pres d’Ionie, à l[']endroit d’Ephese, dediee à
Iuno, par ce qu’en icelle elle ha esté nee, nour
rie, & à Iuppiter mariee: de laq̃lle isle Pytha-
goras estoit natif, & aussi une des Sibylles
qui pour cette raison ha esté apelee en Latin,
Sibylla Samia. Zacynthus est le nom d’une
autre ville & isle peu plus loin d’Ithaque à
presẽt Zãthe ou Iante: & autremẽt, Zachitho.

Et tes biens (noz entrailles)

Sont dißipez parmi ces truandailles:


Pource [p. 31] Fac-simile de la page Pource que lon ayme les biens autant que
son cœur & sa vie, & que le mari & femme,
quand ils sont bons mesnagers, ont grand
douleur de les perdre, Penelope les apelle,
noz entrailles, en parlant à son mari.

Son fil des ans durer iusque à tel terme

Qu’à toy & moy mourans, les yeux nous ferme.


C’estoit une coutume louable en ce tems
là, que les enfans venoient cloree les yeus à
leurs peres & meres quand ils mouroient.

Fin de l’Annotacion.

[Fleuron]
[p. 32] Fac-simile de la page 32

PREFACE SVR
L’EPITRE DE PHYL-
LIS A DEMO-
PHON
*

D  Emophon fils de Theseus & de
  Phedra, retournant de la guer-
 re de Troye en son païs, fut par
  tempeste de mer getté au païs de
Thrace, à present Romanie. Or Phyllis fille
de Lycurgus, & de Crustumene, laquelle
Phyllis pour lors regnoit en Thrace, le re-
çut gracieusement en son palais, & en son
lict. Mais apres qu’il eut esté quelque espace
de tems auec elle, eut nouuelles que Mne-
steus estoit mort, lequel auoit chassé The-
seus pere dudit Demophon hors de la vile
d’Athenes, à present Cethine, ou Satines: &
puis y auoit regné. Lors estant Demophon
esprit d’un desir d’estre Roy d’Athenes (puis
que l’ennemi qui auoit chassé, & empesché
son pere de regner, estoit mort) s’en depar-
tit, apres que ses nauires furent refaites:
promettant à Phyllis qu’il retourneroit de-
dens un mois, & feingnant qui s’en alloit
seulement donner ordre en Athenes, ne se soucia de
retour [p. 33] Fac-simile de la page 33
retourner vers Phyllis. Il fut le douzieme
Roy des Atheniens: & regna trentetrois ans,
commençans en l’an du monde 2784. auant
la natiuité de Iesuchrist 1178 ans. Ainsi qua-
tre mois ia passez, Phyllis lui escriuit cette
epistre: par laquelle elle l’ammonneste que,
ayant memoire des biens, graces, & honne-
stetez qu’elle lui ha faites, il lui tienne sa
foy, & promesse: autrement elle declare
qu’elle est deliberee de recompenser son
honneur, & sa chasteté perdue, par cruelle
mort. La fin fut telle, que Phyllis se pendit
de sa ceinture à un arbre dedens une forest
procheine du riuage de la mer, apres qu’elle
eut esté par neuf fois vers la mer, pour voir
si Demophon retournoit point: comme
Ouide mesme le descrit bien au milieu du
second liure du remede d’amour. Et pour-
tant toute femme doit bien ici prendre un
bel exemple de ne mettre son amour trop
ardemment & folement en un homme,
quel qu’il soit: car la fin de folle amour ia-
mais n’en fut bonne. Au reste combien que
ce nõ Demophoon, soit de quatre syllabes,
toutefois ie n’en use que pour trois, en fai-
sant une contraccion des deus dernieres, tant
pour la douceur requise en la prononciacion
Françoise, comme pour mieux & plus faci-
c lement [p. 34] Fac-simile de la page 34
lement seruit aus vers François. Pour sem-
blable raison trouuerez en la premiere epi-
tre, Laërt, pour Laërtes. Iason, aussi pareille-
ment est de trois syllabes en Latin, en diui-
sant ses deus premieres voyelles, ce nonob-
stant l’usage du langage François ha ia ob-
tenu que lon n’en fait que deus syllabes, en
faisant I, consonante, pour cause de brieueté
& facilité. en pareil cas aussi ie n’ay fait que
quatre syllabes de, Deianire, en la neuuieme
Epitre, & pour mesme cause, combien que
les Latins en font cinq, aussi en la sixieme
vous trouuerez Aeta, pour æeta, le pe-
re de Medee. Ce qui est, & doit
estre facilement permis en
Poësis pour la con-
treinte des
vers.

Fin de la Preface.

[p. 35] Fac-simile de la page 35 [Bandeau]

TRADVCCION
DE LA II. EPITRE
D’OVIDE.

Phyllis écrit à Demophon.

[Figure]

De toy me plains ie Phyllis ton hotesse,

O Demophon, qui ne me tiens promesse,

Ayant laißé passer le tems ainsi,

Que tu deuois de retourestre ici.

5

Tu m’as promis tes nauz venir ancrer

A notre port, alors que rencontrer

S’entreuiendroient les cornes de la Lune

En leur plein rond, des fois seulement une.

Par quatre fois la fin de Lune ay vuë:

10

Par quatre fois en sa rondeur est creuë:

c 2 Et [p. 36] Fac-simile de la page 36 PHYLLIS

Et nonobstant tes nauz sur notre mer

Lon ne voit point au retour escumer.

Certeinement si tu contes les iours,

Que nous amans contons tresbien tousiours,

15

Tu connoitras, comme bien tu l’entens,

Que ie ne fay ma plainte auant le tems:

Mesme l’espoir que i’ay eu en ta foy

N’a point esté que bien tardif en moy,

Ie croy trop tard, ce qui en croyant nuit:

20

Et meintenant est bien grief iour & nuit,

A moy qui suis & contreinte, & amante:

Qui souz espoir de ton retour viuante,

O Demophon, sois seur & auerti,

Ay bien souuent pour toy à moy menti:

25

Qui ay pensé tes blancs voiles souuent

Estre deça ramenez par le vent:

Qui ay maudit Theseus, qui t’arrestoit:

Mais poßible est que pas ainsi n’estoit.


Par fois i’ay creint que fust pres Marissa

30

Ta nef en fons, en vogant deuers ça,

I’ay plusieurs fois, comme font les amans,

Prié les Dieus aus beaus autelz fumans,

Pour la santé de toy mechant, & lache.

Souuent, voyant comment le vent ne fasche

35

L’air, ni la mer, ha, i’ay dit en moymesme,

Ha, il reuient s’il est sain, & s’il mayme.

Brief, ce qui peut les nauigans contreindre

A seiourner, l’amour l’a voulu feindre:

Et [p. 37] Fac-simile de la page A DEMOPHON. 37

Et ay tresbien pourpensé les raisons

40

Qui te pouuoient tenir longues saisons.

Mais toy tarfif ne font estre au retour.

Les Dieus iurez, ni außi notre amour.

Toy, Demophon, plus leger que tes toiles,

As mis au vent tes propos, & tes voiles:

45

I’acuse à droit tes voiles qui ne viennent,

Et tes propos, qui point de foy ne tiennent.


Qu’áy ie meffait, di le moy hardiment,

Sinon que i’ay aymé non sagement?

Si i’ay mespris, ie di, pour ma defense,

50

Que ie t’ay deu gaigner par mon ofense.

En moy y ha tant seulement un mal,

Que t’ay logé, meschant, & desloyal:

Mais ce mal là emporte un eficace

Auecques soy, de meirte, & de grace.

55

Ou est le droit, & la foy meintenant?

Ou est la main à l’autre main tenant?

Ou sont les dieus, qui ont part à l’iniure,

Quand les auois en ta bouche pariure?

Ou est Hymen mon pleige, & mon otage,

60

Qui m’assuroit de notre mariage?

Et que viurions, ainsi qu’auions promis,

Tousiours ensemble, espous, & bon amis?

Tu m’as iuré par la mer incerteine

Qui toute estoit d’ondes & de vens pleine,

65

Sur qui souuent nauigué tu auois,

Sur qui encore nauiguer tu deuois,

c 3 Par [p. 38] Fac-simile de la page 38 PHYLLIS Neptune.

Par ton ayeul (s’il n’est feint comme toy)

Pacifiant la mer pleine d’esmoy:

Et par Venus & ses puissantes armes,

70

Traits, & flãbeaus, me liurans tant d’alarmes,

Et par Iuno, des noces la deesse

Autorizant mariages qu’on dresse:

Et par Ceres des torches honoree,

Par sacres liens tu m’as ta foy iuree.

75

Si un chacun de ces Dieus ofensez

Te vient punir, toy seul n’est pas assez

Pour supporter la peine, & la vengence.


Mais, malheureuse & folle (quand i’y pense)

Encor ses nauz rompues i’ay refaites,

80

Pour mieus s’enfuir de moy par longues traites.

Ie t’ay donné & rames, & forceres,

Pour mieus me fuir dans tes nauz & galeres.

Ie souffre, helas, les playes de mes traits.


En tes propos abondans, pleins d’attraits

85

Me suis fiee, en ta race, en tes Dieus,

Pareillement aus larmes de tes yeus:

Mais peut on bien les feindre? lon en use

Comme lon veut: en pleurs mesme y ha ruse.

I’ay creu außi à tous les Dieus celestes,

90

Que tu iurois par sermens manifestes.

Mais que me sert tant de choses conioindre,

Quand tu pouuois me gaigner par la moindre?


Ce que me deult que t’ay donné support,

Et recueilli en mon Palais, & port,

Cela [p. 39] Fac-simile de la page A DEMOPHON. 39 95

Cela ie dusse auoir fait seulement:

Mais i’ay regret d’auoir vileinement

Donné les deus, mon logis, & mon lict,

Et de t’auoir embraßé par delict.

I’aymase mieux que la nuit deuant celle

100

Eust esté nuit derniere à moy pucelle:

Lors que pouuoient à moy, folle Phyllis,

Honnestement mes iours estre failliz.

I’esperois mieus, car ie pourpensois bien

Que tu valois tant d’honneur, & de bien.

105

Rien esperer doit cil qui bien merite.

C’est bien louenge à vous hommes petite

Par vos propos une fille abuser:

Lon dust plus tost ma simplesse excuser.

Par tes propos, à heure malheureuse,

110

Ie fus deçue, & fille, & amoureuse.

O Demophon, facent les Dieus parfaits,

Que ce soit là le chef de tes beaus faits.


Athenes.

Sois ta statue au milieu de la vile

Entre les tiens: là ton pere auec mile

115

Tiltres d’honneur escrits à l’enuiron

Soit deuant toy: comme il deffit Scyrron,

Auec Scinis, & Procustes terrible,

Puis l’homme & beuf, Minotaure l[’]horrible,

Thebes veincue en guerre, & les Centaures,

120

Les noirs enfers qu’il print d’assaut encores:

Apres ces faits, & tiltres de bon heur,

Ton image ayt ce beau tilte d’honneur:

c 4 Voici [p. 40] Fac-simile de la page 40 PHYLLIS

Voici celui qui par dol, & finesse

Deçut iadis son amie, & hotesse.

125

De tant de faits dont ton pere est orné,

As retenu qu’il print Ariadné,

Puis la laissa. Ce seul fait qu’il excuse

As ensuiui: de ce dol ie t’acuse

Estre heritier, Demophon desloyal.

Voyez la
preface de
la dixieme
epistre.
130

Ce nonobstant d’un mari plus loyal,

Ariadné en ha la iouissance.

Mais toutefois d’enuie, ou malueillance

Ie ne lui porte. Or est elle montee

Trionfamment, par Tygres serfs portee:

Les Ty-
gres estoi
ent attri
buez à bac
chus qui print à fẽ-
me Ariad
né.
135

Mais, quant à moy, me vont fuyant les Thraces,

Trop ofensez: disans en toutes places

Qu’ils ne voudroient auec moy se loger,

Car i’ay laißé les miens pour l’estranger.

Ia dit de moy quelcun qui ne me vante,

140

Qu’elle i’en aille en Cethine sauante,

Autre personne y aura plus eureuse

Cethine
ou Satines
iadis, A-
thenes .

Qui regira Thrace la belliqueuse.


On dit bien vray, la fin approuue l’euure:

Außi ie pry que celui ne recœuure

145

Issue à gré, qui meintient en effet

Que par un cas il faut iuger du fait.

Mais en grans loz seront tournez mes blames,

Si notre mer escume par tes rames:

Lors i’auray bruit, qui t’ay fait tant de biens,

150

D’auoir bien fait pour moy & pour les miens:

Mais [p. 41] Fac-simile de la page A DEMOPHON. 41

Mais n’ay bien fait pour les miens, ni pour moy:

Tu n’as souci de nous, comme ie voy.

En mon palais ne viendras t’eberger,

Ni ton corps las en mon lac soulager.


155

Deuant mes yeus ores se represente

Ton meintien triste, & ta face dolente

Quand ta nef preste en mon port t’atendoit:

Lors tout ton corps dessus mon col pendoit:

Lors tu osa bien serré me baiser

160

De longs baisers, & de pleurs m’arroser,

Entremeslant avec mes pleurs tes pleurs,

En me tenant ces termes de douleurs,

Que tu estois faché bien grandement

D’auoir le vent propice au partement.

165

En fin me dis (meslant tes pleurs parmi)

Phyllis, attend Demophon ton ami.

Ie t’attendray, qui partis sans auoir

Aucun desir de iamais me reuoir?

Sur le mien port i’attendray de tout point

170

Tes voiles voir, qui ne reuiendront point?

Or fus i’atten: au moins vien sur le tard:

Et que la foy qui de ta bouche part,

N’ait defailli que du tems seulement.


Que pry ie folle? il va bien autrement:

175

Desia, peut estre, autre espouse t’a prise,

L’amour te tient, qui ne me fauorise:

Et meintenant, qu’autre partie eslis,

Plus ne connois (comme ie croy) Phyllis.

c 5 Helas [p. 42] Fac-simile de la page 42 PHYLLIS

Helas, helas, tu ne connois plus celle

180

Tienne Phyllis, & ne t’enquiers plus d’elle:

Qui ay à toy, O Demophon, donné

Logis & port, quand tu fus malmené

De longs trauaus: & accru tes richesses,

Et t’esperois faire plus de largesses

185

Que ne t’ay fait, soit en dons, or, argent,

Moy estant riche, & toy lors indigent:

Qui t’ay donné la iouissance pleine,

Et ay souzmis à toy le grand domaine,

De Lycurgus, pour femme bien grand charge,

190

Lequel contient beaucoup de long, & large:

Des Rhodopé, le mont plein de froidure

Iusqu’à Æmus, plein d’ombre & de verdure:

Et iusqu’au lieu ou Heber, sacré fleuue,

Dedens la mer getter les eaus se treuuve:

195

Qui as, sur tout à la male heure, esté

Seul iouissant de ma virginité:

Et ta main faulse osa faire rompure

Trop hradiment, de ma chaste ceinture.

Tisiphoné en fut la courratiere,

200

Et y urla d’une horrible maniere:

Puis y chanta l’oiseau faus & meschant,

Vn trespiteus, & tresmalheureux chant.

Mesme Alecto, laidement atournee,

De serpens courts y vint toute encheinee:

205

Et allumez y furent luminaires

De torches ardente & tristes mortuaires.


Ce [p. 43] Fac-simile de la page A DEMOPHON. 43

Ce nonobstant ie, pleine de tristesse,

Par les rochers m’en vais courant sans cesse,

Et par buissons, dont la riue est pouruue:

210

Tant que ie puis ie gette en mer ma vuë.

Soit que de iour se relache la terre,

Soit que la nuit par froideur la reserre,

Ie vois visant quel vent tire, qui vient

Batre la Mer: & alors s’il m’auient

215

Des voiles voir en quelques lointeins lieus,

Incontinent ie dy que sont mes lieus.

Ie cours en mer, l’onde à peine me garde

Que ie m’y gette, & ma vie y hazarde,

En celle part ou la Mer va batant,

220

Et le sien flot, & premiere eau gettant.

Plus l’onde aproche, & se vient presenter,

Lors plus suis foible, & moins puis resister,

Ie tombe adonq es mains de mes seruantes.

Vn goulfe y ha plein d’ondes escumantes,

225

En façon d’arc tout courbe & opreßé,

Ayant un roc en ses cornes dreßé:

De ce lieu là i’ay eu en pensement

De me getter en Mer parfondement:

Et le feray, sans delais, ni excuses,

230

Puis que desia si long tems tu m’abuses.

Ie pri aus Dieus qu’incontinent me porte

Le flot de mer à ton riuage morte,

Et sans tombeau deuant tes yeux ie sois.

Lors me diras (quand plus dur tu ferois

Que [p. 44] Fac-simile de la page 44 PHYLLIS A DEMOPHON. 235

Que fer, qu’aymant, & que toymesme außi)

Tu ne deuois, Phyllis, me suiure ainsi.


Souuent desir de poison m’est venu,

Ou trauerser mon corps d’un glaive nu:

Ou mesmement d’un trescruel licol

240

Mortellement entrelasser mon col,

Qui ha soufert par amoureus esbas

Estre embracé de tes malheureus bras.


I’ay tout conclu mon honneur compenser

Par dure mort que ie vueil m’auancer:

245

La qualité de la mort ou ie pense,

Me retiendra bien peu de tems suspense:

En mon tombeau seras noté coulpable,

Souz un tel vers, ou souz autre semblable:


Phyllis amante ici git morte à tort,

250

Que Demophon, son hoste, ha mise à mort:

Lui desloyal, & de cœur inhumain

Y mit la cause, elle y ha mis la main.


Fin de l’Epitre de Phyllis à Demophon,
qui est la seconde.

ANNOTACIONS SVR
L’EPITRE DE PHYLLIS
à Demophon.
*

Mesme l’espoir que i’ay eu en ta foy

N’a point esté que bien tardif en moy.


Le [p. 45] Fac-simile de la page 45
Le vers Latin porte.

Spes quoque lenta fuit:

C’estadire l’esperance ha esté tardiue: en
quel lieu, spes, se prent pro timore, par la
commune opinion, comme en Virgile,

Ast ego si potui tantum sperare dolorem,

id est, timere. Et encor en autre lieu,

Si mortalia temnitis arma,

At sperate deos memores fandi, atque nefandi.


Ainsi esperance, ou espoir, se prent en ce
lieu pour creinte & doute, selon aucuns:
mais ie le pren plus simplement, & à la let-
re, c’est q̃ l’espoir ha esté tardif en elle qui
n’a pas eu trop grãde fiance en son retour.

Qui ay maudit Theseus, qui t’arrestoit:

Mais poßible est que pas ainsi n’estoit.


Combien qu’il semble auoir quelque con-
tradiccion en ces deus vers françois, si est ce
que les deus Latins les portent ainsi:

Thesea deuoui, quia te dimittere nollet:

Nec tenuit cursus forsitan ille tuos.


Par fois i’ay creint que fust dens Marissa

Ta nef en fonds, en vogant deuers ça.


Marissa est un fleuue impetueus que lon
apeloit anciennement Heber, ou Hebrus: en
la contree de Thrace, que lon apelle à pre-
sent Romanie.

Par [p. 46] Fac-simile de la page 46

Par ton ayeul (s’il n’est feint comme toy)

Pacifiant la mer pleine d’esmoy.


La poëte entend Neptune, grand ayeul de
Demophon, lequel Neptune fut pere d’ E-
geus , & Egeus pere de Theseus, & Theseus
pere de Demophon. Ou bien il entẽd Egeus
mesme, qui voyant de loin retourner auec
voiles noires la nef de son fils Theseus, qui
estoit allé contre le Minotaure, se getta en
mer, & fut mué en Dieu marin.

Et par Ceres de torches honoree:

Le Poëte dit cela par ce que Ceres alluma
de grans arbres de Pin au mont Ethna que
lon appelle à present le mont Gibel, pour
chercher sa fille Proserpine q Pluton auoit
rauie: & pourtant en ces sacrifices ou usoit
de torches.

Mais malheureuse & fole quand i’y pense,

Encor tes nauz rompues i’ay refaites:


Lon peut lire, Ha malheureuse: car aus-
si d’aucuns liures Latins ont diuersement.

Les uns,

At laceras puppes etiam furiosa refeci:

Et les autres,
Ah laceras, &c.

I’esperois mieus, car ie pourpensois bien

Que tu valois tant d’honneur & de bien:


Cõme ie t’en ay fait: mais on peut lire aussi,

Que ie valois tant d’honneur & de bien:

Que [p. 47] Fac-simile de la page 47
Que tu dusses retourner vers moy: Car
aussi les liures Latins ont diuersemẽt, les uns,

Speraui melius, quia te meruisse putaui:

Et les autres,

quia me meruisse putaui:

Là ton pere auec mile

Titres d’honneur escrit à l’enuiron

Soit deuant toy: comme il deffit Scyron

Auec Scinis, & Procustes terrible, &c.


Theseus pere de Demophon tua ces trois
larrons & meurdriers: Aussi le monstre Mi-
notaure, qui estoit demi homme & demi
beuf: & vainquit la vile de Thebes, à present
Thiua: chassa les centaures, monstres demi
hommes & demi cheuaus qui vouloient for
cer Hippodamie espouse de Pirithoüs: en-
tra par force aus enfers à la priere de son
ami Pirithoüs, qui vouloit auoir Proserpine
la Royne d’enfer, femme de Pluton.

Ce nonobstant d’un mari plus loyal

Ariadné en ha la iouissance,


Voyez [p. 48] Fac-simile de la page 48
Voyez la preface de la dixieme epitre d’ A-
riadné à Theseus.

Or est elle montee

Trionfamment par Tygres sers portee.


Les Tygres esoient anciennemẽt attribuez
à Bacchus, qui print Ariadné pour femme.

Ia dit de moy quelcun qui ne me vante

Qu’elle s’en aille en Cethine sauante.


Phyllis veut dire qu’il y en peut auoir ia
quelcun qui se moque d’elle en la raillant &
disant, qu’elle s’en aille en Athenes qui est
vile de renom en science, en laquelle est son
ami Demophon qui ne veut pas retourner,
auquel elle ha promis mariage: & quant au
païs de Thrace belliqueuse, il s’en trouuera
d’autres que Phillis, qui le gouuernera mieus.

Certeinement la fin aprouue l’euure.

Si pry bien fort que celui ne receuure

Issue à gré qui meintient en effet,

Que par un cas il faut iuger du fait.


Elle respond meintenant au propos prece-
dent, comme disant & confessant qu’il est
bien vray que lon iuge des faits par la fin &
issue: mais toutefois elle neveut cõfesser q la
fin & issue de son fait soit mauuaise, & qu’el-
le soit ia auenue, à sauoir que Demophon
l’ait du tout delaissee, & qu’il ne vueille
plus retourner vers elle: ains au contraire
elle [p. 49] Fac-simile de la page 49
elle presuppose que quelque cas, empesche-
ment ou infortune lui est auenue qui le re-
tient & retarde de venir.

Mais n’ay bien fait pour les miens, ni pour moy:

Tu n’as souci de nous comme ie voy:


Voyez l’inconstance des propos d’une
femme amoureuse.

En mon palais ne viendras t’éberger

Ni ton corps las en mon lac soulager.


Bistonis estoit vn lac en Romanie, duquel
Phyllis parle, disant que Demophon ne se
viendra point allaigrir & delasser à nager
en son lac.

Et ta main fausse osa faire rompure

Trop hardiment, de ma chaste ceinture.


Les pucelles en ce tems là estoient ceintes
d’une ceinture de chasteté, que le seul mari
la premiere nuit desnouoit.

d PREF [Fleuron]
[p. 50] Fac-simile de la page 50

PREFACE SVR
L’EPITRE DE
BRISEIS A
ACHILLES.
*

QVAND l’armee des Grecs alloit con-
tre la Troye, elle print, & pilla les vi-
les, vilages & bourgs procheins de Troye,
& le païs d’alenuiron, principalement les
Isles qui estoient de l’autre coté de Lesbos, à
present Methelin. Entre lesquelles Achilles
fils de Peleus, & de Tethis, print d’assaut les
deus Cilices, la Thebaïque & Lyernese,
lesquelles il saccagea: & de Thebes emmena
Astimone captiue fille de Chryses, & de Lyr-
nese, Hippodamie, fille de Brises: lesquelles
depuis furent nommees du nom de leur pe-
re, la premiere, Chryseïs, & l’autre, Briseïs.
Or Agamẽnon chef de l’armee eslut la bel-
le Astimone pour sa part de tout le butin &
pillage: Puis à Achilles pour sa part, & par
eleccion de gens ordonnez à ce fait, fut li-
uree Hipodamie, depuis dite Briseïs. Les cho
ses estãt ainsi, Chryses prestre d’Apollo Smyn
teen, vint auec presens vers Agamemnon
pour r’auoir sa fille Astimone, depuis dite
Chryseïs, lequel le dechassa en le menaçant
fort. [p. 51] Fac-simile de la page 51
fort. Parquoy Apollo estant courroucé du
mespris & iniure q lon faison à son prestre,
tira de son arc & persecuta de ses flesches,
tant les hommes que les bestes du camp des
Grecs par l’espace de neuf iours: cõme Ho-
mere ecrit en son Iliade. Ainsi un grãd nom-
bre de gens, & de bestes par ces flesches
etoient occis tous les iours miserablement.
Or par l’auertissement de Minerue, les
Grecs s’assemblerent en conseil. Achilles se
delibera d’apaiser l’ire des Dieus. Calchas fils
de Thestor, & deuin, qui auec Mopsus vou-
lut contendre, vint dire tout haut qu’Apollo
ne se seroit point apaisé si lon ne rendoit
Astimone à son pere. A ce propos tous y cõ-
sentans & crians pour aprobacion de cette
voix, Agamemnon r’enuoya par Vlysses la
fille Astimone vers son pere: mais puis apres
enuoya Taltybius & Eurybates pour rauir
& oster Hippodamie (autrement dite Bri-
seïs) d’entre les mains & iouïssance d’Achil-
les, qu’il pensoit estre cause qu’Astimone
auoit esté rendue. Lors Achille desista de
batailler. Puis apres de iour en iour les
Grecs estoient surmontez par les Troyens.
Iupiter auoit fait cela en faueur de Thetis
mere d’Achilles, àfin que la vaillance &
prouesse d’Achilles fut cõnue. Agamemnon
d 2 voyant [p. 52] Fac-simile de la page 52
voyant le camp des Grecs foible pour cause
q Achilles ne batailloit point, & les Troyens
de cela fiers & encouragez, enuoya vers
Achilles Phœnix, Aiax, & Vlysses pour le r’a-
paiser, le priant receuoir Briseïs, auec grans
dons. toutefois pour cela onq ne voulut la
receuoir, ni r’apaiser son cœur & retourner
en bataille, iusques à ce que Hector eut tué
Patroclus, grand ami dudit Achilles. Ainsi
dõq Briseïs escrit cette Epitre audit Achilles
se compleignãt qu’il ne l’a voulu receuoir,
mesme auec telle condicion de grans dons,
& presens à lui offerts, & presentez de la
part du Roy Agamemnon, souz cette inten-
cion, que la reprenant auec lui, puis apres
se mettroit en armes, & en bataille. les
complaintes ne sont point trop ve-
hementes, mais moderees, en
la sorte qu’il apartient
à vne femme
captiue.
*

TRA
[p. 53] Fac-simile de la page
53 [Bandeau]

TRADVCCION
DE LA III. EPITRE
D’OVIDE.
*
Briseis écrit à Achilles.

[Figure]

Ce que tu lis, la presente mißive,

Vient de la main de Briseis captiue,

Mißive à peine escrite en Grec langage,

Par moy qui suis estrangere en seruage:

5

Mes pleurs ont fait toutes les effassures

Que tu verras entre mes escritures:

Mais nonostant ces pleurs valent bien voix.

S’il m’est permis, quelque peu toutefois,

De toy signeur, & mari faire pleints,

d 3 De [p. 54] Fac-simile de la page 54 BRISEIS 10

De mon signeur & mari ie me pleints.


Ce que ie fus au roy Agamemnon

Liuree tot, ce n’est ta faute, non:

Combien pourtant que c’est ta faute außi:

Car außi tot comme ie fus ainsi

15

Par Eurybate & par Taltybe quise,

Tot Eurybate & Taltybe m’ont prise,

Toy me liurant: qui demandoient entre eus

Ou c’est qu’estoit l’amour d’entre nous deus.

A tout le monde tu pouuois delayer

20

Vn peu de tems, auant que m’enuoyer:

I’usse eu à gré le delay de ma peine.

La departie, helas, fut tant soudeine

Que ie ne t’ay baisé aucunement:

Mais i’ay getté des pleurs abondamment,

25

Et les cheueus de ma teste arraché.

Las, tant estoit mon poure cœur fasché!

Que, malheureuse adonques ie pensois,

Qu’on m’emmenoit captiue une autrefois.


I’ay bien souuent en vouloir & desir,

30

De retourner vers toy, mon seul plaisir,

Et deceuoir les gens qui m’ont en garde:

Mais l’ennemi que ie crein trop m’engarde.

Si ie me fusse à la fuite ainsi mise

I’eusse trop creint de nuit estre surprise

35

Facilement par l’ennemi Troyen,

Qui m’eut donnee à la bru de Priam.


Obiecciõ.

Mais, i’ay esté par toy liuree au Roy,

A qui [p. 55] Fac-simile de la page A ACHILLES. 55

A qui est dù obeïssance, & foy.

Response.

Ha, il y ha tant de nuits & de iours

40

Qui sont passez, que me laisses tousiours:

Et ne me viens recuurer nullement:

Toy tardif tiens ton cœur trop longuement:

Quand fus liuree ainsi sans contredit,

Lors Patroclus en l’oreille me dit,

45

Que pleures tu? tu ne le seras long.

Sois petit cas de ne me querir donq:

Mais on te vois un si gros cœur auoir

Qu’il se tient fort pour ne me receuoir.

Ironie.

Or fus va donq, & tu sois ce pendant

50

Nommé l’ami conuoiteus & ardant.


Aiax, Phœnix vers toy ia sont venus,

L’un ton parent, l’autre des cher-tenus,

Et Vlysses, tous à fin de te rendre,

D’apointement à me vouloir reprendre.

55

Maints riches dons par grand priere offrans:

De rouge erin vint vaisseaus, d’art bien grans:

Et sept treteaus de pois, & d’art encor

Egaus tous sept: & plus, dix talens d’or.

Douze cheuaus bien duits à la victoire.

60

Et (ce qui est superflu, & notoire)

Maint corps de fille en grand beauté exquise,

Iadis Les-
bos .

Prinse à l’assaut de Metelin conquise

Lon t’a offert. pour plus grand auantage

Lon t’a promis donner en mariage

65

L’une des trois filles d’Agamemnon,

d 4 Le [p. 56] Fac-simile de la page 56 BRISEIS

Le Roy des Grecs, qui sur tous ha renom.

Mais ne te faut, si vray dire ie doy,

O mon espous, autre espouse que moy.


Si tu deuois par dons me racheter,

70

Des mains du Roy, les dons que presenter

Pour moy deurois-tu ne prens, ains mesprises?

Qu’ay’ie me meffait, dond tant peu tu me prises?

Ou ha si tot notre amour pris volee?

Helas, helas, fortune desolee,

75

Pleine de maus tristes, & lamentables.

Court elle fus tousiours aus miserables?

Et ne vient point à la nef agitee

Vn vent plus dous que cil qui l’a gettee?


Par ton assaut i’ay vù rendre seruile

80

Premierement Lyrnesus notre vile.

(De mon païs une grande part i’estois)

Et de mes yeus i’ay encor vù les trois,

De parentage, & de la mort conforts,

Tous trois naturez, tous trois ensemble morts:

85

Celle qui mit au monde & en lumiere

Tous ces trois là, comme à eus me fut mere.


I’ay vù mon mari tout seignant

Batre la terre, en son sang se baignant,

Tout estendu son grand corps ça & là:

90

Mais toutefois vesue de tous ceus là,

A toy tout seul i’ay bien consenti estre:

Toy seul m’estois frere, mari, & maitre.


Tu me iurois, & faisois grand promesse

Par [p. 57] Fac-simile de la page A ACHILLES. 57

Par le pouuoir de ta mere, deesse

95

De la grand’ mer, que me seroit un bien

D’estre captiue, & mise en ton lien.

Voila le bien, qu’ores suis regetee,

Quand auec dons ie te suis presentee:

Et que tu sois me fuyant à present

100

Auec meint riche & precieus present.


Mesme on fait bruit qu’außi tot qu’Aurora

Demain matin en Orient luira,

Tout außi tot viendras tes voiles tendre.

Quand ma tremblante oreille vint entendre

105

Ces propos là de telle lacheté,

Helas que i’ay bien miserable esté:

Lors mon cœur fut sans sang & sens außi.

T’en iras tu en me laissant ici?

O cœur felon, de crueauté vetu,

110

Moy malheureuse à qui me lairras tu?

Qui donnera aucun apui & port

A moy ainsi laissee sans suport?

Plus tot ie soye ore abimee en terre

Ou foudroyee à un coup de tonnerre,

115

Que la mer soit de ta rame escumee,

Et que de loin ta nef ie voye armee

S’en retourner en ton païs sans moy.


Si ia te plait t’en retourner chez toy,

Ta nef n’aura de moy charge exceßiue:

120

Ie te suiuray encor comme captiue,

Non cõme espouse: & i’ay main propre & saine

d 5 Soit [p. 58] Fac-simile de la page 58 BRISEIS

Soit pour pigner, ou pour filer la laine.

Ta femme belle, & sur toute honoree,

Ira, (& aille) en ta chambre paree:

125

Dine d’auoir de son beau pere aueu,

De Iuppiter, & d’Egina neueu

De qui Nereus, l’ancien maieur tien,

Estre allié de par toy veuille bien:

Et ce pendant moy ton humble seruante,

130

A te seruir, & file ie me vante.

Ie fileray, & pleines fusees

Deschargeront mes quenoilles chargees.

Tant seulement (Achilles) ie te prie

Ta femme alors ne me trouble, & me crie,

135

Qui me fera, ie ne say pas comment,

Contre mon cœur, & à mon troublement.

Ne lui permets me tirer aus cheueus

En ta presence, ains en un mot ou deus

Que ie fus tienne außi, lui viendras dire:

140

Ou lui permets qu’elle aus cheueus me tire,

Mais que sans moy tu ne t’en ailles point

Me desprisant, & laissant de tout point.

Ha malheureuse, helas voila le doute

Qui iusqu’aus os me fait trop trembler toute.

Agame- 145

Mais qu’atens tu? Le Roy son cœur abaisse,

mnon.

Et à tes piez la Grece humble se baisse:

Or vainqs tõ cœur, toy qui vainqs les plus forts.

Hector le preus auec ses grans efforts

Pourquoy vient il ruïner la richesse

L’hon [p. 59] Fac-simile de la page A ACHILLES. 59 150

L’honneur, le bruit, & puissance de Grece?

O Achilles, va lui donq au deuant:

Pren tes harnois, mais pren moy parauant:

Et fay trembler par ta force, & fureur

Tous les Troyens, Mars te donnant faueur.

155

Pour moy te vient ce courrous, & tristesse:

Pour moy außi fay qu’ores elle cesse

En apaisant ce tien courrous, à fin

Que i’en sois seule & la cause & la fin.


Ne pense point que soit laide maniere

160

Quand quelque cas feras pour ma priere:

Meleager print les harnois & armes,

Estant prié de sa femme auec larmes:

Le bruit du fait est seulement venu

A mon oreille, & toi tu l’as connu.

165

La mere estant vesue de ses deus freres

Maudit son fils de paroles ameres,

Donnant au diable & ses faits & sa vie:

Lui belliqueus auoit guerre suiuie,

Qui par despit de combatre cessa,

170

Et en danger son païs delaissa,

Auec refus qu’il fit obstinément

De lui donner secours aucunement.

Sa femme seule, en le supliant, vint

A le flechir, & sa requeste obtint:

175

Elle beaucoup plus eureuse que moy,

Car mes propos n’ont puissance enuers toy.

Ce nonostant n’en ay dueil en mon ame,

Et [p. 60] Fac-simile de la page 60 BRISEIS

Et ne me suis vantee estre ta femme:

Ains bien souuent captiue on me disoit:

180

En me mandant ou Achilles gisoit.

Vne captiue außi ces iours passez

Me nommoit dame (il m’en souuient assez)

Et ie lui di, par ce nom, d’auantage

Me vas chargeant, qui suis femme en seruage.


185

Mais, Achiles, par les os ie te iure

De mon mari, mal pris en sepulture,

Et trop soudein, os qu’à iamais i’honore:

Et par les trois que comme Dieus i’adore,

Les esperitz de mes trois freres forts,

190

Tresbien auec, & pour le païs morts:

Et par ton chef conioint auec le mien,

Pareillement par ce dur glaiue tien,

Connu des miens, qui leur coute la vie,

D’Agamemnon ie n’euz onq compagnie:

195

Si ie te ments, vueilles moy delaisser.


Or meintenant si ie te vien presser

De dire au vray: & de grand serment faire

Si tu n’as eu à autre femme affaire:

Certeine suis que iurer tu n’en vueilles.

200

Mais les grecs vont pensant que tu te dueilles,

Et ce pendant le lutz à gré te vient,

Et ton amie en son giron te tient.

Si quelcun quiert pourquoy tu ne combats,

Trop sont nuisans de guerre les combats:

205

Le lutz, la harpe, & l’amie, & la nuit,

Tout [p. 61] Fac-simile de la page A ACHILLES. 61

Tout cela est plus plaisant, & moins nuit

Que batailler: c’est trop plus grand seurté

Tenir sa dame en liesse, & gayté,

Sonner le lutz, que tenir toute preste

210

La lance au poing, & l’armet en la teste.

Mais autrefois pour les faits de repos,

Les faitz d’honneur t’estoient mieus à propos.

Ce ne t’estoit que tout plaisir & gloire

D’auoir aquis par guerre une victoire.

215

N’estimois tu les faits chevalureus

Que pour m’auoir? Et ton loz tant eureus

Auec ma vile est il ia mis au bas?

Facent les Dieus que ce n’auienne pas:

Ains que plus tot ta lance roide, & fiere,

220

D’un bras puissant Hector transperse, & fiere.


Enuoyez moy, O Grecs, en ambassade

Vers mon signeur, & ie me persuade

Qu’entremélant mes baisers aus prieres,

Ie feray plus par mes douces manieres

225

Qu’Vlysses sage, & qu’Aiax, & Phenix.

C’est quelque cas d’auoir les bras unis,

Ioints & serrez au col acoutumé,

Et faire voir le sein qu’on ha aymé.

Bien que tu sois cruel, rude, & seuere

Thetis,
deesse de
mer.
230

Plus ne me sont les ondes de ta mere

Ie me fay fort, encor que ie me taise,

Vaincu seras, si pleurant ie te baise.

Peleus.

Or meintenant (tous ses vieus ans ton pere

Ainsi [p. 62] Fac-simile de la page 62 BRISEIS Pyrrhus.

Ainsi parface, & ton fils bien prospere

235

Te suiue en faits de guerre eureusement)

Preus Achilles, gette piteusement

Ton œil dessus Briseïs la pourette

Pleine d’ennui, qui sans fin te regrette.

Toy endurci ne la trouble, & tourment

240

D’une tant longue, & trop facheuse atente.

Ou si l’amour, qu’en moy tu auois pris

Ha tourné chance en desdain & mespris,

Contrein mourir celle, en peine & esmoy,

Que tu contreins außi viure sans toy:

245

Ce que feras, ainsi que ia tu fais:

Ia s’est paßé mon corps, & mon teint frais.

Mais l’espoir seul de oty, en qui me fie,

Soutient en moy ce peu que i’ay de vie:

Lequel espoir si ie pers sans merci,

250

Mari suiuray, & mes freres außi.

Tu n’auras pas titre d’honneur & fame

De commander mettre à mort une femme:

Quoy, commander? ton glaiue me trauerse:

I’ay sang, lequel i’espandray s’il me perse.

Agame-
mnon .
255

Ce glaiue tient, qui ia le fils d’Atreus

Eust trauersé, n’eust esté que tu eus

Pallas.

Empeschement que te fis la Desse,

Vienne perser mon corps en grande rudesse.

Mais plustot soit ma vie conseruee

260

Par toy, ami, qui me las ia sauuee.

Ce que veinqueur donnas à l’ennemie,

Ie [p. 63] Fac-simile de la page A ACHILLES. 63

Ie t’en requier, donne l’à ton amie,

La Troye peut trop mieus de gens fournir

Que tu feras par ton glaiuve finir:

265

L’ocasion sur ton ennemi prens.

Comme que soit, si desia tu reprens

A faire voile, ou si atens encores,

Comme signeur mande moy querir ores.


Fin de l’epitre de Briseïs à Achilles,
qui est la troisieme.

ANNOTACIONS
sur l’Epitre de Briseïs
à Achilles
*

Aiax, Phenix vers toy ia sont venus.

L’un ton parent, l’autre des chers tenus.


Aiax estoit cousin germain d’Achilles,
c’estadire filz de Telamon, frere de Peleus,
qui fut pere d’Achilles. Phenix fut ami, com-
pagnon & conseil d’Achilles.

Et sept treteaus de pois & d’art encor

Egaus tous sept: & plus, dix talens d’or.


Vn talent d’argent valoit six cens escuz
couronne de trente cinq solz tournois: & le
talent d’or en valoit dix d’argent: ainsi pou-
uoient monter les dix talens d’or quarante
six mil escuz sol pour le moins.

Ta [p. 64] Fac-simile de la page 64

Ta femme belle, & sur toute honoree,

Ira, (& aille) en ta chambre paree,

Dine d’auoir de son beau pere aueu,

De Iuppiter, & d’Egina neueu

De qui Nereus l’ancien maieur tien

Estre allié de par toy veuille bien.


Peleus, pere d’Achilles, fut engendré
d’Eacus, & Eacus de Iuppiter & Egina.

Nereus fut pere de Thetis, & par ainsi
ayeul maternel d’Achilles.

Meleager print le harnois & armes

Estant prié de sa femme auec larmes.


Meleager tua ses deus oncles Plexipus &
Toxeus, parce qu’ilz voulurent oter la de-
spouille du sanglier qu’il auoit donnee à Ata[]
lanta: mais Altee, mere de Meleager se
voyant vefue de ses deus freres, fut fort irri-
tee, & usa de grandes malediccions contre
son fils: ce qu’il print à cœur, tant que les
ennemis estant deuant la vile de Calydon, il
ne vouloit prendre les armes pour leur resi-
ster, ains se cachoit, & passoit son tems auec
Cleopatre sa femme, laquelle l’en pria hum-
blement s’y resister: lors à sa priere il print
les harnois, ayant premier desprisé les prie-
res & les presens de tous les autres.

Mais, Achilles, par les os ie te iure

De mon mari, mal pris en sepulture,

Et [p. 65]
Fac-simile de la page 65

Et trop soudein, os qu’à iamais i’honore:

Et par les trois que comme Dieus i’adore.

Les trois espritz de mes trois freres morts.


Voyez l’annotacion de l’Epitre settieme,
sur ces vers,

De Sicheüs i’ay l’effigie sacre

Qui est dedens ma chapelle de marbre.


Ce glaiue tien, qui a le filz d’Atreus

Eust trauersé, n’eust esté que tu eus

Empeschement, que te fit la Deesse.


Achilles, apres plusieurs propos & iniures
cõtre Agamemnon qui lui tollissoit Briseïs,
tira son espee pour le frapper: mais Pallas y
suruint qui l’engarda.

