Essai
[p. 1] Fac-simile de la page

LES XXI. EPISTRES
D’OVIDE.
*

Les dix premieres sont traduites par Charles
Fontaines Parisien: le reste est par lui reuù,
& augmenté de Préfaces.


Les amours de Mars & Venus, & de Pluton vers
Proserpine, imitacion d’Homere & Ouide.

[Marque de l’imprimeur]

A LION,
PAR IAN DE TOVRNES,
ET GVIL. GAZEAV
M. D. LVI.
Avec Priuilege du Roy.

[p. 2] Fac-simile de la page

Extrait du Priuilege.

PAR grace & Priuilege du Roy, il est per-
mis à maitre Charles Fontaine faire imprimer
& mettre en vente par tel Libraire & Impri-
meur que bon lui semblera, Les Epitres d’ Oui-
de par lui reuuës & corrigees, auec les pre-
faces & quelques autres petis traitez dudit
Ouide , & le Rauissement de Proserpine en
vers François  : Auec expresses defenses à tous
autres Libraires & Imprimeurs, de ne les im-
primer vendre ou distribuer iusques à huit ans,
à prendre du iour & date de la premiere impres
sion desdits liures : nonostant quelsconques let-
tres au contraire. Comme plus à plein est conte-
nu en la lettre de Priuilege sur ce donné à Vil-
liers en Coterets le premier iour d’Octobre 1555.
Ainsi signé Declauerie , & selle en cire iaune.

[p. 3] Fac-simile de la page 3 [Bandeau]

A NOBLE ET HO-
NORABLE DAME,
Madame de Crussol,
Charles Fon-
taine

s.

I  L y ha enuiron dix ans,
 Madame, que ie transla-
 tois les dix premieres Epi-
 tres d’ Ouide : qui depuis
ont esté imprimees auec mes prefaces
& annotacions, & dedie es à Monsieur
de Crussol votre fils : & tellement re-
cueillies que des l’esté paßé, i’ay eu pei-
ne à en recouurer une couple pour cer-
teins amis qui m’en demandoient. Sur
quoy considerant que ie ne deuois en ce
point laisser obscurcir ou perir (s’il faut
ainsi parler) mon labeur non petit : i’en
auerti ceus à qui ie l’auois premieren t

a 2 baillé: [p. 4] Fac-simile de la page 4 EPITRE.
baillé : Ce qu’à diuerses fois ayant fait
& les voyant trop longs à y enten-
dre, & que i’estois preßé non seulemẽt
par lettres d’aucuns miens amis, mais
außi par celle afeccion naturelle & pa-
ternelle que chacun vray pere porte à
ses enfans, qu’à grand regret il verroit
mourir, ie me resolu entierement à y
entendre d’ailleurs, & les faire réim-
primer, mesmement auec les figures
s’il m’estoit poß ible : encores (à fin que
l’euure fut plus parfait & acompli)
deliberay y aiouter les onze Epitres qui
restoient : & ce, non de ma traduc-
cion nouuelle, ains de l’antique translat
de feu Monsieur de Saingelais , iadis
Euesque d’Angoulesme  : pour laisser
außi l’honneur deu à celle bonne anti-
que simplicité, ou simple antiquité : que
l[’]on recõ noitra a la trace estre de ce bon
vieus tems : & dequoy meintes gens
le resentans, se pourront delecter. Toute-
fois [p. 5] Fac-simile de la page EPITRE. 5
fois y ay paßé la main par dessus, ne fut
que pour racoutrer l’ortografe, les points
quelques mots & lignes entieres, lais-
sees en sens imparfait. Ce que i’ay bien
voulu supplir par mon nouueau labeur,
& pour l’utilité & recreacion du Le-
cteur : changeant encor quelquefois, &
radoubant les coupes femenines (comme
l[’]on appelle) ou i’ay senti que facilement
se pouuoit faire, sans m’y contreindre,
ny corrompre ou perdre la grace de celle
antiquité qui ne les estimoit à vice,
cõme l[’]on fait auiourd’hui : car de les chã
ger toutes, & de conferer du tout ledit
translat auec le Latin, ce n’eut esté ia-
mais fait : & aymerois autant les re-
traduire tout de nouueau, comme i’en ay
eu bonne enuie, qui n’est pas encores es-
teinte : vray est que le tems, les proces,
& afaires domestiques par moy soute-
nues, ont icelle mienne afeccion iusques
ores retenue & retardee. C’est quant à
a 3 ce [p. 6] Fac-simile de la page 6 EPITRE.
ce point : mais de l[’]honneur que ie pour-
rois auoir acquis en ma premiere tra-
duccion & annotacion, & en mes plu-
sieurs autres euures & labeurs en vers
ou prose, quant à cela ie m’en raporte,
mesmement à la posterité qui en iugera
mieus, & sans afeccion : & bien que ce
soit la chose de ce monde qui naturelle-
ment m’aporte plus de contentement en
mon esprit, ce pendant toutefois de cela,
ny moy, ny ma famille n’en pourrions
viure un seul iour.
Or changeant propos, maintenant ie
vous veus & doy bien auertir que ou-
tre les choses precedentes, & par dessus
les impreßions du paßé, i’ay aiouté außi
aus onze dernieres epitres susdites, les
prefaces ou argumens, pour plus facile,
brieue & sommaire intelligence du sens
& matiere de chacune d’icelles. Et ne
doy oublier que i’ay fourni celles d’ Ero
& Leandre du translat, non du Signeur
Octou [p. 7] Fac-simile de la page EPITRE. 7
Octouian, ains du Signeur de saint Ro-
mat (cõme i’entens) par ce qu’elles sont
trop mieus resentans la perfeccion de
notre tems en honneur literaire. Et à la
mienne volonté que lui, ou quelque au-
tre semblable, eut poursuiui : nous, alors,
n’uß ions eu besoin de recourir à ce bon
vieillart , ayans quelque chose de plus
ferme & robuste. Au reste nous auons
encores aiouté à la fin d’icelles epitres,
les amours de Mars & Venus , imita-
cion d’ Homere  : & le rauissement de
Proserpine , imitacion außi de notre
Ouide  : deus petis traitez, non par ci de-
uãt imprimez. Puis donc, treshonorable
Dame , qu’à Monsigneur de Crussol , vo-
tre fils, i’auois adreßé les dix premieres
epitres, ie puis bien ores à vous, sa me-
re , adresserle total, en ce qui concerne
ce mien dernier labeur, qui est tel que
i’ay declaré ci dessus : lequel si ie puis
sentir que receuiez à gré, vous encou-
a 4 rager [p. 8] Fac-simile de la page 8 EPITRE.
ragerez d’abondan t mes Muses Fran-
çoises à vous faire voir le reste de ma
traduccion, mesmement auec certeins
autres presen s de non moindre estofe.
Qui sera l’endroit ou mettray fin à la
presente (ia assez ou trop longue) priant
le Createur pour vous Madame , que
de sa grace luy plaise acomplir tous
voz bons & nobles desirs.
A Lion ce premier
iour de May
1556. [p. 9] Fac-simile de la page 9

A MONSIEVR DE
Crussol, Seneschal de Cahors en
Querci, & l’un des cent Gentilz-
hommes de la chambre du Roy,
Charles Fonteine S.

M  ONSIGNEVR, ce qui
 m’induit vous escrire à pre
 sent est que ie me suis adon
 né, depuis quelques annees,
à mettre en vers François les premieres
Epitres du gentil poëte Ouide , tellement
que mon labeur est paruenu iusques à
la traduccion de dix, dont ie vous fay
un present : & ay eslu ce suget, entre
cent autres, pource que des mon ieune
aage i’ay tousiours eu en admiracion les
euures d’ Ouide, singulier Poëte en in-
uencion, grace, & facilité : entre les-
quelles euures ces Epitres des Heroïdes
ont tousiours esté, au iugement de tous
sauans, estimees de tresgrand artifice:
a 5 outre [p. 10] Fac-simile de la page 10 EPITRE.
outre ce qu’elles sont brieues, vtiles, &
recreatiues : trois points qui emportent
l’honneur en une euure Poëtique, &
qui passent tout, selon le iugement d’ Ho-
race . Et combien que la Metamorphose
soit estimee de tresgrand artifice &
grace (voire de sorte que les Grecs en
ont bien voulu enrichir leur langue) si
est-ce toutefois que pour sa longueur elle
peut sembler estre moins plaisante, ioint
qu’elle se montre plus fabuleuse que hi-
storique, & ces epitres, au contraire,
plus historiques que fabuleuses. Or
donques, Monsigneur, ie vous presente
ce mien translat des dix premieres epi-
tres des Heroïdes : & si puis bien dire
que quiconque entendra bien ce mot,
Heros, selon l’interpretacion de Platon
en son Cratil (duquel mot, Heros, ces
epitres sont dites les Heroïdes) ne dou-
tera que le present ne puisse, aumoins
pour cette raison, estre conuenant à
vous, [p. 11] Fac-simile de la page EPITRE. 11
vous, qui estes extrait de noble & an-
cienne race, & qui estes à present
en la fleur de votre aage, laquelle se
pourra quelquefois delecter en ces ma-
tieres amoureuses, qui à la ieunesse sont
communes & naturelles, & pour-
tant ne lui mesaduienne point, comme
disoit vn Poëte Grec , que Iupiter ayant
pitié des ieunes gens, leur ha suscité ces
gentiles flammes d’amour pour réueil-
ler leurs esprits, & les garder de de-
mourer oisifs, & pareßeus. Ainsi
ie n’ay peu ny deu douter de ce translat
adresser à vous, que i[’]ay par cy deuant
connu de telle facilité de meurs, bonne
& vertueuse amour vers les lettres
& lettrez, que non seulement ce mien
labeur vous seroit deu, mais außi ou-
urage de plus haute lime.

Au reste, Monsigneur , combien que
vous ayez en votre ieune aage esté in-
struit, & assez au ancé en la langue La-
tine [p. 12] Fac-simile de la page 12 EPITRE.
tine par le moyen de monsieur Saliat
(homme rempli, tant de bonnes meurs
que de doctrine es trois langues, Grec-
que , Latine & Françoise , & grand
ami mien & familier des ma ieunesse,
auquel entre autres choses, ie suis tenu
de la connoissance & familiarité que
i’ay euë autrefois auec vous) si est-ce tou
tefois que i’estime que ne desdaignerez
tant le langage François , que de ne l[’] a-
uoir en tel degré de reputacion & afec-
cion que nature veut que l[’]on donne à
tout ce qui est du païs ou nous auons ati-
ré le premier air, & succé le premier
laict. Cy prie Dieu , Monsigneur, vous
donner l’acõplissement de voz bons de-
sirs, suiuant les traces de voz nobles &
bien renõmez predecesseurs, acomplis en
beaucoup de vertus, bien correspon-
dantes à leur noblesse. C’est de
Lion ce premier iour de
Ianuier, L[’]an
1551. [p. 13] Fac-simile de la page 13

AV SVSDIT SIGNEVR
DE CRVSSOL.
*

Ayant desir vous rafreschir memoire

Que ie vous ay connu par long usage

De bon esprit, qu’en vous estre on peut croire

Au seul regard du dous trait de visage,

5

Ie deuois bien vous offrir quelque ouurage

Qui fust tout mien : mais außi ie puis dire

Qu [’] il valoit mieus mille bons vers traduires

Qu’en inuenter dix mille froidement.

