SOMMAIRE
-
Epitre I
- ✦ Preface
- ✦ Traduccion
- ✦ Annotacions
-
Epitre V
- ✦ Preface
- ✦ Traduccion
- ✦ Annotacions
-
Epitre X
- ✦ Preface
- ✦ Traduccion
- ✦ Annotacions

LES XXI. EPISTRES
D’OVIDE.
*
Les dix premieres sont traduites par
Charles
Fontaines Parisien: le reste est par lui reuù,
& augmenté
de Préfaces.
Les amours de Mars & Venus, & de Pluton vers
Proserpine, imitacion d’Homere & Ouide.
A LION,
PAR
IAN DE TOVRNES,
ET
GVIL.
GAZEAV
M. D. LVI.
Avec Priuilege du Roy.

Extrait du Priuilege.
PAR
grace & Priuilege du Roy, il est per-
mis à maitre
Charles Fontaine
faire imprimer
& mettre en vente par tel Libraire &
Impri-
meur que bon lui semblera,
Les Epitres d’ Oui-
de
par lui reuuës & corrigees, auec les
pre-
faces & quelques autres petis traitez
dudit
Ouide
, & le Rauissement de
Proserpine
en
vers
François
:
Auec expresses defenses à tous
autres Libraires & Imprimeurs, de ne les im-
primer vendre ou distribuer iusques à huit ans,
à prendre du iour & date de la premiere impres
sion desdits liures : nonostant quelsconques let-
tres au contraire. Comme plus à plein est conte-
nu en la lettre de Priuilege sur ce donné à
Vil-
liers en Coterets
le premier iour d’Octobre 1555.
Ainsi signé
Declauerie
, & selle en cire iaune.

A NOBLE ET HO-
NORABLE DAME,
Madame de Crussol,
Charles Fon-
taine
s.
I
L
y ha enuiron dix ans,
Madame, que ie
transla-
tois les dix premieres
Epi-
tres d’
Ouide
: qui depuis
ont esté imprimees auec mes prefaces
& annotacions, & dedie
es à
Monsieur
de Crussol
votre fils : & tellement
re-
cueillies que des l’esté paßé, i’ay eu
pei-
ne à en recouurer une couple pour
cer-
teins
amis qui m’en demandoient. Sur
quoy considerant que ie ne deuois en ce
point laisser obscurcir ou perir (s’il faut
ainsi parler) mon labeur non petit : i’en
auerti
ceus à qui ie l’auois premieren
t
a 2
baillé:
[p. 4]
4
EPITRE.
baillé : Ce qu’à diuerses fois ayant fait
& les voyant trop longs à y enten-
dre, & que i’estois preßé non seulemẽt
par lettres d’aucuns miens amis, mais
außi par celle afeccion naturelle & pa-
ternelle que chacun vray pere porte à
ses enfans, qu’à grand regret il verroit
mourir, ie me resolu entierement à y
entendre d’ailleurs, & les faire réim-
primer, mesmement auec les figures
s’il m’estoit poß
ible : encores (à fin que
l’euure fut plus parfait & acompli)
deliberay y aiouter les onze Epitres qui
restoient : & ce, non
de ma traduc-
cion
nouuelle, ains de l’antique translat
de feu
Monsieur de Saingelais
, iadis
Euesque d’Angoulesme
: pour laisser
außi l’honneur deu à celle bonne anti-
que simplicité, ou simple antiquité : que
l[’]on recõ
noitra a
la trace estre de ce bon
vieus tems : & dequoy meintes gens
le resentans, se pourront delecter. Toute-
fois
[p. 5]
EPITRE.
5
fois y ay paßé la main par dessus, ne fut
que
pour racoutrer l’ortografe, les points
quelques mots & lignes entieres, lais-
sees en sens imparfait. Ce que i’ay bien
voulu supplir par mon
nouueau labeur,
& pour l’utilité & recreacion
du Le-
cteur : changeant encor quelquefois, &
radoubant les coupes femenines (comme
l[’]on appelle) ou i’ay senti que facilement
se pouuoit faire, sans m’y contreindre,
ny corrompre ou perdre la grace de celle
antiquité qui ne les estimoit à vice,
cõme l[’]on fait auiourd’hui :
car de les chã
ger toutes, & de conferer du tout ledit
translat auec le Latin, ce n’eut esté ia-
mais fait : & aymerois autant les re-
traduire tout de nouueau, comme i’en ay
eu bonne enuie, qui n’est pas encores es-
teinte : vray est que
le tems, les proces,
& afaires domestiques par moy
soute-
nues, ont icelle mienne afeccion iusques
ores retenue
& retardee. C’est quant à
a 3
ce
[p. 6]
6
EPITRE.
ce point : mais de l[’]honneur que ie pour-
rois auoir acquis en ma premiere tra-
duccion &
annotacion, & en mes plu-
sieurs autres euures & labeurs en vers
ou prose, quant à cela ie m’en raporte,
mesmement à la posterité
qui en iugera
mieus, & sans afeccion : & bien que ce
soit la chose de ce monde qui naturelle-
ment m’aporte plus de contentement en
mon esprit, ce pendant toutefois de cela,
ny moy,
ny ma famille n’en pourrions
viure un seul iour.
Or changeant propos, maintenant ie
vous veus
& doy bien auertir que ou-
tre les choses precedentes, & par dessus
les impreßions du paßé, i’ay aiouté außi
aus onze dernieres epitres susdites, les
prefaces ou argumens, pour plus facile,
brieue & sommaire intelligence du sens
& matiere de chacune d’icelles. Et ne
doy oublier que
i’ay fourni celles d’
Ero
&
Leandre
du translat, non du Signeur
Octou
[p. 7]
EPITRE.
7
Octouian, ains du Signeur de
saint Ro-
mat
(cõme i’entens) par ce qu’elles sont
trop mieus resentans la perfeccion
de
notre tems en honneur literaire. Et à la
mienne volonté
que lui, ou quelque au-
tre semblable, eut poursuiui : nous,
alors,
n’uß
ions eu besoin de recourir à
ce bon
vieillart
, ayans quelque chose de plus
ferme & robuste. Au reste nous auons
encores aiouté à la fin d’icelles epitres,
les amours de
Mars
&
Venus
, imita-
cion d’
Homere
: & le rauissement de
Proserpine
, imitacion außi de notre
Ouide
: deus petis traitez, non par ci
de-
uãt imprimez. Puis donc, treshonorable
Dame
, qu’à
Monsigneur de Crussol
, vo-
tre fils, i’auois adreßé les dix premieres
epitres, ie puis bien
ores à vous,
sa me-
re
, adresserle total, en ce qui concerne
ce mien dernier labeur, qui est tel que
i’ay declaré ci dessus : lequel si ie puis
sentir que receuiez à gré, vous encou-
a 4
rager
[p. 8]
8
EPITRE.
ragerez d’abondan
t mes
Muses
Fran-
çoises
à vous faire voir le reste de ma
traduccion, mesmement auec certeins
autres presen
s de non
moindre estofe.
Qui sera l’endroit ou mettray fin à la
presente (ia assez ou trop longue) priant
le Createur pour vous
Madame
, que
de sa grace luy plaise acomplir tous
voz bons & nobles desirs.
A
Lion
ce premier
iour de May
1556.
[p. 9]
9
A
MONSIEVR DE
Crussol,
Seneschal de
Cahors
en
Querci, & l’un des cent
Gentilz-
hommes de la chambre du
Roy,
Charles Fonteine
S.
M
ONSIGNEVR,
ce qui
m’induit vous escrire à pre
sent est que ie me suis adon
né, depuis quelques annees,
à mettre en vers
François
les premieres
Epitres du gentil poëte
Ouide
, tellement
que mon labeur est paruenu iusques à
la traduccion de dix, dont ie vous fay
un present : & ay eslu ce suget, entre
cent autres, pource que des mon ieune
aage i’ay tousiours eu en admiracion les
euures d’
Ouide, singulier Poëte en
in-
uencion, grace, & facilité : entre
les-
quelles euures ces Epitres des Heroïdes
ont tousiours esté, au iugement de tous
sauans, estimees de tresgrand artifice:
a 5
outre
[p. 10]
10
EPITRE.
outre ce qu’elles sont brieues, vtiles, &
recreatiues : trois points qui emportent
l’honneur en une euure Poëtique, &
qui passent tout, selon le iugement d’
Ho-
race .
Et combien que la Metamorphose
soit estimee de tresgrand artifice &
grace (voire de sorte que les
Grecs
en
ont bien voulu enrichir leur langue) si
est-ce toutefois que pour sa longueur elle
peut sembler estre moins plaisante, ioint
qu’elle se montre plus fabuleuse que
hi-
storique, & ces epitres, au contraire,
plus historiques que fabuleuses. Or
donques,
Monsigneur, ie vous presente
ce mien translat des dix premieres
epi-
tres des Heroïdes : & si puis bien dire
que quiconque entendra bien ce mot,
Heros, selon l’interpretacion de
Platon
en son Cratil (duquel mot, Heros, ces
epitres sont dites les Heroïdes) ne dou-
tera que le present ne puisse, aumoins
pour cette raison, estre conuenant à
vous,
[p. 11]
EPITRE.
11
vous, qui estes extrait de noble & an-
cienne race, & qui estes à present
en la fleur de votre aage, laquelle se
pourra quelquefois delecter en ces ma-
tieres amoureuses, qui à la ieunesse sont
communes & naturelles, & pour-
tant ne lui mesaduienne point, comme
disoit vn
Poëte Grec
, que
Iupiter
ayant
pitié des ieunes gens, leur ha suscité ces
gentiles flammes d’amour pour réueil-
ler leurs esprits, & les garder de de-
mourer oisifs, & pareßeus.
Ainsi
ie n’ay peu ny deu douter de ce translat
adresser à vous, que i[’]ay par cy deuant
connu de telle facilité de meurs, bonne
& vertueuse amour vers les lettres
& lettrez, que non seulement ce mien
labeur vous seroit deu, mais außi
ou-
urage de plus haute lime.
Au reste,
Monsigneur
, combien que
vous ayez en votre ieune aage esté in-
struit, & assez au
ancé en la langue La-
tine
[p. 12]
12
EPITRE.
tine par le moyen de
monsieur Saliat
(homme rempli, tant de bonnes meurs
que de doctrine es
trois langues,
Grec-
que
,
Latine
&
Françoise
, & grand
ami mien & familier des ma ieunesse,
auquel entre autres choses, ie suis tenu
de la connoissance & familiarité que
i’ay euë autrefois auec vous) si est-ce tou
tefois que i’estime que ne desdaignerez
tant le langage
François
, que de ne l[’]
a-
uoir en tel degré de reputacion & afec-
cion que nature veut que l[’]on donne à
tout ce qui est du païs ou nous auons ati-
ré le premier air, & succé le premier
laict. Cy prie
Dieu
,
Monsigneur,
vous
donner l’acõplissement de voz bons
de-
sirs,
suiuant les traces de voz nobles &
bien renõmez predecesseurs, acomplis en
beaucoup de vertus, bien
correspon-
dantes à leur noblesse. C’est de
Lion
ce premier iour de
Ianuier, L[’]an
1551.
[p. 13]
13
AV SVSDIT SIGNEVR
DE CRVSSOL.
*
Ayant desir vous rafreschir memoire
Que ie vous ay connu par long usage
De bon esprit, qu’en vous estre on peut croire
Au seul regard du dous trait de visage,
5Ie deuois bien vous offrir quelque ouurage
Qui fust tout mien : mais außi ie puis dire
Qu [’] il valoit mieus mille bons vers traduires
Qu’en inuenter dix mille froidement.
Car ie ne puis de moymesme produire
10A tel Signeur digne contentement.
[p. 14]

PREFACE SVR
L’EPITRE DE
PENELOPE A
VLYSSES.
*
L
A guerre de Grece estant emuë
pour aller contre la Troye à
cau-
se du rauissement d’Heleine,
Vlysses filz de Laërtes, &
d’Anti-
clie,
fut contreint d’y aller, par conseil tenu
en l’assemblee des Grecz, nonobstant qu’il
feingnit d’estre fol, ou insensé, à fin d’estre
excusable. Et cela faisoit il par dissimulacion,
comme esprins de l’amour de Penelope sa
nouuelle espouse, laquelle il ne pouuoit lais-
ser qu’à grand regret. Mais enfin (estant sa
finesse & dissimulacion subtilement descou-
uerte par Palamedes) alla en guerre auec
les autres Grecs : & partit d’Ithaque montant
sur mer auec quarante vaisseaus : comme
recite Dares en son histoire. Or en celle
guerre Vlysses fit & donna conseil de tant de
choses grandes, tant par finesse, que par sa-
gesse, & prouësse, que la plus grand part de
l’hõneur de la victoire lui est atribuee. Apres
donq
[p. 15]
PREFACE.
15
doncq plusieurs assauts, & batailles par
l’espa-
ce de dix ans liurees, fut la Troye entiere-
ment destruite, & du rauissement d’Heleine
la vengeance faite, qui fut en l’an de la crea-
cion du monde, deus mil sept cens quatre
vingts & trois, & auant la natiuité de nostre
Sauueur Iesuschrist, mil septante neuf
ans, le dixsettieme iour deuant le Solstice
estiual, que Troye la grande fut prinse par
les Grecs, qui quarante ans au parauãt auoit
aussi esté prise par Hercules, qui en tua la
Roy Laomedon, mais n’auoit pas esté
de-
struite, ains Hercules y constitua Prima Roy,
qui amplifia & orna grandement la vile, si
qu’elle estoit une des plus excellentes villes
du monde en magnificence, & puissance.
Toutefois à l’ocasion d’une seule personne
fut destruite, & du tout ruïnee. Parquoy les
Grecs veinqueurs ramenans Heleine, s’en
retournoient en leur païs auec grandes
ri-
chesses de la despouille, & pillage de Troye.
Mais par l’ire, & indignacion de Minerue
qu’ilz auoiẽt ofensee, furent (comme disent
les liures) tant agitez, & tourmentez es
pe-
rilz, & naufrages de mer, que bien peu de
gens en reschaperent. Entre lesquelz Vlysses,
apres qu’il eut esté dix ans en peine sur la
mer, s’en retourna, & gaigna son païs, qui
estoit
[p. 16]
16
estoit en somme vingt ans qu’il en estoit ab-
sent. Auquel Vlysses, estant ainsi detenu es
perilz de mer, Penelope sa femme, fille d’I-
car, & de Polycaste, ignorant la cause de ce
tant long seiour, douteuse de la santé de son
espous, & soucieuse de son retour, escrit
l’e-
pitre suiuante, l’amonneste de reourner puis
q̃
la Troye est destruite, & les autres Princes
Grecs ia de retour, lesquelz le demandent
& desirent : & aussi l’auertit de ceus qui man
gent son bien : Pareillemẽt que son père, Icar
la contreint se remarier : q̃
la ieunesse de son
filz Telemachus, & la vieillesse de son père
Laërtes, (qui estoit père d’Vlysses)
requie-
rent sa venue, & sa presence, & non pas
seule-
ment sa response par lettres. Ie me tais de ce
que ie trouue que le seul Lycophron,
an-
cien auteur ha mal senti & escrit
de la chasteté de
Penelo-
pe contre la commune
opinion & re-
nommee.
*

TRADVCCION
EN VERS FRANCOIS
DE LA PREMIERE
EPITRE
D’ O-
VIDE
Penelope escrit à Vlysses.
[Figure]
A TOY escrit Penelope la tienne
Le cõtenu en cette epitre sienne
O Vlysses q̃ trop tardif i’atten:
Ne m’escri rien, mais plustot
re-
uien t’en:
Troye est à sac, en hayne aux dames Grecques:
Certeinement le roy Priam auecques
b Toute [p. 18]
Toute la Troye, encores bien à peine
Valoient ils tant que leur causer la haine.
O pleust aus dieux quand ses nauz par la mer
10En Sparte fit l’adultere ramer,
Qu’il en eust esté de l’onde furieuse
Lors englouti: las, froide & soucieuse
Ie n’eusse geu dedens mon lit seulette,
Ni trouué lons les iours que te regrette!
15Dont ie me plains qu’ils vont trop laschement,
Par toy laissee en doute & pensement:
Ni pour les nuits passer plus au leger
Viendroit les mains de moy vefue, charger
Le long trauail sur ma toile tendue.
20
Quel tems fut onc que triste & esperdue,
Ie ne t’ay creint plus grans dangers auoir
Que ceux qu’as peu veritablement voir?
La bonne amour de creinte est tousiours pleine,
Qui en l’esprit donne trauail & peine.
25Les fiers Troyens ie geingoye, à part moy
Deuoir venir alencontre de toy:
Mesme au seul nom d’Hector tousiour trẽbloye,
Ie palissois, & morte ie sembloye.
Si i’entendois raconter par deça
30Comment Hector iusques à mort bleça
Antilocus, de dueil i’estoye atteinte,
Antilocus alors causoit ma creinte:
Ou que Patrocle, auec ses feintes armes,
Estoit tué, lors mes yeux iettoient larmes:
Dout [p. 19]
Doutant de toy, adonques ie pleurois,
Et de ton dol male fin i’esperois.
Quand Tlepoleme eut en sang obscurcie
La clere lance au Prince de Lycie,
La mort qui lors Tlepoleme surprint
40Fit que souci renouuelé me print.
A brief parler, quelconque Grec qu’on dist
Que par Troyen la vie au camp perdist,
Incontinent ie trembloye en la place:
Mon cœur qui t’ayme estoit plus froid que glace.
45
Mais Dieu, vray iuste, ha esté bien propice
Au caste amour, car mon espous Vlysse
Demoura sauf, la Troye estant en cendre.
Les princes Grecs on ha ia vù se rendre
En leurs maisons, faire fumer autelz,
50Et à nos Dieus ofrir de tous cotez
Des bien rauis en la despouille, & proye
De la barbare, & estrangere Troye.
Les dames font, de bon cœur à leur tour,
Presens aus Dieus pour le ioyeux retour
55De leur maris: leurs maris vont contant
Que le destin des Gregeois valut tant
Contre le sort des Troyens obstinez,
Qu’eus & leur fort ont esté ruinez.
Les bons vieillarts, les creintiues pucelles
60Merueille en ont, & aus paroles telles
De son mari, la femme en est rauie.
Defia quelcun, qu’au banquet on conuie
b 2 En [p. 20]
En deuisant represente sur table
Apres souper meint combat effroyable:
65Et peint auec peu de vin sur le champ
Toute la Troye, & tout l’ordre du camp.
Par ci (dit il) couroit Simoïs, fleuue:
Le champ Sigee en cet endroit se treuu:
Là de Priam estoit le grand palais:
70Ci Vlysses, là campoit Achilles:
Ici Hector, trainé par monts & vaus,
Epouuenta d’Achilles les cheuaus.
Ce que ie say, car ton fils reuenu
De s’enquerir vers Nestor le chenu,
75A fin d’ouir de toy quelque nouuelle,
Ainsi le tout me conte, & me reuelle:
Mesme comment Rhesus & Dolon eurent
Les coups mortelz, & comment surpris furent,
Dolon en dol, & Rhesus en dormant.
80Tu as osé (ô par trop grandement,
Par trop des tiens oublieus) entreprendre
Le camp de Thrace assaillir, & surprendre
Durant la nuict, & tant de gens en somme
Mettre à la mort, aydé d’un tout seul homme
85(Mais tu estois, parauant telz efforts,
Fin & subtil, & de moy bien recors.[)]
Mon poure cœur, & ma personne toute
Par ce recit fut en peine, & en doute
Iusques à tant qu’en fin on m’a conté
90Qu’au cãp des Grecs veinqueur vins bien mõté
Sur [p. 21]
Sur les cheuaus de Rhesus roy de Thrace[.]
Mais que me vaut, quel bien, ny quelle grace
Que terre soit qui fut le mur Troyen?
Que vous ayez bien trouué le moyen,
95Par vos forts bras de ruiner la Troye:
Si seule encor, comme fus, faut que soye?
Si ie demeure en un mesme estat ores
Comme i’estois, la Troye estant encores?
De mon mary s’il me faut estre veuue
100Par tems si long que la fin ie n’en treuue?
La Troye est donq pour toutes autres Dames
Totalement destruite, & mise en flames:
Mais pour moy seule est encore sus.
Là l’estranger, lequel l’a mise ius,
105Laboure aus beufs par le pillage emblez:
Ou estoit Troye y sont ia grans les blez:
Du sang Troyen les chams engressez sont,
Pleins de blez druz, qui tot fauchez seront.
Les os des morts, à demi enterrez,
110Par la charrue ores sont rencontrez
En labourant: & là les herbes nees
Coururent desia les maisons ruinees.
Estant vainqueur, tu es absent de moy,
Et si n’ay peu onques sauoir pourquoy
115Fais tel seiour (quoy que l’on t’ayt cherché)
Ni en quel lieu (cruel) tu es caché.
Quiconque soit qui en cette isle arriue,
Ne s’en va point que ma main ne t’escriue,
b 3 (Si [p. 22]
(Si d’auenture en quelque part te voit)
120Ne que de toy par moy bien enquis soit.
I’ay enuoyé en Pylon (c’est le bien
Du vieil Nestor, par Neleus pere sien)
Et puis en Sparte: & encore ne scet l’on
De toy nouuelle en Sparte, n’en Pylon.
125En quelle terre habites tu? ou est-ce
Que loing de moy te tiens tardif sans cesse?
Mieus me vaudroit, & seroit plus utile
Qu’encor sus bout fust de Phebus la vile.
(Ie me courrouce à mon vœu & priere,
130O que ie suis inconstante & legere!)
Au moins saurois en quel lieu combatrois,
Et seulement le combat ie creindrois.
Alors seroit ma pleinte, & ma tristesse
Iointe à mainte autre en ce païs de Grece:
135Et meintenant ie ne say que ie creins,
Mais ie creins tout (simple) et de tout me plains
Et ay un champ tout rempli de souci.
Tous les dangers de terre, & mer außi,
Me font penser, & douter à toute heure
140Qu’ils vont causant ta si longue demeure.
Mais, quand ceci ie pense folement,
Parauenture il va bien autrement:
La liberté d’entre vous hommes est
D’aller au change ainsi comme il vous plait.
145Ainsi tu peus, pour ta resiouissance,
D’une autre femme auoir prins acointance.
Et [p. 23]
Et poßible est que de moy tu lui dis,
Que ta femme est trop lourde en faits, & dits,
Qui ne scet rien sinon filer la laine.
150O, que me soit cette pensee vaine!
Et nullement ne t’auienne en effet
D’estre souillé de tel crime, & forfait:
Ains le plustot que pourras retourner
Garde t’en bien de vouloir seiourner.
155
Mon pere Icar (de ce ie t’auerti)
Me vient contraindre à prendre autre parti:
Tousiours me crie, & me vient reprocher
Que i’atten trop: mais me vienne prescher
Et que pour telle on me die, & me tienne:
160Car d’Vlysses iusqu’au iour que mourray,
Penelopé la femme demourray.
Luy toutefois adouci ha esté
Par mon amour, priere, & chasteté:
Et sa puissance en mon endroit modere
165En atrempant son ira, & sa colere.
Ceux de Palis, & de la haute Zante,
Et du Samo, (tourbe en exces viuante,)
Me vont pressant les prendre en mariage:
De ton palais ils font leur heritage
170Sans contredit: & tes biens (noz entrailles)
Sont dißipez parmi ces truandailles.
Qu’est il besoin que Pysandre ie nomme
Auec Polybe, & Medon, cruel homme?
b 4 Puis [p. 24]
Puis Eurymaque, & Antinoz, puissans
175A te manger, & tes biens rauissans?
Maint autre encor, que toy par grand difame,
Estan absent, nourris auec ta femme
Des biens aquis au danger de ta vie.
Et pour combler ta perte, & infamie,
180Irus maraut tout rempli de malheur,
Melanthius außi, le conseilleur
De gourmander le tien betail, gourmandent.
Nous sommes trois, tous telz cõme ils demandẽt,
Trop mal puissans, moy ta femme debile,
185Puis Laërtes le vieillart mal habile:
Le ieune enfant Telemachus außi,
Voire lequel m’a esté ces iours ci
Par vne embuche à bien peu pres surpris,
Quand il auoit, malgré tous, entrepris
190De voyager en Pylon, vers Nestor.
Si prie aus Dieus qu’ils permettent encor
Son fil des ans durer iusqu’à tel terme
Qu’à toy, & moy, mourans, les yeus nous ferme:
Puis ton bouuier, ta caduque nourrice,
195Et ton porcher, feal en ton seruice,
Telle priere auec moy font sans cesse.
Or Laërtes, foible de grand vieillesse,
Ne pourroit pas auoir bon ordre mis
Pour dominer entre tant d’ennemis.
200Telemachus, s’il plait aus Dieus qu’il uiue [sic.],
Viendra en aage & plus forte, & plus viue.
Tu [p. 25]
Tu deurois bien, comme pere, defendre
Pour le present sa ieunesse encor tendre.
Et quant à moy, ie n’ay paas force assez
205Que par moy soient tant d’ennemis chaßez.
Vien, le plus brief, toy notre seul support,
Pour estre aux tiens le bon vent, & leur porte.
Tu as un filz (& ie pry que tu l’ayes)
Qui ieune d’ans requiert que tu essayes
210De sa ieunesse instruire, & bien mener,
Et son esprit à tes arts façonner.
Penser à venir clore à Laërt les yeus,
La mort le tire, il est ia des plus vieus,
A ton depart ie qui fus ieune, & fresche,
215Ia sembleray toute passee, & seche
A ton retour: encor que tu retournes
Incontinent, sans que tu seiournes.
ANNOTACIONS
sur l’Epitre de Penelope
à
Vlysses.
O
Plust aus Dieus quand ses nauz par la En Sparte fit l’adultere ramer.
mer
Sparte, autrement dite Lacedemon,
& à
b 5
present
[p. 26]
26
present Mizitre, est une vile de
Laconie en
Peloponese, à present apellee la
Moree, qui
est une partie de
Grece.
Ni pour les nuits passer plus au leger Viendroit les mains de moy vefue, charger, Le long trauail sur ma toile tendue.
C’est de soymesme que Penelope parle,
qui se dit vesue
de son mari Vlysses, non par
mort, mais par longue
absence. Et faut en-
tẽdre qu’elle usa d’une bõne ruse
pour abu-
ser les ieunes gens qui la pressoient de se
re-
marier, disans que son mari
Vlysses estoit
mort, atendu le long tems que lon
n’auoit
aucunes nouuelles de lui: c’est qu’elle leur
disoit &
prometoit que quand elle auroit
acheué de faire sa toile qu’elle auoit
com-
mencee, qu’alors elle se remarieroit: or
est
il que de nuit elle alloit deffaire tout ce
qu’elle auoit fait
& tissu de iour: ainsi sa toile
ne s’auançoit, ni ne se parfaisoit
point: & ce
pendant les ieunes Gentilshommes
amou-
reus d’elle (car elle estoit belle, sage, &
gra-
cieuse) viuoit sous esperance, chacun
en-
droit soy, de l’auoir quelque iour en
maria-
ge, apres que sa toile seroit acheuee: &
fai-
soient grand chere en la maison, aus
des-
pens du bon homme
Vlysses absent, qui s’en
vengea bien, puis apres, à son retour. Et de
ceus
[p. 27]
27
ceus ci elle parle
en son espitre, disant:
Ceux de Palis, & de la haute Zante,
Et du Samo, tourbe en exces viuante,
Me vont pressant les prendre en mariage:
De ton palais ils font leur heritage
Sans contredit: & tes biens (noz entrailles)
Sont dißipez parmi ces truandailles.
Si i’entendois raconter par deça Comment Hector iusques à mort blessa Antilochus, de dueil i’estoye atteinte, Antilochus alors causoit ma creinte.
Le commun lit ainsi, Antilochus, mais
toutefois il ne
fut pas tué par Hector, ains
par
Memnon. or on peut excuser cette
con-
fusion & changemẽt de nom pour un autre,
ou sur la
personne de Penelope, femme, qui
n’estoit tant
curieuse de chercher la verité
de l’histoire, cõme de declarer son
afeccion,
peine & passion qu’elle auoit pour la longue
absence de
son mari: ou sur la personne du
Poëte mesme, qui se donne cette liberté
de
prendre un non pour autre, comme on lit le
sẽblable en la sixieme
Eclogue de Vergile:
Quid loquar? aut Scyllam nisi, quam fama se-
cuta estCandida succinctã latrantibus inguina monstris
Dulichias vexasse rates?
Atend [p. 28]

Atendu que Vergile en ce lieu atribue à
Scylla fille de Nisus, ce qu’il deuoit atribuer
à Scylla fille de Phorcus: en ce faisant les
Poëtes suiuent quelquefois le naturel de la
renommee qui est assez mensongere, & qui
prend & confond souuent les noms des uns
pour les autres. Mais, pour retourner à notre
Antilochus, Politian lit, Amphimacus, sui-
uant Homere: Ce nonostant Dares Troyen,
qui fut en celle guerre, ha ecrit que Hector
tua Archilochus, & Eneas Amphimachus.
Ou que Patrocle, ayant
ses feintes armes, Estoit tué: lors mes yeux iettoient larmes
Patroclus fut tué estant vetu & couuert
des armures
& harnois d’Achiles son grant
amy: Et pourtant le
Poëte les appelle fausses
ou feintes armes, car elles representoient
Achilles sous Patroclus.
Quand Tlepoleme eut en sang obscurcie La clere lance au Prince de Lycie,
Tlepoleme fils d’Hercules &
d’Astioche,
habitant & signeur en partie de
Rhodes, vint
contre les Troyens auec neuf
galeres, & fut
tué par Sarpedon, Roy de
Lycie, venu au se-
cours
des Troyens.
Que le destin des Gregeois valut tant Contre le sort des Troyens obstinez,
Le Poëte veut dire que la destinee ou
or-
donn
[p. 29]
29
donnance
fatale des Grecs veinqueurs, ha
sur
monté celle des Troyens veincuz.
Par ci (dit il) couroit Simoïs, fleuue: Le champ Sigee en cet endroit se treuue.
Simoïs estoit un fleuue ou riuiere au
des-
sus de Troye.
Sigee est un mont qui s’estend en la mer,
& là
est le port ou se tint l’armee des Grecs
cõtre
Troye: là sont les tõbeaus
d’Achilles &
Patroclus: à present on l’apelle au païs
Ianiz-
zari , & en Latin
Castellum sanctæ Mariæ.
Tu as osé &c. Le camp de Thrace assaillir, & surprendre.
Pylus, ou Pylos, à present
Nauarino, &
Abarino, est une vile de Messenie
en la Mo-
ree . I’ay usé de
l’acusatif au lieu du nomina-
tif, pour ayder à la
rencontre & brieueté du
sens en la rime non cõtrainte,
cõme s’ensuit,
Elle veut dire que son vouloir present estEt encore ne scet lon
De toy nouuelle en Sparte, n’en Pylon.
Ie me courrouce à mon vœu & priere:
O que ie suis inconstante & legere!
contraire à son vouloir precedẽt: Car aupar-
auant elle prioit & desiroit que Troye fust
destrui [p. 30]

destruite, à fin que son mari fust bien tot
vers elle de retour: & meintenant elle vou-
droit que Troye ne fust pas encore destruite,
& que les Grecs fussent encor campez de-
uant, à fin qu’elle sceust que son mari seroit
là, pour le moins: duquel à present elle n’a
aucunes nouuelles, & ne scet ou il est.
Ceux de Palis, & de la haute
Zante, Et du Samo, &c.
Dulichium, à present Taphus ou
Palis, &
en vulgaire,
Palichi, est une ville en
Chipalo
nie, isle de Grece, pres de laquelle
estoit Itha-
que , à present
Compare, ou Tiachi, qui
est
une autre petite Isle dont estoient Vlisses &
Penelope. Samos, à present
Samo, ou Same,
est une
autre vile au contraire de Palichi, &
en la
mesme isle vis à vis d’Ithaque. Il y ha
une autre
isle du nom de Samos qui est
au-
pres d’Ionie,
à l[']endroit
d’Ephese, dediee à
Iuno, par ce qu’en icelle elle ha esté nee,
nour
rie, & à
Iuppiter mariee: de laq̃lle
isle Pytha-
goras
estoit natif, & aussi une des Sibylles
qui pour
cette raison ha esté apelee en Latin,
Sibylla Samia. Zacynthus est le nom
d’une
autre ville & isle peu plus loin d’Ithaque
à
presẽt Zãthe ou Iante:
& autremẽt, Zachitho.
Et tes biens (noz entrailles) Sont dißipez parmi ces truandailles:
Pource
[p. 31]
Pource que lon ayme les biens autant que
son cœur & sa vie, & que le mari
& femme,
quand ils sont bons mesnagers, ont grand
douleur de les perdre,
Penelope les apelle,
noz entrailles, en parlant à son
mari.
Son fil des ans durer iusque à tel terme Qu’à toy & moy mourans, les yeux nous ferme.
C’estoit une coutume louable en ce tems
là, que les enfans venoient cloree
les yeus à
leurs peres & meres quand ils mouroient.

PREFACE SVR
L’EPITRE DE
PHYL-
LIS A
DEMO-
PHON
*
D
Emophon fils de
Theseus & de
Phedra, retournant de
la guer-
re de Troye en son païs, fut par
tempeste de mer getté au païs de
Thrace, à present Romanie. Or
Phyllis fille
de
Lycurgus, & de Crustumene, laquelle
Phyllis pour lors regnoit en
Thrace, le re-
çut
gracieusement en son palais, & en son
lict. Mais apres qu’il eut
esté quelque espace
de tems auec elle, eut nouuelles que
Mne-
steus estoit
mort, lequel auoit chassé The-
seus pere dudit Demophon hors de la
vile
d’Athenes, à present
Cethine, ou Satines:
&
puis y auoit regné. Lors estant
Demophon
esprit d’un desir d’estre Roy
d’Athenes (puis
que l’ennemi qui auoit
chassé, & empesché
son pere de regner, estoit mort) s’en depar-
tit, apres que ses nauires furent
refaites:
promettant à Phyllis qu’il retourneroit
de-
dens un mois, & feingnant qui s’en
alloit
seulement donner ordre en Athenes, ne se
soucia de
retour
[p. 33]
33
retourner vers Phyllis. Il fut le
douzieme
Roy des Atheniens: & regna trentetrois ans,
commençans en l’an du monde 2784. auant
la natiuité de
Iesuchrist 1178 ans. Ainsi qua-
tre mois ia passez, Phyllis lui
escriuit cette
epistre: par laquelle elle l’ammonneste que,
ayant
memoire des biens, graces, & honne-
stetez
qu’elle lui ha faites, il lui tienne sa
foy, & promesse: autrement
elle declare
qu’elle est deliberee de recompenser son
honneur,
& sa chasteté perdue, par cruelle
mort. La fin fut telle, que
Phyllis se pendit
de sa ceinture à un arbre
dedens une forest
procheine du riuage de la mer, apres qu’elle
eut
esté par neuf fois vers la mer, pour voir
si
Demophon retournoit point: comme
Ouide mesme le descrit bien au milieu du
second
liure du remede d’amour. Et pour-
tant toute femme
doit bien ici prendre un
bel exemple de ne mettre son amour trop
ardemment & folement en un homme,
quel qu’il soit: car la fin de
folle amour ia-
mais n’en fut bonne. Au reste
combien que
ce nõ Demophoon, soit de quatre
syllabes,
toutefois ie n’en use que pour trois, en fai-
sant une contraccion des deus dernieres, tant
pour la
douceur requise en la prononciacion
Françoise, comme pour mieux &
plus faci-
c
lement
[p. 34]
34
lement seruit aus vers François. Pour sem-
blable raison trouuerez en la premiere epi-
tre, Laërt, pour
Laërtes. Iason, aussi
pareille-
ment est de trois syllabes en Latin,
en diui-
sant ses deus premieres voyelles, ce
nonob-
stant l’usage du langage François ha ia
ob-
tenu que lon n’en fait que deus syllabes,
en
faisant I, consonante, pour cause de brieueté
& facilité.
en pareil cas aussi ie n’ay fait que
quatre syllabes de,
Deianire, en la neuuieme
Epitre, & pour
mesme cause, combien que
les Latins en font cinq, aussi en la
sixieme
vous trouuerez Aeta, pour æeta, le
pe-
re de Medee. Ce qui est,
& doit
estre facilement permis en
Poësis pour la
con-
treinte des
vers.

TRADVCCION
DE LA II. EPITRE
D’OVIDE.
Phyllis écrit à Demophon.
[Figure]
De toy me plains ie Phyllis ton hotesse,
O Demophon, qui ne me tiens promesse,
Ayant laißé passer le tems ainsi,
Que tu deuois de retourestre ici.
5Tu m’as promis tes nauz venir ancrer
A notre port, alors que rencontrer
S’entreuiendroient les cornes de la Lune
En leur plein rond, des fois seulement une.
Par quatre fois la fin de Lune ay vuë:
10Par quatre fois en sa rondeur est creuë:
c 2 Et [p. 36]
Et nonobstant tes nauz sur notre mer
Lon ne voit point au retour escumer.
Certeinement si tu contes les iours,
Que nous amans contons tresbien tousiours,
15Tu connoitras, comme bien tu l’entens,
Que ie ne fay ma plainte auant le tems:
Mesme l’espoir que i’ay eu en ta foy
N’a point esté que bien tardif en moy,
Ie croy trop tard, ce qui en croyant nuit:
20Et meintenant est bien grief iour & nuit,
A moy qui suis & contreinte, & amante:
Qui souz espoir de ton retour viuante,
O Demophon, sois seur & auerti,
Ay bien souuent pour toy à moy menti:
25Qui ay pensé tes blancs voiles souuent
Estre deça ramenez par le vent:
Qui ay maudit Theseus, qui t’arrestoit:
Mais poßible est que pas ainsi n’estoit.
Par fois i’ay creint que fust pres Marissa
30Ta nef en fons, en vogant deuers ça,
I’ay plusieurs fois, comme font les amans,
Prié les Dieus aus beaus autelz fumans,
Pour la santé de toy mechant, & lache.
Souuent, voyant comment le vent ne fasche
35L’air, ni la mer, ha, i’ay dit en moymesme,
Ha, il reuient s’il est sain, & s’il mayme.
Brief, ce qui peut les nauigans contreindre
A seiourner, l’amour l’a voulu feindre:
Et [p. 37]
Et ay tresbien pourpensé les raisons
40Qui te pouuoient tenir longues saisons.
Mais toy tarfif ne font estre au retour.
Les Dieus iurez, ni außi notre amour.
Toy, Demophon, plus leger que tes toiles,
As mis au vent tes propos, & tes voiles:
45I’acuse à droit tes voiles qui ne viennent,
Et tes propos, qui point de foy ne tiennent.
Qu’áy ie meffait, di le moy hardiment,
Sinon que i’ay aymé non sagement?
Si i’ay mespris, ie di, pour ma defense,
50Que ie t’ay deu gaigner par mon ofense.
En moy y ha tant seulement un mal,
Que t’ay logé, meschant, & desloyal:
Mais ce mal là emporte un eficace
Auecques soy, de meirte, & de grace.
55Ou est le droit, & la foy meintenant?
Ou est la main à l’autre main tenant?
Ou sont les dieus, qui ont part à l’iniure,
Quand les auois en ta bouche pariure?
Ou est Hymen mon pleige, & mon otage,
60Qui m’assuroit de notre mariage?
Et que viurions, ainsi qu’auions promis,
Tousiours ensemble, espous, & bon amis?
Tu m’as iuré par la mer incerteine
Qui toute estoit d’ondes & de vens pleine,
65Sur qui souuent nauigué tu auois,
Sur qui encore nauiguer tu deuois,
c 3 Par [p. 38]
Par ton ayeul (s’il n’est feint comme toy)
Pacifiant la mer pleine d’esmoy:
Et par Venus & ses puissantes armes,
70Traits, & flãbeaus, me liurans tant d’alarmes,
Et par Iuno, des noces la deesse
Autorizant mariages qu’on dresse:
Et par Ceres des torches honoree,
Par sacres liens tu m’as ta foy iuree.
75Si un chacun de ces Dieus ofensez
Te vient punir, toy seul n’est pas assez
Pour supporter la peine, & la vengence.
Mais, malheureuse & folle (quand i’y pense)
Encor ses nauz rompues i’ay refaites,
80Pour mieus s’enfuir de moy par longues traites.
Ie t’ay donné & rames, & forceres,
Pour mieus me fuir dans tes nauz & galeres.
Ie souffre, helas, les playes de mes traits.
En tes propos abondans, pleins d’attraits
85Me suis fiee, en ta race, en tes Dieus,
Pareillement aus larmes de tes yeus:
Mais peut on bien les feindre? lon en use
Comme lon veut: en pleurs mesme y ha ruse.
I’ay creu außi à tous les Dieus celestes,
90Que tu iurois par sermens manifestes.
Mais que me sert tant de choses conioindre,
Quand tu pouuois me gaigner par la moindre?
Ce que me deult que t’ay donné support,
Et recueilli en mon Palais, & port,
Cela [p. 39]
Cela ie dusse auoir fait seulement:
Mais i’ay regret d’auoir vileinement
Donné les deus, mon logis, & mon lict,
Et de t’auoir embraßé par delict.
I’aymase mieux que la nuit deuant celle
100Eust esté nuit derniere à moy pucelle:
Lors que pouuoient à moy, folle Phyllis,
Honnestement mes iours estre failliz.
I’esperois mieus, car ie pourpensois bien
Que tu valois tant d’honneur, & de bien.
105Rien esperer doit cil qui bien merite.
C’est bien louenge à vous hommes petite
Par vos propos une fille abuser:
Lon dust plus tost ma simplesse excuser.
Par tes propos, à heure malheureuse,
110Ie fus deçue, & fille, & amoureuse.
O Demophon, facent les Dieus parfaits,
Que ce soit là le chef de tes beaus faits.
Athenes.
Sois ta statue au milieu de la vile
Entre les tiens: là ton pere auec mile
115Tiltres d’honneur escrits à l’enuiron
Soit deuant toy: comme il deffit Scyrron,
Auec Scinis, & Procustes terrible,
Puis l’homme & beuf, Minotaure l[’]horrible,
Thebes veincue en guerre, & les Centaures,
120Les noirs enfers qu’il print d’assaut encores:
Apres ces faits, & tiltres de bon heur,
Ton image ayt ce beau tilte d’honneur:
c 4 Voici [p. 40]
Voici celui qui par dol, & finesse
Deçut iadis son amie, & hotesse.
125De tant de faits dont ton pere est orné,
As retenu qu’il print Ariadné,
Puis la laissa. Ce seul fait qu’il excuse
As ensuiui: de ce dol ie t’acuse
Estre heritier, Demophon desloyal.
Voyez lapreface de
la dixieme
epistre. 130
Ce nonobstant d’un mari plus loyal,
Ariadné en ha la iouissance.
Mais toutefois d’enuie, ou malueillance
Ie ne lui porte. Or est elle montee
Trionfamment, par Tygres serfs portee:
Les Ty-gres estoi
ent attri
buez à bac
chus qui print à fẽ-
me Ariad
né. 135
Mais, quant à moy, me vont fuyant les Thraces,
Trop ofensez: disans en toutes places
Qu’ils ne voudroient auec moy se loger,
Car i’ay laißé les miens pour l’estranger.
Ia dit de moy quelcun qui ne me vante,
140Qu’elle i’en aille en Cethine sauante,
Autre personne y aura plus eureuse
Cethineou Satines
iadis, A-
thenes .
Qui regira Thrace la belliqueuse.
On dit bien vray, la fin approuue l’euure:
Außi ie pry que celui ne recœuure
145Issue à gré, qui meintient en effet
Que par un cas il faut iuger du fait.
Mais en grans loz seront tournez mes blames,
Si notre mer escume par tes rames:
Lors i’auray bruit, qui t’ay fait tant de biens,
150D’auoir bien fait pour moy & pour les miens:
Mais [p. 41]
Mais n’ay bien fait pour les miens, ni pour moy:
Tu n’as souci de nous, comme ie voy.
En mon palais ne viendras t’eberger,
Ni ton corps las en mon lac soulager.
155
Deuant mes yeus ores se represente
Ton meintien triste, & ta face dolente
Quand ta nef preste en mon port t’atendoit:
Lors tout ton corps dessus mon col pendoit:
Lors tu osa bien serré me baiser
160De longs baisers, & de pleurs m’arroser,
Entremeslant avec mes pleurs tes pleurs,
En me tenant ces termes de douleurs,
Que tu estois faché bien grandement
D’auoir le vent propice au partement.
165En fin me dis (meslant tes pleurs parmi)
Phyllis, attend Demophon ton ami.
Ie t’attendray, qui partis sans auoir
Aucun desir de iamais me reuoir?
Sur le mien port i’attendray de tout point
170Tes voiles voir, qui ne reuiendront point?
Or fus i’atten: au moins vien sur le tard:
Et que la foy qui de ta bouche part,
N’ait defailli que du tems seulement.
Que pry ie folle? il va bien autrement:
175Desia, peut estre, autre espouse t’a prise,
L’amour te tient, qui ne me fauorise:
Et meintenant, qu’autre partie eslis,
Plus ne connois (comme ie croy) Phyllis.
c 5 Helas [p. 42]
Helas, helas, tu ne connois plus celle
180Tienne Phyllis, & ne t’enquiers plus d’elle:
Qui ay à toy, O Demophon, donné
Logis & port, quand tu fus malmené
De longs trauaus: & accru tes richesses,
Et t’esperois faire plus de largesses
185Que ne t’ay fait, soit en dons, or, argent,
Moy estant riche, & toy lors indigent:
Qui t’ay donné la iouissance pleine,
Et ay souzmis à toy le grand domaine,
De Lycurgus, pour femme bien grand charge,
190Lequel contient beaucoup de long, & large:
Des Rhodopé, le mont plein de froidure
Iusqu’à Æmus, plein d’ombre & de verdure:
Et iusqu’au lieu ou Heber, sacré fleuue,
Dedens la mer getter les eaus se treuuve:
195Qui as, sur tout à la male heure, esté
Seul iouissant de ma virginité:
Et ta main faulse osa faire rompure
Trop hradiment, de ma chaste ceinture.
Tisiphoné en fut la courratiere,
200Et y urla d’une horrible maniere:
Puis y chanta l’oiseau faus & meschant,
Vn trespiteus, & tresmalheureux chant.
Mesme Alecto, laidement atournee,
De serpens courts y vint toute encheinee:
205Et allumez y furent luminaires
De torches ardente & tristes mortuaires.
Ce [p. 43]

Ce nonobstant ie, pleine de tristesse,
Par les rochers m’en vais courant sans cesse,
Et par buissons, dont la riue est pouruue:
210Tant que ie puis ie gette en mer ma vuë.
Soit que de iour se relache la terre,
Soit que la nuit par froideur la reserre,
Ie vois visant quel vent tire, qui vient
Batre la Mer: & alors s’il m’auient
215Des voiles voir en quelques lointeins lieus,
Incontinent ie dy que sont mes lieus.
Ie cours en mer, l’onde à peine me garde
Que ie m’y gette, & ma vie y hazarde,
En celle part ou la Mer va batant,
220Et le sien flot, & premiere eau gettant.
Plus l’onde aproche, & se vient presenter,
Lors plus suis foible, & moins puis resister,
Ie tombe adonq es mains de mes seruantes.
Vn goulfe y ha plein d’ondes escumantes,
225En façon d’arc tout courbe & opreßé,
Ayant un roc en ses cornes dreßé:
De ce lieu là i’ay eu en pensement
De me getter en Mer parfondement:
Et le feray, sans delais, ni excuses,
230Puis que desia si long tems tu m’abuses.
Ie pri aus Dieus qu’incontinent me porte
Le flot de mer à ton riuage morte,
Et sans tombeau deuant tes yeux ie sois.
Lors me diras (quand plus dur tu ferois
Que [p. 44]
Que fer, qu’aymant, & que toymesme außi)
Tu ne deuois, Phyllis, me suiure ainsi.
Souuent desir de poison m’est venu,
Ou trauerser mon corps d’un glaive nu:
Ou mesmement d’un trescruel licol
240Mortellement entrelasser mon col,
Qui ha soufert par amoureus esbas
Estre embracé de tes malheureus bras.
I’ay tout conclu mon honneur compenser
Par dure mort que ie vueil m’auancer:
245La qualité de la mort ou ie pense,
Me retiendra bien peu de tems suspense:
En mon tombeau seras noté coulpable,
Souz un tel vers, ou souz autre semblable:
Phyllis amante ici git morte à tort,
250Que Demophon, son hoste, ha mise à mort:
Lui desloyal, & de cœur inhumain
Y mit la cause, elle y ha mis la main.
ANNOTACIONS SVR
L’EPITRE DE PHYLLIS
à
Demophon.
*
Mesme l’espoir que i’ay eu en ta foy N’a point esté que bien tardif en moy.
Le
[p. 45]
45
Le vers Latin porte.
C’estadire l’esperance ha esté tardiue: enSpes quoque lenta fuit:
quel lieu, spes, se prent pro timore, par la
commune opinion, comme en Virgile,
id est, timere. Et encor en autre lieu,Ast ego si potui tantum sperare dolorem,
Ainsi esperance, ou espoir, se prent en ceSi mortalia temnitis arma,
At sperate deos memores fandi, atque nefandi.
lieu pour creinte & doute, selon aucuns:
mais ie le pren plus simplement, & à la let-
re, c’est q̃ l’espoir ha esté tardif en elle qui
n’a pas eu trop grãde fiance en son retour.
Qui ay maudit Theseus, qui t’arrestoit: Mais poßible est que pas ainsi n’estoit.
Combien qu’il semble auoir quelque con-
tradiccion
en ces deus vers françois, si est ce
que les deus Latins les portent
ainsi:
Thesea deuoui, quia te dimittere nollet:
Nec tenuit cursus forsitan ille tuos.
Par fois i’ay creint que fust dens Marissa Ta nef en fonds, en vogant deuers ça.
Marissa est un fleuue impetueus que lon
apeloit
anciennement Heber, ou Hebrus:
en
la contree de Thrace, que lon apelle à
pre-
sent Romanie.