[Fleuron] c
[p. 66] Fac-simile de la page 66 [Bandeau]

PREFACE SVR
L’EPITRE DE PHE-
DRA A HIP-
POLYT .
*

QVAND le Roy Minos eut veincu les
Atheniens en guerre, il leur imposa
cette charge que tous les ans ils enuoyassent
sept fils & sept filles pour estre deuorez du
monstre Minotaure, qui estoit demi homme
& demi beuf, enfermé dedens le labirynte
que Dedalus auoit fabriqué en l’Isle de Cre-
te , à present Candie, de laquelle Minos estoit
Roy. Or auint le troisieme an, que le sort
tomba sur Theseus, fils d’Egeus Roy d’ Athe-
nes . Ainsi fut Theseus enuoyé vers le Minotau-
re: & sorti du labirynte sain & sauf, & vi-
ctorieus, emmena auec lui dans son sanuire
Ariadne, à laquelle il auoit promis mariage,
pour l’ayde, cõseil & secours qu’elle lui auoit
donné: & auec elle aussi emmena Phedra
sa seur. Mais laissant Ariadne en l’Isle Chios,
à present Scio (ou Naxos, comme aucuns
disent [p. 67] Fac-simile de la page 67
disent, à present Niosia.) il mena seulement
auec lui Phedra, & la print en mariage. Icel-
le fut puis apres en absence de son mari The
seus grandement esprinse d’amour enuers
Hippolyt fils de mari Theseus & de Hip
polyte, seur d’Antiope, Royne des Amazo-
nes. Elle lui escrit donques cette epitre toute
pleine d’affeccions vehementes, que les
Grecs appellent Pathetiques, s’efforçant de
l’attraire à son amour detestable par subtiles
persuasions. La fin fut telle, que Hippolyt,
aymant la chasse & chasteté, en tint conte
des prieres, & requestes de Phedra sa mara-
tre: dequoy elle fort fachee, & l’acusa vers
son pere Theseus, disant qu’il lauoit voulu
forcer: lequel pria Egeus son pere de le ven-
ger: qui, comme Hippolyt alloit dens son
chariot, à la mode du tems, luy enuoya une
Phouque, qui est un grand poisson, & mon-
stre marin, qu’on appelle veau de mer, par
lequel les cheuaus troublez, & espouuentez,
tirerent ça & là par pieces le poure Hippo-
lyt . Alors Diane, la deesse de chasse & de
chasteté, eut pitié & commiseracion de lui
en faueur de sa chasteté, & par Esculape,
grand Medecin, fils d’Apollo, & de Coronis,
le fit retourner en vie, & le bailla en garde
au païs d’Aricie, à la nymphe Egerie, & com
e 2 manda [p. 68] Fac-simile de la page 68
manda qu’on lapelast double homme, c’est-
adire deus fois homme. comme dit Virgile
au settieme des Eneides. Voyez aussi Ouide
au quinzieme liure de la Metamorphose. Or
Phedra, ayant sceu la mort de Hippolyt, se
tua d’un glaiue, ou se pendit, comme aucuns
disent. Bien se doiuent donq contregarder
les dames d’entrer en amour tant desraison-
nable & esrence à fin que ainsi ou pis ne
leur auienne. Mais cette preface
est ia assez longue: Et pour-
tant escoutez le Poëte
parlant en son
Epitre.
*

[Fleuron]
[p. 69] Fac-simile de la page 69 [Bandeau]

TRADVCCION
DE LA IIII. EPITRE
D’OVIDE.
*
Phedra secrit à Hippolyt.

[Figure]

SAlut te dit la presente mißiue

De par Phedra, de Candie natiue,

Qui n’a salut si ton cœur ne lui mande,

O Hippolyt, fils d’Amazone grande.

5

Ly cet escrit, que te sauroit il nuire?

Mais quelque cas encor y pourras lire

Qui te plaira, que ne voudras blamer.

Sous telz escrits, & par terre & par mer,

Plusieurs secretz on porte, en prose ou mettres:

e 3 L’enn [p. 70] Fac-simile de la page 70 PHEDRA 10

L’ennemi prend de l’ennemi des lettres.


I’ay eu trois fois preste à parler ma langue,

Mais trois fois fut muette, & sans harangue:

Et du propos en pensee venu

Trois fois le son es dents m’est retenu.

15

Autãt qu’on peut, & que raison nous dompte,

Auec l’amour il faut mesler la honte:

Ce que la honte ha defendu de dire,

L’Amour le m’a commandé de t’escrire.

Amour est plein d’une grand’ Deité,

20

Et ce n’est pas trop grande sureté

De mespriser un seul point qu’il commande:

Sur les Dieus grans il ha puissance grande.

C’est lui qui mise en train, & en voye

D’escrire à toy, quand premier i’en doutoye.

25

Escri, dit il, & tu verras comment

Cet obstiné tu veincras aisément.

O qu’il me soit à present fauorable.

Et comme il fait ma moile miserable

Par son chaud feu bruler à son plaisir,

30

Qu’il renge ainsi ton cœur à mon desir.


Sois assuré qu’en l’amour sociale

D’entre nous deus, ne seray desloyale.

Mon bruit est bon: mauuaise renommee

(Enquier t’en bien) n’est point de moy semee.

35

Tant plus l’amour loin de nous se recule,

Quand il s’y met, d’autant plus il nous brule:

Nous sommes ars, en nos cœurs sommes ars,

Et [p. 71] Fac-simile de la page A HYPPOLIT. 71

Et là dedens brulez de toutes parts.

Ne plus ne moins comme les iougs pesans

40

Sont du premier aus ieunes beufs nuisans,

Et le poulin prend le mors à regret,

Ainsi le cœur tout nouueau, sent aigret

L’amour premier, & adonq bien à peine

Le peut soufrir en sa pensee saine.

45

Voilà comment or’ sied mal ce fardeau

A mon cœur foible, en amour tout nouueau.


Quand on aprend, le mal des le ieue aage

Se conuertit en reigle, & en vsage:

CElle qui vient sur son aage à aymer,

50

Elle se sent piremetn enflammer.

Tu cueilliras ores le nouueau fruit

De mon honneur, qui suis sans mauuais bruit:

L’un fera fait quand & l’autre coupable.

C’est quelque cas, qui n’est psa refusable,

55

De cueillir fruits sur l’arbre à pleine branche,

Et la premiere & belle rose franche.


Ce nonobstant la blanche chasteté

Laquelle en moy cy deuant ha esté

Me deuroit bien encores à present

60

Garder mon cœur de cette tache exempt.

Mais il vient bien que l’amour, qui me presse,

A bon parti, & dine lieu m’adresse:

Vn laid paillard, lourd, & mal gracieus

Rend le forfait encor plus odieus,

65

Et souille trop le crime d’adultere.


c 4 Si [p. 72] Fac-simile de la page 72 PHEDRA

Si Iuno m’ofre & son mari & frere,

Iuppiter Dieu lairray pour Hippolyte.

Mesme desia l’amour de toy m’incite

D’exercer l’art dont ie n’ay point l’usage,

70

C’est d’assaillir meinte beste sauuage:

(De ce propos m’en croiras bien à peine.)

Diane außi, la Deesse hauteine,

Que son arc courbe & excellent decore,

Ia comme toy sus tous les Dieus i’honore.

75

Ie pren plaisir d’aller aus bois chasser,

Courir les mons, mes limiers auancer

Contre les Cerfs, pour les prendre au filé,

Ou balancer le mien dard esbranlé

Pour le brandir, & getter roidement:

80

Ou me coucher sur l’herbe froidement.


Auec plaisir souuent suis curieuse

De voltiger en terre sablonneuse

Mon chariot, qui va prompt & leger,

Car oui ie veus mes cheuaus fay renger.

85

Par fois ie cours, comme femmes Bacchantes

En grand fureur leurs sacres celebrantes:

Ou comme font celles qui, aus tabours,

Font, sus Ida, bruit, rage, & mile tours:

Ou comme außi celles femmes non mornes

90

Que Demidieus, qui en teste on deus cornes,

Pareillement que les Demideesses

Dryades, ont par leurs grandes hautesses

Et leurs diuins pouuoirs enuironnees,

Et [p. 73] Fac-simile de la page A HIPPOLYT. 73

Et en esprit transporté, estonnees.

95

Ce que ie say: le tout on me raporte

Quand i’ay paßé ma rage & fureur forte:

Lors ne di mot, pensant bien, sans le dire,

Que d’amour vient ce furieus martire:

Lequel amour, qui cause ce tourment,

100

Brule tousiours mon cœur secrettement.

Ie pourrois bien, ainsi comme il peut estre,

L’ocasion dond cette amour vient naitre,

Attribuer à celle destinee,

(Ha) à laquelle est ma race ordonnee,

105

Et que Venus quiert sur tout ma race

Prendre son droit, sans à nul faire grace.

Car Iuppiter souz taureau estant Dieu,

Europe ayma, qui tient le premier lieu

De ma lignee: & Pasiphe ma mere,

110

Souz le taureau mise en grand vitupere,

Ha engendré sa charge, & forfaiture.

Theseus le faus, hors la prison obscure

Du labirynte, est sorty moyennant

Que le filet alloit tousiours tenant

115

Que lui donna ma seur la sienne amie.

Et moy (à fin que lon ne doute mie

Que de Minos i’aye esté engendree)

En cette loy d’amour ie suis entree:

Qui de ma race ores suis la derniere

120

Ay ensuiui des autres la maniere.

C’est cas fatal comme une race tienne

e 5 Apl [p. 74] Fac-simile de la page 74 PHEDRA

A pleu aus deus, & qu’en amour nous tienne,

Car tu me plais, & ton pere à ma seur

Plaisoit außi: parquoy c’est cas bien seur

125

Que Theseus pere, & son fils, asseruies

Ont les deus seurs par forte amour rauies.

De la maison de Minos pouuez pendre

Double despouille, ayans peu deus seurs prendre.


Du tems auquel ie te voy de trop pres

130

En Eleusis, aus sacres de Ceres,

Ie voudrois bien, & par trop ie regrette

Que i’eusse esté encores en la Crete.

Ce fut adonq que ta beauté m’outra,

Et que l’amour iusqu’en mes os entra

135

Ce nonobstant au parauant außi

Me semblois beau, non toutefois ainsi.

D’un habit blanc vestu lors tu estois:

Chapeau de fleurs dessus ton chef portois:

Vne couleur vergoigneuse, & vermeille

140

Ton teint halé coulouroit à merueille.

Certeinement ton visage halé

Rude, & rural, des autres apellé,

Le nom de fort, si uge en est Phedra.

Arriere nous hommes efeminez,

145

Et brauement comme femmes ornez:

Car en habits doit tout homme, par droit,

Estre reiglé d’un moyen plus estroit.

Ce meintien brusq, ces cheueux sans parage,

Ce [p. 75] Fac-simile de la page A HIPPOLYT. 75

Ce peu de poudre en ton viril visage,

150

Te sied tant bien: soit à bien court tourner

Ton fier cheual, tu me fais estonner

De voir ses piedz en si petit tour estre:

Soit à getter le dard, d’un bras à dextre,

Ton bras puissant retient sur soy ma vuë,

155

Ou soit ta main d’un large espieu pouruuë.

Brief, me plait fort tout cela que tu fais.

Tant seulement la rigueur de tes fais

Vueilles laisser sur meinte forest haute,

Dine ne suis de mourir par ta faute.


160

Mais quel plaisir de tousiours pourchasser

L’art de Diane, & d’ardeur de chasser,

Ce tems pendant faire tort à Venus,

En delaissant ces passetems menus?

Ce qui ne prend repos par interuale,

165

Ne peut durer, ains en sa fin deuale:

Mais le repos consolide & conforte

Les membres las, qui ont eu charge forte.

Sur ta Diane exemple tu dois prendre,

Dõd l’arc est mol, si trop tu le veus tendre.


170

Cephalus fut grand chasseur en son aage,

Et qui tua meinte beste sauuage:

Ce nonobstant il ne refusa point

D’estre en amour à Aurora conioint.

Vers lui alloit cette sage Deese,

175

Laissant souuent son vieillard sans caresse:

Souz chesnes grans de feuillages fournis,

Sou [p. 76] Fac-simile de la page 76 PHEDRA

Souuent couchoient Venus & Adonis,

A tous les coups se mettoient bouche à bouche,

Sans auiser sur quelle herbe on se couche.

180

Meleager le chasseur de grand pris,

D’Atalanta fut en amour espris:

De son amour eut gage singulier,

C’est à sauoir la hure du sanglier.

Or commençons donques nous deus außi

185

D’estre en amours nombrez entre ceus ci.

Si tu tollis de Venus la pratique,

Certeinement ta forest est rustique.

Ie te suiuray sans feindre en rien mon corps

De trauerser les rochers creus & forts,

190

Et ne creindray les efforts & defenses

Du fort sanglier, poignant de ses Defenses.


On nomme Isthmos un col de terre ferme,

Que double mer estroitement enferme:

Flot de deus mers reçoit la petit Isle:

195

Là est Trezen, de Pytheus la vile:

Auecques toy iray, & viury là,

Ie l’ayme mieus que mon païs desia.

Tout à propos Theseus est bien absent.

Et ne sera bien tot ici present:

200

Pirithoüs en son païs le traite,

Et de nous voir bien à tard il souhaitte:

Theseus trop mieus donq Pirithoüs ayme

Qu’il ne fait pas ni Phedra, ni toymesme:

Si ne voulons nier l’euident fait.

Mais [p. 77] Fac-simile de la page A HIPPOLYT. 77 205

Mais ce n’est pas le sien premier tort fait

Encontre nous: à bon droit ie m’en deuls,

En bien grans cas nous ofensa tous deus:

Minotau-
re .

Du frere mien tous les os il froissa

De sa massue à trois nouds: puis laissa

Ariadne. 210

Ma seur en proye aus bestes pour dessertes.

Ta mere estoit une Amazone, certes

Par sus tout autre en armes belliqueuse,

Dine d’auoir portee si eureuse

Comme tu es: si tu quiers ou est elle?

215

Tu trouueras que par façon cruelle

Theseus luy ha transpercé le coté,

Et garantie onq par toy n’a esté,

Qui en faueur de toy deuoit bien l’estre:

Ia ne voulut außi la reconnoitre

220

Pour son espouse, & onq ne l’espousa,

Scez tu pourquoy? pource qu’il proposa

De te frauder, & chasser à l’escart

De son royaume, ainsi comme batard.

Et luy encor non point content de toy,

225

A engendré de tes freres en moy,

Qu’il fait nourrir, non pas moy, ie t’auise

O pleust aus Dieus pour toy, que tant ie prise,

Ou que rompus me fussent les cotez

En mon trauail: ou fussent auortez

230

Les freres tiens, & propres enfans miens,

Qui te nuiront quant aus paternels biens.

Or fus, va donq, & meintenant reuere,

Et [p. 78] Fac-simile de la page 78 PHEDRA

Et porte honneur à ce lict de ton pere

Qui le vaut bien: lequel lit ie t’annonce

235

Qu’il va fuiant, & par les faits renonce.

Mais ne crein point que te fasse pecher,

Quand auec toy ie demande à coucher,

Qui m’es beau fils, & moy ta belle mere:

Ce sont noms vains, pour cela ne differe:

240

C’est vieille loy qui n’est qu’une folie

Des anciens, & s’en va abolie.

Celle loy fut des Saturne l’antique,

Lequel tenoit un regne tout rustique:

Saturne est mort, & auec lui ses loix,

245

Souz Iupiter nous sommes, tien ses droitz

Iupiter veut, & Iupiter ordonne

Que toute chose agreable soit bonne:

Et si fait tout licite, pour le seur,

Lui frere ayant pour espouse sa seur.

250

L’affinité de sang se ioint tres bien,

Que Venus ioint par son estroit lien.

Puis le celer sans peine tu sauras,

A Venus.

Demande lui le don, & tu l’auras:

Souz nom d’affins le cas honnestement

255

Sera couuert: si quelcun voit comment

M’embrasseras, ie n’en seray blamee,

Ni toi außi: ains seray estimee

Maratre bonne au fils de mon mary.

Ia ne creindras mari rude & marri,

260

Et ne faudra qu’amour de nuit t’enhorte

Venir [p. 79] Fac-simile de la page A HIPPOLYT. 79

Venir ouurir tout doucement la porte:

Ia ne faudra que le portier deçoiues

Mais seulement il faut que tu conçoiues

Que comme estions nous deus en un hostel,

265

En un hostel serons, & au lieu tel.

Tu me baisois sans creinte à tous les coups:

Me baiseras encores deuant tous.

Auecques moy tu sera en seurté:

Honneur auras d’ofense, & volupté,

270

Quand tu serois aperçu mesmement

Dedens mon lict. Au reste seulement,

Auance toy, & vien faire à fiance,

Et le plus brief, de nous deus l’aliance,

Qu’ainsi te soit l’amour de bon acord,

275

Qui meintenant me tourment si fort.


Las, ie n’ay point de honte aucunement

De te prier à present humblement:

Ores ou est l’orgueil de ma noblesse,

Les termes pleins d’arrogance & hautesse?

280

De resister long tems, & auec peine,

A ce forfait, ie me faisois certeine:

(Si l’amour ha quelque cas de certein.)

Mais de cela mon cueur est bien lointein,

Vaincue suis: ie me soumets tant bas

285

Qu’a tes genous ie tens mes royaus bras.

Nul amant vise à ce qui est decent.

I’ay souz le pied toute honte à present,

Ma chasteté laisse son estendart

Et [p. 80] Fac-simile de la page 80 PHEDRA

Et puis s’enfuit, & se gette à l’esquart.


290

Pardonne moy, qui mon amour confesse,

Et ne me tien si grand rigueur sans cesse,

Ains au contraire, amollis mon dur cœur.

Mais que me sert contre cette langueur

Que Minos soit mon pere en mer regnant

295

Dessus meinte Isle, & vile dominant?

Iupiter.

Et que la main de mon grand ayeul, donne

Ce bas terreur, qui foudroye, & qui tonne?

Que mon ayeul (qui ordinairement

Le iour apporte aus matins clerement

300

Dens son char rouge) ait son chef dine & saint

De clers rayons enuironné, & ceint?

Dessus noblesse amour tient bien les rancs.

Aye pitié de mes ancestres grans:

Si non de moy, aye des pitié des miens.


305

I’ay pour mon dot, quant aus biens terriens

L’isle de Crete, à Iupiter nourrice:

Tout mon palais ie mets en ton seruice.

Ton cœur tant dur ores vueilles conueincre.

Ma mere ha bien le fier taureau peu veincre,

310

Et sera tu cruel fier & farouche

Plus qu’un taureau? pitié donc ton cœur touche:

Ie t’en suppli, par Venus qui me presse,

Qui nuict ne iour en repos ne me laisse.

Qu’ainsi te soit comme à moy tu seras,

315

La dame amie, à qui la court feras:

Qu’ainsi te soit Diane secourable,

Et [p. 81] Fac-simile de la page A HIPPOLYT. 81

Et aus deserts des foretz fauorable:

Et les grans bois te liurent bestes rousses

Pour leur donner les mortelles secousses.

320

Qu’ainsi te soient les Dieus des mons terrestre

Tousiours aydans, Faune, & Pans syluestres:

Et les sangliers tombent morts en meint lieu,

Bien rencontrez du fer de ton espieu.

Qu’ainsi te soient toutes Nymphes offrantes

325

Leurs beaus ruisseaus, & clere eaus courantes

Durant ta soif, & les chaleurs extremes,

Iaçoit qu’on dit que les filles tu n’aymes.


I’aioute encor par piteuses manieres,

Presentement mes pleurs à mes prieres:

330

Toy donc lisant iusqu’au bout mes douleurs

Pense d’y voir pareillement mes pleurs.


Fin de la quatrieme epitre d’Ouide,
qui est de Phedra à Hippolyt.

f
[p. 82] Fac-simile de la page 82

ANNOTACIONS SVR
L’EPITRE DE PHEDRA
à Hippolyt.
*

Par fois ie cours ainsi que les Bacchantes, &c.

Les Bacchantes sont femmes qui faisoient
sacrifice au Dieu Bacchus, auec fureur re-
presentans une maniere d’yurongnerie, que
Bacchus Dieu du vin, engendre, Aussi estoit
la Deesse Cybelle seruie & honoree par fem
mes auec grand bruit de tabours, & de furie
sur le mõt Ida, qui est pres de Troye. Faunes
& Satyres sont Dieus champestres, ayans
piez de chieure & cornes sur la teste, & le
reste comme hommes. Ainsi c’estoiẽt hom-
mes sauuages, habitans par les bois, & chãps:
& sont apellez Demidieus, comme aussi lesv
Driades: & autres pareillemẽt Demideesses:
à cause qu’ils ne sont pas encor, receuz au
ciel, mais sont seulement Dieus & Deesses
en la terre, qui troublent, meuuent & fanta-
siẽt les esprits de ceus & celles sur qui ils get
tẽt leur force & puissance demi duine. telle
estoit l’opiniõ ou plustot resuerie des Payãs.

De la maison de Minos pouuez prendre

Double despouille, ayans sceu deus seurs prẽdre.


Le poëte parle ainsi, comme si l’amour re-
semb [p. 83] Fac-simile de la page 83
sembloit à une gerre: Car aussi l’amour &
la geurre ont ensemble grande conuenance.
Ce qui est bien declaré par notre poëte Oui-
de en son premier lure des maours en la
neuuieme Elegie, qu’il adresse à son ami
Atticus: & se commence ainsi,

Militat omnis amãs, et habet sua castra Cupido:

Attice crede mihi, militat omnis amans.


C’estadire, tout amoureus est en guerre, &
le Dieu d’amour ha son camp: croy moy, ô
mon ami Atticus, que tout amoureus est en
guerre. & ce qui s’ensuit en ladite Elegie le
prouue bien, car il declare comem l’aage,
le deuoir, la hardiesse, le souci & la peine qui
font en un bon & vray Capiteine ou sou-
dart, font aussi pareïllement en un bon &
vray amoureus, bataillant sous l’enseigne
de Cupido.

On nome Istmos, un col de terre ferme &c.

Là est Trœzen &c.


Troœzẽ est une petite vile en un col de terre
ferme, euironné de deus mers, qu’on apel-
le en Grec, Isthmos.

Vaincue suis: ie me soumets tant bas

Qu’à tes genous ie tens mes Royaus bras.


Les Filozofes naturels atribuẽt les genous
à misericorde, cõme les oreilles à la memoi
re, le frõt à Genius: la main dextre à la foy.

f 2 Et [p. 84] Fac-simile de la page 84

Et que la main de grand ayeul donne

Ce bas terreur, qui foudroye & qui tonne


Iupiter, qui gette la foudre, est grand ayeul
de Phedra du coté de sa mere: car Phebus est
fils de Iupiter, & pere de Pasiphaë qui fut
mere de Phedra. mais du coté de son pere
Minos, Iupiter lui est ayeul car Minos est
fils de Iupiter.

[Bandeau]

PREFACE SVR
L’EPITRE D’ENONE
A PARIS.
*

HECVBA, femme de Priam Roy de
Troye, estant enceinte, songea qu’elle
enfantoit un flambeau ardent qui bruloit la
Troye: duquel songe le Roy Priam fut fort
troublé: & voulut auoir la response des
Dieus, que cela sinifioit: Apollo par son ora-
cle respõdit que le premier enfant qui apres
ce tems là naitroit au Roy Priam seroit cau-
se de la ruïnes du païs. A cette cause Priam
commanda quand l’enfant seroit né, qu’on
le gettast en quelque part, sans lui donner
nour [p. 85] Fac-simile de la page 85
nourriture. La mere ayant pitié & compas-
sion de la fortune de son enfant, qui puis
apres fut apelé Paris, donna charge au ber-
ger du Roy de le nourrir secrettement. lui
nourri en la forest, & deuenu grand, ayma
mesme (comme aucuns veulent dire, &
Strabo le recite) espousa la Nymphe Enone,
fille du fleuue Pyretha (les autres dient, Ce-
brenus , ou Xantus) & de Creusa: & d’elle eut
deus enfans, Daphnis, & Ideus. Lycoprhon [sic pour Lycophron] ha
escrit qu’elle en eut un nõmé Corythus. Or
quand Iuno, Pallas, & Venus estoient en de-
bat de leur beauté, aus fins d’obtenir la pom-
me d’or en laquelle y auoit escrit,

Soit don-
nee à la plus belle,
Iupiter les renuoya sous
l’arbitrage & iugement de Paris: à qui Iuno
promit Royaume, Pallas sagesse, Venus vo-
lupté, & la plus belle des femmes: lors il
donna le pris de beauté à Venus. Puis apres,
lui reconnu de ses pere & mere (le Roy
& Royne de Troye) fut bien par eus re-
cueilli: & en fin par leur commandement
nauiga en Sparte, vile autrement dite La-
cedemon , à present Mizitre, vers Mene-
laüs , pour recouurer & ramener Hesione
fille du Roy Laomedon, & seur de Priam,
que Hercules, apres qu’il eut pris Troye,
donna pour femme à Thelamon. Mais lui
f 3 estant [p. 86] Fac-simile de la page 86
estant surpris d’amour en ce païs là, il en tira
& rauit Heleine, femme de Menelaus, la-
quelle il mena à Troye, comme dit Home-
re : & elle l’ayme & le print en mariage,
laissant tous autres pour lui. Or Enone se
voyant delaissee de Paris, lui enuoya la pre-
sente Epitre de Cebrine, vile du païs de
Troye, ou fut erigé le sepulchre de Paris &
d’Enone, comme recite Demetrius. Par la-
quelle Epitre elle declare la foy, & bonne
amour qu’elle ha vers Paris: & les promes-
ses qu’il lui auoit faites: se complaignant
qu’elle, sa premiere femme, & bien constan-
te & fidele, est laisee pour une meschante
concubine: lui veut persuader de la rendre
aus Grecs qui la demandent: & qu’elle (sa
premiere femme) en tout bien & honneur
iadis aymee, retourne auec lui. La fin fut
telle que Paris estant tué par les sagettes em
poisonnees que Philoctetes auoit euës
d’Hercules, & estant aporté vers
Enone, elle de merueilleuse
amour l’embrassant, & res-
chaufant ses playes, ren-
dit l’esprit sur lui,
comem Septi-
mus ha es-
crit.

TRA
[p. 87] Fac-simile de la page 87 [Bandeau]

TRADVCCION
DE LA V. EPITRE
D’OVIDE.
*
Enone escrit à Paris.

Pourras tu bien iusques en la fin lire

L’epitre en vers que ie te vueil escrire?

Ou si de voir le contenu en elle

T’en gardera ton espouse nouuelle?

5

Or li le tout, car il n’est point escrit

De la main dont Menelaüs escrit.

Moy Nymphe Enone, es bois Troyenns connue,

Et qui suis bien de noble lieu venue,

Par ton osense à present ie me deuls

f 4 De [p. 88] Fac-simile de la page 88 ENONE 10

De toy, Paris, qui es mien si tu veus.

Quel ha mis si grand empeschement

A notre amour? par quel crime & comment

Ores se fait que ie ne suis plus tienne?

Paciemment on souffre quoy qu’auienne,

15

Quand il auient selon le demerite:

Sans meriter c’est douleur non petite.


Tu n’estois pas si haut & aperent

Lors que moy Nymphe, & fille au fleuue grand,

Contente fus te prendre en mariage:

20

Qui meintenant es de grand parentage,

Fils de Priam, lors tu estois berger:

(La verité soit dite sans danger.)

Moy Nymphe noble ay bien voulu permettre

En mariage auec un serf me mettre.

25

Souuent auons aus chams parmi troupeaus

Le repos pris à l’ombre des rameaus:

Et l’herbe estant entre fueilles mesle,

Seruoit de lict, souuent de nous foulee.

Souuentefois, quand la pluie deuale,

30

Nous ha logez quelque loge rurale:

Là nous couchions sur la paille, & le fein.

Qui te montroit de la chasse le trein?

Quelle forest fust à la chasse bonne

En quel rocher quelque beste felonne

35

Ses petis faons eust cachez & serrez?


I’ay auec toy souuent tendu les retz,

Et fait courir les limiers par les monts:

Les [p. 89] Fac-simile de la page A PARIS. 89

Les hestres sont gardans encor mes noms

Taillez en eus: Enone on ha trouué

40

(Mon propre nom) de ta serpe graué.

Et tout ainsi que leur tronc croist, ainsi

Pareillement y croist mon nom außi.

Or croissez donq arbres, qu’aymer ie doy,

Croissez deument en memoire de moy.


45

Vn peuplier est au riuage d’un fleuue,

Qui porte escrit (biẽ m’en souuiẽt) qu’on treuue

Parler de moy: O beau Peuplier, demeure

Tousiours en estre, & ta verdeur ne meure:

Peuplier qui es au riuage planté,

50

Portant escrit en la sorte noté,

En ton escrose, & rude, & mal unie:


LORS QVE PARIS SANS ENONE S’AMIE

AVCVNEMENT VIVRE ET DVRER POVRRA?

L’EAV’ DE XANTHVS EN SA SOVRCE COVRRA.


55

Xanthus, eau’ pren cours au contraire,

Paris s’est pù d’Enone ia distraire.

Le iour (helas) en malheur me poussa,

De notre amour changee, commença

L’yuer mauuais, bien lointein de liesses,

60

Lors que Venus et Iuno, les deesses,

Auec Pallas, chacune toute nue

Au iugement de tes yeus est venue:

(Mais à Pallas, deesse de vertu

Sierroit trop mieus qu’eust son harnois vétu)


65

Incontinent que tu m’en tins propos

f 5 Mon [p. 90] Fac-simile de la page 90 ENONE

Mon cœur trembloit, frayeur m’entoit es os.

Pour m’enquerir lors ie m’en suis allee

Vers les vieillarz, (car i’estois bien troublee)

Lors meint vieillard, & vieille qui deuine,

70

Mont affermé que c’est tresmauuais sine.

Sapins on coupe, son sie, on dole, on tranche,

Puis on adresse, & on ioint meinte planche:

La mer reçoit sur ses vert bleues eaus

Incontinent tes preparez vaisseaus.

75

Lors tu pleurs au partement de là:

A tout le moins ne nie point cela.

Trop plus honteuse est ton amour presente,

Que n’estoit pas la notre precedente.

Tu pleuras donq, & vis mes yeus pleurans,

80

Tous deux faschez meslames noz pleurs grans.

L’ormeau n’est tant de vigne entrelaßé,

Comme tes bras ont mon col embraßé.


O quantefois as meu tes gens à rire

Quand tu pleingnois du vent, que voulois dire

85

Estre contraire à ton departement,

Et il estoit bien propre seurement.

O quantefois ta bouche me baisa!

Me dire adieu ta langue à peine osa.


Vn petit vent dens la voile vous donne,

90

Rames vogoient, que l’escume enuironne:

Moy triste, adonq ta voile à l’œil poursuis,

Voire de loin autant comme ie puis:

Et de mes pleurs fay les caillous humides.

Ie [p. 91] Fac-simile de la page A PARIS. 91

Ie prie là les vertes Nereïdes

95

Que sain & sauf bien tot sois de retour:

C’estasauoir tot, à ma desamour.

Par mon souhait tu es donq retourné

Pour autre dame à qui tu t’es donné.

Ha, qu’ay-ie fait? ha, i’ay esté benine

100

Pour la cruelle, & fausse concubine.


Vn bien grand roc regarde loin en mer,

Qui fut un mont, tel on l’a vù nommer,

Lequel resiste aus flots de la mer fiere:

De là ie vi tes voiles la premiere:

105

Et i’eu enuie à me getter es ondes,

Pour au deuant aller es eaus parfondes.

Mais en tardant vi en la proue haute

Luire un habit d’ecarlate sans faute:

Lors i’eu frayeur, car tel habit n’est tien.

110

Ta nef vint pres, le vent la poussoit bien,

Si qu’elle fut à terre vitement:

Alors ie vi de femme seurement

Vn beau visage, & le cœur me batoit:

Bien pis y ha qu’en ton giron estoit

115

La fausse lice. (ha, que tardois ie tant

De me getter en mer, tout en l’instant?)

Lors ie pleuray, & mes robbes rompis,

Mon cœur frappay: & qui est encor pis,

M’esgratignay à beaus ongles la face,

120

Et si rempli toute la sainte place

Du mont Ida, de mes cris, & mes pleints:

Lesqu [p. 92] Fac-simile de la page 92 ENONE

Lesquelz miens cris, & pleurs grãs, & nõ feints

Ie vins porter iusques en mes rochers,

Hantez par moy, & de moy tenus chers.

125

Si prie aus Dieus qu’Heleine en ce point pleure,

Et que bien tot sans son Paris demeure:

C’est bien raison qu’elle ayt de tel pain souppe.


Or sus Paris, tu as donq vent en pouppe

Qui auec toy par mer t’ameine celles

130

Lices, laissans leurs vrays espous fidelles:

Mais toutefois estant poure berger,

Menant troupeaus & paitre, & heberger,

Sinon Enone espouse tu n’auois.

Quant est aus biens, ie n’y donne ma voix:

135

Ie n’ay egard à ta grande noblesse,

Ne que ie sois nommee ne Princesse

Entre plusieurs des brus de Priam Roy:

Non que pourtant ou Priam doiue à moy,

Qui Nymphe suis de hautein parentage,

140

Me refuser son fils en mariage:

Ou qu’Hecuba außi dißmuler [sic.] dissimuler

Puisse à bon droit, de sa bru m’apeler.

Dine ie suis, & si ay bien la grace

D’auoir parti de noble & haute race:

145

Mon noble cœur bien le souhaitte ainsi:

I’ay la main propre à porter sceptre außi.


Pourtant, Paris, despriser ne me vueilles,

Si i’ay couché auec toy souz les fueilles:

Plus dine suis d’une couche Royale.

Et [p. 93] Fac-simile de la page A PARIS. 93 150

Et d’abondant la mienne amour loyale

Te met en pais, & ne t’aporte guerre,

Ni nauz venans pour vengeance à grand erre.

Mais c’est bien seur que grosse armee suiue

Pour recouurer Heleine fugitiue.

155

Comme ta femme elle s’en vient hauteine

Auec ce dot de guerre ouuerte & pleine.

Que s’il la faut, pour le mieus, aus Grecs rendre,

De tes parens tu le pourras aprendre:

Conseille toy auec ton frere Hector,

160

Deïphobus, Pulydamas encor:

Va au conseil vers Antenor le sage,

Et vers Priam, qui ont age & usage.

C’est cas bien laid d’aymer femme rauie

Plus que l’honneur, le païs, & la vie,

165

Ta causa [sic pour cause] est vile, & un chacun estime

Que tu mari la cause est legitime.

Quand tu voudrois, encore n’est vray semblable

Qu’Heleine soit ton espouse fiable

Que si soudein s’adonne à te complaire.

170

Comme ne peut Menelaüs se taire

Qu’elle ha son lict violé & laißé

Pour un etrange, & s’en sent ofensé:

Certes ainsi Paris, tu te pleindras,

Et à ton tour en tel estat viendras.

175

La chasteté depuis qu’elle est perdue

Ne se recouure, & iamais n’est rendue.


Mais elle t’ayme: außi fit elle bien

Menel [p. 94] Fac-simile de la page 94 ENONE

Menelaüs, le trop bien mari sien,

Qui ore est seul en son lict sans sa femme.

180

Andromaché ie di eureuse dame

Qui est bien iointe à un mari feal:

Tu te deuois mirer d’estre loyal

Comme ton frere, & bon espous fidelle

Estre enuers moy, comme il est enuers elle.

185

Tu es leger plus que fueille essoree

Que le vent chasse & matin, & seree:

Et y ha plus en toy de legerté

Qu’en paille seiche au fort soleil d’esté.


Cassandre

Ces choses ci ta seur me predisoit

190

(Bien m’en souuient) quand ainsi me disoit,

(Ayant espars tous ses cheueus au vent)

Ha, que fais tu, Enone, tant souuent?

Pourquoy ton grein semes tu au riuage?

Auec tes beufs tu fais vain labourage.

195

Ie connoy bien, & ay certein indice

Que meintenant vient la Grecque genice,

Qui destruira le païs ça & là,

Et toy auec: sus, cours, empesche la:

Meintenant vient celle Grecque genice.

200

Quand vous pouuez, & le temps est propice,

N’atendez plus, O Troyens, mais de bref

Enfondrez moy la tant infame nef:

Metapho
re.

O que de sang des Troyens elle porte!


Lors qu’elle eut dit & crié de la sorte,

205

En son esprit deuinant transportee,

Ses [p. 95] Fac-simile de la page A PARIS. 95

Ses dames l’ont surprise, & arrestee:

Mesme au milieu des propos l’arresterent:

Mais à moy (las) mes cheuueus blonds dresserẽt.


Ha, que tu as à moy pleine d’oppresse,

210

Esté bien trop vraye deuineresse.

Metapho
re.

Celle genice ores tient, & vient paitre

Les chams, & bois ou ie deurois bien estre.

Combien qu’elle ayt grand beauté renommee,

Elle est pourtant ribaude, & diffammee:

215

Elle ha laißé de son païs les Dieus

Pour l’estranger, qu’elle honore trop mieus.

Premierement hors son païs de Grece

Vous la tira Theseus en sa ieunesse:

Ie ne say quel Theseus (si ie ne faus)

220

L’a pourmenee & par monts, & par vaus.

C’est à sauoir rendue sois la belle

Par un ieune homme espris d’ardeur, pucelle?

Quiers tu comment si bien le say? car i’ayme.

Que si ce fait tu veus couurir toymesme

225

Dessous le nom d’effort, & violence:

Ie te respon que c’est raison qu’on pense

Qu’elle, qui est souuent rauie ainsi,

Consentoit bien d’estre rauie außi.

Mais se meintient Enone en chasteté,

230

Quand son mari fait tour de lacheté.

Et toutefois par ta façon de faire,

En t’ensuiuant ie pouuois bien forfaire.

Maint chaud Satyre aus chãs m’a pourchassee,

De [p. 96] Fac-simile de la page 96 ENONE

De piedz leger, es bois i’estois cachee.

235

Et le Dieu Faune auec son chef cornu,

D’un Pin pointu enuironné, tout nu

Me poursuiuoit sur le plus haut coupeau

Du mont Ida. Außi Phebus le beau,

Qui tient sa harpe, & qui ha bati Troye,

240

Mon pucelage ha raui pour sa proye

Non sans debatre, & son poil testonner,

Pareillement non sans l’esgratigner:

Et ne lui ay demandé d’auantage

Bague, ou argent pour le mien pucelage.

245

C’est cas trop laid que fille estant issue

De noble lieu, soit par dons corrompue.

Lui me montra, pensans que i’estois dine,

Tout le secret de l’art de medecine:

Herbe, & racine il m’a communiquee,

250

Et à telz dons ha ma apliquee.

Toute herbe est mienne, & racine croissant,

Qui peut seruir à tout corps languissant.

O le malheur qu herbes pouuoir n’ont point

Dessus le mal d’amours, qui tant me poind!

255

Ie qui entend l’art de medeciner,

Ores me voy de l’art abandonner.

Außi lon fait par tout bruit manifeste

Que l’inuenteur ayma iadis Alceste,

Lors que garder les vaches il alla:

260

Et puis encor de mon amour brula.

Ce que ne peut la terre aucunement

Par [p. 97] Fac-simile de la page A PARIS. 97

Par herbe & grains, ni außi mesmement

Phebus le Dieu de toute herbe & racine,

Tu peus donner à mon mal medecine:

265

Tu le peus bien, & i’en suis digne außi:

Aye pitié, digne suis de merci.

Auec les Grecs ie ne t’aporte pas

Guerre cruelle, & des maus un grand tas:

Mais ie suis tienne, & des ma grand ieunesse

270

Ie l’ay esté, & prie estre sans cesse.


Fin de l’epitre d’Enone
à Paris.

ANNOTACIONS
sur la precedente epitre
d’Enone à Paris.
*

Les hestres sont gardans encor mes noms

Taillez en eus.


L’arbre que lon dit Fagus en Latin, on l’a-
pelle en François Hestre ou Fau, & pour le
diminutif, Fauteau: qui autrement son mal
prononcez, par, o, en la premiere syllabe.

Vn bien grand roc regarde loin en mer,

Qui fut un mont.


Le Poëte dit ceci, selon l’opinion de ceus
qui pensent que les choses sont transmuees
g de [p. 98] Fac-simile de la page 98
de l’une en l’autre, auec le tems, par les ele-
mens: & qu’en ce point l’ordre & l’estat de
ce monde se change. voyez les Meteores
d’Aristote, & les questions naturelles de Se-
necque . Il y ha semblable passage en l’epitre
d’Ariadne
, sur le commencement. Le trans-
lat porte ainsi

Vn mont y eut auquel peu d’arbres croissent,

Et au sommet bien clers y aparoissent,

C’est un Rocher, &c


Et si rempli toute la sainte place

Du mont Ida, de mes cris, & mes pleints:


Le mont Ida, estoit consacré à la Deesse
Cybele, pource le Poëte l’apelle sainte place.

Qui auec toy par mer t’ameine celles

Lices, laissans leurs vrays espous fidelles:


Enone use de ces deus pluriers lices, & ma-
ris fideles, au lieu de singuliers, à fin de faire
plus grand honte & vergongne à Paris, car
le plurier ha plus grande vehemence.

Ie n’ay esgard à ta grande noblesse,

Ne que ie sois nommee une Princesse

Entre plusieurs des Bruz de Priam Roy.


Priam Roy de Troye la grande, estoit pere
de Paris, & Hecuba estoit sa mere. Ainsi dõq
si Enone eust esté femme de Paris, par mes-
me moyen elle eust esté la Bru, ou belle fille
de [p. 99] Fac-simile de la page 99
de Priam & de Hecuba.

Que s’il la faut, pour le mieus, aus Grecs rendre,

De tes parens tu le pourras aprendre:

Conseille toy auec ton frere Hector,

Deiphobus, Pulydamas encor.


Les parens de Paris estoient quasi tous d’o-
pinion de rendre Heleine, plustot que souf-
rir guerre pour elle.

Ces choses ci ta seur me predisoit

(Bien m’en souuient) quand ainsi me disoit.


Cassandra seur de Paris estoit prophete, ou
deuineresse: & auoit predit le rauissement
d’Heleine, & la grand’ guerre qui en deuoit
ensuiuir, mais à ses dits l’on n’aiouta point
de foy.

Ie connoy bien, & ay certein indice

Que meintenant vient la Grecque genice

Qui destruira le païs ça & là.


Par la genice, sous la figure de metaphore
le Poëte entend Heleine.

Me poursuiuoit sur le plus haut coupeau

Du mont Ida.


Ida est un mont, non loin de la ville
de Troye, lequel on apelle encor à present
du mesme nom, Ida.

Außi lon fait par tout bruit manifeste

Que l’inuenteur ayma iadis Alceste,

Lors que garder les vaches il alla:

g 2 Et [p. 100]
Fac-simile de la page 100

Et puis encor de mon amour brula.