Car ie ne puis de moymesme produire

10

A tel Signeur digne contentement.


HANTE LE FRANÇOIS.

[p. 14] Fac-simile de la page
14

PREFACE SVR
L’EPITRE DE
PENELOPE A
VLYSSES.
*

L  A guerre de Grece estant emuë
 pour aller contre la Troye à cau-
 se du rauissement d’Heleine,
 Vlysses filz de Laërtes, & d’Anti-
clie, fut contreint d’y aller, par conseil tenu
en l’assemblee des Grecz, nonobstant qu’il
feingnit d’estre fol, ou insensé, à fin d’estre
excusable. Et cela faisoit il par dissimulacion,
comme esprins de l’amour de Penelope sa
nouuelle espouse, laquelle il ne pouuoit lais-
ser qu’à grand regret. Mais enfin (estant sa
finesse & dissimulacion subtilement descou-
uerte par Palamedes) alla en guerre auec
les autres Grecs : & partit d’Ithaque montant
sur mer auec quarante vaisseaus : comme
recite Dares en son histoire. Or en celle
guerre Vlysses fit & donna conseil de tant de
choses grandes, tant par finesse, que par sa-
gesse, & prouësse, que la plus grand part de
l’hõneur de la victoire lui est atribuee. Apres
donq [p. 15] Fac-simile de la page PREFACE. 15
doncq plusieurs assauts, & batailles par l’espa-
ce de dix ans liurees, fut la Troye entiere-
ment destruite, & du rauissement d’Heleine
la vengeance faite, qui fut en l’an de la crea-
cion du monde, deus mil sept cens quatre
vingts & trois, & auant la natiuité de nostre
Sauueur Iesuschrist, mil septante neuf
ans, le dixsettieme iour deuant le Solstice
estiual, que Troye la grande fut prinse par
les Grecs, qui quarante ans au parauãt auoit
aussi esté prise par Hercules, qui en tua la
Roy Laomedon, mais n’auoit pas esté de-
struite, ains Hercules y constitua Prima Roy,
qui amplifia & orna grandement la vile, si
qu’elle estoit une des plus excellentes villes
du monde en magnificence, & puissance.
Toutefois à l’ocasion d’une seule personne
fut destruite, & du tout ruïnee. Parquoy les
Grecs veinqueurs ramenans Heleine, s’en
retournoient en leur païs auec grandes ri-
chesses de la despouille, & pillage de Troye.
Mais par l’ire, & indignacion de Minerue
qu’ilz auoiẽt ofensee, furent (comme disent
les liures) tant agitez, & tourmentez es pe-
rilz, & naufrages de mer, que bien peu de
gens en reschaperent. Entre lesquelz Vlysses,
apres qu’il eut esté dix ans en peine sur la
mer, s’en retourna, & gaigna son païs, qui
estoit [p. 16] Fac-simile de la page 16
estoit en somme vingt ans qu’il en estoit ab-
sent. Auquel Vlysses, estant ainsi detenu es
perilz de mer, Penelope sa femme, fille d’I-
car, & de Polycaste, ignorant la cause de ce
tant long seiour, douteuse de la santé de son
espous, & soucieuse de son retour, escrit l’e-
pitre suiuante, l’amonneste de reourner puis
q̃ la Troye est destruite, & les autres Princes
Grecs ia de retour, lesquelz le demandent
& desirent : & aussi l’auertit de ceus qui man
gent son bien : Pareillemẽt que son père, Icar
la contreint se remarier : q̃ la ieunesse de son
filz Telemachus, & la vieillesse de son père
Laërtes, (qui estoit père d’Vlysses) requie-
rent sa venue, & sa presence, & non pas seule-
ment sa response par lettres. Ie me tais de ce
que ie trouue que le seul Lycophron, an-
cien auteur ha mal senti & escrit
de la chasteté de Penelo-
pe contre la commune
opinion & re-
nommee.
*

Fin de la Preface.

[p. 17] Fac-simile de la page 17 [Bandeau]

TRADVCCION
EN VERS FRANCOIS
DE LA PREMIERE
EPITRE D’ O-
VIDE

Penelope escrit à Vlysses.

[Figure]

A   TOY escrit Penelope la tienne

 Le cõtenu en cette epitre sienne

 O Vlysses q̃ trop tardif i’atten:

 Ne m’escri rien, mais plustot re-
uien t’en:

5

Troye est à sac, en hayne aux dames Grecques:

Certeinement le roy Priam auecques

b Toute [p. 18] Fac-simile de la page 18 PENELOPE

Toute la Troye, encores bien à peine

Valoient ils tant que leur causer la haine.

O pleust aus dieux quand ses nauz par la mer

10

En Sparte fit l’adultere ramer,

Qu’il en eust esté de l’onde furieuse

Lors englouti: las, froide & soucieuse

Ie n’eusse geu dedens mon lit seulette,

Ni trouué lons les iours que te regrette!

15

Dont ie me plains qu’ils vont trop laschement,

Par toy laissee en doute & pensement:

Ni pour les nuits passer plus au leger

Viendroit les mains de moy vefue, charger

Le long trauail sur ma toile tendue.


20

Quel tems fut onc que triste & esperdue,

Ie ne t’ay creint plus grans dangers auoir

Que ceux qu’as peu veritablement voir?

La bonne amour de creinte est tousiours pleine,

Qui en l’esprit donne trauail & peine.

25

Les fiers Troyens ie geingoye, à part moy

Deuoir venir alencontre de toy:

Mesme au seul nom d’Hector tousiour trẽbloye,

Ie palissois, & morte ie sembloye.


Si i’entendois raconter par deça

30

Comment Hector iusques à mort bleça

Antilocus, de dueil i’estoye atteinte,

Antilocus alors causoit ma creinte:

Ou que Patrocle, auec ses feintes armes,

Estoit tué, lors mes yeux iettoient larmes:

Dout [p. 19] Fac-simile de la page A VLYSSES 19 35

Doutant de toy, adonques ie pleurois,

Et de ton dol male fin i’esperois.

Quand Tlepoleme eut en sang obscurcie

La clere lance au Prince de Lycie,

La mort qui lors Tlepoleme surprint

40

Fit que souci renouuelé me print.

A brief parler, quelconque Grec qu’on dist

Que par Troyen la vie au camp perdist,

Incontinent ie trembloye en la place:

Mon cœur qui t’ayme estoit plus froid que glace.


45

Mais Dieu, vray iuste, ha esté bien propice

Au caste amour, car mon espous Vlysse

Demoura sauf, la Troye estant en cendre.

Les princes Grecs on ha ia vù se rendre

En leurs maisons, faire fumer autelz,

50

Et à nos Dieus ofrir de tous cotez

Des bien rauis en la despouille, & proye

De la barbare, & estrangere Troye.

Les dames font, de bon cœur à leur tour,

Presens aus Dieus pour le ioyeux retour

55

De leur maris: leurs maris vont contant

Que le destin des Gregeois valut tant

Contre le sort des Troyens obstinez,

Qu’eus & leur fort ont esté ruinez.

Les bons vieillarts, les creintiues pucelles

60

Merueille en ont, & aus paroles telles

De son mari, la femme en est rauie.


Defia quelcun, qu’au banquet on conuie

b 2 En [p. 20] Fac-simile de la page 24 [sic pour 20] PENELOPE

En deuisant represente sur table

Apres souper meint combat effroyable:

65

Et peint auec peu de vin sur le champ

Toute la Troye, & tout l’ordre du camp.

Par ci (dit il) couroit Simoïs, fleuue:

Le champ Sigee en cet endroit se treuu:

Là de Priam estoit le grand palais:

70

Ci Vlysses, là campoit Achilles:

Ici Hector, trainé par monts & vaus,

Epouuenta d’Achilles les cheuaus.


Ce que ie say, car ton fils reuenu

De s’enquerir vers Nestor le chenu,

75

A fin d’ouir de toy quelque nouuelle,

Ainsi le tout me conte, & me reuelle:

Mesme comment Rhesus & Dolon eurent

Les coups mortelz, & comment surpris furent,

Dolon en dol, & Rhesus en dormant.

80

Tu as osé (ô par trop grandement,

Par trop des tiens oublieus) entreprendre

Le camp de Thrace assaillir, & surprendre

Durant la nuict, & tant de gens en somme

Mettre à la mort, aydé d’un tout seul homme

85

(Mais tu estois, parauant telz efforts,

Fin & subtil, & de moy bien recors.[)]

Mon poure cœur, & ma personne toute

Par ce recit fut en peine, & en doute

Iusques à tant qu’en fin on m’a conté

90

Qu’au cãp des Grecs veinqueur vins bien mõté

Sur [p. 21] Fac-simile de la page A VLYSSES. 21

Sur les cheuaus de Rhesus roy de Thrace[.]


Mais que me vaut, quel bien, ny quelle grace

Que terre soit qui fut le mur Troyen?

Que vous ayez bien trouué le moyen,

95

Par vos forts bras de ruiner la Troye:

Si seule encor, comme fus, faut que soye?

Si ie demeure en un mesme estat ores

Comme i’estois, la Troye estant encores?

De mon mary s’il me faut estre veuue

100

Par tems si long que la fin ie n’en treuue?


La Troye est donq pour toutes autres Dames

Totalement destruite, & mise en flames:

Mais pour moy seule est encore sus.

Là l’estranger, lequel l’a mise ius,

105

Laboure aus beufs par le pillage emblez:

Ou estoit Troye y sont ia grans les blez:

Du sang Troyen les chams engressez sont,

Pleins de blez druz, qui tot fauchez seront.

Les os des morts, à demi enterrez,

110

Par la charrue ores sont rencontrez

En labourant: & là les herbes nees

Coururent desia les maisons ruinees.

Estant vainqueur, tu es absent de moy,

Et si n’ay peu onques sauoir pourquoy

115

Fais tel seiour (quoy que l’on t’ayt cherché)

Ni en quel lieu (cruel) tu es caché.


Quiconque soit qui en cette isle arriue,

Ne s’en va point que ma main ne t’escriue,

b 3 (Si [p. 22] Fac-simile de la page 6 [sic pour 22] PENELOPE

(Si d’auenture en quelque part te voit)

120

Ne que de toy par moy bien enquis soit.


I’ay enuoyé en Pylon (c’est le bien

Du vieil Nestor, par Neleus pere sien)

Et puis en Sparte: & encore ne scet l’on

De toy nouuelle en Sparte, n’en Pylon.

125

En quelle terre habites tu? ou est-ce

Que loing de moy te tiens tardif sans cesse?

Mieus me vaudroit, & seroit plus utile

Qu’encor sus bout fust de Phebus la vile.

(Ie me courrouce à mon vœu & priere,

130

O que ie suis inconstante & legere!)

Au moins saurois en quel lieu combatrois,

Et seulement le combat ie creindrois.

Alors seroit ma pleinte, & ma tristesse

Iointe à mainte autre en ce païs de Grece:

135

Et meintenant ie ne say que ie creins,

Mais ie creins tout (simple) et de tout me plains

Et ay un champ tout rempli de souci.

Tous les dangers de terre, & mer außi,

Me font penser, & douter à toute heure

140

Qu’ils vont causant ta si longue demeure.


Mais, quand ceci ie pense folement,

Parauenture il va bien autrement:

La liberté d’entre vous hommes est

D’aller au change ainsi comme il vous plait.

145

Ainsi tu peus, pour ta resiouissance,

D’une autre femme auoir prins acointance.