Par ton ayeul (s’il n’est feint comme toy) Pacifiant la mer pleine d’esmoy.
La poëte entend Neptune, grand ayeul de
Demophon, lequel Neptune fut pere
d’ E-
geus , &
Egeus pere de Theseus, &
Theseus
pere de Demophon.
Ou bien il entẽd Egeus
mesme, qui voyant de loin
retourner auec
voiles noires la nef de son fils
Theseus, qui
estoit allé contre le Minotaure,
se getta en
mer, & fut mué en Dieu marin.
Et par Ceres de torches honoree:
de grans
arbres de Pin au mont Ethna que
lon appelle à
present le mont Gibel, pour
chercher sa fille
Proserpine q Pluton auoit
rauie: & pourtant en ces sacrifices ou usoit
de torches.
Mais malheureuse & fole quand i’y pense, Encor tes nauz rompues i’ay refaites:
Lon peut lire, Ha malheureuse: car
aus-
si d’aucuns liures Latins ont
diuersement.
Les uns,
Et les autres,At laceras puppes etiam furiosa refeci:
Ah laceras, &c.
I’esperois mieus, car ie pourpensois bien Que tu valois tant d’honneur & de bien:
Cõme ie t’en ay fait: mais on peut lire aussi,
Que [p. 47]Que ie valois tant d’honneur & de bien:

Que tu dusses retourner vers moy: Car
aussi les liures Latins ont diuersemẽt, les uns,
Et les autres,Speraui melius, quia te meruisse putaui:
quia me meruisse putaui:
Là ton pere auec mile Titres d’honneur escrit à l’enuiron Soit deuant toy: comme il deffit Scyron Auec Scinis, & Procustes terrible, &c.
Theseus pere de Demophon tua ces
trois
larrons & meurdriers: Aussi le monstre Mi-
notaure, qui estoit demi homme & demi
beuf: &
vainquit la vile de Thebes, à present
Thiua: chassa les centaures, monstres demi
hommes & demi cheuaus qui vouloient for
cer Hippodamie espouse de
Pirithoüs: en-
tra par
force aus enfers à la priere de son
ami Pirithoüs,
qui vouloit auoir Proserpine
la Royne d’enfer,
femme de Pluton.
Ce nonobstant d’un mari plus loyal Ariadné en ha la iouissance,
Voyez
[p. 48]
48
Voyez la preface de la dixieme epitre
d’ A-
riadné
à Theseus.
Or est elle montee Trionfamment par Tygres sers portee.
Les Tygres esoient anciennemẽt attribuez
à Bacchus,
qui print Ariadné pour femme.
Ia dit de moy quelcun qui ne me vante Qu’elle s’en aille en Cethine sauante.
Phyllis veut dire qu’il y en peut auoir ia
quelcun qui se moque d’elle
en la raillant &
disant, qu’elle s’en aille en
Athenes qui est
vile de renom en science, en
laquelle est son
ami Demophon qui ne veut pas
retourner,
auquel elle ha promis mariage: & quant au
païs de
Thrace belliqueuse, il s’en trouuera
d’autres que Phillis, qui le
gouuernera mieus.
Certeinement la fin aprouue l’euure. Si pry bien fort que celui ne receuure Issue à gré qui meintient en effet, Que par un cas il faut iuger du fait.
Elle respond meintenant au propos prece-
dent,
comme disant & confessant qu’il est
bien vray que lon iuge des
faits par la fin &
issue: mais toutefois elle neveut cõfesser q
la
fin & issue de son fait soit mauuaise, & qu’el-
le soit ia auenue, à sauoir que
Demophon
l’ait du tout delaissee, & qu’il
ne vueille
plus retourner vers elle: ains au contraire
elle
[p. 49]
49
elle presuppose que quelque cas,
empesche-
ment ou infortune lui est auenue qui le
re-
tient & retarde de venir.
Mais n’ay bien fait pour les miens, ni pour moy: Tu n’as souci de nous comme ie voy:
Voyez l’inconstance des propos d’une
femme amoureuse.
En mon palais ne viendras t’éberger Ni ton corps las en mon lac soulager.
Bistonis estoit vn lac en
Romanie, duquel
Phyllis parle, disant que Demophon
ne se
viendra point allaigrir & delasser à nager
en son lac.
Et ta main fausse osa faire rompure Trop hardiment, de ma chaste ceinture.
Les pucelles en ce tems là estoient ceintes
d’une ceinture de chasteté,
que le seul mari
la premiere nuit desnouoit.

PREFACE SVR
L’EPITRE DE
BRISEIS A
ACHILLES.
*
QVAND l’armee des Grecs alloit
con-
tre la Troye, elle print, & pilla les
vi-
les, vilages & bourgs procheins de Troye,
& le
païs d’alenuiron, principalement les
Isles qui estoient de l’autre coté
de Lesbos, à
present Methelin. Entre lesquelles Achilles
fils de
Peleus, & de Tethis, print d’assaut les
deus Cilices, la Thebaïque
& Lyernese,
lesquelles il saccagea: & de Thebes emmena
Astimone captiue fille de Chryses, & de Lyr-
nese, Hippodamie, fille de Brises: lesquelles
depuis furent nommees du
nom de leur pe-
re, la premiere, Chryseïs, &
l’autre, Briseïs.
Or Agamẽnon chef de l’armee eslut la
bel-
le Astimone pour sa part de tout le butin
&
pillage: Puis à Achilles pour sa part, & par
eleccion de
gens ordonnez à ce fait, fut li-
uree Hipodamie,
depuis dite Briseïs. Les cho
ses estãt ainsi, Chryses prestre d’Apollo
Smyn
teen, vint auec presens vers Agamemnon
pour r’auoir sa fille Astimone, depuis dite
Chryseïs, lequel le
dechassa en le menaçant
fort.
[p. 51]
51
fort. Parquoy Apollo estant courroucé du
mespris &
iniure q lon faison à son prestre,
tira de son arc & persecuta de
ses flesches,
tant les hommes que les bestes du camp des
Grecs par
l’espace de neuf iours: cõme Ho-
mere ecrit en son
Iliade. Ainsi un grãd nom-
bre de gens, & de
bestes par ces flesches
etoient occis tous les iours
miserablement.
Or par l’auertissement de Minerue, les
Grecs
s’assemblerent en conseil. Achilles se
delibera d’apaiser l’ire des
Dieus. Calchas fils
de Thestor, & deuin, qui auec Mopsus vou-
lut contendre, vint dire tout haut
qu’Apollo
ne se seroit point apaisé si lon ne rendoit
Astimone à
son pere. A ce propos tous y cõ-
sentans &
crians pour aprobacion de cette
voix, Agamemnon r’enuoya par Vlysses
la
fille Astimone vers son pere: mais puis apres
enuoya Taltybius
& Eurybates pour rauir
& oster Hippodamie (autrement dite Bri-
seïs) d’entre les mains & iouïssance
d’Achil-
les, qu’il pensoit estre cause
qu’Astimone
auoit esté rendue. Lors Achille desista de
batailler.
Puis apres de iour en iour les
Grecs estoient surmontez par les
Troyens.
Iupiter auoit fait cela en faueur de Thetis
mere
d’Achilles, àfin que la vaillance &
prouesse d’Achilles fut cõnue. Agamemnon
d 2
voyant
[p. 52]
52
voyant le camp des Grecs foible pour cause
q Achilles ne
batailloit point, & les Troyens
de cela fiers & encouragez,
enuoya vers
Achilles Phœnix, Aiax, & Vlysses pour le
r’a-
paiser, le priant receuoir Briseïs, auec
grans
dons. toutefois pour cela onq ne voulut la
receuoir, ni r’apaiser son cœur & retourner
en bataille, iusques à ce que Hector
eut tué
Patroclus, grand ami dudit Achilles. Ainsi
dõq Briseïs
escrit cette Epitre audit Achilles
se compleignãt qu’il ne l’a voulu
receuoir,
mesme auec telle condicion de grans dons,
& presens
à lui offerts, & presentez de la
part du Roy Agamemnon, souz cette
inten-
cion, que la reprenant auec lui, puis
apres
se mettroit en armes, & en bataille. les
complaintes ne
sont point trop ve-
hementes,
mais moderees,
en
la sorte qu’il apartient
à vne femme
captiue.
*

TRADVCCION
DE LA III. EPITRE
D’OVIDE.
*
Briseis écrit à
Achilles.
[Figure]
Ce que tu lis, la presente mißive,
Vient de la main de Briseis captiue,
Mißive à peine escrite en Grec langage,
Par moy qui suis estrangere en seruage:
5Mes pleurs ont fait toutes les effassures
Que tu verras entre mes escritures:
Mais nonostant ces pleurs valent bien voix.
S’il m’est permis, quelque peu toutefois,
De toy signeur, & mari faire pleints,
d 3 De [p. 54]
De mon signeur & mari ie me pleints.
Ce que ie fus au roy Agamemnon
Liuree tot, ce n’est ta faute, non:
Combien pourtant que c’est ta faute außi:
Car außi tot comme ie fus ainsi
15Par Eurybate & par Taltybe quise,
Tot Eurybate & Taltybe m’ont prise,
Toy me liurant: qui demandoient entre eus
Ou c’est qu’estoit l’amour d’entre nous deus.
A tout le monde tu pouuois delayer
20Vn peu de tems, auant que m’enuoyer:
I’usse eu à gré le delay de ma peine.
La departie, helas, fut tant soudeine
Que ie ne t’ay baisé aucunement:
Mais i’ay getté des pleurs abondamment,
25Et les cheueus de ma teste arraché.
Las, tant estoit mon poure cœur fasché!
Que, malheureuse adonques ie pensois,
Qu’on m’emmenoit captiue une autrefois.
I’ay bien souuent en vouloir & desir,
30De retourner vers toy, mon seul plaisir,
Et deceuoir les gens qui m’ont en garde:
Mais l’ennemi que ie crein trop m’engarde.
Si ie me fusse à la fuite ainsi mise
I’eusse trop creint de nuit estre surprise
35Facilement par l’ennemi Troyen,
Qui m’eut donnee à la bru de Priam.
Obiecciõ.
Mais, i’ay esté par toy liuree au Roy,
A qui [p. 55]
A qui est dù obeïssance, & foy.
Response.Ha, il y ha tant de nuits & de iours
40Qui sont passez, que me laisses tousiours:
Et ne me viens recuurer nullement:
Toy tardif tiens ton cœur trop longuement:
Quand fus liuree ainsi sans contredit,
Lors Patroclus en l’oreille me dit,
45Que pleures tu? tu ne le seras long.
Sois petit cas de ne me querir donq:
Mais on te vois un si gros cœur auoir
Qu’il se tient fort pour ne me receuoir.
Ironie.Or fus va donq, & tu sois ce pendant
50Nommé l’ami conuoiteus & ardant.
Aiax, Phœnix vers toy ia sont venus,
L’un ton parent, l’autre des cher-tenus,
Et Vlysses, tous à fin de te rendre,
D’apointement à me vouloir reprendre.
55Maints riches dons par grand priere offrans:
De rouge erin vint vaisseaus, d’art bien grans:
Et sept treteaus de pois, & d’art encor
Egaus tous sept: & plus, dix talens d’or.
Douze cheuaus bien duits à la victoire.
60Et (ce qui est superflu, & notoire)
Maint corps de fille en grand beauté exquise,
Iadis Les-bos .
Prinse à l’assaut de Metelin conquise
Lon t’a offert. pour plus grand auantage
Lon t’a promis donner en mariage
65L’une des trois filles d’Agamemnon,
d 4 Le [p. 56]
Le Roy des Grecs, qui sur tous ha renom.
Mais ne te faut, si vray dire ie doy,
O mon espous, autre espouse que moy.
Si tu deuois par dons me racheter,
70Des mains du Roy, les dons que presenter
Pour moy deurois-tu ne prens, ains mesprises?
Qu’ay’ie me meffait, dond tant peu tu me prises?
Ou ha si tot notre amour pris volee?
Helas, helas, fortune desolee,
75Pleine de maus tristes, & lamentables.
Court elle fus tousiours aus miserables?
Et ne vient point à la nef agitee
Vn vent plus dous que cil qui l’a gettee?
Par ton assaut i’ay vù rendre seruile
80Premierement Lyrnesus notre vile.
(De mon païs une grande part i’estois)
Et de mes yeus i’ay encor vù les trois,
De parentage, & de la mort conforts,
Tous trois naturez, tous trois ensemble morts:
85Celle qui mit au monde & en lumiere
Tous ces trois là, comme à eus me fut mere.
I’ay vù mon mari tout seignant
Batre la terre, en son sang se baignant,
Tout estendu son grand corps ça & là:
90Mais toutefois vesue de tous ceus là,
A toy tout seul i’ay bien consenti estre:
Toy seul m’estois frere, mari, & maitre.
Tu me iurois, & faisois grand promesse
Par [p. 57]
Par le pouuoir de ta mere, deesse
95De la grand’ mer, que me seroit un bien
D’estre captiue, & mise en ton lien.
Voila le bien, qu’ores suis regetee,
Quand auec dons ie te suis presentee:
Et que tu sois me fuyant à present
100Auec meint riche & precieus present.
Mesme on fait bruit qu’außi tot qu’Aurora
Demain matin en Orient luira,
Tout außi tot viendras tes voiles tendre.
Quand ma tremblante oreille vint entendre
105Ces propos là de telle lacheté,
Helas que i’ay bien miserable esté:
Lors mon cœur fut sans sang & sens außi.
T’en iras tu en me laissant ici?
O cœur felon, de crueauté vetu,
110Moy malheureuse à qui me lairras tu?
Qui donnera aucun apui & port
A moy ainsi laissee sans suport?
Plus tot ie soye ore abimee en terre
Ou foudroyee à un coup de tonnerre,
115Que la mer soit de ta rame escumee,
Et que de loin ta nef ie voye armee
S’en retourner en ton païs sans moy.
Si ia te plait t’en retourner chez toy,
Ta nef n’aura de moy charge exceßiue:
120Ie te suiuray encor comme captiue,
Non cõme espouse: & i’ay main propre & saine
d 5 Soit [p. 58]
Soit pour pigner, ou pour filer la laine.
Ta femme belle, & sur toute honoree,
Ira, (& aille) en ta chambre paree:
125Dine d’auoir de son beau pere aueu,
De Iuppiter, & d’Egina neueu
De qui Nereus, l’ancien maieur tien,
Estre allié de par toy veuille bien:
Et ce pendant moy ton humble seruante,
130A te seruir, & file ie me vante.
Ie fileray, & pleines fusees
Deschargeront mes quenoilles chargees.
Tant seulement (Achilles) ie te prie
Ta femme alors ne me trouble, & me crie,
135Qui me fera, ie ne say pas comment,
Contre mon cœur, & à mon troublement.
Ne lui permets me tirer aus cheueus
En ta presence, ains en un mot ou deus
Que ie fus tienne außi, lui viendras dire:
140Ou lui permets qu’elle aus cheueus me tire,
Mais que sans moy tu ne t’en ailles point
Me desprisant, & laissant de tout point.
Ha malheureuse, helas voila le doute
Qui iusqu’aus os me fait trop trembler toute.
Agame- 145Mais qu’atens tu? Le Roy son cœur abaisse,
mnon.Et à tes piez la Grece humble se baisse:
Or vainqs tõ cœur, toy qui vainqs les plus forts.
Hector le preus auec ses grans efforts
Pourquoy vient il ruïner la richesse
L’hon [p. 59]
L’honneur, le bruit, & puissance de Grece?
O Achilles, va lui donq au deuant:
Pren tes harnois, mais pren moy parauant:
Et fay trembler par ta force, & fureur
Tous les Troyens, Mars te donnant faueur.
155Pour moy te vient ce courrous, & tristesse:
Pour moy außi fay qu’ores elle cesse
En apaisant ce tien courrous, à fin
Que i’en sois seule & la cause & la fin.
Ne pense point que soit laide maniere
160Quand quelque cas feras pour ma priere:
Meleager print les harnois & armes,
Estant prié de sa femme auec larmes:
Le bruit du fait est seulement venu
A mon oreille, & toi tu l’as connu.
165La mere estant vesue de ses deus freres
Maudit son fils de paroles ameres,
Donnant au diable & ses faits & sa vie:
Lui belliqueus auoit guerre suiuie,
Qui par despit de combatre cessa,
170Et en danger son païs delaissa,
Auec refus qu’il fit obstinément
De lui donner secours aucunement.
Sa femme seule, en le supliant, vint
A le flechir, & sa requeste obtint:
175Elle beaucoup plus eureuse que moy,
Car mes propos n’ont puissance enuers toy.
Ce nonostant n’en ay dueil en mon ame,
Et [p. 60]
Et ne me suis vantee estre ta femme:
Ains bien souuent captiue on me disoit:
180En me mandant ou Achilles gisoit.
Vne captiue außi ces iours passez
Me nommoit dame (il m’en souuient assez)
Et ie lui di, par ce nom, d’auantage
Me vas chargeant, qui suis femme en seruage.
185
Mais, Achiles, par les os ie te iure
De mon mari, mal pris en sepulture,
Et trop soudein, os qu’à iamais i’honore:
Et par les trois que comme Dieus i’adore,
Les esperitz de mes trois freres forts,
190Tresbien auec, & pour le païs morts:
Et par ton chef conioint auec le mien,
Pareillement par ce dur glaiue tien,
Connu des miens, qui leur coute la vie,
D’Agamemnon ie n’euz onq compagnie:
195Si ie te ments, vueilles moy delaisser.
Or meintenant si ie te vien presser
De dire au vray: & de grand serment faire
Si tu n’as eu à autre femme affaire:
Certeine suis que iurer tu n’en vueilles.
200Mais les grecs vont pensant que tu te dueilles,
Et ce pendant le lutz à gré te vient,
Et ton amie en son giron te tient.
Si quelcun quiert pourquoy tu ne combats,
Trop sont nuisans de guerre les combats:
205Le lutz, la harpe, & l’amie, & la nuit,
Tout [p. 61]
Tout cela est plus plaisant, & moins nuit
Que batailler: c’est trop plus grand seurté
Tenir sa dame en liesse, & gayté,
Sonner le lutz, que tenir toute preste
210La lance au poing, & l’armet en la teste.
Mais autrefois pour les faits de repos,
Les faitz d’honneur t’estoient mieus à propos.
Ce ne t’estoit que tout plaisir & gloire
D’auoir aquis par guerre une victoire.
215N’estimois tu les faits chevalureus
Que pour m’auoir? Et ton loz tant eureus
Auec ma vile est il ia mis au bas?
Facent les Dieus que ce n’auienne pas:
Ains que plus tot ta lance roide, & fiere,
220D’un bras puissant Hector transperse, & fiere.
Enuoyez moy, O Grecs, en ambassade
Vers mon signeur, & ie me persuade
Qu’entremélant mes baisers aus prieres,
Ie feray plus par mes douces manieres
225Qu’Vlysses sage, & qu’Aiax, & Phenix.
C’est quelque cas d’auoir les bras unis,
Ioints & serrez au col acoutumé,
Et faire voir le sein qu’on ha aymé.
Bien que tu sois cruel, rude, & seuere
Thetis,deesse de
mer. 230
Plus ne me sont les ondes de ta mere
Ie me fay fort, encor que ie me taise,
Vaincu seras, si pleurant ie te baise.
Peleus.Or meintenant (tous ses vieus ans ton pere
Ainsi [p. 62]
Ainsi parface, & ton fils bien prospere
235Te suiue en faits de guerre eureusement)
Preus Achilles, gette piteusement
Ton œil dessus Briseïs la pourette
Pleine d’ennui, qui sans fin te regrette.
Toy endurci ne la trouble, & tourment
240D’une tant longue, & trop facheuse atente.
Ou si l’amour, qu’en moy tu auois pris
Ha tourné chance en desdain & mespris,
Contrein mourir celle, en peine & esmoy,
Que tu contreins außi viure sans toy:
245Ce que feras, ainsi que ia tu fais:
Ia s’est paßé mon corps, & mon teint frais.
Mais l’espoir seul de oty, en qui me fie,
Soutient en moy ce peu que i’ay de vie:
Lequel espoir si ie pers sans merci,
250Mari suiuray, & mes freres außi.
Tu n’auras pas titre d’honneur & fame
De commander mettre à mort une femme:
Quoy, commander? ton glaiue me trauerse:
I’ay sang, lequel i’espandray s’il me perse.
Agame-mnon . 255
Ce glaiue tient, qui ia le fils d’Atreus
Eust trauersé, n’eust esté que tu eus
Pallas.Empeschement que te fis la Desse,
Vienne perser mon corps en grande rudesse.
Mais plustot soit ma vie conseruee
260Par toy, ami, qui me las ia sauuee.
Ce que veinqueur donnas à l’ennemie,
Ie [p. 63]
Ie t’en requier, donne l’à ton amie,
La Troye peut trop mieus de gens fournir
Que tu feras par ton glaiuve finir:
265L’ocasion sur ton ennemi prens.
Comme que soit, si desia tu reprens
A faire voile, ou si atens encores,
Comme signeur mande moy querir ores.
ANNOTACIONS
sur l’Epitre de Briseïs
à
Achilles
*
Aiax, Phenix vers toy ia sont venus. L’un ton parent, l’autre des chers tenus.
Aiax estoit cousin germain
d’Achilles,
c’estadire filz de
Telamon, frere de Peleus,
qui fut pere d’Achilles. Phenix
fut ami, com-
pagnon & conseil
d’Achilles.
Et sept treteaus de pois & d’art encor Egaus tous sept: & plus, dix talens d’or.
Vn talent d’argent valoit six cens escuz
couronne de trente cinq solz
tournois: & le
talent d’or en valoit dix d’argent: ainsi
pou-
uoient monter les dix talens d’or quarante
six mil escuz sol pour le moins.

Ta femme belle, & sur toute honoree, Ira, (& aille) en ta chambre paree, Dine d’auoir de son beau pere aueu, De Iuppiter, & d’Egina
neueu De qui Nereus l’ancien maieur tien Estre allié de par toy veuille bien.
Peleus, pere d’Achilles, fut
engendré
d’Eacus, & Eacus
de Iuppiter & Egina.
Nereus fut pere de Thetis, &
par ainsi
ayeul maternel d’Achilles.
Meleager print le harnois & armes Estant prié de sa femme auec larmes.
Meleager tua ses deus oncles
Plexipus &
Toxeus, parce qu’ilz voulurent oter la de-
spouille du sanglier qu’il auoit donnee à
Ata[]
lanta: mais
Altee, mere de Meleager
se
voyant vefue de ses deus freres, fut fort irri-
tee, & usa de grandes malediccions contre
son fils: ce
qu’il print à cœur, tant que les
ennemis estant deuant la vile de
Calydon, il
ne vouloit prendre les armes pour leur
resi-
ster, ains se cachoit, & passoit son tems auec
Cleopatre sa femme, laquelle l’en pria
hum-
blement s’y resister: lors à sa priere il
print
les harnois, ayant premier desprisé les
prie-
res & les presens de tous les autres.
Mais, Achilles, par les os ie te iure De mon mari, mal pris en sepulture,
65
Et trop soudein, os qu’à iamais i’honore:
Et par les trois que comme Dieus i’adore.
Les trois espritz de mes trois freres morts.
Voyez l’annotacion de l’Epitre settieme,
sur ces vers,
De Sicheüs i’ay l’effigie sacre
Qui est dedens ma chapelle de marbre.
Ce glaiue tien, qui a le filz d’Atreus Eust trauersé, n’eust esté que tu eus Empeschement, que te fit la Deesse.
Achilles, apres plusieurs propos & iniures
cõtre Agamemnon qui lui tollissoit
Briseïs,
tira son espee pour le frapper: mais
Pallas y
suruint qui l’engarda.

PREFACE SVR
L’EPITRE DE
PHE-
DRA
A HIP-
POLYT .
*
QVAND
le Roy Minos eut veincu
les
Atheniens en guerre, il leur imposa
cette charge que tous les
ans ils enuoyassent
sept fils & sept filles pour estre deuorez
du
monstre Minotaure, qui estoit demi homme
& demi beuf,
enfermé dedens le labirynte
que Dedalus auoit
fabriqué en l’Isle de Cre-
te , à present Candie, de laquelle
Minos estoit
Roy. Or auint le troisieme an,
que le sort
tomba sur Theseus, fils
d’Egeus Roy d’ Athe-
nes . Ainsi fut Theseus
enuoyé vers le Minotau-
re: & sorti du
labirynte sain & sauf, & vi-
ctorieus,
emmena auec lui dans son sanuire
Ariadne, à laquelle il auoit promis mariage,
pour
l’ayde, cõseil & secours qu’elle lui auoit
donné: & auec elle
aussi emmena Phedra
sa seur. Mais laissant
Ariadne en l’Isle
Chios,
à present Scio (ou
Naxos, comme aucuns
disent
[p. 67]
67
disent, à present Niosia.) il mena
seulement
auec lui Phedra, & la print en
mariage. Icel-
le fut puis apres en absence de son
mari The
seus grandement esprinse d’amour enuers
Hippolyt fils de mari Theseus
& de Hip
polyte, seur d’Antiope, Royne des
Amazo-
nes. Elle lui escrit donques cette
epitre toute
pleine d’affeccions vehementes, que les
Grecs
appellent Pathetiques, s’efforçant de
l’attraire à son amour detestable
par subtiles
persuasions. La fin fut telle, que
Hippolyt,
aymant la chasse & chasteté, en
tint conte
des prieres, & requestes de Phedra
sa mara-
tre: dequoy elle fort fachee, &
l’acusa vers
son pere Theseus, disant qu’il lauoit
voulu
forcer: lequel pria Egeus son pere de le
ven-
ger: qui, comme
Hippolyt alloit dens son
chariot, à la mode du
tems, luy enuoya une
Phouque, qui est un grand poisson, & mon-
stre marin, qu’on appelle veau de mer, par
lequel les cheuaus troublez, & espouuentez,
tirerent ça & là
par pieces le poure Hippo-
lyt . Alors Diane, la deesse de chasse
& de
chasteté, eut pitié & commiseracion de lui
en faueur
de sa chasteté, & par Esculape,
grand Medecin,
fils d’Apollo, & de
Coronis,
le fit retourner en vie, & le bailla
en garde
au païs d’Aricie, à la nymphe
Egerie, & com
e 2
manda
[p. 68]
68
manda qu’on lapelast double homme,
c’est-
adire deus fois homme. comme dit
Virgile
au settieme des Eneides. Voyez aussi
Ouide
au quinzieme liure de la Metamorphose. Or
Phedra, ayant sceu la mort de
Hippolyt, se
tua d’un glaiue, ou se pendit,
comme aucuns
disent. Bien se doiuent donq contregarder
les dames
d’entrer en amour tant
desraison-
nable &
esrence à fin que ainsi ou pis ne
leur auienne. Mais cette preface
est ia assez longue: Et
pour-
tant escoutez le
Poëte
parlant en son
Epitre.
*

TRADVCCION
DE LA IIII. EPITRE
D’OVIDE.
*
Phedra secrit à Hippolyt.
[Figure]
SAlut te dit la presente mißiue
De par Phedra, de Candie natiue,
Qui n’a salut si ton cœur ne lui mande,
O Hippolyt, fils d’Amazone grande.
5Ly cet escrit, que te sauroit il nuire?
Mais quelque cas encor y pourras lire
Qui te plaira, que ne voudras blamer.
Sous telz escrits, & par terre & par mer,
Plusieurs secretz on porte, en prose ou mettres:
e 3 L’enn [p. 70]
L’ennemi prend de l’ennemi des lettres.
I’ay eu trois fois preste à parler ma langue,
Mais trois fois fut muette, & sans harangue:
Et du propos en pensee venu
Trois fois le son es dents m’est retenu.
15Autãt qu’on peut, & que raison nous dompte,
Auec l’amour il faut mesler la honte:
Ce que la honte ha defendu de dire,
L’Amour le m’a commandé de t’escrire.
Amour est plein d’une grand’ Deité,
20Et ce n’est pas trop grande sureté
De mespriser un seul point qu’il commande:
Sur les Dieus grans il ha puissance grande.
C’est lui qui mise en train, & en voye
D’escrire à toy, quand premier i’en doutoye.
25Escri, dit il, & tu verras comment
Cet obstiné tu veincras aisément.
O qu’il me soit à present fauorable.
Et comme il fait ma moile miserable
Par son chaud feu bruler à son plaisir,
30Qu’il renge ainsi ton cœur à mon desir.
Sois assuré qu’en l’amour sociale
D’entre nous deus, ne seray desloyale.
Mon bruit est bon: mauuaise renommee
(Enquier t’en bien) n’est point de moy semee.
35Tant plus l’amour loin de nous se recule,
Quand il s’y met, d’autant plus il nous brule:
Nous sommes ars, en nos cœurs sommes ars,
Et [p. 71]
Et là dedens brulez de toutes parts.
Ne plus ne moins comme les iougs pesans
40Sont du premier aus ieunes beufs nuisans,
Et le poulin prend le mors à regret,
Ainsi le cœur tout nouueau, sent aigret
L’amour premier, & adonq bien à peine
Le peut soufrir en sa pensee saine.
45Voilà comment or’ sied mal ce fardeau
A mon cœur foible, en amour tout nouueau.
Quand on aprend, le mal des le ieue aage
Se conuertit en reigle, & en vsage:
CElle qui vient sur son aage à aymer,
50Elle se sent piremetn enflammer.
Tu cueilliras ores le nouueau fruit
De mon honneur, qui suis sans mauuais bruit:
L’un fera fait quand & l’autre coupable.
C’est quelque cas, qui n’est psa refusable,
55De cueillir fruits sur l’arbre à pleine branche,
Et la premiere & belle rose franche.
Ce nonobstant la blanche chasteté
Laquelle en moy cy deuant ha esté
Me deuroit bien encores à present
60Garder mon cœur de cette tache exempt.
Mais il vient bien que l’amour, qui me presse,
A bon parti, & dine lieu m’adresse:
Vn laid paillard, lourd, & mal gracieus
Rend le forfait encor plus odieus,
65Et souille trop le crime d’adultere.
c 4 Si [p. 72]

Si Iuno m’ofre & son mari & frere,
Iuppiter Dieu lairray pour Hippolyte.
Mesme desia l’amour de toy m’incite
D’exercer l’art dont ie n’ay point l’usage,
70C’est d’assaillir meinte beste sauuage:
(De ce propos m’en croiras bien à peine.)
Diane außi, la Deesse hauteine,
Que son arc courbe & excellent decore,
Ia comme toy sus tous les Dieus i’honore.
75Ie pren plaisir d’aller aus bois chasser,
Courir les mons, mes limiers auancer
Contre les Cerfs, pour les prendre au filé,
Ou balancer le mien dard esbranlé
Pour le brandir, & getter roidement:
80Ou me coucher sur l’herbe froidement.
Auec plaisir souuent suis curieuse
De voltiger en terre sablonneuse
Mon chariot, qui va prompt & leger,
Car oui ie veus mes cheuaus fay renger.
85Par fois ie cours, comme femmes Bacchantes
En grand fureur leurs sacres celebrantes:
Ou comme font celles qui, aus tabours,
Font, sus Ida, bruit, rage, & mile tours:
Ou comme außi celles femmes non mornes
90Que Demidieus, qui en teste on deus cornes,
Pareillement que les Demideesses
Dryades, ont par leurs grandes hautesses
Et leurs diuins pouuoirs enuironnees,
Et [p. 73]
Et en esprit transporté, estonnees.
95Ce que ie say: le tout on me raporte
Quand i’ay paßé ma rage & fureur forte:
Lors ne di mot, pensant bien, sans le dire,
Que d’amour vient ce furieus martire:
Lequel amour, qui cause ce tourment,
100Brule tousiours mon cœur secrettement.
Ie pourrois bien, ainsi comme il peut estre,
L’ocasion dond cette amour vient naitre,
Attribuer à celle destinee,
(Ha) à laquelle est ma race ordonnee,
105Et que Venus quiert sur tout ma race
Prendre son droit, sans à nul faire grace.
Car Iuppiter souz taureau estant Dieu,
Europe ayma, qui tient le premier lieu
De ma lignee: & Pasiphe ma mere,
110Souz le taureau mise en grand vitupere,
Ha engendré sa charge, & forfaiture.
Theseus le faus, hors la prison obscure
Du labirynte, est sorty moyennant
Que le filet alloit tousiours tenant
115Que lui donna ma seur la sienne amie.
Et moy (à fin que lon ne doute mie
Que de Minos i’aye esté engendree)
En cette loy d’amour ie suis entree:
Qui de ma race ores suis la derniere
120Ay ensuiui des autres la maniere.
C’est cas fatal comme une race tienne
e 5 Apl [p. 74]
A pleu aus deus, & qu’en amour nous tienne,
Car tu me plais, & ton pere à ma seur
Plaisoit außi: parquoy c’est cas bien seur
125Que Theseus pere, & son fils, asseruies
Ont les deus seurs par forte amour rauies.
De la maison de Minos pouuez pendre
Double despouille, ayans peu deus seurs prendre.
Du tems auquel ie te voy de trop pres
130En Eleusis, aus sacres de Ceres,
Ie voudrois bien, & par trop ie regrette
Que i’eusse esté encores en la Crete.
Ce fut adonq que ta beauté m’outra,
Et que l’amour iusqu’en mes os entra
135Ce nonobstant au parauant außi
Me semblois beau, non toutefois ainsi.
D’un habit blanc vestu lors tu estois:
Chapeau de fleurs dessus ton chef portois:
Vne couleur vergoigneuse, & vermeille
140Ton teint halé coulouroit à merueille.
Certeinement ton visage halé
Rude, & rural, des autres apellé,
Le nom de fort, si uge en est Phedra.
Arriere nous hommes efeminez,
145Et brauement comme femmes ornez:
Car en habits doit tout homme, par droit,
Estre reiglé d’un moyen plus estroit.
Ce meintien brusq, ces cheueux sans parage,
Ce [p. 75]
Ce peu de poudre en ton viril visage,
150Te sied tant bien: soit à bien court tourner
Ton fier cheual, tu me fais estonner
De voir ses piedz en si petit tour estre:
Soit à getter le dard, d’un bras à dextre,
Ton bras puissant retient sur soy ma vuë,
155Ou soit ta main d’un large espieu pouruuë.
Brief, me plait fort tout cela que tu fais.
Tant seulement la rigueur de tes fais
Vueilles laisser sur meinte forest haute,
Dine ne suis de mourir par ta faute.
160
Mais quel plaisir de tousiours pourchasser
L’art de Diane, & d’ardeur de chasser,
Ce tems pendant faire tort à Venus,
En delaissant ces passetems menus?
Ce qui ne prend repos par interuale,
165Ne peut durer, ains en sa fin deuale:
Mais le repos consolide & conforte
Les membres las, qui ont eu charge forte.
Sur ta Diane exemple tu dois prendre,
Dõd l’arc est mol, si trop tu le veus tendre.
170
Cephalus fut grand chasseur en son aage,
Et qui tua meinte beste sauuage:
Ce nonobstant il ne refusa point
D’estre en amour à Aurora conioint.
Vers lui alloit cette sage Deese,
175Laissant souuent son vieillard sans caresse:
Souz chesnes grans de feuillages fournis,
Sou [p. 76]
Souuent couchoient Venus & Adonis,
A tous les coups se mettoient bouche à bouche,
Sans auiser sur quelle herbe on se couche.
180Meleager le chasseur de grand pris,
D’Atalanta fut en amour espris:
De son amour eut gage singulier,
C’est à sauoir la hure du sanglier.
Or commençons donques nous deus außi
185D’estre en amours nombrez entre ceus ci.
Si tu tollis de Venus la pratique,
Certeinement ta forest est rustique.
Ie te suiuray sans feindre en rien mon corps
De trauerser les rochers creus & forts,
190Et ne creindray les efforts & defenses
Du fort sanglier, poignant de ses Defenses.
On nomme Isthmos un col de terre ferme,
Que double mer estroitement enferme:
Flot de deus mers reçoit la petit Isle:
195Là est Trezen, de Pytheus la vile:
Auecques toy iray, & viury là,
Ie l’ayme mieus que mon païs desia.
Tout à propos Theseus est bien absent.
Et ne sera bien tot ici present:
200Pirithoüs en son païs le traite,
Et de nous voir bien à tard il souhaitte:
Theseus trop mieus donq Pirithoüs ayme
Qu’il ne fait pas ni Phedra, ni toymesme:
Si ne voulons nier l’euident fait.
Mais [p. 77]
Mais ce n’est pas le sien premier tort fait
Encontre nous: à bon droit ie m’en deuls,
En bien grans cas nous ofensa tous deus:
Minotau-re .
Du frere mien tous les os il froissa
De sa massue à trois nouds: puis laissa
Ariadne. 210Ma seur en proye aus bestes pour dessertes.
Ta mere estoit une Amazone, certes
Par sus tout autre en armes belliqueuse,
Dine d’auoir portee si eureuse
Comme tu es: si tu quiers ou est elle?
215Tu trouueras que par façon cruelle
Theseus luy ha transpercé le coté,
Et garantie onq par toy n’a esté,
Qui en faueur de toy deuoit bien l’estre:
Ia ne voulut außi la reconnoitre
220Pour son espouse, & onq ne l’espousa,
Scez tu pourquoy? pource qu’il proposa
De te frauder, & chasser à l’escart
De son royaume, ainsi comme batard.
Et luy encor non point content de toy,
225A engendré de tes freres en moy,
Qu’il fait nourrir, non pas moy, ie t’auise
O pleust aus Dieus pour toy, que tant ie prise,
Ou que rompus me fussent les cotez
En mon trauail: ou fussent auortez
230Les freres tiens, & propres enfans miens,
Qui te nuiront quant aus paternels biens.
Or fus, va donq, & meintenant reuere,
Et [p. 78]
Et porte honneur à ce lict de ton pere
Qui le vaut bien: lequel lit ie t’annonce
235Qu’il va fuiant, & par les faits renonce.
Mais ne crein point que te fasse pecher,
Quand auec toy ie demande à coucher,
Qui m’es beau fils, & moy ta belle mere:
Ce sont noms vains, pour cela ne differe:
240C’est vieille loy qui n’est qu’une folie
Des anciens, & s’en va abolie.
Celle loy fut des Saturne l’antique,
Lequel tenoit un regne tout rustique:
Saturne est mort, & auec lui ses loix,
245Souz Iupiter nous sommes, tien ses droitz
Iupiter veut, & Iupiter ordonne
Que toute chose agreable soit bonne:
Et si fait tout licite, pour le seur,
Lui frere ayant pour espouse sa seur.
250L’affinité de sang se ioint tres bien,
Que Venus ioint par son estroit lien.
Puis le celer sans peine tu sauras,
A Venus.Demande lui le don, & tu l’auras:
Souz nom d’affins le cas honnestement
255Sera couuert: si quelcun voit comment
M’embrasseras, ie n’en seray blamee,
Ni toi außi: ains seray estimee
Maratre bonne au fils de mon mary.
Ia ne creindras mari rude & marri,
260Et ne faudra qu’amour de nuit t’enhorte
Venir [p. 79]
Venir ouurir tout doucement la porte:
Ia ne faudra que le portier deçoiues
Mais seulement il faut que tu conçoiues
Que comme estions nous deus en un hostel,
265En un hostel serons, & au lieu tel.
Tu me baisois sans creinte à tous les coups:
Me baiseras encores deuant tous.
Auecques moy tu sera en seurté:
Honneur auras d’ofense, & volupté,
270Quand tu serois aperçu mesmement
Dedens mon lict. Au reste seulement,
Auance toy, & vien faire à fiance,
Et le plus brief, de nous deus l’aliance,
Qu’ainsi te soit l’amour de bon acord,
275Qui meintenant me tourment si fort.
Las, ie n’ay point de honte aucunement
De te prier à present humblement:
Ores ou est l’orgueil de ma noblesse,
Les termes pleins d’arrogance & hautesse?
280De resister long tems, & auec peine,
A ce forfait, ie me faisois certeine:
(Si l’amour ha quelque cas de certein.)
Mais de cela mon cueur est bien lointein,
Vaincue suis: ie me soumets tant bas
285Qu’a tes genous ie tens mes royaus bras.
Nul amant vise à ce qui est decent.
I’ay souz le pied toute honte à present,
Ma chasteté laisse son estendart
Et [p. 80]
Et puis s’enfuit, & se gette à l’esquart.
290
Pardonne moy, qui mon amour confesse,
Et ne me tien si grand rigueur sans cesse,
Ains au contraire, amollis mon dur cœur.
Mais que me sert contre cette langueur
Que Minos soit mon pere en mer regnant
295Dessus meinte Isle, & vile dominant?
Iupiter.Et que la main de mon grand ayeul, donne
Ce bas terreur, qui foudroye, & qui tonne?
Que mon ayeul (qui ordinairement
Le iour apporte aus matins clerement
300Dens son char rouge) ait son chef dine & saint
De clers rayons enuironné, & ceint?
Dessus noblesse amour tient bien les rancs.
Aye pitié de mes ancestres grans:
Si non de moy, aye des pitié des miens.
305
I’ay pour mon dot, quant aus biens terriens
L’isle de Crete, à Iupiter nourrice:
Tout mon palais ie mets en ton seruice.
Ton cœur tant dur ores vueilles conueincre.
Ma mere ha bien le fier taureau peu veincre,
310Et sera tu cruel fier & farouche
Plus qu’un taureau? pitié donc ton cœur touche:
Ie t’en suppli, par Venus qui me presse,
Qui nuict ne iour en repos ne me laisse.
Qu’ainsi te soit comme à moy tu seras,
315La dame amie, à qui la court feras:
Qu’ainsi te soit Diane secourable,
Et [p. 81]
Et aus deserts des foretz fauorable:
Et les grans bois te liurent bestes rousses
Pour leur donner les mortelles secousses.
320Qu’ainsi te soient les Dieus des mons terrestre
Tousiours aydans, Faune, & Pans syluestres:
Et les sangliers tombent morts en meint lieu,
Bien rencontrez du fer de ton espieu.
Qu’ainsi te soient toutes Nymphes offrantes
325Leurs beaus ruisseaus, & clere eaus courantes
Durant ta soif, & les chaleurs extremes,
Iaçoit qu’on dit que les filles tu n’aymes.
I’aioute encor par piteuses manieres,
Presentement mes pleurs à mes prieres:
330Toy donc lisant iusqu’au bout mes douleurs
Pense d’y voir pareillement mes pleurs.
f

ANNOTACIONS SVR
L’EPITRE DE PHEDRA
à Hippolyt.
*
Par fois ie cours ainsi que les Bacchantes, &c.
sacrifice au Dieu
Bacchus, auec fureur re-
presentans une maniere d’yurongnerie, que
Bacchus Dieu du vin, engendre, Aussi estoit
la
Deesse Cybelle seruie & honoree par fem
mes auec grand bruit de tabours, & de
furie
sur le mõt Ida, qui est pres de Troye.
Faunes
& Satyres sont Dieus champestres, ayans
piez de chieure
& cornes sur la teste, & le
reste comme hommes. Ainsi c’estoiẽt
hom-
mes sauuages, habitans par les bois,
& chãps:
& sont apellez Demidieus, comme aussi lesv
Driades: & autres pareillemẽt Demideesses:
à cause qu’ils ne sont
pas encor, receuz au
ciel, mais sont seulement Dieus & Deesses
en la terre, qui troublent, meuuent &
fanta-
siẽt les esprits de ceus & celles sur qui ils
get
tẽt leur force & puissance
demi duine. telle
estoit l’opiniõ ou plustot resuerie des Payãs.
De la maison de Minos pouuez prendre Double despouille, ayans sceu deus seurs prẽdre.
Le poëte parle ainsi, comme si l’amour re-
semb
[p. 83]
83
sembloit à une gerre: Car aussi l’amour &
la geurre ont
ensemble grande conuenance.
Ce qui est bien declaré par notre poëte
Oui-
de en son premier lure des maours en
la
neuuieme Elegie, qu’il adresse à son ami
Atticus: & se
commence ainsi,
C’estadire, tout amoureus est en guerre, &Militat omnis amãs, et habet sua castra Cupido:
Attice crede mihi, militat omnis amans.
le Dieu d’amour ha son camp: croy moy, ô
mon ami Atticus, que tout amoureus est en
guerre. & ce qui s’ensuit en ladite Elegie le
prouue bien, car il declare comem l’aage,
le deuoir, la hardiesse, le souci & la peine qui
font en un bon & vray Capiteine ou sou-
dart, font aussi pareïllement en un bon &
vray amoureus, bataillant sous l’enseigne
de Cupido.
On nome Istmos, un col de terre ferme &c. Là est Trœzen &c.
Troœzẽ est une petite vile en un col de terre
ferme, euironné de deus mers, qu’on apel-
le en
Grec, Isthmos.
Vaincue suis: ie me soumets tant bas Qu’à tes genous ie tens mes Royaus bras.
Les Filozofes naturels atribuẽt les genous
à misericorde, cõme les oreilles à
la memoi
re, le frõt à Genius: la main dextre à la
foy.