Enone veut dire que ce n’est point mer-
ueille, si elle ne peut par son art de Medeci-
ne remedier à ce feu d’amour qui la brule,
atendu que le mesme inuenteur de Medeci-
ne y ha bien esté suget. Sur quoy faut enten-
dre que Iupiter estant courroussé de ce que
Hippolyt, tiré en pieces par ses cheuaus
recouura la vie, par Esculape, à la faueur
de Diane (comme s’il apartenoit à autre
qu’audit Iupiter, de donner la vie) il tua
Esculape de sa foudre. Puis apres Apol-
lo (autrement dit Phebus, inuenteur de
Medecine) pere d’Esculape, batit les Cy-
clopes, qui auoient forgé ladite foudre à
Iupiter: dont derechef Iupiter courroucé,
priua Phebus de Deïté par l’espace de
neuf ans: durant lequel tems on dit qu’il gar-
da en Thessalie, à present Thumenestrie, les
troupeaus du roy Admetus: & illec fut
esprins de l’amour d’Alceste,
femme dudit Roy
Admetus.
*

[p. 101] Fac-simile de la page 110 [sic pour 101] [Bandeau]

PREFACE SVR
L’EPITRE DE HI-
PSIPHYLE A
IASON.
*

POVR mieus entendre le suget de cet-
te epitre, faut sauoir qu’Athamas foy
de Thebes, fils d’Eolus, eut premierement
Nephele pour femme, de laquelle il eut fils
& fille, Phryxus & Helle. Or Nephele estant
conuertie en une nuee, & faite Deesse, il
print une autre femme nomme Ino, fille
de Cadmus: laquelle ayant en hayne les en-
fans de son mari, à la coutume des maratres,
fit cuire des blez, puis les bailla à semer aux
laboureurs, & comme cette anne là, les
chams n’ussent rien r’aporté, & qu’il y eust
grande famine de blez, on enuoya un pre-
stre qui s’enquerroit à l’oracle des Dieus
pour le remede de cet inconuenient. Mais
le prestre estant suborné, & corrompu par
Ino, de laquelle il auoit prins argent, raporta
que l’oracle demandoit que Phryxus & Hel-
lé fussent tuez en sacrifice, pour appaiser l’i
re des Dieus. Laquelle chose Athamas diffe-
g 3 ra [p. 102] Fac-simile de la page 102
de faire: mais en fin, par le consentement
de toute la ville, & de la necessité urgente,
quand il eut mis deuant les autelz Phryxus
& Hellé tous bendez, & prests d’estre sacri-
fiez, Nephelé leur mere en sa nuee descen-
dant vers eus, leur commanda de fuir, &
leur bailla un belier ayant sa laine d’or, pour
les porter dela la mer: mais Hellé, la fillette,
estant en creinte, & ne se tenant pas ferme
sur le belier, tomba en la mer, & donna son
nom à la mer ou elle tomba, qui ha depuis
esté apellée Hellespont, que nous disons en
François, les bras saint George, les autres
l’appellent l’estroit de Callipoli, ou le Castel-
le. Phryxus allant tousiours sur le belier, en
fin paruint en Colchos, ou il sacrifia le be-
lier & pendit la peau auec sa laine d’or au
temple de Mars, combien que lon dit & es-
crit communément & abusiuement, le mou
ton à la laine d’or. Apres cela quand eeta re-
gnoit aut païs dit le Pont, il eut response, par
oracle qu’il mourroit alors que cette laine
d’or seroit prinse des estrangers arriuez par
mer. Et à cette cause il se montra de grande
cruauté en sacrifiant les passans, & gẽs estran
gers, àfin que sa cruauté estant en ce point
par tout renommee, tous les estrangers se
gardassent de venir, & aprocher de son païs,
& de [p. 103] Fac-simile de la page 103
Dionys.lib. 2. hist. & de rauir la toison d’or. Et mesme enui-
ronna le temple de Mars de grans murs, &
y mit grosse garde qu’il fit venir de Thauri-
que. Sur quoy les Grecs ont feint beaucoup
de choses, q les taureaus gettans feu estoient
au tour du tẽple, & que la toison d’or estoit
gardee par le serpent tousiours veillant: la-
quelle quiconque eust voulu emporter &
rauir, il lui conuenoit premier endormir le
serpent, dompter les taureaus gettans feu
par les narines: getter & semer les dents du
serpent, desquelles sortiroient des gens ar-
mez, contre lesquelz faudroit batailler. Or
ce tems là, Pelias frere de Eson, qui fut
pere de Iason, n’auoit aucun enfant masle, &
regnoit en Thessalie, à present Thumene-
stie. Et Iason fort & adextre, & de grand
courage, desirant faire quelques grans faits
belliqueus à l’exemple des predecesseurs,
mesmement de Perseus & d’autres, qu’il en-
tendoit auoir acquis louenge immortelle
par entreprises, & bonnes issues de guerres
lointeines, declara son vouloir & desir à son
oncle le Roy Pelias, qui y consentit, nõ pour
acroitre l’honneur & renom de Iason, mais
par ce qu’il esperoit que Iason mourroit en
cette entreprise. Car luy voyant qu’il n’auoit
aucuns enfans masle, creingnoit que son
g 4 frere [p. 104] Fac-simile de la page 104
frere Eson, aydé de la force, & prouesse de
son filz Iason, machinast de le getter hors de
son royaume. Et d’auantage il estoit fort
troublé de l’oracle qu’il auoit entendu, c’est
qu’il ourroit bien tot apres que quelcun
seroit suruenu le pied nu vers lui sacrifiant à
Neptune le sacrifice annuel: & estoit auenu
que comme il sacrifioit, Iason estoit arriué,
ayant un pied nué, duquel il s’estoit deschaus-
sé par ce qu’il l’auoit plongé en l’eau ou fan
ge du fleuue Anaurus. Ainsi donq Pelias, te-
nant cette creinte & doute secrettement en
son cœur, promit à Iason qu’il lui ayderoit,
s’il vouloit aller conquerre la toison d’or.
Lors Iason contre la cruauté des gens barba-
res qui habitoient au païs du Pont, se prepa-
ra, & equippa. Et premierement aupres du
mont Pelion batit un nauire trop plus grand
qu’il n’y en auoit point encor eu: Car alors
on n’usoit que de petites barques. Le bruit
espandu par toute la Grece de ce grand na-
uire que Iason faisoit faire, plusieurs ieunes
gens, esmerueillez de ce, vindrent voir le na-
uire, dont les plus vaillans s’offrirent d’eus
mesmes de voyager, & batailler. Apres que
la nauire fut mis en mer, fourni de muni
-cion entiere, Iason eslut de tous ceus qui vou
loient auec lui voyager, cent cinquante qua-
tre [p. 105] Fac-simile de la page 105
tre des plus vaillans, entre lesquels les plus
renõmez sont Castor, Pollux, Hercules, Te-
lamon, Orpheus. Le nauire fut nommé Ar-
go, du nom de l’ouurier qui le fabriqua,
comme aucuns ont escrit: les autres dient
qu’il fut ainsi nommé pour sa legereté: Car
Argos, en Grec, sinifie leger. Sõ gouuerneur
& patron fut Tiphis: Les compagnons de Ia-
son du nom du nauire furent nommez Ar-
gonautes. Iceus donc departans de Pagase
qui est en Thessalie, vindrent en l’Isle de
Lemnos, à present Stalimni: ou Iason eut
acointance auec Hipsiphyle, fille du roy
Thoas, laquelle pour lors estoit Royne de
ce lieu, & seule gouuernoit. Car les femmes,
par conseil pris entre elles, auoient tué tous
les hommes en une nuict, excepté le roy
Thoas, que Hipsiphyle, sa fille, auoit sauué,
feingnant qu’il estoit mort. Quand Iason eut
demouré deus ans auec Hipsiphyle, il fut
contreint, tant par ses compaignons, que par
le tems qui le pressoit, d’acomplir son entre-
prise de faire voile plus outre: & delaissant
Hipsiphyle enceinte, & lui baillant la foy de
retourner vers elle, nauiga en Colchos: ou
il trouua Medee, qui l’auertit de la cruauté
de son pere: & qui luy promit ayde pour en-
dormir l e serpent, & veincre les taureaus.
g 5 Alors [p. 106] Fac-simile de la page 106
Alors Iason lui promit qu’il ne prendroit ia-
mais autre femme. Ainsi Iason cõquit la toy-
son d’or, & ayant victoire par le moyen de
l’art, & secours de Medee, il emmena ladite
Medee auec luy. Ce que etant venu en la
cõnoissance de Hipsiphyle, elle faschee de ce
q Iason l’auoit laissee, & en auoit prise &
preferee une autre, lui enuoya cette epitre,
par laquelle se dit estre ioyeuse du retour de
Iason en santé, & de sa victoire, & conqueste:
puis se cõpleint qu’il l’a laissee pour prendre
Medee, & s’efforce la mettre en haine, & mes
pris enuers lui, remontrant qu’elle est cruel-
le, superbe, paillarde, & sorciere. La fin fut
telle q Iason iamais ne la reprint pour fem-
me: Et les femmes de Stalimni, connurent
qu’elle auoit eu deus enfans masles de Iason,
lesquelz contre leur loy elle faisoit nourrir:
& comme de ce on la vouloit punir, elle s’en
fuit en une petite barque, mais fut prise
des brigans de mer qui la donnerent à Ly-
curgus, roy de Nemee, qui lui bailla son fils
Opheltes à nourrir. Puis quand les Princes
retournoiẽt de la guerre de Thebes, & quasi
mouroient de soif en la forest Nemee, la
rencontrerent, & prierent les adresser à une
fonteine nommee Langie, ou elle fut inter-
roguee de Adrastus, roy des Grecs, qui elle
estoit: [p. 107] Fac-simile de la page 107
estoit: & comme elle fut long tems à res-
pondre à toutes les choses qu’on lui deman-
doit, l’enfant Opheltes, quelle auoit lai-
sé se iouant entre les fleurs & herbes, fut
mords d’un serpent. Mais, en deuisant
auec Adrastus, Thoas & Enneus, qui e-
stoient auec lui, reconnurent qu’elle estoit
leur mere. Parquoy fut secourue du roy
Adrastus, & de ses enfans, contre Lycurgus,
qui la pourchassoit pour la faire mou-
rir, apres qu’il eut entendu la for-
tune de son enfant. De ses
faits plus outre ie
n’en ay rien
leu.

[Fleuron] [p. 108] Fac-simile de la page 108 [Bandeau]

TRADVCCION
DE LA VI. EPITRE
D’OVIDE.
Hipsiphyle escrit à Iason.

[Figure]

EN Thessalie on te dit, O Iason,

Estre arriué, riche de la toison

Du mouton d’or: que de si longue voye

Retourné sois sain & sauf, i’en ai ioye

5

Autant, sans plus, que tu me eus permettre.

Mais toutefois par un mot de te lettre

Ie deuois bien ia cela auoir sù:

Car tu pouuois vent à gré n’auoir eu

A ton retour, qui t’auroit destourné,

Qu’en [p. 109] Fac-simile de la page HIPSIPHYLE A IASON. 109 10

Qu’en mon païs ne serois retourné,

(Promis à toy sous nom de mariage)

Quoy que deça dressasses ton voyage.


Quelconque vent contraire que tu visses,

Ie valois bien qu’un mot tu m’escriuisses.

15

Pourquoy plus tot ay sù par le renom,

Que par la lettre ou seroit mis ton nom,

Comment de Mars domptas les sacrez beufs,

Et sous le ioug les rengeas deus à deus?

Que la semence en terre estant gettee,

20

Vne moisson d’hommes vifs est montee:

Comment außi ia ne te fut besoin

Pour les tuer, prendre l’espee au poing:

Comment (ainsi qu’on bruit en meint endroit)

Le fier dragon, tousiours veillant, gardoit

25

La toison d’or, que nonobstant as prinse

Par ta main forte, & à hauts faits aprinse?

Si ie disois, à meint qui douteroit,

Il me l’escrit, quel honneur me seroit?

Mais que me plains-ie auoir mari qui cesse

30

Trop à m’escrire? Assez grand plaisir m’est ce

Tant seulement si tienne ie demeure.


Vne estrangere on fait bruit à cette heure,

Voire & sorciere, estre auec toy venue,

Qu’as pour ta femme en mon lieu retenue.

35

Il est bien vray qu’amour croit de leger:

Que plaise aus Dieus qu’en te voulant charger

De crimes faus, ie sois dite legere.


Ces [p. 110] Fac-simile de la page 110 HIPSIPHYLE

Ces ious passez de contree estrangere

Chez moy venoit un homme de Thessale:

40

A peine entroit: que tout haut de ma sale

Criay, que fait le mien ami Iason?

Lui tout honteus ne me rendoit raison:

Mais seuelement fichoit ses yeus en terre.

Tout außi tot vers lui ie cours grand erre,

45

Et deschirans, par ire & forte main,

Incontinent de ma robbe le sein,

Ie m’escriay, en disant de la sorte,

Vit il encor? ha außi ie suis morte.

Il vit, (dit il.) Lors pour mieus m’assurer,

50

Lui tout creintif i’ay contreint me iurer:

A peine ay creu, auec son grand serment,

Qu’encore tu sois en vie seurement.

Et außi tot que le cœur me reuint,

De l’enquerir de tes faits me souuint.

55

Dessus le champ me conta amplement

De toutes tes faits: en premier lieu comment

Les puissans beufs de Mars (le Dieu de guerre)

Aus piez d’erein labourerent la terre.

Comment par toy les dents du dragon furent

60

Semez en terre, & tot gens armez creurent:

Comment ces gens qui de terre estoient nez

Leurs cuors de vie à un iour destinez

Ont mis à fin bien miserable, & vile,

Entretuez par bataille ciuile:

65

Puis le dragon veillant tu as veincu.

I’en [p. 111] Fac-simile de la page A IASON. 111

I’enquier encor comment tu as vescu

Entre ces cas: si que l’espoir, & doute

Font que ie croye, & außi que i’en doute.


En racontant chacune chose ainsi,

70

D’ardeur de dire, il vient à ce point ci

De descouurir ton ofense enuers moy.

Helas ou est ta promesse, & ta foy?

Ou est la Loy, & droit des espousailes?

Et le flambeau plus propre aus funerailles?

75

Tu n’as pas eu de moy la iouissance

Faite en cachette, & par mauuaise usance:

Iuno y fut, dame des mariages

Auec Hymen, plein de fleurs, & fueillages:

Mais ne Iuno, n’Hymen pareillement,

80

Ains la furie y porta, laidement

Pleine de sang, flambeaus maudits, & sales.


Mais quelle afaire auois ie des Thessales?

Ni de leur nef? & puis dedens ma terre

Que venois tu, ô Typhis Nocher, querre?

85

Ici n’estoit votre esperé thresor,

Le beau monton auec sa laine d’or.

Limno n’estoit la maison possedee

Du vieil Eta le pere de Medee.


Ie proposois par nous femmes außi

90

Premierement vous dechasser d’ici:

(Mais me tiroit mon malheur au contraire)

Nous sauons bien außi la guerre faire,

Les hommes veincre: ainsi par forte voye

Sau [p. 112] Fac-simile de la page 112 HIPSIPHYLE

Sauuer de toy ma vie ie deuoye.


Iason. 95

Or áy ie donq l’homme en ma vile vù,

En mon palais, & en mon cœur receu:

Auecques moy ici tu as esté

Par double yuer, außi par double esté.

La moisson tierce estoit, quand toy contreint

100

De faire voile, auec pleurs tu t’es pleint.

Disant ainsi, Hipsiphyle, m’amour,

Aller m’en faut: si ie vi au retour,

Tousiours auras loyal espous en moy,

Qui ton espous me depars dauec toy:

105

Le fruit de nous, caché dedens ton ventre,

Prospere soit, & vif en ce monde entre,

Dont ie sois dit le pere, & toy la mere.

Et cela dit feingnant douleur amere,

Tes pleurs couloient dessus ton faus visage,

110

Si que ne puis rien dire d’auantage.

Dernier montas en ton sacré nauire,

Qu’incontinent voler on eust pù dire:

Le vent singlant tes voiles emplissoit,

Et à ta nef toute onde obeissoit:

115

Tu auois l’œil en terre, & moy en mer.

Lors ie m’en vais en pleurant bien amer,

Monter la tour en place descouuerte,

Et qui sur mer ha vuë bien ouuerte.

Parmi mes pleurs ie voy plus loin, & mieus,

120

A mon desir fauorisans mes yeus.


I’ay fait pour toy meinte priere sainte:

Pour [p. 113] Fac-simile de la page A IASON. 113

Pour ton retour i’ay fait mes vœus en creinte,

Que pour toy saufores doy acomplir.

Quoy, acomplir? pour Medee remplir

125

De ses desirs, mon poure cœur se deult,

Et mon amour, meslé d’ire, me meut.

De porter dons au temple auráy ie enuie

Pource que pers Iason tout plein de vie?

Sera frapee, & mise à mort la beste,

130

Pour le malheur qui dessus moy s’arreste?

Certes außi onques ne fut bien seure,

Ains ie doutois de son pere à toute heure,

Qu’il lui donroit une dame de Grece:

Grecques creingnons, mõ mal d’ailleurs s’adresse:

135

De l’ennemi de qui ie n’auois doute,

Amerement ie suis nauree toute.

Vne étrangere ha mon cœur tourmenté,

Qui ne te plait pour bien fait ni beauté:

Mais te fortrait, & de toy est aymee

140

Par t’enchanter. De sa serpe charmee

S’en va copant meinte herbe qu’elle enchante:

D’atraire en bas la lune resistante,

Auec son cours, ha par fort attenté,

Et d’offusquer du soleil la clarté.

145

Les eaus arreste, & les fleuues tortus:

Rochers, & bois tirez, & abatus,

Sont de leur lieu en autre lieu passez:

Elle connoit les os des trespassez:

Comme enragee elle vous court souuent,

h L’habit [p. 114] Fac-simile de la page 114 HIPSIPHYLE 150

L’habit desceint: & les cheueus au vent,

Par les tombeaus: dens la cendre amortie,

Des mots brulez, certeins os elle trie,

Les gens absens par son sort met en rage:

Elle vous fait de cire meinte image,

155

Que de poingnante aguille amerement,

Elle vous pique au foye viuement:

Et (ce que mieus i’aymasse ne sauoir)

Par l’herbe vieut atirer, & auoir

L’amour tant dine, & qui s’aquiert trop mieus

160

Par bonne meurs, & beau corps gracieus.


La peus tu bien embrasser de bon zelle,

Et en un lict t’endormir auec elle

De nuict sans creinte? Ha, par ses mots sorciers

Le ioug te met, ainsi qu’aus taureaus fiers.

165

Par mesme sort que les serpens apaise,

Elle te vainc, & en ioue à son aise.

Entre les preus nommer elle se fait,

Et prend außi l’honneur de ton haut fait:

L’espouse nuit au bruit de son espous.

170

Desia aucuns font bruit à tous les coups,

Qui vont tenant de Pelias la part,

Que tes hauts faits viennent de magique art.

Le peuple croit cela, & par tout crie,

Ce n’est Iason, ny sa force hardie

175

Qui ha conquis la toison d’or, non, non:

Mais c’est Medee, en charme ayant renom.


Alcimede.

Certes ce bruit ne plait point à ta mere,

(Dem [p. 115] Fac-simile de la page A IASON. 115 Eson.

(Demande luy) ni außi à ton pere,

A qui vient bru de froide region.


180

Medee prenne en son septentrion

Vn sien espous, depuis Tanaïs, fleuue,

Iusqu’en Colchos, quelle en cherche, et en treuue:

Vers la Scythie entre les marescages

De son païs, fasse ses mariages.


185

Iason leger, & de cœur plus muable

Que n’est le vent du Primtems variable,

Pourquoy n’ont point tes paroles de foy?

Tu t’en partis mon espous d’auec moy:

Pourquoy n’es tu mon espous reuenu?

190

Ie sois espouse à Iason sauf venu,

Comme ie fus à Iason departant.


Si la noblesse, & hauts noms tu quiers tant,

Voici, ie suis de Thoäs engendree

Bacchus ayeul sa femme ha decoree

195

D’une couronne, & d’estoilles luisantes,

Qui vont passant d’autres moins esclerantes.

Quant à mon dot, pren Stalimni mon Isle,

Bonne au labeur, & terre bien fertile.

Meintenant donq voulant ces entendre,

200

Tu me peus bien auec ces choses prendre.

I’ay d’auantage enfanté en faison,

(De toy & moy resioui toy Iason)

Et pour l’amour qu’au pere ie portois,

Estant enciente, alors certes i’estois

205

De douce charge alaigrement chargee:

h 2 Heur [p. 116] Fac-simile de la page 116 HIPSIPHYLE

Heureuse encor, de deus suis deschargee:

Par la faueur de Iuno, deus gemeaus

Thoas, &
Eunæes.

I’ay enfanté, ce sont deus garsons beaus:

A qui ils sont semblables, si tu veus

210

Le demander, on te connoit en eus:

Ils ne font point faus tour, ne vitupere,

Au reste ils sont semblables à leur pere.

Lesquels enfans (tu n’en dois point douter)

I’ay presque fait par deuers toy porter,

215

Ambassadeurs pour leur mere: mais elle

Medee.

M’en destourna, la maratre cruelle.

I’ay creint Medee, elle est plus que maratre.

Sa main est faite à tout forfait s’esbatre.

Celle enragee à toutes hardiesses,

Absyrtus. 220

Qui par les champs getta son frere en pieces,

A mes enfans ne feroit point de mal?

Ce nonobstant, O fol & desloyal,

Par les poisons de Medee fortrait,

De moy à elle on dit qu’eschange as fait.


225

Par deshonneur cette ieune paillarde

Auecques toy sa chasteté hazarde:

Mais nous ha ioints le chaste mariage.

Eeta.

Son pere elle ha trahi d’un faus courage,

Pour te suiuir, & la toison rauie:

Thoas. 230

Et i’ay sauué à mon pere la vie.

Colchos laissa, de son pere la vile,

Lemnos.

Et ie demeure en Stalimni mon Isle.

Mais que me sert tout ce, quand la meschante

Passe [p. 117] Fac-simile de la page A IASON. 117

Passe la bonne? & celle qui enchante,

235

Et qui de sort, & de crime est dotee,

De mon mari est trop mieus acointee?


Quant est du fait des femmes de Lemnos,

Pour t’y respondre, ô Iason, en deus mots,

Ie te diray que mon cœur le reprouue:

240

Ie ne l’ensuy, & außi ne l’aprouue:

Mais despit quiert tout moyen de vengence.


Or respons moy, o Iason, quand i’y pense,

S’il eust esthé ainsi que vent contraire

T’eust ci chaßé, comme il deuoit bien faire,

A ton de-
sir.
245

Et qu’en mon port, ta compagne auec toy,

Fusses entré, & lors pleine d’esmoy

Ie fusse auec mes deus gemeaus venue

(Prirois tu pas le terre estre fendue

Pour t’engloutir?) meschant, de quelz meintiens

250

Eusses tu pù me voir auec les miens?

O desloyal, & de mercy indigne,

De quel tourment, & mort estois tu digne?

Or de par moy tu fusses en seurté,

Non pas pourtant que tu l’as merité,

255

Ains c’est pourtant que suis facile, & douce:

Mais la meschante eut bien eu la secousse:

I’eusse rempli de son sang mon visage,

Le tien außi, que par son faus bruuage

El’ m’a fortrait: brief de grand rage aydee,

260

Vne Medee eusse esté à Medee.


Que s’il y a ha quelque Dieu tout parfait,

h 3 Qui [p. 118] Fac-simile de la page 118 HIPSIPHYLE

Qui de là sus entende mon souhait,

Comme se pleint Hipsiphyle ainsi fasse

Celle qui tient en notre lict ma place:

265

Que le tourment par droit sente, & l’ennui

Tel qu’elle fait le sentir à autrui:

Et comme suis d’espous desheritee,

Mere de deus enfans d’une portee:

Laisse soit de son espous ainsi

270

Quand elle aura eu deus enfans außi:

Et ce qu’elle ha acquis iniustement,

Ne lui demeure, ains perde pirement:

Banie soit, & coure vagabonde,

Sans nul repos trouuer par tout le monde.

275

Comme elle ha fait tout de sœur à son frere,

Absyrte.

Comme elle ha fait tour de fille à son pere,

Eta.

Cruelle soit (par mon souhait & cri)

A ses enfans, außi à son mari.

Quand elle aura tousiours couru grand erre,

280

Enuironné & la mer, & la terre,

Parmi l’air vole, & n’ait point de surté,

Mais desespoir, & toute maleurté:

Et pour la fin se souille de son sang?


Brief ie qui suis fraudee de mon rang

285

De mariage, ainsi dresse mes vœus:

En mariage or viuez malheureus.


Fin de l’Epitre de Hipsiphyle à Iason, qui est la sixieme.

[p. 119] Fac-simile de la page 219 [sic pour 119]

ANNOTACIONS
sur l’Epitre de Hipsiphy-
le à Iason.
*

Ou est la Loy, & droit des espousailes?

Et le flambeau plus propre aus funerailles?


En ce tems là on alloit espouser auec un
flambeau ardent.

Lemnos n’estoit la maison possedee

Du vieil Eta le pere de Medee.


L’Isle de Lemnos, est à present nommee
Stalimni, ou Stalimene, & encore Limno,
n’ayant gueres changé de son nom antique.
Elle est situee entre Thrace et Euboee, que
lon dit à present Romanie, & Negrepont.

Dernier montas en ton sacré nauire,

Qu’incontinent voler on eust pù dire.


Le nauire de Iason, auoit nom Argo, & le
Poëte l’apelle sacré, par ce qu’il estoit souz la
sauuegarde de Minerue, autremẽt dite Pallas.

La peus tu bien embrasser de bon zele,

Et en un lict t’endormir auec elle

De nuict sans creinte?


Lon peut aussi dire, de nuict en creinte,
car d’aucuns exemplaires Latins ont, Impa-
uidus , & les autres ont, Iampauidus.

Desia aucuns font bruit à tous les coups,

h 4 Qui [p. 120] Fac-simile de la page

Qui vont tenant de Pelias la part,

Que tes hauts faits viennent de magique art.


Pelias estoit oncle de Iason, qui ne l’ay-
moit pas, ains ne demandoit que la mort de
son nepueu, pour les raisons que i’ay dites en
la preface de la presente epitre.

Medee prenne en son Septentrion:

Vn sien espous, depuis Tanaïs, fleuue,

Iusqu’ẽ Colchos, quelle en cherche, et en treuue.


Le fleuue que lon disoit anciennement
Tanaïs, on le nomme à present en langage
Turc, le Tana: en Tartare, Don, & Reschan.

Si la noblesse, & hauts noms tu quiers tant,

Voici, ie suis de Thoäs engendree:

Bacchus ayeul sa femme ha decoree

D’une couronne, & d’estoilles luisantes,

Qui vont passant d’autres moins esclerantes.


Thoäs, pere de Hipsiphyle, fut fils de Bac-
chus . Voyez la fin de ma preface sur l’epitre
d’Ariadne à Theseus, qui est la dixieme, pour
sauoir de quelle couronne c’est que le Poëte
entend.

Quant est du fait des femmes de Lemnos,

Pour t’y respondre, ô Iason, en deus mots,

Ie te diray que mon cœur le reprouue,

Ie ne l’ensui, & außi ne l’aprouue.


Le Poëte entend de ce qu’elles auoiẽt tué
tous les hommes en une nuict, comme i’ay
dit [p. 121] Fac-simile de la page 121
dit en la Preface: le Latin porte,

Lemmiadum facinus culpo, non miror Iason:

Ce que l’on interprete, non imitor: com-
me,
miratoremq; Catonis
, id est
imitatorem
.
Et pourtant ie l’ay traduit, Ie ne l’ensui[.]

I’eusse rempli de son sang mon visage,

Le tien außi, que par son faus bruuage,

El’ m’a fortrait:


Le Poëte veult dire que Hipsiphyle eust si
bien esgratigné le visage de Medee, laquelle
lui auoit distrait par bruuages amatoires son
ami Iason, que le sang en fust sauté sur le
visage d’lle mesme Hipsiphyle, & aussi
de Iason.

Et comme suis d’espous desheritee,

Mere de deus enfans d’une portee,

Laisse soit de son espous ainsi,

Quand elle aura eu deus enfans außi.


Ces souhaits, & malediccions auiendrent:
car Iason delaissa Medee auec deus enfans, &
print à femme Creusa, fille de Creõ, Roy des
Corinthiens: & Medee s’enfuit en Athenes.

Et pour la fin, se souille de son sang.

Hipsiphyle souhaite que Medee se tue par
soymesme.

Fin de l’annotacion sur lepitre de Hipsi-
phyle à Iason.

h 5 PRE
[p. 122] Fac-simile de la page 122

PREFACE SVR
L’EPITRE DE DIDO
A ENEAS.
*

APres que la Troye fut destruite, Eneas
fils de Venus, & d’Anchises, laisa son
païs, fit faire des Nauires en la cité de Antã-
dre, apelee à present au païs, sancto Dimi-
tri: puis se mit sur mer auec son pere, son
fils Ascanius & ses Dieus domestiques, &
plusieurs Troyens. Premierement arriua en
Thrace, ou (comme plusieurs pensent) il
bátist une vile dite Ænus, à present Æno,
mais bien tot apres amonnesté de s’enfuir
par prodiges sines ou presages, & par l’auer
tissement de Polydorus, que Polymnestor
Roy de Thrace auoit iniquement uté, il s’en
vint en Delos, à present Sdiles, ou il eut re-
sponce de l’oracle d’Apollo, qui fut mal en-
tendue, & mal interpretee par son pere An-
chises. Et pource passant les Cyclades vint
en Candie, que Anchises pensoit estre la ter-
re fatale, & promise par l’oracle: Mais estant
là tourmenté de pestilence, fut en dormant
ammonesté par ses Dieus domestiques de
partir de ce lieu. De là vint aus isle Stropha-
des [p. 123] Fac-simile de la page 123
des, à present Striuali: & puis en Epire, à
present la Cimera, ou Epirotee: ou il fut
bien recu de Helenus Troyen: & fils de
Priam, qui en ce Royaume auoit succedé à
Pyrrhus. Puis de là vint en Calabre, dond il
departit incontinent espouuenté de la venue
de Diomedes, qui sont en la mer de Sicile, pro-
cheines du mont Ethna. De là enuironnant
la plus grande partie de Sicile, vitn en Dre-
panum, (c’est un mont de Sicile, qui s’estend
en la mer du coté de septentrion, à present
Drapani) & en Meleque, ou son pere mou-
rut, comme dit Virgile, auquel il fit la pom-
pe funebre, & dressa son sepulcre en Sicile:
puis (ayant reçu prouision de vin, & d’autres
choses necessaires de Acestes, Troyen, qui re
gnoit en Sicile) fit voile, querant l’Italie, la-
quelle il auoit entendue de Creusa sa fem-
me, & de l’oracle reçu en Delos, & de Hele-
nus, lui estre terre fatale, & promise par les
Dieus, mais par tẽpeste de mer, & tourmẽte
des vens, fut poussé en Libye, ayant perdu un
seul nauire de vingt qu’il auoit. De cas d’a-
uenture en ce tems là, (comme Virgile ha
feint, & apres lui Ouide) Dido, qui s’en estoit
fuye de Tyrus, (pour la cruauté & auarice de
Pygmalion son frere, qui auoit occis Sicheus
espous [p. 124] Fac-simile de la page 124
espous de Dido, pour auoir ses tresors,) ba-
tissoit en Libye une nouuelle vile dite Car-
thage, & auoit acheté de Hiarbas Roy de Ge
tulie, autãt de terre & de place qu’elle pour-
roit enuironner d’une peau de taureau, La-
quelle est estẽdit si long en petites conroyes
qu’elle comprint vingt deus stades de terre,
en quel espace elle batissoit sa vile. un stade
contenoit 125 pas (toutefois celui que Her-
cules courut, mõtoit 1130 & un Mile, comme
s’apellẽt les lieuës d’Italie, cõtiẽt huit stades.
Ainsi quãd Eneas fut venu vers elle, lui, & les
siens furent bien reçuz, & traitez. Et peu de
tẽs apres elle mit son amour en lui, & eut sa
cõpagnie. En test esta lui seiournant là, fut en
dormant auerti par son pere Anchises, & par
Mercure q Jupiter lui enuoyoit, de se depar-
tir de là, & faire voile en terre qui lui estoit
destinee. lui n’osant tenir ce propos de son de
partemẽt à la Royne Dido, & se preparãt se-
crettemẽt, la Royne s’en douta: & apres auoir
en vain trop prié Eneas de demourer, lui es-
crit cette epitre, cõme Ouide feint : par laqlle
s’efforce le retirer du propos de faire voile,
tãt par ce qu’il est hõneste & bien seant qu’il
demeure auec celle qui l’a biẽ reçu, biẽ logé
biẽ traité, & lui ha fourni, & aus siẽs, & se-
couru en toutes choses, & à laqlle il ha pro-
mis [p. 125] Fac-simile de la page 125
mis foy de mariage: cõme par ce qu’il sera
plus suremẽt auec elle, que de se mettre aus
dãgers de la mer tẽpestueuse, & pleine de va
gues, & aller chercher une terre incerteine,
laissant ceste ci, ou estoit Dido, seure & cer-
teine. Apres qu’elle ha recité ses bienfais en-
uers lui, le prie que, s’il ha conclu & arresté
de s’en aller, à tout le moins qu’il atende en-
cor un petit, tant que la tourmẽte de mer soit
apaisee: q s’il ne veut lui faire ce seul biẽ d’a-
tẽdre peu de tems, elle le menace, de se tuer:
ce quelle fit, car elle se tua de l’epee mesme
qu’Eneas lui auoit dõnee, voyant de sa haute
tour les Troyens departir & faire voile, cõ-
me escrit Virgile. Elle le menace aussi qu’elle
fera escrire un Epitafe sur son tombeau, qui
declarera cõmẽt Eneas est cause de sa mort.

Nonobstant Bocace en son liure des no-
bles & vertueuse Dames, escrit de la mort
de Dido autremẽt, & son honneur, la met-
tant au rãg des vesues chastes: & la verité est
aussi, qu’Eneas vint en Italie plus de cent ans
auant q Dido fust: & aussi Ausonius ha escrit
un epigrãme à la louenge de la pudicité d’el

le. Mais Virgile ha ainsi escrit de Dido, &
apres lui Ouide, en faueur de Cesar Auguste
& des Rommeins, & en defaueur & deshon
neur des Carthaginois, leurs anciẽs ennemis.

TRA
[p. 126] Fac-simile de la page 126 [Bandeau]

TRADVCCION
DE LA VII. EPITRE
D’OVIDE.
*
Dido escrit à Éneas..

LE cigne blanc chante ainsi au riuage

De Meander, dessus l’humide herbage,

Triste & seulet, pour dernier reconfort,

Lors qu’il se sent aprocher de la mort.


5

Ie ne te parle esperant te mouuoir,

Ains à malheur, & sans aucun espoir.

Mais du bienfait ayant perdu l’honneur,

Mon cœur & corps estant à deshonneur,

Ce m’est bien peu de perdre mes propos.


10

Tu as conclu, contraire à ton repos,

T’en aller loin sur mer tempestueuse,

Et delaisser Dido la malheureuse.

Les mesmes vents, soufflans dedans tes toiles,

Emporteront & ta foy & tes voiles.

15

Tu as conclu ces deus choses expresses,

De leslier tes nauz, & tes promesses,

O Eneas: & l’Italie te plait

Aller chercher, sans sauoir ou elle est:

Et ne te meut ni la neuue Carthage

20

Ses murs croissans, ni tout en son seruage,

Tu [p. 127] Fac-simile de la page A ENEAS. 127

Tu vas fuyant tes promesses ia faites,

Et en quiers faire autres par longues traites:

Tu vas chercher par le monde autre terre:

Cette ci est ia tienne sans conquerre.

25

Et bien, encor qu’en l’Italie tu viennes,

Qui te donra les préminences siennes?

Qui est celui, tant soit beste, qui donne

Si tot sa terre à l’estrange personne?

Ce que tu quiers c’est trouuer autre amour,

30

Autre Dido, pour lui iouer faus tour:

Et que ta foy soit encore promise

Pour la fausser, & la rompre à ta guise.

Quand pourras tu telle vile batir

Comme Carthage? & d’une haute tour

35

Voir tout au bas tes peuples alentour?

Que tout te vienne encor à tes souhaits,

Et qu’ils soient bien acomplis & parfaitz.

Ou prendras tu une femme qui t’ayme

Ainsi que moy d’ardante amour extreme?

40

Ie brule, ainsi comme torche de cire

Auec le soufre, ou comme on pourroit dire

L’encens qu’on gette au feu des mortuaires:

Et à mes yeus, à tout repos contraires,

Tousiours un seul Eneas se presente:

45

Le iour, la nuict Eneas represente

Dedens mon cœur continuellement,

L’ingrat & sourd, vù le bon traitement

Et [p. 128] Fac-simile de la page 128 DIDO

Et vù les dons, les graces & bienfaits

Que lui vueil faire, & que ia lui ay faitz:

50

Duquel außi bien vouloir ie deuroye

Le brief depart, si fole ie n’etoye.

Or nonobstant qu’il me veuille abuser,

De mauuais cœur ie ne lui puis user:

Mais ie me plains de son traytre courage,

55

Apres mes pleints ie l’ayme d’auantage.


Dame Venus mets hors cette misere

Ta belle fille: o frere Amour, ton frere,

Tant rigoureus, vien cherir, embracer,

Et à ton camp reduire & auancer:

60

Ou moy, qui ay l’amour encommencee:

(Car ne desdaigne amour en ma pensee)

Que lui außi mon amour ne desprise:

Ie suis trompee, & faussement se prise,

Venus.

Il est par trop à sa mere contraire.


65

Pierres & monts, & arbres qu’on voit faire

Sur hauts rochers & deserts leurs croissance,

Tygres cruelz, pleins d’outrage & nuisance,

T’ont engendré: ou la mer que tu vois

De vent esmue. Ou vas tu toutefois?

70

Ou t’enfui tu par contraire tempeste?

L’yuer facheus me fasse ores ce bien

Que quelque tems tu sois encores mien.

O Eneas, voy comme Eurus tourmente

Les flots de mer, par force violente.

Par [p. 129] Fac-simile de la page A ENEAS. 129 75

Par flots me soit cette grace venue,

Dont i aymerois trop mieus t’estre tenue.

Plus que toy sont flots & vents raisonnables,

Et à mon vueil plus prompts, & secourables.


Ie ne suis pas tant à desestimer

80

Qu’ailles mourir, me fuyant loin par mer:

Combien pourtant que ta grand’ lascheté

L’ayt desserui, & tresbien merité.

Tu as conçu vers moy une grand hayne,

Qui par trop cher te coute, & trop de peine,

85

S’il ne te chaut de mourir nullement,

Mais que de moy t’enfuies promptement.

Dedens briefs iours les vents s’apaiseront,

Et les Tritons en mer calme courront,

Estant montez sur leurs cheuaus bleuzuerts:

90

Que fusses tu comme les vents diuers

Ores muable. & le seras ainsi

Si tu n’es dur plus qu’arbre, & pierre außi.


Dea s’il estoit que ne sceusses que c’est

Que de la mer muable, & sans arrest?

95

Veus tu encor mettre en mer ta fiance,

Ou tant souuent as eu mauuaise chance?

Mais bien, iaçoit que la mer calme encores

Le desancrer te vousist permettre ores

Que tu pretens nauiguer, nonobstant

100

Si haute mer y ha des dangers tant:

Nul proufit n’ont, ains par trop se mescontent

Pariures gens qui dessus la mer montent:

i Ce [p. 130] Fac-simile de la page 130 DIDO

Ce lieu est propre à punir les pariures:

Et par sur tout les torts faits, & inures

105

Contre l’amour: Car des amours la mere

Nue fut nee en la mer de Cythere.


Ie crein de perdre un homme variable,

Qui m’a perdue, & m’a fait miserable:

Ie crein de nuire à celui qui me nuit:

110

Que l’ennemi, qui loin de moy s’enfuit,

Tombe en la mer en maints dangereus lieus.

Or sus vy donq: ainsi te perdray mieus

Que par ta mort: plus tot ie me propose

Que tu sois dit estre de ma mort cause.


115

Mais pren le cas (ce ne soit point presage)

Qu’en mer tu sois sur le point de naufrage,

Que feras tu? & à quoy penseras?

Incontinent en ta pensee auras

En mon endroit ta promesse faulsee,

120

Et faulsement Dido seule laissee

Par le Troyen, contreinte à mort non due.

L’esprit verras de ta femme deçue

Tout plein de sang, ayant cheueus espar:

Adonq les maus venans de toutes parts

125

(Ce diras tu) ie les ay meritez:

Faites moy grace, & plus ne m’agitez.

Les foudres lors qui sur toy tomberont,

Tu penseras que transmis te seront.


Donne relache à ton ire, & à celle

130

De la mer rude, en recompense telle

Que [p. 131] Fac-simile de la page A ENEAS. 131

Que tu feras trop plus seur nauigage.

Ie te diray encores d’auantage,

Iülus, A-
scanius .

Ton petit fils te retarde, non moy.

C’est bien assez d’auoir ce bruit sur toy

135

Que m’as liuree au point de mort prefix:

Qu’ont merité ni tes Dieus, ni ton fils?

Tes Dieus du feu de Troye deliurez,

Par vents seront en naufrage liurez:

Mais auec toy tu ne les portes pas:

140

Ains faulsement te vantes de meint cas,

Qu’ayes porté tes sacres, & ton pere:

Tu mens de tout: car ta langue profere

Non pas à moy les premieres mensonges:

Seule ne suis abusee en tes songes.


145

Si tu t’enquiers d’une chose sans plus,

Ou est la mere au beaus Iülus,

Ie dy qu’elle est morte seule en langueur,

Par son mari laissee en grand rigueur.

Tant de beaus cas de toy me racontois,

150

Lors, par pitié, tresbien ie te traitois:

Ce qu’as soufert pour l’auoir delaissee

Moindre sera que pour moy ofensee

Tu soufriras, car ton offense est telle

Qu’elle est plus grãde enuers moy qu’enuers elle:

155

Et ie ne doute, ains ie me fay certeine,

Que pource t’ont tes Dieus tant mis en peine.

Depuis sept ans & par mer, & par terre

Es agité: malheur te suit, & serre:

i 2 En [p. 132] Fac-simile de la page 132 DIDO

En tel estat, par tempeste affligé

160

Ie t’ay reçu, & surement logé.

A peine ayant ton nom bien entendu,

I’ay sous tes mains mon royaume rendu.

Et plus aus Dieus que ces biens t’usse fait

Tant seulement, & que de notre fait

165

La renommee en fust enéuelie.

Le iour auquel une soudeine pluie

Nous contreingnit en la cauerne entrer,

Me nuisit trop, & vint mal rencontrer.

I’auois oui un cri, que ie pensois

170

Estre le cri des Nymphes, toutefois

C’estoit le cri des Furies mal nees

Qui predisoit mes dures destinees.

O chasteté rompue, pren vengeance

De moy, qui fey à Sicheus ofense:

175

Vers qui ie vais, moy triste & malheureuse,

Pleine de honte, & toute vergogneuse.


De Sicheus i’ay l’effigie sacre

Qui est dedens ma chapelle de marbre,

Fueillage, & laine au deuant est pendue:

180

I’ay de ce lieu la parole entrendue

De mon espous, disant en basse voix,

Dido vien t’en: & ce par quatre fois.

Ta femme deuë or ie vien sans atendre,

(Lui respondi ie) & si (las) me vient rendre

185

Le mien forfait tardiue, & variable

Pardonne moy l’ofense pardonnable:

Le [p. 133] Fac-simile de la page A ENEAS. 133

Le personnage est de grande aparence,

Qui amoindrit, & couure mon ofense.

Son père vieil, que par la grande opresse

190

Auoit porté, puis sa mere deesse,

Me faisoient foy que bon mari seroit,

Qui auec moy deument demoureroit.

Si ie deuois de quelque faute user,

Certeinement ie suis à excuser.

195

S’il eust eu foy, la chose est raisonnable,

Qu’il n’estoit pas un parti refusable.

Trop bien se suit la destinee dure,

Qui iusqu’en fin de ma vie encor dure.

Mon mari mort, meurtri pres des autez,

200

(Ou fut tué par grandes cruautez)

Tomba à terre : & mon frere à l’estime,

L’honneur & bruit d’un tant enorme crime.

Puis ça, puis là ie vais fuiant sans cesse :

Et mon païs lors du tout ie delaisse,

205

Pareillement de mon espous la cendre :

Mon ennemi Pygmaliõ me poursuit pour me prendre,

Et me contreint passer meints durs passages.

En terre estrange, apres longs nauigages,

I’entre & pren port : & puis estant ainsi

210

De mer deliure, & de mon frere außi,

Vn port de mer i’achete à grosse somme,

Que i’ay donné à toy desloyal homme.

Là i’ay baty une uile, & liez

Des murs bien longs, des procheins enuiez.

i 3 La [p. 134] Fac-simile de la page 134 DIDO 215

La guerre bruit, ie femme, & estrangere

Suis assaillie en guerre non legere :

Et n’ay encor ma vile bien fermee

De porte neuue, & dreßé une armee :

Certeine suis, mes meurs sont agreables

220

A plus de cent bons Cheualiers notables,

Qui sont venus me blamer, & charger

Que ie les ay laissez pour l’estranger.

Mais qu’attens tu de me lier les bras,

Et rendre tot captiue à Hiarbas,

225

Mon ennemi, le roy de Getulie ?

Mes bras rendray dessouz ta tyrannie.

Puis i’ay mon frere Pygma-
lion
außi qui ha meutri [sic pour meurtri]

Cruellement Sicheüs mon mari :

Et ne quiert mieus que de m’en faire autant :

230

Laisse tes Dieus, ne les souille point tant :

La main qui est pleine de malefice,

Ne fait aus Dieus agreable seruice.

Tes Dieus voudroient du feu n’estre deliures.

Si toy meschant seruice tu leur liures.

235

Parauanture außi, o plein de feinte,

Tu vas laissant Dido de toy enceinte :

Et une pars de ton corps, est venue

Dedens le mien, cachee, & retenue.

Ainsi mourra l’enfant tresmiserable

240

Auec sa mere : & tu seras coupable

De la mort d’un petit enfant, helas,

Lequel encor mis au monde n’est pas.

Ainsi [p. 135] Fac-simile de la page A ENEAS. 135

Ainsi mourront & l’enfant & la mere,

L’enfant qui est d’Ascanius le frere:

245

Et mesme peine auront ne plus ne moins

Les deus qui sont ensemble en un corps ioints:


Mais de partir le Dieu t’a commandé.

De venir donq voudrois qu’il t’eust gardé,

Et qu’onq Troyen n’eust ma terre touchee.

250

Car par ce Dieu que ta nef tant fachee

D’onde terrible, & de contraires vents,

Te tient en peine en la mer si long tems.

Tu ne deurois auec si grande peine

Troye chercher, s’elle estoit riche, & pleine,

255

Comme elle fut alors qu’Hector viuoit.

Mais toutefois tu ne vas querant droit

Simoïs fleuue, en ton païs de Troye,

Ains quiers la Tybre, ou tu scez la voye:

Et ou seras poure hoste, & estranger,

260

Bien qu’à souhait y ailles sans danger.

A peine außi verras tu l’Italie

En ta vieillesse, & ta force faillie:

Comme ie voy que l’Itale se cache,

Elle lointeine, & tes nauz fuit, & fache.


265

Pren donq plus tot, & außi pour le mieus,

En dot present ces peuples, & ces lieus:

Et les tresors lesquelz Pygmalion

Ha pourchassez par grande ambicion.

Transporte ici trop plus heureusement

270

La Troye antique: & tu sois dinement

i 4 Au [p. 136] Fac-simile de la page 136 DIDO

Au Royal siege, & tenant sacré sceptre.


Que si ton cœur desire en la guerre estre,

Si Iülus appete estre veincueur,

Et trionfer auec son ieune cœur:

275

Ce mien païs bien tot lui fournira

D’un ennemi, q’uil suppeditera:

(A celle fin que rien ne vous defaille)

Ci est la paix, & ci est la bataille.


Si te suppli par le nom de ton pere,

280

Et par les traitz de Cupido ton frere,

Par Troyens Dieus, lesquelz t’acompaignerent

Lors que du feu de Troye se sauuerent.

Qu’ayes pitié, & prennes à merci

Dido la tienne, & sa maison außi.

285

Qu’ainsi tousiours ayent victoires pleines

Ceus de ta gent, qu’auecques toy tu meines:

Et que l’armee arriue de Grece,

Te soit la fin de perte, & de tristesse:

Qu’Ascanius ainsi ses ans parface

290

Eureusement, & soient en molle place

Couchez, & mis, pour seur, & bon repos,

D’Anchises vieil, le tien pere, les os.