Et [p. 23] Fac-simile de la page A VLYSSES. 23

Et poßible est que de moy tu lui dis,

Que ta femme est trop lourde en faits, & dits,

Qui ne scet rien sinon filer la laine.

150

O, que me soit cette pensee vaine!

Et nullement ne t’auienne en effet

D’estre souillé de tel crime, & forfait:

Ains le plustot que pourras retourner

Garde t’en bien de vouloir seiourner.


155

Mon pere Icar (de ce ie t’auerti)

Me vient contraindre à prendre autre parti:

Tousiours me crie, & me vient reprocher

Que i’atten trop: mais me vienne prescher

Et que pour telle on me die, & me tienne:

160

Car d’Vlysses iusqu’au iour que mourray,

Penelopé la femme demourray.

Luy toutefois adouci ha esté

Par mon amour, priere, & chasteté:

Et sa puissance en mon endroit modere

165

En atrempant son ira, & sa colere.


Ceux de Palis, & de la haute Zante,

Et du Samo, (tourbe en exces viuante,)

Me vont pressant les prendre en mariage:

De ton palais ils font leur heritage

170

Sans contredit: & tes biens (noz entrailles)

Sont dißipez parmi ces truandailles.

Qu’est il besoin que Pysandre ie nomme

Auec Polybe, & Medon, cruel homme?

b 4 Puis [p. 24] Fac-simile de la page 24 PENELOPE

Puis Eurymaque, & Antinoz, puissans

175

A te manger, & tes biens rauissans?

Maint autre encor, que toy par grand difame,

Estan absent, nourris auec ta femme

Des biens aquis au danger de ta vie.

Et pour combler ta perte, & infamie,

180

Irus maraut tout rempli de malheur,

Melanthius außi, le conseilleur

De gourmander le tien betail, gourmandent.

Nous sommes trois, tous telz cõme ils demandẽt,

Trop mal puissans, moy ta femme debile,

185

Puis Laërtes le vieillart mal habile:

Le ieune enfant Telemachus außi,

Voire lequel m’a esté ces iours ci

Par vne embuche à bien peu pres surpris,

Quand il auoit, malgré tous, entrepris

190

De voyager en Pylon, vers Nestor.

Si prie aus Dieus qu’ils permettent encor

Son fil des ans durer iusqu’à tel terme

Qu’à toy, & moy, mourans, les yeus nous ferme:

Puis ton bouuier, ta caduque nourrice,

195

Et ton porcher, feal en ton seruice,

Telle priere auec moy font sans cesse.


Or Laërtes, foible de grand vieillesse,

Ne pourroit pas auoir bon ordre mis

Pour dominer entre tant d’ennemis.

200

Telemachus, s’il plait aus Dieus qu’il uiue [sic.],

Viendra en aage & plus forte, & plus viue.

Tu [p. 25] Fac-simile de la page A VLYSSES. 25

Tu deurois bien, comme pere, defendre

Pour le present sa ieunesse encor tendre.

Et quant à moy, ie n’ay paas force assez

205

Que par moy soient tant d’ennemis chaßez.

Vien, le plus brief, toy notre seul support,

Pour estre aux tiens le bon vent, & leur porte.

Tu as un filz (& ie pry que tu l’ayes)

Qui ieune d’ans requiert que tu essayes

210

De sa ieunesse instruire, & bien mener,

Et son esprit à tes arts façonner.

Penser à venir clore à Laërt les yeus,

La mort le tire, il est ia des plus vieus,


A ton depart ie qui fus ieune, & fresche,

215

Ia sembleray toute passee, & seche

A ton retour: encor que tu retournes

Incontinent, sans que tu seiournes.


Fin de l’epitre premier, qui est de
Penelope à Vlysses.

ANNOTACIONS
sur l’Epitre de Penelope
à Vlysses.

O Plust aus Dieus quand ses nauz par la
  mer

En Sparte fit l’adultere ramer.


Sparte, autrement dite Lacedemon, & à
b 5 present [p. 26] Fac-simile de la page 26
present Mizitre, est une vile de Laconie en
Peloponese, à present apellee la Moree, qui
est une partie de Grece.

Ni pour les nuits passer plus au leger

Viendroit les mains de moy vefue, charger,

Le long trauail sur ma toile tendue.


C’est de soymesme que Penelope parle,
qui se dit vesue de son mari Vlysses, non par
mort, mais par longue absence. Et faut en-
tẽdre qu’elle usa d’une bõne ruse pour abu-
ser les ieunes gens qui la pressoient de se re-
marier, disans que son mari Vlysses estoit
mort, atendu le long tems que lon n’auoit
aucunes nouuelles de lui: c’est qu’elle leur
disoit & prometoit que quand elle auroit
acheué de faire sa toile qu’elle auoit com-
mencee, qu’alors elle se remarieroit: or est
il que de nuit elle alloit deffaire tout ce
qu’elle auoit fait & tissu de iour: ainsi sa toile
ne s’auançoit, ni ne se parfaisoit point: & ce
pendant les ieunes Gentilshommes amou-
reus d’elle (car elle estoit belle, sage, & gra-
cieuse) viuoit sous esperance, chacun en-
droit soy, de l’auoir quelque iour en maria-
ge, apres que sa toile seroit acheuee: & fai-
soient grand chere en la maison, aus des-
pens du bon homme Vlysses absent, qui s’en
vengea bien, puis apres, à son retour. Et de
ceus [p. 27] Fac-simile de la page 27
ceus ci elle parle en son espitre, disant:

Ceux de Palis, & de la haute Zante,

Et du Samo, tourbe en exces viuante,

Me vont pressant les prendre en mariage:

De ton palais ils font leur heritage

Sans contredit: & tes biens (noz entrailles)

Sont dißipez parmi ces truandailles.


Si i’entendois raconter par deça

Comment Hector iusques à mort blessa

Antilochus, de dueil i’estoye atteinte,

Antilochus alors causoit ma creinte.


Le commun lit ainsi, Antilochus, mais
toutefois il ne fut pas tué par Hector, ains
par Memnon. or on peut excuser cette con-
fusion & changemẽt de nom pour un autre,
ou sur la personne de Penelope, femme, qui
n’estoit tant curieuse de chercher la verité
de l’histoire, cõme de declarer son afeccion,
peine & passion qu’elle auoit pour la longue
absence de son mari: ou sur la personne du
Poëte mesme, qui se donne cette liberté de
prendre un non pour autre, comme on lit le
sẽblable en la sixieme Eclogue de Vergile:

Quid loquar? aut Scyllam nisi, quam fama se-
cuta est

Candida succinctã latrantibus inguina monstris

Dulichias vexasse rates?



Atend [p. 28] Fac-simile de la page 26 [sic pour 28]
Atendu que Vergile en ce lieu atribue à
Scylla fille de Nisus, ce qu’il deuoit atribuer
à Scylla fille de Phorcus: en ce faisant les
Poëtes suiuent quelquefois le naturel de la
renommee qui est assez mensongere, & qui
prend & confond souuent les noms des uns
pour les autres. Mais, pour retourner à notre
Antilochus, Politian lit, Amphimacus, sui-
uant Homere: Ce nonostant Dares Troyen,
qui fut en celle guerre, ha ecrit que Hector
tua Archilochus, & Eneas Amphimachus.

Ou que Patrocle, ayant ses feintes armes,

Estoit tué: lors mes yeux iettoient larmes


Patroclus fut tué estant vetu & couuert
des armures & harnois d’Achiles son grant
amy: Et pourtant le Poëte les appelle fausses
ou feintes armes, car elles representoient
Achilles sous Patroclus.

Quand Tlepoleme eut en sang obscurcie

La clere lance au Prince de Lycie,


Tlepoleme fils d’Hercules & d’Astioche,
habitant & signeur en partie de Rhodes, vint
contre les Troyens auec neuf galeres, & fut
tué par Sarpedon, Roy de Lycie, venu au se-
cours des Troyens.

Que le destin des Gregeois valut tant

Contre le sort des Troyens obstinez,


Le Poëte veut dire que la destinee ou or-
donn [p. 29] Fac-simile de la page 29
donnance fatale des Grecs veinqueurs, ha sur
monté celle des Troyens veincuz.

Par ci (dit il) couroit Simoïs, fleuue:

Le champ Sigee en cet endroit se treuue.


Simoïs estoit un fleuue ou riuiere au des-
sus de Troye.

Sigee est un mont qui s’estend en la mer,
& là est le port ou se tint l’armee des Grecs
cõtre Troye: là sont les tõbeaus d’Achilles &
Patroclus: à present on l’apelle au païs Ianiz-
zari , & en Latin Castellum sanctæ Mariæ.

Tu as osé &c.

Le camp de Thrace assaillir, & surprendre.


Pylus, ou Pylos, à present Nauarino, &
Abarino, est une vile de Messenie en la Mo-
ree . I’ay usé de l’acusatif au lieu du nomina-
tif, pour ayder à la rencontre & brieueté du
sens en la rime non cõtrainte, cõme s’ensuit,

Et encore ne scet lon

De toy nouuelle en Sparte, n’en Pylon.

Ie me courrouce à mon vœu & priere:

O que ie suis inconstante & legere!


Elle veut dire que son vouloir present est
contraire à son vouloir precedẽt: Car aupar-
auant elle prioit & desiroit que Troye fust
destrui [p. 30] Fac-simile de la page 30
destruite, à fin que son mari fust bien tot
vers elle de retour: & meintenant elle vou-
droit que Troye ne fust pas encore destruite,
& que les Grecs fussent encor campez de-
uant, à fin qu’elle sceust que son mari seroit
là, pour le moins: duquel à present elle n’a
aucunes nouuelles, & ne scet ou il est.

Ceux de Palis, & de la haute Zante,

Et du Samo, &c.


Dulichium, à present Taphus ou Palis, &
en vulgaire, Palichi, est une ville en Chipalo
nie, isle de Grece, pres de laquelle estoit Itha-
que , à present Compare, ou Tiachi, qui est
une autre petite Isle dont estoient Vlisses &
Penelope. Samos, à present Samo, ou Same,
est une autre vile au contraire de Palichi, &
en la mesme isle vis à vis d’Ithaque. Il y ha
une autre isle du nom de Samos qui est au-
pres d’Ionie, à l[']endroit d’Ephese, dediee à
Iuno, par ce qu’en icelle elle ha esté nee, nour
rie, & à Iuppiter mariee: de laq̃lle isle Pytha-
goras estoit natif, & aussi une des Sibylles
qui pour cette raison ha esté apelee en Latin,
Sibylla Samia. Zacynthus est le nom d’une
autre ville & isle peu plus loin d’Ithaque à
presẽt Zãthe ou Iante: & autremẽt, Zachitho.

Et tes biens (noz entrailles)

Sont dißipez parmi ces truandailles:


Pource [p. 31] Fac-simile de la page Pource que lon ayme les biens autant que
son cœur & sa vie, & que le mari & femme,
quand ils sont bons mesnagers, ont grand
douleur de les perdre, Penelope les apelle,
noz entrailles, en parlant à son mari.

Son fil des ans durer iusque à tel terme

Qu’à toy & moy mourans, les yeux nous ferme.


C’estoit une coutume louable en ce tems
là, que les enfans venoient cloree les yeus à
leurs peres & meres quand ils mouroient.

Fin de l’Annotacion.