Et que la main de grand ayeul donne Ce bas terreur, qui foudroye & qui tonne
Iupiter, qui gette la foudre, est grand ayeul
de
Phedra du coté de sa mere: car
Phebus est
fils de
Iupiter, & pere de
Pasiphaë qui fut
mere de
Phedra. mais du coté de son pere
Minos, Iupiter lui est ayeul car
Minos est
fils de Iupiter.
PREFACE SVR
L’EPITRE D’ENONE
A
PARIS.
*
HECVBA, femme de
Priam Roy de
Troye, estant enceinte, songea qu’elle
enfantoit
un flambeau ardent qui bruloit la
Troye: duquel songe le Roy Priam
fut fort
troublé: & voulut auoir la response des
Dieus, que
cela sinifioit: Apollo par son
ora-
cle respõdit que le premier enfant qui apres
ce tems là
naitroit au Roy Priam seroit
cau-
se
de la ruïnes du païs. A cette cause
Priam
commanda quand l’enfant seroit né,
qu’on
le gettast en quelque part, sans lui donner
nour
[p. 85]
85
nourriture. La mere ayant pitié & compas-
sion de la fortune de son enfant, qui puis
apres fut
apelé Paris, donna charge au ber-
ger du Roy de le nourrir secrettement. lui
nourri en la
forest, & deuenu grand, ayma
mesme (comme aucuns veulent dire, &
Strabo le recite) espousa la Nymphe
Enone,
fille du fleuue
Pyretha (les autres dient, Ce-
brenus , ou
Xantus) & de Creusa: &
d’elle eut
deus enfans, Daphnis, &
Ideus.
Lycoprhon [sic pour Lycophron]
ha
escrit qu’elle en eut un nõmé
Corythus. Or
quand Iuno,
Pallas, & Venus estoient
en de-
bat de leur beauté, aus fins d’obtenir la
pom-
me d’or en laquelle y auoit escrit,
Soit don-Iupiter les renuoya sous
nee à la plus belle,
l’arbitrage & iugement de Paris: à qui Iuno
promit Royaume, Pallas sagesse, Venus vo-
lupté, & la plus belle des femmes: lors il
donna le pris de beauté à Venus. Puis apres,
lui reconnu de ses pere & mere (le Roy
& Royne de Troye) fut bien par eus re-
cueilli: & en fin par leur commandement
nauiga en Sparte, vile autrement dite La-
cedemon , à present Mizitre, vers Mene-
laüs , pour recouurer & ramener Hesione
fille du Roy Laomedon, & seur de Priam,
que Hercules, apres qu’il eut pris Troye,
donna pour femme à Thelamon. Mais lui
f 3 estant [p. 86]

estant surpris d’amour en ce païs là, il en tira
& rauit Heleine, femme de Menelaus, la-
quelle il mena à Troye, comme dit Home-
re : & elle l’ayme & le print en mariage,
laissant tous autres pour lui. Or Enone se
voyant delaissee de Paris, lui enuoya la pre-
sente Epitre de Cebrine, vile du païs de
Troye, ou fut erigé le sepulchre de Paris &
d’Enone, comme recite Demetrius. Par la-
quelle Epitre elle declare la foy, & bonne
amour qu’elle ha vers Paris: & les promes-
ses qu’il lui auoit faites: se complaignant
qu’elle, sa premiere femme, & bien constan-
te & fidele, est laisee pour une meschante
concubine: lui veut persuader de la rendre
aus Grecs qui la demandent: & qu’elle (sa
premiere femme) en tout bien & honneur
iadis aymee, retourne auec lui. La fin fut
telle que Paris estant tué par les sagettes em
poisonnees que Philoctetes auoit euës
d’Hercules, & estant aporté vers
Enone, elle de merueilleuse
amour l’embrassant, & res-
chaufant ses playes, ren-
dit l’esprit sur lui,
comem Septi-
mus ha es-
crit. TRA

TRADVCCION
DE LA V. EPITRE
D’OVIDE.
*
Enone escrit à Paris.
Pourras tu bien iusques en la fin lire
L’epitre en vers que ie te vueil escrire?
Ou si de voir le contenu en elle
T’en gardera ton espouse nouuelle?
5Or li le tout, car il n’est point escrit
De la main dont Menelaüs escrit.
Moy Nymphe Enone, es bois Troyenns connue,
Et qui suis bien de noble lieu venue,
Par ton osense à present ie me deuls
f 4 De [p. 88]
De toy, Paris, qui es mien si tu veus.
Quel ha mis si grand empeschement
A notre amour? par quel crime & comment
Ores se fait que ie ne suis plus tienne?
Paciemment on souffre quoy qu’auienne,
15Quand il auient selon le demerite:
Sans meriter c’est douleur non petite.
Tu n’estois pas si haut & aperent
Lors que moy Nymphe, & fille au fleuue grand,
Contente fus te prendre en mariage:
20Qui meintenant es de grand parentage,
Fils de Priam, lors tu estois berger:
(La verité soit dite sans danger.)
Moy Nymphe noble ay bien voulu permettre
En mariage auec un serf me mettre.
25Souuent auons aus chams parmi troupeaus
Le repos pris à l’ombre des rameaus:
Et l’herbe estant entre fueilles mesle,
Seruoit de lict, souuent de nous foulee.
Souuentefois, quand la pluie deuale,
30Nous ha logez quelque loge rurale:
Là nous couchions sur la paille, & le fein.
Qui te montroit de la chasse le trein?
Quelle forest fust à la chasse bonne
En quel rocher quelque beste felonne
35Ses petis faons eust cachez & serrez?
I’ay auec toy souuent tendu les retz,
Et fait courir les limiers par les monts:
Les [p. 89]
Les hestres sont gardans encor mes noms
Taillez en eus: Enone on ha trouué
40(Mon propre nom) de ta serpe graué.
Et tout ainsi que leur tronc croist, ainsi
Pareillement y croist mon nom außi.
Or croissez donq arbres, qu’aymer ie doy,
Croissez deument en memoire de moy.
45
Vn peuplier est au riuage d’un fleuue,
Qui porte escrit (biẽ m’en souuiẽt) qu’on treuue
Parler de moy: O beau Peuplier, demeure
Tousiours en estre, & ta verdeur ne meure:
Peuplier qui es au riuage planté,
50Portant escrit en la sorte noté,
En ton escrose, & rude, & mal unie:
LORS QVE PARIS SANS ENONE S’AMIE
AVCVNEMENT VIVRE ET DVRER POVRRA?
L’EAV’ DE XANTHVS EN SA SOVRCE COVRRA.
55
Xanthus, eau’ pren cours au contraire,
Paris s’est pù d’Enone ia distraire.
Le iour (helas) en malheur me poussa,
De notre amour changee, commença
L’yuer mauuais, bien lointein de liesses,
60Lors que Venus et Iuno, les deesses,
Auec Pallas, chacune toute nue
Au iugement de tes yeus est venue:
(Mais à Pallas, deesse de vertu
Sierroit trop mieus qu’eust son harnois vétu)
65
Incontinent que tu m’en tins propos
f 5 Mon [p. 90]
Mon cœur trembloit, frayeur m’entoit es os.
Pour m’enquerir lors ie m’en suis allee
Vers les vieillarz, (car i’estois bien troublee)
Lors meint vieillard, & vieille qui deuine,
70Mont affermé que c’est tresmauuais sine.
Sapins on coupe, son sie, on dole, on tranche,
Puis on adresse, & on ioint meinte planche:
La mer reçoit sur ses vert bleues eaus
Incontinent tes preparez vaisseaus.
75Lors tu pleurs au partement de là:
A tout le moins ne nie point cela.
Trop plus honteuse est ton amour presente,
Que n’estoit pas la notre precedente.
Tu pleuras donq, & vis mes yeus pleurans,
80Tous deux faschez meslames noz pleurs grans.
L’ormeau n’est tant de vigne entrelaßé,
Comme tes bras ont mon col embraßé.
O quantefois as meu tes gens à rire
Quand tu pleingnois du vent, que voulois dire
85Estre contraire à ton departement,
Et il estoit bien propre seurement.
O quantefois ta bouche me baisa!
Me dire adieu ta langue à peine osa.
Vn petit vent dens la voile vous donne,
90Rames vogoient, que l’escume enuironne:
Moy triste, adonq ta voile à l’œil poursuis,
Voire de loin autant comme ie puis:
Et de mes pleurs fay les caillous humides.
Ie [p. 91]
Ie prie là les vertes Nereïdes
95Que sain & sauf bien tot sois de retour:
C’estasauoir tot, à ma desamour.
Par mon souhait tu es donq retourné
Pour autre dame à qui tu t’es donné.
Ha, qu’ay-ie fait? ha, i’ay esté benine
100Pour la cruelle, & fausse concubine.
Vn bien grand roc regarde loin en mer,
Qui fut un mont, tel on l’a vù nommer,
Lequel resiste aus flots de la mer fiere:
De là ie vi tes voiles la premiere:
105Et i’eu enuie à me getter es ondes,
Pour au deuant aller es eaus parfondes.
Mais en tardant vi en la proue haute
Luire un habit d’ecarlate sans faute:
Lors i’eu frayeur, car tel habit n’est tien.
110Ta nef vint pres, le vent la poussoit bien,
Si qu’elle fut à terre vitement:
Alors ie vi de femme seurement
Vn beau visage, & le cœur me batoit:
Bien pis y ha qu’en ton giron estoit
115La fausse lice. (ha, que tardois ie tant
De me getter en mer, tout en l’instant?)
Lors ie pleuray, & mes robbes rompis,
Mon cœur frappay: & qui est encor pis,
M’esgratignay à beaus ongles la face,
120Et si rempli toute la sainte place
Du mont Ida, de mes cris, & mes pleints:
Lesqu [p. 92]
Lesquelz miens cris, & pleurs grãs, & nõ feints
Ie vins porter iusques en mes rochers,
Hantez par moy, & de moy tenus chers.
125Si prie aus Dieus qu’Heleine en ce point pleure,
Et que bien tot sans son Paris demeure:
C’est bien raison qu’elle ayt de tel pain souppe.
Or sus Paris, tu as donq vent en pouppe
Qui auec toy par mer t’ameine celles
130Lices, laissans leurs vrays espous fidelles:
Mais toutefois estant poure berger,
Menant troupeaus & paitre, & heberger,
Sinon Enone espouse tu n’auois.
Quant est aus biens, ie n’y donne ma voix:
135Ie n’ay egard à ta grande noblesse,
Ne que ie sois nommee ne Princesse
Entre plusieurs des brus de Priam Roy:
Non que pourtant ou Priam doiue à moy,
Qui Nymphe suis de hautein parentage,
140Me refuser son fils en mariage:
Ou qu’Hecuba außi dißmuler [sic.] dissimuler
Puisse à bon droit, de sa bru m’apeler.
Dine ie suis, & si ay bien la grace
D’auoir parti de noble & haute race:
145Mon noble cœur bien le souhaitte ainsi:
I’ay la main propre à porter sceptre außi.
Pourtant, Paris, despriser ne me vueilles,
Si i’ay couché auec toy souz les fueilles:
Plus dine suis d’une couche Royale.
Et [p. 93]
Et d’abondant la mienne amour loyale
Te met en pais, & ne t’aporte guerre,
Ni nauz venans pour vengeance à grand erre.
Mais c’est bien seur que grosse armee suiue
Pour recouurer Heleine fugitiue.
155Comme ta femme elle s’en vient hauteine
Auec ce dot de guerre ouuerte & pleine.
Que s’il la faut, pour le mieus, aus Grecs rendre,
De tes parens tu le pourras aprendre:
Conseille toy auec ton frere Hector,
160Deïphobus, Pulydamas encor:
Va au conseil vers Antenor le sage,
Et vers Priam, qui ont age & usage.
C’est cas bien laid d’aymer femme rauie
Plus que l’honneur, le païs, & la vie,
165Ta causa [sic pour cause] est vile, & un chacun estime
Que tu mari la cause est legitime.
Quand tu voudrois, encore n’est vray semblable
Qu’Heleine soit ton espouse fiable
Que si soudein s’adonne à te complaire.
170Comme ne peut Menelaüs se taire
Qu’elle ha son lict violé & laißé
Pour un etrange, & s’en sent ofensé:
Certes ainsi Paris, tu te pleindras,
Et à ton tour en tel estat viendras.
175La chasteté depuis qu’elle est perdue
Ne se recouure, & iamais n’est rendue.
Mais elle t’ayme: außi fit elle bien
Menel [p. 94]
Menelaüs, le trop bien mari sien,
Qui ore est seul en son lict sans sa femme.
180Andromaché ie di eureuse dame
Qui est bien iointe à un mari feal:
Tu te deuois mirer d’estre loyal
Comme ton frere, & bon espous fidelle
Estre enuers moy, comme il est enuers elle.
185Tu es leger plus que fueille essoree
Que le vent chasse & matin, & seree:
Et y ha plus en toy de legerté
Qu’en paille seiche au fort soleil d’esté.
Cassandre
Ces choses ci ta seur me predisoit
190(Bien m’en souuient) quand ainsi me disoit,
(Ayant espars tous ses cheueus au vent)
Ha, que fais tu, Enone, tant souuent?
Pourquoy ton grein semes tu au riuage?
Auec tes beufs tu fais vain labourage.
195Ie connoy bien, & ay certein indice
Que meintenant vient la Grecque genice,
Qui destruira le païs ça & là,
Et toy auec: sus, cours, empesche la:
Meintenant vient celle Grecque genice.
200Quand vous pouuez, & le temps est propice,
N’atendez plus, O Troyens, mais de bref
Enfondrez moy la tant infame nef:
Metaphore.
O que de sang des Troyens elle porte!
Lors qu’elle eut dit & crié de la sorte,
205En son esprit deuinant transportee,
Ses [p. 95]
Ses dames l’ont surprise, & arrestee:
Mesme au milieu des propos l’arresterent:
Mais à moy (las) mes cheuueus blonds dresserẽt.
Ha, que tu as à moy pleine d’oppresse,
210Esté bien trop vraye deuineresse.
Metaphore.
Celle genice ores tient, & vient paitre
Les chams, & bois ou ie deurois bien estre.
Combien qu’elle ayt grand beauté renommee,
Elle est pourtant ribaude, & diffammee:
215Elle ha laißé de son païs les Dieus
Pour l’estranger, qu’elle honore trop mieus.
Premierement hors son païs de Grece
Vous la tira Theseus en sa ieunesse:
Ie ne say quel Theseus (si ie ne faus)
220L’a pourmenee & par monts, & par vaus.
C’est à sauoir rendue sois la belle
Par un ieune homme espris d’ardeur, pucelle?
Quiers tu comment si bien le say? car i’ayme.
Que si ce fait tu veus couurir toymesme
225Dessous le nom d’effort, & violence:
Ie te respon que c’est raison qu’on pense
Qu’elle, qui est souuent rauie ainsi,
Consentoit bien d’estre rauie außi.
Mais se meintient Enone en chasteté,
230Quand son mari fait tour de lacheté.
Et toutefois par ta façon de faire,
En t’ensuiuant ie pouuois bien forfaire.
Maint chaud Satyre aus chãs m’a pourchassee,
De [p. 96]
De piedz leger, es bois i’estois cachee.
235Et le Dieu Faune auec son chef cornu,
D’un Pin pointu enuironné, tout nu
Me poursuiuoit sur le plus haut coupeau
Du mont Ida. Außi Phebus le beau,
Qui tient sa harpe, & qui ha bati Troye,
240Mon pucelage ha raui pour sa proye
Non sans debatre, & son poil testonner,
Pareillement non sans l’esgratigner:
Et ne lui ay demandé d’auantage
Bague, ou argent pour le mien pucelage.
245C’est cas trop laid que fille estant issue
De noble lieu, soit par dons corrompue.
Lui me montra, pensans que i’estois dine,
Tout le secret de l’art de medecine:
Herbe, & racine il m’a communiquee,
250Et à telz dons ha ma apliquee.
Toute herbe est mienne, & racine croissant,
Qui peut seruir à tout corps languissant.
O le malheur qu herbes pouuoir n’ont point
Dessus le mal d’amours, qui tant me poind!
255Ie qui entend l’art de medeciner,
Ores me voy de l’art abandonner.
Außi lon fait par tout bruit manifeste
Que l’inuenteur ayma iadis Alceste,
Lors que garder les vaches il alla:
260Et puis encor de mon amour brula.
Ce que ne peut la terre aucunement
Par [p. 97]
Par herbe & grains, ni außi mesmement
Phebus le Dieu de toute herbe & racine,
Tu peus donner à mon mal medecine:
265Tu le peus bien, & i’en suis digne außi:
Aye pitié, digne suis de merci.
Auec les Grecs ie ne t’aporte pas
Guerre cruelle, & des maus un grand tas:
Mais ie suis tienne, & des ma grand ieunesse
270Ie l’ay esté, & prie estre sans cesse.
ANNOTACIONS
sur la precedente epitre
d’Enone à
Paris.
*
Les hestres sont gardans encor mes noms Taillez en eus.
L’arbre que lon dit Fagus en Latin,
on l’a-
pelle en François Hestre ou Fau, & pour le
diminutif, Fauteau:
qui autrement son mal
prononcez, par, o, en la premiere
syllabe.
Vn bien grand roc regarde loin en mer, Qui fut un mont.
Le Poëte dit ceci, selon l’opinion de ceus
qui pensent que les
choses sont transmuees
g
de
[p. 98]
98
de l’une en l’autre, auec le tems, par les ele-
mens: & qu’en ce point l’ordre &
l’estat de
ce monde se change. voyez les Meteores
d’Aristote, & les questions naturelles de
Se-
necque . Il y
ha semblable passage
en l’epitre
d’Ariadne,
sur le commencement. Le trans-
lat porte
ainsi
Vn mont y eut auquel peu d’arbres croissent,
Et au sommet bien clers y aparoissent,
C’est un Rocher, &c
Et si rempli toute la sainte place Du mont Ida, de mes cris, & mes
pleints:
Le mont Ida, estoit consacré à la Deesse
Cybele, pource le Poëte l’apelle sainte place.
Qui auec toy par mer t’ameine celles Lices, laissans leurs vrays espous fidelles:
Enone use de ces deus pluriers lices, &
ma-
ris fideles, au lieu de singuliers, à fin
de faire
plus grand honte & vergongne à
Paris, car
le plurier ha plus grande
vehemence.
Ie n’ay esgard à ta grande noblesse, Ne que ie sois nommee une Princesse Entre plusieurs des Bruz de Priam Roy.
Priam Roy de Troye la grande,
estoit pere
de Paris, &
Hecuba estoit sa mere. Ainsi dõq
si
Enone eust esté femme de
Paris, par mes-
me
moyen elle eust esté la Bru, ou belle fille
de
[p. 99]
99
de Priam & de
Hecuba.
Que s’il la faut, pour le mieus, aus Grecs rendre, De tes parens tu le pourras aprendre: Conseille toy auec ton frere Hector, Deiphobus, Pulydamas
encor.
Les parens de Paris estoient quasi tous
d’o-
pinion de rendre
Heleine, plustot que
souf-
rir guerre pour elle.
Ces choses ci ta seur me predisoit (Bien m’en souuient) quand ainsi me disoit.
Cassandra seur de Paris estoit
prophete, ou
deuineresse: & auoit predit le rauissement
d’Heleine, & la grand’ guerre qui en
deuoit
ensuiuir, mais à ses dits l’on n’aiouta point
de
foy.
Ie connoy bien, & ay certein indice Que meintenant vient la Grecque genice Qui destruira le païs ça & là.
Par la genice, sous la figure de metaphore
le Poëte entend
Heleine.
Me poursuiuoit sur le plus haut coupeau Du mont Ida.
Ida est un mont, non loin de la ville
de
Troye, lequel on apelle encor à present
du mesme nom, Ida.
Außi lon fait par tout bruit manifeste Que l’inuenteur ayma iadis Alceste, Lors que garder les vaches il alla:
100
Et puis encor de mon amour brula.
Enone veut dire que ce n’est point mer-
ueille, si elle ne peut par son art de Medeci-
ne remedier à ce feu d’amour qui la brule,
atendu que le mesme inuenteur de Medeci-
ne y ha bien esté suget. Sur quoy faut enten-
dre que Iupiter estant courroussé de ce que
Hippolyt, tiré en pieces par ses cheuaus
recouura la vie, par Esculape, à la faueur
de Diane (comme s’il apartenoit à autre
qu’audit Iupiter, de donner la vie) il tua
Esculape de sa foudre. Puis apres Apol-
lo (autrement dit Phebus, inuenteur de
Medecine) pere d’Esculape, batit les Cy-
clopes, qui auoient forgé ladite foudre à
Iupiter: dont derechef Iupiter courroucé,
priua Phebus de Deïté par l’espace de
neuf ans: durant lequel tems on dit qu’il gar-
da en Thessalie, à present Thumenestrie, les
troupeaus du roy Admetus: & illec fut
esprins de l’amour d’Alceste,
femme dudit Roy
Admetus.
*

PREFACE SVR
L’EPITRE DE
HI-
PSIPHYLE A
IASON.
*
POVR mieus entendre le suget de
cet-
te epitre, faut sauoir qu’Athamas foy
de Thebes, fils
d’Eolus, eut premierement
Nephele pour femme, de laquelle il eut
fils
& fille, Phryxus & Helle. Or Nephele estant
conuertie
en une nuee, & faite Deesse, il
print une autre femme nomme Ino,
fille
de Cadmus: laquelle ayant en hayne les en-
fans de son mari, à la coutume des maratres,
fit cuire des
blez, puis les bailla à semer aux
laboureurs, & comme cette anne
là, les
chams n’ussent rien r’aporté, & qu’il y eust
grande
famine de blez, on enuoya un pre-
stre qui
s’enquerroit à l’oracle des Dieus
pour le remede de cet inconuenient.
Mais
le prestre estant suborné, & corrompu par
Ino, de
laquelle il auoit prins argent, raporta
que l’oracle demandoit que
Phryxus & Hel-
lé fussent tuez en sacrifice,
pour appaiser l’i
re des
Dieus. Laquelle chose Athamas diffe-
g 3
ra
[p. 102]
102
de faire: mais en fin, par le consentement
de toute la
ville, & de la necessité urgente,
quand il eut mis deuant les
autelz Phryxus
& Hellé tous bendez, & prests d’estre sacri-
fiez, Nephelé leur mere en sa nuee descen-
dant vers eus, leur commanda de fuir,
&
leur bailla un belier ayant sa laine d’or, pour
les porter
dela la mer: mais Hellé, la fillette,
estant en creinte, & ne se
tenant pas ferme
sur le belier, tomba en la mer, & donna son
nom à la mer ou elle tomba, qui ha depuis
esté apellée Hellespont, que
nous disons en
François, les bras saint George, les autres
l’appellent l’estroit de Callipoli, ou le Castel-
le. Phryxus allant tousiours sur le belier, en
fin paruint en Colchos,
ou il sacrifia le be-
lier & pendit la peau
auec sa laine d’or au
temple de Mars, combien que lon dit & es-
crit communément & abusiuement, le
mou
ton à la laine
d’or. Apres cela quand eeta re-
gnoit aut païs dit
le Pont, il eut response, par
oracle qu’il mourroit alors que cette
laine
d’or seroit prinse des estrangers arriuez par
mer. Et à
cette cause il se montra de grande
cruauté en sacrifiant les passans,
& gẽs estran
gers, àfin
que sa cruauté estant en ce point
par tout renommee, tous les
estrangers se
gardassent de venir, & aprocher de son païs,
& de
[p. 103]
103
Dionys.lib. 2. hist. & de rauir la
toison d’or. Et mesme enui-
ronna le temple de
Mars de grans murs, &
y mit grosse garde qu’il fit venir de
Thauri-
que. Sur quoy les Grecs ont feint
beaucoup
de choses, q les taureaus gettans feu estoient
au tour du
tẽple, & que la toison d’or estoit
gardee par le serpent tousiours
veillant: la-
quelle quiconque eust voulu emporter
&
rauir, il lui conuenoit premier endormir le
serpent, dompter
les taureaus gettans feu
par les narines: getter & semer les dents
du
serpent, desquelles sortiroient des gens ar-
mez, contre lesquelz faudroit batailler. Or
ce tems là,
Pelias frere de Eson, qui fut
pere de Iason, n’auoit aucun enfant
masle, &
regnoit en Thessalie, à present Thumene-
stie. Et Iason fort & adextre, & de grand
courage, desirant faire quelques grans faits
belliqueus à l’exemple des
predecesseurs,
mesmement de Perseus & d’autres, qu’il en-
tendoit auoir acquis louenge immortelle
par entreprises, & bonnes issues de guerres
lointeines, declara son
vouloir & desir à son
oncle le Roy Pelias, qui y consentit, nõ
pour
acroitre l’honneur & renom de Iason, mais
par ce qu’il
esperoit que Iason mourroit en
cette entreprise. Car luy voyant qu’il
n’auoit
aucuns enfans masle, creingnoit que son
g 4
frere
[p. 104]
104
frere Eson, aydé de la force, & prouesse de
son filz
Iason, machinast de le getter hors de
son royaume. Et d’auantage il
estoit fort
troublé de l’oracle qu’il auoit entendu, c’est
qu’il
ourroit bien tot apres que quelcun
seroit suruenu le pied nu vers lui
sacrifiant à
Neptune le sacrifice annuel: & estoit auenu
que
comme il sacrifioit, Iason estoit arriué,
ayant un pied nué, duquel il
s’estoit deschaus-
sé par ce qu’il l’auoit plongé
en l’eau ou fan
ge du fleuue
Anaurus. Ainsi donq Pelias, te-
nant cette creinte
& doute secrettement en
son cœur, promit à Iason qu’il lui
ayderoit,
s’il vouloit aller conquerre la toison d’or.
Lors Iason
contre la cruauté des gens barba-
res qui
habitoient au païs du Pont, se prepa-
ra, &
equippa. Et premierement aupres du
mont Pelion batit un nauire trop
plus grand
qu’il n’y en auoit point encor eu: Car alors
on n’usoit
que de petites barques. Le bruit
espandu par toute la Grece de ce grand
na-
uire que Iason faisoit faire, plusieurs
ieunes
gens, esmerueillez de ce, vindrent voir le na-
uire, dont les plus vaillans s’offrirent d’eus
mesmes
de voyager, & batailler. Apres que
la nauire fut mis en mer, fourni
de muni
-cion entiere, Iason eslut de tous ceus qui vou
loient auec lui voyager, cent
cinquante qua-
tre
[p. 105]
105
tre des plus vaillans, entre lesquels les plus
renõmez
sont Castor, Pollux, Hercules, Te-
lamon, Orpheus.
Le nauire fut nommé Ar-
go, du nom de l’ouurier
qui le fabriqua,
comme aucuns ont escrit: les autres dient
qu’il
fut ainsi nommé pour sa legereté: Car
Argos, en Grec, sinifie leger. Sõ
gouuerneur
& patron fut Tiphis: Les compagnons de Ia-
son du nom du nauire furent nommez Ar-
gonautes. Iceus donc departans de Pagase
qui est en Thessalie, vindrent en l’Isle de
Lemnos, à present Stalimni:
ou Iason eut
acointance auec Hipsiphyle, fille du roy
Thoas,
laquelle pour lors estoit Royne de
ce lieu, & seule gouuernoit. Car
les femmes,
par conseil pris entre elles, auoient tué tous
les
hommes en une nuict, excepté le roy
Thoas, que Hipsiphyle, sa fille,
auoit sauué,
feingnant qu’il estoit mort. Quand Iason eut
demouré
deus ans auec Hipsiphyle, il fut
contreint, tant par ses compaignons,
que par
le tems qui le pressoit, d’acomplir son entre-
prise de faire voile plus outre: & delaissant
Hipsiphyle enceinte, & lui baillant la foy de
retourner vers elle,
nauiga en Colchos: ou
il trouua Medee, qui l’auertit de la cruauté
de son pere: & qui luy promit ayde pour
en-
dormir l
e serpent, & veincre les taureaus.
g 5
Alors
[p. 106]
106
Alors Iason lui promit qu’il ne prendroit ia-
mais autre femme. Ainsi Iason cõquit la toy-
son d’or, & ayant victoire par le moyen
de
l’art, & secours de Medee, il emmena ladite
Medee auec luy.
Ce que etant venu en la
cõnoissance de Hipsiphyle, elle faschee de
ce
q Iason l’auoit laissee, & en auoit prise &
preferee
une autre, lui enuoya cette epitre,
par laquelle se dit estre ioyeuse
du retour de
Iason en santé, & de sa victoire, &
conqueste:
puis se cõpleint qu’il l’a laissee pour prendre
Medee,
& s’efforce la mettre en haine, & mes
pris enuers lui, remontrant qu’elle est
cruel-
le, superbe, paillarde, & sorciere.
La fin fut
telle q Iason iamais ne la reprint pour fem-
me: Et les femmes de Stalimni, connurent
qu’elle auoit
eu deus enfans masles de Iason,
lesquelz contre leur loy elle faisoit
nourrir:
& comme de ce on la vouloit punir, elle s’en
fuit en
une petite barque, mais fut prise
des brigans de mer qui la donnerent à
Ly-
curgus, roy de Nemee, qui lui bailla son
fils
Opheltes à nourrir. Puis quand les Princes
retournoiẽt de la
guerre de Thebes, & quasi
mouroient de soif en la forest Nemee,
la
rencontrerent, & prierent les adresser à une
fonteine
nommee Langie, ou elle fut inter-
roguee de
Adrastus, roy des Grecs, qui elle
estoit:
[p. 107]
107
estoit: & comme elle fut long tems à res-
pondre à toutes les choses qu’on lui deman-
doit, l’enfant Opheltes, quelle auoit lai-
sé se iouant entre les fleurs & herbes, fut
mords
d’un serpent. Mais, en deuisant
auec Adrastus, Thoas & Enneus, qui
e-
stoient auec lui, reconnurent qu’elle
estoit
leur mere. Parquoy fut secourue du roy
Adrastus, & de
ses enfans, contre Lycurgus,
qui la pourchassoit pour la faire
mou-
rir, apres qu’il eut entendu la
for-
tune de son enfant. De ses
faits plus
outre ie
n’en ay rien
leu.

TRADVCCION
DE LA VI. EPITRE
D’OVIDE.
Hipsiphyle escrit à Iason.
[Figure]
EN Thessalie on te dit, O Iason,
Estre arriué, riche de la toison
Du mouton d’or: que de si longue voye
Retourné sois sain & sauf, i’en ai ioye
5Autant, sans plus, que tu me eus permettre.
Mais toutefois par un mot de te lettre
Ie deuois bien ia cela auoir sù:
Car tu pouuois vent à gré n’auoir eu
A ton retour, qui t’auroit destourné,
Qu’en [p. 109]
Qu’en mon païs ne serois retourné,
(Promis à toy sous nom de mariage)
Quoy que deça dressasses ton voyage.
Quelconque vent contraire que tu visses,
Ie valois bien qu’un mot tu m’escriuisses.
15Pourquoy plus tot ay sù par le renom,
Que par la lettre ou seroit mis ton nom,
Comment de Mars domptas les sacrez beufs,
Et sous le ioug les rengeas deus à deus?
Que la semence en terre estant gettee,
20Vne moisson d’hommes vifs est montee:
Comment außi ia ne te fut besoin
Pour les tuer, prendre l’espee au poing:
Comment (ainsi qu’on bruit en meint endroit)
Le fier dragon, tousiours veillant, gardoit
25La toison d’or, que nonobstant as prinse
Par ta main forte, & à hauts faits aprinse?
Si ie disois, à meint qui douteroit,
Il me l’escrit, quel honneur me seroit?
Mais que me plains-ie auoir mari qui cesse
30Trop à m’escrire? Assez grand plaisir m’est ce
Tant seulement si tienne ie demeure.
Vne estrangere on fait bruit à cette heure,
Voire & sorciere, estre auec toy venue,
Qu’as pour ta femme en mon lieu retenue.
35Il est bien vray qu’amour croit de leger:
Que plaise aus Dieus qu’en te voulant charger
De crimes faus, ie sois dite legere.
Ces [p. 110]

Ces ious passez de contree estrangere
Chez moy venoit un homme de Thessale:
40A peine entroit: que tout haut de ma sale
Criay, que fait le mien ami Iason?
Lui tout honteus ne me rendoit raison:
Mais seuelement fichoit ses yeus en terre.
Tout außi tot vers lui ie cours grand erre,
45Et deschirans, par ire & forte main,
Incontinent de ma robbe le sein,
Ie m’escriay, en disant de la sorte,
Vit il encor? ha außi ie suis morte.
Il vit, (dit il.) Lors pour mieus m’assurer,
50Lui tout creintif i’ay contreint me iurer:
A peine ay creu, auec son grand serment,
Qu’encore tu sois en vie seurement.
Et außi tot que le cœur me reuint,
De l’enquerir de tes faits me souuint.
55Dessus le champ me conta amplement
De toutes tes faits: en premier lieu comment
Les puissans beufs de Mars (le Dieu de guerre)
Aus piez d’erein labourerent la terre.
Comment par toy les dents du dragon furent
60Semez en terre, & tot gens armez creurent:
Comment ces gens qui de terre estoient nez
Leurs cuors de vie à un iour destinez
Ont mis à fin bien miserable, & vile,
Entretuez par bataille ciuile:
65Puis le dragon veillant tu as veincu.
I’en [p. 111]
I’enquier encor comment tu as vescu
Entre ces cas: si que l’espoir, & doute
Font que ie croye, & außi que i’en doute.
En racontant chacune chose ainsi,
70D’ardeur de dire, il vient à ce point ci
De descouurir ton ofense enuers moy.
Helas ou est ta promesse, & ta foy?
Ou est la Loy, & droit des espousailes?
Et le flambeau plus propre aus funerailles?
75Tu n’as pas eu de moy la iouissance
Faite en cachette, & par mauuaise usance:
Iuno y fut, dame des mariages
Auec Hymen, plein de fleurs, & fueillages:
Mais ne Iuno, n’Hymen pareillement,
80Ains la furie y porta, laidement
Pleine de sang, flambeaus maudits, & sales.
Mais quelle afaire auois ie des Thessales?
Ni de leur nef? & puis dedens ma terre
Que venois tu, ô Typhis Nocher, querre?
85Ici n’estoit votre esperé thresor,
Le beau monton auec sa laine d’or.
Limno n’estoit la maison possedee
Du vieil Eta le pere de Medee.
Ie proposois par nous femmes außi
90Premierement vous dechasser d’ici:
(Mais me tiroit mon malheur au contraire)
Nous sauons bien außi la guerre faire,
Les hommes veincre: ainsi par forte voye
Sau [p. 112]
Sauuer de toy ma vie ie deuoye.
Iason. 95
Or áy ie donq l’homme en ma vile vù,
En mon palais, & en mon cœur receu:
Auecques moy ici tu as esté
Par double yuer, außi par double esté.
La moisson tierce estoit, quand toy contreint
100De faire voile, auec pleurs tu t’es pleint.
Disant ainsi, Hipsiphyle, m’amour,
Aller m’en faut: si ie vi au retour,
Tousiours auras loyal espous en moy,
Qui ton espous me depars dauec toy:
105Le fruit de nous, caché dedens ton ventre,
Prospere soit, & vif en ce monde entre,
Dont ie sois dit le pere, & toy la mere.
Et cela dit feingnant douleur amere,
Tes pleurs couloient dessus ton faus visage,
110Si que ne puis rien dire d’auantage.
Dernier montas en ton sacré nauire,
Qu’incontinent voler on eust pù dire:
Le vent singlant tes voiles emplissoit,
Et à ta nef toute onde obeissoit:
115Tu auois l’œil en terre, & moy en mer.
Lors ie m’en vais en pleurant bien amer,
Monter la tour en place descouuerte,
Et qui sur mer ha vuë bien ouuerte.
Parmi mes pleurs ie voy plus loin, & mieus,
120A mon desir fauorisans mes yeus.
I’ay fait pour toy meinte priere sainte:
Pour [p. 113]
Pour ton retour i’ay fait mes vœus en creinte,
Que pour toy saufores doy acomplir.
Quoy, acomplir? pour Medee remplir
125De ses desirs, mon poure cœur se deult,
Et mon amour, meslé d’ire, me meut.
De porter dons au temple auráy ie enuie
Pource que pers Iason tout plein de vie?
Sera frapee, & mise à mort la beste,
130Pour le malheur qui dessus moy s’arreste?
Certes außi onques ne fut bien seure,
Ains ie doutois de son pere à toute heure,
Qu’il lui donroit une dame de Grece:
Grecques creingnons, mõ mal d’ailleurs s’adresse:
135De l’ennemi de qui ie n’auois doute,
Amerement ie suis nauree toute.
Vne étrangere ha mon cœur tourmenté,
Qui ne te plait pour bien fait ni beauté:
Mais te fortrait, & de toy est aymee
140Par t’enchanter. De sa serpe charmee
S’en va copant meinte herbe qu’elle enchante:
D’atraire en bas la lune resistante,
Auec son cours, ha par fort attenté,
Et d’offusquer du soleil la clarté.
145Les eaus arreste, & les fleuues tortus:
Rochers, & bois tirez, & abatus,
Sont de leur lieu en autre lieu passez:
Elle connoit les os des trespassez:
Comme enragee elle vous court souuent,
h L’habit [p. 114]
L’habit desceint: & les cheueus au vent,
Par les tombeaus: dens la cendre amortie,
Des mots brulez, certeins os elle trie,
Les gens absens par son sort met en rage:
Elle vous fait de cire meinte image,
155Que de poingnante aguille amerement,
Elle vous pique au foye viuement:
Et (ce que mieus i’aymasse ne sauoir)
Par l’herbe vieut atirer, & auoir
L’amour tant dine, & qui s’aquiert trop mieus
160Par bonne meurs, & beau corps gracieus.
La peus tu bien embrasser de bon zelle,
Et en un lict t’endormir auec elle
De nuict sans creinte? Ha, par ses mots sorciers
Le ioug te met, ainsi qu’aus taureaus fiers.
165Par mesme sort que les serpens apaise,
Elle te vainc, & en ioue à son aise.
Entre les preus nommer elle se fait,
Et prend außi l’honneur de ton haut fait:
L’espouse nuit au bruit de son espous.
170Desia aucuns font bruit à tous les coups,
Qui vont tenant de Pelias la part,
Que tes hauts faits viennent de magique art.
Le peuple croit cela, & par tout crie,
Ce n’est Iason, ny sa force hardie
175Qui ha conquis la toison d’or, non, non:
Mais c’est Medee, en charme ayant renom.
Alcimede.
Certes ce bruit ne plait point à ta mere,
(Dem [p. 115]
(Demande luy) ni außi à ton pere,
A qui vient bru de froide region.
180
Medee prenne en son septentrion
Vn sien espous, depuis Tanaïs, fleuue,
Iusqu’en Colchos, quelle en cherche, et en treuue:
Vers la Scythie entre les marescages
De son païs, fasse ses mariages.
185
Iason leger, & de cœur plus muable
Que n’est le vent du Primtems variable,
Pourquoy n’ont point tes paroles de foy?
Tu t’en partis mon espous d’auec moy:
Pourquoy n’es tu mon espous reuenu?
190Ie sois espouse à Iason sauf venu,
Comme ie fus à Iason departant.
Si la noblesse, & hauts noms tu quiers tant,
Voici, ie suis de Thoäs engendree
Bacchus ayeul sa femme ha decoree
195D’une couronne, & d’estoilles luisantes,
Qui vont passant d’autres moins esclerantes.
Quant à mon dot, pren Stalimni mon Isle,
Bonne au labeur, & terre bien fertile.
Meintenant donq voulant ces entendre,
200Tu me peus bien auec ces choses prendre.
I’ay d’auantage enfanté en faison,
(De toy & moy resioui toy Iason)
Et pour l’amour qu’au pere ie portois,
Estant enciente, alors certes i’estois
205De douce charge alaigrement chargee:
h 2 Heur [p. 116]
Heureuse encor, de deus suis deschargee:
Par la faueur de Iuno, deus gemeaus
Thoas, &Eunæes.
I’ay enfanté, ce sont deus garsons beaus:
A qui ils sont semblables, si tu veus
210Le demander, on te connoit en eus:
Ils ne font point faus tour, ne vitupere,
Au reste ils sont semblables à leur pere.
Lesquels enfans (tu n’en dois point douter)
I’ay presque fait par deuers toy porter,
215Ambassadeurs pour leur mere: mais elle
Medee.M’en destourna, la maratre cruelle.
I’ay creint Medee, elle est plus que maratre.
Sa main est faite à tout forfait s’esbatre.
Celle enragee à toutes hardiesses,
Absyrtus. 220Qui par les champs getta son frere en pieces,
A mes enfans ne feroit point de mal?
Ce nonobstant, O fol & desloyal,
Par les poisons de Medee fortrait,
De moy à elle on dit qu’eschange as fait.
225
Par deshonneur cette ieune paillarde
Auecques toy sa chasteté hazarde:
Mais nous ha ioints le chaste mariage.
Eeta.Son pere elle ha trahi d’un faus courage,
Pour te suiuir, & la toison rauie:
Thoas. 230Et i’ay sauué à mon pere la vie.
Colchos laissa, de son pere la vile,
Lemnos.Et ie demeure en Stalimni mon Isle.
Mais que me sert tout ce, quand la meschante
Passe [p. 117]
Passe la bonne? & celle qui enchante,
235Et qui de sort, & de crime est dotee,
De mon mari est trop mieus acointee?
Quant est du fait des femmes de Lemnos,
Pour t’y respondre, ô Iason, en deus mots,
Ie te diray que mon cœur le reprouue:
240Ie ne l’ensuy, & außi ne l’aprouue:
Mais despit quiert tout moyen de vengence.
Or respons moy, o Iason, quand i’y pense,
S’il eust esthé ainsi que vent contraire
T’eust ci chaßé, comme il deuoit bien faire,
A ton de-sir. 245
Et qu’en mon port, ta compagne auec toy,
Fusses entré, & lors pleine d’esmoy
Ie fusse auec mes deus gemeaus venue
(Prirois tu pas le terre estre fendue
Pour t’engloutir?) meschant, de quelz meintiens
250Eusses tu pù me voir auec les miens?
O desloyal, & de mercy indigne,
De quel tourment, & mort estois tu digne?
Or de par moy tu fusses en seurté,
Non pas pourtant que tu l’as merité,
255Ains c’est pourtant que suis facile, & douce:
Mais la meschante eut bien eu la secousse:
I’eusse rempli de son sang mon visage,
Le tien außi, que par son faus bruuage
El’ m’a fortrait: brief de grand rage aydee,
260Vne Medee eusse esté à Medee.
Que s’il y a ha quelque Dieu tout parfait,
h 3 Qui [p. 118]
Qui de là sus entende mon souhait,
Comme se pleint Hipsiphyle ainsi fasse
Celle qui tient en notre lict ma place:
265Que le tourment par droit sente, & l’ennui
Tel qu’elle fait le sentir à autrui:
Et comme suis d’espous desheritee,
Mere de deus enfans d’une portee:
Laisse soit de son espous ainsi
270Quand elle aura eu deus enfans außi:
Et ce qu’elle ha acquis iniustement,
Ne lui demeure, ains perde pirement:
Banie soit, & coure vagabonde,
Sans nul repos trouuer par tout le monde.
275Comme elle ha fait tout de sœur à son frere,
Absyrte.Comme elle ha fait tour de fille à son pere,
Eta.Cruelle soit (par mon souhait & cri)
A ses enfans, außi à son mari.
Quand elle aura tousiours couru grand erre,
280Enuironné & la mer, & la terre,
Parmi l’air vole, & n’ait point de surté,
Mais desespoir, & toute maleurté:
Et pour la fin se souille de son sang?
Brief ie qui suis fraudee de mon rang
285De mariage, ainsi dresse mes vœus:
En mariage or viuez malheureus.

ANNOTACIONS
sur l’Epitre de
Hipsiphy-
le à
Iason.
*
Ou est la Loy, & droit des espousailes? Et le flambeau plus propre aus funerailles?
En ce tems là on alloit espouser auec un
flambeau ardent.
Lemnos n’estoit la maison possedee Du vieil Eta le pere de
Medee.
L’Isle de Lemnos, est à present nommee
Stalimni, ou Stalimene, &
encore Limno,
n’ayant gueres changé de son nom
antique.
Elle est situee entre Thrace et
Euboee, que
lon dit à present
Romanie, &
Negrepont.
Dernier montas en ton sacré nauire, Qu’incontinent voler on eust pù dire.
Le nauire de Iason, auoit nom Argo, & le
Poëte
l’apelle sacré, par ce qu’il estoit souz la
sauuegarde de
Minerue, autremẽt dite
Pallas.
La peus tu bien embrasser de bon zele, Et en un lict t’endormir auec elle De nuict sans creinte?
Lon peut aussi dire, de nuict en creinte,
car d’aucuns exemplaires
Latins ont, Impa-
uidus ,
& les autres ont, Iampauidus.
Desia aucuns font bruit à tous les coups,
Qui vont tenant de Pelias la part,
Que tes hauts faits viennent de magique art.
Pelias estoit oncle de Iason, qui ne l’ay-
moit pas, ains ne demandoit que la mort de
son nepueu, pour les raisons que i’ay dites en
la preface de la presente epitre.
Medee prenne en son Septentrion: Vn sien espous, depuis Tanaïs, fleuue, Iusqu’ẽ Colchos, quelle en cherche, et en
treuue.
Le fleuue que lon disoit anciennement
Tanaïs, on le nomme à present en langage
Turc,
le Tana: en Tartare, Don,
& Reschan.
Si la noblesse, & hauts noms tu quiers tant, Voici, ie suis de Thoäs engendree: Bacchus ayeul sa femme ha decoree D’une couronne, & d’estoilles luisantes, Qui vont passant d’autres moins esclerantes.
Thoäs, pere de Hipsiphyle, fut fils
de Bac-
chus . Voyez la fin de
ma preface sur l’epitre
d’Ariadne à
Theseus, qui est la dixieme, pour
sauoir de
quelle couronne c’est que le Poëte
entend.
Quant est du fait des femmes de Lemnos, Pour t’y respondre, ô Iason, en deus mots, Ie te diray que mon cœur le reprouue, Ie ne l’ensui, & außi ne l’aprouue.
Le Poëte entend de ce qu’elles auoiẽt tué
tous les hommes en une nuict,
comme i’ay
dit
[p. 121]
121
dit en la Preface: le Latin porte,
Ce que l’on interprete, non imitor: com-Lemmiadum facinus culpo, non miror Iason:
me,
miratoremq; Catonis, id est
imitatorem.
Et pourtant ie l’ay traduit, Ie ne l’ensui[.]
I’eusse rempli de son sang mon visage, Le tien außi, que par son faus bruuage, El’ m’a fortrait:
Le Poëte veult dire que Hipsiphyle eust si
bien
esgratigné le visage de Medee, laquelle
lui auoit
distrait par bruuages amatoires son
ami Iason, que
le sang en fust sauté sur le
visage d’lle mesme
Hipsiphyle, & aussi
de
Iason.
Et comme suis d’espous desheritee, Mere de deus enfans d’une portee, Laisse soit de son espous ainsi, Quand elle aura eu deus enfans außi.
Ces souhaits, & malediccions auiendrent:
car
Iason delaissa Medee auec deus
enfans, &
print à femme Creusa, fille de
Creõ, Roy des
Corinthiens: &
Medee s’enfuit en
Athenes.
Et pour la fin, se souille de son sang.
soymesme.