Mais que dis tu? en quoy áy ie meffait,

Sinon que i’ay bien aymé en effet?

295

Ie ne suis pas de Thessalique terre,

Achilles.

Dond fut celui qui te liura la guerre:

Außi ne suis de Mycene la grande:

Encontre toy n’as eu une grand’ bande

De [p. 137] Fac-simile de la page A ENEAS. 137

De mes parens: ni mon espous, ni pere,

300

Pour te liurer l’assaut en guerre amere.


S’il te désplait, & tu prens à diffame

De ma’apeler ton epsouse & ta femme:

Apelle moy seulement ton hostesse,

Non pas ta femme, estant nom de hautesse:

305

Dido veult bien estre ce que voudras,

Quand seulement pour tienne la tiendras.


Ie connoy bien cette mer Affricaine

En certein tems elle est trop incerteine

Pour nauiguer, & pour faire voyage:

310

En autre temps est bonne au nauigage:

Et quand le vent propice permettra,

Nauigueras, & la voile on mettra.

Ores au port ton nauire enserré

Est lité d’herbe, & trop mieus assuré.


315

Commande moy, ie prendray garde au tems

Que tu auras meilleurs & plus dous vens:

Lors seiourner ie ne te permettrois,

Quand mesmement toymesme le voudrois.

Tes gens außi, tous las, & affligez,

320

Quierent du tems pour estre soulagez.

Ta nef rompue, & à demi refaite,

Quiert peu de tems à fin d’estre parfaite.


Pour mes biens faits, encor pour d’auantage

(Si t’en doy faire) & pour le mariage

325

Que i’esperois auec toy ie demande

Petit de tems, & demeure non grande.

i 5 En [p. 138] Fac-simile de la page 138 DIDO

En atendant que la mer se tempere,

Et que l’amour par le tems s’amodere,

A supporter les maus me feray forte.


330

Si tu ne veus permettre en nulle sorte

Faire seiour, i’ay ia tout arresté

De me tuer: certes ta cruauté

Ne pourra pas regner sur moy long tems.

O plust aus Dieus, & qu’ils fussent contens

335

Que ton œil vist le trespoure meintien

De l’escriuante, ayant le glaiue tien!

Ie te rescri, & ay en mon giron

Ton glaiue nu, qui tout à l’enuiron

Est arrousé des larmes de mon pleur:

340

Puis le sera de mon sang par malheur.

Eneas a-
auoit laissé
son espee
à Dido.

Que ton present à ma mort bien conuient

A peu de frais mon tombeau te reuient.

Mais ce n’est pas de ce tems, seulement,

Que le glaiue ha poind mon cœur durement:

345

En mesme lieu fut nauré d’amour dure.


Anne ma seur, qui scez ma forfaiture,

O ma seur anne, ores trauailleras,

Et sur ma mort funerailles feras.

Nul n’escrira, ci git Dido sechee,

350

En cendre auec le sien mari Sichee:

Mais fera tel Epitaphe trouué

Sur mon tombeau, & en marbre graué:


CI GIT DIDO, QVI D’ENEAS A TORT

REÇVT LA CAVSE, ET L’ESPEE DE MORT:

PVIS [p. 139] Fac-simile de la page A ENEAS. 139 355

PVIS TOT APRES DE CELLE MESME ESPEE

S’EST PAR SA MAIN D’VN MORTEL COVP
  FRAPEE.


Fin de l’epitre de Dido à Eneas,

ANNOTACIONS
SVR L’EPITRE DE
Dido à Eneas.
*

Ie brule ainsi comme torche de cire

Auec le soulphre ou comme on pourroit dire

L’encens qu’on gette au feu des mortuaires:

Et à mes yeus, à tout repos contraires,

Tousiours un seul Eneas se presente.


I’ay lù, en un exemplaire de Venise, deus
vers qui ne se lisent pas ordinairement:

Vt pia famosis addita thura rogis

Ænasq; oculis semper vigilantibus hæret.


Dame Venus mets hors cette misere

Ta belle fille: ô frere Amour, ton frere,

Tant rigoureus, vueilles tot embracer,

Et à ton camp reduire & auancer.


Dido, estant femme d’Eneas, auoit Venus
pour belle mere, & Cupido pour frere, ou
beau [p. 140] Fac-simile de la page 140
beau frere, qui est le Dieu d’amour. Ainsi
Dido se dit belle fille de Venus, & apelle
Amour ton frere, & le prie de ranger son fre
re Eneas au camp des amoureus (Car Eneas
& Cupido sont tous deus fils de Venus) ou
bien qu’il la renge elle mesme, dont elle se-
roit trescontente: mais aussi qu’il face que
Eneas ne desprise les prieres d’elle, qui seroit
ainsi rengee à la suggeccion d’Amour.

Contre l’amour, Car des amours la mere

Nue fut nee en la mer de Cythere.


Venus, nee de l’escume de la mer, fut por
tee premierement en l’isle de Cythere à pre-
sent dite, Cerigo.

Or fus, vi donq: ainsi te perdray mieus

Que par ta mort.


Dido veut dire qu’il vaut mieus qu’elle
soit sans son ami vif, que sans son ami mort.

Ie dy qu’elle est seule morte en langueur,

Par son mari tuee en grand rigueur.


En fin du second liure des Eneïdes, Eneas
raconte à Dido comment il perdit Creusa sa
femme, en eschapant du feu, & de la meslee
de Troye: ce qu’à present Dido tire à son
propos contre Eneas, en l’acusant de men-
songe & de meurtre de sa femme Creusa.

Ce qu’as soufert pour l’auoir delaissee

Moindre sera que pour moy ofensee

Tu [p. 141]
Fac-simile de la page 141

Tu soufriras, car ton offense est telle

Qu’elle est plus grãde enuers moy qu’enuers elle.


Le Poëte veut dire que Dido ha plus fait
de biẽs à Eneas q̃ sa premiere femme Creu-
sa , par ce que Dido l’a reçu & secouru estant
poure & tourmenté de la marine: & que, vù
les grans biens qu’elle lui ha faits, il ha plus
grand tort de la laisser: & par consequent
deura estra plus pluni que de ce qu’il laissa
Creusa, pour laquelle laissee il auroit ia esté
tourmenté l’espace de sept ans sur la mer.

De Sicheüs i’ay l’efigie sacre,

Qui est dedens ma chapelle de marbre.


Il estoit lors permis à un chacun de reuerer
saintement celui ou ceus, trespassez de sa
parenté, que lon vouloit: mesmement de bá-
tir & dédier une chapelle à leur honneur: &
ie croy qu’Ouide vouloit entendre cela,
quand il escriuoit en l’epitre de Briseïs,

Semper iudicijs ossa verenda meis:

Perq; triũ fortes animas (mea numina) fratrum:


Ce que i’ay ainsi traduit en la precedente
epitre troisieme
.

Os qu’à iamais i’honore:

Et par les trois que comme Dieus i’adore.


Fueillage & laine au deuant est pendue.

Lon souloit lors honorer les Dieus de cer-
teins [p. 142] Fac-simile de la page teins stemmates, qui sont comme dit l’inter-
prete de Sophocles, des rameaus enuelopez
de laine noire, ou blanche: Car Virgile dit q̃
deuant l’image de Sicheüs y auoit de la lain-
ne noire & des rameaus, & Ouide dit qu’il y
auoit de la laine blanche: mais il y en a pou-
uoit bien auoir de toutes deus.

Mon mari mort, meurdri pres des autez,

Ou fut tué par grandes cruautez,

Tomba à terre: & mon frere à l’estime,

L’honneur & bruit d’un tant enorme crime.


Sicheüs, oncle & mari de Dido, estoit
prestre d’Hercules, premiere dinité apres le
Roy: & ainsi comme il sacrifioit fut tué par
Pygmalion, son neueu, & frere de Dido, sous
espoir d’auoir son tresor caché dont il auoit
bruit.

Puis ça, puis là ie vais fuyant sans cesse,

Et mon païs lors du tout ie delaisse:


Cela fut par l’auertissement de l’esprit de
Sicheüs, qui s’aparut à elle de nuict, & lui re
uela tout le forfait & meurtre de Pygmaliõ.
Et faut entendre que Dido s’enfuit de la vile
de Tyrus, à present nommee Sur, qui est une
antique & bien renommee vile de la region
de Phenice, qui est en l’Asie maieur, faisant
partie de la Syrie, & ioignãt à la Iudee. Icelle
vile est au bout de la mer, & estoit acienne-
ment [p. 143] Fac-simile de la page 143
ment en une Isle: mais Alexandre le grand,
qui l’assiega, la fit tenir à terre ferme: & fit
crucifier quasi tous les hõmes qui y estoit,
par ce qu’eus estant serfs, auoient occis leurs
vrays signeurs & maitres, s’estoient faits si-
gneurs de la vile, & auoient fait aliances de
mariages auec leurs maitresses: comme re-
cite Iustin au dixhuitieme liure de son Hi-
stoire. En icelle vile de Tyrus se faisoiẽt an-
ciennement de bonnes teintures d’escarlate.

Mais qu’atens tu de me lier les bras,

Et rendre tot captiue à Hiarbas?


C’est une permission ironique, urgente, &
pitoyable.

Mais de partir le Dieu t’a commandé:

C’est une obieccion ou response qu’Eneas
lui pourroit faire, disant que le Dieu Mercu-
re ou Apollo s’estoit aparu à lui, & auoit
commandé qu’il departit de Carthage, pour
faire voile en Italie. de ce voyez le quatrie-
me liure des Eneïdes. Or à cette obgeccion
d’Eneas, Dido lui respond,

De venir donq voudrois qu’il t’eust gardé

Et qu’onq Troyen n’eust ma terre touchee,


Mais que dis tu? en quoy t’áy ie meffait,

Sinon que i’ay bien aymé en effet?

Ie ne [p. 144]
Fac-simile de la page 144

Ie ne suis pas de Thessalique terre,

Dont fut celui qui te liura la guerre:

Außi ne suis de Mycene la grande.


Achilles, qui fit de grans exploits de guerre
contre les Troyens estoit de Larissee, vile de
Phtie, païs voisin de Thessalie: & Aga-
memnon & Menelaüs, aussi ennemis des
Troyens, & Chefs de l’armee des Grecs,
estoient de Mycene, vile de Peloponnese,
q̃ l[’]on dit à present la Moree: & de ce trois
ici Dido entend: quand elle dit:

Ie ne suis pas de Thessalique terre,

Dont fut celui qui te liura la guerre:

Außi ne suis de Mycene la grande.


Comme si elle disoit, il n’est ia besoin que
tu me fuyes, ne que tu me portes hayne, car
ie ne suis pas de la race de ceus qui ont fait
guerre contre toy, & contre les Troyens.

Fin de l’Annotacion sur l’Epitre
de Dido à Eneas.

[p. 145] Fac-simile de la page 145 [Bandeau]

PREFACE SVR
L’EPITRE DE HER-
mione à Orestes.

TAntalus fils de la Nymphe Plote & de
Iupiter, engendra de Thaïgete, ou
(comme les autres dient) de Penelope, Nio-
be , & Pelops: De Pelops & Hippodamie, fil-
le du Roy Oenomaus, furent engendrez
Atreus, Thyestes, & Plisthenes, que aucuns
dient estre Atreus mesme: Lequel Plisthenes
(ou Atreus) engẽdra Mega-
laüs de Aeropa: Menelaüs engendra Mega-
penthe d’une captiue de Lydie: & d’Heleine
fille de Tyndarus, il engendra Hermione:
Combien que Duris, de Samo, die en l’expo-
sicion de Lycophron, que Hermione soit fil-
le de Theseus, qui premierement rauit He-
leine. Agamemnon Roy de Mycene eut de
Clytemnestre des fils Alesus & Orestes, &
des filles, Chrysothemis, Laodice, & Electre,
& celle que le Poëte Lucresse apelle Iphia-
nasse . Or Menelaüs allant à la guerre de
Troye, laissa la charge, & gouuernement de
de sa maison à Tyndarus, lequel donna Her-
mione , estant encore bien ieune, en mariage
à Orestes son cousin germain: & laq̃lle aussi
k son [p. 146] Fac-simile de la page 146
son pere Menelaüs, estant au camp deuant
Troye, promit bailler en mariage à Pyrrhus,
fils d’Achilles: non sachant q̃ Tyndarus l’eust
ia donnee en mariage à Orestes. Menelaüs
estant de retour en Sparte, apres la destruc-
cion de Troye, liure Hermione à Pyrrhus,
qui l’emmena en la vile de Phthie, qui est en
Thessalie, ou (comme les aucuns dient) en
Epire. Mais cõme elle haït Pyrrhus, & n’eust
à gré ce second mariage, aymãt Orestes, elle
lui manda qu’il la pourroit facilement deli-
urer des mains de Pyrrhus: dont Ouide ha
pris l’occasion d’escrire cette Epitre au nom
de Hermione. Orestes apres qu’il eut tué sa
mere & Egystus le paillard d’icelle, & qu’il
fut gueri de sa fureur, demouroit en Mycenes
là il eut nouuelles que Pyrrhus estoit allé en
Delphos, pour rendre graces à Apollo de ce
qu’il auoit vẽgé la mort de son pere: Orestes
y alla, & y parfit son entreprise. Car peu de
tẽs apres, cõme lon trouuast Pyrrhus tué, le
cõmun bruit fut q̃ ce auoit esté fait par Ore
stes, à cause q̃ Hermione retourna incõtinẽt
auec lui, & eut de lui des enfans Thisamenes
Corinthus, & Orestes. Orestes mari de Her-
mione , fut Roy de Mycenes, apres la mort
d’Egisthus, par l’espace de quinze ans: &
commença à regner en l’an du monde 2789
auant la natiuité de Iesuchrist 1173.

[p. 147] Fac-simile de la page 147 [Bandeau]

TRADVCCION
DE LA VIII. EPITRE
D’OVIDE.
*
Hermione escrit à Orestes.

PYrrhus le fils d’Achilles renommé,

Et pourtant fier, tient mon corps enfermé

Contre l’honneur, le droit, & la raison:

I’ay regretté ce lien de prison

5

Tant que i’ay pù, pour n’estre en tel effort:

Mon bras de femme au reste n’est pas fort.

Las, que fais tu, ô Pyrrhus? i’ay crié:

Mon corps sera du lien deslié:

Ie ne suis pas sans homme qui me venge:

10

I’ay un signeur dessous qui ie me renge.

Lui trop plus sourd que la mer en tourment,

Quand ie criois, Orestes, hautement,

Par les cheueus m’alloit treinnant chez lui.

Qu’eusse ie plus de malheur & d’ennui,

15

Si Sparte estant par bataille conquise,

Ie fusse prinse, & en seruage mise?

Si l’ennemi barbare, & fiert auecques

Mizitre.

Venoit rauir les ieunes dames Grecques?

Andromaché ne fut tant malmenee,

20

Quand Troye fut par feu Grec ruïnee,


k [2] Mais [p. 148] Fac-simile de la page 148 HERMIONE A ORESTES.

Mais si tu as enuers moy quelque amour,

O Orestes, fay moy donc ce bon tour

De me venir recouurer vaillamment,

Qui par droit suis tienne premierement.

25

Or respon moy, si ton betail compris

Compa-
raison.

En ton étable, estoit robé, & pris

Voudrois tu pas auec puissantes armes

Pour le r’auoir mouuoir guerre, & alarmes?

Mais pour ta femme emmenee, & rauie,

30

Seras couard, & creintif de ta vie?


Soit ton beau pere en exemple, & miroir

Qui batailla pour sa femme r’auoir,

Et iustement meut guerre à l’ennemi.

S’il eust esté comme toy endormi,

Helene. 35

Auec Paris seroit encor ma mere.

Comme elle fut auant la guerre amere.

Ia ne te faut des grans voiles dresser,

Ni assembler les Grecques bendes toutes,

Vien seulement, rien ne faut que tu doutes.

40

Ce nonobstant en ce point & par guerre,

Tu me deurois recouurer, & conquerre.

Car ce n’est chose en un espous blamee,

De conquerir sa femme bien aymee.

Atreus.

Quoy? nous auons un mesme ayeul tous deus:

45

Quand mon espous ne seroit tu ne peus

Nier que sois mon vray cousin germain.

Comme espous donq vien par ta forte main

Donner [p. 149] Fac-simile de la page A ORESTES. 149

Donner secours à ton espouse ici:

Comme cousin à ta cousine außi.

50

C’et double point qui te doit esmouuoir

Pour la raison, à faire ton deuoir.


Tindareus, venerable homme, & sage,

(Tant pour ses meurs, comme à cause de l’aage)

M’a deliuree, & mariee à toy:

Maternel. 55

Lui, mon ayeul, eut puissance sur moy:

Mais puis apres mon pere m’a promise

A ce Pyrrhus, qui me tient de main mise:

Et si estoit mon pere ignorant lors

Qu’ußions desia promesses, & accords.

Tynda-
reus .
60

Mon ayeul donc, qui d’origine, & race

Est le premier, soit premier d’eficace.

Il est tout seur que quand ie t’epousois,

En ce faisant à nul ie ne suisois:

Et meintenant si femme à Pyrrhus suis,

65

En ce faisans ie t’ofense, & te nuis.


Mene-
laüs .

Si croy ie bien mon pere excusera

La notre amour, & le deuoir fera:

Car autrefois il sentit bien les flesches

d’Amour.

Du Dieu volant, qui en son cœur fit bresches:

70

La forte amour, iusques aus armes prendre,

Qu’il s’est permis, permettra en son gendre.

De cest exemple il faudra que tu t’armes

Qu’il ha ma mere aymee iusqu’aus armes.

Tel est vers moy que mon pere à ma mere:

75

Tel est Pyrrhus que Paris l’adultere

k 3 Hoste [p. 150] Fac-simile de la page 140 [sic pour 150] HERMIONE

Hoste estranger, qui chez nous poursuiuit

Ma mere Heleine, & en fin la rauit.


Quoy que Pyrrhus s’aille vantant sans cesse

Pour les hauts faits, & la grande prouësse

80

Du capiteine Achilles, pere sien:

Vanter te peus außi des faits du tien,

Le chef de tous, qui ordre à tout mettoit:

Et dessous qui l’Achilles mesme estoit.

Lui estoit Duc, ton pere chef des Ducs:

85

Ton grand ayeul Pelops, puis Tantalus.

Fils Iupiter: si tu as bien nombre,

De Iupiter es cinquieme en degré.

Puis tu n’es pas sans force belliqueuse:

Mais ta vaillance est un peu odieuse,

90

Qui as porté armes contre ta mere,

Laquelle auoit trahi de mort ton pere.

Et quel moyen en cela aurois tu?

Ie voudrois bien que ta force, & vertu

En autre lieu meilleur se fust montree:

95

L’ocasion n’as quise, ains rencontree.

Or l’as tu donq mise à chef, & parfaite:

Car Egysthus, dont tu fis la deffaite,

Ensanglanta la maison voirement,

Comme ton pere auoit premierement.


100

Pyrrhus m’escrie, & ton loz tourne en blame,

Et ce pendant me veut tenir à femme,

Et me permet le regarder en face.

Le cœur me creue, & l’ire me defface,

Et [p. 151] Fac-simile de la page A ORESTES. [1]51

Et m’enfle toute en indignacion

105

Pleine d’aigreur, & d’inflammacion.


Quelcun deuant Hermione, par ire

O sera il d’Orestes du mal dire?

Ce tems pendant ie n’ay aucune force,

Mais de pleurer seulement il m’est force:

110

Et par mes pleurs außi, certeinement,

I’ay de mon ire aucun allegement,

L’eau de mes yeus dessus mon sein s’écoule

Comme un ruisseau, ou un fleuue qui coule:

Ie n’ay que pleurs, de pleurs ma face est pleine,

115

Sans cesse issans comme d’une fonteine.


Mais cela est l’arrest, & destinee

A laquelle est notre race ordonnee:

Lequel arrest, & facheuse ordonnance

Iusques à moy court sus, & fait nuisance.

120

Nous toutes (las) de Tantalus extraites,

D’efforcemens sommes bien trop sugettes.

Ie n’ecriray du Cigne mensonger,

Ne me plaindray pour Iuppiter charger,

Qui fut caché dessouz plume d’oiseau:

125

Mais ie diray que sur un char nouueau,

Et estranger, fut menee, & rauie

Celle qu’on dit la belle Hippodamie:

Au lieu ou est un col de terre grand

(Quon dit Isthmos) deus mers loin separant:

130

Et puis Castor & Pollux bataillerent

Heleine.

Tant que leur seur d’Athenes ramenerent

k 4 La [p. 152] Fac-simile de la page 152 HERMIONE

La belle Heleine: Heleine encor fut prise

Paris.

Du Troyen hoste, & dessus la mer mise.

Pour la rauoir depuis se mit en voye

135

L’armee Grecque, allant contre la Troye.

Certes à peine en memoire ie porte:

Mais m’en souuient encore en quelque sorte,

Tout fut rempli de trouble, & pleurs ameres:

L’ayeul pleuroit, la seur, les gemeaus freres:

140

Leda prioit d’afeccion extreme

Trestous les Dieus, & son Iupiter mesme.

Lors mes cheueus encor cours, arrachant

(Car i’estois ieune) & bien fort me fachant,

Criois (helas toute pleine d’esmoy)

145

Sans moy, ma mere, ah, t’en vas tu sans moy?

(Car son mari alors n’y estoit point)

Or à fin donc qu’on ne doute en nul poinct

Que de Pelops soye extraite à malheur,

Pyrrhus.

Ie suis en proye au nouueau conquereur.

150

Que plust aus Dieus qu’Achilles regretté,

Eust le dur trait d’Apollo euité:

Cela est seur que de son fils le pere

Reprouueroit ce tort & vitupere:

Car autrefois il n’ut à gré tel cas,

155

(Et maintenant encor n’auroit il pas)

De voir lépoux pour son épouse en peine

Qu’on emmenoit par surprise soudeine:

Hermio-
ne .

Et à present außi ne lui plairoit

Qu’à Orestes sa femme on tolliroit.


Qu’áyie [p. 153] Fac-simile de la page A ORESTES. 153 160

Qu’áyie forfait d’auoir les dieus cóntraires?

Quel malin astre empesche mes afaires?

Premier ie fus sans ma mere en bas aage:

Mon pere estoit en guerre en equipage:

Tous deus viuoient, quãd sans tous deus i’estoye.

165

Ie ne t’ay point (ô ma mere, & ma ioye)

Entretenue en mon petit babil,

Et à ton col n’ay mis mes petis bras,

Comme enfans font aus mere, pour esbas.

Ie n’ay esté en ton giron, ma mere,

170

Comme une charge & plaisante & legere.

Tu n’as point en [sic pour eu] le soin de me parer,

Ny de mon lit nuptial preparer,

Quand ie fus mise en mon nouueau mesnage.

A ton retour m’en allay au riuage

175

Au deuant toy, mais tu dois certeine estre

Que ie n’y pù ma mere reconnoitre:

Si pensois bien que tu fusses Heleine,

Quand te voyois de si grand beauté pleine.

Tu demandois laquelle estoit ta fille.

180

Tant seulement ce bien, pour des maus mile,

M’es auenu, qu’Orestes m’est espous,

Qui toutefois sans le hazart des coups,

Et si pour soy ne combat, m’est tollu.

Pyrrhus me tient, lequel ie n’ay voulu,

k 5 Es [p. 154] Fac-simile de la page 154 HERMIONE 185

Et qui ha bien trop audacieus cœur,

Mene-
laüs .

Quand mon pere est de retour, & veinqueur.

Voila le bien que la Troye destruite

M’a apporté, que serue suis reduite.


Quand toutefois du Soleil les cheuaus

190

Resplendissans, sont montez aus lieus hauts,

Ou ils vous l’ont charié & tiré,

Lors n’est mon cœur tant triste & martiré:

Mais quand la nuict en chambre m’a recluse,

Vrlant, pleingnant, & de douleur confuse,

195

Et quand au lict malheureus ie me couche,

Alors au lieu de dormir sur ma couche,

Mes yeus ne font office que de pleurs

Toute la nuict: & entre mes douleurs

Ce mien espous ie fui tant que ie puis.

200

Comme ennemi auec lequel ie suis.


En tant de maus souuent perds connoissance:

Et lors, par fois, n’ayant plus souuenance

Des gens & lieus, ce Pyrrhus cy ie touche,

Puis tout soudein me retire en la couche

205

Au loin de lui, connoissant qu’ay forfait,

Et pense auoir mes bras souillez de fait.


Assez souuent, cuidant Pyrrhus nommer

Ie nomme Oreste, & puis ie vien aymer

Ce changement, & faute en mon langage,

210

En la prenant ainsi qu’un bon presage.


Or ie te iure, en cœur bien douloureus,

Par mon lignage en ce point malheureus,

Et [p. 155] Fac-simile de la page A ORESTES. 155

Et par le chef du lignage, qui tonne, Iuppiter.

Qui terre & mer, & son Ciel mesme estonne,

215

Et par les os de ton pere, oncle mien,

Certeinement qui te doiuent ce bien

Qu’ils sont vengez par ta main vaillamment,

Et au tombeau en repos doucement:

Ou ie mourray auant cours de nature,

220

Ou ie, qui suis de la progeniture

De Tantalus, seray bien tot, sans plus,

Femme de toy, extrait de Tantalus.


Fin de l’epitre de Hermione
à Orestes.

ANNOTACIONS
sur l’epitre de Hermione
à Orestes.

PYrrhus le fils d’Achilles renommé,


Ie n’ay esté d’auis de tourner ces deus vers
qui s’enuiuent, & qui se [lisent] en d’aucuns
liures Latins, comme superscription.

Alloquor Hermione nuper fratremq; uirumq;

Nunc fratrem, nomen coniugis alter habet.


Soit ton beau pere en exemple & miroir,

Qui batailla pour sa femme r’auoir,


Le Poëte entẽd de Menelaüs, oncle paternel
d’Orest [p. 156] Fac-simile de la page 156
d’Orestes, qui lui estoit aussi sõ Sire, ou beau-
pere, parce ce q̃ Orestes estoit espous de sa fille.

Quoy? nous auons un mesme ayeul tous deus:

Quand mon espous ne seroit tu ne peus

Nier que sois mon vray cousin germain.


Le Poëte entẽd Atreus pere de Menelaüs,
& pourtant ayeul paternel de Hermione: &
aussi pere d’Agamemnon, qui engẽdra Ore-
stes , & pourtãt aussi ayeul paternel d’Orestes.

Ton grand ayeul Pelops, puis Tantalus.

Fils Iupiter: si tu as bien nombre,

De Iupiter es cinquieme en degré.


La raison est, car Iupiter engẽdra Tantalus,
& Tantalus Pelops, Pelops Atreus, Atreus
Agamemnon, & Agamemnon Orestes.

Comme espous donq vien par ta forte main

Donner secours à ton espouse ici:

Comme cousin à ta cousine außi:


Le Latin porte,
Frater succure sorori:

Qui vaut à dire, frere donne secours à ta
seur: en quoy le Poëte abusiuemẽt prẽd le nõ
de frere & seur pour cousin & cousine car il
est certein que Hermione et Orestes estoiẽt
enfans des deus freres, à sauoir que Menelaüs
& Agamemnon: cõme aussi les Iuifs apeloiẽt
freres & seurs tous ceus qui estoient d’une
mesme ligne, en quelque degré que ce fust.

Qui [p. 157] Fac-simile de la page 157

Qui as porté armes contre ta mere,

Laquelle auoit trahi de mort ton pere.


Orestes tua Clytẽnestre, auec Egysthus son
paillard, qui auoiẽt tué son pere Agamemnõ.

Ie ne diray du Cigne mensonger,

Ne me plaindray pour Iuppiter charger.


Iupiter esprins d’amour de Leda femme de
Tyndarus, & mere d’Heleine, se mua en Ci-
gne, & vint pondre en son giron deus eufs,
de l’un desquels ilssirent Castor & Pollux, &
de l’autre Heleine & Clytemnestre.

Mais ie diray que sur un char nouueau,

Et estranger, fut menee, & rauie

Hors son païs la belle Hippodamie.


Hippodamie fille d’un roy d’Arcadie qui est
en Pelopõnese, à present la Moree, fut rauie
par Pelops, ayeul de Menelaüs, & menee au
char dudit Pelops par la trahisõ de Myrtilus.

Au lieu ou est un col de terre grand

(Quon dit Isthmos) deus mers loin separant:


Toute la terre est diuisee en quatre parties:
Premierement en terre ferme, qui se touche
& tient sans estre diuisee grandemẽt de mer
ou de fleuues: puis en Isle, qui est terre tota-
lement diuisee par la mer ou par fleuues:
Puis en terre quasi Isle, autrement dite Cher-
sonesus, qui est terre en long & large assez
espandue en la mer, mais toutefois tenant à
terre [p. 158] Fac-simile de la page terre ferme. Puis y a Isthmos, qui est un
col de terre tenant à deus mers: son contraire est
apellé en Latin Fretum, & Porthmus: qui est un bras
de mer estroit entre deus grandes terres fer-
mes. Cetui Isthmos dont Ouide parle, est en
Achaïe, qui depuis ha esté dite Peloponnese,
à cause de Pelops qui y regna, & à present la
Moree: & ledit Isthmos separe la vile de Co-
rynthe d’auec celle de Megare, entre les-
quelles y auoit un temple dedié à Neptune.

Et puis Castor & Pollux bataillerent

Tant que leur seur d’Athenes ramenerent.


Heleine seur de Castor & Pollux, fut pre-
mieremẽt rauie aus ioutes, ou luites par The
seus, & menee en Athenes. Puis ses freres l’al
lerent conquerir, & amenerent auec elle
Ethra, mere de Theseus. Depuis fut encor
icelle mesme Helene rauie par Paris, & me-
nee à Troye.

Que plust aus Dieus qu’Achilles regretté,

Eust le dur trait d’Apollo euité.


Paris delacha son arc contre Achilles, & le
tua par le pied au temple d’Apollo: pour tant
le Poëte appelle le trait d’Apollo: ou il veut
dire qu’Apollo fauorisoit à Paris.

Fin de l’annotacion de la
huitieme epitre.

[p. 159] Fac-simile de la page 159 [Bandeau]

PREFACE SVR
L’EPITRE DE DEIA-
NIRE A HER-
CVLES .
*

DIodore ne veut afferme (ce semble)
qu’il y ayt eu plus de trois Hercules,
mais ceus qui ont bien cherché & lù, ont
trouué qu’il y en a eu si: dond le cinquie-
me est Indien, qui est nommé Belus: le sixie-
me est filz d’Alcmene, & de Iupiter, tiers de
ce nom, auquel Hercules sixieme sont attri-
buez les faits des autres. Et fut engendré en
cette sorte. Iupiter se transforma en guise
d’Amphitryon, mari d’Alcmene, & ce pen-
dant que le mari estoit en guerre, coucha
auec icelle Alcmene l’espace d’une nuit, qu’il
fit furer autãt que trois, pour en auoir meil-
leur iouissance: elle pensoit que ce fust son
mari qui fust retourné de la guerre pour l’ẽ-
bracer. En cete nuit là fut engendré Hercu-
les , lequel par Eurystheus Roy de Mycenes,
fut enuoyé contre les monstres, & à toutes
choses fortes, & dificiles à faire. Ce que Eu-
rystheus faisoit en faueur, & par la finesse de
Iuno, à fin que Hercules mourust. Car Iuno
le [p. 160] Fac-simile de la page 160
le hayoit comme engendré de son mari en
une autre femme: & pource lui enuoya les
serpens quand il estoit petit enfant au ber-
ceau, lesquels il etrangla. Et en tout & par
tout fut victorieus contre les monstres, mais
non pas contre les femmes, desquelles il fut
veincu trop vileinement. Car apres qu’il eut
veincu les monstres & surmõté tous les tra-
uaus qui lui estoient commandez par Eury-
stheus , il demoura cinq ans en un mõt d’ Ar-
cadie : puis delaissant Megare fille de Creon
roy de Thebes, laquelle il auoit espousee, vint
demander en mariage Yole fille de Euryte
roy d’Echalie: & quand elle lui fut refusee,
s’en alla en Etolie, ou il print à femme Deïa-
nire , fille d’Oeneus, Roy de Calydon, & de la
Royne Althee, Meleager estant ia trespassé.
Mais trois ans apres s’en alla hors de Calydõ
de facherie d’auoir tué d’un coup de poing
Eurynõ, ieune enfant son seruiteur: & mena
auec lui sa femme Deianire, & son petit fils
Hyllus, qu’il auoit eu d’elle. Puis quand il fut
venu au fleuue Euenus, trouua Nessus le cẽ-
taure qui passoit les gens pour argent, lequel,
quãd il eut porté Deianire & passee outre le
fleuue, la voulut forcer: mais elle cria, & re-
quit l’ayde de son mari Hercules: qui estoit
en l’autre riuuage: lors Hercules le trauersa
de sa [p. 161] Fac-simile de la page 161
de sa sagette. Or Nessus sentant blessé à
mort, & se voulant finemẽt venger proomit à
Deianire de lui bailler une recepte pour fai
re que Hercules m’aymeroit iamais autre
femme qu’elle. Si lui dist, & enseigna qu’elle
baignast en huile, & en son sang qui decou-
loit de sa plaie, la chemise d’Hercules, & que
s’il la vétoit ainsi, iamais n’aymeroit autre
femme. Hercules, puis apres se souuenant
du refus que Euryte lui auoit fait de sa fille
Yole, & s’en voulant vẽger, vint aire guerre
contre les enfans d’Euryte, qui estoient To-
xeus , Milio, & Pithius: & auec l’ayde des
Archadiens, qui l’auoient acompagné au
partir du mont Pheneus, print d’assaut la
vile d’Echalie: tua les fils de Euryte, &
rauit Yole leur seur. De l’amour de la-
quelle il fut tant espris & abusé, qu’il endu-
ra sous elle toutes les choses qu’il auoit pre-
mierement enduree sous Omphale, Royne de
Lydie, & mena Yole captiue de l’isle Eu-
boe , à present Negrepont, au mont Ceneus,
pour sacrifier aus Dieus pour la victoire. Et
enuoya secretement Lychas son seruiteur do
mestique vers Deianire, qui estoit en la vile
de Trachine, à fin qu’elle lui baillast l’ha-
bit (soit surpli ou chemise, ou d’autre sorte)
duquel il auoit acoutumé se vétir quand
l il fai [p. 162] Fac-simile de la page il faisoit sacrifice. Mais Deianire, ayant su
q̃ son mari Hercules portoit amitié à Yole,
& desirant estre la premiere, & principale
en son amour, bailla au messager ledit habit
qu’elle auoit trempé en huile, & sang de
Nessus le Centaure, qui lui auoit donné ce
conseil, & Lychas le messager de ce n’en sa-
ouit rien: qui porta l’habit à Hercules, lequel
il vetit: & incontinent apres le poison entra
petit a petit dens son corps, & le tourmenta
à merueilles. Cela fut en l’an cinquantedeu-
zieme de son aage. Ainsi surpris de rage &
de fureur, getta en la mer le poure Lychas
ignorant du cas: & enuoya Lycimnius &
Iolaüs en Delphos vers Apollo, pour auoir
quelque remede à ce tourment: l’Oracle
commanda qu’on batist une haute tour de
bois au mont Oita, & du reste que Iupiter y
pouruoiroit. Iolaüs & ses gens firent le com-
mandement d’Apollo, se doutans de ce qui
auiendroit. Hercules en desespoir monta en
la tour, & le seul Philoctetes en reconnois-
sance des sagettes q̃ Hercules lui auoit don-
nees, y mit le feu: & incontinent la foudre
descendit tout à l’enuiron, qui brula la tour.
Iolaüs et Philoctetes venas puis apres pour
cueillir les os, n’en trouuerent point. lors
penserent, & creurent que Hercules estoit
transp [p. 163] Fac-simile de la page 163
transporté aus cieus. Iuno, à la requeste &
priere de Iupiter, monta sur son lict, & pro-
duisit Hercules tout vetu cõme si elle l’eust
enfanté. Ce que les nacions barbares ont
estimé qu’elle faisoit pour le faire son filz
adoptif: & lui donna Hebe, sa fille, en ma-
riage. Menetius fils de Actor fit premier sa-
crifice à Hercules d’un taureau, cheureau,
& belier. Mais pour retourner au propos,
Deianire ayant sù le tourmẽt en quoy estoit
son mari Hercules, pour l’habit empoisonné
qu’elle lui auoit enuoyé, lui escrit cette epi-
tre: remontrant premierement le tort qu’il
lui ha fait, & puis apres declarant son inno-
cence. Les compleintes & regrets sont repe-
tez souuent, comme de celle qui delibere de
se pendre. La fin fut telle que de grand dou-
leur & regret du tourment de son mari, pro-
cedant de par elle (toutefois innocente) elle
se pendit (cõme Diodore ha escrit) mesme
deuant que Hercules fut mort. Et Hyllus,
son fils, print Yole à femme apres la mort
de son pere, & par son commandement: puis
eut des enfans d’elle. Ceci est amplement
descrit par le Poëte au neuuieme liure de la
Metamorphose, & comment Hercules fut
deïfié: ce que ie ne recite, pour cause de
brieueté.

[p. 164] Fac-simile de la page
164 [Bandeau]

TRADVCCION
DE LA IX. EPITRE
D’OVIDE.
*
Deianire escrit à Hercules.

[Figure] La vile ou
regnoit
Euryte.

IOyeuse suis qu’Echalie veincue

A notre honneur, entre autres, est venue:

Mais ie me pleins que cil qui la conquit

Se laisse veincre à femme qu’il veinquit.


5

Vn bruit soudein ha couru par la Grece,

Qui est infame, & contre ta prouësse:

Hercules.

Que cil lequel Iuno, ne mile maus

Veincre n’ont pù par infinis trauaus:

Yole l’a dessouz le ioug rengé.

Eurist [p. 165] Fac-simile de la page 10

Eurystheus est ainsi de toy vengé,

Qui ne peut mieus que cela souhaiter:

Iuno.

Pareillement la seur de Iuppiter,

Maratre tienne, en doit faire grand feste,

De voir en toy ce vice deshonneste.


15

Tu ne fais pas, qu’ores sois aperçu

Estre le grand, qui pour estre conçu,

N’eut grande assez une seule nuict (voire

Si c’est un cas que lon doiue bien croire.)

Certes Venus plus que Iuno t’a nuit:

Iuno. 20

Car cette ci te chargeant iour & nuict

De mil trauaus, t’esleue en grande estime:

Venus.

L’autre t’abbat, & sous ses piedz t’oprime.


Auise un peu de toutes parts la terre

Que la mer bluë euironne & enserre,

25

Paix vient de toy, qui en terre est logee:

Toute la mer est à toy obligee.

De tes biensfaits, & vertus acomplies,

Les deux maisons du soleil as remplies.

Le ciel, lequel apres ce monde ci

30

Te portera, tu as porté außi.

Hercules fort d’espaules, & de bras,

Astres, & ciel soutint apres Atlas.


Qu’as tu gaigné sinon faire connoitre

Ton deshonneur, & par tout aparoitre,

35

Si tu conioints ta paillardise infame

Aus premiers faits, plein de loz, & de fame?

N’est ce pas toy qu’on dit auoir bien fort

l 3 Dens [p. 166] Fac-simile de la page 166 DEIANIRE

Dens ton berceau pressez iusqu’à la mort

Les deux serpens? chose grande, & insine,

40

Ia te montrant de Iuppiter filz dine.

Tu commenças trop mieus que tu n’acheues.

Les premiers faits, dond en loz tu t’esleues,

Estoient plus grans que ne sont les derniers:

Les derniers sont moindres que les premiers,

45

Qui t’esleuoient en honneur trionfant:

Cet homme est bien autre que lui enfant.

Celui lequel meinte beste cruelle,

Iuno deesse ennemie mortelle,

Ni Eurysteus Roy plein de malueillance,

50

Rendre veincu, dont ils sont pleins de honte,

Le seul amour meintenant le surmonte.


Obiecciõ.

Mais on me dit que suis bien renommee,

Quand d’Hercules ie suis femme nommee:

Iupiter.

Qui pour beau pere ay cil qui là sus tonne

55

Par ses cheuaus, ausquelz la course il donne.


Comme les beufs diuers de taille ou d’aage,

Ne font bien ioints ensemble au labourage,

Ainsi la femme est mal appariee,

A un mari plus hautein mariee.

60

Ce n’est honneur que l’estat ou noblesse,

Mais c’est labeur, quand elle charge & blesse

Celui qui vient s’y ioindre, & atacher.

Quelconque femme appete de chercher

Vn bon parti, qu’elle son pareil quiere.

Mon [p. 167] Fac-simile de la page A HERCVLES. 167 65

Mon mari est tousiours de moy arriere:

Ie connoy mieus l’estranger qu’on rencontre,

Que mon mari qui bataille alencontre

Des monstres forts, & des horribles bestes.


Moy poure vesue en prieres honnestes

70

Dens ma maison toute seule adonnee,

Suis en grand peine, & tousiours malmenee

De pensemns que mon mari ne meure

Par monstres forts, qu’il poursuit à toute heure.

Entre Lions, qui quierent à repaitre,

75

Entre Sangliers & Serpens ie pense estre:

Ie voy les chiens acharnez dessus lui,

Meint songe vein me trouble, & donne ennui,

Foye & poulmon qu’es bestes on regarde,

Et tout cela ou de nuict lon prend garde.


80

Moy malheureuse enquier de tout le monde

Quel bruit de toy y court tout à la ronde:

De toy ne puis sauoir rien de certein:

Doute est chaßé par l’espoir incertein,

Et puis l’espoir est chaßé par le doute.

85

Nul n’est ici de ta parenté toute:

Ta mere est loin, laquelle est desplaisante

Qu’à Iuppiter elle fut onq plaisante.

Amphitryon ton pere, n’est ici

Hyllus.

Auecques moy, ni notre fils außi.

90

Eurstheus seul ie sens en moy sans cesse,

L’executeur du tort de la deesse,

Et de son ire inique encontre toy,

l 4 Et [p. 168] Fac-simile de la page 168 DEIANIRE

Et laquelle ire est trop longue pour moy.


Or ce m’est peu que tout cela ie porte,

95

Mais loin de moy ton amour se transporte,

O Hercules, & peult chacune femme

Estre de toy enceinte par diffame.

Ie ne vueil point ici dire comment

Augé tu pris auec efforcement,

100

Dedens un val qui est en Archadie,

Ni qu’engrossas la Nymphe Astydamie,

Ni acuser tes impudiques meurs

D’auoir forcé cinquante filles seurs,

Sans qu’une seul ait esté delaissee

105

Qui de par toy n’ait esté embrassee:

Mais seulement, pour ton forfait recent,

D’un cas bien laid, & à toy non decent,

Omphale.

D’une putein faut que ie parle & die,

Dont suis maratre à Lamus de Lydie.


110

Meandre fleuue, en une mesme terre

Qui vire fort (l’eau ne prend droit son erre

Aint bien souuent la reçoit & repoulse)

A veu orné en femme molle, & douce

Hercules fort: son col, qui les hauts cieus

115

Trouua legers, eut carquan precieus:

Et d’enchainer il n’a eu honte encor

Ses puissans bras auec bracelets d’or,

Ni de parer ses membres vertueus

De diamans, & rubis somptueus,

120

Et autrefois fut sous ces puissans bras

Le [p. 169] Fac-simile de la page A HERCVLES. 169

Le fort Lion de Nemee mis bas:

La peau duquel cil qui en fut le maitre

Porte sur soy à son coté senestre.

Tu as osé ta perruque aspre & forte,

125

D’un ruben peint lier tout en la sorte

Que fille ou femme: Or auec blanc Peuplier

Conuenoit mieus à toy de la lier.

Nulle honte as d’auoir en ta luxure

Ceint le tien corps d’impuqieu ceinture

130

A la façon d’une femme eshontee:


A ton esprit ne s’est representee

Aucunement, la personne, ou figure

Diomedes
Roy de
Thrace.

Du fauz tyran, plein de cruauté dure,

Qui fit manger les gens à ses cheuaus:

135

En cet habit, auquel tant peu tu vaus,

Si Busiris t’eust vù, n’en eut fait conte:

De toy veinqueur lui veincu eust eu honte.

Et Anteüs les rubens de ton col

Arracheroit, pour souz tel homme mol,

140

Et femenin, ne demourer soumis

En deshonneur, & estre à la mort mis.


On dit de toy qu’entre Ioniques filles,

Portes panier, & qu’entre elles tu files,

Creingnant, ainsi qu’une simple chambriere,

145

D’estre batu de ta maitresse fiere.

O Hercules, n’as tu point de vergoingne

De ta main mettre à si basse besongne,

Qui autrefois par tes faits tant notoires

l 5 Fut [p. 170] Fac-simile de la page 170 DEIANIRE

Fut apliquee à si hautes victoires?

150

De ton gros doigt, qui est fort & robuste,

Tu vas filant, & rens conte au pois iuste

De ta fusee au pris de ta filace

A ta maitresse ayant beauté de face.