[Fleuron]
[p. 32] Fac-simile de la page 32

PREFACE SVR
L’EPITRE DE PHYL-
LIS A DEMO-
PHON
*

D  Emophon fils de Theseus & de
  Phedra, retournant de la guer-
 re de Troye en son païs, fut par
  tempeste de mer getté au païs de
Thrace, à present Romanie. Or Phyllis fille
de Lycurgus, & de Crustumene, laquelle
Phyllis pour lors regnoit en Thrace, le re-
çut gracieusement en son palais, & en son
lict. Mais apres qu’il eut esté quelque espace
de tems auec elle, eut nouuelles que Mne-
steus estoit mort, lequel auoit chassé The-
seus pere dudit Demophon hors de la vile
d’Athenes, à present Cethine, ou Satines: &
puis y auoit regné. Lors estant Demophon
esprit d’un desir d’estre Roy d’Athenes (puis
que l’ennemi qui auoit chassé, & empesché
son pere de regner, estoit mort) s’en depar-
tit, apres que ses nauires furent refaites:
promettant à Phyllis qu’il retourneroit de-
dens un mois, & feingnant qui s’en alloit
seulement donner ordre en Athenes, ne se soucia de
retour [p. 33] Fac-simile de la page 33
retourner vers Phyllis. Il fut le douzieme
Roy des Atheniens: & regna trentetrois ans,
commençans en l’an du monde 2784. auant
la natiuité de Iesuchrist 1178 ans. Ainsi qua-
tre mois ia passez, Phyllis lui escriuit cette
epistre: par laquelle elle l’ammonneste que,
ayant memoire des biens, graces, & honne-
stetez qu’elle lui ha faites, il lui tienne sa
foy, & promesse: autrement elle declare
qu’elle est deliberee de recompenser son
honneur, & sa chasteté perdue, par cruelle
mort. La fin fut telle, que Phyllis se pendit
de sa ceinture à un arbre dedens une forest
procheine du riuage de la mer, apres qu’elle
eut esté par neuf fois vers la mer, pour voir
si Demophon retournoit point: comme
Ouide mesme le descrit bien au milieu du
second liure du remede d’amour. Et pour-
tant toute femme doit bien ici prendre un
bel exemple de ne mettre son amour trop
ardemment & folement en un homme,
quel qu’il soit: car la fin de folle amour ia-
mais n’en fut bonne. Au reste combien que
ce nõ Demophoon, soit de quatre syllabes,
toutefois ie n’en use que pour trois, en fai-
sant une contraccion des deus dernieres, tant
pour la douceur requise en la prononciacion
Françoise, comme pour mieux & plus faci-
c lement [p. 34] Fac-simile de la page 34
lement seruit aus vers François. Pour sem-
blable raison trouuerez en la premiere epi-
tre, Laërt, pour Laërtes. Iason, aussi pareille-
ment est de trois syllabes en Latin, en diui-
sant ses deus premieres voyelles, ce nonob-
stant l’usage du langage François ha ia ob-
tenu que lon n’en fait que deus syllabes, en
faisant I, consonante, pour cause de brieueté
& facilité. en pareil cas aussi ie n’ay fait que
quatre syllabes de, Deianire, en la neuuieme
Epitre, & pour mesme cause, combien que
les Latins en font cinq, aussi en la sixieme
vous trouuerez Aeta, pour æeta, le pe-
re de Medee. Ce qui est, & doit
estre facilement permis en
Poësis pour la con-
treinte des
vers.

Fin de la Preface.

[p. 35] Fac-simile de la page 35 [Bandeau]

TRADVCCION
DE LA II. EPITRE
D’OVIDE.

Phyllis écrit à Demophon.

[Figure]

De toy me plains ie Phyllis ton hotesse,

O Demophon, qui ne me tiens promesse,

Ayant laißé passer le tems ainsi,

Que tu deuois de retourestre ici.

5

Tu m’as promis tes nauz venir ancrer

A notre port, alors que rencontrer

S’entreuiendroient les cornes de la Lune

En leur plein rond, des fois seulement une.

Par quatre fois la fin de Lune ay vuë:

10

Par quatre fois en sa rondeur est creuë:

c 2 Et [p. 36] Fac-simile de la page 36 PHYLLIS

Et nonobstant tes nauz sur notre mer

Lon ne voit point au retour escumer.

Certeinement si tu contes les iours,

Que nous amans contons tresbien tousiours,

15

Tu connoitras, comme bien tu l’entens,

Que ie ne fay ma plainte auant le tems:

Mesme l’espoir que i’ay eu en ta foy

N’a point esté que bien tardif en moy,

Ie croy trop tard, ce qui en croyant nuit:

20

Et meintenant est bien grief iour & nuit,

A moy qui suis & contreinte, & amante:

Qui souz espoir de ton retour viuante,

O Demophon, sois seur & auerti,

Ay bien souuent pour toy à moy menti:

25

Qui ay pensé tes blancs voiles souuent

Estre deça ramenez par le vent:

Qui ay maudit Theseus, qui t’arrestoit:

Mais poßible est que pas ainsi n’estoit.


Par fois i’ay creint que fust pres Marissa

30

Ta nef en fons, en vogant deuers ça,

I’ay plusieurs fois, comme font les amans,

Prié les Dieus aus beaus autelz fumans,

Pour la santé de toy mechant, & lache.

Souuent, voyant comment le vent ne fasche

35

L’air, ni la mer, ha, i’ay dit en moymesme,

Ha, il reuient s’il est sain, & s’il mayme.

Brief, ce qui peut les nauigans contreindre

A seiourner, l’amour l’a voulu feindre:

Et [p. 37] Fac-simile de la page A DEMOPHON. 37

Et ay tresbien pourpensé les raisons

40

Qui te pouuoient tenir longues saisons.

Mais toy tarfif ne font estre au retour.

Les Dieus iurez, ni außi notre amour.

Toy, Demophon, plus leger que tes toiles,

As mis au vent tes propos, & tes voiles:

45

I’acuse à droit tes voiles qui ne viennent,

Et tes propos, qui point de foy ne tiennent.


Qu’áy ie meffait, di le moy hardiment,

Sinon que i’ay aymé non sagement?

Si i’ay mespris, ie di, pour ma defense,

50

Que ie t’ay deu gaigner par mon ofense.

En moy y ha tant seulement un mal,

Que t’ay logé, meschant, & desloyal:

Mais ce mal là emporte un eficace

Auecques soy, de meirte, & de grace.

55

Ou est le droit, & la foy meintenant?

Ou est la main à l’autre main tenant?

Ou sont les dieus, qui ont part à l’iniure,

Quand les auois en ta bouche pariure?

Ou est Hymen mon pleige, & mon otage,

60

Qui m’assuroit de notre mariage?

Et que viurions, ainsi qu’auions promis,

Tousiours ensemble, espous, & bon amis?

Tu m’as iuré par la mer incerteine

Qui toute estoit d’ondes & de vens pleine,

65

Sur qui souuent nauigué tu auois,

Sur qui encore nauiguer tu deuois,

c 3 Par [p. 38] Fac-simile de la page 38 PHYLLIS Neptune.

Par ton ayeul (s’il n’est feint comme toy)

Pacifiant la mer pleine d’esmoy:

Et par Venus & ses puissantes armes,

70

Traits, & flãbeaus, me liurans tant d’alarmes,

Et par Iuno, des noces la deesse

Autorizant mariages qu’on dresse:

Et par Ceres des torches honoree,

Par sacres liens tu m’as ta foy iuree.

75

Si un chacun de ces Dieus ofensez

Te vient punir, toy seul n’est pas assez

Pour supporter la peine, & la vengence.


Mais, malheureuse & folle (quand i’y pense)

Encor ses nauz rompues i’ay refaites,

80

Pour mieus s’enfuir de moy par longues traites.

Ie t’ay donné & rames, & forceres,

Pour mieus me fuir dans tes nauz & galeres.

Ie souffre, helas, les playes de mes traits.


En tes propos abondans, pleins d’attraits

85

Me suis fiee, en ta race, en tes Dieus,

Pareillement aus larmes de tes yeus:

Mais peut on bien les feindre? lon en use

Comme lon veut: en pleurs mesme y ha ruse.

I’ay creu außi à tous les Dieus celestes,

90

Que tu iurois par sermens manifestes.

Mais que me sert tant de choses conioindre,

Quand tu pouuois me gaigner par la moindre?


Ce que me deult que t’ay donné support,

Et recueilli en mon Palais, & port,

Cela [p. 39] Fac-simile de la page A DEMOPHON. 39 95

Cela ie dusse auoir fait seulement:

Mais i’ay regret d’auoir vileinement

Donné les deus, mon logis, & mon lict,

Et de t’auoir embraßé par delict.

I’aymase mieux que la nuit deuant celle

100

Eust esté nuit derniere à moy pucelle:

Lors que pouuoient à moy, folle Phyllis,

Honnestement mes iours estre failliz.

I’esperois mieus, car ie pourpensois bien

Que tu valois tant d’honneur, & de bien.

105

Rien esperer doit cil qui bien merite.

C’est bien louenge à vous hommes petite

Par vos propos une fille abuser:

Lon dust plus tost ma simplesse excuser.

Par tes propos, à heure malheureuse,

110

Ie fus deçue, & fille, & amoureuse.

O Demophon, facent les Dieus parfaits,

Que ce soit là le chef de tes beaus faits.


Athenes.

Sois ta statue au milieu de la vile

Entre les tiens: là ton pere auec mile

115

Tiltres d’honneur escrits à l’enuiron

Soit deuant toy: comme il deffit Scyrron,

Auec Scinis, & Procustes terrible,

Puis l’homme & beuf, Minotaure l[’]horrible,

Thebes veincue en guerre, & les Centaures,

120

Les noirs enfers qu’il print d’assaut encores:

Apres ces faits, & tiltres de bon heur,

Ton image ayt ce beau tilte d’honneur:

c 4 Voici [p. 40] Fac-simile de la page 40 PHYLLIS

Voici celui qui par dol, & finesse

Deçut iadis son amie, & hotesse.

125

De tant de faits dont ton pere est orné,

As retenu qu’il print Ariadné,

Puis la laissa. Ce seul fait qu’il excuse

As ensuiui: de ce dol ie t’acuse

Estre heritier, Demophon desloyal.

Voyez la
preface de
la dixieme
epistre.
130

Ce nonobstant d’un mari plus loyal,

Ariadné en ha la iouissance.

Mais toutefois d’enuie, ou malueillance

Ie ne lui porte. Or est elle montee

Trionfamment, par Tygres serfs portee:

Les Ty-
gres estoi
ent attri
buez à bac
chus qui print à fẽ-
me Ariad
né.
135

Mais, quant à moy, me vont fuyant les Thraces,

Trop ofensez: disans en toutes places

Qu’ils ne voudroient auec moy se loger,

Car i’ay laißé les miens pour l’estranger.

Ia dit de moy quelcun qui ne me vante,

140

Qu’elle i’en aille en Cethine sauante,

Autre personne y aura plus eureuse

Cethine
ou Satines
iadis, A-
thenes .

Qui regira Thrace la belliqueuse.


On dit bien vray, la fin approuue l’euure:

Außi ie pry que celui ne recœuure

145

Issue à gré, qui meintient en effet

Que par un cas il faut iuger du fait.