PREFACE SVR
L’EPITRE DE DIDO
A
ENEAS.
*
APres que la Troye fut destruite, Eneas
fils de
Venus, & d’Anchises, laisa son
païs, fit faire des Nauires en la
cité de Antã-
dre, apelee à present au païs,
sancto Dimi-
tri: puis se mit sur mer auec son
pere, son
fils Ascanius & ses Dieus domestiques, &
plusieurs Troyens. Premierement arriua en
Thrace, ou (comme plusieurs
pensent) il
bátist une vile dite Ænus, à present Æno,
mais bien
tot apres amonnesté de s’enfuir
par prodiges sines ou presages, &
par l’auer
tissement de
Polydorus, que Polymnestor
Roy de Thrace auoit iniquement uté, il
s’en
vint en Delos, à present Sdiles, ou il eut
re-
sponce de l’oracle d’Apollo, qui fut mal
en-
tendue, & mal interpretee par son pere
An-
chises. Et pource passant les Cyclades
vint
en Candie, que Anchises pensoit estre la
ter-
re fatale, & promise par l’oracle: Mais estant
là
tourmenté de pestilence, fut en dormant
ammonesté par ses Dieus
domestiques de
partir de ce lieu. De là vint aus isle
Stropha-
des
[p. 123]
123
des, à present Striuali: & puis en Epire, à
present la
Cimera, ou Epirotee: ou il fut
bien recu de Helenus Troyen: & fils
de
Priam, qui en ce Royaume auoit succedé à
Pyrrhus. Puis de là
vint en Calabre, dond il
departit incontinent espouuenté de la
venue
de Diomedes, qui sont en la mer de Sicile,
pro-
cheines du mont Ethna. De là enuironnant
la plus grande
partie de Sicile, vitn en Dre-
panum, (c’est un
mont de Sicile, qui s’estend
en la mer du coté de septentrion, à
present
Drapani) & en Meleque, ou son pere mou-
rut, comme dit Virgile, auquel il fit la pom-
pe funebre, & dressa son sepulcre en Sicile:
puis
(ayant reçu prouision de vin, & d’autres
choses necessaires de
Acestes, Troyen, qui re
gnoit en Sicile) fit voile, querant l’Italie, la-
quelle il auoit entendue de Creusa sa fem-
me,
& de l’oracle reçu en Delos, & de Hele-
nus, lui estre terre fatale, & promise par les
Dieus, mais par
tẽpeste de mer, & tourmẽte
des vens, fut poussé en Libye, ayant
perdu un
seul nauire de vingt qu’il auoit. De cas d’a-
uenture en ce tems là, (comme Virgile ha
feint, &
apres lui Ouide) Dido, qui s’en estoit
fuye de Tyrus, (pour la cruauté
& auarice de
Pygmalion son frere, qui auoit occis Sicheus
espous
[p. 124]
124
espous de Dido, pour auoir ses tresors,)
ba-
tissoit en Libye une nouuelle vile dite
Car-
thage, & auoit acheté de Hiarbas Roy de
Ge
tulie, autãt de terre & de
place qu’elle pour-
roit enuironner d’une peau de
taureau, La-
quelle est estẽdit si long en petites
conroyes
qu’elle comprint vingt deus stades de terre,
en quel
espace elle batissoit sa vile. un stade
contenoit 125 pas (toutefois
celui que Her-
cules courut, mõtoit 1130 & un
Mile, comme
s’apellẽt les lieuës d’Italie, cõtiẽt huit stades.
Ainsi quãd Eneas fut venu vers elle, lui, & les
siens furent bien
reçuz, & traitez. Et peu de
tẽs apres elle mit son amour en lui,
& eut sa
cõpagnie. En test esta lui seiournant là, fut en
dormant auerti par son pere Anchises, & par
Mercure q Jupiter lui
enuoyoit, de se depar-
tir de là, & faire
voile en terre qui lui estoit
destinee. lui n’osant tenir ce propos de
son de
partemẽt à la Royne
Dido, & se preparãt se-
crettemẽt, la Royne
s’en douta: & apres auoir
en vain trop prié Eneas de demourer, lui
es-
crit cette epitre, cõme Ouide feint : par
laqlle
s’efforce le retirer du propos de faire voile,
tãt par ce
qu’il est hõneste & bien seant qu’il
demeure auec celle qui l’a biẽ
reçu, biẽ logé
biẽ traité, & lui ha fourni, & aus siẽs, &
se-
couru en toutes choses, & à laqlle il
ha pro-
mis
[p. 125]
125
mis foy de mariage: cõme par ce qu’il sera
plus suremẽt
auec elle, que de se mettre aus
dãgers de la mer tẽpestueuse, &
pleine de va
gues, &
aller chercher une terre incerteine,
laissant ceste ci, ou estoit Dido,
seure & cer-
teine. Apres qu’elle ha recité
ses bienfais en-
uers lui, le prie que, s’il ha
conclu & arresté
de s’en aller, à tout le moins qu’il atende en-
cor un petit, tant que la tourmẽte de mer
soit
apaisee: q s’il ne veut lui faire ce seul biẽ d’a-
tẽdre peu de tems, elle le menace, de se tuer:
ce
quelle fit, car elle se tua de l’epee mesme
qu’Eneas lui auoit dõnee,
voyant de sa haute
tour les Troyens departir & faire voile, cõ-
me escrit Virgile. Elle le menace aussi
qu’elle
fera escrire un Epitafe sur son tombeau, qui
declarera
cõmẽt Eneas est cause de sa mort.
Nonobstant Bocace en son liure des no-
bles &
vertueuse Dames, escrit de la mort
de Dido autremẽt, & son honneur,
la met-
tant au rãg des vesues chastes: & la
verité est
aussi, qu’Eneas vint en Italie plus de cent ans
auant q
Dido fust: & aussi Ausonius ha escrit
un epigrãme à la louenge de
la pudicité d’el
le.
Mais Virgile ha ainsi escrit de Dido, &
apres lui Ouide, en faueur
de Cesar Auguste
& des Rommeins, & en defaueur &
deshon
neur des
Carthaginois, leurs anciẽs ennemis.

TRADVCCION
DE LA VII. EPITRE
D’OVIDE.
*
Dido escrit à Éneas..
LE cigne blanc chante ainsi au riuage
De Meander, dessus l’humide herbage,
Triste & seulet, pour dernier reconfort,
Lors qu’il se sent aprocher de la mort.
5
Ie ne te parle esperant te mouuoir,
Ains à malheur, & sans aucun espoir.
Mais du bienfait ayant perdu l’honneur,
Mon cœur & corps estant à deshonneur,
Ce m’est bien peu de perdre mes propos.
10
Tu as conclu, contraire à ton repos,
T’en aller loin sur mer tempestueuse,
Et delaisser Dido la malheureuse.
Les mesmes vents, soufflans dedans tes toiles,
Emporteront & ta foy & tes voiles.
15Tu as conclu ces deus choses expresses,
De leslier tes nauz, & tes promesses,
O Eneas: & l’Italie te plait
Aller chercher, sans sauoir ou elle est:
Et ne te meut ni la neuue Carthage
20Ses murs croissans, ni tout en son seruage,
Tu [p. 127]
Tu vas fuyant tes promesses ia faites,
Et en quiers faire autres par longues traites:
Tu vas chercher par le monde autre terre:
Cette ci est ia tienne sans conquerre.
25Et bien, encor qu’en l’Italie tu viennes,
Qui te donra les préminences siennes?
Qui est celui, tant soit beste, qui donne
Si tot sa terre à l’estrange personne?
Ce que tu quiers c’est trouuer autre amour,
30Autre Dido, pour lui iouer faus tour:
Et que ta foy soit encore promise
Pour la fausser, & la rompre à ta guise.
Quand pourras tu telle vile batir
Comme Carthage? & d’une haute tour
35Voir tout au bas tes peuples alentour?
Que tout te vienne encor à tes souhaits,
Et qu’ils soient bien acomplis & parfaitz.
Ou prendras tu une femme qui t’ayme
Ainsi que moy d’ardante amour extreme?
40Ie brule, ainsi comme torche de cire
Auec le soufre, ou comme on pourroit dire
L’encens qu’on gette au feu des mortuaires:
Et à mes yeus, à tout repos contraires,
Tousiours un seul Eneas se presente:
45Le iour, la nuict Eneas represente
Dedens mon cœur continuellement,
L’ingrat & sourd, vù le bon traitement
Et [p. 128]
Et vù les dons, les graces & bienfaits
Que lui vueil faire, & que ia lui ay faitz:
50Duquel außi bien vouloir ie deuroye
Le brief depart, si fole ie n’etoye.
Or nonobstant qu’il me veuille abuser,
De mauuais cœur ie ne lui puis user:
Mais ie me plains de son traytre courage,
55Apres mes pleints ie l’ayme d’auantage.
Dame Venus mets hors cette misere
Ta belle fille: o frere Amour, ton frere,
Tant rigoureus, vien cherir, embracer,
Et à ton camp reduire & auancer:
60Ou moy, qui ay l’amour encommencee:
(Car ne desdaigne amour en ma pensee)
Que lui außi mon amour ne desprise:
Ie suis trompee, & faussement se prise,
Venus.Il est par trop à sa mere contraire.
65
Pierres & monts, & arbres qu’on voit faire
Sur hauts rochers & deserts leurs croissance,
Tygres cruelz, pleins d’outrage & nuisance,
T’ont engendré: ou la mer que tu vois
De vent esmue. Ou vas tu toutefois?
70Ou t’enfui tu par contraire tempeste?
L’yuer facheus me fasse ores ce bien
Que quelque tems tu sois encores mien.
O Eneas, voy comme Eurus tourmente
Les flots de mer, par force violente.
Par [p. 129]
Par flots me soit cette grace venue,
Dont i aymerois trop mieus t’estre tenue.
Plus que toy sont flots & vents raisonnables,
Et à mon vueil plus prompts, & secourables.
Ie ne suis pas tant à desestimer
80Qu’ailles mourir, me fuyant loin par mer:
Combien pourtant que ta grand’ lascheté
L’ayt desserui, & tresbien merité.
Tu as conçu vers moy une grand hayne,
Qui par trop cher te coute, & trop de peine,
85S’il ne te chaut de mourir nullement,
Mais que de moy t’enfuies promptement.
Dedens briefs iours les vents s’apaiseront,
Et les Tritons en mer calme courront,
Estant montez sur leurs cheuaus bleuzuerts:
90Que fusses tu comme les vents diuers
Ores muable. & le seras ainsi
Si tu n’es dur plus qu’arbre, & pierre außi.
Dea s’il estoit que ne sceusses que c’est
Que de la mer muable, & sans arrest?
95Veus tu encor mettre en mer ta fiance,
Ou tant souuent as eu mauuaise chance?
Mais bien, iaçoit que la mer calme encores
Le desancrer te vousist permettre ores
Que tu pretens nauiguer, nonobstant
100Si haute mer y ha des dangers tant:
Nul proufit n’ont, ains par trop se mescontent
Pariures gens qui dessus la mer montent:
i Ce [p. 130]
Ce lieu est propre à punir les pariures:
Et par sur tout les torts faits, & inures
105Contre l’amour: Car des amours la mere
Nue fut nee en la mer de Cythere.
Ie crein de perdre un homme variable,
Qui m’a perdue, & m’a fait miserable:
Ie crein de nuire à celui qui me nuit:
110Que l’ennemi, qui loin de moy s’enfuit,
Tombe en la mer en maints dangereus lieus.
Or sus vy donq: ainsi te perdray mieus
Que par ta mort: plus tot ie me propose
Que tu sois dit estre de ma mort cause.
115
Mais pren le cas (ce ne soit point presage)
Qu’en mer tu sois sur le point de naufrage,
Que feras tu? & à quoy penseras?
Incontinent en ta pensee auras
En mon endroit ta promesse faulsee,
120Et faulsement Dido seule laissee
Par le Troyen, contreinte à mort non due.
L’esprit verras de ta femme deçue
Tout plein de sang, ayant cheueus espar:
Adonq les maus venans de toutes parts
125(Ce diras tu) ie les ay meritez:
Faites moy grace, & plus ne m’agitez.
Les foudres lors qui sur toy tomberont,
Tu penseras que transmis te seront.
Donne relache à ton ire, & à celle
130De la mer rude, en recompense telle
Que [p. 131]
Que tu feras trop plus seur nauigage.
Ie te diray encores d’auantage,
Iülus, A-scanius .
Ton petit fils te retarde, non moy.
C’est bien assez d’auoir ce bruit sur toy
135Que m’as liuree au point de mort prefix:
Qu’ont merité ni tes Dieus, ni ton fils?
Tes Dieus du feu de Troye deliurez,
Par vents seront en naufrage liurez:
Mais auec toy tu ne les portes pas:
140Ains faulsement te vantes de meint cas,
Qu’ayes porté tes sacres, & ton pere:
Tu mens de tout: car ta langue profere
Non pas à moy les premieres mensonges:
Seule ne suis abusee en tes songes.
145
Si tu t’enquiers d’une chose sans plus,
Ou est la mere au beaus Iülus,
Ie dy qu’elle est morte seule en langueur,
Par son mari laissee en grand rigueur.
Tant de beaus cas de toy me racontois,
150Lors, par pitié, tresbien ie te traitois:
Ce qu’as soufert pour l’auoir delaissee
Moindre sera que pour moy ofensee
Tu soufriras, car ton offense est telle
Qu’elle est plus grãde enuers moy qu’enuers elle:
155Et ie ne doute, ains ie me fay certeine,
Que pource t’ont tes Dieus tant mis en peine.
Depuis sept ans & par mer, & par terre
Es agité: malheur te suit, & serre:
i 2 En [p. 132]
En tel estat, par tempeste affligé
160Ie t’ay reçu, & surement logé.
A peine ayant ton nom bien entendu,
I’ay sous tes mains mon royaume rendu.
Et plus aus Dieus que ces biens t’usse fait
Tant seulement, & que de notre fait
165La renommee en fust enéuelie.
Le iour auquel une soudeine pluie
Nous contreingnit en la cauerne entrer,
Me nuisit trop, & vint mal rencontrer.
I’auois oui un cri, que ie pensois
170Estre le cri des Nymphes, toutefois
C’estoit le cri des Furies mal nees
Qui predisoit mes dures destinees.
O chasteté rompue, pren vengeance
De moy, qui fey à Sicheus ofense:
175Vers qui ie vais, moy triste & malheureuse,
Pleine de honte, & toute vergogneuse.
De Sicheus i’ay l’effigie sacre
Qui est dedens ma chapelle de marbre,
Fueillage, & laine au deuant est pendue:
180I’ay de ce lieu la parole entrendue
De mon espous, disant en basse voix,
Dido vien t’en: & ce par quatre fois.
Ta femme deuë or ie vien sans atendre,
(Lui respondi ie) & si (las) me vient rendre
185Le mien forfait tardiue, & variable
Pardonne moy l’ofense pardonnable:
Le [p. 133]
Le personnage est de grande aparence,
Qui amoindrit, & couure mon ofense.
Son père vieil, que par la grande opresse
190Auoit porté, puis sa mere deesse,
Me faisoient foy que bon mari seroit,
Qui auec moy deument demoureroit.
Si ie deuois de quelque faute user,
Certeinement ie suis à excuser.
195S’il eust eu foy, la chose est raisonnable,
Qu’il n’estoit pas un parti refusable.
Trop bien se suit la destinee dure,
Qui iusqu’en fin de ma vie encor dure.
Mon mari mort, meurtri pres des autez,
200(Ou fut tué par grandes cruautez)
Tomba à terre : & mon frere à l’estime,
L’honneur & bruit d’un tant enorme crime.
Puis ça, puis là ie vais fuiant sans cesse :
Et mon païs lors du tout ie delaisse,
205Pareillement de mon espous la cendre :
Mon ennemi Pygmaliõ me poursuit pour me prendre,
Et me contreint passer meints durs passages.
En terre estrange, apres longs nauigages,
I’entre & pren port : & puis estant ainsi
210De mer deliure, & de mon frere außi,
Vn port de mer i’achete à grosse somme,
Que i’ay donné à toy desloyal homme.
Là i’ay baty une uile, & liez
Des murs bien longs, des procheins enuiez.
i 3 La [p. 134]
La guerre bruit, ie femme, & estrangere
Suis assaillie en guerre non legere :
Et n’ay encor ma vile bien fermee
De porte neuue, & dreßé une armee :
Certeine suis, mes meurs sont agreables
220A plus de cent bons Cheualiers notables,
Qui sont venus me blamer, & charger
Que ie les ay laissez pour l’estranger.
Mais qu’attens tu de me lier les bras,
Et rendre tot captiue à Hiarbas,
225Mon ennemi, le roy de Getulie ?
Mes bras rendray dessouz ta tyrannie.
Puis i’ay mon frere
Pygma-
lion
außi qui ha
meutri [sic pour meurtri]
Cruellement Sicheüs mon mari :
Et ne quiert mieus que de m’en faire autant :
230Laisse tes Dieus, ne les souille point tant :
La main qui est pleine de malefice,
Ne fait aus Dieus agreable seruice.
Tes Dieus voudroient du feu n’estre deliures.
Si toy meschant seruice tu leur liures.
235Parauanture außi, o plein de feinte,
Tu vas laissant Dido de toy enceinte :
Et une pars de ton corps, est venue
Dedens le mien, cachee, & retenue.
Ainsi mourra l’enfant tresmiserable
240Auec sa mere : & tu seras coupable
De la mort d’un petit enfant, helas,
Lequel encor mis au monde n’est pas.
Ainsi [p. 135]
Ainsi mourront & l’enfant & la mere,
L’enfant qui est d’Ascanius le frere:
245Et mesme peine auront ne plus ne moins
Les deus qui sont ensemble en un corps ioints:
Mais de partir le Dieu t’a commandé.
De venir donq voudrois qu’il t’eust gardé,
Et qu’onq Troyen n’eust ma terre touchee.
250Car par ce Dieu que ta nef tant fachee
D’onde terrible, & de contraires vents,
Te tient en peine en la mer si long tems.
Tu ne deurois auec si grande peine
Troye chercher, s’elle estoit riche, & pleine,
255Comme elle fut alors qu’Hector viuoit.
Mais toutefois tu ne vas querant droit
Simoïs fleuue, en ton païs de Troye,
Ains quiers la Tybre, ou tu scez la voye:
Et ou seras poure hoste, & estranger,
260Bien qu’à souhait y ailles sans danger.
A peine außi verras tu l’Italie
En ta vieillesse, & ta force faillie:
Comme ie voy que l’Itale se cache,
Elle lointeine, & tes nauz fuit, & fache.
265
Pren donq plus tot, & außi pour le mieus,
En dot present ces peuples, & ces lieus:
Et les tresors lesquelz Pygmalion
Ha pourchassez par grande ambicion.
Transporte ici trop plus heureusement
270La Troye antique: & tu sois dinement
i 4 Au [p. 136]
Au Royal siege, & tenant sacré sceptre.
Que si ton cœur desire en la guerre estre,
Si Iülus appete estre veincueur,
Et trionfer auec son ieune cœur:
275Ce mien païs bien tot lui fournira
D’un ennemi, q’uil suppeditera:
(A celle fin que rien ne vous defaille)
Ci est la paix, & ci est la bataille.
Si te suppli par le nom de ton pere,
280Et par les traitz de Cupido ton frere,
Par Troyens Dieus, lesquelz t’acompaignerent
Lors que du feu de Troye se sauuerent.
Qu’ayes pitié, & prennes à merci
Dido la tienne, & sa maison außi.
285Qu’ainsi tousiours ayent victoires pleines
Ceus de ta gent, qu’auecques toy tu meines:
Et que l’armee arriue de Grece,
Te soit la fin de perte, & de tristesse:
Qu’Ascanius ainsi ses ans parface
290Eureusement, & soient en molle place
Couchez, & mis, pour seur, & bon repos,
D’Anchises vieil, le tien pere, les os.
Mais que dis tu? en quoy áy ie meffait,
Sinon que i’ay bien aymé en effet?
295Ie ne suis pas de Thessalique terre,
Achilles.Dond fut celui qui te liura la guerre:
Außi ne suis de Mycene la grande:
Encontre toy n’as eu une grand’ bande
De [p. 137]
De mes parens: ni mon espous, ni pere,
300Pour te liurer l’assaut en guerre amere.
S’il te désplait, & tu prens à diffame
De ma’apeler ton epsouse & ta femme:
Apelle moy seulement ton hostesse,
Non pas ta femme, estant nom de hautesse:
305Dido veult bien estre ce que voudras,
Quand seulement pour tienne la tiendras.
Ie connoy bien cette mer Affricaine
En certein tems elle est trop incerteine
Pour nauiguer, & pour faire voyage:
310En autre temps est bonne au nauigage:
Et quand le vent propice permettra,
Nauigueras, & la voile on mettra.
Ores au port ton nauire enserré
Est lité d’herbe, & trop mieus assuré.
315
Commande moy, ie prendray garde au tems
Que tu auras meilleurs & plus dous vens:
Lors seiourner ie ne te permettrois,
Quand mesmement toymesme le voudrois.
Tes gens außi, tous las, & affligez,
320Quierent du tems pour estre soulagez.
Ta nef rompue, & à demi refaite,
Quiert peu de tems à fin d’estre parfaite.
Pour mes biens faits, encor pour d’auantage
(Si t’en doy faire) & pour le mariage
325Que i’esperois auec toy ie demande
Petit de tems, & demeure non grande.
i 5 En [p. 138]
En atendant que la mer se tempere,
Et que l’amour par le tems s’amodere,
A supporter les maus me feray forte.
330
Si tu ne veus permettre en nulle sorte
Faire seiour, i’ay ia tout arresté
De me tuer: certes ta cruauté
Ne pourra pas regner sur moy long tems.
O plust aus Dieus, & qu’ils fussent contens
335Que ton œil vist le trespoure meintien
De l’escriuante, ayant le glaiue tien!
Ie te rescri, & ay en mon giron
Ton glaiue nu, qui tout à l’enuiron
Est arrousé des larmes de mon pleur:
340Puis le sera de mon sang par malheur.
Eneas a-auoit laissé
son espee
à Dido.
Que ton present à ma mort bien conuient
A peu de frais mon tombeau te reuient.
Mais ce n’est pas de ce tems, seulement,
Que le glaiue ha poind mon cœur durement:
345En mesme lieu fut nauré d’amour dure.
Anne ma seur, qui scez ma forfaiture,
O ma seur anne, ores trauailleras,
Et sur ma mort funerailles feras.
Nul n’escrira, ci git Dido sechee,
350En cendre auec le sien mari Sichee:
Mais fera tel Epitaphe trouué
Sur mon tombeau, & en marbre graué:
CI GIT DIDO, QVI D’ENEAS A TORT
REÇVT LA CAVSE, ET L’ESPEE DE MORT:
PVIS [p. 139]
PVIS TOT APRES DE CELLE MESME ESPEE
S’EST PAR SA MAIN D’VN MORTEL COVP
FRAPEE.
ANNOTACIONS
SVR L’EPITRE DE
Dido à Eneas.
*
Ie brule ainsi comme torche de cire Auec le soulphre ou comme on pourroit dire L’encens qu’on gette au feu des mortuaires: Et à mes yeus, à tout repos contraires, Tousiours un seul Eneas se presente.
I’ay lù, en un exemplaire de Venise, deus
vers qui ne se lisent pas
ordinairement:
Vt pia famosis addita thura rogis
Ænasq; oculis semper vigilantibus hæret.
Dame Venus mets hors cette misere Ta belle fille: ô frere Amour, ton frere, Tant rigoureus, vueilles tot
embracer, Et à ton camp reduire & auancer.
Dido, estant femme d’Eneas, auoit
Venus
pour belle mere, &
Cupido pour frere, ou
beau
[p. 140]
140
beau frere, qui est le Dieu d’amour. Ainsi
Dido se dit belle fille de Venus,
& apelle
Amour ton frere, & le prie de ranger son
fre
re
Eneas au camp des amoureus (Car
Eneas
& Cupido sont
tous deus fils de Venus) ou
bien qu’il la renge
elle mesme, dont elle se-
roit trescontente: mais
aussi qu’il face que
Eneas ne desprise les prieres d’elle, qui seroit
ainsi rengee à la suggeccion d’Amour.
Contre l’amour, Car des amours la mere Nue fut nee en la mer de Cythere.
Venus, nee de l’escume de la mer, fut por
tee premierement en l’isle de
Cythere à pre-
sent
dite, Cerigo.
Or fus, vi donq: ainsi te perdray mieus Que par ta mort.
Dido veut dire qu’il vaut mieus qu’elle
soit sans
son ami vif, que sans son ami mort.
Ie dy qu’elle est seule morte en langueur, Par son mari tuee en grand rigueur.
En fin du second liure des Eneïdes, Eneas
raconte à
Dido comment il perdit Creusa
sa
femme, en eschapant du feu, & de la meslee
de
Troye: ce qu’à present Dido
tire à son
propos contre Eneas, en l’acusant de
men-
songe & de meurtre de sa femme
Creusa.
Ce qu’as soufert pour l’auoir delaissee Moindre sera que pour moy ofensee
141
Tu soufriras, car ton offense est telle
Qu’elle est plus grãde enuers moy qu’enuers elle.
Le Poëte veut dire que Dido ha plus fait
de biẽs à Eneas q̃ sa premiere femme Creu-
sa , par ce que Dido l’a reçu & secouru estant
poure & tourmenté de la marine: & que, vù
les grans biens qu’elle lui ha faits, il ha plus
grand tort de la laisser: & par consequent
deura estra plus pluni que de ce qu’il laissa
Creusa, pour laquelle laissee il auroit ia esté
tourmenté l’espace de sept ans sur la mer.
De Sicheüs i’ay l’efigie sacre, Qui est dedens ma chapelle de marbre.
Il estoit lors permis à un chacun de reuerer
saintement celui ou ceus,
trespassez de sa
parenté, que lon vouloit: mesmement de
bá-
tir & dédier une chapelle à leur honneur:
&
ie croy qu’Ouide vouloit entendre cela,
quand il escriuoit
en l’epitre de Briseïs,
Ce que i’ay ainsi traduit en la precedenteSemper iudicijs ossa verenda meis:
Perq; triũ fortes animas (mea numina) fratrum:
epitre troisieme.
Os qu’à iamais i’honore:
Et par les trois que comme Dieus i’adore.
Fueillage & laine au deuant est pendue.
teins
[p. 142]
teins stemmates, qui sont comme dit
l’inter-
prete de
Sophocles, des rameaus
enuelopez
de laine noire, ou blanche: Car
Virgile
dit q̃
deuant l’image de
Sicheüs y auoit de la
lain-
ne noire & des rameaus, & Ouide dit qu’il y
auoit
de la laine blanche: mais il y en a
pou-
uoit bien
auoir de toutes deus.
Mon mari mort, meurdri pres des autez, Ou fut tué par grandes cruautez, Tomba à terre: & mon frere à l’estime, L’honneur & bruit d’un tant enorme crime.
Sicheüs, oncle & mari de Dido,
estoit
prestre d’Hercules, premiere dinité apres
le
Roy: & ainsi comme il sacrifioit fut tué par
Pygmalion, son neueu, & frere de
Dido, sous
espoir d’auoir son tresor caché
dont il auoit
bruit.
Puis ça, puis là ie vais fuyant sans cesse, Et mon païs lors du tout ie delaisse:
Cela fut par l’auertissement de l’esprit de
Sicheüs, qui s’aparut à elle de nuict, & lui
re
uela tout le
forfait & meurtre de Pygmaliõ.
Et faut
entendre que Dido s’enfuit de la vile
de
Tyrus, à present nommee
Sur, qui est une
antique & bien renommee
vile de la region
de Phenice, qui est en
l’Asie maieur, faisant
partie de la
Syrie, & ioignãt à la
Iudee. Icelle
vile est au bout de la mer,
& estoit acienne-
ment
[p. 143]
143
ment en une Isle: mais Alexandre le
grand,
qui l’assiega, la fit tenir à terre ferme: &
fit
crucifier quasi tous les hõmes qui y estoit,
par ce qu’eus
estant serfs, auoient occis leurs
vrays signeurs & maitres,
s’estoient faits si-
gneurs de la vile, &
auoient fait aliances de
mariages auec leurs maitresses: comme
re-
cite Iustin au dixhuitieme
liure de son Hi-
stoire. En icelle vile de
Tyrus se faisoiẽt
an-
ciennement de bonnes teintures d’escarlate.
Mais qu’atens tu de me lier les bras, Et rendre tot captiue à Hiarbas?
C’est une permission ironique, urgente, &
pitoyable.
Mais de partir le Dieu t’a commandé:
lui
pourroit faire, disant que le Dieu
Mercu-
re ou Apollo
s’estoit aparu
à lui, & auoit
commandé qu’il departit de
Carthage, pour
faire voile en
Italie. de ce voyez le
quatrie-
me liure des Eneïdes. Or à cette obgeccion
d’Eneas,
Dido lui respond,
De venir donq voudrois qu’il t’eust gardé
Et qu’onq Troyen n’eust ma terre touchee,
Mais que dis tu? en quoy t’áy ie meffait, Sinon que i’ay bien aymé en effet?
144
Ie ne suis pas de Thessalique terre,
Dont fut celui qui te liura la guerre:
Außi ne suis de Mycene la grande.
Achilles, qui fit de grans exploits de guerre
contre les Troyens estoit de Larissee, vile de
Phtie, païs voisin de Thessalie: & Aga-
memnon & Menelaüs, aussi ennemis des
Troyens, & Chefs de l’armee des Grecs,
estoient de Mycene, vile de Peloponnese,
q̃ l[’]on dit à present la Moree: & de ce trois
ici Dido entend: quand elle dit:
Ie ne suis pas de Thessalique terre,
Dont fut celui qui te liura la guerre:
Außi ne suis de Mycene la grande.
Comme si elle disoit, il n’est ia besoin que
tu me fuyes, ne que tu me portes hayne, car
ie ne suis pas de la race de ceus qui ont fait
guerre contre toy, & contre les Troyens.

PREFACE SVR
L’EPITRE DE
HER-
mione
à Orestes.
TAntalus fils de la Nymphe Plote
& de
Iupiter, engendra de Thaïgete,
ou
(comme les autres dient) de Penelope,
Nio-
be , &
Pelops: De Pelops &
Hippodamie, fil-
le du
Roy Oenomaus, furent engendrez
Atreus, Thyestes, &
Plisthenes, que aucuns
dient estre
Atreus mesme: Lequel
Plisthenes
(ou Atreus)
engẽdra Mega-
laüs de
Aeropa: Menelaüs engendra
Mega-
penthe d’une
captiue de Lydie: &
d’Heleine
fille de
Tyndarus, il engendra
Hermione:
Combien que Duris,
de Samo, die en l’expo-
sicion de Lycophron, que Hermione
soit fil-
le de Theseus, qui
premierement rauit He-
leine.
Agamemnon Roy de Mycene eut de
Clytemnestre des fils Alesus &
Orestes, &
des filles,
Chrysothemis, Laodice, &
Electre,
& celle que le Poëte
Lucresse apelle Iphia-
nasse . Or Menelaüs
allant à la guerre de
Troye, laissa la charge, & gouuernement de
de sa maison à Tyndarus, lequel donna
Her-
mione , estant encore bien ieune,
en mariage
à Orestes son cousin germain: &
laq̃lle aussi
k
son
[p. 146]
146
son pere
Menelaüs, estant au camp deuant
Troye, promit bailler en mariage à
Pyrrhus,
fils d’Achilles:
non sachant q̃
Tyndarus l’eust
ia donnee en mariage à
Orestes. Menelaüs
estant
de retour en Sparte, apres la destruc-
cion de Troye, liure
Hermione à Pyrrhus,
qui
l’emmena en la vile de Phthie, qui est en
Thessalie, ou (comme les aucuns dient) en
Epire. Mais cõme elle haït
Pyrrhus, & n’eust
à gré ce second mariage,
aymãt Orestes, elle
lui manda qu’il la pourroit
facilement deli-
urer des mains de
Pyrrhus: dont Ouide ha
pris l’occasion d’escrire cette Epitre au nom
de
Hermione. Orestes apres qu’il
eut tué sa
mere & Egystus le paillard
d’icelle, & qu’il
fut gueri de sa fureur, demouroit en
Mycenes
là il eut nouuelles que Pyrrhus
estoit allé en
Delphos, pour rendre graces à
Apollo de ce
qu’il auoit vẽgé la mort de son
pere: Orestes
y alla, & y parfit son
entreprise. Car peu de
tẽs apres, cõme lon trouuast
Pyrrhus tué, le
cõmun bruit fut q̃ ce auoit esté fait par
Ore
stes, à cause q̃
Hermione retourna incõtinẽt
auec lui, & eut de
lui des enfans Thisamenes
Corinthus, &
Orestes. Orestes mari de
Her-
mione , fut Roy
de Mycenes, apres la mort
d’Egisthus, par l’espace de quinze ans: &
commença à regner en l’an du monde 2789
auant la natiuité de
Iesuchrist 1173.

TRADVCCION
DE LA VIII. EPITRE
D’OVIDE.
*
Hermione escrit à Orestes.
PYrrhus le fils d’Achilles renommé,
Et pourtant fier, tient mon corps enfermé
Contre l’honneur, le droit, & la raison:
I’ay regretté ce lien de prison
5Tant que i’ay pù, pour n’estre en tel effort:
Mon bras de femme au reste n’est pas fort.
Las, que fais tu, ô Pyrrhus? i’ay crié:
Mon corps sera du lien deslié:
Ie ne suis pas sans homme qui me venge:
10I’ay un signeur dessous qui ie me renge.
Lui trop plus sourd que la mer en tourment,
Quand ie criois, Orestes, hautement,
Par les cheueus m’alloit treinnant chez lui.
Qu’eusse ie plus de malheur & d’ennui,
15Si Sparte estant par bataille conquise,
Ie fusse prinse, & en seruage mise?
Si l’ennemi barbare, & fiert auecques
Mizitre.Venoit rauir les ieunes dames Grecques?
Andromaché ne fut tant malmenee,
20Quand Troye fut par feu Grec ruïnee,
k [2] Mais [p. 148]

Mais si tu as enuers moy quelque amour,
O Orestes, fay moy donc ce bon tour
De me venir recouurer vaillamment,
Qui par droit suis tienne premierement.
25Or respon moy, si ton betail compris
Compa-raison.
En ton étable, estoit robé, & pris
Voudrois tu pas auec puissantes armes
Pour le r’auoir mouuoir guerre, & alarmes?
Mais pour ta femme emmenee, & rauie,
30Seras couard, & creintif de ta vie?
Soit ton beau pere en exemple, & miroir
Qui batailla pour sa femme r’auoir,
Et iustement meut guerre à l’ennemi.
S’il eust esté comme toy endormi,
Helene. 35Auec Paris seroit encor ma mere.
Comme elle fut auant la guerre amere.
Ia ne te faut des grans voiles dresser,
Ni assembler les Grecques bendes toutes,
Vien seulement, rien ne faut que tu doutes.
40Ce nonobstant en ce point & par guerre,
Tu me deurois recouurer, & conquerre.
Car ce n’est chose en un espous blamee,
De conquerir sa femme bien aymee.
Atreus.Quoy? nous auons un mesme ayeul tous deus:
45Quand mon espous ne seroit tu ne peus
Nier que sois mon vray cousin germain.
Comme espous donq vien par ta forte main
Donner [p. 149]
Donner secours à ton espouse ici:
Comme cousin à ta cousine außi.
50C’et double point qui te doit esmouuoir
Pour la raison, à faire ton deuoir.
Tindareus, venerable homme, & sage,
(Tant pour ses meurs, comme à cause de l’aage)
M’a deliuree, & mariee à toy:
Maternel. 55Lui, mon ayeul, eut puissance sur moy:
Mais puis apres mon pere m’a promise
A ce Pyrrhus, qui me tient de main mise:
Et si estoit mon pere ignorant lors
Qu’ußions desia promesses, & accords.
Tynda-reus . 60
Mon ayeul donc, qui d’origine, & race
Est le premier, soit premier d’eficace.
Il est tout seur que quand ie t’epousois,
En ce faisant à nul ie ne suisois:
Et meintenant si femme à Pyrrhus suis,
65En ce faisans ie t’ofense, & te nuis.
Mene-
laüs .
Si croy ie bien mon pere excusera
La notre amour, & le deuoir fera:
Car autrefois il sentit bien les flesches
d’Amour.Du Dieu volant, qui en son cœur fit bresches:
70La forte amour, iusques aus armes prendre,
Qu’il s’est permis, permettra en son gendre.
De cest exemple il faudra que tu t’armes
Qu’il ha ma mere aymee iusqu’aus armes.
Tel est vers moy que mon pere à ma mere:
75Tel est Pyrrhus que Paris l’adultere
k 3 Hoste [p. 150]
Hoste estranger, qui chez nous poursuiuit
Ma mere Heleine, & en fin la rauit.
Quoy que Pyrrhus s’aille vantant sans cesse
Pour les hauts faits, & la grande prouësse
80Du capiteine Achilles, pere sien:
Vanter te peus außi des faits du tien,
Le chef de tous, qui ordre à tout mettoit:
Et dessous qui l’Achilles mesme estoit.
Lui estoit Duc, ton pere chef des Ducs:
85Ton grand ayeul Pelops, puis Tantalus.
Fils Iupiter: si tu as bien nombre,
De Iupiter es cinquieme en degré.
Puis tu n’es pas sans force belliqueuse:
Mais ta vaillance est un peu odieuse,
90Qui as porté armes contre ta mere,
Laquelle auoit trahi de mort ton pere.
Et quel moyen en cela aurois tu?
Ie voudrois bien que ta force, & vertu
En autre lieu meilleur se fust montree:
95L’ocasion n’as quise, ains rencontree.
Or l’as tu donq mise à chef, & parfaite:
Car Egysthus, dont tu fis la deffaite,
Ensanglanta la maison voirement,
Comme ton pere auoit premierement.
100
Pyrrhus m’escrie, & ton loz tourne en blame,
Et ce pendant me veut tenir à femme,
Et me permet le regarder en face.
Le cœur me creue, & l’ire me defface,
Et [p. 151]
Et m’enfle toute en indignacion
105Pleine d’aigreur, & d’inflammacion.
Quelcun deuant Hermione, par ire
O sera il d’Orestes du mal dire?
Ce tems pendant ie n’ay aucune force,
Mais de pleurer seulement il m’est force:
110Et par mes pleurs außi, certeinement,
I’ay de mon ire aucun allegement,
L’eau de mes yeus dessus mon sein s’écoule
Comme un ruisseau, ou un fleuue qui coule:
Ie n’ay que pleurs, de pleurs ma face est pleine,
115Sans cesse issans comme d’une fonteine.
Mais cela est l’arrest, & destinee
A laquelle est notre race ordonnee:
Lequel arrest, & facheuse ordonnance
Iusques à moy court sus, & fait nuisance.
120Nous toutes (las) de Tantalus extraites,
D’efforcemens sommes bien trop sugettes.
Ie n’ecriray du Cigne mensonger,
Ne me plaindray pour Iuppiter charger,
Qui fut caché dessouz plume d’oiseau:
125Mais ie diray que sur un char nouueau,
Et estranger, fut menee, & rauie
Celle qu’on dit la belle Hippodamie:
Au lieu ou est un col de terre grand
(Quon dit Isthmos) deus mers loin separant:
130Et puis Castor & Pollux bataillerent
Heleine.Tant que leur seur d’Athenes ramenerent
k 4 La [p. 152]
La belle Heleine: Heleine encor fut prise
Paris.Du Troyen hoste, & dessus la mer mise.
Pour la rauoir depuis se mit en voye
135L’armee Grecque, allant contre la Troye.
Certes à peine en memoire ie porte:
Mais m’en souuient encore en quelque sorte,
Tout fut rempli de trouble, & pleurs ameres:
L’ayeul pleuroit, la seur, les gemeaus freres:
140Leda prioit d’afeccion extreme
Trestous les Dieus, & son Iupiter mesme.
Lors mes cheueus encor cours, arrachant
(Car i’estois ieune) & bien fort me fachant,
Criois (helas toute pleine d’esmoy)
145Sans moy, ma mere, ah, t’en vas tu sans moy?
(Car son mari alors n’y estoit point)
Or à fin donc qu’on ne doute en nul poinct
Que de Pelops soye extraite à malheur,
Pyrrhus.Ie suis en proye au nouueau conquereur.
150Que plust aus Dieus qu’Achilles regretté,
Eust le dur trait d’Apollo euité:
Cela est seur que de son fils le pere
Reprouueroit ce tort & vitupere:
Car autrefois il n’ut à gré tel cas,
155(Et maintenant encor n’auroit il pas)
De voir lépoux pour son épouse en peine
Qu’on emmenoit par surprise soudeine:
Hermio-ne .
Et à present außi ne lui plairoit
Qu’à Orestes sa femme on tolliroit.
Qu’áyie [p. 153]

Qu’áyie forfait d’auoir les dieus cóntraires?
Quel malin astre empesche mes afaires?
Premier ie fus sans ma mere en bas aage:
Mon pere estoit en guerre en equipage:
Tous deus viuoient, quãd sans tous deus i’estoye.
165Ie ne t’ay point (ô ma mere, & ma ioye)
Entretenue en mon petit babil,
Et à ton col n’ay mis mes petis bras,
Comme enfans font aus mere, pour esbas.
Ie n’ay esté en ton giron, ma mere,
170Comme une charge & plaisante & legere.
Tu n’as point en [sic pour eu] le soin de me parer,
Ny de mon lit nuptial preparer,
Quand ie fus mise en mon nouueau mesnage.
A ton retour m’en allay au riuage
175Au deuant toy, mais tu dois certeine estre
Que ie n’y pù ma mere reconnoitre:
Si pensois bien que tu fusses Heleine,
Quand te voyois de si grand beauté pleine.
Tu demandois laquelle estoit ta fille.
180Tant seulement ce bien, pour des maus mile,
M’es auenu, qu’Orestes m’est espous,
Qui toutefois sans le hazart des coups,
Et si pour soy ne combat, m’est tollu.
Pyrrhus me tient, lequel ie n’ay voulu,
k 5 Es [p. 154]
Et qui ha bien trop audacieus cœur,
Mene-laüs .
Quand mon pere est de retour, & veinqueur.
Voila le bien que la Troye destruite
M’a apporté, que serue suis reduite.
Quand toutefois du Soleil les cheuaus
190Resplendissans, sont montez aus lieus hauts,
Ou ils vous l’ont charié & tiré,
Lors n’est mon cœur tant triste & martiré:
Mais quand la nuict en chambre m’a recluse,
Vrlant, pleingnant, & de douleur confuse,
195Et quand au lict malheureus ie me couche,
Alors au lieu de dormir sur ma couche,
Mes yeus ne font office que de pleurs
Toute la nuict: & entre mes douleurs
Ce mien espous ie fui tant que ie puis.
200Comme ennemi auec lequel ie suis.
En tant de maus souuent perds connoissance:
Et lors, par fois, n’ayant plus souuenance
Des gens & lieus, ce Pyrrhus cy ie touche,
Puis tout soudein me retire en la couche
205Au loin de lui, connoissant qu’ay forfait,
Et pense auoir mes bras souillez de fait.
Assez souuent, cuidant Pyrrhus nommer
Ie nomme Oreste, & puis ie vien aymer
Ce changement, & faute en mon langage,
210En la prenant ainsi qu’un bon presage.
Or ie te iure, en cœur bien douloureus,
Par mon lignage en ce point malheureus,
Et [p. 155]
Et par le chef du lignage, qui tonne, Iuppiter.
Qui terre & mer, & son Ciel mesme estonne,
215Et par les os de ton pere, oncle mien,
Certeinement qui te doiuent ce bien
Qu’ils sont vengez par ta main vaillamment,
Et au tombeau en repos doucement:
Ou ie mourray auant cours de nature,
220Ou ie, qui suis de la progeniture
De Tantalus, seray bien tot, sans plus,
Femme de toy, extrait de Tantalus.
ANNOTACIONS
sur l’epitre de Hermione
à
Orestes.
PYrrhus le fils
d’Achilles renommé,
Ie n’ay esté d’auis de tourner ces deus vers
qui s’enuiuent, & qui
se [lisent] en d’aucuns
liures Latins, comme
superscription.
Alloquor Hermione nuper fratremq; uirumq;
Nunc fratrem, nomen coniugis alter habet.
Soit ton beau pere en exemple & miroir, Qui batailla pour sa femme r’auoir,
Le Poëte entẽd de Menelaüs, oncle paternel
d’Orest
[p. 156]
156
d’Orestes, qui lui estoit aussi sõ Sire,
ou beau-
pere, parce ce q̃
Orestes estoit espous de sa fille.
Quoy? nous auons un mesme ayeul tous deus: Quand mon espous ne seroit tu ne peus Nier que sois mon vray cousin germain.
Le Poëte entẽd Atreus pere de
Menelaüs,
& pourtant ayeul paternel de
Hermione: &
aussi pere
d’Agamemnon, qui engẽdra
Ore-
stes , & pourtãt aussi ayeul
paternel d’Orestes.
Ton grand ayeul Pelops, puis
Tantalus. Fils Iupiter: si tu as bien nombre, De Iupiter es cinquieme en degré.
La raison est, car Iupiter engẽdra Tantalus,
&
Tantalus
Pelops, Pelops
Atreus, Atreus
Agamemnon, & Agamemnon
Orestes.
Comme espous donq vien par ta forte main Donner secours à ton espouse ici: Comme cousin à ta cousine außi:
Le Latin porte,
Frater succure sorori:
Qui vaut à dire, frere donne secours à ta
seur: en quoy le Poëte abusiuemẽt prẽd le nõ
de frere & seur pour cousin & cousine car il
est certein que Hermione et Orestes estoiẽt
enfans des deus freres, à sauoir que Menelaüs
& Agamemnon: cõme aussi les Iuifs apeloiẽt
freres & seurs tous ceus qui estoient d’une
mesme ligne, en quelque degré que ce fust. Qui [p. 157]

Qui as porté armes contre ta mere, Laquelle auoit trahi de mort ton pere.
Orestes tua Clytẽnestre, auec
Egysthus son
paillard, qui auoiẽt tué son pere
Agamemnõ.
Ie ne diray du Cigne
mensonger, Ne me plaindray pour Iuppiter charger.
Iupiter esprins d’amour de Leda
femme de
Tyndarus, & mere d’Heleine, se
mua en Ci-
gne, & vint pondre en son giron
deus eufs,
de l’un desquels ilssirent Castor &
Pollux, &
de l’autre
Heleine &
Clytemnestre.
Mais ie diray que sur un char nouueau, Et estranger, fut menee, & rauie Hors son païs la belle Hippodamie.
Hippodamie fille d’un roy
d’Arcadie qui est
en
Pelopõnese, à present la
Moree, fut rauie
par
Pelops, ayeul de Menelaüs,
& menee au
char dudit Pelops par la trahisõ de
Myrtilus.
Au lieu ou est un col de terre grand (Quon dit Isthmos) deus mers loin separant:
Toute la terre est diuisee en quatre parties:
Premierement en terre
ferme, qui se touche
& tient sans estre diuisee grandemẽt de
mer
ou de fleuues: puis en Isle, qui est terre tota-
lement diuisee par la mer ou par fleuues:
Puis en terre
quasi Isle, autrement dite Cher-
sonesus, qui est
terre en long & large assez
espandue en la mer, mais toutefois
tenant à
terre
[p. 158]
terre ferme. Puis y a Isthmos, qui est un
col de terre
tenant à deus mers: son contraire est
apellé en Latin Fretum, &
Porthmus: qui est un bras
de mer estroit entre deus grandes terres
fer-
mes. Cetui Isthmos dont
Ouide parle, est en
Achaïe, qui depuis ha esté dite
Peloponnese,
à cause de
Pelops qui y regna, & à present la
Moree: & ledit Isthmos separe la vile de
Co-
rynthe d’auec
celle de Megare, entre
les-
quelles y auoit un temple dedié à Neptune.
Et puis Castor & Pollux
bataillerent Tant que leur seur d’Athenes ramenerent.
Heleine seur de Castor &
Pollux, fut pre-
mieremẽt
rauie aus ioutes, ou luites par The
seus, & menee en Athenes. Puis ses freres
l’al
lerent
conquerir, & amenerent auec elle
Ethra, mere de Theseus. Depuis fut
encor
icelle mesme Helene rauie par
Paris, & me-
nee à
Troye.
Que plust aus Dieus qu’Achilles regretté, Eust le dur trait d’Apollo euité.
Paris delacha son arc contre Achilles, & le
tua par le pied au temple
d’Apollo: pour tant
le Poëte appelle le trait
d’Apollo: ou il veut
dire
qu’Apollo fauorisoit à
Paris.