Ha quant fuseaus, qu’en filant tu tordois,

155

Tu as rompus de tes gros & forts doigs?


On dit de toy, malheureus hebeté,

Que trop creignant d’estre bien fouëté

De ta maitresse, as tremblé à ses pieds.

Toy desarmé tes faits tant publiez

160

Lui racontas, que taire tu deuois:

C’estasauoir qu’estranglé tu auois

Les serpẽs

Les longs Serpens, lesquelz en ton enfance

Entre tes mains pressas à grand puissance,

Quãd de leur queuë ils faisoiẽt des tours maints

165

Tout alentour de tes petites mains.


Tu racontas que git mort puis apres

En Erymanthe, ou croissent les Cypres,

Le grand
Sanglier.

Le grand Sanglier, dont la pesante charge,

Fache la terre, & trop la presse, & charge.


Diomed. 170

Diomedes außi tu n’as point tù,

Duquel la teste au croc de fer pointu

Tu as plantee en sa maison de Thrace:

Ni ses cheuaus, & meinte iument grasse

De l’humain sang, tu n’as tù außi bien:


175

Ni Gerion, Gerion. triple monstre, combien

Que tous les trois faisoient un corps unique,

Ger [p. 171] Fac-simile de la page A HERCVLES. 171

Gerion riche en betail Hispanique:

Cerberus.

Ni Cerberus, la tres horrible beste,

Qui en un corps eut außi triple teste,

180

Auec serpens en son col enlassez,

Qui de siffler n’estoient iamais lassez.


l’Idre, ser-
pẽt à cens
testes.

Ni le serpent taire tu n’as voulu

Qui de son damp, & perte ha mieus valu:

Car en perdant une teste abatue

185

Deus lui venoient pour la teste perdue:


Anteus.

Ne cil lequel, perdant terre, & son estre,

Tu suffoquas entre ton bras senestre

Et ton bras droit, grand Geant pesant & fort,

Qui te sentit encor estre plus fort.

Les Cen-
taures.
190

Puis tu n’as tù les Centaures diformes,

Mal se fiant en leurs corps de deus formes,

Et en leurs piedz: dont la troupe orde, & sale

Tu dechassas hors des monts de Thessale.


Peus tu conter, ces hauts faits de vertu,

195

Toy delicat d’escarlate vétu?

Et ne veut point ta langue honnestement

Se retenir pour ton mol vétement?

Mais, qui plus est, ta dame trop aymee

S’est deuant toy de ton armure armee,

200

Et ha porté cette belle despouille

De son captif, qui en l’amour se fouille.


Ironie.

Or meintenant sois fier, & haut de cœur,

Va raconter les faits de toy veinqueur.

Ce qu’à bon droit tu ne serois, en somme,

Certe [p. 172] Fac-simile de la page 172 DEIANIRE Omphale. 205

Certeinement elle se montra homme:

A laquelle est inferieur d’autant

Que ton haut cœur, lequel eut de loz tant,

C’estoit bien plus à toy de surmonter

Que monstres forts que tu as pu donter.

210

A elle vient de tous tes faits l’honneur:

Sors de tes biens: le fruit & le bon heur

Ta dame prend de toute ta louenge.


O deshonneur, & vilein cas estrange!

Omphale.

Sur son coté ta dame ha atachée

215

La dure peau du Lion arrachee

Tu es deçu, sans entendre cela,

Du Lion n’est cette despouille là,

Mais c’est la tienne, &, à ce que ie voy,

Le fort Lion, veinquis, & elle toy.


De l’Hy-
dre.
220

Les traits plongez dans le sang du serpent

La femme porte, & son coté pend,

Qui sa quenoille, estant chargee, & pleine,

Ne peult porter quasi que bien à peine:

Et est sa main de la massue armee,

225

Qui ha souuent meinte beste assommee:

Et si ha vù, & ha fait aparoir

De son mari les harnois au miroir.


Ces cas i’auois ouï tant seulement,

Et pouuois bien ne croire entierement

230

Tout ce bruit là, qui de bien loin prouient:

Mais de l’oreille à l’œil mon mal s’en vient,

Et ma douleur trop facheuse, & amere:

Lon [p. 173] Fac-simile de la page A HERCVLES. 137 [sic pour 173] Yole.

Lon me fait voir la paillarde étrangere,

Que lon m’ameine ici deuant mes yeus:

235

Et ie ne puis un cas tant odieus

Dißimuler, ni ma douleur tresforte:

Tu me permets encor qu’on la transporte:

Meintenant vient, & deuant tous arriue

Yole.

(Qu’il me faut voir mal gré moy) la captiue:

240

Et ne vient point en triste estat, ainsi

Comme captifs, pleins de dueil, & souci,

De leur fortune aportans témoignage,

En abaissant, & cachant leur visage.

Elle se marche esleuee, & pompeuse,

245

Luisante en or, & robbe precieuse.

En tel estat comme tu mesmement

Fus en Phrygie orné trop mollement:

Son œil hautein sur le peuple elle gette,

Non pas ainsi que captiue, ou sugette,

250

Mais comme dame en son trionfe heureuse:

On penseroit qu’elle est victorieuse

D’Hercules preus, & mieus ne pourroit estre

Si son païs, & pere estoient en estre.

Parauenture außi que Deianire

255

Sera laissee, & dechassee en ire

Par Hercules, & cette amie infame

Ne sera plus s’amie, mais sa femme.

Hymen, qui est le Dieu de mariage,

Conioindra donq par un trop laid usage

260

Les corps vilains de l’Eurytide Yole

Et [p. 174] Fac-simile de la page 174 DEIANIRE

Et d’Hercules, plein de pensee fole.


Ie pers l’esprit touchant ce pensement:

Dessous moy court froideur, & tremblement,

Et puis ma main paresseuse, & pesante,

265

En mon giron repose languissante.

Entre plusieurs certes tu m’as aymee,

Mais par honneur, & bonne renommee:

Ne te repens de m’aymer par vertu,

Tu as pour moy par deus fois combatu.

Pachico-
lam .
270

Acheloüs cueillit sa corne route,

Dens son eau roide, en pleurant, puis en doute

Cacha dedens sa teste bien frotee.

Et de sn sang cheualin l’eau gáta

Lors que ton trait venimeus le tua.


275

Mais que me sert ainsi mettre en auant

Tous ces propos? puis, qu’en te rescriuant

Le bruit accourt, qu’en trop mortelle peine

Est mon mari par la poison vileine

De la chemise enuoyee par moy?


280

Ha, qu’áy ie fait? & iusqu’à quel esinoy,

Iusqu’à quel point m’a reduite, & rengee

L’amour ialouze à tout malheur forgee?

Que doutes tu cruelle Deianire

Presentement la dure more eslire?


285

Le tien espous mourra il en tourment

Au mont Oita, tresmiserablement:

Et tu viuras toy cause du malheur,

Lui [p. 175] Fac-simile de la page A HERCVLES. 175

Lui estant mort en tresápre douleur?

Et puis quel porte onques témoignage

290

Qu’à Hercules suis iointe en mariage?

Le témoignage en sera par ma mort.


Regrets de
Deianire.

O Meleagre, O mon frere ia mort,

Tu connoitras assez tot, pour le seur,

Que par ma mort außi ie suis ta seur.


295

Que doutes tu cruelle Deianire

Presentement la dure mort eslire?


O! ma maison malheureuse, & ma race,

Haut esleuee, & puis par malheur basse!

Oeneus.

De ses enfans mon pere est delaißé,

300

Et de vieillesse il est ia tout caßé.

Tydeus mon frere hors son païs errant,

S’en va bien loin terre estrange querant.

Meleagre.

L’autre fut vif auec feu fatal né:

Althee.

Ma mere s’est le coup morel donné.


305

Que doutes tu cruelle Deianire

Presentement la dure mort eslire?


Par la loy ceinte en mariage enclose,

Ie pry n’auienne onq cette seule chose

De m’estimer qu’expres t’ay fait ce tort

310

Pour te distraire en te mettant à mort.


Nessus.

Quand de Nessus le cœur d’amour preßé,

Fut de ton trait roidement trauersé

Lors il me dit (en me iouant faus tour)

Mon sang coulant peut attraire l’amour:

315

Voilà pourquoy l’abit ie t’ay transmis,

Que [p. 176] Fac-simile de la page 176 DEIANIRE A HERCVLES.

Que dens ce sang, trop venimeus, i’ay mis.


Que doutes tu cruelle Deianire

Presentement la dure mort eslire?

Eneus.

Or adieu donq mon pere en ton vieil aage:

Gorge. 320

Adieu ma seur, & adieu d’auantage

Tydeus.

Le mien païs, & mon frere, lointein

De mon païs, errant & incertein.

Adieu außi, o iournee derniere,

Et à mes yeus la derniere lumire:

Hercules. 325

Adieu mari qui du mal que te fis

Sauuer te vueille: Adieu Hyllus mon fils.


Fin de la neuuieme epitre qui est de
Deianire à Hercules.

ANNOTACIONS
sur la precedente Epitre de
Deianire à Hercules.
*

Paix vient de toy, qui en terre est logee:

Toute la mer est à toy obligee.


Le Poëte dit ceci pour raison des mõstres,
& des brigãs, & tyrãs q̃ Hercules auoit tué.

Hercules fort d’espaules, & de bras,

Astres, & ciel soutint apres Atlas.


C’est une ficcion qui ha pris son ocasion
de ce que Hercules fut Astrologue, & en
science [p. 177] Fac-simile de la page 177
science d’Astrologie succeda à Atlas.

Ie ne vueil point ici dire comment

Augé tu pris auec efforcement,


Augé fut fille de Alesus roy d’Archadie,
qui eut de Hercules un fils qui fut nõmé Te-
lephus , par ce qu’il auoit esté nourri d’une
cerue, que les Grecs apellent Elaphos.

Ni qu’engroissas la Nymphe Astydamie,


Astydamie, fut fille du Roy Ormenus, qui
la refusa bailler à femme à Hercules, sachãt
qu’il auoit Deianire; Hercules irrité de ce,
lui fit guerre, print sa vile, le tua, & rauit &
depucella Astydamie, de laquelle il eut un
fils nommé Ctesippe.

Et puis des seurs au nombre de ciquante [sic pour cinquante].

Hercules en une nuict despucella les cin-
quante filles de Thepsis Athenien, lesquelles
il engrossa toutes, chacune d’un fils, qui furẽt
nommez les Thespiades: & le croyez.

D’une putein faut que ie parle & die,

Dont suis maratre à Lamus de Lydie.


Le poëte dit ceci de Omphale, royne de
Meonie, & Lydie, que Hercules ayma tant
qu’il se rendit fort suget à elle: sous laquelle
il endura les mesmes choses qu’il fit depuis
sous Yole: de ladite Omphale il eut un fils
nommé Lamus, duquel Deianire se dit estre
maratre.

m Or [p. 178] Fac-simile de la page 178

Or auec blanc peuplier

Conuenoit mieus à toy de la lier.


Peuplier est un grand arbre, croissant pres
des eaus: dont il y en ha de deus sortes, c’est
à sauoir qui ont les fueilles blanches, & d’au
tres les ont noires.

A ton esprit ne s’est representee

Aucunement la personne ou figure

Du fauz tyran, plein de cruauté dure,

Qui fit manger les gens à ses cheuaus.


Le Poëte recite les faits cheualeureus de
Hercules, dont la souuenance lui deuroit fai
re honte, & le retirer de ses laschetez & pail[]
lardises infames. Par ce tyran est entendu
Diomedes, Roy de Thrace, qui faisoit man-
ger à ces cheuaus les gens qui passoient par
son païs: mais Hercules le fit mourir de pa-
reille mort.

En cet habit, auquel tant peu tu vaus,

Si Busiris t’eust vù, n’en eut fait conte:

De toy veinqueur lui veincu eust eu honte.


Busiris estoit Roy d’Egypte, que Thrasius
enseigna tuer en sacrifice les estrãgers, pour
faise auoir l’eau au païs plein de seicheresse:
lequel Trasius fut premier tué pour expe-
rience de son conseil: & comme Busiris en
vouloit autant faire à Hercules, Hercules le
tua lui mesme.

Et [p. 179] Fac-simile de la page 179

Et Anteüs les rubens de ton col

Arracheroit, pour souz tel homme mol,

Et femenin, ne demourer soumis

En deshonneur, & estre à la mort mis.


Anteüs estot un geant de Lybie, grand
luicteur, que Hercules suffoqua.

On dit de toy qu’entre Ioniques filles,

Portes panier, & qu’entre elles tu files,


Ionie est une contree pres de Meonie, &
pres du fleuue Meandre, en laquelle sont
Ephese & Smyrne, viles, & le fleuue Caistre.
En ce païs là estoit Hercules auec la Royne
Omphale, qui le faisoit filer & porter le pa-
nier comme une chambriere.

Tu renz conte au pois iuste

De ta fusee au pris de ta filace

A ta maitresse ayant beauté de face.


Le Poëte veut dire que la grande beauté de
la Royne Omphale, rendoit Hercules si be-
ste & si suget.

Tu racontas que git mort puis apres

En Erymanthe, ou croissent les Cypres,

Le grand Sanglier.


Erimanthe est le mont d’Arcadie, ou Her-
cules tua le grand Sanglier qui gastoit toute
la contree.

Puis tu n’as tù les Centaures diformes,

Mal se fiant en leurs corps de deus formes.


m 2 Les [p. 180] Fac-simile de la page 180
Les Centaures estoient monstres, en Thes-
salie , demi hommes & demi cheuaus, les-
quels Hercules deffit en troupe, tuant une
partie, & chassant l’autre.

Lon me fait voir la paillarde étrangere,

Que lon m’ameine ici deuant mes yeus:

Et ie ne puis un cas tant odieus

Dißimuler.


Le Poëte apres auoir long tems parlé
d’Omphale, parle meintenant en cet endroit
d’Yole, la derniere femme que Hercules ay-
ma, retournant à son premier propos, & com
mencement de l’epitre. Pendant qu’ Hercu-
les estoit ainsi efeminé & abusé en l’amour
d’icelle Yole, Deianire lui enuoya la chemise
empoisonnee, n’y pensant autre mal, sinon
qu’elle eust la vertu de retirer Hercules de
l’amour de l’autre, cõme faussemẽt lui auoit
donné entendre le Centaure Nessus. Voyez
la Preface de la presente epitre de Deianire.
I’ay escrit Yole par Y, pour le diuiser d’auec
o, à fin que lon ne lise Iole par deus syllabes,
comme lon fait Ioram & Ioseph: ce qui cor-
romproit le vers.

Acheloüs cueillit sa corne route,

Dens son eau roide, en pleurant, puis en doute

Cacha dedens sa teste bien frotee.


Acheloüs fleuue d’Acarnanie, non loin
d’Etolie [p. 181] Fac-simile de la page 181
d’Etolie, ou estoit la ville de Calydon, com-
batant contre Hercules pour Deianire, se
mua en serpent, puis en taureau, à qui Hercu
les rompit la corne: & le croyez ainsi.

Le tien espous mourra il en tourment

Au mont Oita, tresmiserablement?


Oita est une montaigne entre Thessalie,
& Achaïe, sur laquelle Hercules se fit bru-
ler, pour finir le tourment que la chemise
empoisonnee lui donnoit. I’ay escrit ledit
nom de montagne par la diphtongue oi,
que nous François auons prinse des Grecs
ou que les Grecs ont prinse de nous, & que
nous prononçons selon leur ancienne, &
vraye prononciacion qu’ils prononçoyent la
diphtongue omicron iota: combien que
les modernes Grecs, pour la plus grãde part,
proferent ladite diphtongue par i, simple.
Ainsi donq ie pronõce Oita, comme croitre,
voir, voisin, oison, toisõ, loisir, ioye: ce qui est
bien plus propre & naturel à notre langue,
que de le mettre par la diphtongue œ,
comme font les Latins, qui n’ont pas la diph-
tongue oi, comme nous, & nous aussi n’a-
uons pas la diphtongue œ, comme eus, au
moins qui nous soit propre.

O Meleagre, O mon frere ia mort,

Tu connoitras assez tot, pour le seur,

m 3 Que [p. 182]
Fac-simile de la page 182

Que par ma mort außi ie suis ta seur.


Le Poëte veut dire que comme Meleagre
est mort pour l’amour qu’il portoit à Ata-
lante , aussi Deianire mourra pour l’amour
qu’elle porte à Hercules: & par ce fait de-
montrera qu’elle est sa femme, l’aymant
iusques au mourir.

Tydeus mon frere hors son païs errant,

S’en va bien loin terre estrange querant.


Tydeus estoit ainsi fugitif, pource qu’il
auoit tué, sans y penser, son frere Mena-
lippus .

L’autre fut vif auec feu fatal né.

Quant Meleagre fut nouueau né, sa mere
vit les Deesses fatales mettre au feu un tison
ardent, en disant, O enfant, tu viuras tant que
ce tison durera: lors sa mere retira du feu
ce tison, & le garda: puis en fin, par
vengeance, le mit au feu: &
ainsi mourut Meleagre.
Voyez le huitie-
me liure de la
Metamor-
phose.

Fin de l’Annotacion de l’Epitre
de Deianire
.

[p. 183] Fac-simile de la page 183 [Bandeau]

PREFACE SVR
L’EPITRE D’ARIADNE
A THESEVS.
*

MInos roy de Crete, à present Candie,
fils de Iupiter & d’Europa, fit guerre
contre les Atheniens, pource qu’ilz auoient
par trahison occis son filz Angrogeus: Et
apres plusieurs grans batailles les contrein-
gnit que tous les ans pour punicion ils en-
uoyeroient sept ieunes filz, & sept filles pu-
celles en Crete, pour estre deuorez du Mi-
notaure, que Pasiphae, femme de Minos,
auoit engẽdré, couuerte du taureau par l’art
& subtilité de Dedalus, lors que son mari
estoit en guerre contre les Atheniens. Or
auint que le sort des Atheniens tomba sur
Theseus, comme nous auons dit en la Pre-
face de l’Epistre de Phedra à Hippolit: & alla
en Crete pour estre deuoré par le Minotau-
re. Mais Ariadne estant esprise de sa beau-
té, & bonne grace, l’auertit, & lui donna le
moyen commẽt il occiroit le Minotaure, &
comment il eschaperoit, & sortiroit du labi-
rynthe, Ainsi Theseus s’en retourna victo-
rieus, & departant de Crete de nuict secrette
m 4 ment [p. 184] Fac-simile de la page 184
ment auec Ariadne, & Phedra sa seur, s’en
vint prendre port en l’Isle dite autrefois Die,
& puis apres dite Naxos, & à present Nicsie:
ou il eut auertissement de Bacchus, de laisser
Ariadne, & pour cause de creinte d’aller con
tre la volonté de Bacchus, laissa Ariadne en
cette Isle endormie parfondement: & sans
elle s’en retourna en son païs. Elle à son ré-
ueil se voyant seule, & ainsi laschement de-
laissee par Theseus, lui escriuit cette Epitre
suiuante, comme le Poëte feint. Par laquelle
elle l’acuse de cruauté, trahison, & ingrati-
tude. Et en fin apres plusieurs regretz & cõ-
pleintes, le prie de reuirer son nauire, & faire
voile vers elle pour l’accueillir & repren-
dre. La fin fut telle que Theseus ne retourna
point la querir, mais Bacchus la trouua en
cette isle, & la print pour femme, & la trans-
porta aus cieus auec sa couronne: & ha esté
transmuee en sine qui s’apelle Couronne. Le
Poëte descrit bien sa transmutacion au
premier liure de l’art d’aymer
& au tiers des Fastes, & au
huitieme de la Me-
tamorpho-
se.

Fin de la Preface.

[p. 185] Fac-simile de la page 185 [Bandeau]

TRADVCCION
DE LA X. EPITRE
D’OVIDE.
*
Ariadne escrit à Theseus.

[Figure]

EN toute beste ay trouué amitié

Trop plus qu’en toy, qui n’as nulle pitié.

Il ne pouuois estre, certeinement,

Pis qu’auec toy, ô plein de faus serment.

5

Ce que tu lis, Theseus, i’enuoye à toy,

Du port duquel tu departis sans moy:

Ou m’a trahi & trop deçu mon somme,

Et toy, qui bien y auisois, faus homme.

C’estoit au tems auquel premier la terre

m 5 Boit [p. 186] Fac-simile de la page 186 ARIADNE 10

Boit la rosee außi clere que verre,

Et que dessus les vert fueillus rameaus

Chantent cachez les beaus petis oiseaus.

Ie ne say pas si lors i’estois veillante,

Ou du sommeil encor toute pesante,

15

Quand i’estendois dedens le lict mes bras

Cherchant Theseus, mais il n’y estoit pas:

Parquoy mes mains deuers moy retiroye

Et puis apres encor les auançoye.

Deus ou trois ie tátay de tout point

20

Dedens le lict, Theseus n’y estoit point.

Creinte chassa le sommeil loin de moy.

Lors me leuay toute pleine d’esmoy,

Sautant du lict assez habilement,

Auquel Theseus n’y estoit nullement.

25

Soudein ie fy ma poitrine sonner

De coups de poing que ie me vins donner:

Et comme estoient mes cheueus mal en ordre:

Par despit vins les arracher & tordre:


A la clarté de la Lune luisant

30

Si verray rien qu’arene, vais visant:

Mon œil ne voit qu’arene, & que riuage.

Puis ça puis là ie cours sans meintien sage.

L’arene haute, à mes piedz trop durette,

Tardoit les pas de moy ieune fillette.

35

Ainsi à moy, qui par toute la riue

Criois, Theseus, auec son de voix viue,

Les creus rochers, par leur trespiteus son,

Raport [p. 187] Fac-simile de la page A THESEVS. 187

Raportoient lors & redisoient ton nom.

Tant de fois donq que t’apeloit ma voix,

40

Le lieu außi t’apeloit tant de fois:

Ce lieu vouloit se montrer secourable,

En respondant à moy tant miserable.


Vn mont y eut auquel peu d’arbres croissent,

Et au sommet bien clers y aparoissent,

45

C’est un Rocher en pendant meintenant,

Que flot de mer auec bruit va minant:

Ie montay là (le courage m’aydoit:)

Estant là sus, ma vuë s’estendoit

Bien loin sur mer, & vis ta nef lointeine,

50

D’un vent singlant ie vy ta voile pleine:

(Des vens cruelz me suis seruie außi:)

Ou ie la vy, ou me semblant ainsi,

Ie deuins toute außi froide que glace,

Et demouray demi morte en la place.

55

Mais le grand dueil, & la douleur puissante,

Ne me tint pas trop long tems languissante:

Ce dueil m’excite, il m’excite, & m’emhorte

Crier, Theseus, tant que puis à voix forte:

Ou t’enfui tu (ie m’escrie) reuire:

60

O faus Theseus, remaine ton nauire:

Car il n’a pas son nombre entier & plein.

Ainsi criois apres toy bien à plein,

Et ne pouuant tousiours crier bien haut,

Ie viens supplir de ma voix le defaut

65

A coups de poing, dont ie frappois sans cesse

Mon [p. 188] Fac-simile de la page 188 ARIADNE

Mon estomac, & cœur plein de tristesse.


A brief parler, en cette destresse ample,

Mes maus & mots estoient meslez ensemble.

Et puis encor haussant en l’air mes mains,

70

Et les batant te fy des sines meints,

Afin que si tu n’usses pù m’entendre,

Tu m’usses vù les mains debatre & tendre:

Et si pendi à un baton bien long

Vn linge blanc, t’amonnestant adonq

75

Qu’estois laissee en ce lieu despouruuë:

Puis tot apres ie te perdu de vuë.

Lors ie pleuray (ia du precedent dueil

Ma tendre ioue estoit lasse, & mon œil.)

Mais que pouuoient mes yeus alors mieus faire

80

Que de pleurer en ce lieu solitaire,

Puis que desia tes voiles estendues

Estoient bien loin de mon regard perdues?


Ou ça, & là courant m’en suis allee,

Toute seulette, & toute escheuelee,

85

Ainsi que fait la Bacchante à sa guise,

Quand de fureur Bacchique elle est surprise:

Ou froidement sur un roc m’en vins seoir

Pour la grand mer mieus contempler & voir:

COmme mon siege estoit de pierre froide,

90

Pierre ie fus aßise en pierre roide.


Vers notre lict souuent aller ie veus.

Qui nous deus eut, mais n’en put rendre deus.

Mieus ie ne puis que marcher en tes pas,

Au [p. 189] Fac-simile de la page A THESEVS. 189

Au lieu de toy, qui auec moy n’es pas:

95

Et que baiser le linge ou ie couchois,

Toute moite encor de toy, qui me touchois.

Dessus le lict ie me baisse, & m’abouche:

Puis de mes pleurs estant pleine la couche,

Lui vais criant, deus y auons couché,

100

Rens en donq deus: ou est l’autre caché?

Nous sommes deus venu coucher ici,

Pourquoy donc deus n’en retournons außi?

O lict pariure, ingrat, plein de cautelle,

La plus grand part de nous, las, ou est elle?


105

Ha, que feráy ie? Et seulette ou iráy ie?

Rien n’est ici qui mon grand dueil allege:

L’isle est deserte, & ny voy nul ouurage

De gens, ou beufs, propres au labourage.

De toutes pars on voit le bout de terre,

110

Et l’eau de mer qui l’enuironne & serre:

Nul nautonnier n’appert en mer hauteine,

Ne nulle nef tient ci voye incertaine


Combien que i’usse ores propices vens

Pour nauiguer, & de nauz & des gens

115

(Pren qu’ainsi soit) mais ou pourrois ie tendre?

En mon païs ne pourrois terre prendre:

Car tu peus bien facilement sauoir

Que ne me veut mon pere receuoir.

Quoy qu’à souhait i’eusse la mer bonace,

120

Et qu’Eolus retinst des vens l’audace,

Hors mon païs tousiours serois vagante.


O Crete [p. 190] Fac-simile de la page 190 ARIADNE

O Crete belle, en cent bourgs abondante,

Ou Iuppiter fut nourris, desormais,

Pour mon forfait, ne te verray iamais:

125

Car i’ay trahi mon païs & mon pere,

Le iuste Roy (double chose bien chere)

Quand, ô Theseus, le fil pour sauf conduit

Ie te baillay, qui sans mal t’a conduit

Dens le tortu labirynthe & obscur:

130

Quand me disois, par le danger tresdur

Auquel ie suis, ie ure en la main tienne,

Tant que viurons nous deus, tu seras mienne.

Or nous viuons, & tienne ne suis point:

Si femme vit, estant en ce dur poinct

135

Enseuelie en trahison maudite

De son mari, & en tous maus confite.


Que pleust aus Dieus quãd ta main fut armee

De la massue, ainsi m’ust assomee

(O desloyal, & menteur faussement)

140

Comme mon frere assommas lourdement.

Au moins la foy que tu m’auois promise

Fust par ma mort bien tot à sa fin mise.


Or meintenant non seulement ie pense

Quels maus i’auray, mais mon esprit pourpense

145

Tous les grans maus de Fortune insensee

Que peut soufrir la femme delaisse:

A mon esprit se presentent cent formes

De dure mort, terriblement diformes:

Et moindres maus ha la mort corporelle

Que [p. 191] Fac-simile de la page A THESEVS. 191 150

Que la doutance, & atente d’icelle.


Ie doute ia que tot les loups courront

D’ici, de là, que me deuoreront

Auec leur dent rauissante, & habile.

Parauanture encores que cette isle

155

Nourrit ici non seulement des loups,

Mais tygres fiers, auec des lions rous:

Et puis on dit que la mer aus riuages

Gette souuent de grans phouques sauuages.


Et qui pourra me garentir außi

160

De receuoir maints coups d’espee ici?

Il ne m’en chaut, mais que tant seulement

Serue ne sois, liee estroitement

De grosse corde, ou de cheine pesante:

Mais que ne sois comme poure seruante

165

Filant la laine en grand sugeccion,

Qui noble suis de generacion,

Qui le Roy Minos ay pour mon pere.

Pasiphaë.

Et puis la fille à Phebus pour ma mere:

Et (ce qui est encores d’auantage)

170

Qui t’ay promis la foy de mariage.


Sur terre ou mer si ie gette ma vuë,

Ou sur la riue, ayant grand’ estendue,

Terres & mers me font de grans menaces:

Le ciel restant, ie crein des Dieus les faces

175

Aus yeus mortelz aportans frayeur grande.

Ie suis laissee en proye, & en viande

A toute beste en ce facheus destour.


Bien [p. 192] Fac-simile de la page 192 ARIADNE

Bien qu’il y eust des gens ci alentour,

Aus [estrangers] ne puis aiouter foy,

180

Qui sis desia trop deçuë par toy.

Ha, plust aus Dieus qu’Androgeüs mon frere

Fust en ce monde, & en vie prospere,

Et n’ust esté, ô Athenes, defait,

Qui mort des tiens soufriz pour ce forfait:

185

Et ta massue, ô Theseus, de neuds pleine

Minotau-
re.

N’ust l’homme & beuf assommé en grãd peine:

Et que le fil baillé ne t’usse pas:

Pour te conduire au retour pas à pas:

Fil bien souuent de main en main tiré,

Le labi-
rynthe.
190

Quand du chemin tortu t’es retiré.


Ie ne suis point certes emerueillee

Que deuers toy la victoire est allee,

Et que tu as l’homme, & beuf mis à mort:

Ton estomac de fer bien dur & fort

195

Ne pouuois pas par la corne estre ouuert.

Combien que tu n’usses esté couuert,

Si auois tu assez pour ta defense

De ton cœur dur & de grant resistence:

Là tu as mis aïmans, & caillous:

En ton
cœur.
200

Là dedens as un Theseus passant tous

Caillous tresdurs en force, & en durté.


O faus dormir, & plein de cruauté,

Qui m’as tenue ainsi pesante! mais

Ie deuois estre assopie à iamais

205

Du long sommeil de l’eternelle nuict.

O vens [p. 193] Fac-simile de la page A THESEVS. 193

O vents cruelz, prompts à ce qui me nuit,

Et à me faire en dueil, & pleurs confire!

O main cruelle, ayant voulu occire

Minotau-
re.

Mon frere, & moy! O foy par trop cruelle

210

Qui ha le nom, & non l’efect en elle,

Laquelle foy t’ay donnee à fiance

A ta requeste, & à ta grande instance.


Contre moy femme, ont trois choses en somme

Trop conspiré, la foy, le vent, le somme.

215

Ie ne verray donq point la larme amere,

(Quand ie mourray) de ma piteuse mere:

Et ie n’auray nul parent en ces lieus,

Qui de ses doigs viendra clorre mes yeus.

En l’air estrange, & region facheuse

220

S’en volera mon ame malheureuse:

Et nul parent ou ami ne viendra,

Qui de mon corps mort auec sa main oindra:

Mes les oiseaus de la mer voleront

Dessus mes os, qui sans tombeau seront.

Ironie. 225

Voilà l’honneur, le sepulcre, & cercueil

Qu’ay merité, pour t’auoir fait recueil.


Tu t’en iras en Athenes, & puis

Estans reçu tresbien en ton païs,

Quand tu seras entre tes peuples haut,

230

Et conteras que ta prouesse vaut,

Comme as tué l’homme & beuf, Minotaure:

Comme es sorti du labirynthe encore.

Raconte außi que seule m’as laissee,

n Ie [p. 194] Fac-simile de la page 194 ARIADNE

Ie ne doy estre entre tes faitz, passee.


235

Ton pere n’est Ægeus, n’Ethra ta mere:

Rocher, & mers sont ta mere, & ton pere.

Que plust aus Dieus que de ta pouppe haute

Ton œil me vist: il n’y ha point de faute

Si mon meintien tant piteus auois vù,

240

Que tu serois à quelque pitié mù

Mais si des yeus de ton corps ne me vois,

De ton esprit me peus voir toutefois.

Sur un rocher auquel l’eau bat, & bruit:

Voy mes cheueus tous espars en la sorte

245

Que fille va pleurant sa mere morte.

Voy mon habit baigné en pleurs qui semble

Baigné en pluye: & mon poure corps tremble

Ainsi que font en un plein champ les blez,

De forte bize agitez, & troublez:

250

Mes doigs tremblans escriuent mal à droit.


Ie ne te vueil requerir orendroit

Par mes biens faits, en toy mal adressez:

Mais, s’ils ne sont d’aucun gré compensez,

Au moins pour bien que ie n’aye pas mal.

255

Si ie ne t’ay sauué d’un cœur loyal,

(Pren qu’ainsi soit) si n’est il dit pourtant

Que iusqu’à mort tu me pourchasses tant.


Ces poures mains tant lasses, dequoy i’ay

Frappé mon cœur tant triste, & affligé

260

Ie vais tendant, helas moy malheureuse,

Vers [p. 195] Fac-simile de la page A THESEVS. 195

Ver [sic pour Vers] toy lointain en la mer spacieuse.

Ces cheueus ci, qui restent seulement.

Ie te fay voir ores piteusement.


Or pour la fin ie te pry d’une chose,

265

Par mes grans pleurs, dont tes faits sont la cause,

Ta nef en ça, ami Theseus, tourne:

Change de vent, & deuers moy retourne:

Si ie suis morte alors qu’arriueras,

A tout le moins mes os tu cueilliras.


Fin de la dixieme Epitre, qui est d’ A-
riadne à Theseus.

ANNOTACIONS SVR
la precedente Epitre de
Ariadne à The-
seus.

Vn mont y eut auquel peu d’arbres croissent,

Et au sommet bien clers y aparoissent:

C’est un Rocher en pendant meintenant.


Il y ha semblable passage en l’Epitre d’ E-
none à Paris
sur le commencement: le trans-
lat porte

Vn bien grand roc regarde loin en mer:

A l’exposicion duquel le lecteur pourra recourir si bon lui semble.

Ainsi que fait la Bacchante à sa guise.

Des femmes Bacchantes y ha aussi exposi-n 2 cion [p. 196] Fac-simile de la page 196
cion sur l’epitre de Phedra à Hippolyt, vers
le commencement des annotacions.

Et puis on dit que la mer aus riuages

Gette souuent de grans phouques sauuages.


Phouques, sont bestes de mer, qui ont poil,
& viennent dormir de nuict en terre: & en
dormant soufflent, ronflent, & respirent un
son en maniere du cri d’un veau, pource on
les apelle veaus marins. Hippolyt, que Phe-
dra aymoit, mais non lui elle, fut tiré, & es-
quartelé par ses cheuaus espouuentez d’une
phouque marine. voyez la preface de l’epi-
tre de Phedra à Hippolyt.

Ha, plust aus Dieus qu’Androgeüs mon frere

Fust en ce monde, & en vie prospere,


C’est une coutume, & quasi un fait de fem
me de ramener au deuant, & tousiours en
ieu, les commencemens, & premieres causes
de leur malheur, comme appert quasi en
chacune de ses epitres.

Et n’eust esté (ô Athenes) deffait,

Qui mort des tiens souffris pour ce forfait.


C’est une apostrophe, c’estadire parole
adressee à la vile d’Athenes, à present Cethi-
ne , ou Satines. Ce propos de la mort des Athe
niens a esté exposé en la preface de la pre-
sente epitre, parquoy n’est besoin le repeter.

FIN.

[p. 197] Fac-simile de la page 197 [Bandeau]

LE TRANSLA-
TEVR AVS LE-
CTEVRS.
*

I  E VOVS vueil bien auertir
  (amis Lecteurs) qu’en tradui-
 sant les dis Epitres d’Ouide
  precedentes, ie ne me suis
  tant voulu renger aus termes
qu’au sens, mais le plus pres qu’il m’a esté
possible, & le plus brief que notre langue l’a
pù permettre (certes non sans trauail d’es-
prit) i’ay rendu le sens de l’auteur: si que
bien souuent i’ay tourné deus vers Latins en
trois François, & quelque fois un pour un:
dond me montreray, parauanture non à tort,
plus rude, obscur, & dificile qu’es autres eu-
ures de mon inuencion, ou ie suis libre en
mon esprit, & non contreint. Toutesfois, au-
tant que i’ay pù, i’ay euité la contreinte &
obscurité, dond ie suis ennemi naturel: & ne
me suis, pour cette raison, en quelques pas-
sages tant voulu assugetti à la rime, q quand
le sens s’est mieus offert autrement, ie ne
n 3 l’aye [p. 198] Fac-simile de la page 198
l’aye diminuee de son honneur, & pris la fa-
cile rencontre & brieueté du sens, pour sui-
ure l’intencion de l’auteur de plus pres, &
l’affeccion des personnes: estimant la rime
estre la ministre, & chambriere du sens, &
non au contraire. Ce neantmoins i’ay con-
ioint, & gardé, à mon pouuoir, la dinité du
sens, & richesse de la rime: & n’ay fait com-
me aucuns Traducteurs François, mesme
antiques, qui laissent en blanc les passages
plus difficiles, & quelquefois quatre ou six
vers Latins (mais dix ou douze) tout d’une
tire: & qui, au contraire, aussi quelques
autres fois, pour un ou deus vers Latins, en
faisoient six, ou huit, ou dix vers François,
y aioutans, & glosans beaucoup de leur sens:
& quelquefois encor donnoient en leur
translat un sens du tout contraire au sens de
l’auteur, faute de bien vieiller, & auiser de
pres. Le premier vice est comme essoiner,
detrencher, & mutiler l’auteur: le second,
trop le confondre, & entreprendre sur lui:
& le tiers, est le renuerser, corrompre &
contreindre à notre sens: qui sont trois vi-
ces tresgrans, & insuportables, à tout bon
œil, en un Traducteur.

Quand est de ce que aucuns, de trop pe-
tit iugement en la connoissance des lan-
gues [p. 199] Fac-simile de la page 199
gues, se pleignent des Traducteurs qui ne
traduisent mot pour mot, & ligne pour
ligne, comme s’ils commettoient une gran-
de ofense, & estoient indines du nom de
Traducteurs: combien qu’il peut sembler,
que ie leur aye assez respondu ci dessus, di-
sant que i’ay quis le sens plus que les mots:
toutefois ie leur vueil satisfaire amplement,
à cause que i’en voy plusieurs tomber en cet
erreur & ignorance. En premier lieu donq,
lon scet bien que chacune langue ha sa pro-
pre phrase, & propriété particuliere, de sor-
te que bien souuent ce qu’en une langue se
pourra pas bien proprement, & facilement
dire en six, en une autre langue.

Ainsi c’est une chose, ie ne di pas dificile,
mais du tout impossible de faire, i’entende
traduire mot pour mot, sans corrompre, &
diminuer l’honneur, la grace, & proprieté
des langues.

Secondement c’est mal auisé que la Tra-
duccion se puisse bien faire commune-
ment, & du tout, de vers pour vers: car qui
bien auisera, un vers Latin ha tousiours
deus ou trois syllabes, voire quelquefois
six ou sept, plus que le vers François: i’enten
des vers Latins exametres, & pentametres,
n 4 qui [p. 200] Fac-simile de la page 200
qui sont les plus communs, & dont se font
plus de traduccions. Aussi l’on voit quelle
rudesse, & mauuaise grace ont les Traduc-
cions ainsi faites de vers pour vers. Ce que
aucuns ont affecté trop curieusement, pen-
sans faire plus que les autres, & n’auisans
point (au contraire) le grand vice d’ob-
scurité, & confusion en laquelle ilz sont
tombez: de sorte qu’ilz ne sont rien moins
que venuz à leur fin esperee d’honneur &
gloire: car leurs vers, pour toute recom-
pense, sont minez des vers, comme lon
voit tous les iours. Au reste, les repre-
neurs des traducteurs disent, que commu-
nement lon faut en ce que quelques dic-
cions des auteurs on omet, qui mesme
ont grace & eficace: & au conraire, quel-
ques autres on aioute, qui sont propres
aus traducteurs, ou pour le remplissement,
ou pour la rime, à fin de rentrer à la tail-
le. Mais, certes, autrement ne se peut,
faire, que quelques mots de l’auteur ne
soient omis, & laissez, & quelques autres
du traducteur aioutez: mesmement en vers
François, pour la taille, toutefois se doit
faire de si bonne grace, tant bien & pro-
prement qu’ilz semblent estre comme de
l’auteur: de sorte que si l’auteur eust escrit
en [p. 201] Fac-simile de la page 201
en la langue qu’on le traduit seroit vray
semblable qu’il auroit ainsi escrit, ou à peu
pres. Et au contraire aussi, le moins que
lon peut laisser des mots de l’auteur, quand
mesmement ils seruent au sens ou à la gra-
ce, c’est bien tousiours le meilleur: le tout
à la discrecion & bon iugement du tradu-
cteur, l’honneur & reuerence gardee des
deus langues.

Or, changeant propos, touchant des
noms antiques des viles, Isles, mers, portz,
passages, goulphes, & destroits, ie les ay
laissez en ma traduction, pour la plus
grande partie, tant pour la reuerence de
l’antiquité, comme pource qu’en si gran-
de confusion de langues & d’opinions, en
la diuersité des noms des païs estranges,
& inconnuz, quant à moy, ie n’ay osé
m’assurer des propres noms presens, sinon
de quelques uns, que i’ay pris, d’un liure in-
titulé, l’estat du grand Turc, & des tables
de la Grece, & de ceus qui ont reuu &
addicionné le Ptolomee: desquels noms
presens i’ay usé en ma traduccion, & de
bien peu, & ne l’ay fait sinon qu’il me ve-
noit mieus à propos, pour le nombre, ou
pour la taille: & y ay mis le nom antique
à cote en la marge. Car i’ay auisé, & con-
n 5 nu [p. 202] Fac-simile de la page 202
nu par liures, & entendu par gens qui ont
esté en ces païs de la Grece, que bien sou-
uent une isle, vile ou port sont nommez
par les Turcs, par les Tartares, par les
François, par les Latins, par tout diuerse-
ment: ie di encor, diuersement, par noms
presens: & non seulement par noms anti-
ques. Et quand est des noms propres des
personnes, ie les ay laissez aussi, pour la
plus grande partie, selon que ie les ay
trouuez en Latin: car de les tourner au-
trement tous, ou grande partie, ie ne l’ay
voulu entreprendre à cause que lon les peut
tourner diuersement, & aussi que les opi-
nions sont diuerses entre les sauans, & le
proces non decidé pend encor deuant le
iuge: pareillement à fin que, sans en rien
douter, lon entendist mieus de quelles per-
sonnes mon translat parleroit: atendu que
les mesmes & propres noms Latins des
personnes, y sont demourez entiers, &
non changez, comme i’ay dit, pour la plus
grande partie: car i’ay seulement tourné,
& aproprié à notre langue, ceus qui appro-
choient plus de pres de nos terminaisons, &
qui estoient plus usagers & faciles.

Or meintenant ie vueil declaer quel
bien & utilité lon peut tirer de ma traduc-
cion. [p. 203] Fac-simile de la page 203
cion. Le proufit donq qui en vient est dou-
ble. Premierement, quant à la Rhetori-
que, qui est l’art & science de bien dire &
bien escrire (& n’est pas l’art de rimer,
comme aucuns ignorans en abusent de ce
mot de Rhetorique) à cause que dens ces
precedentes epitres lon y sent, & reconnoit
la vertu de dire du Poëte tant estimé, les
propos bien deduits, les raisons & argumens
de bonne inuencion, les motz bien couchez
& apropriez, les belles comparaisons ou si-
militudes, les fortes & aparentes persuasions, les
conclusions pleines de grandes & vehemen-
tes afeccions: à brief parler la grace & effi-
cace du Poëte.