Mais en grans loz seront tournez mes blames,

Si notre mer escume par tes rames:

Lors i’auray bruit, qui t’ay fait tant de biens,

150

D’auoir bien fait pour moy & pour les miens:

Mais [p. 41] Fac-simile de la page A DEMOPHON. 41

Mais n’ay bien fait pour les miens, ni pour moy:

Tu n’as souci de nous, comme ie voy.

En mon palais ne viendras t’eberger,

Ni ton corps las en mon lac soulager.


155

Deuant mes yeus ores se represente

Ton meintien triste, & ta face dolente

Quand ta nef preste en mon port t’atendoit:

Lors tout ton corps dessus mon col pendoit:

Lors tu osa bien serré me baiser

160

De longs baisers, & de pleurs m’arroser,

Entremeslant avec mes pleurs tes pleurs,

En me tenant ces termes de douleurs,

Que tu estois faché bien grandement

D’auoir le vent propice au partement.

165

En fin me dis (meslant tes pleurs parmi)

Phyllis, attend Demophon ton ami.

Ie t’attendray, qui partis sans auoir

Aucun desir de iamais me reuoir?

Sur le mien port i’attendray de tout point

170

Tes voiles voir, qui ne reuiendront point?

Or fus i’atten: au moins vien sur le tard:

Et que la foy qui de ta bouche part,

N’ait defailli que du tems seulement.


Que pry ie folle? il va bien autrement:

175

Desia, peut estre, autre espouse t’a prise,

L’amour te tient, qui ne me fauorise:

Et meintenant, qu’autre partie eslis,

Plus ne connois (comme ie croy) Phyllis.

c 5 Helas [p. 42] Fac-simile de la page 42 PHYLLIS

Helas, helas, tu ne connois plus celle

180

Tienne Phyllis, & ne t’enquiers plus d’elle:

Qui ay à toy, O Demophon, donné

Logis & port, quand tu fus malmené

De longs trauaus: & accru tes richesses,

Et t’esperois faire plus de largesses

185

Que ne t’ay fait, soit en dons, or, argent,

Moy estant riche, & toy lors indigent:

Qui t’ay donné la iouissance pleine,

Et ay souzmis à toy le grand domaine,

De Lycurgus, pour femme bien grand charge,

190

Lequel contient beaucoup de long, & large:

Des Rhodopé, le mont plein de froidure

Iusqu’à Æmus, plein d’ombre & de verdure:

Et iusqu’au lieu ou Heber, sacré fleuue,

Dedens la mer getter les eaus se treuuve:

195

Qui as, sur tout à la male heure, esté

Seul iouissant de ma virginité:

Et ta main faulse osa faire rompure

Trop hradiment, de ma chaste ceinture.

Tisiphoné en fut la courratiere,

200

Et y urla d’une horrible maniere:

Puis y chanta l’oiseau faus & meschant,

Vn trespiteus, & tresmalheureux chant.

Mesme Alecto, laidement atournee,

De serpens courts y vint toute encheinee:

205

Et allumez y furent luminaires

De torches ardente & tristes mortuaires.


Ce [p. 43] Fac-simile de la page A DEMOPHON. 43

Ce nonobstant ie, pleine de tristesse,

Par les rochers m’en vais courant sans cesse,

Et par buissons, dont la riue est pouruue:

210

Tant que ie puis ie gette en mer ma vuë.

Soit que de iour se relache la terre,

Soit que la nuit par froideur la reserre,

Ie vois visant quel vent tire, qui vient

Batre la Mer: & alors s’il m’auient

215

Des voiles voir en quelques lointeins lieus,

Incontinent ie dy que sont mes lieus.

Ie cours en mer, l’onde à peine me garde

Que ie m’y gette, & ma vie y hazarde,

En celle part ou la Mer va batant,

220

Et le sien flot, & premiere eau gettant.

Plus l’onde aproche, & se vient presenter,

Lors plus suis foible, & moins puis resister,

Ie tombe adonq es mains de mes seruantes.

Vn goulfe y ha plein d’ondes escumantes,

225

En façon d’arc tout courbe & opreßé,

Ayant un roc en ses cornes dreßé:

De ce lieu là i’ay eu en pensement

De me getter en Mer parfondement:

Et le feray, sans delais, ni excuses,

230

Puis que desia si long tems tu m’abuses.

Ie pri aus Dieus qu’incontinent me porte

Le flot de mer à ton riuage morte,

Et sans tombeau deuant tes yeux ie sois.

Lors me diras (quand plus dur tu ferois

Que [p. 44] Fac-simile de la page 44 PHYLLIS A DEMOPHON. 235

Que fer, qu’aymant, & que toymesme außi)

Tu ne deuois, Phyllis, me suiure ainsi.


Souuent desir de poison m’est venu,

Ou trauerser mon corps d’un glaive nu:

Ou mesmement d’un trescruel licol

240

Mortellement entrelasser mon col,

Qui ha soufert par amoureus esbas

Estre embracé de tes malheureus bras.


I’ay tout conclu mon honneur compenser

Par dure mort que ie vueil m’auancer:

245

La qualité de la mort ou ie pense,

Me retiendra bien peu de tems suspense:

En mon tombeau seras noté coulpable,

Souz un tel vers, ou souz autre semblable:


Phyllis amante ici git morte à tort,

250

Que Demophon, son hoste, ha mise à mort:

Lui desloyal, & de cœur inhumain

Y mit la cause, elle y ha mis la main.


Fin de l’Epitre de Phyllis à Demophon,
qui est la seconde.

ANNOTACIONS SVR
L’EPITRE DE PHYLLIS
à Demophon.
*

Mesme l’espoir que i’ay eu en ta foy

N’a point esté que bien tardif en moy.


Le [p. 45] Fac-simile de la page 45
Le vers Latin porte.

Spes quoque lenta fuit:

C’estadire l’esperance ha esté tardiue: en
quel lieu, spes, se prent pro timore, par la
commune opinion, comme en Virgile,

Ast ego si potui tantum sperare dolorem,

id est, timere. Et encor en autre lieu,

Si mortalia temnitis arma,

At sperate deos memores fandi, atque nefandi.


Ainsi esperance, ou espoir, se prent en ce
lieu pour creinte & doute, selon aucuns:
mais ie le pren plus simplement, & à la let-
re, c’est q̃ l’espoir ha esté tardif en elle qui
n’a pas eu trop grãde fiance en son retour.

Qui ay maudit Theseus, qui t’arrestoit:

Mais poßible est que pas ainsi n’estoit.


Combien qu’il semble auoir quelque con-
tradiccion en ces deus vers françois, si est ce
que les deus Latins les portent ainsi:

Thesea deuoui, quia te dimittere nollet:

Nec tenuit cursus forsitan ille tuos.


Par fois i’ay creint que fust dens Marissa

Ta nef en fonds, en vogant deuers ça.


Marissa est un fleuue impetueus que lon
apeloit anciennement Heber, ou Hebrus: en
la contree de Thrace, que lon apelle à pre-
sent Romanie.

Par [p. 46] Fac-simile de la page 46

Par ton ayeul (s’il n’est feint comme toy)

Pacifiant la mer pleine d’esmoy.


La poëte entend Neptune, grand ayeul de
Demophon, lequel Neptune fut pere d’ E-
geus , & Egeus pere de Theseus, & Theseus
pere de Demophon. Ou bien il entẽd Egeus
mesme, qui voyant de loin retourner auec
voiles noires la nef de son fils Theseus, qui
estoit allé contre le Minotaure, se getta en
mer, & fut mué en Dieu marin.

Et par Ceres de torches honoree:

Le Poëte dit cela par ce que Ceres alluma
de grans arbres de Pin au mont Ethna que
lon appelle à present le mont Gibel, pour
chercher sa fille Proserpine q Pluton auoit
rauie: & pourtant en ces sacrifices ou usoit
de torches.

Mais malheureuse & fole quand i’y pense,

Encor tes nauz rompues i’ay refaites:


Lon peut lire, Ha malheureuse: car aus-
si d’aucuns liures Latins ont diuersement.

Les uns,

At laceras puppes etiam furiosa refeci:

Et les autres,
Ah laceras, &c.

I’esperois mieus, car ie pourpensois bien

Que tu valois tant d’honneur & de bien:


Cõme ie t’en ay fait: mais on peut lire aussi,

Que ie valois tant d’honneur & de bien:

Que [p. 47] Fac-simile de la page 47
Que tu dusses retourner vers moy: Car
aussi les liures Latins ont diuersemẽt, les uns,

Speraui melius, quia te meruisse putaui:

Et les autres,

quia me meruisse putaui:

Là ton pere auec mile

Titres d’honneur escrit à l’enuiron

Soit deuant toy: comme il deffit Scyron

Auec Scinis, & Procustes terrible, &c.


Theseus pere de Demophon tua ces trois
larrons & meurdriers: Aussi le monstre Mi-
notaure, qui estoit demi homme & demi
beuf: & vainquit la vile de Thebes, à present
Thiua: chassa les centaures, monstres demi
hommes & demi cheuaus qui vouloient for
cer Hippodamie espouse de Pirithoüs: en-
tra par force aus enfers à la priere de son
ami Pirithoüs, qui vouloit auoir Proserpine
la Royne d’enfer, femme de Pluton.

Ce nonobstant d’un mari plus loyal

Ariadné en ha la iouissance,


Voyez [p. 48] Fac-simile de la page 48
Voyez la preface de la dixieme epitre d’ A-
riadné à Theseus.

Or est elle montee

Trionfamment par Tygres sers portee.


Les Tygres esoient anciennemẽt attribuez
à Bacchus, qui print Ariadné pour femme.

Ia dit de moy quelcun qui ne me vante

Qu’elle s’en aille en Cethine sauante.


Phyllis veut dire qu’il y en peut auoir ia
quelcun qui se moque d’elle en la raillant &
disant, qu’elle s’en aille en Athenes qui est
vile de renom en science, en laquelle est son
ami Demophon qui ne veut pas retourner,
auquel elle ha promis mariage: & quant au
païs de Thrace belliqueuse, il s’en trouuera
d’autres que Phillis, qui le gouuernera mieus.

Certeinement la fin aprouue l’euure.

Si pry bien fort que celui ne receuure

Issue à gré qui meintient en effet,

Que par un cas il faut iuger du fait.


Elle respond meintenant au propos prece-
dent, comme disant & confessant qu’il est
bien vray que lon iuge des faits par la fin &
issue: mais toutefois elle neveut cõfesser q la
fin & issue de son fait soit mauuaise, & qu’el-
le soit ia auenue, à sauoir que Demophon
l’ait du tout delaissee, & qu’il ne vueille
plus retourner vers elle: ains au contraire
elle [p. 49] Fac-simile de la page 49
elle presuppose que quelque cas, empesche-
ment ou infortune lui est auenue qui le re-
tient & retarde de venir.

Mais n’ay bien fait pour les miens, ni pour moy:

Tu n’as souci de nous comme ie voy:


Voyez l’inconstance des propos d’une
femme amoureuse.

En mon palais ne viendras t’éberger

Ni ton corps las en mon lac soulager.


Bistonis estoit vn lac en Romanie, duquel
Phyllis parle, disant que Demophon ne se
viendra point allaigrir & delasser à nager
en son lac.

Et ta main fausse osa faire rompure

Trop hardiment, de ma chaste ceinture.