PREFACE SVR
L’EPITRE DE
DEIA-
NIRE A
HER-
CVLES .
*
DIodore ne veut afferme (ce
semble)
qu’il y ayt eu plus de trois Hercules,
mais ceus qui ont
bien cherché & lù, ont
trouué qu’il y en a eu si: dond le cinquie-
me est Indien, qui est nommé
Belus: le sixie-
me est
filz d’Alcmene, & de Iupiter,
tiers de
ce nom, auquel Hercules sixieme sont
attri-
buez les faits des autres. Et fut
engendré en
cette sorte. Iupiter se transforma en
guise
d’Amphitryon, mari
d’Alcmene, & ce pen-
dant que le mari estoit en guerre, coucha
auec icelle
Alcmene l’espace d’une nuit, qu’il
fit furer
autãt que trois, pour en auoir meil-
leur
iouissance: elle pensoit que ce fust son
mari qui fust retourné de la
guerre pour l’ẽ-
bracer. En cete nuit là fut
engendré Hercu-
les , lequel
par Eurystheus Roy de
Mycenes,
fut enuoyé contre les monstres, & à
toutes
choses fortes, & dificiles à faire. Ce que Eu-
rystheus faisoit en faueur,
& par la finesse de
Iuno, à fin que Hercules mourust.
Car Iuno
le
[p. 160]
160
le hayoit comme engendré de son mari en
une autre femme:
& pource lui enuoya les
serpens quand il estoit petit enfant au
ber-
ceau, lesquels il etrangla. Et en tout
& par
tout fut victorieus contre les monstres, mais
non pas
contre les femmes, desquelles il fut
veincu trop vileinement. Car apres
qu’il eut
veincu les monstres & surmõté tous les tra-
uaus qui lui estoient commandez par
Eury-
stheus , il
demoura cinq ans en un mõt d’ Ar-
cadie : puis delaissant Megare fille de
Creon
roy de Thebes,
laquelle il auoit espousee, vint
demander en mariage
Yole fille de Euryte
roy
d’Echalie: & quand elle lui fut refusee,
s’en alla en Etolie, ou il print à femme
Deïa-
nire , fille
d’Oeneus, Roy de Calydon,
& de la
Royne Althee,
Meleager estant ia trespassé.
Mais trois ans
apres s’en alla hors de Calydõ
de facherie
d’auoir tué d’un coup de poing
Eurynõ, ieune enfant son seruiteur: & mena
auec lui sa femme Deianire, & son petit fils
Hyllus, qu’il auoit eu d’elle. Puis quand il fut
venu au fleuue Euenus, trouua
Nessus le cẽ-
taure qui
passoit les gens pour argent, lequel,
quãd il eut porté
Deianire & passee outre le
fleuue, la
voulut forcer: mais elle cria, & re-
quit
l’ayde de son mari Hercules: qui estoit
en l’autre
riuuage: lors Hercules le trauersa
de sa
[p. 161]
161
de sa sagette. Or Nessus sentant blessé
à
mort, & se voulant finemẽt venger proomit à
Deianire de lui bailler une recepte pour
fai
re que Hercules
m’aymeroit iamais autre
femme qu’elle. Si lui dist, & enseigna
qu’elle
baignast en huile, & en son sang qui decou-
loit de sa plaie, la chemise
d’Hercules, & que
s’il la vétoit ainsi, iamais
n’aymeroit autre
femme. Hercules, puis apres se
souuenant
du refus que Euryte lui auoit fait de sa fille
Yole, & s’en voulant vẽger, vint aire guerre
contre les enfans d’Euryte, qui estoient To-
xeus ,
Milio, & Pithius: & auec
l’ayde des
Archadiens, qui l’auoient acompagné au
partir du
mont Pheneus, print d’assaut la
vile
d’Echalie: tua les fils de
Euryte, &
rauit Yole
leur seur. De l’amour de la-
quelle il fut tant
espris & abusé, qu’il endu-
ra sous elle
toutes les choses qu’il auoit pre-
mierement
enduree sous Omphale, Royne de
Lydie, & mena Yole captiue
de l’isle Eu-
boe , à
present Negrepont, au mont
Ceneus,
pour sacrifier aus Dieus pour la victoire.
Et
enuoya secretement Lychas son seruiteur
do
mestique vers
Deianire, qui estoit en la vile
de
Trachine, à fin qu’elle lui baillast l’ha-
bit (soit surpli ou chemise, ou d’autre
sorte)
duquel il auoit acoutumé se vétir quand
l
il fai
[p. 162]
il faisoit sacrifice. Mais Deianire,
ayant su
q̃ son mari
Hercules portoit amitié à
Yole,
& desirant estre la premiere, &
principale
en son amour, bailla au messager ledit habit
qu’elle
auoit trempé en huile, & sang de
Nessus le Centaure, qui lui auoit donné ce
conseil, & Lychas le messager de ce n’en sa-
ouit rien: qui porta l’habit à Hercules, lequel
il
vetit: & incontinent apres le poison entra
petit a petit dens son
corps, & le tourmenta
à merueilles. Cela fut en l’an cinquantedeu-
zieme de son aage. Ainsi surpris de rage
&
de fureur, getta en la mer le poure
Lychas
ignorant du cas: & enuoya
Lycimnius &
Iolaüs en Delphos vers
Apollo, pour auoir
quelque remede à ce
tourment: l’Oracle
commanda qu’on batist une haute tour de
bois au
mont Oita, & du reste que
Iupiter y
pouruoiroit.
Iolaüs & ses gens firent le com-
mandement d’Apollo, se doutans de ce
qui
auiendroit. Hercules en desespoir monta
en
la tour, & le seul Philoctetes en
reconnois-
sance des sagettes q̃
Hercules lui auoit don-
nees,
y mit le feu: & incontinent la foudre
descendit tout à l’enuiron,
qui brula la tour.
Iolaüs et Philoctetes venas puis
apres pour
cueillir les os, n’en trouuerent point. lors
penserent,
& creurent que Hercules estoit
transp
[p. 163]
163
transporté aus cieus. Iuno, à la requeste
&
priere de Iupiter, monta sur son lict, &
pro-
duisit Hercules tout
vetu cõme si elle l’eust
enfanté. Ce que les nacions barbares ont
estimé qu’elle faisoit pour le faire son filz
adoptif: & lui donna
Hebe, sa fille, en ma-
riage. Menetius fils de Actor fit
premier sa-
crifice à
Hercules d’un taureau, cheureau,
& belier.
Mais pour retourner au propos,
Deianire ayant sù le tourmẽt en quoy estoit
son
mari Hercules, pour l’habit empoisonné
qu’elle lui
auoit enuoyé, lui escrit cette epi-
tre:
remontrant premierement le tort qu’il
lui ha fait, & puis apres
declarant son inno-
cence. Les compleintes &
regrets sont repe-
tez souuent, comme de celle qui
delibere de
se pendre. La fin fut telle que de grand dou-
leur & regret du tourment de son mari,
pro-
cedant de par elle (toutefois innocente)
elle
se pendit (cõme Diodore ha escrit) mesme
deuant que Hercules fut mort. Et
Hyllus,
son fils, print
Yole à femme apres la mort
de son pere, &
par son commandement: puis
eut des enfans d’elle. Ceci est
amplement
descrit par le Poëte au neuuieme liure de la
Metamorphose, & comment Hercules fut
deïfié: ce que ie ne recite,
pour cause de
brieueté.

TRADVCCION
DE LA IX. EPITRE
D’OVIDE.
*
Deianire escrit à
Hercules.
[Figure]
La vile ouregnoit
Euryte.
IOyeuse suis qu’Echalie veincue
A notre honneur, entre autres, est venue:
Mais ie me pleins que cil qui la conquit
Se laisse veincre à femme qu’il veinquit.
5
Vn bruit soudein ha couru par la Grece,
Qui est infame, & contre ta prouësse:
Hercules.Que cil lequel Iuno, ne mile maus
Veincre n’ont pù par infinis trauaus:
Yole l’a dessouz le ioug rengé.
Eurist [p. 165]
Eurystheus est ainsi de toy vengé,
Qui ne peut mieus que cela souhaiter:
Iuno.Pareillement la seur de Iuppiter,
Maratre tienne, en doit faire grand feste,
De voir en toy ce vice deshonneste.
15
Tu ne fais pas, qu’ores sois aperçu
Estre le grand, qui pour estre conçu,
N’eut grande assez une seule nuict (voire
Si c’est un cas que lon doiue bien croire.)
Certes Venus plus que Iuno t’a nuit:
Iuno. 20Car cette ci te chargeant iour & nuict
De mil trauaus, t’esleue en grande estime:
Venus.L’autre t’abbat, & sous ses piedz t’oprime.
Auise un peu de toutes parts la terre
Que la mer bluë euironne & enserre,
25Paix vient de toy, qui en terre est logee:
Toute la mer est à toy obligee.
De tes biensfaits, & vertus acomplies,
Les deux maisons du soleil as remplies.
Le ciel, lequel apres ce monde ci
30Te portera, tu as porté außi.
Hercules fort d’espaules, & de bras,
Astres, & ciel soutint apres Atlas.
Qu’as tu gaigné sinon faire connoitre
Ton deshonneur, & par tout aparoitre,
35Si tu conioints ta paillardise infame
Aus premiers faits, plein de loz, & de fame?
N’est ce pas toy qu’on dit auoir bien fort
l 3 Dens [p. 166]
Dens ton berceau pressez iusqu’à la mort
Les deux serpens? chose grande, & insine,
40Ia te montrant de Iuppiter filz dine.
Tu commenças trop mieus que tu n’acheues.
Les premiers faits, dond en loz tu t’esleues,
Estoient plus grans que ne sont les derniers:
Les derniers sont moindres que les premiers,
45Qui t’esleuoient en honneur trionfant:
Cet homme est bien autre que lui enfant.
Celui lequel meinte beste cruelle,
Iuno deesse ennemie mortelle,
Ni Eurysteus Roy plein de malueillance,
50Rendre veincu, dont ils sont pleins de honte,
Le seul amour meintenant le surmonte.
Obiecciõ.
Mais on me dit que suis bien renommee,
Quand d’Hercules ie suis femme nommee:
Iupiter.Qui pour beau pere ay cil qui là sus tonne
55Par ses cheuaus, ausquelz la course il donne.
Comme les beufs diuers de taille ou d’aage,
Ne font bien ioints ensemble au labourage,
Ainsi la femme est mal appariee,
A un mari plus hautein mariee.
60Ce n’est honneur que l’estat ou noblesse,
Mais c’est labeur, quand elle charge & blesse
Celui qui vient s’y ioindre, & atacher.
Quelconque femme appete de chercher
Vn bon parti, qu’elle son pareil quiere.
Mon [p. 167]
Mon mari est tousiours de moy arriere:
Ie connoy mieus l’estranger qu’on rencontre,
Que mon mari qui bataille alencontre
Des monstres forts, & des horribles bestes.
Moy poure vesue en prieres honnestes
70Dens ma maison toute seule adonnee,
Suis en grand peine, & tousiours malmenee
De pensemns que mon mari ne meure
Par monstres forts, qu’il poursuit à toute heure.
Entre Lions, qui quierent à repaitre,
75Entre Sangliers & Serpens ie pense estre:
Ie voy les chiens acharnez dessus lui,
Meint songe vein me trouble, & donne ennui,
Foye & poulmon qu’es bestes on regarde,
Et tout cela ou de nuict lon prend garde.
80
Moy malheureuse enquier de tout le monde
Quel bruit de toy y court tout à la ronde:
De toy ne puis sauoir rien de certein:
Doute est chaßé par l’espoir incertein,
Et puis l’espoir est chaßé par le doute.
85Nul n’est ici de ta parenté toute:
Ta mere est loin, laquelle est desplaisante
Qu’à Iuppiter elle fut onq plaisante.
Amphitryon ton pere, n’est ici
Hyllus.Auecques moy, ni notre fils außi.
90Eurstheus seul ie sens en moy sans cesse,
L’executeur du tort de la deesse,
Et de son ire inique encontre toy,
l 4 Et [p. 168]
Et laquelle ire est trop longue pour moy.
Or ce m’est peu que tout cela ie porte,
95Mais loin de moy ton amour se transporte,
O Hercules, & peult chacune femme
Estre de toy enceinte par diffame.
Ie ne vueil point ici dire comment
Augé tu pris auec efforcement,
100Dedens un val qui est en Archadie,
Ni qu’engrossas la Nymphe Astydamie,
Ni acuser tes impudiques meurs
D’auoir forcé cinquante filles seurs,
Sans qu’une seul ait esté delaissee
105Qui de par toy n’ait esté embrassee:
Mais seulement, pour ton forfait recent,
D’un cas bien laid, & à toy non decent,
Omphale.D’une putein faut que ie parle & die,
Dont suis maratre à Lamus de Lydie.
110
Meandre fleuue, en une mesme terre
Qui vire fort (l’eau ne prend droit son erre
Aint bien souuent la reçoit & repoulse)
A veu orné en femme molle, & douce
Hercules fort: son col, qui les hauts cieus
115Trouua legers, eut carquan precieus:
Et d’enchainer il n’a eu honte encor
Ses puissans bras auec bracelets d’or,
Ni de parer ses membres vertueus
De diamans, & rubis somptueus,
120Et autrefois fut sous ces puissans bras
Le [p. 169]
Le fort Lion de Nemee mis bas:
La peau duquel cil qui en fut le maitre
Porte sur soy à son coté senestre.
Tu as osé ta perruque aspre & forte,
125D’un ruben peint lier tout en la sorte
Que fille ou femme: Or auec blanc Peuplier
Conuenoit mieus à toy de la lier.
Nulle honte as d’auoir en ta luxure
Ceint le tien corps d’impuqieu ceinture
130A la façon d’une femme eshontee:
A ton esprit ne s’est representee
Aucunement, la personne, ou figure
DiomedesRoy de
Thrace.
Du fauz tyran, plein de cruauté dure,
Qui fit manger les gens à ses cheuaus:
135En cet habit, auquel tant peu tu vaus,
Si Busiris t’eust vù, n’en eut fait conte:
De toy veinqueur lui veincu eust eu honte.
Et Anteüs les rubens de ton col
Arracheroit, pour souz tel homme mol,
140Et femenin, ne demourer soumis
En deshonneur, & estre à la mort mis.
On dit de toy qu’entre Ioniques filles,
Portes panier, & qu’entre elles tu files,
Creingnant, ainsi qu’une simple chambriere,
145D’estre batu de ta maitresse fiere.
O Hercules, n’as tu point de vergoingne
De ta main mettre à si basse besongne,
Qui autrefois par tes faits tant notoires
l 5 Fut [p. 170]
Fut apliquee à si hautes victoires?
150De ton gros doigt, qui est fort & robuste,
Tu vas filant, & rens conte au pois iuste
De ta fusee au pris de ta filace
A ta maitresse ayant beauté de face.
Ha quant fuseaus, qu’en filant tu tordois,
155Tu as rompus de tes gros & forts doigs?
On dit de toy, malheureus hebeté,
Que trop creignant d’estre bien fouëté
De ta maitresse, as tremblé à ses pieds.
Toy desarmé tes faits tant publiez
160Lui racontas, que taire tu deuois:
C’estasauoir qu’estranglé tu auois
Les serpẽsLes longs Serpens, lesquelz en ton enfance
Entre tes mains pressas à grand puissance,
Quãd de leur queuë ils faisoiẽt des tours maints
165Tout alentour de tes petites mains.
Tu racontas que git mort puis apres
En Erymanthe, ou croissent les Cypres,
Le grandSanglier.
Le grand Sanglier, dont la pesante charge,
Fache la terre, & trop la presse, & charge.
Diomed. 170
Diomedes außi tu n’as point tù,
Duquel la teste au croc de fer pointu
Tu as plantee en sa maison de Thrace:
Ni ses cheuaus, & meinte iument grasse
De l’humain sang, tu n’as tù außi bien:
175
Ni Gerion, Gerion. triple monstre, combien
Que tous les trois faisoient un corps unique,
Ger [p. 171]
Gerion riche en betail Hispanique:
Cerberus.Ni Cerberus, la tres horrible beste,
Qui en un corps eut außi triple teste,
180Auec serpens en son col enlassez,
Qui de siffler n’estoient iamais lassez.
l’Idre, ser-
pẽt à cens
testes.
Ni le serpent taire tu n’as voulu
Qui de son damp, & perte ha mieus valu:
Car en perdant une teste abatue
185Deus lui venoient pour la teste perdue:
Anteus.
Ne cil lequel, perdant terre, & son estre,
Tu suffoquas entre ton bras senestre
Et ton bras droit, grand Geant pesant & fort,
Qui te sentit encor estre plus fort.
Les Cen-taures. 190
Puis tu n’as tù les Centaures diformes,
Mal se fiant en leurs corps de deus formes,
Et en leurs piedz: dont la troupe orde, & sale
Tu dechassas hors des monts de Thessale.
Peus tu conter, ces hauts faits de vertu,
195Toy delicat d’escarlate vétu?
Et ne veut point ta langue honnestement
Se retenir pour ton mol vétement?
Mais, qui plus est, ta dame trop aymee
S’est deuant toy de ton armure armee,
200Et ha porté cette belle despouille
De son captif, qui en l’amour se fouille.
Ironie.
Or meintenant sois fier, & haut de cœur,
Va raconter les faits de toy veinqueur.
Ce qu’à bon droit tu ne serois, en somme,
Certe [p. 172]
Certeinement elle se montra homme:
A laquelle est inferieur d’autant
Que ton haut cœur, lequel eut de loz tant,
C’estoit bien plus à toy de surmonter
Que monstres forts que tu as pu donter.
210A elle vient de tous tes faits l’honneur:
Sors de tes biens: le fruit & le bon heur
Ta dame prend de toute ta louenge.
O deshonneur, & vilein cas estrange!
Omphale.Sur son coté ta dame ha atachée
215La dure peau du Lion arrachee
Tu es deçu, sans entendre cela,
Du Lion n’est cette despouille là,
Mais c’est la tienne, &, à ce que ie voy,
Le fort Lion, veinquis, & elle toy.
De l’Hy-
dre. 220
Les traits plongez dans le sang du serpent
La femme porte, & son coté pend,
Qui sa quenoille, estant chargee, & pleine,
Ne peult porter quasi que bien à peine:
Et est sa main de la massue armee,
225Qui ha souuent meinte beste assommee:
Et si ha vù, & ha fait aparoir
De son mari les harnois au miroir.
Ces cas i’auois ouï tant seulement,
Et pouuois bien ne croire entierement
230Tout ce bruit là, qui de bien loin prouient:
Mais de l’oreille à l’œil mon mal s’en vient,
Et ma douleur trop facheuse, & amere:
Lon [p. 173]
Lon me fait voir la paillarde étrangere,
Que lon m’ameine ici deuant mes yeus:
235Et ie ne puis un cas tant odieus
Dißimuler, ni ma douleur tresforte:
Tu me permets encor qu’on la transporte:
Meintenant vient, & deuant tous arriue
Yole.(Qu’il me faut voir mal gré moy) la captiue:
240Et ne vient point en triste estat, ainsi
Comme captifs, pleins de dueil, & souci,
De leur fortune aportans témoignage,
En abaissant, & cachant leur visage.
Elle se marche esleuee, & pompeuse,
245Luisante en or, & robbe precieuse.
En tel estat comme tu mesmement
Fus en Phrygie orné trop mollement:
Son œil hautein sur le peuple elle gette,
Non pas ainsi que captiue, ou sugette,
250Mais comme dame en son trionfe heureuse:
On penseroit qu’elle est victorieuse
D’Hercules preus, & mieus ne pourroit estre
Si son païs, & pere estoient en estre.
Parauenture außi que Deianire
255Sera laissee, & dechassee en ire
Par Hercules, & cette amie infame
Ne sera plus s’amie, mais sa femme.
Hymen, qui est le Dieu de mariage,
Conioindra donq par un trop laid usage
260Les corps vilains de l’Eurytide Yole
Et [p. 174]
Et d’Hercules, plein de pensee fole.
Ie pers l’esprit touchant ce pensement:
Dessous moy court froideur, & tremblement,
Et puis ma main paresseuse, & pesante,
265En mon giron repose languissante.
Entre plusieurs certes tu m’as aymee,
Mais par honneur, & bonne renommee:
Ne te repens de m’aymer par vertu,
Tu as pour moy par deus fois combatu.
Pachico-lam . 270
Acheloüs cueillit sa corne route,
Dens son eau roide, en pleurant, puis en doute
Cacha dedens sa teste bien frotee.
Et de sn sang cheualin l’eau gáta
Lors que ton trait venimeus le tua.
275
Mais que me sert ainsi mettre en auant
Tous ces propos? puis, qu’en te rescriuant
Le bruit accourt, qu’en trop mortelle peine
Est mon mari par la poison vileine
De la chemise enuoyee par moy?
280
Ha, qu’áy ie fait? & iusqu’à quel esinoy,
Iusqu’à quel point m’a reduite, & rengee
L’amour ialouze à tout malheur forgee?
Que doutes tu cruelle Deianire
Presentement la dure more eslire?
285
Le tien espous mourra il en tourment
Au mont Oita, tresmiserablement:
Et tu viuras toy cause du malheur,
Lui [p. 175]
Lui estant mort en tresápre douleur?
Et puis quel porte onques témoignage
290Qu’à Hercules suis iointe en mariage?
Le témoignage en sera par ma mort.
Regrets de
Deianire.
O Meleagre, O mon frere ia mort,
Tu connoitras assez tot, pour le seur,
Que par ma mort außi ie suis ta seur.
295
Que doutes tu cruelle Deianire
Presentement la dure mort eslire?
O! ma maison malheureuse, & ma race,
Haut esleuee, & puis par malheur basse!
Oeneus.De ses enfans mon pere est delaißé,
300Et de vieillesse il est ia tout caßé.
Tydeus mon frere hors son païs errant,
S’en va bien loin terre estrange querant.
Meleagre.L’autre fut vif auec feu fatal né:
Althee.Ma mere s’est le coup morel donné.
305
Que doutes tu cruelle Deianire
Presentement la dure mort eslire?
Par la loy ceinte en mariage enclose,
Ie pry n’auienne onq cette seule chose
De m’estimer qu’expres t’ay fait ce tort
310Pour te distraire en te mettant à mort.
Nessus.
Quand de Nessus le cœur d’amour preßé,
Fut de ton trait roidement trauersé
Lors il me dit (en me iouant faus tour)
Mon sang coulant peut attraire l’amour:
315Voilà pourquoy l’abit ie t’ay transmis,
Que [p. 176]
Que dens ce sang, trop venimeus, i’ay mis.
Que doutes tu cruelle Deianire
Presentement la dure mort eslire?
Eneus.Or adieu donq mon pere en ton vieil aage:
Gorge. 320Adieu ma seur, & adieu d’auantage
Tydeus.Le mien païs, & mon frere, lointein
De mon païs, errant & incertein.
Adieu außi, o iournee derniere,
Et à mes yeus la derniere lumire:
Hercules. 325Adieu mari qui du mal que te fis
Sauuer te vueille: Adieu Hyllus mon fils.
ANNOTACIONS
sur la precedente Epitre de
Deianire à Hercules.
*
Paix vient de toy, qui en terre est logee: Toute la mer est à toy obligee.
Le Poëte dit ceci pour raison des mõstres,
& des brigãs, &
tyrãs q̃
Hercules auoit tué.
Hercules fort d’espaules, & de bras, Astres, & ciel soutint apres Atlas.
C’est une ficcion qui ha pris son ocasion
de ce que
Hercules fut Astrologue, & en
science
[p. 177]
177
science d’Astrologie succeda à
Atlas.
Ie ne vueil point ici dire comment Augé tu pris auec efforcement,
Augé fut fille de Alesus roy
d’Archadie,
qui eut de
Hercules un fils qui fut nõmé Te-
lephus , par ce qu’il auoit
esté nourri d’une
cerue, que les Grecs apellent Elaphos.
Ni qu’engroissas
la Nymphe Astydamie,
Astydamie, fut fille du Roy
Ormenus, qui
la refusa bailler à femme à
Hercules, sachãt
qu’il auoit Deianire;
Hercules irrité de ce,
lui fit guerre,
print sa vile, le tua, & rauit &
depucella
Astydamie, de laquelle il eut un
fils
nommé Ctesippe.
Et puis des seurs au nombre de
ciquante [sic pour cinquante].
quante filles de
Thepsis Athenien, lesquelles
il engrossa
toutes, chacune d’un fils, qui furẽt
nommez les Thespiades: &
le croyez.
D’une putein faut que ie parle & die, Dont suis maratre à Lamus de
Lydie.
Le poëte dit ceci de Omphale, royne de
Meonie, & Lydie, que
Hercules ayma tant
qu’il se rendit fort
suget à elle: sous laquelle
il endura les mesmes choses qu’il fit
depuis
sous Yole: de ladite
Omphale il eut un fils
nommé
Lamus, duquel Deianire se
dit estre
maratre.

Or auec blanc peuplier Conuenoit mieus à toy de la lier.
Peuplier est un grand arbre, croissant pres
des eaus: dont il y en
ha de deus sortes, c’est
à sauoir qui ont les fueilles blanches,
& d’au
tres les ont
noires.
A ton esprit ne s’est representee Aucunement la personne ou figure Du fauz tyran, plein de cruauté dure, Qui fit manger les gens à ses cheuaus.
Le Poëte recite les faits cheualeureus de
Hercules, dont la souuenance lui deuroit
fai
re honte,
& le retirer de ses laschetez & pail[]
lardises
infames. Par ce tyran est entendu
Diomedes, Roy de Thrace, qui
faisoit man-
ger à ces cheuaus les gens qui
passoient par
son païs: mais Hercules le fit
mourir de pa-
reille mort.
En cet habit, auquel tant peu tu vaus, Si Busiris t’eust vù, n’en eut fait
conte: De toy veinqueur lui veincu eust eu honte.
Busiris estoit Roy d’Egypte,
que Thrasius
enseigna tuer en sacrifice les
estrãgers, pour
faise auoir l’eau au païs plein de
seicheresse:
lequel Trasius fut premier tué
pour expe-
rience de son conseil: & comme
Busiris en
vouloit autant faire à
Hercules, Hercules le
tua lui mesme.

Et Anteüs les rubens de ton col Arracheroit, pour souz tel homme mol, Et femenin, ne demourer soumis En deshonneur, & estre à la mort mis.
Anteüs estot un geant de
Lybie, grand
luicteur, que
Hercules suffoqua.
On dit de toy qu’entre Ioniques filles, Portes panier, & qu’entre elles tu files,
Ionie est une contree pres de
Meonie, &
pres du fleuue
Meandre, en laquelle sont
Ephese & Smyrne,
viles, & le fleuue Caistre.
En ce païs
là estoit Hercules auec la Royne
Omphale, qui le faisoit filer
& porter le pa-
nier comme une
chambriere.
Tu renz conte au pois iuste De ta fusee au pris de ta filace A ta maitresse ayant beauté de face.
Le Poëte veut dire que la grande beauté de
la Royne
Omphale, rendoit Hercules
si be-
ste & si suget.
Tu racontas que git mort puis apres En Erymanthe, ou croissent les Cypres, Le grand Sanglier.
Erimanthe est le mont
d’Arcadie, ou
Her-
cules tua le grand Sanglier qui gastoit
toute
la contree.
Puis tu n’as tù les Centaures diformes, Mal se fiant en leurs corps de deus formes.
m 2
Les
[p. 180]
180
Les Centaures estoient monstres, en
Thes-
salie ,
demi hommes & demi cheuaus,
les-
quels Hercules deffit
en troupe, tuant une
partie, & chassant l’autre.
Lon me fait voir la paillarde étrangere, Que lon m’ameine ici deuant mes yeus: Et ie ne puis un cas tant odieus Dißimuler.
Le Poëte apres auoir long tems parlé
d’Omphale,
parle meintenant en cet endroit
d’Yole, la
derniere femme que Hercules ay-
ma,
retournant à son premier propos, &
com
mencement de
l’epitre. Pendant qu’ Hercu-
les
estoit ainsi efeminé & abusé en l’amour
d’icelle Yole, Deianire lui
enuoya la chemise
empoisonnee, n’y pensant autre mal, sinon
qu’elle eust la vertu de retirer Hercules de
l’amour de l’autre,
cõme faussemẽt lui auoit
donné entendre le Centaure
Nessus. Voyez
la Preface de la presente
epitre de Deianire.
I’ay escrit
Yole par Y, pour le diuiser d’auec
o, à
fin que lon ne lise Iole par deus syllabes,
comme lon fait Ioram &
Ioseph: ce qui
cor-
romproit le vers.
Acheloüs cueillit sa corne route, Dens son eau roide, en pleurant, puis en doute Cacha dedens sa teste bien frotee.
Acheloüs fleuue d’Acarnanie,
non loin
d’Etolie
[p. 181]
181
d’Etolie, ou
estoit la ville de Calydon, com-
batant contre Hercules pour
Deianire, se
mua en serpent, puis en
taureau, à qui Hercu
les
rompit la corne: & le croyez ainsi.
Le tien espous mourra il en tourment Au mont Oita, tresmiserablement?
Oita est une montaigne entre
Thessalie,
&
Achaïe, sur laquelle
Hercules se fit bru-
ler, pour finir le tourment que la chemise
empoisonnee lui donnoit.
I’ay escrit ledit
nom de montagne par la diphtongue oi,
que
nous François auons prinse des Grecs
ou que les Grecs ont prinse de
nous, & que
nous prononçons selon leur ancienne, &
vraye prononciacion qu’ils prononçoyent la
diphtongue omicron iota:
combien que
les modernes Grecs, pour la plus grãde part,
proferent ladite diphtongue par i, simple.
Ainsi donq ie pronõce
Oita, comme croitre,
voir, voisin, oison, toisõ, loisir, ioye: ce
qui est
bien plus propre & naturel à notre langue,
que de
le mettre par la diphtongue œ,
comme font les Latins, qui n’ont pas
la diph-
tongue oi, comme nous, & nous
aussi n’a-
uons pas la diphtongue œ, comme
eus, au
moins qui nous soit propre.
O Meleagre, O mon frere ia mort, Tu connoitras assez tot, pour le seur,
182
Que par ma mort außi ie suis ta seur.
Le Poëte veut dire que comme Meleagre
est mort pour l’amour qu’il portoit à Ata-
lante , aussi Deianire mourra pour l’amour
qu’elle porte à Hercules: & par ce fait de-
montrera qu’elle est sa femme, l’aymant
iusques au mourir.
Tydeus mon frere hors son païs errant, S’en va bien loin terre estrange querant.
Tydeus estoit ainsi fugitif, pource qu’il
auoit
tué, sans y penser, son frere Mena-
lippus .
L’autre fut vif auec feu fatal né.
vit les Deesses fatales mettre au feu un tison
ardent, en disant, O enfant,
tu viuras tant que
ce tison durera: lors sa mere retira du feu
ce tison, & le garda: puis en fin, par
vengeance, le mit au
feu: &
ainsi mourut Meleagre.
Voyez
le huitie-
me liure de la
Metamor-
phose.

PREFACE SVR
L’EPITRE D’ARIADNE
A
THESEVS.
*
MInos roy de
Crete, à present
Candie,
fils de Iupiter
& d’Europa, fit guerre
contre les Atheniens,
pource qu’ilz auoient
par trahison occis son filz
Angrogeus: Et
apres plusieurs grans batailles
les contrein-
gnit que tous les ans pour punicion
ils en-
uoyeroient sept ieunes filz, & sept
filles pu-
celles en Crete,
pour estre deuorez du Mi-
notaure, que
Pasiphae, femme de Minos,
auoit engẽdré, couuerte du taureau par l’art
& subtilité de
Dedalus, lors que son mari
estoit en guerre
contre les Atheniens. Or
auint que le sort des Atheniens tomba sur
Theseus, comme nous auons dit en la
Pre-
face de l’Epistre de
Phedra à
Hippolit: & alla
en
Crete pour estre deuoré par le
Minotau-
re. Mais Ariadne estant
esprise de sa beau-
té, & bonne grace,
l’auertit, & lui donna le
moyen commẽt il occiroit le Minotaure,
&
comment il eschaperoit, & sortiroit du
labi-
rynthe, Ainsi Theseus s’en retourna
victo-
rieus, & departant de
Crete de nuict
secrette
m 4
ment
[p. 184]
184
ment
auec Ariadne, &
Phedra sa seur, s’en
vint prendre port en
l’Isle dite autrefois Die,
& puis apres dite
Naxos, & à present
Nicsie:
ou il eut auertissement de
Bacchus, de laisser
Ariadne, & pour cause de creinte d’aller
con
tre la volonté
de Bacchus, laissa Ariadne en
cette Isle endormie parfondement: & sans
elle s’en retourna en son
païs. Elle à son ré-
ueil se voyant seule, &
ainsi laschement de-
laissee par
Theseus, lui escriuit cette Epitre
suiuante,
comme le Poëte feint. Par laquelle
elle l’acuse de cruauté, trahison,
& ingrati-
tude. Et en fin apres plusieurs
regretz & cõ-
pleintes, le prie de reuirer son
nauire, & faire
voile vers elle pour l’accueillir & repren-
dre. La fin fut telle que
Theseus ne retourna
point la querir, mais
Bacchus la trouua en
cette isle, & la
print pour femme, & la trans-
porta aus cieus
auec sa couronne: & ha esté
transmuee en sine qui s’apelle Couronne. Le
Poëte descrit bien sa transmutacion au
premier liure de l’art d’aymer
& au tiers des Fastes, & au
huitieme de
la Me-
tamorpho-
se.

TRADVCCION
DE LA X. EPITRE
D’OVIDE.
*
Ariadne escrit à Theseus.
[Figure]
EN toute beste ay trouué amitié
Trop plus qu’en toy, qui n’as nulle pitié.
Il ne pouuois estre, certeinement,
Pis qu’auec toy, ô plein de faus serment.
5Ce que tu lis, Theseus, i’enuoye à toy,
Du port duquel tu departis sans moy:
Ou m’a trahi & trop deçu mon somme,
Et toy, qui bien y auisois, faus homme.
C’estoit au tems auquel premier la terre
m 5 Boit [p. 186]
Boit la rosee außi clere que verre,
Et que dessus les vert fueillus rameaus
Chantent cachez les beaus petis oiseaus.
Ie ne say pas si lors i’estois veillante,
Ou du sommeil encor toute pesante,
15Quand i’estendois dedens le lict mes bras
Cherchant Theseus, mais il n’y estoit pas:
Parquoy mes mains deuers moy retiroye
Et puis apres encor les auançoye.
Deus ou trois ie tátay de tout point
20Dedens le lict, Theseus n’y estoit point.
Creinte chassa le sommeil loin de moy.
Lors me leuay toute pleine d’esmoy,
Sautant du lict assez habilement,
Auquel Theseus n’y estoit nullement.
25Soudein ie fy ma poitrine sonner
De coups de poing que ie me vins donner:
Et comme estoient mes cheueus mal en ordre:
Par despit vins les arracher & tordre:
A la clarté de la Lune luisant
30Si verray rien qu’arene, vais visant:
Mon œil ne voit qu’arene, & que riuage.
Puis ça puis là ie cours sans meintien sage.
L’arene haute, à mes piedz trop durette,
Tardoit les pas de moy ieune fillette.
35Ainsi à moy, qui par toute la riue
Criois, Theseus, auec son de voix viue,
Les creus rochers, par leur trespiteus son,
Raport [p. 187]
Raportoient lors & redisoient ton nom.
Tant de fois donq que t’apeloit ma voix,
40Le lieu außi t’apeloit tant de fois:
Ce lieu vouloit se montrer secourable,
En respondant à moy tant miserable.
Vn mont y eut auquel peu d’arbres croissent,
Et au sommet bien clers y aparoissent,
45C’est un Rocher en pendant meintenant,
Que flot de mer auec bruit va minant:
Ie montay là (le courage m’aydoit:)
Estant là sus, ma vuë s’estendoit
Bien loin sur mer, & vis ta nef lointeine,
50D’un vent singlant ie vy ta voile pleine:
(Des vens cruelz me suis seruie außi:)
Ou ie la vy, ou me semblant ainsi,
Ie deuins toute außi froide que glace,
Et demouray demi morte en la place.
55Mais le grand dueil, & la douleur puissante,
Ne me tint pas trop long tems languissante:
Ce dueil m’excite, il m’excite, & m’emhorte
Crier, Theseus, tant que puis à voix forte:
Ou t’enfui tu (ie m’escrie) reuire:
60O faus Theseus, remaine ton nauire:
Car il n’a pas son nombre entier & plein.
Ainsi criois apres toy bien à plein,
Et ne pouuant tousiours crier bien haut,
Ie viens supplir de ma voix le defaut
65A coups de poing, dont ie frappois sans cesse
Mon [p. 188]
Mon estomac, & cœur plein de tristesse.
A brief parler, en cette destresse ample,
Mes maus & mots estoient meslez ensemble.
Et puis encor haussant en l’air mes mains,
70Et les batant te fy des sines meints,
Afin que si tu n’usses pù m’entendre,
Tu m’usses vù les mains debatre & tendre:
Et si pendi à un baton bien long
Vn linge blanc, t’amonnestant adonq
75Qu’estois laissee en ce lieu despouruuë:
Puis tot apres ie te perdu de vuë.
Lors ie pleuray (ia du precedent dueil
Ma tendre ioue estoit lasse, & mon œil.)
Mais que pouuoient mes yeus alors mieus faire
80Que de pleurer en ce lieu solitaire,
Puis que desia tes voiles estendues
Estoient bien loin de mon regard perdues?
Ou ça, & là courant m’en suis allee,
Toute seulette, & toute escheuelee,
85Ainsi que fait la Bacchante à sa guise,
Quand de fureur Bacchique elle est surprise:
Ou froidement sur un roc m’en vins seoir
Pour la grand mer mieus contempler & voir:
COmme mon siege estoit de pierre froide,
90Pierre ie fus aßise en pierre roide.
Vers notre lict souuent aller ie veus.
Qui nous deus eut, mais n’en put rendre deus.
Mieus ie ne puis que marcher en tes pas,
Au [p. 189]
Au lieu de toy, qui auec moy n’es pas:
95Et que baiser le linge ou ie couchois,
Toute moite encor de toy, qui me touchois.
Dessus le lict ie me baisse, & m’abouche:
Puis de mes pleurs estant pleine la couche,
Lui vais criant, deus y auons couché,
100Rens en donq deus: ou est l’autre caché?
Nous sommes deus venu coucher ici,
Pourquoy donc deus n’en retournons außi?
O lict pariure, ingrat, plein de cautelle,
La plus grand part de nous, las, ou est elle?
105
Ha, que feráy ie? Et seulette ou iráy ie?
Rien n’est ici qui mon grand dueil allege:
L’isle est deserte, & ny voy nul ouurage
De gens, ou beufs, propres au labourage.
De toutes pars on voit le bout de terre,
110Et l’eau de mer qui l’enuironne & serre:
Nul nautonnier n’appert en mer hauteine,
Ne nulle nef tient ci voye incertaine
Combien que i’usse ores propices vens
Pour nauiguer, & de nauz & des gens
115(Pren qu’ainsi soit) mais ou pourrois ie tendre?
En mon païs ne pourrois terre prendre:
Car tu peus bien facilement sauoir
Que ne me veut mon pere receuoir.
Quoy qu’à souhait i’eusse la mer bonace,
120Et qu’Eolus retinst des vens l’audace,
Hors mon païs tousiours serois vagante.
O Crete [p. 190]

O Crete belle, en cent bourgs abondante,
Ou Iuppiter fut nourris, desormais,
Pour mon forfait, ne te verray iamais:
125Car i’ay trahi mon païs & mon pere,
Le iuste Roy (double chose bien chere)
Quand, ô Theseus, le fil pour sauf conduit
Ie te baillay, qui sans mal t’a conduit
Dens le tortu labirynthe & obscur:
130Quand me disois, par le danger tresdur
Auquel ie suis, ie ure en la main tienne,
Tant que viurons nous deus, tu seras mienne.
Or nous viuons, & tienne ne suis point:
Si femme vit, estant en ce dur poinct
135Enseuelie en trahison maudite
De son mari, & en tous maus confite.
Que pleust aus Dieus quãd ta main fut armee
De la massue, ainsi m’ust assomee
(O desloyal, & menteur faussement)
140Comme mon frere assommas lourdement.
Au moins la foy que tu m’auois promise
Fust par ma mort bien tot à sa fin mise.
Or meintenant non seulement ie pense
Quels maus i’auray, mais mon esprit pourpense
145Tous les grans maus de Fortune insensee
Que peut soufrir la femme delaisse:
A mon esprit se presentent cent formes
De dure mort, terriblement diformes:
Et moindres maus ha la mort corporelle
Que [p. 191]
Que la doutance, & atente d’icelle.
Ie doute ia que tot les loups courront
D’ici, de là, que me deuoreront
Auec leur dent rauissante, & habile.
Parauanture encores que cette isle
155Nourrit ici non seulement des loups,
Mais tygres fiers, auec des lions rous:
Et puis on dit que la mer aus riuages
Gette souuent de grans phouques sauuages.
Et qui pourra me garentir außi
160De receuoir maints coups d’espee ici?
Il ne m’en chaut, mais que tant seulement
Serue ne sois, liee estroitement
De grosse corde, ou de cheine pesante:
Mais que ne sois comme poure seruante
165Filant la laine en grand sugeccion,
Qui noble suis de generacion,
Qui le Roy Minos ay pour mon pere.
Pasiphaë.Et puis la fille à Phebus pour ma mere:
Et (ce qui est encores d’auantage)
170Qui t’ay promis la foy de mariage.
Sur terre ou mer si ie gette ma vuë,
Ou sur la riue, ayant grand’ estendue,
Terres & mers me font de grans menaces:
Le ciel restant, ie crein des Dieus les faces
175Aus yeus mortelz aportans frayeur grande.
Ie suis laissee en proye, & en viande
A toute beste en ce facheus destour.
Bien [p. 192]

Bien qu’il y eust des gens ci alentour,
Aus [estrangers] ne puis aiouter foy,
180Qui sis desia trop deçuë par toy.
Ha, plust aus Dieus qu’Androgeüs mon frere
Fust en ce monde, & en vie prospere,
Et n’ust esté, ô Athenes, defait,
Qui mort des tiens soufriz pour ce forfait:
185Et ta massue, ô Theseus, de neuds pleine
Minotau-re.
N’ust l’homme & beuf assommé en grãd peine:
Et que le fil baillé ne t’usse pas:
Pour te conduire au retour pas à pas:
Fil bien souuent de main en main tiré,
Le labi-rynthe. 190
Quand du chemin tortu t’es retiré.
Ie ne suis point certes emerueillee
Que deuers toy la victoire est allee,
Et que tu as l’homme, & beuf mis à mort:
Ton estomac de fer bien dur & fort
195Ne pouuois pas par la corne estre ouuert.
Combien que tu n’usses esté couuert,
Si auois tu assez pour ta defense
De ton cœur dur & de grant resistence:
Là tu as mis aïmans, & caillous:
En toncœur. 200
Là dedens as un Theseus passant tous
Caillous tresdurs en force, & en durté.
O faus dormir, & plein de cruauté,
Qui m’as tenue ainsi pesante! mais
Ie deuois estre assopie à iamais
205Du long sommeil de l’eternelle nuict.
O vens [p. 193]
O vents cruelz, prompts à ce qui me nuit,
Et à me faire en dueil, & pleurs confire!
O main cruelle, ayant voulu occire
Minotau-re.
Mon frere, & moy! O foy par trop cruelle
210Qui ha le nom, & non l’efect en elle,
Laquelle foy t’ay donnee à fiance
A ta requeste, & à ta grande instance.
Contre moy femme, ont trois choses en somme
Trop conspiré, la foy, le vent, le somme.
215Ie ne verray donq point la larme amere,
(Quand ie mourray) de ma piteuse mere:
Et ie n’auray nul parent en ces lieus,
Qui de ses doigs viendra clorre mes yeus.
En l’air estrange, & region facheuse
220S’en volera mon ame malheureuse:
Et nul parent ou ami ne viendra,
Qui de mon corps mort auec sa main oindra:
Mes les oiseaus de la mer voleront
Dessus mes os, qui sans tombeau seront.
Ironie. 225Voilà l’honneur, le sepulcre, & cercueil
Qu’ay merité, pour t’auoir fait recueil.
Tu t’en iras en Athenes, & puis
Estans reçu tresbien en ton païs,
Quand tu seras entre tes peuples haut,
230Et conteras que ta prouesse vaut,
Comme as tué l’homme & beuf, Minotaure:
Comme es sorti du labirynthe encore.
Raconte außi que seule m’as laissee,
n Ie [p. 194]
Ie ne doy estre entre tes faitz, passee.
235
Ton pere n’est Ægeus, n’Ethra ta mere:
Rocher, & mers sont ta mere, & ton pere.
Que plust aus Dieus que de ta pouppe haute
Ton œil me vist: il n’y ha point de faute
Si mon meintien tant piteus auois vù,
240Que tu serois à quelque pitié mù
Mais si des yeus de ton corps ne me vois,
De ton esprit me peus voir toutefois.
Sur un rocher auquel l’eau bat, & bruit:
Voy mes cheueus tous espars en la sorte
245Que fille va pleurant sa mere morte.
Voy mon habit baigné en pleurs qui semble
Baigné en pluye: & mon poure corps tremble
Ainsi que font en un plein champ les blez,
De forte bize agitez, & troublez:
250Mes doigs tremblans escriuent mal à droit.
Ie ne te vueil requerir orendroit
Par mes biens faits, en toy mal adressez:
Mais, s’ils ne sont d’aucun gré compensez,
Au moins pour bien que ie n’aye pas mal.
255Si ie ne t’ay sauué d’un cœur loyal,
(Pren qu’ainsi soit) si n’est il dit pourtant
Que iusqu’à mort tu me pourchasses tant.
Ces poures mains tant lasses, dequoy i’ay
Frappé mon cœur tant triste, & affligé
260Ie vais tendant, helas moy malheureuse,
Vers [p. 195]
Ver [sic pour Vers] toy lointain en la mer spacieuse.
Ces cheueus ci, qui restent seulement.
Ie te fay voir ores piteusement.
Or pour la fin ie te pry d’une chose,
265Par mes grans pleurs, dont tes faits sont la cause,
Ta nef en ça, ami Theseus, tourne:
Change de vent, & deuers moy retourne:
Si ie suis morte alors qu’arriueras,
A tout le moins mes os tu cueilliras.
ANNOTACIONS SVR
la precedente Epitre de
Ariadne à
The-
seus.
Vn mont y eut auquel peu d’arbres croissent, Et au sommet bien clers y aparoissent: C’est un Rocher en pendant meintenant.
Il y ha semblable passage
en l’Epitre
d’ E-
none à
Paris sur le commencement:
le trans-
lat porte
A l’exposicion duquel le lecteur pourra recourir si bon lui semble.Vn bien grand roc regarde loin en mer:
Ainsi que fait la Bacchante à sa guise.
196
cion
sur l’epitre de Phedra à
Hippolyt, vers
le commencement des
annotacions.
Et puis on dit que la mer aus riuages Gette souuent de grans phouques sauuages.
Phouques, sont bestes de mer, qui ont poil,
& viennent dormir de
nuict en terre: & en
dormant soufflent, ronflent, & respirent
un
son en maniere du cri d’un veau, pource on
les apelle veaus
marins. Hippolyt, que
Phe-
dra
aymoit, mais non lui elle, fut tiré,
& es-
quartelé par ses cheuaus espouuentez
d’une
phouque marine. voyez la preface de
l’epi-
tre de Phedra à
Hippolyt.
Ha, plust aus Dieus qu’Androgeüs mon frere Fust en ce monde, & en vie prospere,
C’est une coutume, & quasi un fait de fem
me
de ramener au deuant, & tousiours en
ieu, les commencemens, & premieres causes
de leur malheur, comme
appert quasi en
chacune de ses epitres.
Et n’eust esté (ô Athenes) deffait, Qui mort des tiens souffris pour ce forfait.
C’est une apostrophe, c’estadire parole
adressee à la vile
d’Athenes, à present
Cethi-
ne , ou
Satines. Ce propos de la mort des
Athe
niens a esté
exposé en la preface de la pre-
sente epitre,
parquoy n’est besoin le repeter.