Secondement, l’utilité est quant aus meurs:
pource qu’il n’y ha personne tant adonnee
& eschaufee en l’amour voluptueuse, qui
n’en soit bien refroidie, & destournee, apres
qu’elle aura bien leu ici dedens, & bien con-
sideré les peines & miseres des amoureus, les
poignãtes passions, les pertes de sens, & fo-
les perturbaciõs, les belles paroles & fausses
promesses, les regretz & cõpleintes, les im-
paciences & inconstances: &, pour la fin, les
mauuaises issues auec desespoir, mal respon
dans à leur commencement tant ioyeus &
tant [p. 204] Fac-simile de la page 204
tant plein de grand espoir. Ainsi donc cette
traduccion est faite pour l’utilité commu-
ne, car quand ici dedens sont racontees
les grandes facheries & infortunes des Da-
mes amoureuses, c’est un miroir & exemple
de ne faire comme elles, ains au contraire,
estre sages au despens d’autrui, comme dit
le prouerbe. Et, quand est de celles qui ont
bien aymé leurs maris & gardé l’honnesteté
de mariage, qui voudroit plus bel exemple
de chasteté, bonté, souci, creinte, deuoir &
amitié enuers sa patrie que de Penelopé en-
uers son mari Vlysses? que de Deianire en-
uers son mari Hercules? D’auantage, ia soit
que l’euure traite d’amour, toutefois si n’y
ha il rien de vilein ou deshonneste qui puisse
inciter ou eschaufer les Lecteurs à mal: com
me y pourroit auoir aus liures de l’art d’ay-
mer, & aus Elegies d’amour, composees par
le mesme Poëte Ouide. Que si d’auenture
lon peut tirer quelque mauuais exẽple d’au-
cune de ces Epitres, ce sera principalement
de la quatrieme, ou est declaree l’amour
desesperee de Phedra à Hippolyt: mais pour-
quoy prendre lon plustot exemple sur la vi-
cieuse amour de la malheureuse Phedra, que
sur la belle & honorable chasteté du ver-
tueus Hippolyt? lequel ne voulut iamais con
sentir [p. 205] Fac-simile de la page 205

sentir au desordonné & enragé desir de sa
fole maratre Phedra? Le tout sera donq pris
en bonne part (comme i’espere) par ceus
qui seront raisonnables, & qui au-
ront tant soit peu de sel en
leur teste. Adieu amis
Lecteurs.
*

[Fleuron]




[p. 206] Fac-simile de la page 206 [Bandeau]

PREFACE SVR
L’EPITRE DE CANACE
A MACAIRE.
*

MAcaire & Canace, fils & file du Roy
Eolus, s’entr’aymerẽt incestueusemẽt,
& coucherent ensemble facilemẽt sous cou-
uerture de fraternité: dont auint, que Cana-
ce enfant un fils, lequel voulant secrette-
ment faire porter par sa nourrice, hors du
palais de son pere, à fin qu’il fut alaité &
nourri, ce malheureus enfant ce prĩt à crier,
& se fit entendre du Roy son ayeul, qui en-
trant en colere, pour le forfait & malheu-
reuse amour de son fils & fille, commanda
que ledit enfant fut getté aus chiens: puis
enuoya par un de ses satellites, une espee à sa
fille pour en user selon ses demerites, de la-
quelle on dit qu’elle se tua. Toutefois auant
que mourir elle escriuit à son frere, qui s’e-
toist getté en frãchise au temple d’Apollon,
& lui delcara sa fortune & piteus état mor-
tel:le priant qu’il recuillit les os du petit en-
fant, son fils, & qu’il les portast en fin en une
mesme sepulture, auec ceus de la mere.

[p. 207] Fac-simile de la page 207 [Bandeau]

LA XI EPITRE
D’OVIDE
*
Canace escrit à son frere Macaire.

[Figure]

Si tu trouues ces les lettres entachees

De rude escrit & de mon sang tachees,

Pourtant ne laisse à voir le contenu.

Lors connoitras comment m’est auenu:

5

Ce seul mouuoir me meut & m’esuertue

D’escrire à toy, deuant que ie me tue:

Ie tiens la plume taillee en une main,

Et en l’autre i’ay le glaiue inhumain.

En mon gyron git la carte confite

De [p. 208] Fac-simile de la page 208 CANACE 10

De pleurs & plains, qui est forment escrite:

Telle est l’estat & au vif la peinture

De celle la dont vient cette escriture.

Si m’est auis qu’en tel acoutrement:

Complaire puis, voire & non autrement:

15

A mon cruel & trop despiteus pere,

Lequel commande que tot me desespere.

Que pleust à Dieu qu’ici fust sans seiour,

Pour voir ma fin & mon dernier iour:

Et il qui est cause de cet afaire,

20

Me vist occire, & de ma main deffaire.

Car pour certein, il qui est sans pitié,

En qui ne git paternelle amitié,

Regarderoit ma vie despouillee,

Sans que de pleurs sa face fust moillee.

25

Ainsi montre il sa grande cruauté,

Et peu me vaut sa noble royauté.

Il est pour vray des vens signeur & Sire,

Et dominer ne scet pourtant son ire:

Dont son vice est plus grand (sans vanterie)

30

Que n’est sa terre & haute signeurie.

Mais que me vaut sa noble parentelle,

Quand il commande ma ruïne mortelle?

Et qu’il m’enuoye un glaiue, pour present?

Dont me conuient faire coup si pesant?

35

Certes ce glaiue qu’à ma main tiens & porte,

N’est conuenable à moy ne de ma sorte;

Femme ne prend en tel art son deduit,

Quen [p. 209] Fac-simile de la page A MACAIRE. 209

Quenouille & fil trop mieus leur plait & duit.

Or plust à Dieu que l’heure malheureuse

40

Que nous cuidions toy & moy tant heureuse

Quand ensemble nous nous trouuames lors

Pour acomplir le plaisir de nos corps,

M’eust preuenue, & de mort aiournee

Sans auoir vù si dolente iournee:

45

O mon dous frere, D’où te vint ce vouloir

De tant m’aymer, & mettre à nonchaloir

Toute autre femme, pour si fort me complaire,

Plus que ne doit un frere à sa seur faire?

Et ie lasse pourquoy fus ie ta seur,

50

Quand ce plaisir ne peusmes prendre asseur?

Las, tu m’aymas, & außi ie t’aymay:

Le feu d’amour en mon cœur allumay.

Premierement ie creintiue & honteuse

Senti le dart d’amitié chaleureuse,

55

Et fut en moy embrasé le tison

D’ardant desir sous celee prison.

Tes grans douceurs & autre vertus meintes

En ma pensee à peu pres furent peintes,

Ie commençay perdre teint & couleur,

60

Comme surprise en amoureuse ardeur,

Maigre deuins, pasle, fletrie, & blesme

Comme s’estant maitresse de moymesme:

Tot euz perdu de menger l’appetit:

De tout cela me donnois bien petit:

65

Le long dormir m’estoit bien dificile:

o Vne [p. 210] Fac-simile de la page 210 CANACE

Vne nuit seule m’en duroit plus de mile:

Ie souspiroye & gemissoye à part

Comme nauree en trop douteuse part:

Et toutefois cause en moy ne sauoye

70

Pour qui tel mal & tel douleur auoye.

Encor n’auois senti qu’amours estoit:

C’estoit cela qui me persecutoit.

De mon ennui & peine coutumiere

Ma nourrice s’aperçut la premiere,

75

Et si me dist, ô fille, ou que ce soit

Amour te tient ou mon cœur me deçoit.

Lors rougissant fus surprinse de honte

Dont la couleur en la face me monte:

Et commençay mes yeus en bas baisser,

80

Comme honteuse de mon cas confesser.

Mais que valoit le celer, ne le taire?

A mes gestes bien connut mon afaire.

Que diray plus? Tant aymay en effet,

Que’entre nous deus fut le plaisir parfait:

85

Et tant de fois nous trouuames ensemble,

Que fol delict peur & creinte nous emble.

Tant ie complu sans user de refus,

Qu’à la parfin par toy enceinte fus,

Et commença mon ventre enfler & croite,

90

Par nouueau fait qui au dedens peut estres:

Et la charge furtiuement bátie

Me rendoit graue & toute pesantie.

Mais cuides tu que ma poure nourrice,

Pour [p. 211] Fac-simile de la page A MACAIRE. 211

Pour effacer mon crime & malefice,

95

Ne me donnast herbes & medicines,

Bruuages forts, & puissantes racines,

Pour tot esteindre & acoup auorter

Le fruit sans coulpe qu’elle me sent porter?

Certes si fit, mais en vain en usoye,

100

Et de ce faire à l’heure m’abusoye:

Car ia estoit trop vigoureus l[’]enfant

Qui au venin resiste & se defent

Ainsi conuint endurer la fortune,

Et ce pendant tant tournoya la Lune

105

En son cercle, & erra tant de fois

Qu’elle eut parfait le neuuiëme mois.

Lors fus surprise d’une douleur nouuelle,

Onques certes n’en auois eu de telle.

I’estoye encor, pour certein, ignorante

110

Du mal que souffre une femme gisante:

Douleur soudeine, & acoup me contreint

Pleindre & crier du travail qui m’estreint:

A haute voix plouroye & gemissoye

Pour la douleur si grieue que passoye:

115

Ma gouuernante alors me reprenoit,

Et de ses mains ma bouche retenoit,

En me disant, faut il que tu descœuures

Par ton pleindre tes miserables euure?

Ainsi ne say doulente que ie fasse:

120

Aspre douleur me contreint & me chasse.

A pleindre fort, mais creinte, doute & peur,

o 2 De [p. 212] Fac-simile de la page 212 CANACE

De l’autre part, font taire ma douleur.

Parquoy conuient que ie boiue mes larmes

Destrempees de trop rigoureus termes.

125

La mort auoye au deuant de mes yeus,

Pour les travaus dont onques n’euz de tieus:

Et bien sauoye pourtant si ie mourroye,

Que trop grand crime & peché i’encourroye,

Faisant mourir en cœur debilité

130

Vn poure enfant qui ne l’a merité.

Bien me souuient qu’estant en tel esmoy

Tu te vins mettre & coucher pres de moy:

Et par grand dueil tu fiz cette roupture

De tes cheueus & mais de ta véture,

135

En me disant, ô seur, ô chere seur

Ie te te sulpi [sic pour te supli] par la tienne douceur,

Qu’à ce besoin meintenant t’éuertues

A fin au moins que nos deus cœurs ne tues:

Or sus viz donq, & ne t’essaye pas

140

D’en ouir deus mourans par ton trespas.

Pren force & cœur en ta bonne esperance,

Dont tu auras ioyeuse deliurance:

Et tien toy seure (quoy qu’en puisse auenir)

Que ie ton frere te vueil mienne tenir:

145

Et seras femme de cil, sans nulle doute,

Pour qui la peine si cherement te coute.

Ie, pour certein estant morte forment,

Pou [sic pour Pour] telle angoisse & ennuieus tourment,

Retournay viue, & fus resuscitee

Quand [p. 213] Fac-simile de la page A MACAIRE. 213 150

Quand i’eu ta voix & parole escoutee:

Et de ce pas, par tes plaisans acors,

Me deliuras du trauail de mon corps.

Mais que me vaut icelle courte ioye

En mon endroit? Pource ne me resioye:

155

Car Eolus mon pere, lors estoit

En sa salle, qui bien nous escoutoit:

Ainsi conuint, par cautelle preuuë,

Luy eslongner, & fuir de sa vuë.

Ma nourrice qui sceut le demené,

160

Print cet enfant des l’heure qu’il fut né,

Et le porta pour mieus l’emprise taire,

En un iardin serret & solitaire:

Et le couurit en ses petis drapeaus

De meinte fueilles & branches & rameaus,

165

Feingnant vouloir là faire sacrifice

Qui fust aus Dieus agreable & propice.

Si tournoia ce lieu longue saison,

En murmurant disant meinte oraison.

Ainsi faisoit tieus semblans & sinacles,

170

Pour mieus cuider que ce fussent oracles:

Or fit si bien que tous les regardans

La vont laisser toute seule dedens.

Ia auoit fait tout ce qu’on pouuoit faire

Pour eschaper ce doute & cet afaire,

175

Et bien pensoit cet enfant auoir mis

En lieu qui fust assuré d’ennemis:

En ésperance (mais qu’elle eut tems & heure)

o 3 Le [p. 214] Fac-simile de la page 214 CANACE

Le transporter en plus seure demeure.

Las bien faillit : car cil petit enfant,

180

A qui raison le cœur point ne defend,

Commença tot à se douloir & pleindre,

Si que pour vray ce cri pùt bien ateindre

Iusqu’aus oreilles de mon pere en effet,

Qui prontement imagina le fait:

185

Lors s’escria, & sans plus rien atendre,

Vint en ce lieu ou il fit l’enfant prendre,

Et bien connut par celle intencion

Qu’à tel ouurage eut grand decepcion.

Bruit se leua & en chambre & en sale,

190

Dont ie deuins de grand peur toute pale:

Et tout ainsi qu’on voit la mer esmue,

Quand aucun vent la chasse & la remue,

Et comme on voit trembler fueilles en l’arbre,

Ne plus ne moins trop plus froide que marbre

195

Ie fremissois de creinte & de douleur

Dedens mon lict ayant triste couleur.

Mon cruel pere lors de ma chambre aproche,

Et par courrous & despiteus reproche,

Me commença blamer & diffamer,

200

Et adultere meschante me clamer.

A peine sceut abstenir son courage

Que de ses mains ne fist sur moy outrage.

Ie lors honteuse, & du meffait atteinte:

Eusse voulu estre morte & esteinte :

205

Pour tout meintien grans cõpleintes & pleints,

Auec [p. 215] Fac-simile de la page A MACAIRE. 215

Avec grans pleurs dont mes yeus furent pleins

Yßirent lors sans faire longue pause,

Car de parler ma bouche n’auoit cause.

Helas i’ouï comment cil Eolus,

210

Pere impiteus, dont tresfort me doulus,

Incontinent commanda sans atente,

Que cet enfant l[’]on degette & presente

A fiere beste & oiseaus afamez

A fin que tot soient là consumez

215

Ses petis membres sans meffait & sans blame,

Comme sans garde & non secouru d’ame.

Alors se print l’enfant à lamenter,

Comme s’il sceust qu’on le dust tourmenter:

Et à le voir sembloit à sa maniere,

220

Qu’à son grand pere fist requeste ou priere,

Et de tel voix comme faire sauoit,

Les aßistans à pitie esmouuoit.

Or ie te pri auise & considere,

Mon dous ami & tant fort aymé frere,

225

Quelle douleur soufri à celle fois,

Et quel regret en mon cœur triste auois,

Quand viz porter ma chair, ma nourriture

A celle perte & piteuse auenture.

Tu peus assez au vray aperceuoir

230

Le desplaisir que ie pouuoye auoir.

Ores s’en va pour estre aus loups viande,

Comme mon pere le veut & le commande,

Et ie lasse, seullette demourray:

o 4 Que [p. 216] Fac-simile de la page 216 CANACE

Que fis ie lors? Piteusement pleuray,

235

Et par courrous i’esgrafignay ma face,

Priant à Dieu que tot Mort me deface.

Tantot apres vis message venir

Droit à ma chambre, lequel ne seut tenir

Ses tristes pleurs, tant eut le cœur plein d’ire,

240

Quand tel propos me commença à dire:

Hé douce dame à desplaisir ne prens,

Si à venir deuers toy i’entreprens,

Car Eolus ma fait prendre la voye,

Lequel par moy cette espee t’enuoye,

245

Et si te mande, par ton crime & defaut,

Que tu saches que cette espee vaut:

Ie le feray & sans longue demeure,

Puis qu’il conuient que par ma main ie meure:

De ce glaiue fierement useray,

250

Et le danger point ne refuseray.

Iusques aus fons de ma triste poitrine

Ie logeray de mon pere l’estreine.

Helas ce sont poures biens & guerdons

Mal son douëz heritiers de tieus dons:

255

Fuyez de moy les plaisirs de mon aage,

Et les soulas de leal mariage:

En lieu de vous, viennent playes, pleurs, criz,

Acompagner mes douloureus escriz.

O douces seurs que tant i’ay regrettees,

260

De plus grand eur soyez vous heritees:

Et tieus maris puißiez en fin auoir

Que [p. 217] Fac-simile de la page A MACAIRE. 217

Que comme moy ne vous faille douloir.

De mon meffait toutefois vous souuienne,

A fin qu’ainsi qu’à moy ne vous auienne.

265

Mais qu’a commis, que peut auoir meffait

Ce poure enfant sans coulpe d’aucun fait?

Deust de cestui la mort estre enduree

Par tel cruel fait & male destinee?

Qu’a il pù faire pour estre mal mené

270

De son grand pere & ne fait qu’estre né.

Las, s[’]il auoit tel peine desseruie,

Point ne seroit à regretter sa vie:

Mais s’il prend mort, & brief definement,

Non de son vice, ains du mien seulement.

275

O le mien filz & la douleur amere

De ta dolente & esperdue mere,

Proye procheine des tigres rauissans

Pour deuorer tes membres innocens.

O fils piteus, le court tems de ton aage

280

Ha tout brisé de vray amour le gage.

Cette iournee te fut certes premiere,

Et cette mesme te sera la derniere.

Que n’ay’ie au moins de larmes arrosé

Ton corps qui est à la mort exposé?

285

Que n’ay’ie fait honneur de sepulture

A toy issu de ma propre nature?

Que n’a ma bouche baisé tes piedz & mains

Deuant que voir telz dangers inhumeins?

Or’mengeront les bestes affamees

o 5 Les [p. 218] Fac-simile de la page 218 CANACE A MACAIRE. 290

Les entrailles que i’ay si fort aymees.

Au fort bien tot par glaiue te suiuray,

Et mort par mort acoup ie poursuiuray.

Ia ne seray long tems mere nommee,

Ne longuement außi vefue clamee.

295

Ie toutefois te prie, ô ami cher,

Qui plus n’as loy pres de moy approcher,

Qu’il te plaise poser en sepulture

Les petis os gettez à l’auanture

Et recueillir les membres egarez

300

Qui de vie sont tot desemparez:

Amasse les, & à moy les raporte,

Et quand seray toute transie & morte,

En un tombeau sur moy les viens loger:

Cela pourra mes douleurs alleger.

305

Ayes de moy, dous ami, souuenance,

En regrettant notre feuë acointance.

Arrose un peu de tes larmes piteuses

Mes funerailles tristes & langoureuses:

Ne prens horreur, desplaisir ou desdain

310

De voir mon corps occis par coup soudain.

Tu me fuz bon, & moy loyalle amante:

Or perseuere en l’amour vehemente.

Si te supli & requier humblement

Que tu parfaces ce mien commandement:

315

Et ie feray, sans prendre longue espace,

Ce que mon pere ordonne que ie face.


Fin de la xi.epitre de Canace à Macaire.

[p. 219] Fac-simile de la page 219
[Bandeau]

PREFACE SVR
L’EPITRE DE MEDEE
A IASON.
*

COmme Iason fut en sa force & vigueur
de ieunesse & de beauté, des inconti-
nent qu’il arriua en Colcos, il fut le bien ve-
nu, reçù, & aymé de Medee, fille du Roy du-
dit lieu: laquelle, apres la promesse de ma-
riage, lui enseigna de paruenir à ses fins, c’est
assauoir de rauir la toyson d’or: Et quand il
l’eut prise, il fit voile en grande diligence
auec la toyson d’or & Medee: apres lesquels
alle le Roy Eeta, pere de Medee, pour les
poursuiure & arréter: Mais la malheureuse
Medee mit son petit frere Absyrte en pieces,
puis les geta au riuage, à ce que son pere re-
tardast sa poursuite à les cueillir, pour les
mettre en sepulture, & eus ce pendant gai-
gneroient païs: ce qu’ils firent: & arriuerent
en Thessalie à sauueté: auquel lieu les Poë-
tes disent que Medee raieunit, par ses en-
chantemens, le vieillard Eson, pere de Iason:
& puis qu’elle usa apres d’une mechãte ruse
enuers les filles du Roy Pelias, oncle de Ia-
son : lequelle elle fit mourir sous couuerture
de le [p. 220] Fac-simile de la page 220
de le faire raieunir comme l’autre. En fin
(soit pour ce crime, ou pour autre) Iason de-
chassa Medee, & print pour femme Creusa,
fille de Creõ, Roy de Corinte: Pourquoy Me-
dee alors entrant en furieuse rage de ialou-
sie, escriuit cette Epitre à Iason, le menassant
de subite & tresaigre vengeance, s’il ne
la veut reprendre, en dechassant
sa concubine Creusa: &
en fin tua par despit
ses enfans quel-
le auoit eu
de lui.
*

Fin de la Preface.

[Fleuron] [p. 221] Fac-simile de la page 221
[Bandeau]

LA XII. EPITRE
D’OVIDE.
*
Medee escrit à Iason.

[Figure]

QVand me souuient, ce que bie͂ me recorde,

De la pitié & grand misericorde

Que i’eu de toy, lors que Royne & princesse

Fus de Colcos en florissant’ ieunesse,

5

Et que ie fus trop tot legere & preste

D’obtemperer à la tienne requeste,

Pour te faire, par la mienne achoison,

Maitre & veinqueur de la riche toison,

Certeinement à celle heure dolente

Les [p. 222] Fac-simile de la page 222 MEDEE 10

Les seurs fatalles dussent de moy mechante,

Auoir rompu de la vie le fil,

Sans me voir viure en si piteus exil.

Lors eusse pù bien mourir sans reprouche,

Qui ores suis blamee en meinte bouche.

15

Car puis ce tems n'ay acquis seulement

Fors peine & dueil, regret, gemissement.

Helas pourquoy vint onques en ma terre

Ta nef soudein pour tel tresor aquerre?

Pourquoy te fut si propice le vent,

20

Qui te poussa deuers moy si auant?

Pourquoy te vis? ne pourquoy tant me plurent

Tes beaus cheueus, que trop tot me deçurent?

Et pourquoy fus ie à t'aymer si legere?

Ne pourquoy creu ta langue mensongere?

25

Or plust à Dieu que des ce premier iour

Que ta nef print en mon isle seiour,

Toy homme ingrat,& sans reconnoissance

Tu fusses mis en prompte diligence

(Sans mon aïde, & sans le mien conseil)

30

De vouloir prendre le tresor nompareil,

Et de cuider par fole hardiesse

Veincre toreaus, gardes de tel’ richesse:

Car pour certein, si par moy n’eust esté,

Tu fusses mort en grande malheurté:

35

Besoin me fust : lors eust esté perie

Decepcion, barat, & tromperie:

Et n'eusse pas-si grand douleur au chef

Pour [p. 223] Fac-simile de la page A IASON 223

Pour tant penser en si cruel meschef.

C'est quelque peu de plaisir & soulas

40

A cœur dolent, & de tristesse las,

Ramenteuoir par grand' solicitude

A homme plein de toute ingratitude

Tous les plaisir & biens qu'on lui ha fais,

Cela descharge l'esperit de grans faiz:

45

I’en useray : car iamais autre ioye

De toy n’espere, quelque part que ie soye.

Premierement ton pere t'enuoya

En ce païs, ou le vent conuoya

Ta nef Argo, treslegere & habile

50

Qui t’amena en ma terre fertile:

Là te reçut Oëthes, mon signeur,

Moult doucement, & en si grand honneur,

La recueilli, fus sans nulle laidange,

Toy & ta gent de nacion estrange.

55

Pourquoy donques te recueillit mon pere

Dont par regretz faut que ie desespere.

Vous autres Grecs fustes les bien venus,

En doux plaisirs traitez & soutenus.

Vous eustes draps d'or, de soye, & de layne,

60

Pour soulager votre esperit de peine.

Festoyez fustes, & de divers mangers

Si comme amis, & nompas estrangers.

Lors ie te vi, & lors prins à connoitre

Ton nom, tes faitz, & qui tu pouuois estre:

65

Icelle vuë trop acoup auancee,

Fut [p. 224] Fac-simile de la page 224 MEDEE

Fut le premier trauail de ma pensee

Et außi tot que t'eus choisi de l[’]oeil,

Nauree fus de trop soucieus dueil,

Et fut alors ma poitrine alumee

70

D'amour nouuelle & non acoutumee.

Dedens mon cœur meut un ardant desir

Lequel m'ota d'y pouruoir le loisir:

Car tel estois ieune, dous, debonnaire:

Cela me fit hardie en cet afaire

75

Tes yeus rians certes, ami Iason,

Aueuglerent en moy toute raison.

O desloyal, bien seus tu lors connoitre

Qu'amour estoit de moy signeur & maitre.

Car à peine se peut, au long aller,

80

Amour parfaite ne taire ne celer:

Ia ne peut estre la flamme si couuerte,

Que par fumee ne soit tot descouuerte :

Ce tems pendant moult me desconforta

L'enseignement pour lequel t'exorta

85

Mon pere, lors de parfaire l’emprise,

A fin que tot fust la toison conquise.

Premierement pour tous maus surmonter

Il t'aduertit qu'il te failloit dompter,

Et subiuguer par subtiles cautelles,

90

Les fiers toreaus, dangereus & rebelles,

Qui vomissoient flammes & feus diuers

D'aspre venin ordoyez & couuers:

Les piedz d'arein, les cornes si poingnantes,

Qui [p. 225] Fac-simile de la page A IASON. 225

Qui moult sembloient grieues & violentes:

95

Puis te disoit mon pere, par apres,

Qu'il conuenoit que tu te tinses pres

Pour deceuoir le serpent redoutable,

Qui garde estoit de la toison notable,

Cetui Dragon sembloit moult curieus,

100

Car de dormir iamais ne clost les yeus:

Iamais ne dort, & de rien n'a enuie

Fors de veiller tout le long de sa vie

Si conuient il, pour auoir gain ou part,

En ce tresor, que par cautelle ou art,

105

Tu saches, dist mon pere, luy soutraire

C'est le dernier labeur de ton afaire

Quand Oëthes au long entierement

T'eut declaré son auertissement,

Toy & tes gens qui en parees tables

110

Preniez repas plaisans & delectables

Laissates lors les somptueus mangers,

Et futes tristes en oyans telz dangers

Bien fut alors ton cœur plein de detresse,

Sans esperer plus retourner en Grece

115

Que diray plus? tantot la nuict suruint,

Dont de partir à l'heure nous conuint:

Chacun pensa de coucher, sans demeure,

Car ia estoit assez tardiue l'heure

Triste, piteus, & dolent t'en allas:

120

Et ie (disant tout à par moy, helas,

Comme celle que regret veut destruire)

p Te [p. 226] Fac-simile de la page 226 MEDEE

Te commençay d'œil piteus à conduire:

Si te donnay au partir de ce lieu

A voix celee un bien secret adieu

125

Et quand ie fus en ma chambre montee,

D'aspre douleur acoup fus surmontee.

Tantot apres me mis dedens mon lict,

Ou bien peu prins de ioye & de delit.

Toute la nuict fut en larmes passee,

130

Car de pleurer ne puz estre lassee.

Deuant les yeus de mon entendement

Se presentoit le dur encombrement,

Qui des toreaus dommageus & rebelles

Tenir te peuuent, en suiuant tes querelles.

135

Außi voyois le serpent outrageus,

Qui trop sembloit sur toy auantageus,

Qui du tresor estoit concierge & garde,

Et sans sommeil tousiours le contregarde.

Ainsi auois amour de l'une part,

140

Et creinte & peur qui grand dueil me depart.

Icelle peur fit augmenter & croitre

La grande amour qui en mon cœur peut estre.

Que diray plus? ainsi passay la nuict

En tel trauail & soucieus deduit.

145

Lors vint le iour: si entra en ma chambre

La mienne sœur, ainsi que ie remembre

Les dommages que sur toy sens venir,

Dont de larmes ne me puz contenir.

Icelle sœur me vid pleurer & pleindre,

Romp [p. 227] Fac-simile de la page A IASON. 227 150

Rompre cheueus, mes lasses mein [sic pour meins] estreindre,

Toute pamee estendue à l'enuers,

Pleine & saisie de soupirs moult divers:

Et si trouua toute pleine ma couche

De larmes d'œil, & de regrets de bouche.

155

Lors si me dit, ores n'est la saison

De larmoyer ne vois tu pas Iason,

Prince estranger, si gent, & si notable,

Estre en danger, voire irremediable:

Si par toy n’est secouru au besoin,

160

Mieus lui vousist estre d'ici bien loin,

I'en fus d'acord, & tot fus pronte & preste

Donner conseil à la tienne conqueste.

Pres du palais ou mon pere viuoit

Vne forest tresample & grande auoit,

165

Si tresobscure, & si fort tenebreuse,

Que pour la clarté du soleil radieuse,

A bien grand peine d'y passer fut poßible,

Tant fut le lieu obscur & mal duisible.

Là fut construit en ouurage autentique

170

Vn riche temple somptueus & antique,

Edifié & massonné au nom

De Diane, deesse de renom:

En ce lieu fut son image posee,

De pierrerie & d'or fin composee:

175

En ce dit lieu fortune me mena,

Et tot apres außi t'y amena:

Ce propre iour, & à celle mesme heure,

p 2 Mieus [p. 228] Fac-simile de la page 228 MEDEE

Mieus m'eust valu ailleurs faire demeure:

Car pour certein en ce lieu proprement

180

De tout mon mal vint le commencement.

Là donques vins, & de ta bouche feinte

Me commenças faire telle compleinte:

O douce dame si prudente & si sage

Fortune ha mis le droit en l’arbitrage

185

De mon salut, de ma felicité

Souz le pouuoir de ton autorité:

Et si ha mis, ie le dis sans enuie,

Entre tes mains est ma mort & ma vie.

Sufire doit, si tu as le pouuoir

190

De me destruire sans user de vouloir:

Si te sera plus de merite & gloire

Si pour toy i'ay trionfe de victoire,

Et si par toy suis de mort garanti,

Que si ton cœur, durement consenti,

195

Auoit de moy la perte & la deffaite,

Quand contre toy ne say chose mal faite.

Si te requier par mon encombrement,

Du quel tu peuz estre releuement,

Et pour l’honneur de mes parens notables,

200

Desquelz les fais sont assez estimables,

Et par les Dieus qu'on prie en meinte sorte,

(Si cette terre aucuns en tient ou porte)

Qu'il te plaise, vierge, par amitié

Auoir de moy, ton pouure serf, pitié:

205

Fay que ie sois tousiours ton obligé,

Et [p. 229] Fac-simile de la page A IASON. 229

Et que mon mal soit par toy soulagé.

Et s'il estoit qu'il te plut sans eschange,

Estre lassee de moy qui suis estrange,

Plus tot me puisse la vie defaillir

210

Qu'à nul besoin ie te vueille faillir,

Ne que iamais autre femme i’espouse

Fors toy sans plus ou i’ay amour enclose.

De ce promis i'apelle en tesmoignage

Dame Iuno procheine en cet ouurage :

215

Et la deesse qui au lieu ou nous sommes

Donne confort à meints femmes & hommes.

Telle promesse & tieus plaisans deuis,

Et beaucoup moindre peuuent, à mon auis,

Assez mouuoir une simple pucelle

220

Qui n'a en soy ni fraude nicautelle [sic pour ni cautelle] :

Et les sermens que tu fiz, pour certein,

Mettant ta dextre dedens la mienne main,

Cela me fit aisément alors croire

Les paroles que tu me fiz acroire:

225

Außi ie viz tes larmes & tes pleurs,

Tes yeus mouillez, rougissans de douleurs:

Souz ce gisoit ta grand' fraude mucee,

Et ta malice bien close & recelee,

Ainsi fus ie trop maleureusement

230

Par tes dous mots deçue promptement

Lors te donnay art, doctrine, & puissance

De conquerir celle noble cheuance:

Lors te donnay force & subtilité

p 3 De [p. 230] Fac-simile de la page 230 MEDEE

De subiuguer la fiere austerité

235

D'iceus thoreaus tant fiers & redoutables:

Tu les fiz serfs à euures labourables,

Par mon moyen le serpent furieus

Qui de veiller estoit moult curieus,

Fut endormi, & puis sans peur & crainte,

240

Sa vie fut amortie & esteinte,

Que diray plus? par la mienne achoison

Tu seul obtins celle riche toison,

Et acheuas labeurs, & si grans peines

Qu’onques homme n'en soutint si greueines.

245

En cet afaire tu ne guerroyes mie

Qu'autre fors moy fut ta dame & t'amie.

Tu n’esperois grand bien ne grand auoir

Par nulle autre tant eust riche scauoir.

Mais respons moy, ou estoit (par ton ame)

250

A celle fois celle seconde dame?

Que ne vint elle acoup vers toy courir

Pour te sauoir prontement secourir?

Las, ie t’ay creu, par ta feinte maniere:

De mon païs me suis fait estrangere:

255

Or m'as laissee, & poure, & loin d'amis,

C’est la merci ou ton faus cœur m'a mis

Ores suis telle, .& à toy m’en raporte,

Qu'il te semble que malheur ie te porte.

Helas tu fcez que si ie n’eusse esté,

260

Par toy ne fust ce tresor conquesté.

Cause ie fus du dormir & contreindre

Le [p. 231] Fac-simile de la page A IASON 231

Le fier Dragon lequel t'eust pù estreindre:

Et te liuray, tous dangers escheuant,

Celle toison dont tu fus poursuiuant.

265

I'abandonnay pere & parens & terre,

Cheuance, biens, & ce qu'on peut acquerre,

Pour te complaire selon le tien desir,

Ie n'ay voulu recompense choisir,

Fors seulement exil, fuite, & eslongne

270

Du mien païs, comment l'euure tesmoigne:

Et, pour parler en droite verité,

Ma renommee & ma virginité

Fut faite proye en perilleus danger

A un faus homme de païs estranger.

275

Las, que diray? pour estre obeïssante

A ton vouloir, ie fus preste & contente

De faire exploit si piteus & diuers,

Que moult ie creins le coucher en mes vers.

Bien entreprint ma main tel’ forfaiture

280

Qu’elle n’ose la mettre en escriture.

Dont pour certein bien auois merité

Estre de vie, & toy desherité.

Mon frere i’ay desmembré, & deffait,

Mais ia pourtant n’euz creinte de ce fait.

285

Ie ne creingnois ne la mer, ne ses ondes

Tant fussent ils douteuses & parfondes.

Helas pourquoy ne fumes donques lors

En mer noyez, & engoufrez & mors,

Selon la peine & le cas meritoire,

p 4 Toy [p. 232] Fac-simile de la page 232 MEDEE 290

Toy par barat, & moy par leger croire?

Que plust aus Dieus que les treshauts rochers,

Lors que passames les maritins dangers,

Fussent tombez sur nos deus corps à l[’]heure,

Et que mes os & les tiens, sans demeure,

295

Eussent esté desmoulus & brisez,

Ou que Scylla nous eust lors auisez,

Et deuorez en son parfond abime:

Car d'ingrat euure eußions payé la dime.

Ainsi n’auint, dont moult me pleins & dueil:

300

Mais sain & sauf, & veinqueur à ton vueil

T'en retournas en tes païs & terres,

Et tot apres tu ordonnas pour erres

Celle toison si precieuse aus Dieus,

Comme prince fort & victorieus.

305

Que t’ay ie fait, pour estre tant haïe,

Et de toy seul eloignee & trahie?

Si i'ay commis aucun crime ou meffait,

Tu scez assez que pour toy ie l’ay fait:

Tu m'as osé (si douleur violente

310

Veult & permet que ce mot ie ramente)

Dire ua t'en, vuide de ma maison:

Ce mot m'as dit, sans loy & sans raison:

Ainsi le fiz, & de toy eslongnee,

Ie m'en allay non d'autre acompagnee

315

Fors seulement de deus petis enfans,

Car autre suite alors tu me defens.

Moult me fut grieue icelle departie,

Quand [p. 233] Fac-simile de la page A IASON. 233

Quand me conuint querir autre partie,

Ayant en moy, pour mon dueil compasser,

320

La tienne amour, dont ne me puis lasser.

Las que diray? moult fuz triste & piteuse

Vn peu apres, quand à voix plantureuse

I'ouï le son de tes hauts instrumens,

Nouueaus esbats & resiouissemens,

325

Qui denotoient (comme ie presuppose)

Qu'à celui iour deuois prendre autre espouse.

I'ouï le cri, les clameurs, les conuis,

Et mon las cœur faisoit triste deuis.

Larmes & pleurs de mes yeus decouloient

330

Quand mes oreilles tes tabours escoutoient.

Imaginant pour le tems à venir,

Que par ton vice pis me pourroit venir.

I'eu creinte y peur le pourquoy ne sauoye,

Mais le corps froit, & le cœur triste auoye,

335

Qu'auint il plus? tantot ouï le bruit

Des festoyans, & le plaisant deduit:

Tot fustes prests pour mariage faire,

Dont fut chacun soingneux à cet afaire.

Et quand plus forts escoutois, telz esbatz,

340

Plus se douloit mon piteus cœur tout bas.

Mes seruiteurs tendrement lamentoient,

Mais leurs larmes deuant moy recloyoient:

Nul d'eus certes declarer ne m'osoit

Cause pourquoy telle chere on faisoit

345

Ainsi pour vray, trop plus m'estoit propice

p 5 Le [p. 234] Fac-simile de la page 234 MEDEE

Le non sauoir qu’estre auerti du vice:

Iaçoit qu'auois autant de peine & dueil

Comme si i’eusse le tout choisi de l’œil.

Las i’enuoyay pour en estre auertie,

350

(Dont meintefois ie me suis repentie)

Le plus ieune des deus enfans petis,

Droit à ton huis pour voir tes appetis,

Et pour aprendre tes gestes & manieres,

Mais pour certein si n[’]i demoura gueres

355

Qu'il ne reuint vers moy incontinent:

Et si me dit, il est tems meintenant,

O douce mere que du païs t'en ailles,

Mon pere ha fait nouuelles espousailles.

Ores l’ay vù à ses destriers dorez

360

Qui pour sa femme ont esté preparez.

Quand l’euz ouï ie fiz telle compleinte

Que cuiday estre soudeinement esteinte,

Et deßiray, en oyant ce meschef,

Ma noire robe, & le mien cœuurechef:

365

Et ia ne fut assuree ma face

Que par mes doigs ne me tue ou deface.

Souuent me vint le talent & vouloir

D'aller tout droit au propre lieu pour voir

Ou se faisoit la feste & l'assemblee,

370

Comme femme forcenee & troublee,

Et de rauir sur vos parez cheueus

Les violettes & chapeaus de vous deus.

A peine sceu contenir y restreindre

Ma [p. 235] Fac-simile de la page A IASON. 235

Ma voulonté, que n'alasse me pleindre,

375

Et haut crier sans cesse deuant tous,

Il est à moy, ce desloyal espous:

Mais qui me tint que ie n’alasse à l’heure

Te courir sus prontement sans demeure?

Et detrencher par mes ongles & mains

380

Ta fiere face & tes yeus inhumain?

Ha mou cher pere-, que tant i’ay courroußé,

Pourquoy t'áy ie sans adieu delaißé?

Bien te dois ore esiouir de ma perte,

Quand lors ie fus de te laisser aperte:

385

Et vous nobles voisins du mien païs,

Bien doiuent estre de vous mes faits haïs

Or suis d'amis, de terre & de demeure,

Et de maison bannie pour cette heure.

Cil m'a laissee ou mon cœur s'arrestoit,

390

Qui mon espoir & ma fiance estoit.

Helas i'ay pù veincre serpens doutables,

Voire & dompter thoreaus espouuentables,

Et si ne puis renger aucunement

Vn tout seul homme à mon consentement.

395

Ie qui ay sceu feu & flammes esteindre

Pour los acquerre, & pour honneur ateindre.

Qui tant ay fait de choses par mon art,

Ne puis occir le feu qui mon cœur art.

Ores me laissent herbes, mots & racines,

400

A mon besoin faillent mes medicines:

Iours me sont tristes, & ameres les nuits

Par [p. 236] Fac-simile de la page 236 MEDEE

Par moy veilles en douloureus ennuits.

Regret ne veut, & ne permet sans doute,

Que de repos prenne une seule goute.

405

I'ay peu contraindre le dragon de dormir,

De moy, ne puis, & ne fais que gemir.

Ainsi apert pour vray que ma science

Est plus utile, & d'autre experience

Enuers autrui qu'elle n’est deuers moy,

410

Dont à bon droit ie doy viure en esmoy.

A bon droit donq en larmes ie mefonde [sic pour me fonde]

Quand meintenant celle femme seconde

Embrasse & tient les membres & le corps

De cil que i’ay de noyses & discors,

415

Et de danger preserué sans ruïne,

Voire de mort dont assez ie fus dine

Et elle prend (dont i’ay grieue douleur)

Les fruits entiers de mon paßé labeur.

Helas peut estre qu’à celle fausse femme

420

Tu dis de moy meinte parole infame.

Elle te preste l'oreille voulentiers

Pour escouter tous tes deuis entiers.

Vous deus ensemble en la soëfue couche

Dites de moy meint faus parler de bouche

425

Bien peu prisez mes faits, & ma beauté,

Bien me iugez femme sans loyauté.

Or' vous riez & en parler à l'aise

A fin que mieus l'un a l’autre complaise.

Dy à ta dame qu[’]elle rie hardiment,

Et [p. 237] Fac-simile de la page A IASON. 237 430

Et sous draps d’or & riche parement

Prenne sa vie tant qu'elle aura duree:

Car i’ay espoir qu’à voix démesuree,

Triste & piteuse, chetiue gemira,

Et grant ardeur en son cœur sentira:

435

Tant que pourray fer, feu, venin comprendre,

Bien garderay ennemis de m'esprendre

En mon endroit, & bien seray vengee

De ceus par qui ie pense estre outragee.

Mais toutefois si mes humbles prieres

440

Aucunement valent, ou peu, ou gueres

Duire à partie, ton courage endurci

Escoute au moins, & me prens à merci.

Humble te suis, ores tu peus connoitre:

Et tu vers moy bien humble soulois estre.

445

Ie ne creindray pour la pais d'entre nous

De me getter deuant toy à genous.

Se ie te semble moins sufisante & uile,

Regarde au moins par amitié seruile

Iceus enfans qu'ores ie te presente,

450

Dont tu es pere, & moy mere dolente:

Las bien seront haïs y malmenez

De leur maratre, & tot abandonnez:

Qua͂d les regarde mes gra͂s douleurs s'aßemble͂t,

Car pour certein trop au vif te ressemblent.

455

Dont moult souuent larmes & piteus criz

Yssent de moy quand leur beauté descriz

Si te requier si quelque amour habite

Dedens [p. 238] Fac-simile de la page 238 MEDEE

Dedens ton cœur, & par le mien merite

Par iceus deus enfans & tiens & miens,

460

Que ie possede sans autres biens faits tiens,

Qu'il te plaise la part du lict me rendre

Auquel souloye à toy mon plaisir prendre,

Et pour lequel, quand à toy me donnay,

Tant de choses iadis abandonnay.

465

Aioute foy, s'il te plait, à mon dire

Et ma requeste ne vueilles contredire:

Aïde moy, point ne te veus requerre,

Contre toreaus, ou monstres faire guerre

Ie seulement ne veus, ni ne requiers

470

Fors les ioyeus soulas qu'en toy ie quiers.

I’ay bien de toy tel’ grace desseruie

Quand lors tu mis entre mes mains ta vie,

Si tu demandes mon douaire & mon bien,

Nous la contames alors (ce scez tu bien)

475

Au champ douteus & terre labouree

Ou tu conquis celle toison doree:

Mon vray douaire & mon riche tresor,

Ce fut certes ce noble mouton d'or

Que tu possedes, & si ie demandoye

480

Le recouurer, tot refus en auroye.

Le mien douaire,y tout mon bien meilleur,

C'estoit te voir en ioye & en valeur,

Et que te visse en florissant' ieunesse

Quant au premier vins au païs de Grece

485

Or t'en va ore ou aller tu voudras,

Mais [p. 239] Fac-simile de la page A IASON. 239

Mais, s'il te plait, au moins tu me rendras

Le bien que i’ay submis à ton usage,

Mon tems perdu, voire & mon premier aage.

Saches pourtant l‘estat que tu meintiens,

490

(Voire & la vie) de moy seule le tiens.

Tu n’as tresor, fame, biens, ne cheuance,

Que tu ingrat n’ayes par mon auance.

Mais puis qu’ainsi m'as voulu abuser,

Bien garderay longuement en user:

495

De ce meffait seray certes vengee,

Car laidement tu m’as endommagee:

Iaçoit que peu pourtant peut proufiter

La menace de te desheriter:

Rien ne feras de chose que te die

500

Dont il conuient que sous ta foy mendie:

Mais voulentiers ire, qui tous sens passe,

Engendre hayne & produit grand menace:

Donques mon ire & mon courrous suiuray

Encontre toy tant comme ie viuray:

505

Et si mettray telle chose en vente

Que ie pourray en fin estre dolente:

Et peut estre que m'en repentiray:

Mais toutefois cela t’assortiray,

Car trop me dueil d'auoir mis ma fiance

510

En homme plein de si grand' deffiance.

Or voye Dieu mon afaire piteus,

Et reconforte mon courage douteus

Car ie ne say autre voye meilleure

Fors que me venge ou que bien tot ie meure.


[p. 240] Fac-simile de la page 240 [Bandeau]

PREFACE SVR
L’EPITRE DE LAO-
damie à Protesilaüs.
*

PRotesilaüs nauigeant auec les Grecs à
Troye, fut arrété cõme les autres par
la tẽpeste de mer, au port Aulide: ce qu’ayant
entendu Laodamie, sa femme, elle bien ay-
mant son mari, & troublee de plusieurs son-
ges, lui escriuit cette Epitre: par laquelle
l’amõnestoit ne se getter en hazard de guer-
re, mesmement atendu le piteus oracle (que
lon tenoir comme Profecie) qui disoit que
le premier des Grecs qui descendroit en la
terre de Troye, y mourroit. Or auint
que Protesilaüs, comme le plus
vaillant, y descendit le pre-
mier: & aussi y fut
il tué par He
ctor.

Fin de la Preface.

[p. 241] Fac-simile de la page 241 [Bandeau]

LA XIII. EPITRE
D’OVIDE.
*
Laodamie escrit à Protesilaüs.

[Figure]

CElle qui t’ayme, & n’a fors de toy ioye,

Salut te mande, & salut si t’enuoye.

Toy & tes gens, selon le vray raport,

Estes trestous arrestez en un port

5

Moult perilleus par un vent trop contraire,

Lequel garde seurement vous retraire

Helas ami, mais dy moy ou estoit

Ce vent mauuais qui ta nef n’arrestoit

Lors que de moy t’en allas si grand’ erre

10

Faire aus Troyens pour Menelaüs guerre?

q Alors [p. 242] Fac-simile de la page 242 LAODAMIE

Alors deuoyent les mers & enuirons

Donner fatiques [sic pour fatigues] à vos fors auirons,

Ce tems estoit moult propice & utile

A notre mer trop legere & mobile:

15

Car pour certein lors que tu t'enuolas,

Et que de moy si tot tu t'en allas,

Plusieurs baisers t'eusse fait d'auantage,

Et déclaré le mien-entier courage.