Les pucelles en ce tems là estoient ceintes
d’une ceinture de chasteté, que le seul mari
la premiere nuit desnouoit.

d PREF [Fleuron]
[p. 50] Fac-simile de la page 50

PREFACE SVR
L’EPITRE DE
BRISEIS A
ACHILLES.
*

QVAND l’armee des Grecs alloit con-
tre la Troye, elle print, & pilla les vi-
les, vilages & bourgs procheins de Troye,
& le païs d’alenuiron, principalement les
Isles qui estoient de l’autre coté de Lesbos, à
present Methelin. Entre lesquelles Achilles
fils de Peleus, & de Tethis, print d’assaut les
deus Cilices, la Thebaïque & Lyernese,
lesquelles il saccagea: & de Thebes emmena
Astimone captiue fille de Chryses, & de Lyr-
nese, Hippodamie, fille de Brises: lesquelles
depuis furent nommees du nom de leur pe-
re, la premiere, Chryseïs, & l’autre, Briseïs.
Or Agamẽnon chef de l’armee eslut la bel-
le Astimone pour sa part de tout le butin &
pillage: Puis à Achilles pour sa part, & par
eleccion de gens ordonnez à ce fait, fut li-
uree Hipodamie, depuis dite Briseïs. Les cho
ses estãt ainsi, Chryses prestre d’Apollo Smyn
teen, vint auec presens vers Agamemnon
pour r’auoir sa fille Astimone, depuis dite
Chryseïs, lequel le dechassa en le menaçant
fort. [p. 51] Fac-simile de la page 51
fort. Parquoy Apollo estant courroucé du
mespris & iniure q lon faison à son prestre,
tira de son arc & persecuta de ses flesches,
tant les hommes que les bestes du camp des
Grecs par l’espace de neuf iours: cõme Ho-
mere ecrit en son Iliade. Ainsi un grãd nom-
bre de gens, & de bestes par ces flesches
etoient occis tous les iours miserablement.
Or par l’auertissement de Minerue, les
Grecs s’assemblerent en conseil. Achilles se
delibera d’apaiser l’ire des Dieus. Calchas fils
de Thestor, & deuin, qui auec Mopsus vou-
lut contendre, vint dire tout haut qu’Apollo
ne se seroit point apaisé si lon ne rendoit
Astimone à son pere. A ce propos tous y cõ-
sentans & crians pour aprobacion de cette
voix, Agamemnon r’enuoya par Vlysses la
fille Astimone vers son pere: mais puis apres
enuoya Taltybius & Eurybates pour rauir
& oster Hippodamie (autrement dite Bri-
seïs) d’entre les mains & iouïssance d’Achil-
les, qu’il pensoit estre cause qu’Astimone
auoit esté rendue. Lors Achille desista de
batailler. Puis apres de iour en iour les
Grecs estoient surmontez par les Troyens.
Iupiter auoit fait cela en faueur de Thetis
mere d’Achilles, àfin que la vaillance &
prouesse d’Achilles fut cõnue. Agamemnon
d 2 voyant [p. 52] Fac-simile de la page 52
voyant le camp des Grecs foible pour cause
q Achilles ne batailloit point, & les Troyens
de cela fiers & encouragez, enuoya vers
Achilles Phœnix, Aiax, & Vlysses pour le r’a-
paiser, le priant receuoir Briseïs, auec grans
dons. toutefois pour cela onq ne voulut la
receuoir, ni r’apaiser son cœur & retourner
en bataille, iusques à ce que Hector eut tué
Patroclus, grand ami dudit Achilles. Ainsi
dõq Briseïs escrit cette Epitre audit Achilles
se compleignãt qu’il ne l’a voulu receuoir,
mesme auec telle condicion de grans dons,
& presens à lui offerts, & presentez de la
part du Roy Agamemnon, souz cette inten-
cion, que la reprenant auec lui, puis apres
se mettroit en armes, & en bataille. les
complaintes ne sont point trop ve-
hementes, mais moderees, en
la sorte qu’il apartient
à vne femme
captiue.
*

TRA
[p. 53] Fac-simile de la page
53 [Bandeau]

TRADVCCION
DE LA III. EPITRE
D’OVIDE.
*
Briseis écrit à Achilles.

[Figure]

Ce que tu lis, la presente mißive,

Vient de la main de Briseis captiue,

Mißive à peine escrite en Grec langage,

Par moy qui suis estrangere en seruage:

5

Mes pleurs ont fait toutes les effassures

Que tu verras entre mes escritures:

Mais nonostant ces pleurs valent bien voix.

S’il m’est permis, quelque peu toutefois,

De toy signeur, & mari faire pleints,

d 3 De [p. 54] Fac-simile de la page 54 BRISEIS 10

De mon signeur & mari ie me pleints.


Ce que ie fus au roy Agamemnon

Liuree tot, ce n’est ta faute, non:

Combien pourtant que c’est ta faute außi:

Car außi tot comme ie fus ainsi

15

Par Eurybate & par Taltybe quise,

Tot Eurybate & Taltybe m’ont prise,

Toy me liurant: qui demandoient entre eus

Ou c’est qu’estoit l’amour d’entre nous deus.

A tout le monde tu pouuois delayer

20

Vn peu de tems, auant que m’enuoyer:

I’usse eu à gré le delay de ma peine.

La departie, helas, fut tant soudeine

Que ie ne t’ay baisé aucunement:

Mais i’ay getté des pleurs abondamment,

25

Et les cheueus de ma teste arraché.

Las, tant estoit mon poure cœur fasché!

Que, malheureuse adonques ie pensois,

Qu’on m’emmenoit captiue une autrefois.


I’ay bien souuent en vouloir & desir,

30

De retourner vers toy, mon seul plaisir,

Et deceuoir les gens qui m’ont en garde:

Mais l’ennemi que ie crein trop m’engarde.

Si ie me fusse à la fuite ainsi mise

I’eusse trop creint de nuit estre surprise

35

Facilement par l’ennemi Troyen,

Qui m’eut donnee à la bru de Priam.


Obiecciõ.

Mais, i’ay esté par toy liuree au Roy,

A qui [p. 55] Fac-simile de la page A ACHILLES. 55

A qui est dù obeïssance, & foy.

Response.

Ha, il y ha tant de nuits & de iours

40

Qui sont passez, que me laisses tousiours:

Et ne me viens recuurer nullement:

Toy tardif tiens ton cœur trop longuement:

Quand fus liuree ainsi sans contredit,

Lors Patroclus en l’oreille me dit,

45

Que pleures tu? tu ne le seras long.

Sois petit cas de ne me querir donq:

Mais on te vois un si gros cœur auoir

Qu’il se tient fort pour ne me receuoir.

Ironie.

Or fus va donq, & tu sois ce pendant

50

Nommé l’ami conuoiteus & ardant.


Aiax, Phœnix vers toy ia sont venus,

L’un ton parent, l’autre des cher-tenus,

Et Vlysses, tous à fin de te rendre,

D’apointement à me vouloir reprendre.

55

Maints riches dons par grand priere offrans:

De rouge erin vint vaisseaus, d’art bien grans:

Et sept treteaus de pois, & d’art encor

Egaus tous sept: & plus, dix talens d’or.

Douze cheuaus bien duits à la victoire.

60

Et (ce qui est superflu, & notoire)

Maint corps de fille en grand beauté exquise,

Iadis Les-
bos .

Prinse à l’assaut de Metelin conquise

Lon t’a offert. pour plus grand auantage

Lon t’a promis donner en mariage

65

L’une des trois filles d’Agamemnon,

d 4 Le [p. 56] Fac-simile de la page 56 BRISEIS

Le Roy des Grecs, qui sur tous ha renom.

Mais ne te faut, si vray dire ie doy,

O mon espous, autre espouse que moy.


Si tu deuois par dons me racheter,

70

Des mains du Roy, les dons que presenter

Pour moy deurois-tu ne prens, ains mesprises?

Qu’ay’ie me meffait, dond tant peu tu me prises?

Ou ha si tot notre amour pris volee?

Helas, helas, fortune desolee,

75

Pleine de maus tristes, & lamentables.

Court elle fus tousiours aus miserables?

Et ne vient point à la nef agitee

Vn vent plus dous que cil qui l’a gettee?


Par ton assaut i’ay vù rendre seruile

80

Premierement Lyrnesus notre vile.

(De mon païs une grande part i’estois)

Et de mes yeus i’ay encor vù les trois,

De parentage, & de la mort conforts,

Tous trois naturez, tous trois ensemble morts:

85

Celle qui mit au monde & en lumiere

Tous ces trois là, comme à eus me fut mere.


I’ay vù mon mari tout seignant

Batre la terre, en son sang se baignant,

Tout estendu son grand corps ça & là:

90

Mais toutefois vesue de tous ceus là,

A toy tout seul i’ay bien consenti estre:

Toy seul m’estois frere, mari, & maitre.


Tu me iurois, & faisois grand promesse

Par [p. 57] Fac-simile de la page A ACHILLES. 57

Par le pouuoir de ta mere, deesse

95

De la grand’ mer, que me seroit un bien

D’estre captiue, & mise en ton lien.

Voila le bien, qu’ores suis regetee,

Quand auec dons ie te suis presentee:

Et que tu sois me fuyant à present

100

Auec meint riche & precieus present.


Mesme on fait bruit qu’außi tot qu’Aurora

Demain matin en Orient luira,

Tout außi tot viendras tes voiles tendre.

Quand ma tremblante oreille vint entendre

105

Ces propos là de telle lacheté,

Helas que i’ay bien miserable esté:

Lors mon cœur fut sans sang & sens außi.

T’en iras tu en me laissant ici?

O cœur felon, de crueauté vetu,

110

Moy malheureuse à qui me lairras tu?

Qui donnera aucun apui & port

A moy ainsi laissee sans suport?

Plus tot ie soye ore abimee en terre

Ou foudroyee à un coup de tonnerre,

115

Que la mer soit de ta rame escumee,

Et que de loin ta nef ie voye armee

S’en retourner en ton païs sans moy.


Si ia te plait t’en retourner chez toy,

Ta nef n’aura de moy charge exceßiue:

120

Ie te suiuray encor comme captiue,

Non cõme espouse: & i’ay main propre & saine

d 5 Soit [p. 58] Fac-simile de la page 58 BRISEIS

Soit pour pigner, ou pour filer la laine.

Ta femme belle, & sur toute honoree,

Ira, (& aille) en ta chambre paree:

125

Dine d’auoir de son beau pere aueu,

De Iuppiter, & d’Egina neueu

De qui Nereus, l’ancien maieur tien,

Estre allié de par toy veuille bien:

Et ce pendant moy ton humble seruante,

130

A te seruir, & file ie me vante.

Ie fileray, & pleines fusees

Deschargeront mes quenoilles chargees.

Tant seulement (Achilles) ie te prie

Ta femme alors ne me trouble, & me crie,

135

Qui me fera, ie ne say pas comment,

Contre mon cœur, & à mon troublement.

Ne lui permets me tirer aus cheueus

En ta presence, ains en un mot ou deus

Que ie fus tienne außi, lui viendras dire:

140

Ou lui permets qu’elle aus cheueus me tire,

Mais que sans moy tu ne t’en ailles point

Me desprisant, & laissant de tout point.

Ha malheureuse, helas voila le doute

Qui iusqu’aus os me fait trop trembler toute.

Agame- 145

Mais qu’atens tu? Le Roy son cœur abaisse,

mnon.

Et à tes piez la Grece humble se baisse:

Or vainqs tõ cœur, toy qui vainqs les plus forts.