LE TRANSLA-
TEVR
AVS LE-
CTEVRS.
*
I
E VOVS vueil bien auertir
(amis Lecteurs) qu’en
tradui-
sant
les dis Epitres
d’Ouide
precedentes, ie ne me suis
tant voulu
renger aus termes
qu’au sens, mais le plus pres qu’il m’a esté
possible, & le plus brief que notre langue l’a
pù permettre (certes non
sans trauail d’es-
prit) i’ay rendu le sens de
l’auteur: si que
bien souuent i’ay tourné deus vers Latins en
trois
François, & quelque fois un pour un:
dond me montreray, parauanture non
à tort,
plus rude, obscur, & dificile qu’es autres eu-
ures de mon inuencion, ou ie suis libre en
mon esprit,
& non contreint. Toutesfois, au-
tant que i’ay pù,
i’ay euité la contreinte &
obscurité, dond ie suis ennemi naturel:
& ne
me suis, pour cette raison, en quelques pas-
sages tant voulu assugetti à la rime, q quand
le sens s’est
mieus offert autrement, ie ne
n 3
l’aye
[p. 198]
198
l’aye diminuee de son honneur, & pris la fa-
cile rencontre & brieueté du sens, pour sui-
ure l’intencion de l’auteur de plus pres, &
l’affeccion
des personnes: estimant la rime
estre la ministre, & chambriere du
sens, &
non au contraire. Ce neantmoins i’ay con-
ioint, & gardé, à mon pouuoir, la dinité du
sens, &
richesse de la rime: & n’ay fait com-
me aucuns
Traducteurs François, mesme
antiques, qui laissent en blanc les
passages
plus difficiles, & quelquefois quatre ou six
vers Latins
(mais dix ou douze) tout d’une
tire: & qui, au contraire, aussi
quelques
autres fois, pour un ou deus vers Latins, en
faisoient six,
ou huit, ou dix vers François,
y aioutans, & glosans beaucoup de leur
sens:
& quelquefois encor donnoient en leur
translat un sens du
tout contraire au sens de
l’auteur, faute de bien vieiller, & auiser
de
pres. Le premier vice est comme essoiner,
detrencher, & mutiler
l’auteur: le second,
trop le confondre, & entreprendre sur lui:
& le tiers, est le renuerser, corrompre &
contreindre à notre sens:
qui sont trois vi-
ces tresgrans, & insuportables,
à tout bon
œil, en un Traducteur.
Quand est de ce que aucuns, de trop pe-
tit iugement en
la connoissance des lan-
gues
[p. 199]
199
gues, se pleignent des Traducteurs qui ne
traduisent mot pour
mot, & ligne pour
ligne, comme s’ils commettoient une gran-
de ofense, & estoient indines du nom de
Traducteurs: combien qu’il peut sembler,
que ie leur aye assez respondu ci
dessus, di-
sant que i’ay quis le sens plus que les
mots:
toutefois ie leur vueil satisfaire amplement,
à cause que i’en
voy plusieurs tomber en cet
erreur & ignorance. En premier lieu
donq,
lon scet bien que chacune langue ha sa pro-
pre phrase, & propriété particuliere, de sor-
te
que bien souuent ce qu’en une langue se
pourra pas bien proprement, &
facilement
dire en six, en une autre langue.
Ainsi c’est une chose, ie ne di pas dificile,
mais du tout impossible de
faire, i’entende
traduire mot pour mot, sans corrompre, &
diminuer
l’honneur, la grace, & proprieté
des langues.
Secondement c’est mal auisé que la Tra-
duccion se
puisse bien faire commune-
ment, & du tout, de
vers pour vers: car qui
bien auisera, un vers Latin ha tousiours
deus
ou trois syllabes, voire quelquefois
six ou sept, plus que le vers
François: i’enten
des vers Latins exametres, & pentametres,
n 4
qui
[p. 200]
200
qui sont les plus communs, & dont se font
plus de
traduccions. Aussi l’on voit quelle
rudesse, & mauuaise grace ont les
Traduc-
cions ainsi faites de vers pour vers. Ce
que
aucuns ont affecté trop curieusement, pen-
sans faire plus que les autres, & n’auisans
point (au contraire) le
grand vice d’ob-
scurité, & confusion en laquelle
ilz sont
tombez: de sorte qu’ilz ne sont rien moins
que venuz à leur
fin esperee d’honneur &
gloire: car leurs vers, pour toute recom-
pense, sont minez des vers, comme lon
voit
tous les iours. Au reste, les repre-
neurs des
traducteurs disent, que commu-
nement lon faut en ce
que quelques dic-
cions des auteurs on omet, qui
mesme
ont grace & eficace: & au conraire, quel-
ques autres on aioute, qui sont propres
aus traducteurs, ou
pour le remplissement,
ou pour la rime, à fin de rentrer à la tail-
le. Mais, certes, autrement ne se peut,
faire,
que quelques mots de l’auteur ne
soient omis, & laissez, & quelques
autres
du traducteur aioutez: mesmement en vers
François, pour la
taille, toutefois se doit
faire de si bonne grace, tant bien & pro-
prement qu’ilz semblent estre comme de
l’auteur: de sorte que si l’auteur eust escrit
en
[p. 201]
201
en la langue qu’on le traduit seroit vray
semblable qu’il auroit ainsi escrit, ou à
peu
pres. Et au contraire aussi, le moins que
lon peut laisser des
mots de l’auteur, quand
mesmement ils seruent au sens ou à la gra-
ce, c’est bien tousiours le meilleur: le tout
à la discrecion & bon iugement du tradu-
cteur,
l’honneur & reuerence gardee des
deus langues.
Or, changeant propos, touchant des
noms antiques des viles, Isles, mers,
portz,
passages, goulphes, & destroits, ie les ay
laissez en ma
traduction, pour la plus
grande partie, tant pour la reuerence de
l’antiquité, comme pource qu’en si gran-
de confusion
de langues & d’opinions, en
la diuersité des noms des païs
estranges,
& inconnuz, quant à moy, ie n’ay osé
m’assurer des
propres noms presens, sinon
de quelques uns, que i’ay pris, d’un liure in-
titulé, l’estat du grand Turc, & des
tables
de la Grece, & de ceus qui ont reuu
&
addicionné le Ptolomee: desquels noms
presens i’ay usé en ma
traduccion, & de
bien peu, & ne l’ay fait sinon qu’il me ve-
noit mieus à propos, pour le nombre, ou
pour
la taille: & y ay mis le nom antique
à cote en la marge. Car i’ay
auisé, & con-
n 5
nu
[p. 202]
202
nu par liures, & entendu par gens qui ont
esté en ces païs
de la Grece, que bien sou-
uent
une isle, vile ou port sont nommez
par les Turcs, par les Tartares, par
les
François, par les Latins, par tout diuerse-
ment: ie di encor, diuersement, par noms
presens: & non seulement par
noms anti-
ques. Et quand est des noms propres
des
personnes, ie les ay laissez aussi, pour la
plus grande partie,
selon que ie les ay
trouuez en Latin: car de les tourner au-
trement tous, ou grande partie, ie ne l’ay
voulu
entreprendre à cause que lon les peut
tourner diuersement, & aussi que
les opi-
nions sont diuerses entre les sauans, &
le
proces non decidé pend encor deuant le
iuge: pareillement à fin
que, sans en rien
douter, lon entendist mieus de quelles per-
sonnes mon translat parleroit: atendu que
les
mesmes & propres noms Latins des
personnes, y sont demourez entiers,
&
non changez, comme i’ay dit, pour la plus
grande partie: car
i’ay seulement tourné,
& aproprié à notre langue, ceus qui appro-
choient plus de pres de nos terminaisons,
&
qui estoient plus usagers & faciles.
Or meintenant ie vueil declaer quel
bien & utilité lon peut tirer de ma
traduc-
cion.
[p. 203]
203
cion. Le proufit donq qui en vient est dou-
ble. Premierement, quant à la Rhetori-
que, qui est l’art & science de bien dire &
bien escrire (&
n’est pas l’art de rimer,
comme aucuns ignorans en abusent de ce
mot
de Rhetorique) à cause que dens ces
precedentes epitres lon y sent, &
reconnoit
la vertu de dire du Poëte tant estimé, les
propos bien
deduits, les raisons & argumens
de bonne inuencion, les motz bien
couchez
& apropriez, les belles comparaisons ou si-
militudes, les fortes & aparentes persuasions, les
conclusions pleines de grandes & vehemen-
tes
afeccions: à brief parler la grace & effi-
cace du
Poëte.
Secondement, l’utilité est quant aus meurs:
pource qu’il n’y ha personne
tant adonnee
& eschaufee en l’amour voluptueuse, qui
n’en soit
bien refroidie, & destournee, apres
qu’elle aura bien leu ici dedens,
& bien con-
sideré les peines & miseres des
amoureus, les
poignãtes passions, les pertes de sens, & fo-
les perturbaciõs, les belles paroles &
fausses
promesses, les regretz & cõpleintes, les im-
paciences & inconstances: &, pour la fin, les
mauuaises issues auec desespoir, mal respon
dans à leur commencement tant ioyeus &
tant
[p. 204]
204
tant plein de grand espoir. Ainsi donc cette
traduccion est
faite pour l’utilité commu-
ne, car quand ici dedens
sont racontees
les grandes facheries & infortunes des Da-
mes amoureuses, c’est un miroir & exemple
de ne faire comme elles, ains au contraire,
estre sages au despens
d’autrui, comme dit
le prouerbe. Et, quand est de celles qui ont
bien
aymé leurs maris & gardé l’honnesteté
de mariage, qui voudroit plus bel
exemple
de chasteté, bonté, souci, creinte, deuoir &
amitié enuers
sa patrie que de Penelopé en-
uers son mari Vlysses? que de Deianire
en-
uers son mari Hercules?
D’auantage, ia soit
que l’euure traite d’amour, toutefois si n’y
ha il
rien de vilein ou deshonneste qui puisse
inciter ou eschaufer les Lecteurs
à mal: com
me y pourroit auoir
aus liures de l’art d’ay-
mer, & aus Elegies
d’amour, composees par
le mesme Poëte Ouide. Que si
d’auenture
lon peut tirer quelque mauuais exẽple d’au-
cune de ces Epitres, ce sera principalement
de la quatrieme, ou
est declaree l’amour
desesperee de Phedra à
Hippolyt: mais pour-
quoy
prendre lon plustot exemple sur la vi-
cieuse amour de
la malheureuse Phedra, que
sur la belle &
honorable chasteté du ver-
tueus
Hippolyt? lequel ne voulut iamais con
sentir
[p. 205]
205
sentir au desordonné & enragé desir de sa
fole maratre
Phedra? Le tout sera donq pris
en bonne part
(comme i’espere) par ceus
qui seront raisonnables, & qui au-
ront tant soit peu de sel en
leur teste. Adieu
amis
Lecteurs.
*

PREFACE SVR
L’EPITRE DE CANACE
A
MACAIRE.
*
MAcaire &
Canace, fils & file du Roy
Eolus, s’entr’aymerẽt incestueusemẽt,
& coucherent
ensemble facilemẽt sous cou-
uerture de fraternité:
dont auint, que Cana-
ce enfant
un fils, lequel voulant secrette-
ment faire porter
par sa nourrice, hors du
palais de son pere, à fin qu’il fut alaité
&
nourri, ce malheureus enfant ce prĩt à crier,
& se fit
entendre du Roy son ayeul, qui en-
trant en colere,
pour le forfait & malheu-
reuse amour de son fils
& fille, commanda
que ledit enfant fut getté aus chiens: puis
enuoya par un de ses satellites, une espee à sa
fille pour en user selon
ses demerites, de la-
quelle on dit qu’elle se tua.
Toutefois auant
que mourir elle escriuit à son frere, qui s’e-
toist getté en frãchise au temple
d’Apollon,
& lui delcara sa fortune &
piteus état mor-
tel:le priant qu’il recuillit les os
du petit en-
fant, son fils, & qu’il les portast
en fin en une
mesme sepulture, auec ceus de la mere.

LA XI EPITRE
D’OVIDE
*
Canace escrit à son frere Macaire.
[Figure]
Si tu trouues ces les lettres entachees
De rude escrit & de mon sang tachees,
Pourtant ne laisse à voir le contenu.
Lors connoitras comment m’est auenu:
5Ce seul mouuoir me meut & m’esuertue
D’escrire à toy, deuant que ie me tue:
Ie tiens la plume taillee en une main,
Et en l’autre i’ay le glaiue inhumain.
En mon gyron git la carte confite
De [p. 208]
De pleurs & plains, qui est forment escrite:
Telle est l’estat & au vif la peinture
De celle la dont vient cette escriture.
Si m’est auis qu’en tel acoutrement:
Complaire puis, voire & non autrement:
15A mon cruel & trop despiteus pere,
Lequel commande que tot me desespere.
Que pleust à Dieu qu’ici fust sans seiour,
Pour voir ma fin & mon dernier iour:
Et il qui est cause de cet afaire,
20Me vist occire, & de ma main deffaire.
Car pour certein, il qui est sans pitié,
En qui ne git paternelle amitié,
Regarderoit ma vie despouillee,
Sans que de pleurs sa face fust moillee.
25Ainsi montre il sa grande cruauté,
Et peu me vaut sa noble royauté.
Il est pour vray des vens signeur & Sire,
Et dominer ne scet pourtant son ire:
Dont son vice est plus grand (sans vanterie)
30Que n’est sa terre & haute signeurie.
Mais que me vaut sa noble parentelle,
Quand il commande ma ruïne mortelle?
Et qu’il m’enuoye un glaiue, pour present?
Dont me conuient faire coup si pesant?
35Certes ce glaiue qu’à ma main tiens & porte,
N’est conuenable à moy ne de ma sorte;
Femme ne prend en tel art son deduit,
Quen [p. 209]
Quenouille & fil trop mieus leur plait & duit.
Or plust à Dieu que l’heure malheureuse
40Que nous cuidions toy & moy tant heureuse
Quand ensemble nous nous trouuames lors
Pour acomplir le plaisir de nos corps,
M’eust preuenue, & de mort aiournee
Sans auoir vù si dolente iournee:
45O mon dous frere, D’où te vint ce vouloir
De tant m’aymer, & mettre à nonchaloir
Toute autre femme, pour si fort me complaire,
Plus que ne doit un frere à sa seur faire?
Et ie lasse pourquoy fus ie ta seur,
50Quand ce plaisir ne peusmes prendre asseur?
Las, tu m’aymas, & außi ie t’aymay:
Le feu d’amour en mon cœur allumay.
Premierement ie creintiue & honteuse
Senti le dart d’amitié chaleureuse,
55Et fut en moy embrasé le tison
D’ardant desir sous celee prison.
Tes grans douceurs & autre vertus meintes
En ma pensee à peu pres furent peintes,
Ie commençay perdre teint & couleur,
60Comme surprise en amoureuse ardeur,
Maigre deuins, pasle, fletrie, & blesme
Comme s’estant maitresse de moymesme:
Tot euz perdu de menger l’appetit:
De tout cela me donnois bien petit:
65Le long dormir m’estoit bien dificile:
o Vne [p. 210]
Vne nuit seule m’en duroit plus de mile:
Ie souspiroye & gemissoye à part
Comme nauree en trop douteuse part:
Et toutefois cause en moy ne sauoye
70Pour qui tel mal & tel douleur auoye.
Encor n’auois senti qu’amours estoit:
C’estoit cela qui me persecutoit.
De mon ennui & peine coutumiere
Ma nourrice s’aperçut la premiere,
75Et si me dist, ô fille, ou que ce soit
Amour te tient ou mon cœur me deçoit.
Lors rougissant fus surprinse de honte
Dont la couleur en la face me monte:
Et commençay mes yeus en bas baisser,
80Comme honteuse de mon cas confesser.
Mais que valoit le celer, ne le taire?
A mes gestes bien connut mon afaire.
Que diray plus? Tant aymay en effet,
Que’entre nous deus fut le plaisir parfait:
85Et tant de fois nous trouuames ensemble,
Que fol delict peur & creinte nous emble.
Tant ie complu sans user de refus,
Qu’à la parfin par toy enceinte fus,
Et commença mon ventre enfler & croite,
90Par nouueau fait qui au dedens peut estres:
Et la charge furtiuement bátie
Me rendoit graue & toute pesantie.
Mais cuides tu que ma poure nourrice,
Pour [p. 211]
Pour effacer mon crime & malefice,
95Ne me donnast herbes & medicines,
Bruuages forts, & puissantes racines,
Pour tot esteindre & acoup auorter
Le fruit sans coulpe qu’elle me sent porter?
Certes si fit, mais en vain en usoye,
100Et de ce faire à l’heure m’abusoye:
Car ia estoit trop vigoureus l[’]enfant
Qui au venin resiste & se defent
Ainsi conuint endurer la fortune,
Et ce pendant tant tournoya la Lune
105En son cercle, & erra tant de fois
Qu’elle eut parfait le neuuiëme mois.
Lors fus surprise d’une douleur nouuelle,
Onques certes n’en auois eu de telle.
I’estoye encor, pour certein, ignorante
110Du mal que souffre une femme gisante:
Douleur soudeine, & acoup me contreint
Pleindre & crier du travail qui m’estreint:
A haute voix plouroye & gemissoye
Pour la douleur si grieue que passoye:
115Ma gouuernante alors me reprenoit,
Et de ses mains ma bouche retenoit,
En me disant, faut il que tu descœuures
Par ton pleindre tes miserables euure?
Ainsi ne say doulente que ie fasse:
120Aspre douleur me contreint & me chasse.
A pleindre fort, mais creinte, doute & peur,
o 2 De [p. 212]
De l’autre part, font taire ma douleur.
Parquoy conuient que ie boiue mes larmes
Destrempees de trop rigoureus termes.
125La mort auoye au deuant de mes yeus,
Pour les travaus dont onques n’euz de tieus:
Et bien sauoye pourtant si ie mourroye,
Que trop grand crime & peché i’encourroye,
Faisant mourir en cœur debilité
130Vn poure enfant qui ne l’a merité.
Bien me souuient qu’estant en tel esmoy
Tu te vins mettre & coucher pres de moy:
Et par grand dueil tu fiz cette roupture
De tes cheueus & mais de ta véture,
135En me disant, ô seur, ô chere seur
Ie te te sulpi [sic pour te supli] par la tienne douceur,
Qu’à ce besoin meintenant t’éuertues
A fin au moins que nos deus cœurs ne tues:
Or sus viz donq, & ne t’essaye pas
140D’en ouir deus mourans par ton trespas.
Pren force & cœur en ta bonne esperance,
Dont tu auras ioyeuse deliurance:
Et tien toy seure (quoy qu’en puisse auenir)
Que ie ton frere te vueil mienne tenir:
145Et seras femme de cil, sans nulle doute,
Pour qui la peine si cherement te coute.
Ie, pour certein estant morte forment,
Pou [sic pour Pour] telle angoisse & ennuieus tourment,
Retournay viue, & fus resuscitee
Quand [p. 213]
Quand i’eu ta voix & parole escoutee:
Et de ce pas, par tes plaisans acors,
Me deliuras du trauail de mon corps.
Mais que me vaut icelle courte ioye
En mon endroit? Pource ne me resioye:
155Car Eolus mon pere, lors estoit
En sa salle, qui bien nous escoutoit:
Ainsi conuint, par cautelle preuuë,
Luy eslongner, & fuir de sa vuë.
Ma nourrice qui sceut le demené,
160Print cet enfant des l’heure qu’il fut né,
Et le porta pour mieus l’emprise taire,
En un iardin serret & solitaire:
Et le couurit en ses petis drapeaus
De meinte fueilles & branches & rameaus,
165Feingnant vouloir là faire sacrifice
Qui fust aus Dieus agreable & propice.
Si tournoia ce lieu longue saison,
En murmurant disant meinte oraison.
Ainsi faisoit tieus semblans & sinacles,
170Pour mieus cuider que ce fussent oracles:
Or fit si bien que tous les regardans
La vont laisser toute seule dedens.
Ia auoit fait tout ce qu’on pouuoit faire
Pour eschaper ce doute & cet afaire,
175Et bien pensoit cet enfant auoir mis
En lieu qui fust assuré d’ennemis:
En ésperance (mais qu’elle eut tems & heure)
o 3 Le [p. 214]
Le transporter en plus seure demeure.
Las bien faillit : car cil petit enfant,
180A qui raison le cœur point ne defend,
Commença tot à se douloir & pleindre,
Si que pour vray ce cri pùt bien ateindre
Iusqu’aus oreilles de mon pere en effet,
Qui prontement imagina le fait:
185Lors s’escria, & sans plus rien atendre,
Vint en ce lieu ou il fit l’enfant prendre,
Et bien connut par celle intencion
Qu’à tel ouurage eut grand decepcion.
Bruit se leua & en chambre & en sale,
190Dont ie deuins de grand peur toute pale:
Et tout ainsi qu’on voit la mer esmue,
Quand aucun vent la chasse & la remue,
Et comme on voit trembler fueilles en l’arbre,
Ne plus ne moins trop plus froide que marbre
195Ie fremissois de creinte & de douleur
Dedens mon lict ayant triste couleur.
Mon cruel pere lors de ma chambre aproche,
Et par courrous & despiteus reproche,
Me commença blamer & diffamer,
200Et adultere meschante me clamer.
A peine sceut abstenir son courage
Que de ses mains ne fist sur moy outrage.
Ie lors honteuse, & du meffait atteinte:
Eusse voulu estre morte & esteinte :
205Pour tout meintien grans cõpleintes & pleints,
Auec [p. 215]
Avec grans pleurs dont mes yeus furent pleins
Yßirent lors sans faire longue pause,
Car de parler ma bouche n’auoit cause.
Helas i’ouï comment cil Eolus,
210Pere impiteus, dont tresfort me doulus,
Incontinent commanda sans atente,
Que cet enfant l[’]on degette & presente
A fiere beste & oiseaus afamez
A fin que tot soient là consumez
215Ses petis membres sans meffait & sans blame,
Comme sans garde & non secouru d’ame.
Alors se print l’enfant à lamenter,
Comme s’il sceust qu’on le dust tourmenter:
Et à le voir sembloit à sa maniere,
220Qu’à son grand pere fist requeste ou priere,
Et de tel voix comme faire sauoit,
Les aßistans à pitie esmouuoit.
Or ie te pri auise & considere,
Mon dous ami & tant fort aymé frere,
225Quelle douleur soufri à celle fois,
Et quel regret en mon cœur triste auois,
Quand viz porter ma chair, ma nourriture
A celle perte & piteuse auenture.
Tu peus assez au vray aperceuoir
230Le desplaisir que ie pouuoye auoir.
Ores s’en va pour estre aus loups viande,
Comme mon pere le veut & le commande,
Et ie lasse, seullette demourray:
o 4 Que [p. 216]
Que fis ie lors? Piteusement pleuray,
235Et par courrous i’esgrafignay ma face,
Priant à Dieu que tot Mort me deface.
Tantot apres vis message venir
Droit à ma chambre, lequel ne seut tenir
Ses tristes pleurs, tant eut le cœur plein d’ire,
240Quand tel propos me commença à dire:
Hé douce dame à desplaisir ne prens,
Si à venir deuers toy i’entreprens,
Car Eolus ma fait prendre la voye,
Lequel par moy cette espee t’enuoye,
245Et si te mande, par ton crime & defaut,
Que tu saches que cette espee vaut:
Ie le feray & sans longue demeure,
Puis qu’il conuient que par ma main ie meure:
De ce glaiue fierement useray,
250Et le danger point ne refuseray.
Iusques aus fons de ma triste poitrine
Ie logeray de mon pere l’estreine.
Helas ce sont poures biens & guerdons
Mal son douëz heritiers de tieus dons:
255Fuyez de moy les plaisirs de mon aage,
Et les soulas de leal mariage:
En lieu de vous, viennent playes, pleurs, criz,
Acompagner mes douloureus escriz.
O douces seurs que tant i’ay regrettees,
260De plus grand eur soyez vous heritees:
Et tieus maris puißiez en fin auoir
Que [p. 217]
Que comme moy ne vous faille douloir.
De mon meffait toutefois vous souuienne,
A fin qu’ainsi qu’à moy ne vous auienne.
265Mais qu’a commis, que peut auoir meffait
Ce poure enfant sans coulpe d’aucun fait?
Deust de cestui la mort estre enduree
Par tel cruel fait & male destinee?
Qu’a il pù faire pour estre mal mené
270De son grand pere & ne fait qu’estre né.
Las, s[’]il auoit tel peine desseruie,
Point ne seroit à regretter sa vie:
Mais s’il prend mort, & brief definement,
Non de son vice, ains du mien seulement.
275O le mien filz & la douleur amere
De ta dolente & esperdue mere,
Proye procheine des tigres rauissans
Pour deuorer tes membres innocens.
O fils piteus, le court tems de ton aage
280Ha tout brisé de vray amour le gage.
Cette iournee te fut certes premiere,
Et cette mesme te sera la derniere.
Que n’ay’ie au moins de larmes arrosé
Ton corps qui est à la mort exposé?
285Que n’ay’ie fait honneur de sepulture
A toy issu de ma propre nature?
Que n’a ma bouche baisé tes piedz & mains
Deuant que voir telz dangers inhumeins?
Or’mengeront les bestes affamees
o 5 Les [p. 218]
Les entrailles que i’ay si fort aymees.
Au fort bien tot par glaiue te suiuray,
Et mort par mort acoup ie poursuiuray.
Ia ne seray long tems mere nommee,
Ne longuement außi vefue clamee.
295Ie toutefois te prie, ô ami cher,
Qui plus n’as loy pres de moy approcher,
Qu’il te plaise poser en sepulture
Les petis os gettez à l’auanture
Et recueillir les membres egarez
300Qui de vie sont tot desemparez:
Amasse les, & à moy les raporte,
Et quand seray toute transie & morte,
En un tombeau sur moy les viens loger:
Cela pourra mes douleurs alleger.
305Ayes de moy, dous ami, souuenance,
En regrettant notre feuë acointance.
Arrose un peu de tes larmes piteuses
Mes funerailles tristes & langoureuses:
Ne prens horreur, desplaisir ou desdain
310De voir mon corps occis par coup soudain.
Tu me fuz bon, & moy loyalle amante:
Or perseuere en l’amour vehemente.
Si te supli & requier humblement
Que tu parfaces ce mien commandement:
315Et ie feray, sans prendre longue espace,
Ce que mon pere ordonne que ie face.

PREFACE SVR
L’EPITRE DE MEDEE
A
IASON.
*
COmme Iason fut en sa force &
vigueur
de ieunesse & de beauté, des
inconti-
nent qu’il arriua en Colcos, il fut le bien
ve-
nu,
reçù, & aymé de Medee, fille du Roy
du-
dit lieu: laquelle, apres la promesse de
ma-
riage, lui enseigna de paruenir à ses fins, c’est
assauoir
de rauir la toyson d’or: Et quand il
l’eut prise, il fit voile en grande
diligence
auec la toyson d’or & Medee: apres
lesquels
alle le Roy Eeta, pere de
Medee, pour les
poursuiure & arréter: Mais la malheureuse
Medee mit son petit frere Absyrte en
pieces,
puis les geta au riuage, à ce que son pere re-
tardast sa poursuite à les cueillir, pour les
mettre en
sepulture, & eus ce pendant gai-
gneroient païs:
ce qu’ils firent: & arriuerent
en Thessalie à
sauueté: auquel lieu les Poë-
tes disent que
Medee raieunit, par ses en-
chantemens, le vieillard Eson, pere de
Iason:
& puis qu’elle usa apres d’une mechãte
ruse
enuers les filles du Roy Pelias, oncle de
Ia-
son : lequelle elle
fit mourir sous couuerture
de le
[p. 220]
220
de le faire raieunir comme l’autre.
En fin
(soit pour ce crime, ou
pour autre) Iason
de-
chassa
Medee, & print pour femme
Creusa,
fille de Creõ, Roy de
Corinte: Pourquoy
Me-
dee alors entrant en furieuse rage de
ialou-
sie, escriuit cette Epitre à
Iason, le menassant
de subite & tresaigre
vengeance, s’il ne
la veut reprendre, en dechassant
sa concubine
Creusa: &
en fin tua par despit
ses
enfans quel-
le auoit eu
de lui.
*

LA XII. EPITRE
D’OVIDE.
*
Medee escrit à Iason.
[Figure]
QVand me souuient, ce que bie͂ me recorde,
De la pitié & grand misericorde
Que i’eu de toy, lors que Royne & princesse
Fus de Colcos en florissant’ ieunesse,
5Et que ie fus trop tot legere & preste
D’obtemperer à la tienne requeste,
Pour te faire, par la mienne achoison,
Maitre & veinqueur de la riche toison,
Certeinement à celle heure dolente
Les [p. 222]
Les seurs fatalles dussent de moy mechante,
Auoir rompu de la vie le fil,
Sans me voir viure en si piteus exil.
Lors eusse pù bien mourir sans reprouche,
Qui ores suis blamee en meinte bouche.
15Car puis ce tems n'ay acquis seulement
Fors peine & dueil, regret, gemissement.
Helas pourquoy vint onques en ma terre
Ta nef soudein pour tel tresor aquerre?
Pourquoy te fut si propice le vent,
20Qui te poussa deuers moy si auant?
Pourquoy te vis? ne pourquoy tant me plurent
Tes beaus cheueus, que trop tot me deçurent?
Et pourquoy fus ie à t'aymer si legere?
Ne pourquoy creu ta langue mensongere?
25Or plust à Dieu que des ce premier iour
Que ta nef print en mon isle seiour,
Toy homme ingrat,& sans reconnoissance
Tu fusses mis en prompte diligence
(Sans mon aïde, & sans le mien conseil)
30De vouloir prendre le tresor nompareil,
Et de cuider par fole hardiesse
Veincre toreaus, gardes de tel’ richesse:
Car pour certein, si par moy n’eust esté,
Tu fusses mort en grande malheurté:
35Besoin me fust : lors eust esté perie
Decepcion, barat, & tromperie:
Et n'eusse pas-si grand douleur au chef
Pour [p. 223]
Pour tant penser en si cruel meschef.
C'est quelque peu de plaisir & soulas
40A cœur dolent, & de tristesse las,
Ramenteuoir par grand' solicitude
A homme plein de toute ingratitude
Tous les plaisir & biens qu'on lui ha fais,
Cela descharge l'esperit de grans faiz:
45I’en useray : car iamais autre ioye
De toy n’espere, quelque part que ie soye.
Premierement ton pere t'enuoya
En ce païs, ou le vent conuoya
Ta nef Argo, treslegere & habile
50Qui t’amena en ma terre fertile:
Là te reçut Oëthes, mon signeur,
Moult doucement, & en si grand honneur,
La recueilli, fus sans nulle laidange,
Toy & ta gent de nacion estrange.
55Pourquoy donques te recueillit mon pere
Dont par regretz faut que ie desespere.
Vous autres Grecs fustes les bien venus,
En doux plaisirs traitez & soutenus.
Vous eustes draps d'or, de soye, & de layne,
60Pour soulager votre esperit de peine.
Festoyez fustes, & de divers mangers
Si comme amis, & nompas estrangers.
Lors ie te vi, & lors prins à connoitre
Ton nom, tes faitz, & qui tu pouuois estre:
65Icelle vuë trop acoup auancee,
Fut [p. 224]
Fut le premier trauail de ma pensee
Et außi tot que t'eus choisi de l[’]oeil,
Nauree fus de trop soucieus dueil,
Et fut alors ma poitrine alumee
70D'amour nouuelle & non acoutumee.
Dedens mon cœur meut un ardant desir
Lequel m'ota d'y pouruoir le loisir:
Car tel estois ieune, dous, debonnaire:
Cela me fit hardie en cet afaire
75Tes yeus rians certes, ami Iason,
Aueuglerent en moy toute raison.
O desloyal, bien seus tu lors connoitre
Qu'amour estoit de moy signeur & maitre.
Car à peine se peut, au long aller,
80Amour parfaite ne taire ne celer:
Ia ne peut estre la flamme si couuerte,
Que par fumee ne soit tot descouuerte :
Ce tems pendant moult me desconforta
L'enseignement pour lequel t'exorta
85Mon pere, lors de parfaire l’emprise,
A fin que tot fust la toison conquise.
Premierement pour tous maus surmonter
Il t'aduertit qu'il te failloit dompter,
Et subiuguer par subtiles cautelles,
90Les fiers toreaus, dangereus & rebelles,
Qui vomissoient flammes & feus diuers
D'aspre venin ordoyez & couuers:
Les piedz d'arein, les cornes si poingnantes,
Qui [p. 225]
Qui moult sembloient grieues & violentes:
95Puis te disoit mon pere, par apres,
Qu'il conuenoit que tu te tinses pres
Pour deceuoir le serpent redoutable,
Qui garde estoit de la toison notable,
Cetui Dragon sembloit moult curieus,
100Car de dormir iamais ne clost les yeus:
Iamais ne dort, & de rien n'a enuie
Fors de veiller tout le long de sa vie
Si conuient il, pour auoir gain ou part,
En ce tresor, que par cautelle ou art,
105Tu saches, dist mon pere, luy soutraire
C'est le dernier labeur de ton afaire
Quand Oëthes au long entierement
T'eut declaré son auertissement,
Toy & tes gens qui en parees tables
110Preniez repas plaisans & delectables
Laissates lors les somptueus mangers,
Et futes tristes en oyans telz dangers
Bien fut alors ton cœur plein de detresse,
Sans esperer plus retourner en Grece
115Que diray plus? tantot la nuict suruint,
Dont de partir à l'heure nous conuint:
Chacun pensa de coucher, sans demeure,
Car ia estoit assez tardiue l'heure
Triste, piteus, & dolent t'en allas:
120Et ie (disant tout à par moy, helas,
Comme celle que regret veut destruire)
p Te [p. 226]
Te commençay d'œil piteus à conduire:
Si te donnay au partir de ce lieu
A voix celee un bien secret adieu
125Et quand ie fus en ma chambre montee,
D'aspre douleur acoup fus surmontee.
Tantot apres me mis dedens mon lict,
Ou bien peu prins de ioye & de delit.
Toute la nuict fut en larmes passee,
130Car de pleurer ne puz estre lassee.
Deuant les yeus de mon entendement
Se presentoit le dur encombrement,
Qui des toreaus dommageus & rebelles
Tenir te peuuent, en suiuant tes querelles.
135Außi voyois le serpent outrageus,
Qui trop sembloit sur toy auantageus,
Qui du tresor estoit concierge & garde,
Et sans sommeil tousiours le contregarde.
Ainsi auois amour de l'une part,
140Et creinte & peur qui grand dueil me depart.
Icelle peur fit augmenter & croitre
La grande amour qui en mon cœur peut estre.
Que diray plus? ainsi passay la nuict
En tel trauail & soucieus deduit.
145Lors vint le iour: si entra en ma chambre
La mienne sœur, ainsi que ie remembre
Les dommages que sur toy sens venir,
Dont de larmes ne me puz contenir.
Icelle sœur me vid pleurer & pleindre,
Romp [p. 227]
Rompre cheueus, mes lasses mein [sic pour meins] estreindre,
Toute pamee estendue à l'enuers,
Pleine & saisie de soupirs moult divers:
Et si trouua toute pleine ma couche
De larmes d'œil, & de regrets de bouche.
155Lors si me dit, ores n'est la saison
De larmoyer ne vois tu pas Iason,
Prince estranger, si gent, & si notable,
Estre en danger, voire irremediable:
Si par toy n’est secouru au besoin,
160Mieus lui vousist estre d'ici bien loin,
I'en fus d'acord, & tot fus pronte & preste
Donner conseil à la tienne conqueste.
Pres du palais ou mon pere viuoit
Vne forest tresample & grande auoit,
165Si tresobscure, & si fort tenebreuse,
Que pour la clarté du soleil radieuse,
A bien grand peine d'y passer fut poßible,
Tant fut le lieu obscur & mal duisible.
Là fut construit en ouurage autentique
170Vn riche temple somptueus & antique,
Edifié & massonné au nom
De Diane, deesse de renom:
En ce lieu fut son image posee,
De pierrerie & d'or fin composee:
175En ce dit lieu fortune me mena,
Et tot apres außi t'y amena:
Ce propre iour, & à celle mesme heure,
p 2 Mieus [p. 228]
Mieus m'eust valu ailleurs faire demeure:
Car pour certein en ce lieu proprement
180De tout mon mal vint le commencement.
Là donques vins, & de ta bouche feinte
Me commenças faire telle compleinte:
O douce dame si prudente & si sage
Fortune ha mis le droit en l’arbitrage
185De mon salut, de ma felicité
Souz le pouuoir de ton autorité:
Et si ha mis, ie le dis sans enuie,
Entre tes mains est ma mort & ma vie.
Sufire doit, si tu as le pouuoir
190De me destruire sans user de vouloir:
Si te sera plus de merite & gloire
Si pour toy i'ay trionfe de victoire,
Et si par toy suis de mort garanti,
Que si ton cœur, durement consenti,
195Auoit de moy la perte & la deffaite,
Quand contre toy ne say chose mal faite.
Si te requier par mon encombrement,
Du quel tu peuz estre releuement,
Et pour l’honneur de mes parens notables,
200Desquelz les fais sont assez estimables,
Et par les Dieus qu'on prie en meinte sorte,
(Si cette terre aucuns en tient ou porte)
Qu'il te plaise, vierge, par amitié
Auoir de moy, ton pouure serf, pitié:
205Fay que ie sois tousiours ton obligé,
Et [p. 229]
Et que mon mal soit par toy soulagé.
Et s'il estoit qu'il te plut sans eschange,
Estre lassee de moy qui suis estrange,
Plus tot me puisse la vie defaillir
210Qu'à nul besoin ie te vueille faillir,
Ne que iamais autre femme i’espouse
Fors toy sans plus ou i’ay amour enclose.
De ce promis i'apelle en tesmoignage
Dame Iuno procheine en cet ouurage :
215Et la deesse qui au lieu ou nous sommes
Donne confort à meints femmes & hommes.
Telle promesse & tieus plaisans deuis,
Et beaucoup moindre peuuent, à mon auis,
Assez mouuoir une simple pucelle
220Qui n'a en soy ni fraude nicautelle [sic pour ni cautelle] :
Et les sermens que tu fiz, pour certein,
Mettant ta dextre dedens la mienne main,
Cela me fit aisément alors croire
Les paroles que tu me fiz acroire:
225Außi ie viz tes larmes & tes pleurs,
Tes yeus mouillez, rougissans de douleurs:
Souz ce gisoit ta grand' fraude mucee,
Et ta malice bien close & recelee,
Ainsi fus ie trop maleureusement
230Par tes dous mots deçue promptement
Lors te donnay art, doctrine, & puissance
De conquerir celle noble cheuance:
Lors te donnay force & subtilité
p 3 De [p. 230]
De subiuguer la fiere austerité
235D'iceus thoreaus tant fiers & redoutables:
Tu les fiz serfs à euures labourables,
Par mon moyen le serpent furieus
Qui de veiller estoit moult curieus,
Fut endormi, & puis sans peur & crainte,
240Sa vie fut amortie & esteinte,
Que diray plus? par la mienne achoison
Tu seul obtins celle riche toison,
Et acheuas labeurs, & si grans peines
Qu’onques homme n'en soutint si greueines.
245En cet afaire tu ne guerroyes mie
Qu'autre fors moy fut ta dame & t'amie.
Tu n’esperois grand bien ne grand auoir
Par nulle autre tant eust riche scauoir.
Mais respons moy, ou estoit (par ton ame)
250A celle fois celle seconde dame?
Que ne vint elle acoup vers toy courir
Pour te sauoir prontement secourir?
Las, ie t’ay creu, par ta feinte maniere:
De mon païs me suis fait estrangere:
255Or m'as laissee, & poure, & loin d'amis,
C’est la merci ou ton faus cœur m'a mis
Ores suis telle, .& à toy m’en raporte,
Qu'il te semble que malheur ie te porte.
Helas tu fcez que si ie n’eusse esté,
260Par toy ne fust ce tresor conquesté.
Cause ie fus du dormir & contreindre
Le [p. 231]
Le fier Dragon lequel t'eust pù estreindre:
Et te liuray, tous dangers escheuant,
Celle toison dont tu fus poursuiuant.
265I'abandonnay pere & parens & terre,
Cheuance, biens, & ce qu'on peut acquerre,
Pour te complaire selon le tien desir,
Ie n'ay voulu recompense choisir,
Fors seulement exil, fuite, & eslongne
270Du mien païs, comment l'euure tesmoigne:
Et, pour parler en droite verité,
Ma renommee & ma virginité
Fut faite proye en perilleus danger
A un faus homme de païs estranger.
275Las, que diray? pour estre obeïssante
A ton vouloir, ie fus preste & contente
De faire exploit si piteus & diuers,
Que moult ie creins le coucher en mes vers.
Bien entreprint ma main tel’ forfaiture
280Qu’elle n’ose la mettre en escriture.
Dont pour certein bien auois merité
Estre de vie, & toy desherité.
Mon frere i’ay desmembré, & deffait,
Mais ia pourtant n’euz creinte de ce fait.
285Ie ne creingnois ne la mer, ne ses ondes
Tant fussent ils douteuses & parfondes.
Helas pourquoy ne fumes donques lors
En mer noyez, & engoufrez & mors,
Selon la peine & le cas meritoire,
p 4 Toy [p. 232]
Toy par barat, & moy par leger croire?
Que plust aus Dieus que les treshauts rochers,
Lors que passames les maritins dangers,
Fussent tombez sur nos deus corps à l[’]heure,
Et que mes os & les tiens, sans demeure,
295Eussent esté desmoulus & brisez,
Ou que Scylla nous eust lors auisez,
Et deuorez en son parfond abime:
Car d'ingrat euure eußions payé la dime.
Ainsi n’auint, dont moult me pleins & dueil:
300Mais sain & sauf, & veinqueur à ton vueil
T'en retournas en tes païs & terres,
Et tot apres tu ordonnas pour erres
Celle toison si precieuse aus Dieus,
Comme prince fort & victorieus.
305Que t’ay ie fait, pour estre tant haïe,
Et de toy seul eloignee & trahie?
Si i'ay commis aucun crime ou meffait,
Tu scez assez que pour toy ie l’ay fait:
Tu m'as osé (si douleur violente
310Veult & permet que ce mot ie ramente)
Dire ua t'en, vuide de ma maison:
Ce mot m'as dit, sans loy & sans raison:
Ainsi le fiz, & de toy eslongnee,
Ie m'en allay non d'autre acompagnee
315Fors seulement de deus petis enfans,
Car autre suite alors tu me defens.
Moult me fut grieue icelle departie,
Quand [p. 233]
Quand me conuint querir autre partie,
Ayant en moy, pour mon dueil compasser,
320La tienne amour, dont ne me puis lasser.
Las que diray? moult fuz triste & piteuse
Vn peu apres, quand à voix plantureuse
I'ouï le son de tes hauts instrumens,
Nouueaus esbats & resiouissemens,
325Qui denotoient (comme ie presuppose)
Qu'à celui iour deuois prendre autre espouse.
I'ouï le cri, les clameurs, les conuis,
Et mon las cœur faisoit triste deuis.
Larmes & pleurs de mes yeus decouloient
330Quand mes oreilles tes tabours escoutoient.
Imaginant pour le tems à venir,
Que par ton vice pis me pourroit venir.
I'eu creinte y peur le pourquoy ne sauoye,
Mais le corps froit, & le cœur triste auoye,
335Qu'auint il plus? tantot ouï le bruit
Des festoyans, & le plaisant deduit:
Tot fustes prests pour mariage faire,
Dont fut chacun soingneux à cet afaire.
Et quand plus forts escoutois, telz esbatz,
340Plus se douloit mon piteus cœur tout bas.
Mes seruiteurs tendrement lamentoient,
Mais leurs larmes deuant moy recloyoient:
Nul d'eus certes declarer ne m'osoit
Cause pourquoy telle chere on faisoit
345Ainsi pour vray, trop plus m'estoit propice
p 5 Le [p. 234]
Le non sauoir qu’estre auerti du vice:
Iaçoit qu'auois autant de peine & dueil
Comme si i’eusse le tout choisi de l’œil.
Las i’enuoyay pour en estre auertie,
350(Dont meintefois ie me suis repentie)
Le plus ieune des deus enfans petis,
Droit à ton huis pour voir tes appetis,
Et pour aprendre tes gestes & manieres,
Mais pour certein si n[’]i demoura gueres
355Qu'il ne reuint vers moy incontinent:
Et si me dit, il est tems meintenant,
O douce mere que du païs t'en ailles,
Mon pere ha fait nouuelles espousailles.
Ores l’ay vù à ses destriers dorez
360Qui pour sa femme ont esté preparez.
Quand l’euz ouï ie fiz telle compleinte
Que cuiday estre soudeinement esteinte,
Et deßiray, en oyant ce meschef,
Ma noire robe, & le mien cœuurechef:
365Et ia ne fut assuree ma face
Que par mes doigs ne me tue ou deface.
Souuent me vint le talent & vouloir
D'aller tout droit au propre lieu pour voir
Ou se faisoit la feste & l'assemblee,
370Comme femme forcenee & troublee,
Et de rauir sur vos parez cheueus
Les violettes & chapeaus de vous deus.
A peine sceu contenir y restreindre
Ma [p. 235]
Ma voulonté, que n'alasse me pleindre,
375Et haut crier sans cesse deuant tous,
Il est à moy, ce desloyal espous:
Mais qui me tint que ie n’alasse à l’heure
Te courir sus prontement sans demeure?
Et detrencher par mes ongles & mains
380Ta fiere face & tes yeus inhumain?
Ha mou cher pere-, que tant i’ay courroußé,
Pourquoy t'áy ie sans adieu delaißé?
Bien te dois ore esiouir de ma perte,
Quand lors ie fus de te laisser aperte:
385Et vous nobles voisins du mien païs,
Bien doiuent estre de vous mes faits haïs
Or suis d'amis, de terre & de demeure,
Et de maison bannie pour cette heure.
Cil m'a laissee ou mon cœur s'arrestoit,
390Qui mon espoir & ma fiance estoit.
Helas i'ay pù veincre serpens doutables,
Voire & dompter thoreaus espouuentables,
Et si ne puis renger aucunement
Vn tout seul homme à mon consentement.
395Ie qui ay sceu feu & flammes esteindre
Pour los acquerre, & pour honneur ateindre.
Qui tant ay fait de choses par mon art,
Ne puis occir le feu qui mon cœur art.
Ores me laissent herbes, mots & racines,
400A mon besoin faillent mes medicines:
Iours me sont tristes, & ameres les nuits
Par [p. 236]
Par moy veilles en douloureus ennuits.
Regret ne veut, & ne permet sans doute,
Que de repos prenne une seule goute.
405I'ay peu contraindre le dragon de dormir,
De moy, ne puis, & ne fais que gemir.
Ainsi apert pour vray que ma science
Est plus utile, & d'autre experience
Enuers autrui qu'elle n’est deuers moy,
410Dont à bon droit ie doy viure en esmoy.
A bon droit donq en larmes ie mefonde [sic pour me fonde]
Quand meintenant celle femme seconde
Embrasse & tient les membres & le corps
De cil que i’ay de noyses & discors,
415Et de danger preserué sans ruïne,
Voire de mort dont assez ie fus dine
Et elle prend (dont i’ay grieue douleur)
Les fruits entiers de mon paßé labeur.
Helas peut estre qu’à celle fausse femme
420Tu dis de moy meinte parole infame.
Elle te preste l'oreille voulentiers
Pour escouter tous tes deuis entiers.
Vous deus ensemble en la soëfue couche
Dites de moy meint faus parler de bouche
425Bien peu prisez mes faits, & ma beauté,
Bien me iugez femme sans loyauté.
Or' vous riez & en parler à l'aise
A fin que mieus l'un a l’autre complaise.
Dy à ta dame qu[’]elle rie hardiment,
Et [p. 237]
Et sous draps d’or & riche parement
Prenne sa vie tant qu'elle aura duree:
Car i’ay espoir qu’à voix démesuree,
Triste & piteuse, chetiue gemira,
Et grant ardeur en son cœur sentira:
435Tant que pourray fer, feu, venin comprendre,
Bien garderay ennemis de m'esprendre
En mon endroit, & bien seray vengee
De ceus par qui ie pense estre outragee.
Mais toutefois si mes humbles prieres
440Aucunement valent, ou peu, ou gueres
Duire à partie, ton courage endurci
Escoute au moins, & me prens à merci.
Humble te suis, ores tu peus connoitre:
Et tu vers moy bien humble soulois estre.
445Ie ne creindray pour la pais d'entre nous
De me getter deuant toy à genous.
Se ie te semble moins sufisante & uile,
Regarde au moins par amitié seruile
Iceus enfans qu'ores ie te presente,
450Dont tu es pere, & moy mere dolente:
Las bien seront haïs y malmenez
De leur maratre, & tot abandonnez:
Qua͂d les regarde mes gra͂s douleurs s'aßemble͂t,
Car pour certein trop au vif te ressemblent.
455Dont moult souuent larmes & piteus criz
Yssent de moy quand leur beauté descriz
Si te requier si quelque amour habite
Dedens [p. 238]
Dedens ton cœur, & par le mien merite
Par iceus deus enfans & tiens & miens,
460Que ie possede sans autres biens faits tiens,
Qu'il te plaise la part du lict me rendre
Auquel souloye à toy mon plaisir prendre,
Et pour lequel, quand à toy me donnay,
Tant de choses iadis abandonnay.
465Aioute foy, s'il te plait, à mon dire
Et ma requeste ne vueilles contredire:
Aïde moy, point ne te veus requerre,
Contre toreaus, ou monstres faire guerre
Ie seulement ne veus, ni ne requiers
470Fors les ioyeus soulas qu'en toy ie quiers.
I’ay bien de toy tel’ grace desseruie
Quand lors tu mis entre mes mains ta vie,
Si tu demandes mon douaire & mon bien,
Nous la contames alors (ce scez tu bien)
475Au champ douteus & terre labouree
Ou tu conquis celle toison doree:
Mon vray douaire & mon riche tresor,
Ce fut certes ce noble mouton d'or
Que tu possedes, & si ie demandoye
480Le recouurer, tot refus en auroye.
Le mien douaire,y tout mon bien meilleur,
C'estoit te voir en ioye & en valeur,
Et que te visse en florissant' ieunesse
Quant au premier vins au païs de Grece
485Or t'en va ore ou aller tu voudras,
Mais [p. 239]
Mais, s'il te plait, au moins tu me rendras
Le bien que i’ay submis à ton usage,
Mon tems perdu, voire & mon premier aage.
Saches pourtant l‘estat que tu meintiens,
490(Voire & la vie) de moy seule le tiens.
Tu n’as tresor, fame, biens, ne cheuance,
Que tu ingrat n’ayes par mon auance.
Mais puis qu’ainsi m'as voulu abuser,
Bien garderay longuement en user:
495De ce meffait seray certes vengee,
Car laidement tu m’as endommagee:
Iaçoit que peu pourtant peut proufiter
La menace de te desheriter:
Rien ne feras de chose que te die
500Dont il conuient que sous ta foy mendie:
Mais voulentiers ire, qui tous sens passe,
Engendre hayne & produit grand menace:
Donques mon ire & mon courrous suiuray
Encontre toy tant comme ie viuray:
505Et si mettray telle chose en vente
Que ie pourray en fin estre dolente:
Et peut estre que m'en repentiray:
Mais toutefois cela t’assortiray,
Car trop me dueil d'auoir mis ma fiance
510En homme plein de si grand' deffiance.
Or voye Dieu mon afaire piteus,
Et reconforte mon courage douteus
Car ie ne say autre voye meilleure
Fors que me venge ou que bien tot ie meure.