De te dire meinte chose eu vouloir:

20

Mais toy hatif, me mis à nonchaloir:

Tot tu fus prest de faire departie:

Et pour tirer en estrange partie

Tu eus le vent agreable & tout tel

Comme il faloit pour laisser ton otel,

25

Aus nautonniers propice & conuenable,

Mais non à moy plaisant ne delectable.

Car par celui ie fus entierement

Separee de ton embrassement :

Ie n'eus loisir par ta nef auancee

30

Te declarer moitié de ma pensee.

Et à grand peine eus espace en ce lieu

De te dire le tant piteus adieu.

Las que diráy ie? en celle creinte & doute

Le vent soudein ta nef pousse & deboute,

35

Et si saisit tes voiles à son vueil,

Si que tot fus eslongnee de mon œil:

Tot fut de moy le mien ami arriere,

Dont.de regrets i’eu bien cause & matiere.

Tant [p. 243] Fac-simile de la page A PROTESILAVS. 243

Tant que te sceu de loin aperceuoir,

40

Autre plaisir ie ne queroye auoir:

Et de mes yeus les tiens ie poursuiuoye,

D'autre soulas à l'heure ne viuoye.

Et quand tu fus de ma vuë perdu,

Ie regardois le grand voile tendu,

45

Lequel detint mes yeus en celle place

Tant que les sceu employer longue espace.

Mais par apres quand i'eu toy & tes voiles

Perdu de vuë, & que les blanches toiles

Furent si loin que mon œil n'y vid plus

50

Et que vy fors mer tout le surplus,

Alors acoup vers toy print la volee

Ma ioye entiere par trop soudeine allee,

Et s'en alla la force de mon cœur

Iusques à toy, comme maître & veinqueur.

55

Et tout acoup tombay lasse & pamee

Ainsi que femme en douleur entamee,

A peine sceut mon pere ne ma mere

Me preseruer de celle peine amere:

A peine sceurent, pour aller ne venir,

60

Ne pour remede me faire reuenir.

En moy firent assez piteus ofice,

Trop inutile, & à moy peu propice.

Si ay regret, & me desplait moult fort

Que ie n’ay peu mourir en cet effort:

65

Dar [sic pour Car] quand ie fuz de mon mal reuenue,

Douleur nouuelle en moy tot est uenue.

q 2 Loyalle [p. 244] Fac-simile de la page 244 LAODAMIE

Loyalle amour par douloureuse estreine,

Commença poindre mon cœur & ma poitrine

Plus ne me chaut, plus ne quiers ni ne veus

70

Prendre labeur à pigner mes cheueus.

Plus n’ay talent porter robe doree,

Puis que sans toy seule suis demouree.

Ca & là vois, sans plaisir ne deduit,

Selon que dueil & souci me conduit.

75

Souuentefois mes voisines procheines

Apres moy crient, disant à voix hauteines,

Laodamie de quoy te peut seruir

A si grand dueil & peine t'asseruir?

Prens paremens de royale véture

80

Comme apartient à noble geniture.

Ce peut il faire? & doy ie separer

Regrets de moy, & d'abits me parer,

Pompeus & beaus en sine de grand ioye,

Quand cil bataille deuant les murs de Troye?

85

Dóy ie mon chef de fleurs acompagner,

Cointe me faire, & mes cheueus pigner,

Quand mon espous en guerre & en conqueste

Porte salade pesante sur la teste?

Prendráy ie robe de nouueau parement,

90

Quand dures armes blessent le mien amant?

Certes, amy, de ce faire n’ay garde

Mais tout le point ou plus fort ie regarde,

C'est dueil, souci, & trauaus assembler,

A fin qu'en peine te puisse ressembler:

Et [p. 245] Fac-simile de la page A PROTESILAVS. 245 95

Et si feray par ma chere aparoitre

Le grand danger ou ores tu peus estre,

Si prie aus Dieus que tu de Briam fils,

Tresfaux Paris qui cet outrage fis,

Dont c'est depuis meinte guerre ensuiuie

100

Qui cause soit du danger de ta vie,

Et que les tiens & ceus de ton païs

Soient en la fin veincus & esbahis

Außi couart soyes tu à la peine,

Comme tu fus subtil à prendre Heleine:

105

Las bien vousisse alors que tu la vis,

Qu'en autre endroit fussent tes yeus rauis

Et que si belle ne t'eust point apparue.

Pour estre ainsi de son mari tolue:

Ou bien voudrois, que lors qu'elle t'eust vù

110

De grand' beauté n[’]usses esté pouruu.

Menelaüs moult trauaille & labeure

Moult se guermente, & souue͂t pleint & pleure:

Assez ha mis de gens à l’auanture

Pour recouurer la sienne creature,

115

Maudite femme qui tel fait ha commis

Dont meintes dames regrettent leurs maris.

Dieus, ie vous prie, donnez voye oportune

Au mien espous, gardez le de fortune:

Faites que sauf il puisse reuenir,

120

Et au dessus de tout mal paruenir

Et que ses armes presenter il vous puisse

En votre temple en lieu de sacrifice.

q 3 Las, [p. 246] Fac-simile de la page 246 LAODAMIE

Las, ie creins tant que peril ne t’auienne:

Quand il conuient que tousiours me souuienne

125

D'icelle guerre, & douteus apareil,

Ie fons en pleurs comme neige au soleil:

Et seulement quand les lieus on me nomme

Ou tu es ore & que le tout ie somme,

Soit Tenedos, Xantus, ou Ylion,

130

Cela me donne de peurs un milion

Et puis ie pense que si Paris sans doute

N'eust mis son sens & son entente toute

N'eust pas ozé telle chose entreprendre,

Sinon qu'il eust assez pouuoir pour prendre,

135

Et pour rauir celle que tant aymoit,

Ce fut Heleine que chacun estimoit.

Bien sauoit cil qui fit icelle prise,

Que force auoit pour garder la reprise.

Las, il y vint, comme ie say pour voir,

140

Assez en point pour dames deceuoir:

Assez fut beau, en lui ne failloit mie

Chose qui fust pour aquerir amie.

Bien vint au lieu acompagné de gens

Deliberez, subtils & diligens:

145

Nauire il eut leger, & de grand’ erre

Pour passer mers en meinte estrange terre:

Et puis qu'il vint de gens si bien parti

Bien croire faut qu'il ne s'en est parti

Du sien païs qu'il n[’]ait laißé grand nombre

150

De gens, assez pour faire meint encombre,

Et [p. 247] Fac-simile de la page A PROTESILAVS. 247

Et pour defendre son royaume & garder.

La peur que i’ay m’y fait bien regarder.

O dame Heleine ores faut que conclue,

Que par ce point tu fus prise & veincue:

155

Mais moult ay peur, dont ie faiz telz regretz,

Que ton allee soit nuisante a noz Grecs:

Ie doute & creins, & souuent mets en conte

Vn apelé Hector, qui tous surmonte.

Il ha le bruit de prouesse en sa main

160

Cheualeureus plus que nul autre humein.

Et pour ce, ami, si en riens me tiens chere,

Et que tu daigne exercer ma priere,

Ie te suppli que veuilles escheuer

Celui Hector, sans iamais estriuer,

165

Ne batailler contre si robuste homme.

Pas ne l'ay vù, mais Hector on le nomme:

Retiens ce nom, & iamais n'y deuie,

Pour außi cher comme tu tiens ta vie.

Et quand cetui tu auras escheué,

170

Garde toy bien que ne soyes trouué

D'autres Troyens en bataille mortelle,

Et considere que leur force soit telle

Comme celle d'Hector si preus & fort:

Ne te mets pas en ce douteus effort,

175

Ains fuy leurs dars, leur enseigne & leur proye

Comme si tous fussent Hector de Troye.

Di (toutefois & quantes que voudras

En fier destour haut eslieue les bras)

q 4 De [p. 248] Fac-simile de la page 248 LAODAMIE

De par toy la mienne Laodamie

180

Que tant ie tiens chere espouse & amie,

Si m[’]a requis par lealle amitié

Que ie vueille d’icelle auoir pitié.

Et s'il auient que fortune permette

Que Troye soit par noz Gregois deffaite,

185

Dieu vueille aumoins qu’elle soit abatue

Sans que nesvn te blesse, ne te tue.

Fasse hardiment Menelaüs la guerre

Et tenir puisse ses ennemis en serre:

Rauir puisse il à Paris deceuant,

190

Ce que Paris lui rauit par auant.

Veinqueur soit il, sans faire longue pause,

Contre celui ou il ha bonne cause:

Demander peut sans reproche ou meffait,

Amendement de l[’]outrage à lui fait.

195

Mais toy, ami, tu n’as cause si grande

Comme celui qui sa femme demande:

Tu ne dois fors pour viure batailler,

Et pour estre sain & sauf trauailler,

Et mettre peine te trouuer en brieue heure,

200

Aus lieus piteus ou t'amie demeure.

O vous Troyens doucement vous suplie,

Que si la guerre longuement multiplie,

Et si les Grecs vous traitent rudement,

Vueilles auoir merci d'un seulement,

205

A fin au moins que n'abrege mon aage

Par le trespas d’un si beau personnage

Las, [p. 249] Fac-simile de la page A PROTESILAVS. 249

Las, il est ieune, & pas ne lui affiert

Estre assailli de glaiue qui tant fiert.

Sa face n'est rude, ne redoutable

210

Pour se montrer en guerre espouuentable:

Mais celui là qui sa femme querelle,

Peut batailler & estriuer pour elle.

Quant est du mien ie ne desire pas

Que si auant se mette en ce trespas.

215

Certes, ami ie te di & confesse

Que maintefois vouluz prendre hardiesse

De retirer la tienne voulenté

Lors que tu fuz si fort entalenté

D'aler si tot à ce siege de Troye,

220

Laissant ta terre pour une etrange proye.

Car pour certein issant de ta maison,

Ne say comment ni à quelle achoison

Tu te blessas un pied, dont au courage

I’eu peur & creinte, d'auoir mauuais presage.

225

Lors i’eu douleur, & soucieus esmoy:

Et commençay dire tout à part moy,

Ie prie à Dieu que ceci sinifie

Le brief retour de cil en qui me fie.

Bien me souuient, cher ami, de ceci:

230

I’en ay le doute le dueil & le souci:

Si te le fais assauoir par ma lettre

Pour retirer ton vueil de non te mettre

Souz le pouuoir de main des estrangers,

Ne pres des armes ou grans sont les dangers.

q 5 Fais [sic pour Fay] [p. 250] Fac-simile de la page 250 LAODAMIE 235

Fay que le vent legerement emporte

La grande peur que pour toy mon cœur porte.

Las, i'ay songé & eu auision

Que cil des Grecz qui par afeccion

Premier mettra le pied dedens la terre,

240

D'iceus Troyens sera occis en guerre:

Dont celle dame moult grand regret aura

Qui son mari la premiere y perdra.

Si prie à Dieu que si preus ne te face,

Que tu mettes premier le pied en place.

245

Et que ta nef n’aille pas si auant

Qu’elle arriue la premiere deuant:

Ains t’amonneste & si te veus bien dire,

Que tu sailles dernier de ton nauire:

Car pour certein celle terre n’est pas

250

Ton heritage à bien faire ton cas.

C’est lieu non seur, ennemie frontiere:

Et pource, ami, ne t'en aproche gueres

Mais quand vers moy tu feras le retour

Hors du danger de ce piteus destour,

255

Pousse ta nef & si te diligente

De tot venir quelque vent qui te vente

Quand tu auras ton païs aperçu,

Descens acoup pour y estre reçu.

Helas ami, tant suis mal atournee

260

Qu’auoir ne puis une bonne iournee:

Soit or’ de iour ou soit ores de nuict

Le dueil que i'ay de toy tousiours me nuit.

Le [p. 251] Fac-simile de la page A PROTESILAVS. 251

Le iour te pleins, & la nuict te regrette,

De peu dormir faisant longue diette.

265

Mais toutefois la nuict plus que le iour

Nourrit mon cœur en peine sans seiour.

Bien sont les nuicts certes plaisantes à celles,

Aus belles dames, & ieunes iouuencelles

Qui ont leurs bras, à seur, couchez & mis

270

Au pres de ceus de leurs loyaus amis:

Quant est de moy, seule gis & repose

En lict piteus, ou meins cas presuppose,

Faisant songes qui moult font trauailler

Mon triste cœur quand vient au reueiller:

275

Et meintefois auis m'est & me semble

Que là sommes tous deus couchez ensemble.

Ioyes feintes me donnent du plaisir

Durant mon songe, dont court est le loisir.

Mais pourquoy est ce que souuent ie presente

280

Deuant mes yeus ton image dolente:

Et dont vient ce que ie t'ois en dormant,

Ce m'est auis pleindre & gemir forment?

Lors ie m'esueille, & toute desolee

Creingnant ton mal, comme femme auolee,

285

Ie recommande à noz Dieus ta santé

Si que tu sois de tous maus exempté:

Et n'ya temple, eglize, ou monastaire

Ou ie vueille mes oblacions taire:

Et point ne sont mes larmes espargnees,

290

Car mes ioyes sont par toy eslongnees.

Las, [p. 252] Fac-simile de la page 252 LAODAMIE

Las quand sera que te pourray reuoir,

Et doucement en mes bras receuoir?

Quand viendra l’heure, que nous, en sure couche

Tous deus gisans, me feras de ta bouche

295

Les piteus contes de tes trauaus passez

Et les dangers de tes membres lassez?

Croy, cher ami, que moult feray content

Mon cœur alors tous tes faitz escoutant:

Mais ia pourtant ne seray oublieuse

300

De te baiser oyant ta voix piteuse.

Et tu außi cent fois me baiseras,

Quand pres de moy à repos tu seras:

Cet interualle de baisers amiables

Fera trouuer tes contes plus sortables.

305

Langue qui met à son dire compas,

Prononce mieus & si tot ne faut pas.

Mais, dous ami, puis que tu tendz à Troye,

Et que de vent & mer tu te fais proye,

Le bon espoir ou i'ay meints iours vescu,

310

Par trop grand creinte est failli & veincu.

Qui est celui, tant fust loin de sa terre,

Qui se vousist ,fust à paix ou à guerre,

Sur mer bouter pour son païs reuoir,

Quand il pourroit de l’œil aperceuoir

315

Que vent & mer lui seroit trop contraire?

Plustot voudroit arriere se retraire:

Et vous Gregois votre païs laissez,

Et autre terre etrange pourchassez,

Iaçoit [p. 253] Fac-simile de la page A PROTESILAVS. 253

Iaçoit pourtant que vent, mer & tempeste

320

Vous contrarie & danger vous apreste.

Ou allez vous? dont viennent ces raisons?

Tournez, amis chacun en vos maisons:

Ou tirez vous, ô Grecs? voyes vous mie

Que fortune ne vous est point amie?

325

Certes croyez que ce retardement

Que vous auez, ne vient pas seulement

Du vent contraire ainsi que l[’]on repute,

Ains vient de Dieu lequel vous persecute.

Mais que querez? ne pourquoy trauaillez?

330

Dont vient la guerre ? & pourquoy bataillez

Fort seulement, (dont ie ne me puis taire)

Pour recouurer une femme adulteire.

Pour ce donques tandis qu’auez le tems,

Reuenez tous, & en soyez contens.

335

Si prie aux Dieus toutefois, & suplie,

Qu’à votre gré soit la chose acomplie,

Et que la doute qu'ay du mal auenir

Puisse à bon sort, & meilleur poinct uenir.

Moult ay despit de ces Troyennes dames,

340

Quand mors verront nos gens rendre les ames,

Blessez, meurtris en ce piteus destour,

Enuironnez d’ennemis à l[’]entour.

De leur palais & de leurs grans fenestres,

Pourront iuger des plus fors ou adextres:

345

Chacune d'elles son mari armera

Facilement, quand à la guerre ira:

Meinte [p. 254] Fac-simile de la page 254 LAODAMIE

Meinte sera assez songneuse & preste

De mettre au sien l'heaume sur la teste:

Et en posant les pieces seurement,

350

Se baiseront l'un l’autre doucement.

Cela sera piteus & dous ofice,

Aus deus confors amiable & propice.

Et quand la dame aura à son espous

Les armes mises lui dira meint propos,

355

Et d’œil soigneus regrettant le regarde,

L’auertissant que bien se donne garde:

Aus Dieus le vouë, & si le recommande

A fin que sauf eschape de la bande.

Ainsi s'en ua bien armé le galant,

360

Qui de combatre doit auoir bon talent:

Car il est frais, & si n’oublira mie

Les prieres & baisers de s'amie.

Assez combat, & à bonne raison,

Car sa retraite est pres de sa maison:

365

Quand las sera de ferir & combatre,

Chez lui pourra s'en retourner esbatre:

Là prontement sa dame trouuera,

Qui pesant faiz acoup lui otera:

Et si sera sa chair mate & lassee

370

De son espouse doucement embrassee.

Mais nous doulentes qui de vous sommes loin,

N'auons pour vray fors regret dueil & soin:

De si sommes de tous points incerteines

De vos trauaus, & de vos longues peines:

Creinte [p. 255] Fac-simile de la page A PROTESILAVS. 255 375

Creinte nous fait penser & souuenir

De tout le mal qui vous peut auenir.

Or suis pourtant, dous ami, confortee,

Et à plaisir quelque peu exhortee:

Car iaçoit or, qu’en meintes regions

380

Tu suis les armes, & grandes legions,

En ton absence i'ay peinte ton image

Pourtraite au vif, semblant à ton visage:

Hà quantefois ie la baise & cheris,

Ie l'entretiens, & doucement lui ris:

385

Et pour certein mon vouloir lui descœuure,

Comme si tu fusses present à l[’]heure:

A elle parle, à elle ie me pleints,

Comme se dvst ecouter mes compleints.

Or m'en croy donq, tant est à toy semblable

390

Qu'on iugeroit que vie ha veritable:

Et s'elle auoit la parole, ou le son,

Ce seroit toy, & ta propre façon:

Ie la regarde, & la tiens, & l'embrasse.

Comme si fust mon mari sans fallace:

395

Et si me pleints de quoy par maintefois

A moy ne parle comme à elle ie fois.

Conclusion, ie te promets & iure,

Soit ore à ioye, ou à future iniure,

Soit à peril ou de vie ou de mort,

400

(Dont mon las cœur moult souuent me remort)

En quelque part que fortune t’enuoye

Ou mort ou vif, te suiuray en ta voye.

Si [p. 256] Fac-simile de la page 256 LAODAMIE

Si veus clorre mon epitre, & ma lettre,

Ou i'ay voulu en fin poser & mettre

405

Vne requeste dont il m'est souuenu,

C’est qu'il te plaise, apres le contenu,

Auoir pitié de toy & moy ensemble,

C'est là le point, vela ce qu'il m'en semble.


Fin de la xiij. epitre de Laodamie à Protesilaüs.

[Bandeau]

PREFACE SVR
L’EPITRE D’ IPERME-
stra à Linus.

DAnaüs, fils de l’ancien Belus, eut de
plusieurs femmes cinquante filles, les-
quelles son frere Ægistus ou Ægyptus, de-
manda pour femmes à ses cinquantes fils:
mais Danaüs ayant eu responce par l’oracle,
qu’il deuoit estre occis par le mari de l’une
de ses filles: & voulant euiter ce danger,
monta en sa nauire, & singla droit en Argos.
Or Ægistus (prenant ce fait à indignité, com-
me s’il eust esté méprisé de son frere) enuoya
ses cinquante fils auec une armee, poursuy-
ure son frere Ægistus: & sous tel comman-
dement, & charge expresse de ne retourner
sans le tuer, ou q̃ les mariages fussent acom-
plis. Ægistus dõq par eus assiegé, leur accorda
le [p. 257] Fac-simile de la page 257
le mariage de ses filles: ausquelles secrette-
ment il auoit baillé à chacune un glaiue, ex-
pressemẽt pour occir leurs maris la premi-
re nuict, quand ils seroient endormis & rem
plis de vin & de viande auec leur nouuelle
ioye. Ce qu’elles firent toutes, excepté seule
mẽt une, à sauoir Hypermestra. laquelle ayãt
pitié de son mari Linus (aucũs disent Lincus,
autres Linceus) l’auertit, & lui conseilla s’en-
fuir promptement vers son pere Ægistus.
Mais comme Danaüs connut que Hyperme
stra n’auoit fait son cõmandement ainsi que
les autres, il la vous fait prendre, & reserrer
en prison bien estroitement. Elle donq estãt
ainsi enfermee pour auoir sauué son cousin
germain & son mari, lui enuoya cette epitre,
le requerãt la venir deliurer de captiuité: ou,
si elle y meurt, l’ensepulturer. Mais Linus en
fin la deliura, & tua Danaüs, pere d’elle. Les
Poëtes feignẽt q̃ ces meurtrieres seurs (qu’ils
nõment Belides & Danaïdes, du nom de leur
pere & pere grand) sont aus enfers punies
de telle peine qu’elles cuidẽt rẽplir d’eaeu un
vaisseau persé: qui coule incessamẽt, & au-
tãt en gette cõme elles en mettẽt, dont Oui-
de fait mencion en plusieurs passages, mes-
sme en la Metamorphose liure quatrieme.

Fin de la Preface.

[p. 258] Fac-simile de la page 258 [Bandeau]

LA XIIII. EPITRE
D’OVIDE.
*
Hypermestra escrit à Linus.

HYpermestra dolente & langoureuse,

Par cette lettre de larmes plantureuse,

A toy Linus, reste de tant de freres,

Donne salut en pleintes trop austeres:

5

Nagueres fustes plusieurs freres germains,

Ores es seul, & ores seul remains: Remains
pour de-
moures.

Les autres ont aus Dieus rendu les ames

Par la rigueur de leurs cruelles femmes.

Or suis tenue (toutefois sans raison)

10

En fiers liens, & obscure prison.

La seule cause de ma peine outrageuse

C’est seulement d’auoir esté piteuse.

Blamee suis de mon pere inhumein

Dont i’espargnay t’occire de ma main.

15

Et pour certein de lui louee fusse

Si tel crime voulu faire lors eusse.

Mais trop plus ayme auoir desobeï

Au sien vouloir, que de t’auoir trahi.

I’ayme plus cher ma main franche & deliure

20

De cruauté, que de ta mort poursuiure.

Et me deust or’ celui pere impiteus

Getter [p. 259] Fac-simile de la page HYPER. A LINVS. 259

Getter au feu, que iamais pour nous deus

Iadis conioints soufrisse violence,

Ou m’occire du glaiue sans doutance,

25

Qu’il me bailla pour ta vie abreger,

Si que ie sois pleige de ton danger,

Et que sur moy la mort soit preparee

Que par moy fut de toy desemparee.

Ia pour grans maus qu’il me faße en effet,

30

N’auray regret du bien que ie t’ay fait.

Ie n’auray dueil, par loyalle amitié

D’auoir eu certes de mon mari pitié.

Se deulent celles desloyales espouses

Qui ont osé commettre telles choses:

35

Et mon pere tout plein de malefice,

Se repent y d’auoir commis tel vice.

Car telz exploitz grandes peines meritent

A ceus pour vray qui tant mal s’y aquitent.

Mon cœur fremit, & tremble, pour tout voir,

40

Quand si grand crime ie veus ramenteuoir,

Et quand außi, par memoire frequente,

Le sang espars en celle nuict dolente

Ma main ne peut d escrire [sic pour descrire] , & s’y ayder,

Ne sur papier la plume bien guider.

45

Ie qui ay peu mettre fin à ta vie

(Dont toutefois ie n’euz iamais enuie)

Creins & ay peur de dire seulement

De ton salut le remede & comment:

Or’ le diray pour prouoquer à larmes

r 2 Ceus [p. 260] Fac-simile de la page 260 HIPERMESTRA 50

Ceus qui liront mes pitoyables termes.

Par une nuict obscure & tenebreuse,

Que ia le iour de clarté lumineuse

Commençoit poindre, dechassant le noir ombre,

Nous toutes seurs, & cinquante de nombre,

55

Liurees fumes pour prendre & espouser

Autant de freres sans nous y oposer.

Là nous transmit nostre desloyal pere

Souz ioye feinte, qui bien peu fut prospere:

Receues fumes au palais d’Ægiptus,

60

Ou les plaisir furent tous abatus:

Car chacune de nous fut lors contreinte

Souz beau[s] habits porter espee ceinte

Pour mettre à mort, & sans auoir merci,

En celle nuict chacune son mari.

65

Tel’ cruauté notre pere fit faire,

Et commanda ce faus crime parfaire.

Mais que diray? Tant fimes en effect

Que l’appareil des grans noces fut fait:

Le feu fut mis es lampes preparees,

70

Qui furent belles, & richement dorees,

Et de senteurs & bons odoremens,

Furent garniz les nouueaus paremens,

Chacun se print à faire esbats & feste,

A tous plaisir n’est nul qui ne s’apreste:

75

Dances & ieus furent mis en auant,

Et meins mangers reïterez souuent:

De diuers vins furent tasses remplies,

Et [p. 261] Fac-simile de la page A LINVS. 261

Et bonnes cheres en tous lieus acomplies.

Que diray plus les clameurs & les riz

80

Eurent si fort amusez nos mariz

Que nullement le danger n’aperçurent

De leurs femmes qui apres les deçurent:

Ains furent tous les chetifs & mal nez

En leur chambre conuoyez & menez,

85

Chambres, pour vray, q͂ bien nommer deuroye

Leur sepulture fin de derniere ioye:

Bien tendues de soyes & tapis:

Ou leurs dangers furent cloz & tapis:

Bien esperoyent y prendre reposee

90

Vn chacun d’eus auec son espousee.

Là furent ils dedens leurs couches mis,

Et doucement en repos endormis,

Lors grans mangers &le somptueus boire

Les agraua, comme chacun peut croire.

95

Helas iouï, certes, tantot apres

Ceus qui de moy furent procheins & pres,

Pleindre gemir à voix moitié faillie

Que Mort tenoit desia en sa baillie, Baillie
pour puis-
sance.

Ia transpercez de glaiue femenin

100

Dont pas n’eurent celles le cœur benin.

De tel esclandre fuz troublee & marrie,

Et demouray sans sang toute esbahie,

Froide deuint & de cœur & de corps,

Quand i’entendi si trespiteus acors:

105

En triste lict ie demouray gisante,

r 3 Outr [p. 262] Fac-simile de la page 262 HYPERMESTRA

Outree au vif, esperdue & dolente.

Et tout ainsi comme il auient au blé,

Alors qu’il est de petit vent troublé

Cà & là verse à diuers bouffemens,

110

Ou aus feuilles qui souffrent tremblemens,

Dedens les arbres de grand vent, agitees,

Dont meintes fois sont à terre gettees,

Certeinement tout ainsi, ou plus fort,

Tremblay alors en voyant cet effort:

115

Et tu pres moy tendrement reposois,

Qui ton peril si prochein n’auisois.

Deuant mes yeus suruint premierement

Voix paternelle, & son commandement,

Qui dechassa de moy & peur & creinte,

120

Pour parfaire la chose sans contreinte.

Et tout acoup, cela consideré,

Mon premier sens si fut deliberé

De transpercer ton corps & ta poitrine

De piteus glaiue, & doloureuse estreine,

125

Et (brief) ami, ie te di sans mentir,

Ma main osa par trois fois consentir

Prendre ce glaiue pour t’occire sans grace,

Et par trois fois ie le gette en la place:

Car tout me vint certes à l’auenant,

130

Creinte de pere si mit si tresauant

Que i’aprochay la trespoignante espee

Pres de ta gorge, pour tot estre coupee.

Mais, pour certein, douce amour & pitié

Resist [p. 263] Fac-simile de la page A LINVS. 263

Resisterent à celle inimitié:

135

Et ma main chaste aus Dieus recommandee,

Ne parfit pas la chose commandee.

En cet estrif, si piteus & dolent,

Frappant ma coulpe, mes membres afolant,

Ie diz tout bas en creinte d’estre ouie,

140

Ha poure femme bien dois estre esbahie!

Bien est ton pere peruers & faus tirant,

Dont il conuient, pour son plaisir parfaire,

Executer si desloyal afaire:

Et que cetui que tant fort nous pleingnons,

145

Auiourdhui meure auec ses compagnons.

Au fort, pourtant, nature femenine

Doit à pitié & douleur estre encline.

Ie qui suis femme, ieune pucelle, & tendre

A cas si grief ne voudrois mie entendre:

150

Ma volonté à raison forferoit

Trop grandement, quand ainsi le feroit.

Ma main n’est pas sortable ue [sic pour ne] propice

Pour exercer un si cruel office.

Le feras tu? ouï : car en effet

155

Faire conuient comme tes seurs ont fait:

Puis que tu as tems & heure oportune,

Vser te faut de voye de fortune.

Iaçoit pourtant, si i’employe ma main

A la soiller dedens le sang humein,

160

Tantot apres, & sans longue demeure,

r 4 Ie [p. 264] Fac-simile de la page 264 HIPERMESTRA

Ie m’occiray : car droit veut que ie meure.

Meritent ceus telle peine arbitraire

Pour demander leur part hereditaire:

Que si ne l’ont pourra en grans danger:

165

Choir & venir es mains des estrangers)

Helas nenni : bien sont dines de vie:

Mais eussent ils ores mort desseruie,

Pensons nous point poures chetiues femmes,

Que commettons grans crimes & difames?

170

Qu’à cestuy fait enuers moy? nullement,

Dont ie le doiue occire promptement.

Trop mal me siet porter glaiue ou espee,

Ne pour bataille ou guerre estre ocupee:

Plus m’est sortable, le tout bien consulté,

175

Fuseau en main, & quenouille au coté.

Ainsi faisois mes regrets en tels termes,

Lesquelz finiz furent suiuis de lermes:

Et du grand pleur & ruisseau de mes yeus

Arrousez furent tes membres en meints lieus.

180

Lors te dormant, non pensant telle chose,

Gettas tes bras enuers moy ton espouse,

Et doucement me vouluz embrasser

Tout endormi, cuidant te solacer:

En te tournant pour à ton gré sufire,

185

Tu te cuidas piteusement occire

Par la pointe de ce glaiue inhumein

Que ie tenois pour lors nu en ma main.

Las, que diray? nous estans en cet estre

L’aub [p. 265] Fac-simile de la page A LINVS. 265

L’aube du iour commença aparoitre:

190

I’eu creinte & peur que mon pere & ses gens

Fussent acoup songneus & diligens

De visiter en toute la pourprise,

Pour enquerir l’exploit de son emprise,

Et pour sauoir si chacune endroit soy

195

Auoit usé de paternelle loy.

Helas ami poureuse de ce doute,

Ie t’esueillay, & dis bas, or escoute:

Sus, leue acoup, toy qui es meintenant,

Frere tout seul de tout le remanant,

200

Si promptement tu ne te diligentes,

Et que du lieu on [sic pour ou] tu es ne t’exemptes,

Saches, pour vray, que cette nuict sera.

Ta derniere heure, qui grand mal me fera.

En ce disant, lors que ma voix te sonne,

205

Tu t’esueillas acoup du parfond somne.

Et doucement me pris à regarder.

Lors en main auisois sans tarder

Le fer mortel qui menassoit ta vie,

Cause pourquoy, de sauoir euz enuie:

210

Mais ie te dis plus n’est lieu de parler,

Tant qu’il est nuict tache de t’en aller.

Ainsi le fiz, & t’en va sans demeure,

Et ie seullette en ma chambre demeure,

Puis le iour vint, & tantot s’avança

215

Mon cruel pere, qui nombrer commença

Les trespassez dedens ce mortel ombre

r 5 Dont [p. 266] Fac-simile de la page 266 HYPERMESTRA

Dont toy tout seul fuz à dire du nombre.

Moult lui fut grief, & moult me reprouua,

Quand desconfit & mort ne te trouua:

220

Et bien pensa que lors par ta saillie,

Son entreprise fut rompue & faillie.

Cil impiteus pere, soudeinement

Par les cheueus me print si rudement,

Et commanda qu’en prison tenebreuse

225

Gettee fusse, ainsi que crimineuse:

C’est le loyer qui me fut apresté

Pour trop piteuse & douce auoir esté.

Moult malheureuse fut la notre naissance,

Quand tel afaire sur nous court & auance.

230

Que diray plus? tantot certes apres

Mon pere & oncle firent leurs grans aprets

De gens en armes de bataille mortelle,

Et commença entre eus une querelle,

Si que chacun se mit en grant arroy,

235

Lequel seroit par dessus l’autre, Roy.

Ainsi fumes durant les grandes guerres

Exilees de noz voisines terres.

Et nous mena le vent en mer parfonde

Au plus lointein climat de tout le monde.

240

Cil Egyptus si auant proceda

Que le royaume rauit & posseda:

Et si priua, contre droit, la personne

De notre pere, de sceptre & de couronne.

Ainsi fumes contreinte au besoin

Nous [p. 267] Fac-simile de la page A LINVS. 267 245

Nous en aller auecques lui bien loin

Nous toutes seurs poures & soufreteuses

Partimes lors en larmes planteureuses.

Et notre pere ia vieus exillé

Fuit, delaissant son païs tout pillé

250

De tant de freres la reste est bien petite,

Et si ne say ou cil encores habite.

Ie pleure & pleins iceus mors & transiz,

Et außi celles par qui furent occis.

Les freres ont fini leurs poure vies,

255

Et les seurs sont perdues & rauies:

Or vueillent prendre mes larmes & mes pleurs

Mes freres mors, & mes dolentes seurs,

Helas, & moy suis en peine liuree,

Pource que i’ay ta vie deliuree.

260

Que fera l[’]on à ceus qui ont meffait,

Quand mal ie seufre, & pour auoir bien fait?

Si tu as donq, ô Linus, soin & cure

De moy qui suis la tienne creature,

Et si tu as à bon gré le plaisir

265

Que ie t’ay fait d’amiable desir,

Deliure moy de telle seruitude,

Et de prison qui m’est cruelle & rude:

Ou bien me tue sans faire long seiour,

Sans plus languir & de nuict & de iour.

270

Et quand ma vie sera mise en roupture,

Gette mes os en dine sepulture,

Et les arrose des larmes de tes yeus.

Mon [p. 268] Fac-simile de la page 268 HIPERMESTRA

Mon esperit s’en trouuera de mieus.

Fais insculper dessus ma tombe & mettre

275

Vn epitaphe compris en brieue lettre:

Ci dessouz git le loyer & le pris

De charité,que mort non duë ha pris.

Hypermestra exilee & bannie

Du sien païs, piteusement finie:

280

Mort à son cœur à triste fin liuré,

Dont elle auoit son frere deliuré.

Meinte autre chose escrire te voudroye,

Mais, cher ami, certes ie ne pourroye:

Car fer trop dur tient liee ma main,

285

Par le vouloir du courage inhumein.

Puis creinte & peur m[’]oste la connoissance

De bien parler, & de douce eloquence.


Fin de l’Epitre d’Hypermestra
à Linus.

[fleuron]
[p. 269] Fac-simile de la page 269

PREFACE SVR
L’EPITRE DE PARIS
A HELEINE.
*

PAris nauigeãt de Troye en Sparte, au-
trement dite Lacedemon (soit pour
recouurer par ambassade la Dame Hesione,
seur de son pere Priam, que Hercules auoit
liuree à Telamon en la premiere prise de
Troye, soit pour iouïr de la belle Heleine,
dont il auoit grande esperance, & promesse
de la deesse Venus:) fut nohorablement re-
ceu par Menelaüs, comme beau ieune prin-
ce qu’il estoit. Mais Menelaüs ayant besoin
de faire voile en Candie pour partager les
biens & possession de son pere Atreüs, de-
laisse Paris chez lui: commandant à sa fem-
me Heleine qu’elle le traitast autant bien
comme lui mesme. Adonq Paris, voyant l’o-
casion se presenter à lui, s’efforça d’atraire à
son amour la belle Heleine, lui escriuãt cette
artificielle epitre par laquelle il lui declare
la grande ardeur de son amour enuers elle.

Fin de la Preface.

[p. 270] Fac-simile de la page 270 [Bandeau]

LA XV. EPITRE
D’OVIDE.
*
Paris escrit à Heleine.

SAlut enuoye à toy, ô dame Heleine,

Le tien Paris qui ne peut à grand peine

Salut auoir, pour bien que sache ouurer,

Fors que par toy le puisse recouurer.

5

Diráy ie, las, ma dure destinee,

Qui est à dueil si fort predestinee?

Quel besoin est, soit à gain ou à perte,

Cacher la flamme ia connue & aperte:

Certes le feu qui mon cœur brusle & art,

10

Assez se montre & assez se depart:

Que plust à Dieu que plus celee ou close

Fust l’estincelle qui est en moy enclose:

Et que l’amour, dont i’ay si grand montioye,

Ne se montrast sinon au tems de ioye,

15

Au tems pour vray que toute creinte & peur

Seroit bannie du tien & du mien cœur.

Mais trop mal say dißimuler & feindre,

Et ia ne puis ma voulenté restreindre:

Feu ne se peut ne clorre ne celer,

20

Sa flambe mesme si le peut desceler.

S’il te plait donq escouter & entendre

L’in [p. 271] Fac-simile de la page PARIS A HELEINE. 271

L’intencion que ie vueil entreprendre,

Et que te die du tout entierement

Le mien vouloir & le mien pensement,

25

Ie te dis, certes, que ie brule & consume

Par feu d[’]amours, qui tout mon cœur alume.

Cette parole te veut faire assauoir

Que point ne mens, mais que ie te dis voir voir,pour,
vray
,

Pardonne donq, douce dame & princesse.

30

Pardonne à cil qui à toy se confesse,

Et qu’il te plaise ce present escrit lire,

Non en desdain, en courrous, ou en ire,

Mais d’œil piteus en pure loyauté,

Comme il afiert à la tienne beauté.

35

Moult auray ioye si tu reçois ma lettre,

Ce me fera certein & tout seur d’estre

Par toy reçu pour le tems auenir:

Heureus seray se i’y puis paruenir.

Certeinement moult appete & desire

40

Que la dame de l’amoureus empire,

Dite Venus, qui ici m’a transmis,

Tienne & parface ce qu’elle m’a promis:

Et pource à fin que comme non sauante,

Tu ne peches de ce fait ignorante:

45

Saches, pour vray, que tel commencement

Ie n’ay empris sans diuin mandement.

Ie quiers & veus grand loyer & salaire,

Bien deu pourtant selon le mien afaire:

Car pour certein, celle dame Venus

Par [p. 272] Fac-simile de la page 272 PARIS 50

Par qui sommes en ce païs venus

M’a ottroyé (bien faut que le remembre)

De te faire concierge de ma chambre.

Par son aïde & utile conseil

Ie mis mes nefs acoup en apareil,

55

Et si parti du mien païs grand erre

Pour paruenir en estrangere terre,

Si que depuis pour toy, las, qui tant vaus,

I’ay enduré grans peines & trauaus

Et pour auoir mes atendues ioyes,

60

I’ay trauersé de perilleuses voyes.

Mais la deesse qui de ma nef fut guide,

Me preserua par bien songneus remide.

Et me donna vent dous, & seure mer,

Pour paruenir à ce que veus aymer.

65

Or la supli que tousiours perseuere,

Et qu’enuers moy ne se montre seuere:

Et tout ainsi qu’elle ha donné faueur

A ma nauire pour veincre la fureur

De mer parfonde, außi ie lui suplie

70

Qu’elle apaise le feu qui multiplie

Dedens mon cœur, & que par son suport

L’intencion que i’ay uienne à bon port.

I’ay aporté auecques moy la flamme

Qui tout mon cœur & deseiche & enflamme.

75

Pas n’ay trouué le feu en ce païs

Par qui mes sens sont ars & enuahis:

Et toutefois celle flamme certeine

Ha [p. 273] Fac-simile de la page A HELEINE. 273

Ha esté cause de voye si lointeine.

Le triste yuer, ne le vent forcené

80

Ne mon plaisir ne m’a pas amené

Car au partir mon entente fut telle

De voir ta face qui me semble immortelle.

Ne pense pas qu’en mer ie me sois mis

Ne que ie sois dedens ma nef remis

85

Pour faire achapt d[’]estrange mercerie:

Ma nef n’est pas pour tels choses cherie.

Assez ay bien (ie le di sans vanter)

Dont ie me doy par raison contenter.

La grand’ richesse, & le bien que i’espere

90

Dieu par sa grace le me fasse prospere.

Außi ne viens pour regarder ces lieus,

Ne les citez lesquelles ualent mieus:

Nous en auons en notre territoire

De toutes telles, & de plus grand memoire.

95

Ie seulement te demande & te quier:

Autre pourchas ne veus & ne requier

Dame Venus, par qui fais telle aprouche,

Faire te doit compagne de ma couche.

De si grand nom & louenge es pouruuë,

100

Que t’ay aymee auant que t’auoir vuë:

Ta belle face & ta grande valeur

Fut imprimee par raport en mon cœur,

Voire premier que iamais en ma vie

Mon œil t’eust vuë de tel’ beauté pluuie.

105

Bruit & renom me dit premierement,

s Qu’elle [p. 274] Fac-simile de la page 274 PARIS

Qu’elle tu fus de ton exaucement.

Mais tu es plus de grand vertu sommee

Qu’on ne pourroit sauoir de renommee:

Nature ha plus en toy de grace mis

110

Que renommee ne m’en auoit promis.

A bon droit donq Theseüs si tressage,

Cheualeureus & de haut vasselage

Te voult voult pour
voulust.
aymer, quand si belle te vid,

Et non sans cause il te print & rauit:

115

Si noble proye bien fut sortable & due

A homme plein de si grande value.

Il te print donq en bien ieune saison,

Et t’amena en la sienne maison:

Moult fort le loue de quoy il te sceut prendre,

120

Et m’esbahis pourquoy te voulut rendre.

Telle richesse deuoit certeinement

Estre gardee & close seurement.

Si tant de bien auenu me peut estre,

Au monde n’a si fort & puissant maitre

125

Pour qui ie t’eusse voulu restituer:

Plustot me fusse auant laißé tuer:

Plustot eusse baillé ma teste en gage

Que perdre, las, dame de tel parage.

Iamais ma main eslongner ne pourroit

130

Vn tel tresor, fust à tort ou à droit.

Iamais pour rien, certes, ie ne pourroye

Demourer vif, & voir perdre ma ioye

Si ce bien donq, me fust lors auenu,

Et [p. 275] Fac-simile de la page A HELEINE. 275

Et que ce fusse à t’auoir paruenu,

135

Si comme fit Theseüs ce preus homme,

Et puis que i’eusse esté contreint, en somme,

A la parfin de te rendre & liurer,

Aumoins i’eusse en auant te deliurer

Part au plaisir d’amoureuse saisine,

140

Si dieu m’eust fait de telle grace dine.

Ia n’eusse esté si creintif & douteus,

Que i’en fusse demouré soufreteus:

A peine t’eusse voulu pucelle rendre,

Ou pour le moins i’eusse t[â]ché à prendre

145

Ce qu’on pourroit, sauf la virginité,

Prendre & auoir en pure loyauté.

Si te suppli dame si belle & gente,

Que ton vouloir permette & consente

Que tu sois mienne, & lors pourras sauoir,

150

Si ie veus faire enuers toy mon deuoir.

Ainsi sera l’ardeur de moy esteinte.

Par une amour aliee & coniointe.

Ie t’ay voulu à tout bien preferer,

Dont me vouloit Iuno remunerer:

155

Et si ay fait refus de grand richesse

Plus ay aymé de t’auoir pour maitresse:

I’ay dedaigné les vertus de Palas,

Pour ta valeur, dont iamais ne fuz las.

Et toutefois ne m’en repenti onques:

160

Car peu prise tous autres biens quelconques

Si mon cœur s’est de ton amour saisi,

s 2 Dire [p. 276] Fac-simile de la page 276 PARIS

Dire on ne peut que i’aye mal choisi.

En ce propos demourra arrestee

Ma voulenté, sans iamais estre otee.

165

Donques te pri, dame, de tout mon cœur,

Dine d’estre requise à grand labeur,

Qu’il te plaise ne soufrir ne permettre

Que mon espoir, dont pas ne suis le maitre,

Demeure vain, perdu, & sans proufit,

170

Ou autrement mort suis & desconfit.

Ie ne suis pas de si basse naissance

Que bien ne vaille auoir ta connoissance.

Et quand ma femme ou espouse seras,

En dous plaisir tu te reposeras.

175

Si tu t’enquiers qu’elle est ma parentelle,

Tu n’en pourras ailleurs trouuer de telle.

Ia n’est besoin d’axaucer le renom

Des ancestres dont ie porte le nom.

Mon pere est Roy, & tient sous lui saisie

180

L’autorité, l[’]honneur de toute Asie.