Hector le preus auec ses grans efforts

Pourquoy vient il ruïner la richesse

L’hon [p. 59] Fac-simile de la page A ACHILLES. 59 150

L’honneur, le bruit, & puissance de Grece?

O Achilles, va lui donq au deuant:

Pren tes harnois, mais pren moy parauant:

Et fay trembler par ta force, & fureur

Tous les Troyens, Mars te donnant faueur.

155

Pour moy te vient ce courrous, & tristesse:

Pour moy außi fay qu’ores elle cesse

En apaisant ce tien courrous, à fin

Que i’en sois seule & la cause & la fin.


Ne pense point que soit laide maniere

160

Quand quelque cas feras pour ma priere:

Meleager print les harnois & armes,

Estant prié de sa femme auec larmes:

Le bruit du fait est seulement venu

A mon oreille, & toi tu l’as connu.

165

La mere estant vesue de ses deus freres

Maudit son fils de paroles ameres,

Donnant au diable & ses faits & sa vie:

Lui belliqueus auoit guerre suiuie,

Qui par despit de combatre cessa,

170

Et en danger son païs delaissa,

Auec refus qu’il fit obstinément

De lui donner secours aucunement.

Sa femme seule, en le supliant, vint

A le flechir, & sa requeste obtint:

175

Elle beaucoup plus eureuse que moy,

Car mes propos n’ont puissance enuers toy.

Ce nonostant n’en ay dueil en mon ame,

Et [p. 60] Fac-simile de la page 60 BRISEIS

Et ne me suis vantee estre ta femme:

Ains bien souuent captiue on me disoit:

180

En me mandant ou Achilles gisoit.

Vne captiue außi ces iours passez

Me nommoit dame (il m’en souuient assez)

Et ie lui di, par ce nom, d’auantage

Me vas chargeant, qui suis femme en seruage.


185

Mais, Achiles, par les os ie te iure

De mon mari, mal pris en sepulture,

Et trop soudein, os qu’à iamais i’honore:

Et par les trois que comme Dieus i’adore,

Les esperitz de mes trois freres forts,

190

Tresbien auec, & pour le païs morts:

Et par ton chef conioint auec le mien,

Pareillement par ce dur glaiue tien,

Connu des miens, qui leur coute la vie,

D’Agamemnon ie n’euz onq compagnie:

195

Si ie te ments, vueilles moy delaisser.


Or meintenant si ie te vien presser

De dire au vray: & de grand serment faire

Si tu n’as eu à autre femme affaire:

Certeine suis que iurer tu n’en vueilles.

200

Mais les grecs vont pensant que tu te dueilles,

Et ce pendant le lutz à gré te vient,

Et ton amie en son giron te tient.

Si quelcun quiert pourquoy tu ne combats,

Trop sont nuisans de guerre les combats:

205

Le lutz, la harpe, & l’amie, & la nuit,

Tout [p. 61] Fac-simile de la page A ACHILLES. 61

Tout cela est plus plaisant, & moins nuit

Que batailler: c’est trop plus grand seurté

Tenir sa dame en liesse, & gayté,

Sonner le lutz, que tenir toute preste

210

La lance au poing, & l’armet en la teste.

Mais autrefois pour les faits de repos,

Les faitz d’honneur t’estoient mieus à propos.

Ce ne t’estoit que tout plaisir & gloire

D’auoir aquis par guerre une victoire.

215

N’estimois tu les faits chevalureus

Que pour m’auoir? Et ton loz tant eureus

Auec ma vile est il ia mis au bas?

Facent les Dieus que ce n’auienne pas:

Ains que plus tot ta lance roide, & fiere,

220

D’un bras puissant Hector transperse, & fiere.


Enuoyez moy, O Grecs, en ambassade

Vers mon signeur, & ie me persuade

Qu’entremélant mes baisers aus prieres,

Ie feray plus par mes douces manieres

225

Qu’Vlysses sage, & qu’Aiax, & Phenix.

C’est quelque cas d’auoir les bras unis,

Ioints & serrez au col acoutumé,

Et faire voir le sein qu’on ha aymé.

Bien que tu sois cruel, rude, & seuere

Thetis,
deesse de
mer.
230

Plus ne me sont les ondes de ta mere

Ie me fay fort, encor que ie me taise,

Vaincu seras, si pleurant ie te baise.

Peleus.

Or meintenant (tous ses vieus ans ton pere

Ainsi [p. 62] Fac-simile de la page 62 BRISEIS Pyrrhus.

Ainsi parface, & ton fils bien prospere

235

Te suiue en faits de guerre eureusement)

Preus Achilles, gette piteusement

Ton œil dessus Briseïs la pourette

Pleine d’ennui, qui sans fin te regrette.

Toy endurci ne la trouble, & tourment

240

D’une tant longue, & trop facheuse atente.

Ou si l’amour, qu’en moy tu auois pris

Ha tourné chance en desdain & mespris,

Contrein mourir celle, en peine & esmoy,

Que tu contreins außi viure sans toy:

245

Ce que feras, ainsi que ia tu fais:

Ia s’est paßé mon corps, & mon teint frais.

Mais l’espoir seul de oty, en qui me fie,

Soutient en moy ce peu que i’ay de vie:

Lequel espoir si ie pers sans merci,

250

Mari suiuray, & mes freres außi.

Tu n’auras pas titre d’honneur & fame

De commander mettre à mort une femme:

Quoy, commander? ton glaiue me trauerse:

I’ay sang, lequel i’espandray s’il me perse.

Agame-
mnon .
255

Ce glaiue tient, qui ia le fils d’Atreus

Eust trauersé, n’eust esté que tu eus

Pallas.

Empeschement que te fis la Desse,

Vienne perser mon corps en grande rudesse.

Mais plustot soit ma vie conseruee

260

Par toy, ami, qui me las ia sauuee.

Ce que veinqueur donnas à l’ennemie,

Ie [p. 63] Fac-simile de la page A ACHILLES. 63

Ie t’en requier, donne l’à ton amie,

La Troye peut trop mieus de gens fournir

Que tu feras par ton glaiuve finir:

265

L’ocasion sur ton ennemi prens.

Comme que soit, si desia tu reprens

A faire voile, ou si atens encores,

Comme signeur mande moy querir ores.


Fin de l’epitre de Briseïs à Achilles,
qui est la troisieme.

ANNOTACIONS
sur l’Epitre de Briseïs
à Achilles
*

Aiax, Phenix vers toy ia sont venus.

L’un ton parent, l’autre des chers tenus.


Aiax estoit cousin germain d’Achilles,
c’estadire filz de Telamon, frere de Peleus,
qui fut pere d’Achilles. Phenix fut ami, com-
pagnon & conseil d’Achilles.

Et sept treteaus de pois & d’art encor

Egaus tous sept: & plus, dix talens d’or.


Vn talent d’argent valoit six cens escuz
couronne de trente cinq solz tournois: & le
talent d’or en valoit dix d’argent: ainsi pou-
uoient monter les dix talens d’or quarante
six mil escuz sol pour le moins.

Ta [p. 64] Fac-simile de la page 64

Ta femme belle, & sur toute honoree,

Ira, (& aille) en ta chambre paree,

Dine d’auoir de son beau pere aueu,

De Iuppiter, & d’Egina neueu

De qui Nereus l’ancien maieur tien

Estre allié de par toy veuille bien.


Peleus, pere d’Achilles, fut engendré
d’Eacus, & Eacus de Iuppiter & Egina.

Nereus fut pere de Thetis, & par ainsi
ayeul maternel d’Achilles.

Meleager print le harnois & armes

Estant prié de sa femme auec larmes.


Meleager tua ses deus oncles Plexipus &
Toxeus, parce qu’ilz voulurent oter la de-
spouille du sanglier qu’il auoit donnee à Ata[]
lanta: mais Altee, mere de Meleager se
voyant vefue de ses deus freres, fut fort irri-
tee, & usa de grandes malediccions contre
son fils: ce qu’il print à cœur, tant que les
ennemis estant deuant la vile de Calydon, il
ne vouloit prendre les armes pour leur resi-
ster, ains se cachoit, & passoit son tems auec
Cleopatre sa femme, laquelle l’en pria hum-
blement s’y resister: lors à sa priere il print
les harnois, ayant premier desprisé les prie-
res & les presens de tous les autres.

Mais, Achilles, par les os ie te iure

De mon mari, mal pris en sepulture,

Et [p. 65]
Fac-simile de la page 65

Et trop soudein, os qu’à iamais i’honore:

Et par les trois que comme Dieus i’adore.

Les trois espritz de mes trois freres morts.


Voyez l’annotacion de l’Epitre settieme,
sur ces vers,

De Sicheüs i’ay l’effigie sacre

Qui est dedens ma chapelle de marbre.


Ce glaiue tien, qui a le filz d’Atreus

Eust trauersé, n’eust esté que tu eus

Empeschement, que te fit la Deesse.


Achilles, apres plusieurs propos & iniures
cõtre Agamemnon qui lui tollissoit Briseïs,
tira son espee pour le frapper: mais Pallas y
suruint qui l’engarda.

[Fleuron] c
[p. 66] Fac-simile de la page 66 [Bandeau]

PREFACE SVR
L’EPITRE DE PHE-
DRA A HIP-
POLYT .
*

QVAND le Roy Minos eut veincu les
Atheniens en guerre, il leur imposa
cette charge que tous les ans ils enuoyassent
sept fils & sept filles pour estre deuorez du
monstre Minotaure, qui estoit demi homme
& demi beuf, enfermé dedens le labirynte
que Dedalus auoit fabriqué en l’Isle de Cre-
te , à present Candie, de laquelle Minos estoit
Roy. Or auint le troisieme an, que le sort
tomba sur Theseus, fils d’Egeus Roy d’ Athe-
nes . Ainsi fut Theseus enuoyé vers le Minotau-
re: & sorti du labirynte sain & sauf, & vi-
ctorieus, emmena auec lui dans son sanuire
Ariadne, à laquelle il auoit promis mariage,
pour l’ayde, cõseil & secours qu’elle lui auoit
donné: & auec elle aussi emmena Phedra
sa seur. Mais laissant Ariadne en l’Isle Chios,
à present Scio (ou Naxos, comme aucuns
disent [p. 67] Fac-simile de la page 67
disent, à present Niosia.) il mena seulement
auec lui Phedra, & la print en mariage. Icel-
le fut puis apres en absence de son mari The
seus grandement esprinse d’amour enuers
Hippolyt fils de mari Theseus & de Hip
polyte, seur d’Antiope, Royne des Amazo-
nes. Elle lui escrit donques cette epitre toute
pleine d’affeccions vehementes, que les
Grecs appellent Pathetiques, s’efforçant de
l’attraire à son amour detestable par subtiles
persuasions. La fin fut telle, que Hippolyt,
aymant la chasse & chasteté, en tint conte
des prieres, & requestes de Phedra sa mara-
tre: dequoy elle fort fachee, & l’acusa vers
son pere Theseus, disant qu’il lauoit voulu
forcer: lequel pria Egeus son pere de le ven-
ger: qui, comme Hippolyt alloit dens son
chariot, à la mode du tems, luy enuoya une
Phouque, qui est un grand poisson, & mon-
stre marin, qu’on appelle veau de mer, par
lequel les cheuaus troublez, & espouuentez,
tirerent ça & là par pieces le poure Hippo-
lyt . Alors Diane, la deesse de chasse & de
chasteté, eut pitié & commiseracion de lui
en faueur de sa chasteté, & par Esculape,
grand Medecin, fils d’Apollo, & de Coronis,
le fit retourner en vie, & le bailla en garde
au païs d’Aricie, à la nymphe Egerie, & com
e 2 manda [p. 68] Fac-simile de la page 68
manda qu’on lapelast double homme, c’est-
adire deus fois homme. comme dit Virgile
au settieme des Eneides. Voyez aussi Ouide
au quinzieme liure de la Metamorphose. Or
Phedra, ayant sceu la mort de Hippolyt, se
tua d’un glaiue, ou se pendit, comme aucuns
disent. Bien se doiuent donq contregarder
les dames d’entrer en amour tant desraison-
nable & esrence à fin que ainsi ou pis ne
leur auienne. Mais cette preface
est ia assez longue: Et pour-
tant escoutez le Poëte
parlant en son
Epitre.
*

[Fleuron]
[p. 69] Fac-simile de la page 69 [Bandeau]

TRADVCCION
DE LA IIII. EPITRE
D’OVIDE.
*
Phedra secrit à Hippolyt.