PREFACE SVR
L’EPITRE DE
LAO-
damie
à Protesilaüs.
*
PRotesilaüs nauigeant
auec les Grecs à
Troye, fut arrété cõme les autres
par
la tẽpeste de mer, au port Aulide: ce qu’ayant
entendu
Laodamie, sa femme, elle bien
ay-
mant son mari, & troublee de plusieurs
son-
ges, lui escriuit cette Epitre: par laquelle
l’amõnestoit ne se
getter en hazard de guer-
re, mesmement atendu le
piteus oracle (que
lon tenoir comme Profecie) qui disoit que
le
premier des Grecs qui descendroit en la
terre de
Troye, y mourroit. Or auint
que
Protesilaüs, comme le plus
vaillant, y descendit
le pre-
mier: & aussi y fut
il tué par
He
ctor.

LA XIII. EPITRE
D’OVIDE.
*
Laodamie escrit à Protesilaüs.
[Figure]
CElle qui t’ayme, & n’a fors de toy ioye,
Salut te mande, & salut si t’enuoye.
Toy & tes gens, selon le vray raport,
Estes trestous arrestez en un port
5Moult perilleus par un vent trop contraire,
Lequel garde seurement vous retraire
Helas ami, mais dy moy ou estoit
Ce vent mauuais qui ta nef n’arrestoit
Lors que de moy t’en allas si grand’ erre
10Faire aus Troyens pour Menelaüs guerre?
q Alors [p. 242]
Alors deuoyent les mers & enuirons
Donner fatiques [sic pour fatigues] à vos fors auirons,
Ce tems estoit moult propice & utile
A notre mer trop legere & mobile:
15Car pour certein lors que tu t'enuolas,
Et que de moy si tot tu t'en allas,
Plusieurs baisers t'eusse fait d'auantage,
Et déclaré le mien-entier courage.
De te dire meinte chose eu vouloir:
20Mais toy hatif, me mis à nonchaloir:
Tot tu fus prest de faire departie:
Et pour tirer en estrange partie
Tu eus le vent agreable & tout tel
Comme il faloit pour laisser ton otel,
25Aus nautonniers propice & conuenable,
Mais non à moy plaisant ne delectable.
Car par celui ie fus entierement
Separee de ton embrassement :
Ie n'eus loisir par ta nef auancee
30Te declarer moitié de ma pensee.
Et à grand peine eus espace en ce lieu
De te dire le tant piteus adieu.
Las que diráy ie? en celle creinte & doute
Le vent soudein ta nef pousse & deboute,
35Et si saisit tes voiles à son vueil,
Si que tot fus eslongnee de mon œil:
Tot fut de moy le mien ami arriere,
Dont.de regrets i’eu bien cause & matiere.
Tant [p. 243]
Tant que te sceu de loin aperceuoir,
40Autre plaisir ie ne queroye auoir:
Et de mes yeus les tiens ie poursuiuoye,
D'autre soulas à l'heure ne viuoye.
Et quand tu fus de ma vuë perdu,
Ie regardois le grand voile tendu,
45Lequel detint mes yeus en celle place
Tant que les sceu employer longue espace.
Mais par apres quand i'eu toy & tes voiles
Perdu de vuë, & que les blanches toiles
Furent si loin que mon œil n'y vid plus
50Et que vy fors mer tout le surplus,
Alors acoup vers toy print la volee
Ma ioye entiere par trop soudeine allee,
Et s'en alla la force de mon cœur
Iusques à toy, comme maître & veinqueur.
55Et tout acoup tombay lasse & pamee
Ainsi que femme en douleur entamee,
A peine sceut mon pere ne ma mere
Me preseruer de celle peine amere:
A peine sceurent, pour aller ne venir,
60Ne pour remede me faire reuenir.
En moy firent assez piteus ofice,
Trop inutile, & à moy peu propice.
Si ay regret, & me desplait moult fort
Que ie n’ay peu mourir en cet effort:
65Dar [sic pour Car] quand ie fuz de mon mal reuenue,
Douleur nouuelle en moy tot est uenue.
q 2 Loyalle [p. 244]
Loyalle amour par douloureuse estreine,
Commença poindre mon cœur & ma poitrine
Plus ne me chaut, plus ne quiers ni ne veus
70Prendre labeur à pigner mes cheueus.
Plus n’ay talent porter robe doree,
Puis que sans toy seule suis demouree.
Ca & là vois, sans plaisir ne deduit,
Selon que dueil & souci me conduit.
75Souuentefois mes voisines procheines
Apres moy crient, disant à voix hauteines,
Laodamie de quoy te peut seruir
A si grand dueil & peine t'asseruir?
Prens paremens de royale véture
80Comme apartient à noble geniture.
Ce peut il faire? & doy ie separer
Regrets de moy, & d'abits me parer,
Pompeus & beaus en sine de grand ioye,
Quand cil bataille deuant les murs de Troye?
85Dóy ie mon chef de fleurs acompagner,
Cointe me faire, & mes cheueus pigner,
Quand mon espous en guerre & en conqueste
Porte salade pesante sur la teste?
Prendráy ie robe de nouueau parement,
90Quand dures armes blessent le mien amant?
Certes, amy, de ce faire n’ay garde
Mais tout le point ou plus fort ie regarde,
C'est dueil, souci, & trauaus assembler,
A fin qu'en peine te puisse ressembler:
Et [p. 245]
Et si feray par ma chere aparoitre
Le grand danger ou ores tu peus estre,
Si prie aus Dieus que tu de Briam fils,
Tresfaux Paris qui cet outrage fis,
Dont c'est depuis meinte guerre ensuiuie
100Qui cause soit du danger de ta vie,
Et que les tiens & ceus de ton païs
Soient en la fin veincus & esbahis
Außi couart soyes tu à la peine,
Comme tu fus subtil à prendre Heleine:
105Las bien vousisse alors que tu la vis,
Qu'en autre endroit fussent tes yeus rauis
Et que si belle ne t'eust point apparue.
Pour estre ainsi de son mari tolue:
Ou bien voudrois, que lors qu'elle t'eust vù
110De grand' beauté n[’]usses esté pouruu.
Menelaüs moult trauaille & labeure
Moult se guermente, & souue͂t pleint & pleure:
Assez ha mis de gens à l’auanture
Pour recouurer la sienne creature,
115Maudite femme qui tel fait ha commis
Dont meintes dames regrettent leurs maris.
Dieus, ie vous prie, donnez voye oportune
Au mien espous, gardez le de fortune:
Faites que sauf il puisse reuenir,
120Et au dessus de tout mal paruenir
Et que ses armes presenter il vous puisse
En votre temple en lieu de sacrifice.
q 3 Las, [p. 246]
Las, ie creins tant que peril ne t’auienne:
Quand il conuient que tousiours me souuienne
125D'icelle guerre, & douteus apareil,
Ie fons en pleurs comme neige au soleil:
Et seulement quand les lieus on me nomme
Ou tu es ore & que le tout ie somme,
Soit Tenedos, Xantus, ou Ylion,
130Cela me donne de peurs un milion
Et puis ie pense que si Paris sans doute
N'eust mis son sens & son entente toute
N'eust pas ozé telle chose entreprendre,
Sinon qu'il eust assez pouuoir pour prendre,
135Et pour rauir celle que tant aymoit,
Ce fut Heleine que chacun estimoit.
Bien sauoit cil qui fit icelle prise,
Que force auoit pour garder la reprise.
Las, il y vint, comme ie say pour voir,
140Assez en point pour dames deceuoir:
Assez fut beau, en lui ne failloit mie
Chose qui fust pour aquerir amie.
Bien vint au lieu acompagné de gens
Deliberez, subtils & diligens:
145Nauire il eut leger, & de grand’ erre
Pour passer mers en meinte estrange terre:
Et puis qu'il vint de gens si bien parti
Bien croire faut qu'il ne s'en est parti
Du sien païs qu'il n[’]ait laißé grand nombre
150De gens, assez pour faire meint encombre,
Et [p. 247]
Et pour defendre son royaume & garder.
La peur que i’ay m’y fait bien regarder.
O dame Heleine ores faut que conclue,
Que par ce point tu fus prise & veincue:
155Mais moult ay peur, dont ie faiz telz regretz,
Que ton allee soit nuisante a noz Grecs:
Ie doute & creins, & souuent mets en conte
Vn apelé Hector, qui tous surmonte.
Il ha le bruit de prouesse en sa main
160Cheualeureus plus que nul autre humein.
Et pour ce, ami, si en riens me tiens chere,
Et que tu daigne exercer ma priere,
Ie te suppli que veuilles escheuer
Celui Hector, sans iamais estriuer,
165Ne batailler contre si robuste homme.
Pas ne l'ay vù, mais Hector on le nomme:
Retiens ce nom, & iamais n'y deuie,
Pour außi cher comme tu tiens ta vie.
Et quand cetui tu auras escheué,
170Garde toy bien que ne soyes trouué
D'autres Troyens en bataille mortelle,
Et considere que leur force soit telle
Comme celle d'Hector si preus & fort:
Ne te mets pas en ce douteus effort,
175Ains fuy leurs dars, leur enseigne & leur proye
Comme si tous fussent Hector de Troye.
Di (toutefois & quantes que voudras
En fier destour haut eslieue les bras)
q 4 De [p. 248]
De par toy la mienne Laodamie
180Que tant ie tiens chere espouse & amie,
Si m[’]a requis par lealle amitié
Que ie vueille d’icelle auoir pitié.
Et s'il auient que fortune permette
Que Troye soit par noz Gregois deffaite,
185Dieu vueille aumoins qu’elle soit abatue
Sans que nesvn te blesse, ne te tue.
Fasse hardiment Menelaüs la guerre
Et tenir puisse ses ennemis en serre:
Rauir puisse il à Paris deceuant,
190Ce que Paris lui rauit par auant.
Veinqueur soit il, sans faire longue pause,
Contre celui ou il ha bonne cause:
Demander peut sans reproche ou meffait,
Amendement de l[’]outrage à lui fait.
195Mais toy, ami, tu n’as cause si grande
Comme celui qui sa femme demande:
Tu ne dois fors pour viure batailler,
Et pour estre sain & sauf trauailler,
Et mettre peine te trouuer en brieue heure,
200Aus lieus piteus ou t'amie demeure.
O vous Troyens doucement vous suplie,
Que si la guerre longuement multiplie,
Et si les Grecs vous traitent rudement,
Vueilles auoir merci d'un seulement,
205A fin au moins que n'abrege mon aage
Par le trespas d’un si beau personnage
Las, [p. 249]
Las, il est ieune, & pas ne lui affiert
Estre assailli de glaiue qui tant fiert.
Sa face n'est rude, ne redoutable
210Pour se montrer en guerre espouuentable:
Mais celui là qui sa femme querelle,
Peut batailler & estriuer pour elle.
Quant est du mien ie ne desire pas
Que si auant se mette en ce trespas.
215Certes, ami ie te di & confesse
Que maintefois vouluz prendre hardiesse
De retirer la tienne voulenté
Lors que tu fuz si fort entalenté
D'aler si tot à ce siege de Troye,
220Laissant ta terre pour une etrange proye.
Car pour certein issant de ta maison,
Ne say comment ni à quelle achoison
Tu te blessas un pied, dont au courage
I’eu peur & creinte, d'auoir mauuais presage.
225Lors i’eu douleur, & soucieus esmoy:
Et commençay dire tout à part moy,
Ie prie à Dieu que ceci sinifie
Le brief retour de cil en qui me fie.
Bien me souuient, cher ami, de ceci:
230I’en ay le doute le dueil & le souci:
Si te le fais assauoir par ma lettre
Pour retirer ton vueil de non te mettre
Souz le pouuoir de main des estrangers,
Ne pres des armes ou grans sont les dangers.
q 5 Fais [sic pour Fay] [p. 250]
Fay que le vent legerement emporte
La grande peur que pour toy mon cœur porte.
Las, i'ay songé & eu auision
Que cil des Grecz qui par afeccion
Premier mettra le pied dedens la terre,
240D'iceus Troyens sera occis en guerre:
Dont celle dame moult grand regret aura
Qui son mari la premiere y perdra.
Si prie à Dieu que si preus ne te face,
Que tu mettes premier le pied en place.
245Et que ta nef n’aille pas si auant
Qu’elle arriue la premiere deuant:
Ains t’amonneste & si te veus bien dire,
Que tu sailles dernier de ton nauire:
Car pour certein celle terre n’est pas
250Ton heritage à bien faire ton cas.
C’est lieu non seur, ennemie frontiere:
Et pource, ami, ne t'en aproche gueres
Mais quand vers moy tu feras le retour
Hors du danger de ce piteus destour,
255Pousse ta nef & si te diligente
De tot venir quelque vent qui te vente
Quand tu auras ton païs aperçu,
Descens acoup pour y estre reçu.
Helas ami, tant suis mal atournee
260Qu’auoir ne puis une bonne iournee:
Soit or’ de iour ou soit ores de nuict
Le dueil que i'ay de toy tousiours me nuit.
Le [p. 251]
Le iour te pleins, & la nuict te regrette,
De peu dormir faisant longue diette.
265Mais toutefois la nuict plus que le iour
Nourrit mon cœur en peine sans seiour.
Bien sont les nuicts certes plaisantes à celles,
Aus belles dames, & ieunes iouuencelles
Qui ont leurs bras, à seur, couchez & mis
270Au pres de ceus de leurs loyaus amis:
Quant est de moy, seule gis & repose
En lict piteus, ou meins cas presuppose,
Faisant songes qui moult font trauailler
Mon triste cœur quand vient au reueiller:
275Et meintefois auis m'est & me semble
Que là sommes tous deus couchez ensemble.
Ioyes feintes me donnent du plaisir
Durant mon songe, dont court est le loisir.
Mais pourquoy est ce que souuent ie presente
280Deuant mes yeus ton image dolente:
Et dont vient ce que ie t'ois en dormant,
Ce m'est auis pleindre & gemir forment?
Lors ie m'esueille, & toute desolee
Creingnant ton mal, comme femme auolee,
285Ie recommande à noz Dieus ta santé
Si que tu sois de tous maus exempté:
Et n'ya temple, eglize, ou monastaire
Ou ie vueille mes oblacions taire:
Et point ne sont mes larmes espargnees,
290Car mes ioyes sont par toy eslongnees.
Las, [p. 252]
Las quand sera que te pourray reuoir,
Et doucement en mes bras receuoir?
Quand viendra l’heure, que nous, en sure couche
Tous deus gisans, me feras de ta bouche
295Les piteus contes de tes trauaus passez
Et les dangers de tes membres lassez?
Croy, cher ami, que moult feray content
Mon cœur alors tous tes faitz escoutant:
Mais ia pourtant ne seray oublieuse
300De te baiser oyant ta voix piteuse.
Et tu außi cent fois me baiseras,
Quand pres de moy à repos tu seras:
Cet interualle de baisers amiables
Fera trouuer tes contes plus sortables.
305Langue qui met à son dire compas,
Prononce mieus & si tot ne faut pas.
Mais, dous ami, puis que tu tendz à Troye,
Et que de vent & mer tu te fais proye,
Le bon espoir ou i'ay meints iours vescu,
310Par trop grand creinte est failli & veincu.
Qui est celui, tant fust loin de sa terre,
Qui se vousist ,fust à paix ou à guerre,
Sur mer bouter pour son païs reuoir,
Quand il pourroit de l’œil aperceuoir
315Que vent & mer lui seroit trop contraire?
Plustot voudroit arriere se retraire:
Et vous Gregois votre païs laissez,
Et autre terre etrange pourchassez,
Iaçoit [p. 253]
Iaçoit pourtant que vent, mer & tempeste
320Vous contrarie & danger vous apreste.
Ou allez vous? dont viennent ces raisons?
Tournez, amis chacun en vos maisons:
Ou tirez vous, ô Grecs? voyes vous mie
Que fortune ne vous est point amie?
325Certes croyez que ce retardement
Que vous auez, ne vient pas seulement
Du vent contraire ainsi que l[’]on repute,
Ains vient de Dieu lequel vous persecute.
Mais que querez? ne pourquoy trauaillez?
330Dont vient la guerre ? & pourquoy bataillez
Fort seulement, (dont ie ne me puis taire)
Pour recouurer une femme adulteire.
Pour ce donques tandis qu’auez le tems,
Reuenez tous, & en soyez contens.
335Si prie aux Dieus toutefois, & suplie,
Qu’à votre gré soit la chose acomplie,
Et que la doute qu'ay du mal auenir
Puisse à bon sort, & meilleur poinct uenir.
Moult ay despit de ces Troyennes dames,
340Quand mors verront nos gens rendre les ames,
Blessez, meurtris en ce piteus destour,
Enuironnez d’ennemis à l[’]entour.
De leur palais & de leurs grans fenestres,
Pourront iuger des plus fors ou adextres:
345Chacune d'elles son mari armera
Facilement, quand à la guerre ira:
Meinte [p. 254]
Meinte sera assez songneuse & preste
De mettre au sien l'heaume sur la teste:
Et en posant les pieces seurement,
350Se baiseront l'un l’autre doucement.
Cela sera piteus & dous ofice,
Aus deus confors amiable & propice.
Et quand la dame aura à son espous
Les armes mises lui dira meint propos,
355Et d’œil soigneus regrettant le regarde,
L’auertissant que bien se donne garde:
Aus Dieus le vouë, & si le recommande
A fin que sauf eschape de la bande.
Ainsi s'en ua bien armé le galant,
360Qui de combatre doit auoir bon talent:
Car il est frais, & si n’oublira mie
Les prieres & baisers de s'amie.
Assez combat, & à bonne raison,
Car sa retraite est pres de sa maison:
365Quand las sera de ferir & combatre,
Chez lui pourra s'en retourner esbatre:
Là prontement sa dame trouuera,
Qui pesant faiz acoup lui otera:
Et si sera sa chair mate & lassee
370De son espouse doucement embrassee.
Mais nous doulentes qui de vous sommes loin,
N'auons pour vray fors regret dueil & soin:
De si sommes de tous points incerteines
De vos trauaus, & de vos longues peines:
Creinte [p. 255]
Creinte nous fait penser & souuenir
De tout le mal qui vous peut auenir.
Or suis pourtant, dous ami, confortee,
Et à plaisir quelque peu exhortee:
Car iaçoit or, qu’en meintes regions
380Tu suis les armes, & grandes legions,
En ton absence i'ay peinte ton image
Pourtraite au vif, semblant à ton visage:
Hà quantefois ie la baise & cheris,
Ie l'entretiens, & doucement lui ris:
385Et pour certein mon vouloir lui descœuure,
Comme si tu fusses present à l[’]heure:
A elle parle, à elle ie me pleints,
Comme se dvst ecouter mes compleints.
Or m'en croy donq, tant est à toy semblable
390Qu'on iugeroit que vie ha veritable:
Et s'elle auoit la parole, ou le son,
Ce seroit toy, & ta propre façon:
Ie la regarde, & la tiens, & l'embrasse.
Comme si fust mon mari sans fallace:
395Et si me pleints de quoy par maintefois
A moy ne parle comme à elle ie fois.
Conclusion, ie te promets & iure,
Soit ore à ioye, ou à future iniure,
Soit à peril ou de vie ou de mort,
400(Dont mon las cœur moult souuent me remort)
En quelque part que fortune t’enuoye
Ou mort ou vif, te suiuray en ta voye.
Si [p. 256]
Si veus clorre mon epitre, & ma lettre,
Ou i'ay voulu en fin poser & mettre
405Vne requeste dont il m'est souuenu,
C’est qu'il te plaise, apres le contenu,
Auoir pitié de toy & moy ensemble,
C'est là le point, vela ce qu'il m'en semble.
PREFACE SVR
L’EPITRE
D’ IPERME-
stra
à Linus.
DAnaüs, fils de l’ancien
Belus, eut de
plusieurs femmes cinquante filles,
les-
quelles son frere
Ægistus ou Ægyptus,
de-
manda pour femmes à ses cinquantes fils:
mais
Danaüs ayant eu responce par l’oracle,
qu’il deuoit estre occis par le mari
de l’une
de ses filles: & voulant euiter ce danger,
monta en sa
nauire, & singla droit en Argos.
Or
Ægistus
(prenant ce fait à indignité, com-
me
s’il eust esté méprisé de son frere) enuoya
ses cinquante fils auec une
armee, poursuy-
ure son frere
Ægistus: & sous tel comman-
dement, & charge expresse de ne retourner
sans le tuer, ou
q̃ les mariages fussent acom-
plis.
Ægistus dõq par eus assiegé, leur accorda
le
[p. 257]
257
le mariage de ses filles: ausquelles secrette-
ment il auoit baillé à chacune un glaiue,
ex-
pressemẽt pour occir leurs maris la
premi-
re nuict, quand ils seroient endormis &
rem
plis de vin & de viande auec leur nouuelle
ioye. Ce qu’elles firent toutes, excepté seule
mẽt une, à sauoir Hypermestra.
laquelle ayãt
pitié de son mari Linus (aucũs disent
Lincus,
autres Linceus)
l’auertit, & lui conseilla s’en-
fuir promptement
vers son pere Ægistus.
Mais comme
Danaüs connut que
Hyperme
stra n’auoit fait son
cõmandement ainsi que
les autres, il la vous fait prendre, &
reserrer
en prison bien estroitement. Elle donq estãt
ainsi enfermee
pour auoir sauué son cousin
germain & son mari, lui enuoya cette
epitre,
le requerãt la venir deliurer de captiuité: ou,
si elle y
meurt, l’ensepulturer. Mais Linus en
fin la deliura,
& tua Danaüs, pere d’elle. Les
Poëtes feignẽt q̃ ces meurtrieres seurs (qu’ils
nõment Belides
& Danaïdes, du nom de leur
pere & pere grand) sont aus enfers
punies
de telle peine qu’elles cuidẽt rẽplir d’eaeu un
vaisseau persé:
qui coule incessamẽt, & au-
tãt en gette cõme
elles en mettẽt, dont Oui-
de
fait mencion en plusieurs passages, mes-
sme en la
Metamorphose liure quatrieme.

LA XIIII. EPITRE
D’OVIDE.
*
Hypermestra escrit à Linus.
HYpermestra dolente & langoureuse,
Par cette lettre de larmes plantureuse,
A toy Linus, reste de tant de freres,
Donne salut en pleintes trop austeres:
5Nagueres fustes plusieurs freres germains,
Ores es seul, & ores seul remains:
Remains
pour de-
moures.
Les autres ont aus Dieus rendu les ames
Par la rigueur de leurs cruelles femmes.
Or suis tenue (toutefois sans raison)
10En fiers liens, & obscure prison.
La seule cause de ma peine outrageuse
C’est seulement d’auoir esté piteuse.
Blamee suis de mon pere inhumein
Dont i’espargnay t’occire de ma main.
15Et pour certein de lui louee fusse
Si tel crime voulu faire lors eusse.
Mais trop plus ayme auoir desobeï
Au sien vouloir, que de t’auoir trahi.
I’ayme plus cher ma main franche & deliure
20De cruauté, que de ta mort poursuiure.
Et me deust or’ celui pere impiteus
Getter [p. 259]
Getter au feu, que iamais pour nous deus
Iadis conioints soufrisse violence,
Ou m’occire du glaiue sans doutance,
25Qu’il me bailla pour ta vie abreger,
Si que ie sois pleige de ton danger,
Et que sur moy la mort soit preparee
Que par moy fut de toy desemparee.
Ia pour grans maus qu’il me faße en effet,
30N’auray regret du bien que ie t’ay fait.
Ie n’auray dueil, par loyalle amitié
D’auoir eu certes de mon mari pitié.
Se deulent celles desloyales espouses
Qui ont osé commettre telles choses:
35Et mon pere tout plein de malefice,
Se repent y d’auoir commis tel vice.
Car telz exploitz grandes peines meritent
A ceus pour vray qui tant mal s’y aquitent.
Mon cœur fremit, & tremble, pour tout voir,
40Quand si grand crime ie veus ramenteuoir,
Et quand außi, par memoire frequente,
Le sang espars en celle nuict dolente
Ma main ne peut d escrire [sic pour descrire] , & s’y ayder,
Ne sur papier la plume bien guider.
45Ie qui ay peu mettre fin à ta vie
(Dont toutefois ie n’euz iamais enuie)
Creins & ay peur de dire seulement
De ton salut le remede & comment:
Or’ le diray pour prouoquer à larmes
r 2 Ceus [p. 260]
Ceus qui liront mes pitoyables termes.
Par une nuict obscure & tenebreuse,
Que ia le iour de clarté lumineuse
Commençoit poindre, dechassant le noir ombre,
Nous toutes seurs, & cinquante de nombre,
55Liurees fumes pour prendre & espouser
Autant de freres sans nous y oposer.
Là nous transmit nostre desloyal pere
Souz ioye feinte, qui bien peu fut prospere:
Receues fumes au palais d’Ægiptus,
60Ou les plaisir furent tous abatus:
Car chacune de nous fut lors contreinte
Souz beau[s] habits porter espee ceinte
Pour mettre à mort, & sans auoir merci,
En celle nuict chacune son mari.
65Tel’ cruauté notre pere fit faire,
Et commanda ce faus crime parfaire.
Mais que diray? Tant fimes en effect
Que l’appareil des grans noces fut fait:
Le feu fut mis es lampes preparees,
70Qui furent belles, & richement dorees,
Et de senteurs & bons odoremens,
Furent garniz les nouueaus paremens,
Chacun se print à faire esbats & feste,
A tous plaisir n’est nul qui ne s’apreste:
75Dances & ieus furent mis en auant,
Et meins mangers reïterez souuent:
De diuers vins furent tasses remplies,
Et [p. 261]
Et bonnes cheres en tous lieus acomplies.
Que diray plus les clameurs & les riz
80Eurent si fort amusez nos mariz
Que nullement le danger n’aperçurent
De leurs femmes qui apres les deçurent:
Ains furent tous les chetifs & mal nez
En leur chambre conuoyez & menez,
85Chambres, pour vray, q͂ bien nommer deuroye
Leur sepulture fin de derniere ioye:
Bien tendues de soyes & tapis:
Ou leurs dangers furent cloz & tapis:
Bien esperoyent y prendre reposee
90Vn chacun d’eus auec son espousee.
Là furent ils dedens leurs couches mis,
Et doucement en repos endormis,
Lors grans mangers &le somptueus boire
Les agraua, comme chacun peut croire.
95Helas iouï, certes, tantot apres
Ceus qui de moy furent procheins & pres,
Pleindre gemir à voix moitié faillie
Que Mort tenoit desia en sa baillie,
Baillie
pour puis-
sance.
Ia transpercez de glaiue femenin
100Dont pas n’eurent celles le cœur benin.
De tel esclandre fuz troublee & marrie,
Et demouray sans sang toute esbahie,
Froide deuint & de cœur & de corps,
Quand i’entendi si trespiteus acors:
105En triste lict ie demouray gisante,
r 3 Outr [p. 262]
Outree au vif, esperdue & dolente.
Et tout ainsi comme il auient au blé,
Alors qu’il est de petit vent troublé
Cà & là verse à diuers bouffemens,
110Ou aus feuilles qui souffrent tremblemens,
Dedens les arbres de grand vent, agitees,
Dont meintes fois sont à terre gettees,
Certeinement tout ainsi, ou plus fort,
Tremblay alors en voyant cet effort:
115Et tu pres moy tendrement reposois,
Qui ton peril si prochein n’auisois.
Deuant mes yeus suruint premierement
Voix paternelle, & son commandement,
Qui dechassa de moy & peur & creinte,
120Pour parfaire la chose sans contreinte.
Et tout acoup, cela consideré,
Mon premier sens si fut deliberé
De transpercer ton corps & ta poitrine
De piteus glaiue, & doloureuse estreine,
125Et (brief) ami, ie te di sans mentir,
Ma main osa par trois fois consentir
Prendre ce glaiue pour t’occire sans grace,
Et par trois fois ie le gette en la place:
Car tout me vint certes à l’auenant,
130Creinte de pere si mit si tresauant
Que i’aprochay la trespoignante espee
Pres de ta gorge, pour tot estre coupee.
Mais, pour certein, douce amour & pitié
Resist [p. 263]
Resisterent à celle inimitié:
135Et ma main chaste aus Dieus recommandee,
Ne parfit pas la chose commandee.
En cet estrif, si piteus & dolent,
Frappant ma coulpe, mes membres afolant,
Ie diz tout bas en creinte d’estre ouie,
140Ha poure femme bien dois estre esbahie!
Bien est ton pere peruers & faus tirant,
Dont il conuient, pour son plaisir parfaire,
Executer si desloyal afaire:
Et que cetui que tant fort nous pleingnons,
145Auiourdhui meure auec ses compagnons.
Au fort, pourtant, nature femenine
Doit à pitié & douleur estre encline.
Ie qui suis femme, ieune pucelle, & tendre
A cas si grief ne voudrois mie entendre:
150Ma volonté à raison forferoit
Trop grandement, quand ainsi le feroit.
Ma main n’est pas sortable ue [sic pour ne] propice
Pour exercer un si cruel office.
Le feras tu? ouï : car en effet
155Faire conuient comme tes seurs ont fait:
Puis que tu as tems & heure oportune,
Vser te faut de voye de fortune.
Iaçoit pourtant, si i’employe ma main
A la soiller dedens le sang humein,
160Tantot apres, & sans longue demeure,
r 4 Ie [p. 264]
Ie m’occiray : car droit veut que ie meure.
Meritent ceus telle peine arbitraire
Pour demander leur part hereditaire:
Que si ne l’ont pourra en grans danger:
165Choir & venir es mains des estrangers)
Helas nenni : bien sont dines de vie:
Mais eussent ils ores mort desseruie,
Pensons nous point poures chetiues femmes,
Que commettons grans crimes & difames?
170Qu’à cestuy fait enuers moy? nullement,
Dont ie le doiue occire promptement.
Trop mal me siet porter glaiue ou espee,
Ne pour bataille ou guerre estre ocupee:
Plus m’est sortable, le tout bien consulté,
175Fuseau en main, & quenouille au coté.
Ainsi faisois mes regrets en tels termes,
Lesquelz finiz furent suiuis de lermes:
Et du grand pleur & ruisseau de mes yeus
Arrousez furent tes membres en meints lieus.
180Lors te dormant, non pensant telle chose,
Gettas tes bras enuers moy ton espouse,
Et doucement me vouluz embrasser
Tout endormi, cuidant te solacer:
En te tournant pour à ton gré sufire,
185Tu te cuidas piteusement occire
Par la pointe de ce glaiue inhumein
Que ie tenois pour lors nu en ma main.
Las, que diray? nous estans en cet estre
L’aub [p. 265]
L’aube du iour commença aparoitre:
190I’eu creinte & peur que mon pere & ses gens
Fussent acoup songneus & diligens
De visiter en toute la pourprise,
Pour enquerir l’exploit de son emprise,
Et pour sauoir si chacune endroit soy
195Auoit usé de paternelle loy.
Helas ami poureuse de ce doute,
Ie t’esueillay, & dis bas, or escoute:
Sus, leue acoup, toy qui es meintenant,
Frere tout seul de tout le remanant,
200Si promptement tu ne te diligentes,
Et que du lieu on [sic pour ou] tu es ne t’exemptes,
Saches, pour vray, que cette nuict sera.
Ta derniere heure, qui grand mal me fera.
En ce disant, lors que ma voix te sonne,
205Tu t’esueillas acoup du parfond somne.
Et doucement me pris à regarder.
Lors en main auisois sans tarder
Le fer mortel qui menassoit ta vie,
Cause pourquoy, de sauoir euz enuie:
210Mais ie te dis plus n’est lieu de parler,
Tant qu’il est nuict tache de t’en aller.
Ainsi le fiz, & t’en va sans demeure,
Et ie seullette en ma chambre demeure,
Puis le iour vint, & tantot s’avança
215Mon cruel pere, qui nombrer commença
Les trespassez dedens ce mortel ombre
r 5 Dont [p. 266]
Dont toy tout seul fuz à dire du nombre.
Moult lui fut grief, & moult me reprouua,
Quand desconfit & mort ne te trouua:
220Et bien pensa que lors par ta saillie,
Son entreprise fut rompue & faillie.
Cil impiteus pere, soudeinement
Par les cheueus me print si rudement,
Et commanda qu’en prison tenebreuse
225Gettee fusse, ainsi que crimineuse:
C’est le loyer qui me fut apresté
Pour trop piteuse & douce auoir esté.
Moult malheureuse fut la notre naissance,
Quand tel afaire sur nous court & auance.
230Que diray plus? tantot certes apres
Mon pere & oncle firent leurs grans aprets
De gens en armes de bataille mortelle,
Et commença entre eus une querelle,
Si que chacun se mit en grant arroy,
235Lequel seroit par dessus l’autre, Roy.
Ainsi fumes durant les grandes guerres
Exilees de noz voisines terres.
Et nous mena le vent en mer parfonde
Au plus lointein climat de tout le monde.
240Cil Egyptus si auant proceda
Que le royaume rauit & posseda:
Et si priua, contre droit, la personne
De notre pere, de sceptre & de couronne.
Ainsi fumes contreinte au besoin
Nous [p. 267]
Nous en aller auecques lui bien loin
Nous toutes seurs poures & soufreteuses
Partimes lors en larmes planteureuses.
Et notre pere ia vieus exillé
Fuit, delaissant son païs tout pillé
250De tant de freres la reste est bien petite,
Et si ne say ou cil encores habite.
Ie pleure & pleins iceus mors & transiz,
Et außi celles par qui furent occis.
Les freres ont fini leurs poure vies,
255Et les seurs sont perdues & rauies:
Or vueillent prendre mes larmes & mes pleurs
Mes freres mors, & mes dolentes seurs,
Helas, & moy suis en peine liuree,
Pource que i’ay ta vie deliuree.
260Que fera l[’]on à ceus qui ont meffait,
Quand mal ie seufre, & pour auoir bien fait?
Si tu as donq, ô Linus, soin & cure
De moy qui suis la tienne creature,
Et si tu as à bon gré le plaisir
265Que ie t’ay fait d’amiable desir,
Deliure moy de telle seruitude,
Et de prison qui m’est cruelle & rude:
Ou bien me tue sans faire long seiour,
Sans plus languir & de nuict & de iour.
270Et quand ma vie sera mise en roupture,
Gette mes os en dine sepulture,
Et les arrose des larmes de tes yeus.
Mon [p. 268]
Mon esperit s’en trouuera de mieus.
Fais insculper dessus ma tombe & mettre
275Vn epitaphe compris en brieue lettre:
Ci dessouz git le loyer & le pris
De charité,que mort non duë ha pris.
Hypermestra exilee & bannie
Du sien païs, piteusement finie:
280Mort à son cœur à triste fin liuré,
Dont elle auoit son frere deliuré.
Meinte autre chose escrire te voudroye,
Mais, cher ami, certes ie ne pourroye:
Car fer trop dur tient liee ma main,
285Par le vouloir du courage inhumein.
Puis creinte & peur m[’]oste la connoissance
De bien parler, & de douce eloquence.
[fleuron]

PREFACE SVR
L’EPITRE DE PARIS
A
HELEINE.
*
PAris nauigeãt de
Troye en Sparte, au-
trement dite Lacedemon (soit
pour
recouurer par ambassade la Dame Hesione,
seur de son pere Priam, que Hercules
auoit
liuree à Telamon en la premiere prise de
Troye, soit pour iouïr de la belle Heleine,
dont il
auoit grande esperance, & promesse
de la deesse
Venus:) fut nohorablement re-
ceu par Menelaüs, comme beau ieune prin-
ce qu’il estoit. Mais Menelaüs ayant
besoin
de faire voile en Candie pour partager
les
biens & possession de son pere Atreüs, de-
laisse Paris chez lui:
commandant à sa fem-
me Heleine
qu’elle le traitast autant bien
comme lui mesme. Adonq
Paris, voyant l’o-
casion se
presenter à lui, s’efforça d’atraire à
son amour la belle
Heleine, lui escriuãt cette
artificielle epitre
par laquelle il lui declare
la grande ardeur de son amour enuers elle.