C’est un païs moult fertile & duisant,

A l’œil humein delectable & plaisant:

Tu y verras citez innumerables

Maisons dorees, & terres proufitables,

185

Temples si beaus & excellens moutiers,

Ou les tresors sont riches & entiers:

Tu y verras la noble forteresse,

Dite Ilion, dont parler on ne cesse:

Außi les murs garnis de fieres tours,

Pour [p. 277] Fac-simile de la page A HELEINE. 277 190

Pour resister à tous bruyans destours.

Qui furent faits au dous chant de la lire

Qu’auoit Phebus de musique le sire.

Que te diray du peuple & des manans?

Tant en y ha en ce lieu d’abitans

195

De mainte espece & de diuerse forte

Qu’à grand peine terre les tient & porte.

En trionfe recueillie seras

Quand ton entree en la Troye feras:

Dames viendront te faire reuerence,

200

Et des pucelles auras l’obeissance.

Lors tu diras que ton peuple & ta gent

Quant à cetui est poure & indigent:

Et qu’une place vaut mieus, soit paix ou guerre,

Que la meilleur’ cité de votre terre.

205

Ie ne le dy pourtant pour mespriser

Le tien païs, bien m’en veus excuser:

Car pour certein la terre ou tu es nee

Doit estre dite heureuse & fortunee:

Mais trop est poure au pris de ta valeur:

210

Bien deu seroit à toy païs meilleur:

Ce lieu n’est pas conuenant ne sortable

A ta beauté qui est inestimable:

Ta douce face, & tes yeus si tresbeaus

Meritent bien acoutremens nouueaus.

215

Penser ne dois iamais à nul afaire

Fors seulement pour ton plaisir parfaire.

Quand tu verras l’abillement des hommes,

s 3 Et [p. 278] Fac-simile de la page 278 PARIS

Et la veture du païs dont nous sommes,

Qui est si belle & de nouueaus deuis,

220

Bien iugeras selon le tien auis,

Que pas n’est moindre l’acoutrement des dames:

On n’y sauroit trouuer faute ne blames.

Rens toy facile à moy, & de bon gré,

Pour paruenir en ce royal degré:

225

N’elongne pas un tien seruant de Troye,

Qui tant de biens te presente & ottroye.

Mes ancestres & tant louez parens,

Doiuent estre de mes vertus garens:

Il n’est besoin que plus le die ou nomme,

230

Le bruit d’iceus assez fort les renomme.

Ie ne croy pas que cil Menelaüs

Le tien espous, des plaisirs qu’il ha eus

Soit capable, ne qu’il ait meritee

D’auoir dame de tel grace heritee,

235

Et te fais iuge si sa forme & ses ans

Sont point aus miens lointeins & diferens:

Il est issu d’obscure parentelle,

Et ses parens furent pleins de cautelle,

Et ont oséles siens executer

240

De si grans maus qu’on ne peut reciter.

Mais que vaut ce? ne de quoy me proufite?

Quand cil te tient ou tout reproche habite?

Cil te possede & te tient nuitz & iours,

Cil ha de toy les dous baisers tousiours,

245

Qui est indine (à bien lui satiffaire)

Du [p. 279] Fac-simile de la page A HELEINE. 279

Du moindre acueil que tu lui saurois faire:

Et moy qui brule & qui ars de desir,

A peine ay lieu, espace ne loisir

De contempler ta face inestimable,

250

Quand nous disnons & que sommes à table.

Et encores quand ainsi ie te voy,

Et que ton œil me fait un dous renuoy,

Considere que n’ay membre ne veine

Qui lors ne soufre une mortelle peine.

255

Certeinement ie meurs, & point ne viz

De viandes de si cruelz conuiz.

Traiter deuois de tous telz entremets

Tes mal vueillans, non moy qui n’en puis mais.

Moult me repens, & assez cher me coute

260

D’auoir esté si longuement ton hoste:

Dieu scet le dueil, & le mal que reçoy

Quand à toute heure ie voy & apperçoy

Cil meschant homme plein de mauuaise grace,

Qui à son vueil te possede & embrasse.

265

Ie meurs d’ennui quand ie voy tel galant

Qui de ses membres va les tiens acolant.

I’ay triste cœur plein de melencolie

Quand cil atouche à ta chair tant polie,

Et peu me sens à fortune tenu

270

Quand avec toy il repose tout nu.

Souuentefois ie voy comment, à l[’]aise,

Cil desplaisant & rebelle, te baise,

Et quand sommes souuent à table aßiz

s 4 Et [p. 280] Fac-simile de la page 280 PARIS

Et que ie voy (dont souuent ie transiz)

275

Que cil te baise, & avec toy soulace,

Faisant semblant boire, ie pren la tasse

Pour que ne puisse regarder ne sauoir

Le dous plaisir qu’il y peut receuoir,

Ie diuertis mes yeus, & les enuoye

280

En autre part, à fin que ne vous voye.

Lors la viande, dont ie prens bien petit,

Croit en ma bouche sans auoir apétit.

Souuent m’as vù souspirer & me pleindre,

Parfaite amour ne m’en pourroit restreindre.

285

Mais tant estoit ton gros cœur endurci

Que tu n’auois de ma douleur merci,

Ains quand plus fort ie me pleins & souspire,

Moins t’es tenue de t’en moquer & rire.

Souuentefois i’ay voulu moderer

290

Mon feu d’amour, & me deliberer

De plus n’aymer, ta deceuant’ maniere:

Quant i’ay cuidé la degetter arriere,

Plust est en moy augmenté le vouloir

De tant t’aymer, dont bien me doit douloir.

295

Souuent mes yeux se destournent & virent

Hors de ta vuë, mais les tiens les retirent:

Mais quand ie cuide de te voir les garder,

Ta grand’ beauté contreint te regarder,

Lors à part moy pense que ie doy faire,

300

Comme pourray à mon mal satisfaire:

Car c’est à moy grande peine & douleur

De [p. 281] Fac-simile de la page A HELEINE. 281

De regarder, sans auoir bien meilleur.

Mais ce seroit encores plus grand peine

Si ta presence etoit de moy lointeine.

305

Ie trauaille le plus fort que ie puis

A bien celer la fureur ou ie suis,

Mais tant ne say la couurir ne la taire

Que celle amour ne se montre, & appaire.

A toy n’ose ne veus parler souuent,

310

Pour que danger ne soit du fait sauant,

Besoin n’en est, ia ne faut que desploye

Ma volenté, car tu connois ma playe:

Tu la connois la mienne intencion,

Ia n’est besoin d’en faire ostencion.

315

Que plust à Dieu que tu connusses seule,

Le cas pourquoy il faut que ie me deule.

Las, quantefois pour les larmes piteuses

Qui de mes yeus issoient plantureuses,

I’ay destourné ma face en autre part,

320

Et fait mon pleur & mes pleintes à part,

A fin que cil ne se doute & enquiere

Cause pourquoy i’ay si triste maniere.

Ha quantefois i’ay fait contes nouueaus

De ceus qui ont esté amans leaus

325

Et t’ay narré leurs douces acointances,

Leurs entreprises, außi leur iouissances:

Et en contant leur plaisir & leur ioye,

Piteusement alors te regardoye.

Souuentefois, pour mieus taire & celer,

s 5 A ton [p. 282] Fac-simile de la page 282 PARIS 330

A ton mari ce d’ont n’ose parler,

Dißimulois ma douleur & tristesse

A ce que lui ne s’enquiere & connoisse.

I[’]ay de meint cas narré le contenu

Estre pour l’un, ou pour l’autre auenu

335

Et feint le nom d’aucun en cette chose,

Mais c’est de moy de qui ie presupose:

Et pour certein encor ay’ie mais fait,

Car i’ay souuent deuant lui contrefait

L’homme enyuré, sans raison ne mesure,

340

A fin que i’eusse moyen & couuerture

D’assez parler à toy (pour dire voir)

Sans qu’il s’en peust en rien apperceuoir,

Bien me souuient, moult fut heureuse l’heure,

(Mais trop petite fut pour tant la demeure)

345

Quand une fois, (ou tu ne pris auis)

Ton blanc tetin & ta poitrine vis.

Ce bien me fit à l’heure ta veture

Qui un bien peu s’entr’ouurit dauanture,

Et donna voye & chemin à mes yeus

350

Pour voir ton sain tant cler & precieus.

Lors vis ta chair (dont or’ mon mal engrege)

Plus que lait blanche, voire trop plus que neige:

Et tant fus lors, en te voyant si belle,

Surpris d’amour, & d’ardeur si rebelle,

355

Que ie tombay esuanouï forment,

Considere donques ô quel tourment!

Souuentefois cuidant trouuer mes aises,

Quand [p. 283] Fac-simile de la page A HELEINE. 283

Quand ie regarde & voy lors que tu baises

Hermonie ta fille tendrement.

360

Ie recommence acoup tout promptement,

Et apres toy ie la baise & embrasse:

Ce me proufite & ma douleur efface.

Souuent ie chante, & conte les façons

Des vrays amans par mes tristes chansons.

365

Helas, i’ay vù au moins que ie parloye

A tes seruantes, & mon cas leur contoye:

Mais meintenant n’ose tenir propos

Fors en creinte, dont ie pers le repos.

Or plust à Dieu que d’une grand bataille

370

Ou il y eust gens fors de toute taille,

Tu seule fusses le salaire & le pris,

Et que celui qui mieus auroit apris

A tournoyer & qui ne fuiroit mie,

Te deust auoir pour sa dame & amie:

375

Ainsi que cil qui tant diligenta

Qui par courir aquit Atalanta.

Ou comme fit Hercules, sans doutance.

Qui pour auoir l’amour & l[’]acointance,

De la belle dite Dyanira,

380

Veinquit maints monstres, puis à lui la tira,

Certeinement si ainsi se peust faire,

De toy auoir, dous me seroit l’afaire:

Tu connoitrois alors, & sans rigueur,

Que tu es l’euure de mon entier labeur.

385

Mais ce trauail, & celle douce peine

Autres [p. 284] Fac-simile de la page 284 PARIS

Autres ne moy n’aurons pour toy, Heleine.

Que reste plus donques, fors seulement

Te requerir, & prier humblement

Et sans refus, ô belle, qu’il te plaise

390

Qu’à la parfin tes tendres piedz ie baise.

O des deus freres & la gloire & l’honneur

Par qui seroit honoré meint signeur,

Croy qu’avec moy t’emmeneray grand erre,

Ou ie mourray estranger en la terre.

395

Ma poitrine qui fut de part en part

Outree au vif par un amoureus dart,

N’est pas blessee certeinement en feinte,

Mais est pour vray iusques au fons atteinte.

Bien me souuuient que ma seur Cassandra

400

Me dist au long le mal qui auiendra,

Et que serois en fin, & pour la reste

Prins & feru d’un subtil dart celeste.

Et pource Heleine si cette amour me vient

Par vueil diuin, & qu’ainsi le conuient,

405

Ne chasse pas si loin de ta pensee

L’amour qui est par les Dieus auancee:

Ains, pour parfaire mon souuerein delict,

Par nuict obscure reçoy moy en ton lict.

Mais as-tu honte ou creinte de ce faire?

410

Ou bien au droit de ton mari forfaire?

Si pour cela tu creins, certes, Heleine

Tu es trop simple, ia ne diray vileine,

Cuide tu estre si belle & si propice,

Sans [p. 285] Fac-simile de la page A HELEINE. 285

Sans qu[’]il y ait en toy ou faute ou vice?

415

Changer te faut ta plaisante figure

Ou bien conuient que tu ne sois si dure.

Tousiours ha eu, & si aura, beauté

Guerre mortelle avecques chasteté.

Les Dieus souuent ont leur ioye doublee

420

Quand ils ont eu leurs plaisirs à l’emblee.

Et si ne fust l[’]amoureus larrecin

Pas tu ne fusses de pere nee ainsin.

Ne pense pas estre faite si belle,

Pour estre chaste, & en amours rebelle.

425

Bien veus pourtant que chaste lors tu soye,

Quand te tiendrày en ma cité de Troye,

Et que ie seul soye cause, en effeit,

De tout le mal que iamais auras fait.

Or te supli donques que tu parfaces

430

Mon dous plaisir, & que point ne t’en lasses:

L’heure & le tems le veut, & le consent:

Car ton mari est lointein & absent,

Tu cuides bien que cil sache & connoisse

Celle beauté dont tu as grand largesse

435

En lui as mis ton cœur & ta fiance,

Comme s’il fust plein de sens & science:

Mais tu abuses, & bien furt te deçoit,

Car s’il sauoit, & tresbien connoissoit

Le grand valeur dont est signeur & maitre,

440

Il n’eust voulu consentir ne permettre

Te laisser seule au pourchas & danger

De [p. 286] Fac-simile de la page 286 PARIS

De moy qui suis ieune Prince estranger.

Si mon ardeur donques, & ma parole

Ne te peut rendre enuers moy douce & molle,

445

Au moins te doit à ce faire emouuoir

L’heure, le tems, le loisir (pour tout voir:)

Bien sommes simples toy & moy, sans doutance,

Si nous perdons une telle acointance.

Quand pour parfaire notre felicité

450

Nous auons loy & oportunité.

A toy, sans plus, il me recommanda.

Or sus fais donq ce qu’il te commanda.

Tu meintenant par nuicts longues & vaines

Seule en ton lict sans repos te demeines,

455

Et ie tout seul außi couche & repose

En lict piteus, mais amour si oppose.

Fay do͂ques tant (qua͂d l’heure est oportune)

Que ioye soit entre nous deus commune,

Et que pitié me couche avecques toy,

460

Sans nul refus, & toy avecques moy.

Si ce seul bien & ioyeuse auanture

Venir me peut, sans faute sans roupture,

Moult me sera icelle nuict heureuse,

Plus que nul iour & clere & lumineuse,

465

Lors te feray & promesse & serment

D’estre à iamais humble & leal amant.

Lors te feray maitresse & heritiere

De mon royaume, & de ma terre entiere:

Et si ne creins, & point n[’]ayes de peur

Que [p. 287] Fac-simile de la page A HELEINE. 287 470

Que moindre en soit ton loz ne ton honneur:

Quand ie t’auray de ce lieu emmenee,

Par moy sera l’euure si bien menee

Que ia ton cœur ne s’en repentira,

Si blame y ha, sur moy ressortira.

475

Autres que moy ont bien dames rauies,

Et pour elles en danger mis leurs vies:

Theseüs mesme te print & te rauit,

Moult fut aise quand à son gré te vid:

Et ses deus freres de grand nom possesseurs,

480

Oserent bien prendre & rauir deus seurs.

Ie donq seray auec eus mis au nombre

Des rauisseurs, & ia ne creins l’encombre.

Or le fais donq, sans y debatre tant,

I’ay ma nef preste & seure : qui t’atend:

485

Bien est de gens & d’auirons pouruuë

De telle certes onques mes ne fut vuë:

Les auirons & le tranquille vent

Te pousseront tout acoup bien auant.

Quand tu seras dedens Troye arriuee,

490

Comme Royne tu seras honoree.

Ceus qui verront la douceur de tes yeus,

Te iugeront une nymphe des cieus,

Et dira l[’]on, pour ta beauté sans cesse,

Que tu es certes une vraye deesse:

495

Par toute rue & lieus ou tu iras,

Odeur soueue & liqueur sentiras:

Et les voyes de tes piedz comprimees,

Seront [p. 288] Fac-simile de la page 288 PARIS

Seront toutes de senteur embamees.

Priam mon pere moult ioyeus en sera

500

Et de grans dons & presens te fera:

Außi feront certes & sans nul doute,

Tous mes freres & seurs, quoy qu’il leur coute.

Impoßible est que sceusse declarer

Le grand honneur que tu dois esperer:

505

Car plus auras de bien que par ma lettre

Ne t’en saurois ottroyer ne promettre.

N’aye ia peur, quand de moy seras prise,

D’estre par guerre ou bataille reprise:

Amasse & leue toute Grece hardiment

510

Son haut pouuoir cheualeuresement:

L[’]on ha vù prendre & rauir meintes dames,

Qui n’ont esté recouurees par armes

Les Traciens prindrent bien sans grans peines

Errithida Orithia
elle auoit
nom.
fille du roy d’Athenes,

515

Et toutefois leur terre & region

Ne fut outree d’aucune legion.

Bien sceut Iason prendre & rauir Medee,

Tant fust ores songneusement gardee:

Et toutefois, puis qu’il s’en amoura,

520

La chose ainsi sans guerre demoura.

Et cetui mesme Theseüs sans doutance

Qui te rauit osa par sa vaillance

Prendre Phedra la fille au Roy de Crete,

Sans reparer la faute qui fut faite.

525

En telles choses (pour mon dire abreger)

Plus [p. 289] Fac-simile de la page A HELEINE. 289

Plus est grande la peur que le danger.

Or ainsi soit que pour t’auoir rauie

Grande bataille deust lors estre ensuiuie:

I’ay force assez, & grand nombre de gens,

530

Mes dars sont rudes, subtils, & diligens:

Notre terre est d’außi puissante montre,

Et riche autant, voire & plus que la votre,

Ia plus n’aura Menelaüs de cœur

Que moy Paris, ains en seray veinqueur.

535

En ieunes ans quand les bestes gardoye

En la forest au pres de la grand Troye,

Ie retiray ler [sic pour les] vaches & toreaus

Qu’aucuns larrons peruers & desloyaus

Prendre vouloient, & bien les leurs fiz rendre:

540

Dont pour ce fait fus nommé Alexandre.

En ieunes ans i’ay meintefois veincu

Mes compaignons, & de targe & d’escu.

Et en tous lieus ou ma fleche tiroye,

Ie la mettois tout droit ou ie vouloye.

545

Certes Heleine oncques mes ton mari,

Qui de toy est tant aymé & cheri,

Ne fit exploit de loz en sa ieunesse:

Trop ha en lui de creinte & de molesse.

Tu ne scez par certes combien ie vaus,

550

Et si ignores mes peines & trauaus.

Or pense donques & me croy sans feintise

Que par bataille ne seras reconquise:

Ou s’il auient que pour ses grans regrets

t Men [p. 290] Fac-simile de la page 290 PARIS A HELEINE.

Menelaüs assemble tous les Grecs

555

Et qu’ils viennent deuant Troye combatre

Force sera (apres le long debatre)

Qu’ils donnent lieu au pouuoir de mes dars,

Car ils sont molz & trop foibles soudars.

Au fort pour tant ie ne desdaigne mie,

560

Esmouuoir guerre pour une telle amie:

Car assez, grand est le loyer & pris

Pour faire enclins aus armes tous esprits:

Et si pour toy dissencions & guerres

Sont esleuez en si lointeines terres

565

Ton nom sera sans fin, & immortel,

Quand on verra le cas auenu tel.

Pource donques en ioyeuse esperance,

Apreste toy de partir, & t’auance:

Et en apres quand à Troye seras,

570

Demande assez, car certes tu l’auras.


Fin de la xv. Epitre de Paris
à Heleine.

[p. 291] Fac-simile de la page 291 [Bandeau]

PREFACE SVR
L’EPITRE DE HELEI-
NE
A PARIS.
*

HEleine, femme du Roy Menelaüs,
ayant receu l’epitre du beau ieune
amoureus Prince Paris, comme irritee lui
respond (pour sauuer son honneur & estima-
cion) s’efforce de rabatre ses raisons & per-
suasion: entremeslant ce pendant toutefois
quelques petis traits de plume, descouurans
aucunement son affeccion: à sauoir qu’elle
ne vouloit ne pouuoit despriser l’amitié que
ce ieune Prince lui portoit: à quoy elle de-
montre bien quel est le naturel des femmes.
En fin, quasi se rendant veincue, l’auise s’il ha
quelque chose à lui mander, de ne le faire
par lettres, mais ses deus Damoisel-
les bien fiables, Climene et Etra: ce
qu’il fit, & aussi elles deus
suiuirent Heleine
à Troye.
*

t 2
[p. 292] Fac-simile de la page 292 [Bandeau]

LA XVI. EPITRE
D’OVIDE.
*
Heleine escrit à Paris.

APres que i’ay à mes yeus presentee

La tienne lettre de diuers mots hantee,

Et que i’eu bien le fais tot pourpensé,

Pour que tu fusses d’autant recompensé,

5

I’ay auisé que c’est gloire legere

Faire ma main enuers toy estrangere,

Et que de rendre response à tes escritz,

Le mien honneur n’en peut estre repriz.

Mais dont te vient ce courage & vouloir

10

De tendre à fin de veincre & deceuoir

La leauté de femme mariee

Qui ne doit estre pour nul pris variee.

As-tu esté ceans hoste reçu

Pour que de quoy fust mon mari deçu?

15

Est-ce la cause qui en ce lieu t’ameine

Pour difamer de mon loz le demeine?

Es tu venu tant de mers trauersant

Pour estre ainsi de mon honneur pressant?

As-tu esté recueilli en ma terre

20

Pour alumer un feu de si grand’ erre?

Tu as esté reçu comme estranger,

Mais [p. 293] Fac-simile de la page A PARIS. 293

Mais doucement t’ay voulu heberger.

Quand ici vins (à toy ie m’en raporte)

Pas ne trouuas certes close la porte.

25

Grande seroit donques iniure faite

Quand pour t’auoir donné seure retraite,

Feignant d’estre priué hoste & ami,

Tu voudrois estre deceuant ennemi.

Ie say assez que ma volonté telle

30

Te semblera tresiniuste & rebelle:

Et bien diras, selon le tien auis,

Que trop suis rude & trop sotte en deuis:

Or soye telle comme tu voudrois dire,

Il ne m’en chaut mais que mon loz n’empire:

35

Impose moy comme il te plait le nom,

Mais que ne perde de vertu le renom,

Et que chacun au vray connoisse & sache

Qu’en moy n’y ha desloyauté ne tache

Si ma face est de ioyeuse maniere,

40

Et que ne sois en regard rude & fiere,

Ma renommee est clere & sans difame,

Et ay vecu iusques ici sans blame.

Nul autre n’a tant sceu parlementer

Qui se sauroit de mon honneur vanter.

45

Parquoy donques plus fort ie m’esmerueille

Comme ton cœur s’essaye & se trauaille

De tel courage emprendre & commencer,

Quant à moy n’est de le recompenser:

Et m’esbahi dont te vient l’esperance

t 3 De [p. 294] Fac-simile de la page 294 HELEINE 50

De posseder mon lict par iouissance.

Si Theseüs m’a rauie autrefois,

Ia ne seray plus subgette à ses lois:

Ne s’ensuit pas si une fais [sic pour fois] fuz prise,

Que tousiours sois à tel mestier aprise

55

Rauie fuz (ia ne faut en mentir)

Voire outre gré, sans point le consentir:

A moy seroit le blame & le reproche

S’il y auoit consentement de bouche:

Mais puis que lui me print par fausseté,

60

Cela se fit contre ma voulonté:

Iaçoit pourtant que peu en amenda,

Car il n’eut par tout ce qu’il demanda:

Rendue fuz acoup & promptement,

Sans mal soufrir fors la peur seulement.

65

Par son effort quand cil me tint enclose,

Il me baisa, de moy n’eut autre chose:

Mais pour certein ta malice intentee

Ne se fust pas de cela contentee.

Me garde Dieu de tomber en ta main:

70

Cil ne fut pas comme toy inhumein:

Cil me rendit entiere & toute telle

Comme ie fuz quand ie partis pucelle

Par ainsi donq la sienne loyauté

Doit donner loz à ma virginité.

75

Et il qui fut bien ieune & debonnaire,

Se repentit de telle chose faire.

Mais cuide tu que celui m’ait rendue

Pour [p. 295] Fac-simile de la page A PARIS 295

Pour que ie fusse à toy Paris vendue?

Certes nenni : car ie n’ay vouloir

80

De faire exploit dont dusse pis valoir:

Et ne veus pas que par toy difamee

Soit en tous lieus ma chaste renommee.

Iaçoit pourtant que ne te veus blamer,

Dont il te plait me cherir & aymer

85

Car trop certes ingrate ie seroye

Pour bien vouloir, si mal ie te vouloye:

Mais que l’amour que tu mets en auant,

Soit bien certeine & non gettee au vent

De cela vient ma peur & creinte toute

90

Non que de toy ie me meffie ou doute:

Et que tresbien ne sache pour certein

Quel est ma face sans auoir cœur hautein:

Mais cela dis’ie pource que dous langage

A ieune dames fait souuent du dommage:

95

Et par trop croire es legeres paroles

Sont meintefois deçues poures foles:

Car en vos ditz n’y ha, en verité,

Ne foy, ne loy, ne brin de loyauté.

Si meintes femmes pechent & sont honnies

100

Par leurs fautes, & de vertus bannies

Si qu’il est bien peu (à brief parler)

Qu’on sceut chastes & bonnes appeler:

Qui gardera (tant soit il or’ grand maitre)

Que ne soye bonne si telle ie veus estre

105

Ia ne me puis excuser de ce fait

t 4 Sur [p. 296] Fac-simile de la page 296 HELEINE

Sur ignorance ou erreur en effet:

Ia ne pourroye excuse mettre en nombre

Qui sceust donner au vice fueille ou ombre.

Tu mets en fait tes anciens parens,

110

Qui par prouesse ont esté apparens,

Et exauces en noble geniture

Ton royal nom, ta beauté de nature

Et mesprises, sans aucune raison,

L’honneur, le loz de la mienne maison

115

Laquelle n’est pas moindre en sa hautesse

Que la tienne, ne d’obscure noblesse.

Pas ne sont moindres les miens progeniteurs

Que tes ancestres, peres & geniteurs

Et iaçoit or qu’assez ie pense & croye

120

Que moult grand soit le royaume de Troye,

Pas moins pourtant ie n’estime, & ne tiens

Notre sceptre que tu celui des tiens.

Si cette terre est moins riche & feconde,

Que cel’ de Troye, & que tant n’y abonde

125

De peuple ou gens, moindre y est le danger,

Car ton païs est rude & estranger.

Ta lettre est pleine de grans dons & promesses,

De belles offres, de tresors & richesses,

Voire assez grandes pour veincre & deceuoir

130

Toutes dames, & leurs cœurs esmouuoir:

Mais de ma part quand ie voudroye mettre

Honneur au vent, & à toy m’en demettre

Plus le ferois pour ta beauté, sans plus,

Que [p. 297] Fac-simile de la page A PARIS. 297

Que pour tous tes biens, ne pour tout le surplus.

135

Et pour certein i’auray tousiours enuie

D’estre apelee bonne toute ma vie:

Si ce propoz me change croy pour vray

Que toy seul plus que tes biens ie suiuray.

L’offre pourtant de tes biens ne refuse,

140

Ia n’auiendra que tant de desdain use,

Car on ne doit refuser nullement

Ce qu’on donne par honneur doucement:

De tout cela toutefois peu me donne,

Mais c’est bien plus quand à part ie raisonne,

145

Quand ie recorde en mon entendement

Que tu m’ayes si tresparfaitement,

Et que tu diz que ie suis cause seule

Dont il conuient que tant ton cœur se deule,

Et que tu as trauersé tant de mer

150

Pour me complaire, obeïr, & aymer.

Croy pour certein quand ton œil me regarde

Ie ne fais point semblant d’y prendre garde:

Mais toutefois de moy sont compassez

Tous tes geste & tous tes fais assez:

155

Si que pour vray ta douce contenance

Detient mon cœur en piteuse soufrance

Souuent t’ay vù & pleindre & souspirer:

Cela faisoit ma douleur empirer

Et meintefois quand à table buuoye,

160

(Feingnant penser ailleurs) i’aperceuoye,

Que tu prenois ma couppe tout expres,

t 5 Pour [p. 298] Fac-simile de la page 298 HELEINE

Pour boire, certes, mon demourant apres

Las, quantefois i’ay noté tes manieres,

Et tes regars signifians prieres,

165

Si que tes yeus à pitié pretendans,

Me faisoient bien certeine du dedens:

Et moult creingnoit qu’affeccion volage

Manifestast à mon mari l’ouurage

Car bonnement tu ne sauois tenir

170

Ton cœur d’aller, & ton œil de venir:

Dont moult souuent de creinte surmontee

Couleur vermeille m’est aus ioues montee.

Souuent ay dit, à voix basse & contreinte,

C’est homme là de rien n’a honte ou creinte:

175

Et si ie l’ay souuent dit & pensé,

Point ne cuide t’en auoir ofensé:

Car il est vray, & souuent t’ay ie vù

A table aßis escrire au despouruu

De la pointe d’un glaiue ou d’autre chose

180

Ce mot ici, LA EST M’AMOVR ENCLOSE.

Et bien pensois que cela s’adressoit

A moy, sans plus, ou mon cœur me deçoit:

Mais toutefois par semblans te montroye

Que pas ainsi croire ne le vouloye.

185

Que diray plus? tant fort me guerroyerent

Tes dous attraits, tant mon sens aueuglerent,

Et tant, pour vray, que i’aprins à parler

A toy par sines, sans plus dißimuler.

Certeinement si i’usse esté sugette

190

A tel delict & euure si mal faite

[p. 299] Fac-simile de la page A PARIS. 299

Assez pouuoye estre soudeinement

Veincue & prise par ton blandissement.

Assez fut douce ta parole & benine,

Pour tot me rendre à ton amour encline.

195

Et tant y ha que ta beauté, en somme,

Passe & excede la beauté de tout homme,

Dont meinte femme à coup & de leger

Pourroit mettre son cœur en tout danger

Mais trop mieus vaut que tu en ayes une

200

Par leal droit, non par voye importune,

Qui soit ta femme, & toy le sien mari,

Que pour t’aymer autre eust le cœur marri:

Et de ma part plus me vaut, & mieus ame,

Qu’il fut ainsi que pour toy i’eusse blame

205

Et pource donq montre toy vertueus,

Ne soye tant d’amour affectueus,

Et ne mets point en femme ton courage,

Tant belle soit, ou de noble parage,

Car c’est vertu, voire dine à choisir,

210

De s’abstenir d’un desiré plaisir.

Autres que toy m’ont bien voulu & veulent,

Et de tel mal comme le tien se deulent:

Pas n’es tu seul (ce peus tu bien sauoir)

Qui ait tasché la mienne grace auoir:

215

Autres ont yeus pour voir & pour connoitre,

Et pour faire leur semblant aparoitre

Tu ne voy pas plus cler (ie le te di)

Qu’autres gens font, mais tu es plus hardi.

Tu [p. 300] Fac-simile de la page 300 HELEINE

Tu n’as le cœur d’amour plus ententiue,

220

Mais ta parole est douce & attraitiue:

Que pleust à Dieu qu’ainsi fust auenu

Qu’en ce païs tu fusse lors venu

Quand au premier à marier i’estoye

Lors qu’à nul autre la foy promis n’auoye

225

Requise estoye alors de meintes gens,

Qui pour m’auoir bien furent diligens:

Mais si i’eusse lors de toy connoissance,

Autre que toy n’en eust eu iouïssance,

Et fust esté en chateaus ou en vile

230

Ie t’eusse pris & choisi entre mile.

Or me pardonne Menelaüs pourtant

Si i’ay failli & si i’en ay dit tant:

Mais pour certein ie suis or’ possedee

Par autre main à qui ie suis vouee:

235

Tu es venu trop tard (dont or’ entens)

Pour obtenir la ioye ou tu pretens:

Ton esperance fut trop tarde & trop lente

Pour paruenir au gré de ton entente:

Autre iouït & tient à son plaisir

240

La chose au monde ou plus est ton desir:

Combien pourtant qu’außi ia il n’auienne

Que i’aye au cœur nul vouloir d’estre tienne,

Pour desdaigner le mien Menelaüs:

Car au premier tout mon espoir là eus.

245

A celui suis sans force ne contreinte,

Amour leale m’y rend serue & estreinte.

Et [p. 301] Fac-simile de la page A PARIS. 301

Et pource donq cesse de tourmenter

Mon esperit par ton parlementer:

Ne vueilles pas donner ennui pourtant

250

A celle la que tu dis aymer tant,

Mais laisse en paix mon fait & ma fortune,

Qui m’a donné vie assez oportune,

Et plus ne tache par ta subtilité

D’auoir le pris de mon honnesteté.

255

Tu dis ami que Venus la deesse

T’a de moy fait deliuranee [sic pour deliurance] & promesse,

Et que tu viz en Ide la forest,

Les trois Nymphes par qui vint tout aquet:

L’une te fit de royaume & d’empire

260

Offre & present pour en demourer Sire:

La seconde te promit (pour tout voir)

Toute vertu, sapience & sauoir:

Et la tierce te dit, en voix certeine,

Iuge pour moy, & tu auras Heleine.

265

Mais toutefois ie ne croy nullement

Que point vousissent dessous ton iugement

Se sousmettre les Dieus ne les Deesses,

Pour declarer leurs beautez & noblesses:

Et fust il lors ainsi, ie ne crois pas

270

Que pour auoir esté Iuge du cas

Aye esté mise (aumoins comme ie pense)

Seule entre tant, pris de ta recompense.

Pas ne presume ma fortune ou beauté

Si tresgrande que ie seule aye esté

Prise [p. 302] Fac-simile de la page 302 HELEINE 275

Prise & choisie pour demourer en somme

Riche loyer à un si parfait homme:

Assez suffit se ie suis, & remains,

Trouuee belle du regard des humeins:

Et que mon loz n’amendrit, ni ne change

280

Sans que les Dieus fassent de moy louenge:

Mais ne m’en chaut, car ie prendray tousdis

Tes louenges à bon gré, & tes dits.

Et iaçoit or’ que tant soye belle

Comme tu dis, bien voudroye estre telle.

285

Si te supli & requier pourautant

Que contre moy tu ne sois mal content,

Si de leger ie ne t’ay voulu croire:

Car on fait bien choses feintes à croire:

Et moult souuent (comme assez i’aperçoy)

290

En grandes choses defaut promesse & foy.

Pour des causes i’ay ioye delectable:

L’une si est que ie suis agreable,

Et estimee par la dame Venus:

L’autre raison des plaisirs auenus,

295

C’est qu’il t’a plù apres tant de promesses

A toy faites par icelles deesses,

Mettre à desdain tout tresor & auoir,

Pour seulement ma bonne grace auoir:

Si que pour vray l’honneur & l’auantage

300

Qu’on te vouloit deliurer en partage,

Fust de Iuno ou de dame Palas

Ne t’a tant plù que de moy le soulas.

Bien [p. 303] Fac-simile de la page A PARIS. 303

Bien apert donq que tu me tiens plus chere,

Ne que vertu ne que richesse entiere:

305

Dont trop seroye dure en cœur, & en effet,

Si ie n’aymoie un ami si parfait:

Mais croy pour vray que pas ne suis si dure

Comme tu pense, ne de fiere nature

Mais i’ay doute d’auoir (sur toute rien)

310

Cil qui ne peut à grand’ peine estre mien.

Ce seroit chose inutile & trop vaine

De labourer le grauier & l’araine,

Ou tous les iours eau se vient acueillir,

On n’en scauroit grand proufit recueillir:

315

Car le lieu mesme trop peu fertil repugne

Qu’on en tirra tirra, pour
tirera.
de la semence aucune.

Ie suis trop rude & simple (pour tout voir)

Pour nuls amans tromper ou deceuoir:

Et me soit Dieu tesmoin si iour de uie

320

D’en frauder nuls i’eu talent ni enuie

Si ie t’escris ores priueement,

Et que te mande par lettre entierement

Ma voulenté, ce faiz pour satisfaire

A la descharge de ton piteus afaire.

325

Helas moult sont heureus, pour abreger,

[C]eus là qui ont leur ioye sans danger:

[I]e suis ieune non sachant telle chose

Moult grand peril y pense & presupose:

Dont celle creinte du dommage auenir

330

Me garde certes, à toy seul me tenir

Ores [p. 304] Fac-simile de la page 304 HELEINE

Ores remains troublee & esperdue,

Puis çà, puis là outree & confondue:

Et si me semble qu’en toutes pars & lieus

Sur moy regardent de tous hommes les yeus:

335

Et non sans cause i’en ay vergongne & honte,

Car meintes gens en tiennent ia leur conte:

Et par mes femmes ay sù puis peu de tems,

Que meints parlent du fait ou tu pretens.

Or’ donq ami si tu n’as en courage

340

D’abandonner ce fait & cet ouurage,

Vueilles aumoins un peu dißimuler,

Pour le mesdire des gens anichiler.

Tu le peus faire, & pour tel’ chose abatre,

Secrettement te desduire & t’esbatre:

345

I’ay liberté (mais non pas la plus grande)

Pour parfaire ce que mon cœur demande:

Car iaçoit or’ que mon mari soit loin,

Vser conuient de raison au besoin.

Songneuse charge & diligent afaire

350

L’ont compellé si grand voyage faire:

Et quand ie vy au partir qu’il estoit

Douteus d’aller, & forment s’arrestoit,

Lors ie lui dis besoin est que tu ailles,

Mais reuiens tot, & garde que n’y failles.

355

Quand i’eu ce dit tant fut aise & content,

Qu’il me baisa & s’en partit atant,

En me disant ie te pri qu’il te plaise

Ceans traiter le mien hoste à son aise:

Et [p. 305] Fac-simile de la page A PARIS. 305

Et que l’estat & fait de la maison

360

Soit gouuuerné [sic pour gouuerné] & conduit par raison.

Cela me dit dont i’eu talent de rire,

Quand lui ouï toutes ces choses dire:

Et ne lui sù que respondre en effet

Fors seulement, ami, il sera fait.

365

Si mon mari donques que ie regrette,

S’en est allé loin au païs de Crete,

Pas ne s’ensuit que i’aye le pouuoir

De parfaire de tous points ton vouloir.

S’il est absent si áy ie seure garde,

370

Et œil sur moy qui tresbien y regarde.

Ne scez tu pas que grands Princes & Rois

Sont obeïs, pres ou loin, par leurs drois?

Puis d’autre part ie creins außi, & doute

Male bouche qui de pres nous escoute:

375

Car de tant plus que de toy suis louee,

Plus doy tenir chere ma renommee.

Ne t’esbahis si seule auec toy

Menelaüs est eslongné de moy:

Il est parti, ayant bonne fiance

380

De lui & moy, & de notre aliance:

Et bien certein que ne voudroye mie

Estre iamais que d’autre lui amie.

La beauté mienne lui ha donné moint iour

Ocasion de faire à moy seiour:

385

Et bien ha eu matiere & iuste cause

De se tenir pres de moy longue pause:

u Mais [p. 306] Fac-simile de la page 306 HELEINE

Mais il ha eu fiance d’autre part

A leauté, dont vraye amour depart.

Tu dis, ami, que le tems & l’espace

390

Qu’auons si seur, deperit, & se passe:

Et me requiers de faire ton plaisir

Tandis qu’auons & l’heure & le loisir:

Et ie le veus, & si creins de le faire

Tant me semble dificile l’afaire.

395

Encores n’ay bonnement auisé

Si tu dois estre ouï ou refusé

Encores est en doute ma pensee

Si par moy doit ta voix estre exaucee:

Bien considere mon mari estre absent,

400

Dont de plaisir mon cœur priué se sent:

Et puis außi ie voy que tu reposes

Seul en ton lict banni de douces choses.

Ta grand beauté me rend & triste & blesme,

Et la mienne ie croy te fait de mesme:

405

Mes pensees, & les veillees nuits

Logent en moy un milion d’ennuiz.

Quand seule gis de trauail aiournee,

Ie pense à ce qu’auons dit la iournee:

Et si recorde en mon entendement

410

Ton dous parler, & humble traitement.

Ie periray & suis femme afolee,

Si ie ne suis par raison consolee.

Ie ne say plus qui me garde & me tient,

Fors seulement creinte qui me detient.

Que [p. 307] Fac-simile de la page A PARIS. 307 415

Que plust à Dieu que tu pusse contreindre

Mon cœur à ce, ou le tien veut ateindre:

Et qu’en toy fust pouuoir de commander

Ce dont tu veus par requeste amander:

Car lors seroit ma simplesse excusee,

420

Et ma vie sans vitupere usee.

Certes Paris, ie te promets & iure,

A plusieurs sert violence & iniure:

Or ainsi fut de toy en mon endroit,

Autre moyen lors querir ne faudroit.

425

Helas, ami, quand tout pense & auise,

Laisse ton cœur iouïr de ta franchise:

Et ce pendant que l’amour est nouuelle

Deporte t’en, & la laisse pour telle.

Petite flamme ce peut tot estancher,

430

Pour bien peu d’eau qu’on y face toucher:

Amour n’est pas certeine ains souuent change,

Et mesmement celle d’un homme estrange:

Ainsi qu’ils vont & qu’ils viennent souuent,

Außi fait, certes, leur amour comme vent.

435

Et lors qu’on cuide que mieus est assuree,

Tant moins est ferme & plus desesperee.

Hysiphile le pourroit témoigner.

De qui Iason se voulut eslongner:

Außi feroit la bien poure Ariadne

440

Que Theseüs laissa en si grand peine.

Pas ne furent tenus par leur amis

A elles deus les conuenans promis:

v 2 Et [p. 308] Fac-simile de la page 308 HELEINE

Et si dit l[’]on que tu en as aymee

Vne long tems, & dame reclamee

445

Dont meintenant ne veus ouir parler:

Ie l’ay ouï Enoné apeller.

Ie prens le cas que desormais tu fusses

Bon & leal, & que ne ne [sic pour que ne] me deçusses,

Si ne peus tu longuement arrester:

450

Car du retour tes gens te font haster

Ia commencement voiles dresser & tendre,

Pour droit à Troye voye & chemin reprendre:

Et quand ensemble toy & moy nous parlons,

Et que la nuict desiree atendons,

455

Le vent se tourne, & à ton vueil se dresse

Pour te mener hors du païs de Grece.

Et pource donq quand toy & moy voudrions

Nos plaisir prendre, & que la nous viendrons,

Notre emprinse demourroit imparfaite,

460

Et ne seroit l’euure qu’à moitié faite:

Lors s’en iroit m[’]amour desheritee

Piteusement au vent mise & gette.

Mais te suiuráy ie comme tu le demandes,

Pour aller voir tes richesses si grandes?

465

Iráy ie à Troye meintenant auec toy,

Pour estre bru de priam le grand Roy.

Certeinement si peu ne creins & doute

La renommee à qui foy on aioute,

Que ie vousisse l’alee consentir:

470

Bien me deurois cherement repentir.

Pas [p. 309] Fac-simile de la page A PARIS. 509 [sic pour 309]

Pas ne veus certes la terre faire honnie

De si grand crime, car raison le me nie.

Si ie le fais que diront les Sparteins,

Ceus d’Achaïe, & d’autres lieus lointeins?

475

Mais si ce cas ie consens & ottroye,

Que diront ceus d’Asie & de Troye?

A ton auis ton pere qu’en dira?

Ni mais ta mere, quand außi le saura?

Et tant de freres que tu as qu’en diront?

480

Et mais tes seurs à droit me maudiront.

Et toy mesmes par tems ou interualle

Douteras moult que ne soye leale,

Et s’il vient nuls estrangers ou passans,

Qui voir me viennent ainsi que connoissans,

485

Tu y prendras desplaisir : & peut estre

Que ialousie fera ta douleur croitre:

Donc tu pourras à l’heure sans celer,

Meschante femme, & fausse m’apeller.

Lors ne pourrois mon excuse deffaire

490

La folie que tu m’aurois fait faire.

Ia n’auienne donques que tu te moques

Pour l’auenir du mal ou me prouoques:

Plustot se puisse sous moy la terre ouurir

Que iusques là me vueille descouurir.

495

Tu me promets gran tresors à merueilles,

Pompeuses robes, & blanches & vermeilles,

Asse peuz tu & promettre & donner,

Mais ie te pri vueilles moy pardonner:

u 3 Car [p. 310] Fac-simile de la page 310 HELEINE

Car tant ne priser à gloire fortunee

500

Comme ie fais la terre ou ie suis nee.

Le mien païs me detient & me plait:

Tout autre lieu m’ennuye & me desplait.

Si auec toy i’estoye transportee

Par qui seroye en fin reconfortee?

505

Et si i’auoys mal ou auersité,

A qui seroit mon ennui recité?

Ou pourróy ie querir parens ne freres

Pour leur conter mes douleurs trop ameres?

Bien me doit il à present souuenir

510

(Afin que pas ne me puisse auenir)

Comme auec lui Iason mena Medee,

Laquelle estoit songneusement gardee:

Bien lui promit, pour mieus la deceuoir,

Corps, terre, biens, voire tout son auoir:

515

Mais peu de tems fit auec lui demeure

Il la chassa dont fut moult triste l’heure,

Et l’expella au loin de sa maison:

Or’ me respons si cela fut raison?

Pas ne trouua ses amis ne parens

520

A celle fois pour lui estre garens:

Bien dust connoitre que moult estoit deçuë

Car en nul lieu ne peut estre reçuë.

Certes Medee ne pensoit au premier

Que Iason fut de mentir coutumier:

525

Et de ma part pas ne croy, ni ne pense

Qu’en toy y ait si grande deceuance:

Mais [p. 311] Fac-simile de la page A PARIS. 311

Mais meintefois (dire bien le conuient)

Le contraire de ce qu’on cuide auient:

Et mains vaisseaus qui ont vent agreable

530

Au desloger en mer douce & traitable,

De grans dangers sont en fin rencontrez.

Quand bien auan