LA XV. EPITRE
D’OVIDE.
*
Paris escrit à Heleine.
SAlut enuoye à toy, ô dame Heleine,
Le tien Paris qui ne peut à grand peine
Salut auoir, pour bien que sache ouurer,
Fors que par toy le puisse recouurer.
5Diráy ie, las, ma dure destinee,
Qui est à dueil si fort predestinee?
Quel besoin est, soit à gain ou à perte,
Cacher la flamme ia connue & aperte:
Certes le feu qui mon cœur brusle & art,
10Assez se montre & assez se depart:
Que plust à Dieu que plus celee ou close
Fust l’estincelle qui est en moy enclose:
Et que l’amour, dont i’ay si grand montioye,
Ne se montrast sinon au tems de ioye,
15Au tems pour vray que toute creinte & peur
Seroit bannie du tien & du mien cœur.
Mais trop mal say dißimuler & feindre,
Et ia ne puis ma voulenté restreindre:
Feu ne se peut ne clorre ne celer,
20Sa flambe mesme si le peut desceler.
S’il te plait donq escouter & entendre
L’in [p. 271]
L’intencion que ie vueil entreprendre,
Et que te die du tout entierement
Le mien vouloir & le mien pensement,
25Ie te dis, certes, que ie brule & consume
Par feu d[’]amours, qui tout mon cœur alume.
Cette parole te veut faire assauoir
Que point ne mens, mais que ie te dis voir
voir,pour,
vray
,
Pardonne donq, douce dame & princesse.
30Pardonne à cil qui à toy se confesse,
Et qu’il te plaise ce present escrit lire,
Non en desdain, en courrous, ou en ire,
Mais d’œil piteus en pure loyauté,
Comme il afiert à la tienne beauté.
35Moult auray ioye si tu reçois ma lettre,
Ce me fera certein & tout seur d’estre
Par toy reçu pour le tems auenir:
Heureus seray se i’y puis paruenir.
Certeinement moult appete & desire
40Que la dame de l’amoureus empire,
Dite Venus, qui ici m’a transmis,
Tienne & parface ce qu’elle m’a promis:
Et pource à fin que comme non sauante,
Tu ne peches de ce fait ignorante:
45Saches, pour vray, que tel commencement
Ie n’ay empris sans diuin mandement.
Ie quiers & veus grand loyer & salaire,
Bien deu pourtant selon le mien afaire:
Car pour certein, celle dame Venus
Par [p. 272]
Par qui sommes en ce païs venus
M’a ottroyé (bien faut que le remembre)
De te faire concierge de ma chambre.
Par son aïde & utile conseil
Ie mis mes nefs acoup en apareil,
55Et si parti du mien païs grand erre
Pour paruenir en estrangere terre,
Si que depuis pour toy, las, qui tant vaus,
I’ay enduré grans peines & trauaus
Et pour auoir mes atendues ioyes,
60I’ay trauersé de perilleuses voyes.
Mais la deesse qui de ma nef fut guide,
Me preserua par bien songneus remide.
Et me donna vent dous, & seure mer,
Pour paruenir à ce que veus aymer.
65Or la supli que tousiours perseuere,
Et qu’enuers moy ne se montre seuere:
Et tout ainsi qu’elle ha donné faueur
A ma nauire pour veincre la fureur
De mer parfonde, außi ie lui suplie
70Qu’elle apaise le feu qui multiplie
Dedens mon cœur, & que par son suport
L’intencion que i’ay uienne à bon port.
I’ay aporté auecques moy la flamme
Qui tout mon cœur & deseiche & enflamme.
75Pas n’ay trouué le feu en ce païs
Par qui mes sens sont ars & enuahis:
Et toutefois celle flamme certeine
Ha [p. 273]
Ha esté cause de voye si lointeine.
Le triste yuer, ne le vent forcené
80Ne mon plaisir ne m’a pas amené
Car au partir mon entente fut telle
De voir ta face qui me semble immortelle.
Ne pense pas qu’en mer ie me sois mis
Ne que ie sois dedens ma nef remis
85Pour faire achapt d[’]estrange mercerie:
Ma nef n’est pas pour tels choses cherie.
Assez ay bien (ie le di sans vanter)
Dont ie me doy par raison contenter.
La grand’ richesse, & le bien que i’espere
90Dieu par sa grace le me fasse prospere.
Außi ne viens pour regarder ces lieus,
Ne les citez lesquelles ualent mieus:
Nous en auons en notre territoire
De toutes telles, & de plus grand memoire.
95Ie seulement te demande & te quier:
Autre pourchas ne veus & ne requier
Dame Venus, par qui fais telle aprouche,
Faire te doit compagne de ma couche.
De si grand nom & louenge es pouruuë,
100Que t’ay aymee auant que t’auoir vuë:
Ta belle face & ta grande valeur
Fut imprimee par raport en mon cœur,
Voire premier que iamais en ma vie
Mon œil t’eust vuë de tel’ beauté pluuie.
105Bruit & renom me dit premierement,
s Qu’elle [p. 274]
Qu’elle tu fus de ton exaucement.
Mais tu es plus de grand vertu sommee
Qu’on ne pourroit sauoir de renommee:
Nature ha plus en toy de grace mis
110Que renommee ne m’en auoit promis.
A bon droit donq Theseüs si tressage,
Cheualeureus & de haut vasselage
Te voult
voult pour
voulust.
aymer, quand si belle te vid,
Et non sans cause il te print & rauit:
115Si noble proye bien fut sortable & due
A homme plein de si grande value.
Il te print donq en bien ieune saison,
Et t’amena en la sienne maison:
Moult fort le loue de quoy il te sceut prendre,
120Et m’esbahis pourquoy te voulut rendre.
Telle richesse deuoit certeinement
Estre gardee & close seurement.
Si tant de bien auenu me peut estre,
Au monde n’a si fort & puissant maitre
125Pour qui ie t’eusse voulu restituer:
Plustot me fusse auant laißé tuer:
Plustot eusse baillé ma teste en gage
Que perdre, las, dame de tel parage.
Iamais ma main eslongner ne pourroit
130Vn tel tresor, fust à tort ou à droit.
Iamais pour rien, certes, ie ne pourroye
Demourer vif, & voir perdre ma ioye
Si ce bien donq, me fust lors auenu,
Et [p. 275]
Et que ce fusse à t’auoir paruenu,
135Si comme fit Theseüs ce preus homme,
Et puis que i’eusse esté contreint, en somme,
A la parfin de te rendre & liurer,
Aumoins i’eusse en auant te deliurer
Part au plaisir d’amoureuse saisine,
140Si dieu m’eust fait de telle grace dine.
Ia n’eusse esté si creintif & douteus,
Que i’en fusse demouré soufreteus:
A peine t’eusse voulu pucelle rendre,
Ou pour le moins i’eusse t[â]ché à prendre
145Ce qu’on pourroit, sauf la virginité,
Prendre & auoir en pure loyauté.
Si te suppli dame si belle & gente,
Que ton vouloir permette & consente
Que tu sois mienne, & lors pourras sauoir,
150Si ie veus faire enuers toy mon deuoir.
Ainsi sera l’ardeur de moy esteinte.
Par une amour aliee & coniointe.
Ie t’ay voulu à tout bien preferer,
Dont me vouloit Iuno remunerer:
155Et si ay fait refus de grand richesse
Plus ay aymé de t’auoir pour maitresse:
I’ay dedaigné les vertus de Palas,
Pour ta valeur, dont iamais ne fuz las.
Et toutefois ne m’en repenti onques:
160Car peu prise tous autres biens quelconques
Si mon cœur s’est de ton amour saisi,
s 2 Dire [p. 276]
Dire on ne peut que i’aye mal choisi.
En ce propos demourra arrestee
Ma voulenté, sans iamais estre otee.
165Donques te pri, dame, de tout mon cœur,
Dine d’estre requise à grand labeur,
Qu’il te plaise ne soufrir ne permettre
Que mon espoir, dont pas ne suis le maitre,
Demeure vain, perdu, & sans proufit,
170Ou autrement mort suis & desconfit.
Ie ne suis pas de si basse naissance
Que bien ne vaille auoir ta connoissance.
Et quand ma femme ou espouse seras,
En dous plaisir tu te reposeras.
175Si tu t’enquiers qu’elle est ma parentelle,
Tu n’en pourras ailleurs trouuer de telle.
Ia n’est besoin d’axaucer le renom
Des ancestres dont ie porte le nom.
Mon pere est Roy, & tient sous lui saisie
180L’autorité, l[’]honneur de toute Asie.
C’est un païs moult fertile & duisant,
A l’œil humein delectable & plaisant:
Tu y verras citez innumerables
Maisons dorees, & terres proufitables,
185Temples si beaus & excellens moutiers,
Ou les tresors sont riches & entiers:
Tu y verras la noble forteresse,
Dite Ilion, dont parler on ne cesse:
Außi les murs garnis de fieres tours,
Pour [p. 277]
Pour resister à tous bruyans destours.
Qui furent faits au dous chant de la lire
Qu’auoit Phebus de musique le sire.
Que te diray du peuple & des manans?
Tant en y ha en ce lieu d’abitans
195De mainte espece & de diuerse forte
Qu’à grand peine terre les tient & porte.
En trionfe recueillie seras
Quand ton entree en la Troye feras:
Dames viendront te faire reuerence,
200Et des pucelles auras l’obeissance.
Lors tu diras que ton peuple & ta gent
Quant à cetui est poure & indigent:
Et qu’une place vaut mieus, soit paix ou guerre,
Que la meilleur’ cité de votre terre.
205Ie ne le dy pourtant pour mespriser
Le tien païs, bien m’en veus excuser:
Car pour certein la terre ou tu es nee
Doit estre dite heureuse & fortunee:
Mais trop est poure au pris de ta valeur:
210Bien deu seroit à toy païs meilleur:
Ce lieu n’est pas conuenant ne sortable
A ta beauté qui est inestimable:
Ta douce face, & tes yeus si tresbeaus
Meritent bien acoutremens nouueaus.
215Penser ne dois iamais à nul afaire
Fors seulement pour ton plaisir parfaire.
Quand tu verras l’abillement des hommes,
s 3 Et [p. 278]
Et la veture du païs dont nous sommes,
Qui est si belle & de nouueaus deuis,
220Bien iugeras selon le tien auis,
Que pas n’est moindre l’acoutrement des dames:
On n’y sauroit trouuer faute ne blames.
Rens toy facile à moy, & de bon gré,
Pour paruenir en ce royal degré:
225N’elongne pas un tien seruant de Troye,
Qui tant de biens te presente & ottroye.
Mes ancestres & tant louez parens,
Doiuent estre de mes vertus garens:
Il n’est besoin que plus le die ou nomme,
230Le bruit d’iceus assez fort les renomme.
Ie ne croy pas que cil Menelaüs
Le tien espous, des plaisirs qu’il ha eus
Soit capable, ne qu’il ait meritee
D’auoir dame de tel grace heritee,
235Et te fais iuge si sa forme & ses ans
Sont point aus miens lointeins & diferens:
Il est issu d’obscure parentelle,
Et ses parens furent pleins de cautelle,
Et ont oséles siens executer
240De si grans maus qu’on ne peut reciter.
Mais que vaut ce? ne de quoy me proufite?
Quand cil te tient ou tout reproche habite?
Cil te possede & te tient nuitz & iours,
Cil ha de toy les dous baisers tousiours,
245Qui est indine (à bien lui satiffaire)
Du [p. 279]
Du moindre acueil que tu lui saurois faire:
Et moy qui brule & qui ars de desir,
A peine ay lieu, espace ne loisir
De contempler ta face inestimable,
250Quand nous disnons & que sommes à table.
Et encores quand ainsi ie te voy,
Et que ton œil me fait un dous renuoy,
Considere que n’ay membre ne veine
Qui lors ne soufre une mortelle peine.
255Certeinement ie meurs, & point ne viz
De viandes de si cruelz conuiz.
Traiter deuois de tous telz entremets
Tes mal vueillans, non moy qui n’en puis mais.
Moult me repens, & assez cher me coute
260D’auoir esté si longuement ton hoste:
Dieu scet le dueil, & le mal que reçoy
Quand à toute heure ie voy & apperçoy
Cil meschant homme plein de mauuaise grace,
Qui à son vueil te possede & embrasse.
265Ie meurs d’ennui quand ie voy tel galant
Qui de ses membres va les tiens acolant.
I’ay triste cœur plein de melencolie
Quand cil atouche à ta chair tant polie,
Et peu me sens à fortune tenu
270Quand avec toy il repose tout nu.
Souuentefois ie voy comment, à l[’]aise,
Cil desplaisant & rebelle, te baise,
Et quand sommes souuent à table aßiz
s 4 Et [p. 280]
Et que ie voy (dont souuent ie transiz)
275Que cil te baise, & avec toy soulace,
Faisant semblant boire, ie pren la tasse
Pour que ne puisse regarder ne sauoir
Le dous plaisir qu’il y peut receuoir,
Ie diuertis mes yeus, & les enuoye
280En autre part, à fin que ne vous voye.
Lors la viande, dont ie prens bien petit,
Croit en ma bouche sans auoir apétit.
Souuent m’as vù souspirer & me pleindre,
Parfaite amour ne m’en pourroit restreindre.
285Mais tant estoit ton gros cœur endurci
Que tu n’auois de ma douleur merci,
Ains quand plus fort ie me pleins & souspire,
Moins t’es tenue de t’en moquer & rire.
Souuentefois i’ay voulu moderer
290Mon feu d’amour, & me deliberer
De plus n’aymer, ta deceuant’ maniere:
Quant i’ay cuidé la degetter arriere,
Plust est en moy augmenté le vouloir
De tant t’aymer, dont bien me doit douloir.
295Souuent mes yeux se destournent & virent
Hors de ta vuë, mais les tiens les retirent:
Mais quand ie cuide de te voir les garder,
Ta grand’ beauté contreint te regarder,
Lors à part moy pense que ie doy faire,
300Comme pourray à mon mal satisfaire:
Car c’est à moy grande peine & douleur
De [p. 281]
De regarder, sans auoir bien meilleur.
Mais ce seroit encores plus grand peine
Si ta presence etoit de moy lointeine.
305Ie trauaille le plus fort que ie puis
A bien celer la fureur ou ie suis,
Mais tant ne say la couurir ne la taire
Que celle amour ne se montre, & appaire.
A toy n’ose ne veus parler souuent,
310Pour que danger ne soit du fait sauant,
Besoin n’en est, ia ne faut que desploye
Ma volenté, car tu connois ma playe:
Tu la connois la mienne intencion,
Ia n’est besoin d’en faire ostencion.
315Que plust à Dieu que tu connusses seule,
Le cas pourquoy il faut que ie me deule.
Las, quantefois pour les larmes piteuses
Qui de mes yeus issoient plantureuses,
I’ay destourné ma face en autre part,
320Et fait mon pleur & mes pleintes à part,
A fin que cil ne se doute & enquiere
Cause pourquoy i’ay si triste maniere.
Ha quantefois i’ay fait contes nouueaus
De ceus qui ont esté amans leaus
325Et t’ay narré leurs douces acointances,
Leurs entreprises, außi leur iouissances:
Et en contant leur plaisir & leur ioye,
Piteusement alors te regardoye.
Souuentefois, pour mieus taire & celer,
s 5 A ton [p. 282]
A ton mari ce d’ont n’ose parler,
Dißimulois ma douleur & tristesse
A ce que lui ne s’enquiere & connoisse.
I[’]ay de meint cas narré le contenu
Estre pour l’un, ou pour l’autre auenu
335Et feint le nom d’aucun en cette chose,
Mais c’est de moy de qui ie presupose:
Et pour certein encor ay’ie mais fait,
Car i’ay souuent deuant lui contrefait
L’homme enyuré, sans raison ne mesure,
340A fin que i’eusse moyen & couuerture
D’assez parler à toy (pour dire voir)
Sans qu’il s’en peust en rien apperceuoir,
Bien me souuient, moult fut heureuse l’heure,
(Mais trop petite fut pour tant la demeure)
345Quand une fois, (ou tu ne pris auis)
Ton blanc tetin & ta poitrine vis.
Ce bien me fit à l’heure ta veture
Qui un bien peu s’entr’ouurit dauanture,
Et donna voye & chemin à mes yeus
350Pour voir ton sain tant cler & precieus.
Lors vis ta chair (dont or’ mon mal engrege)
Plus que lait blanche, voire trop plus que neige:
Et tant fus lors, en te voyant si belle,
Surpris d’amour, & d’ardeur si rebelle,
355Que ie tombay esuanouï forment,
Considere donques ô quel tourment!
Souuentefois cuidant trouuer mes aises,
Quand [p. 283]
Quand ie regarde & voy lors que tu baises
Hermonie ta fille tendrement.
360Ie recommence acoup tout promptement,
Et apres toy ie la baise & embrasse:
Ce me proufite & ma douleur efface.
Souuent ie chante, & conte les façons
Des vrays amans par mes tristes chansons.
365Helas, i’ay vù au moins que ie parloye
A tes seruantes, & mon cas leur contoye:
Mais meintenant n’ose tenir propos
Fors en creinte, dont ie pers le repos.
Or plust à Dieu que d’une grand bataille
370Ou il y eust gens fors de toute taille,
Tu seule fusses le salaire & le pris,
Et que celui qui mieus auroit apris
A tournoyer & qui ne fuiroit mie,
Te deust auoir pour sa dame & amie:
375Ainsi que cil qui tant diligenta
Qui par courir aquit Atalanta.
Ou comme fit Hercules, sans doutance.
Qui pour auoir l’amour & l[’]acointance,
De la belle dite Dyanira,
380Veinquit maints monstres, puis à lui la tira,
Certeinement si ainsi se peust faire,
De toy auoir, dous me seroit l’afaire:
Tu connoitrois alors, & sans rigueur,
Que tu es l’euure de mon entier labeur.
385Mais ce trauail, & celle douce peine
Autres [p. 284]
Autres ne moy n’aurons pour toy, Heleine.
Que reste plus donques, fors seulement
Te requerir, & prier humblement
Et sans refus, ô belle, qu’il te plaise
390Qu’à la parfin tes tendres piedz ie baise.
O des deus freres & la gloire & l’honneur
Par qui seroit honoré meint signeur,
Croy qu’avec moy t’emmeneray grand erre,
Ou ie mourray estranger en la terre.
395Ma poitrine qui fut de part en part
Outree au vif par un amoureus dart,
N’est pas blessee certeinement en feinte,
Mais est pour vray iusques au fons atteinte.
Bien me souuuient que ma seur Cassandra
400Me dist au long le mal qui auiendra,
Et que serois en fin, & pour la reste
Prins & feru d’un subtil dart celeste.
Et pource Heleine si cette amour me vient
Par vueil diuin, & qu’ainsi le conuient,
405Ne chasse pas si loin de ta pensee
L’amour qui est par les Dieus auancee:
Ains, pour parfaire mon souuerein delict,
Par nuict obscure reçoy moy en ton lict.
Mais as-tu honte ou creinte de ce faire?
410Ou bien au droit de ton mari forfaire?
Si pour cela tu creins, certes, Heleine
Tu es trop simple, ia ne diray vileine,
Cuide tu estre si belle & si propice,
Sans [p. 285]
Sans qu[’]il y ait en toy ou faute ou vice?
415Changer te faut ta plaisante figure
Ou bien conuient que tu ne sois si dure.
Tousiours ha eu, & si aura, beauté
Guerre mortelle avecques chasteté.
Les Dieus souuent ont leur ioye doublee
420Quand ils ont eu leurs plaisirs à l’emblee.
Et si ne fust l[’]amoureus larrecin
Pas tu ne fusses de pere nee ainsin.
Ne pense pas estre faite si belle,
Pour estre chaste, & en amours rebelle.
425Bien veus pourtant que chaste lors tu soye,
Quand te tiendrày en ma cité de Troye,
Et que ie seul soye cause, en effeit,
De tout le mal que iamais auras fait.
Or te supli donques que tu parfaces
430Mon dous plaisir, & que point ne t’en lasses:
L’heure & le tems le veut, & le consent:
Car ton mari est lointein & absent,
Tu cuides bien que cil sache & connoisse
Celle beauté dont tu as grand largesse
435En lui as mis ton cœur & ta fiance,
Comme s’il fust plein de sens & science:
Mais tu abuses, & bien furt te deçoit,
Car s’il sauoit, & tresbien connoissoit
Le grand valeur dont est signeur & maitre,
440Il n’eust voulu consentir ne permettre
Te laisser seule au pourchas & danger
De [p. 286]
De moy qui suis ieune Prince estranger.
Si mon ardeur donques, & ma parole
Ne te peut rendre enuers moy douce & molle,
445Au moins te doit à ce faire emouuoir
L’heure, le tems, le loisir (pour tout voir:)
Bien sommes simples toy & moy, sans doutance,
Si nous perdons une telle acointance.
Quand pour parfaire notre felicité
450Nous auons loy & oportunité.
A toy, sans plus, il me recommanda.
Or sus fais donq ce qu’il te commanda.
Tu meintenant par nuicts longues & vaines
Seule en ton lict sans repos te demeines,
455Et ie tout seul außi couche & repose
En lict piteus, mais amour si oppose.
Fay do͂ques tant (qua͂d l’heure est oportune)
Que ioye soit entre nous deus commune,
Et que pitié me couche avecques toy,
460Sans nul refus, & toy avecques moy.
Si ce seul bien & ioyeuse auanture
Venir me peut, sans faute sans roupture,
Moult me sera icelle nuict heureuse,
Plus que nul iour & clere & lumineuse,
465Lors te feray & promesse & serment
D’estre à iamais humble & leal amant.
Lors te feray maitresse & heritiere
De mon royaume, & de ma terre entiere:
Et si ne creins, & point n[’]ayes de peur
Que [p. 287]
Que moindre en soit ton loz ne ton honneur:
Quand ie t’auray de ce lieu emmenee,
Par moy sera l’euure si bien menee
Que ia ton cœur ne s’en repentira,
Si blame y ha, sur moy ressortira.
475Autres que moy ont bien dames rauies,
Et pour elles en danger mis leurs vies:
Theseüs mesme te print & te rauit,
Moult fut aise quand à son gré te vid:
Et ses deus freres de grand nom possesseurs,
480Oserent bien prendre & rauir deus seurs.
Ie donq seray auec eus mis au nombre
Des rauisseurs, & ia ne creins l’encombre.
Or le fais donq, sans y debatre tant,
I’ay ma nef preste & seure : qui t’atend:
485Bien est de gens & d’auirons pouruuë
De telle certes onques mes ne fut vuë:
Les auirons & le tranquille vent
Te pousseront tout acoup bien auant.
Quand tu seras dedens Troye arriuee,
490Comme Royne tu seras honoree.
Ceus qui verront la douceur de tes yeus,
Te iugeront une nymphe des cieus,
Et dira l[’]on, pour ta beauté sans cesse,
Que tu es certes une vraye deesse:
495Par toute rue & lieus ou tu iras,
Odeur soueue & liqueur sentiras:
Et les voyes de tes piedz comprimees,
Seront [p. 288]
Seront toutes de senteur embamees.
Priam mon pere moult ioyeus en sera
500Et de grans dons & presens te fera:
Außi feront certes & sans nul doute,
Tous mes freres & seurs, quoy qu’il leur coute.
Impoßible est que sceusse declarer
Le grand honneur que tu dois esperer:
505Car plus auras de bien que par ma lettre
Ne t’en saurois ottroyer ne promettre.
N’aye ia peur, quand de moy seras prise,
D’estre par guerre ou bataille reprise:
Amasse & leue toute Grece hardiment
510Son haut pouuoir cheualeuresement:
L[’]on ha vù prendre & rauir meintes dames,
Qui n’ont esté recouurees par armes
Les Traciens prindrent bien sans grans peines
Errithida
Orithia
elle auoit
nom.
fille du roy d’Athenes,
Et toutefois leur terre & region
Ne fut outree d’aucune legion.
Bien sceut Iason prendre & rauir Medee,
Tant fust ores songneusement gardee:
Et toutefois, puis qu’il s’en amoura,
520La chose ainsi sans guerre demoura.
Et cetui mesme Theseüs sans doutance
Qui te rauit osa par sa vaillance
Prendre Phedra la fille au Roy de Crete,
Sans reparer la faute qui fut faite.
525En telles choses (pour mon dire abreger)
Plus [p. 289]
Plus est grande la peur que le danger.
Or ainsi soit que pour t’auoir rauie
Grande bataille deust lors estre ensuiuie:
I’ay force assez, & grand nombre de gens,
530Mes dars sont rudes, subtils, & diligens:
Notre terre est d’außi puissante montre,
Et riche autant, voire & plus que la votre,
Ia plus n’aura Menelaüs de cœur
Que moy Paris, ains en seray veinqueur.
535En ieunes ans quand les bestes gardoye
En la forest au pres de la grand Troye,
Ie retiray ler [sic pour les] vaches & toreaus
Qu’aucuns larrons peruers & desloyaus
Prendre vouloient, & bien les leurs fiz rendre:
540Dont pour ce fait fus nommé Alexandre.
En ieunes ans i’ay meintefois veincu
Mes compaignons, & de targe & d’escu.
Et en tous lieus ou ma fleche tiroye,
Ie la mettois tout droit ou ie vouloye.
545Certes Heleine oncques mes ton mari,
Qui de toy est tant aymé & cheri,
Ne fit exploit de loz en sa ieunesse:
Trop ha en lui de creinte & de molesse.
Tu ne scez par certes combien ie vaus,
550Et si ignores mes peines & trauaus.
Or pense donques & me croy sans feintise
Que par bataille ne seras reconquise:
Ou s’il auient que pour ses grans regrets
t Men [p. 290]
Menelaüs assemble tous les Grecs
555Et qu’ils viennent deuant Troye combatre
Force sera (apres le long debatre)
Qu’ils donnent lieu au pouuoir de mes dars,
Car ils sont molz & trop foibles soudars.
Au fort pour tant ie ne desdaigne mie,
560Esmouuoir guerre pour une telle amie:
Car assez, grand est le loyer & pris
Pour faire enclins aus armes tous esprits:
Et si pour toy dissencions & guerres
Sont esleuez en si lointeines terres
565Ton nom sera sans fin, & immortel,
Quand on verra le cas auenu tel.
Pource donques en ioyeuse esperance,
Apreste toy de partir, & t’auance:
Et en apres quand à Troye seras,
570Demande assez, car certes tu l’auras.

PREFACE SVR
L’EPITRE DE
HELEI-
NE
A PARIS.
*
HEleine, femme du Roy
Menelaüs,
ayant receu l’epitre du beau ieune
amoureus Prince Paris, comme irritee lui
respond (pour
sauuer son honneur & estima-
cion) s’efforce de
rabatre ses raisons & per-
suasion: entremeslant
ce pendant toutefois
quelques petis traits de plume, descouurans
aucunement son affeccion: à sauoir qu’elle
ne vouloit ne pouuoit despriser
l’amitié que
ce ieune Prince lui portoit: à quoy elle
de-
montre bien quel est le naturel des femmes.
En fin, quasi se rendant veincue, l’auise s’il ha
quelque chose à lui mander, de ne le
faire
par lettres, mais ses deus Damoisel-
les
bien fiables, Climene et Etra: ce
qu’il fit, & aussi elles deus
suiuirent
Heleine
à Troye.
*

LA XVI. EPITRE
D’OVIDE.
*
Heleine escrit à Paris.
APres que i’ay à mes yeus presentee
La tienne lettre de diuers mots hantee,
Et que i’eu bien le fais tot pourpensé,
Pour que tu fusses d’autant recompensé,
5I’ay auisé que c’est gloire legere
Faire ma main enuers toy estrangere,
Et que de rendre response à tes escritz,
Le mien honneur n’en peut estre repriz.
Mais dont te vient ce courage & vouloir
10De tendre à fin de veincre & deceuoir
La leauté de femme mariee
Qui ne doit estre pour nul pris variee.
As-tu esté ceans hoste reçu
Pour que de quoy fust mon mari deçu?
15Est-ce la cause qui en ce lieu t’ameine
Pour difamer de mon loz le demeine?
Es tu venu tant de mers trauersant
Pour estre ainsi de mon honneur pressant?
As-tu esté recueilli en ma terre
20Pour alumer un feu de si grand’ erre?
Tu as esté reçu comme estranger,
Mais [p. 293]
Mais doucement t’ay voulu heberger.
Quand ici vins (à toy ie m’en raporte)
Pas ne trouuas certes close la porte.
25Grande seroit donques iniure faite
Quand pour t’auoir donné seure retraite,
Feignant d’estre priué hoste & ami,
Tu voudrois estre deceuant ennemi.
Ie say assez que ma volonté telle
30Te semblera tresiniuste & rebelle:
Et bien diras, selon le tien auis,
Que trop suis rude & trop sotte en deuis:
Or soye telle comme tu voudrois dire,
Il ne m’en chaut mais que mon loz n’empire:
35Impose moy comme il te plait le nom,
Mais que ne perde de vertu le renom,
Et que chacun au vray connoisse & sache
Qu’en moy n’y ha desloyauté ne tache
Si ma face est de ioyeuse maniere,
40Et que ne sois en regard rude & fiere,
Ma renommee est clere & sans difame,
Et ay vecu iusques ici sans blame.
Nul autre n’a tant sceu parlementer
Qui se sauroit de mon honneur vanter.
45Parquoy donques plus fort ie m’esmerueille
Comme ton cœur s’essaye & se trauaille
De tel courage emprendre & commencer,
Quant à moy n’est de le recompenser:
Et m’esbahi dont te vient l’esperance
t 3 De [p. 294]
De posseder mon lict par iouissance.
Si Theseüs m’a rauie autrefois,
Ia ne seray plus subgette à ses lois:
Ne s’ensuit pas si une fais [sic pour fois] fuz prise,
Que tousiours sois à tel mestier aprise
55Rauie fuz (ia ne faut en mentir)
Voire outre gré, sans point le consentir:
A moy seroit le blame & le reproche
S’il y auoit consentement de bouche:
Mais puis que lui me print par fausseté,
60Cela se fit contre ma voulonté:
Iaçoit pourtant que peu en amenda,
Car il n’eut par tout ce qu’il demanda:
Rendue fuz acoup & promptement,
Sans mal soufrir fors la peur seulement.
65Par son effort quand cil me tint enclose,
Il me baisa, de moy n’eut autre chose:
Mais pour certein ta malice intentee
Ne se fust pas de cela contentee.
Me garde Dieu de tomber en ta main:
70Cil ne fut pas comme toy inhumein:
Cil me rendit entiere & toute telle
Comme ie fuz quand ie partis pucelle
Par ainsi donq la sienne loyauté
Doit donner loz à ma virginité.
75Et il qui fut bien ieune & debonnaire,
Se repentit de telle chose faire.
Mais cuide tu que celui m’ait rendue
Pour [p. 295]
Pour que ie fusse à toy Paris vendue?
Certes nenni : car ie n’ay vouloir
80De faire exploit dont dusse pis valoir:
Et ne veus pas que par toy difamee
Soit en tous lieus ma chaste renommee.
Iaçoit pourtant que ne te veus blamer,
Dont il te plait me cherir & aymer
85Car trop certes ingrate ie seroye
Pour bien vouloir, si mal ie te vouloye:
Mais que l’amour que tu mets en auant,
Soit bien certeine & non gettee au vent
De cela vient ma peur & creinte toute
90Non que de toy ie me meffie ou doute:
Et que tresbien ne sache pour certein
Quel est ma face sans auoir cœur hautein:
Mais cela dis’ie pource que dous langage
A ieune dames fait souuent du dommage:
95Et par trop croire es legeres paroles
Sont meintefois deçues poures foles:
Car en vos ditz n’y ha, en verité,
Ne foy, ne loy, ne brin de loyauté.
Si meintes femmes pechent & sont honnies
100Par leurs fautes, & de vertus bannies
Si qu’il est bien peu (à brief parler)
Qu’on sceut chastes & bonnes appeler:
Qui gardera (tant soit il or’ grand maitre)
Que ne soye bonne si telle ie veus estre
105Ia ne me puis excuser de ce fait
t 4 Sur [p. 296]
Sur ignorance ou erreur en effet:
Ia ne pourroye excuse mettre en nombre
Qui sceust donner au vice fueille ou ombre.
Tu mets en fait tes anciens parens,
110Qui par prouesse ont esté apparens,
Et exauces en noble geniture
Ton royal nom, ta beauté de nature
Et mesprises, sans aucune raison,
L’honneur, le loz de la mienne maison
115Laquelle n’est pas moindre en sa hautesse
Que la tienne, ne d’obscure noblesse.
Pas ne sont moindres les miens progeniteurs
Que tes ancestres, peres & geniteurs
Et iaçoit or qu’assez ie pense & croye
120Que moult grand soit le royaume de Troye,
Pas moins pourtant ie n’estime, & ne tiens
Notre sceptre que tu celui des tiens.
Si cette terre est moins riche & feconde,
Que cel’ de Troye, & que tant n’y abonde
125De peuple ou gens, moindre y est le danger,
Car ton païs est rude & estranger.
Ta lettre est pleine de grans dons & promesses,
De belles offres, de tresors & richesses,
Voire assez grandes pour veincre & deceuoir
130Toutes dames, & leurs cœurs esmouuoir:
Mais de ma part quand ie voudroye mettre
Honneur au vent, & à toy m’en demettre
Plus le ferois pour ta beauté, sans plus,
Que [p. 297]
Que pour tous tes biens, ne pour tout le surplus.
135Et pour certein i’auray tousiours enuie
D’estre apelee bonne toute ma vie:
Si ce propoz me change croy pour vray
Que toy seul plus que tes biens ie suiuray.
L’offre pourtant de tes biens ne refuse,
140Ia n’auiendra que tant de desdain use,
Car on ne doit refuser nullement
Ce qu’on donne par honneur doucement:
De tout cela toutefois peu me donne,
Mais c’est bien plus quand à part ie raisonne,
145Quand ie recorde en mon entendement
Que tu m’ayes si tresparfaitement,
Et que tu diz que ie suis cause seule
Dont il conuient que tant ton cœur se deule,
Et que tu as trauersé tant de mer
150Pour me complaire, obeïr, & aymer.
Croy pour certein quand ton œil me regarde
Ie ne fais point semblant d’y prendre garde:
Mais toutefois de moy sont compassez
Tous tes geste & tous tes fais assez:
155Si que pour vray ta douce contenance
Detient mon cœur en piteuse soufrance
Souuent t’ay vù & pleindre & souspirer:
Cela faisoit ma douleur empirer
Et meintefois quand à table buuoye,
160(Feingnant penser ailleurs) i’aperceuoye,
Que tu prenois ma couppe tout expres,
t 5 Pour [p. 298]
Pour boire, certes, mon demourant apres
Las, quantefois i’ay noté tes manieres,
Et tes regars signifians prieres,
165Si que tes yeus à pitié pretendans,
Me faisoient bien certeine du dedens:
Et moult creingnoit qu’affeccion volage
Manifestast à mon mari l’ouurage
Car bonnement tu ne sauois tenir
170Ton cœur d’aller, & ton œil de venir:
Dont moult souuent de creinte surmontee
Couleur vermeille m’est aus ioues montee.
Souuent ay dit, à voix basse & contreinte,
C’est homme là de rien n’a honte ou creinte:
175Et si ie l’ay souuent dit & pensé,
Point ne cuide t’en auoir ofensé:
Car il est vray, & souuent t’ay ie vù
A table aßis escrire au despouruu
De la pointe d’un glaiue ou d’autre chose
180Ce mot ici, LA EST M’AMOVR ENCLOSE.
Et bien pensois que cela s’adressoit
A moy, sans plus, ou mon cœur me deçoit:
Mais toutefois par semblans te montroye
Que pas ainsi croire ne le vouloye.
185Que diray plus? tant fort me guerroyerent
Tes dous attraits, tant mon sens aueuglerent,
Et tant, pour vray, que i’aprins à parler
A toy par sines, sans plus dißimuler.
Certeinement si i’usse esté sugette
190A tel delict & euure si mal faite
[p. 299]
Assez pouuoye estre soudeinement
Veincue & prise par ton blandissement.
Assez fut douce ta parole & benine,
Pour tot me rendre à ton amour encline.
195Et tant y ha que ta beauté, en somme,
Passe & excede la beauté de tout homme,
Dont meinte femme à coup & de leger
Pourroit mettre son cœur en tout danger
Mais trop mieus vaut que tu en ayes une
200Par leal droit, non par voye importune,
Qui soit ta femme, & toy le sien mari,
Que pour t’aymer autre eust le cœur marri:
Et de ma part plus me vaut, & mieus ame,
Qu’il fut ainsi que pour toy i’eusse blame
205Et pource donq montre toy vertueus,
Ne soye tant d’amour affectueus,
Et ne mets point en femme ton courage,
Tant belle soit, ou de noble parage,
Car c’est vertu, voire dine à choisir,
210De s’abstenir d’un desiré plaisir.
Autres que toy m’ont bien voulu & veulent,
Et de tel mal comme le tien se deulent:
Pas n’es tu seul (ce peus tu bien sauoir)
Qui ait tasché la mienne grace auoir:
215Autres ont yeus pour voir & pour connoitre,
Et pour faire leur semblant aparoitre
Tu ne voy pas plus cler (ie le te di)
Qu’autres gens font, mais tu es plus hardi.
Tu [p. 300]
Tu n’as le cœur d’amour plus ententiue,
220Mais ta parole est douce & attraitiue:
Que pleust à Dieu qu’ainsi fust auenu
Qu’en ce païs tu fusse lors venu
Quand au premier à marier i’estoye
Lors qu’à nul autre la foy promis n’auoye
225Requise estoye alors de meintes gens,
Qui pour m’auoir bien furent diligens:
Mais si i’eusse lors de toy connoissance,
Autre que toy n’en eust eu iouïssance,
Et fust esté en chateaus ou en vile
230Ie t’eusse pris & choisi entre mile.
Or me pardonne Menelaüs pourtant
Si i’ay failli & si i’en ay dit tant:
Mais pour certein ie suis or’ possedee
Par autre main à qui ie suis vouee:
235Tu es venu trop tard (dont or’ entens)
Pour obtenir la ioye ou tu pretens:
Ton esperance fut trop tarde & trop lente
Pour paruenir au gré de ton entente:
Autre iouït & tient à son plaisir
240La chose au monde ou plus est ton desir:
Combien pourtant qu’außi ia il n’auienne
Que i’aye au cœur nul vouloir d’estre tienne,
Pour desdaigner le mien Menelaüs:
Car au premier tout mon espoir là eus.
245A celui suis sans force ne contreinte,
Amour leale m’y rend serue & estreinte.
Et [p. 301]
Et pource donq cesse de tourmenter
Mon esperit par ton parlementer:
Ne vueilles pas donner ennui pourtant
250A celle la que tu dis aymer tant,
Mais laisse en paix mon fait & ma fortune,
Qui m’a donné vie assez oportune,
Et plus ne tache par ta subtilité
D’auoir le pris de mon honnesteté.
255Tu dis ami que Venus la deesse
T’a de moy fait deliuranee [sic pour deliurance] & promesse,
Et que tu viz en Ide la forest,
Les trois Nymphes par qui vint tout aquet:
L’une te fit de royaume & d’empire
260Offre & present pour en demourer Sire:
La seconde te promit (pour tout voir)
Toute vertu, sapience & sauoir:
Et la tierce te dit, en voix certeine,
Iuge pour moy, & tu auras Heleine.
265Mais toutefois ie ne croy nullement
Que point vousissent dessous ton iugement
Se sousmettre les Dieus ne les Deesses,
Pour declarer leurs beautez & noblesses:
Et fust il lors ainsi, ie ne crois pas
270Que pour auoir esté Iuge du cas
Aye esté mise (aumoins comme ie pense)
Seule entre tant, pris de ta recompense.
Pas ne presume ma fortune ou beauté
Si tresgrande que ie seule aye esté
Prise [p. 302]
Prise & choisie pour demourer en somme
Riche loyer à un si parfait homme:
Assez suffit se ie suis, & remains,
Trouuee belle du regard des humeins:
Et que mon loz n’amendrit, ni ne change
280Sans que les Dieus fassent de moy louenge:
Mais ne m’en chaut, car ie prendray tousdis
Tes louenges à bon gré, & tes dits.
Et iaçoit or’ que tant soye belle
Comme tu dis, bien voudroye estre telle.
285Si te supli & requier pourautant
Que contre moy tu ne sois mal content,
Si de leger ie ne t’ay voulu croire:
Car on fait bien choses feintes à croire:
Et moult souuent (comme assez i’aperçoy)
290En grandes choses defaut promesse & foy.
Pour des causes i’ay ioye delectable:
L’une si est que ie suis agreable,
Et estimee par la dame Venus:
L’autre raison des plaisirs auenus,
295C’est qu’il t’a plù apres tant de promesses
A toy faites par icelles deesses,
Mettre à desdain tout tresor & auoir,
Pour seulement ma bonne grace auoir:
Si que pour vray l’honneur & l’auantage
300Qu’on te vouloit deliurer en partage,
Fust de Iuno ou de dame Palas
Ne t’a tant plù que de moy le soulas.
Bien [p. 303]
Bien apert donq que tu me tiens plus chere,
Ne que vertu ne que richesse entiere:
305Dont trop seroye dure en cœur, & en effet,
Si ie n’aymoie un ami si parfait:
Mais croy pour vray que pas ne suis si dure
Comme tu pense, ne de fiere nature
Mais i’ay doute d’auoir (sur toute rien)
310Cil qui ne peut à grand’ peine estre mien.
Ce seroit chose inutile & trop vaine
De labourer le grauier & l’araine,
Ou tous les iours eau se vient acueillir,
On n’en scauroit grand proufit recueillir:
315Car le lieu mesme trop peu fertil repugne
Qu’on en tirra
tirra, pour
tirera.
de la semence aucune.
Ie suis trop rude & simple (pour tout voir)
Pour nuls amans tromper ou deceuoir:
Et me soit Dieu tesmoin si iour de uie
320D’en frauder nuls i’eu talent ni enuie
Si ie t’escris ores priueement,
Et que te mande par lettre entierement
Ma voulenté, ce faiz pour satisfaire
A la descharge de ton piteus afaire.
325Helas moult sont heureus, pour abreger,
[C]eus là qui ont leur ioye sans danger:
[I]e suis ieune non sachant telle chose
Moult grand peril y pense & presupose:
Dont celle creinte du dommage auenir
330Me garde certes, à toy seul me tenir
Ores [p. 304]
Ores remains troublee & esperdue,
Puis çà, puis là outree & confondue:
Et si me semble qu’en toutes pars & lieus
Sur moy regardent de tous hommes les yeus:
335Et non sans cause i’en ay vergongne & honte,
Car meintes gens en tiennent ia leur conte:
Et par mes femmes ay sù puis peu de tems,
Que meints parlent du fait ou tu pretens.
Or’ donq ami si tu n’as en courage
340D’abandonner ce fait & cet ouurage,
Vueilles aumoins un peu dißimuler,
Pour le mesdire des gens anichiler.
Tu le peus faire, & pour tel’ chose abatre,
Secrettement te desduire & t’esbatre:
345I’ay liberté (mais non pas la plus grande)
Pour parfaire ce que mon cœur demande:
Car iaçoit or’ que mon mari soit loin,
Vser conuient de raison au besoin.
Songneuse charge & diligent afaire
350L’ont compellé si grand voyage faire:
Et quand ie vy au partir qu’il estoit
Douteus d’aller, & forment s’arrestoit,
Lors ie lui dis besoin est que tu ailles,
Mais reuiens tot, & garde que n’y failles.
355Quand i’eu ce dit tant fut aise & content,
Qu’il me baisa & s’en partit atant,
En me disant ie te pri qu’il te plaise
Ceans traiter le mien hoste à son aise:
Et [p. 305]
Et que l’estat & fait de la maison
360Soit gouuuerné [sic pour gouuerné] & conduit par raison.
Cela me dit dont i’eu talent de rire,
Quand lui ouï toutes ces choses dire:
Et ne lui sù que respondre en effet
Fors seulement, ami, il sera fait.
365Si mon mari donques que ie regrette,
S’en est allé loin au païs de Crete,
Pas ne s’ensuit que i’aye le pouuoir
De parfaire de tous points ton vouloir.
S’il est absent si áy ie seure garde,
370Et œil sur moy qui tresbien y regarde.
Ne scez tu pas que grands Princes & Rois
Sont obeïs, pres ou loin, par leurs drois?
Puis d’autre part ie creins außi, & doute
Male bouche qui de pres nous escoute:
375Car de tant plus que de toy suis louee,
Plus doy tenir chere ma renommee.
Ne t’esbahis si seule auec toy
Menelaüs est eslongné de moy:
Il est parti, ayant bonne fiance
380De lui & moy, & de notre aliance:
Et bien certein que ne voudroye mie
Estre iamais que d’autre lui amie.
La beauté mienne lui ha donné moint iour
Ocasion de faire à moy seiour:
385Et bien ha eu matiere & iuste cause
De se tenir pres de moy longue pause:
u Mais [p. 306]
Mais il ha eu fiance d’autre part
A leauté, dont vraye amour depart.
Tu dis, ami, que le tems & l’espace
390Qu’auons si seur, deperit, & se passe:
Et me requiers de faire ton plaisir
Tandis qu’auons & l’heure & le loisir:
Et ie le veus, & si creins de le faire
Tant me semble dificile l’afaire.
395Encores n’ay bonnement auisé
Si tu dois estre ouï ou refusé
Encores est en doute ma pensee
Si par moy doit ta voix estre exaucee:
Bien considere mon mari estre absent,
400Dont de plaisir mon cœur priué se sent:
Et puis außi ie voy que tu reposes
Seul en ton lict banni de douces choses.
Ta grand beauté me rend & triste & blesme,
Et la mienne ie croy te fait de mesme:
405Mes pensees, & les veillees nuits
Logent en moy un milion d’ennuiz.
Quand seule gis de trauail aiournee,
Ie pense à ce qu’auons dit la iournee:
Et si recorde en mon entendement
410Ton dous parler, & humble traitement.
Ie periray & suis femme afolee,
Si ie ne suis par raison consolee.
Ie ne say plus qui me garde & me tient,
Fors seulement creinte qui me detient.
Que [p. 307]
Que plust à Dieu que tu pusse contreindre
Mon cœur à ce, ou le tien veut ateindre:
Et qu’en toy fust pouuoir de commander
Ce dont tu veus par requeste amander:
Car lors seroit ma simplesse excusee,
420Et ma vie sans vitupere usee.
Certes Paris, ie te promets & iure,
A plusieurs sert violence & iniure:
Or ainsi fut de toy en mon endroit,
Autre moyen lors querir ne faudroit.
425Helas, ami, quand tout pense & auise,
Laisse ton cœur iouïr de ta franchise:
Et ce pendant que l’amour est nouuelle
Deporte t’en, & la laisse pour telle.
Petite flamme ce peut tot estancher,
430Pour bien peu d’eau qu’on y face toucher:
Amour n’est pas certeine ains souuent change,
Et mesmement celle d’un homme estrange:
Ainsi qu’ils vont & qu’ils viennent souuent,
Außi fait, certes, leur amour comme vent.
435Et lors qu’on cuide que mieus est assuree,
Tant moins est ferme & plus desesperee.
Hysiphile le pourroit témoigner.
De qui Iason se voulut eslongner:
Außi feroit la bien poure Ariadne
440Que Theseüs laissa en si grand peine.
Pas ne furent tenus par leur amis
A elles deus les conuenans promis:
v 2 Et [p. 308]
Et si dit l[’]on que tu en as aymee
Vne long tems, & dame reclamee
445Dont meintenant ne veus ouir parler:
Ie l’ay ouï Enoné apeller.
Ie prens le cas que desormais tu fusses
Bon & leal, & que ne ne [sic pour que ne] me deçusses,
Si ne peus tu longuement arrester:
450Car du retour tes gens te font haster
Ia commencement voiles dresser & tendre,
Pour droit à Troye voye & chemin reprendre:
Et quand ensemble toy & moy nous parlons,
Et que la nuict desiree atendons,
455Le vent se tourne, & à ton vueil se dresse
Pour te mener hors du païs de Grece.
Et pource donq quand toy & moy voudrions
Nos plaisir prendre, & que la nous viendrons,
Notre emprinse demourroit imparfaite,
460Et ne seroit l’euure qu’à moitié faite:
Lors s’en iroit m[’]amour desheritee
Piteusement au vent mise & gette.
Mais te suiuráy ie comme tu le demandes,
Pour aller voir tes richesses si grandes?
465Iráy ie à Troye meintenant auec toy,
Pour estre bru de priam le grand Roy.
Certeinement si peu ne creins & doute
La renommee à qui foy on aioute,
Que ie vousisse l’alee consentir:
470Bien me deurois cherement repentir.
Pas [p. 309]
Pas ne veus certes la terre faire honnie
De si grand crime, car raison le me nie.
Si ie le fais que diront les Sparteins,
Ceus d’Achaïe, & d’autres lieus lointeins?
475Mais si ce cas ie consens & ottroye,
Que diront ceus d’Asie & de Troye?
A ton auis ton pere qu’en dira?
Ni mais ta mere, quand außi le saura?
Et tant de freres que tu as qu’en diront?
480Et mais tes seurs à droit me maudiront.
Et toy mesmes par tems ou interualle
Douteras moult que ne soye leale,
Et s’il vient nuls estrangers ou passans,
Qui voir me viennent ainsi que connoissans,
485Tu y prendras desplaisir : & peut estre
Que ialousie fera ta douleur croitre:
Donc tu pourras à l’heure sans celer,
Meschante femme, & fausse m’apeller.
Lors ne pourrois mon excuse deffaire
490La folie que tu m’aurois fait faire.
Ia n’auienne donques que tu te moques
Pour l’auenir du mal ou me prouoques:
Plustot se puisse sous moy la terre ouurir
Que iusques là me vueille descouurir.
495Tu me promets gran tresors à merueilles,
Pompeuses robes, & blanches & vermeilles,
Asse peuz tu & promettre & donner,
Mais ie te pri vueilles moy pardonner:
u 3 Car [p. 310]
Car tant ne priser à gloire fortunee
500Comme ie fais la terre ou ie suis nee.
Le mien païs me detient & me plait:
Tout autre lieu m’ennuye & me desplait.
Si auec toy i’estoye transportee
Par qui seroye en fin reconfortee?
505Et si i’auoys mal ou auersité,
A qui seroit mon ennui recité?
Ou pourróy ie querir parens ne freres
Pour leur conter mes douleurs trop ameres?
Bien me doit il à present souuenir
510(Afin que pas ne me puisse auenir)
Comme auec lui Iason mena Medee,
Laquelle estoit songneusement gardee:
Bien lui promit, pour mieus la deceuoir,
Corps, terre, biens, voire tout son auoir:
515Mais peu de tems fit auec lui demeure
Il la chassa dont fut moult triste l’heure,
Et l’expella au loin de sa maison:
Or’ me respons si cela fut raison?
Pas ne trouua ses amis ne parens
520A celle fois pour lui estre garens:
Bien dust connoitre que moult estoit deçuë
Car en nul lieu ne peut estre reçuë.
Certes Medee ne pensoit au premier
Que Iason fut de mentir coutumier:
525Et de ma part pas ne croy, ni ne pense
Qu’en toy y ait si grande deceuance:
Mais [p. 311]
Mais meintefois (dire bien le conuient)
Le contraire de ce qu’on cuide auient:
Et mains vaisseaus qui ont vent agreable
530Au desloger en mer douce & traitable,
De grans dangers sont en fin rencontrez.
Quand bien auan