[Figure]

SAlut te dit la presente mißiue

De par Phedra, de Candie natiue,

Qui n’a salut si ton cœur ne lui mande,

O Hippolyt, fils d’Amazone grande.

5

Ly cet escrit, que te sauroit il nuire?

Mais quelque cas encor y pourras lire

Qui te plaira, que ne voudras blamer.

Sous telz escrits, & par terre & par mer,

Plusieurs secretz on porte, en prose ou mettres:

e 3 L’enn [p. 70] Fac-simile de la page 70 PHEDRA 10

L’ennemi prend de l’ennemi des lettres.


I’ay eu trois fois preste à parler ma langue,

Mais trois fois fut muette, & sans harangue:

Et du propos en pensee venu

Trois fois le son es dents m’est retenu.

15

Autãt qu’on peut, & que raison nous dompte,

Auec l’amour il faut mesler la honte:

Ce que la honte ha defendu de dire,

L’Amour le m’a commandé de t’escrire.

Amour est plein d’une grand’ Deité,

20

Et ce n’est pas trop grande sureté

De mespriser un seul point qu’il commande:

Sur les Dieus grans il ha puissance grande.

C’est lui qui mise en train, & en voye

D’escrire à toy, quand premier i’en doutoye.

25

Escri, dit il, & tu verras comment

Cet obstiné tu veincras aisément.

O qu’il me soit à present fauorable.

Et comme il fait ma moile miserable

Par son chaud feu bruler à son plaisir,

30

Qu’il renge ainsi ton cœur à mon desir.


Sois assuré qu’en l’amour sociale

D’entre nous deus, ne seray desloyale.

Mon bruit est bon: mauuaise renommee

(Enquier t’en bien) n’est point de moy semee.

35

Tant plus l’amour loin de nous se recule,

Quand il s’y met, d’autant plus il nous brule:

Nous sommes ars, en nos cœurs sommes ars,

Et [p. 71] Fac-simile de la page A HYPPOLIT. 71

Et là dedens brulez de toutes parts.

Ne plus ne moins comme les iougs pesans

40

Sont du premier aus ieunes beufs nuisans,

Et le poulin prend le mors à regret,

Ainsi le cœur tout nouueau, sent aigret

L’amour premier, & adonq bien à peine

Le peut soufrir en sa pensee saine.

45

Voilà comment or’ sied mal ce fardeau

A mon cœur foible, en amour tout nouueau.


Quand on aprend, le mal des le ieue aage

Se conuertit en reigle, & en vsage:

CElle qui vient sur son aage à aymer,

50

Elle se sent piremetn enflammer.

Tu cueilliras ores le nouueau fruit

De mon honneur, qui suis sans mauuais bruit:

L’un fera fait quand & l’autre coupable.

C’est quelque cas, qui n’est psa refusable,

55

De cueillir fruits sur l’arbre à pleine branche,

Et la premiere & belle rose franche.


Ce nonobstant la blanche chasteté

Laquelle en moy cy deuant ha esté

Me deuroit bien encores à present

60

Garder mon cœur de cette tache exempt.

Mais il vient bien que l’amour, qui me presse,

A bon parti, & dine lieu m’adresse:

Vn laid paillard, lourd, & mal gracieus

Rend le forfait encor plus odieus,

65

Et souille trop le crime d’adultere.


c 4 Si [p. 72] Fac-simile de la page 72 PHEDRA

Si Iuno m’ofre & son mari & frere,

Iuppiter Dieu lairray pour Hippolyte.

Mesme desia l’amour de toy m’incite

D’exercer l’art dont ie n’ay point l’usage,

70

C’est d’assaillir meinte beste sauuage:

(De ce propos m’en croiras bien à peine.)

Diane außi, la Deesse hauteine,

Que son arc courbe & excellent decore,

Ia comme toy sus tous les Dieus i’honore.

75

Ie pren plaisir d’aller aus bois chasser,

Courir les mons, mes limiers auancer

Contre les Cerfs, pour les prendre au filé,

Ou balancer le mien dard esbranlé

Pour le brandir, & getter roidement:

80

Ou me coucher sur l’herbe froidement.


Auec plaisir souuent suis curieuse

De voltiger en terre sablonneuse

Mon chariot, qui va prompt & leger,

Car oui ie veus mes cheuaus fay renger.

85

Par fois ie cours, comme femmes Bacchantes

En grand fureur leurs sacres celebrantes:

Ou comme font celles qui, aus tabours,

Font, sus Ida, bruit, rage, & mile tours:

Ou comme außi celles femmes non mornes

90

Que Demidieus, qui en teste on deus cornes,

Pareillement que les Demideesses

Dryades, ont par leurs grandes hautesses

Et leurs diuins pouuoirs enuironnees,

Et [p. 73] Fac-simile de la page A HIPPOLYT. 73

Et en esprit transporté, estonnees.

95

Ce que ie say: le tout on me raporte

Quand i’ay paßé ma rage & fureur forte:

Lors ne di mot, pensant bien, sans le dire,

Que d’amour vient ce furieus martire:

Lequel amour, qui cause ce tourment,

100

Brule tousiours mon cœur secrettement.

Ie pourrois bien, ainsi comme il peut estre,

L’ocasion dond cette amour vient naitre,

Attribuer à celle destinee,

(Ha) à laquelle est ma race ordonnee,

105

Et que Venus quiert sur tout ma race

Prendre son droit, sans à nul faire grace.

Car Iuppiter souz taureau estant Dieu,

Europe ayma, qui tient le premier lieu

De ma lignee: & Pasiphe ma mere,

110

Souz le taureau mise en grand vitupere,

Ha engendré sa charge, & forfaiture.

Theseus le faus, hors la prison obscure

Du labirynte, est sorty moyennant

Que le filet alloit tousiours tenant

115

Que lui donna ma seur la sienne amie.

Et moy (à fin que lon ne doute mie

Que de Minos i’aye esté engendree)

En cette loy d’amour ie suis entree:

Qui de ma race ores suis la derniere

120

Ay ensuiui des autres la maniere.

C’est cas fatal comme une race tienne

e 5 Apl [p. 74] Fac-simile de la page 74 PHEDRA

A pleu aus deus, & qu’en amour nous tienne,

Car tu me plais, & ton pere à ma seur

Plaisoit außi: parquoy c’est cas bien seur

125

Que Theseus pere, & son fils, asseruies

Ont les deus seurs par forte amour rauies.

De la maison de Minos pouuez pendre

Double despouille, ayans peu deus seurs prendre.


Du tems auquel ie te voy de trop pres

130

En Eleusis, aus sacres de Ceres,

Ie voudrois bien, & par trop ie regrette

Que i’eusse esté encores en la Crete.

Ce fut adonq que ta beauté m’outra,

Et que l’amour iusqu’en mes os entra

135

Ce nonobstant au parauant außi

Me semblois beau, non toutefois ainsi.

D’un habit blanc vestu lors tu estois:

Chapeau de fleurs dessus ton chef portois:

Vne couleur vergoigneuse, & vermeille

140

Ton teint halé coulouroit à merueille.

Certeinement ton visage halé

Rude, & rural, des autres apellé,

Le nom de fort, si uge en est Phedra.

Arriere nous hommes efeminez,

145

Et brauement comme femmes ornez:

Car en habits doit tout homme, par droit,

Estre reiglé d’un moyen plus estroit.

Ce meintien brusq, ces cheueux sans parage,

Ce [p. 75] Fac-simile de la page A HIPPOLYT. 75

Ce peu de poudre en ton viril visage,

150

Te sied tant bien: soit à bien court tourner

Ton fier cheual, tu me fais estonner

De voir ses piedz en si petit tour estre:

Soit à getter le dard, d’un bras à dextre,

Ton bras puissant retient sur soy ma vuë,

155

Ou soit ta main d’un large espieu pouruuë.

Brief, me plait fort tout cela que tu fais.

Tant seulement la rigueur de tes fais

Vueilles laisser sur meinte forest haute,

Dine ne suis de mourir par ta faute.


160

Mais quel plaisir de tousiours pourchasser

L’art de Diane, & d’ardeur de chasser,

Ce tems pendant faire tort à Venus,

En delaissant ces passetems menus?

Ce qui ne prend repos par interuale,

165

Ne peut durer, ains en sa fin deuale:

Mais le repos consolide & conforte

Les membres las, qui ont eu charge forte.

Sur ta Diane exemple tu dois prendre,

Dõd l’arc est mol, si trop tu le veus tendre.


170

Cephalus fut grand chasseur en son aage,

Et qui tua meinte beste sauuage:

Ce nonobstant il ne refusa point

D’estre en amour à Aurora conioint.

Vers lui alloit cette sage Deese,

175

Laissant souuent son vieillard sans caresse:

Souz chesnes grans de feuillages fournis,

Sou [p. 76] Fac-simile de la page 76 PHEDRA

Souuent couchoient Venus & Adonis,

A tous les coups se mettoient bouche à bouche,

Sans auiser sur quelle herbe on se couche.

180

Meleager le chasseur de grand pris,

D’Atalanta fut en amour espris:

De son amour eut gage singulier,

C’est à sauoir la hure du sanglier.

Or commençons donques nous deus außi

185

D’estre en amours nombrez entre ceus ci.

Si tu tollis de Venus la pratique,

Certeinement ta forest est rustique.

Ie te suiuray sans feindre en rien mon corps

De trauerser les rochers creus & forts,

190

Et ne creindray les efforts & defenses

Du fort sanglier, poignant de ses Defenses.


On nomme Isthmos un col de terre ferme,

Que double mer estroitement enferme:

Flot de deus mers reçoit la petit Isle:

195

Là est Trezen, de Pytheus la vile:

Auecques toy iray, & viury là,

Ie l’ayme mieus que mon païs desia.

Tout à propos Theseus est bien absent.

Et ne sera bien tot ici present:

200

Pirithoüs en son païs le traite,

Et de nous voir bien à tard il souhaitte:

Theseus trop mieus donq Pirithoüs ayme

Qu’il ne fait pas ni Phedra, ni toymesme:

Si ne voulons nier l’euident fait.

Mais [p. 77] Fac-simile de la page A HIPPOLYT. 77 205

Mais ce n’est pas le sien premier tort fait

Encontre nous: à bon droit ie m’en deuls,

En bien grans cas nous ofensa tous deus:

Minotau-
re .

Du frere mien tous les os il froissa

De sa massue à trois nouds: puis laissa

Ariadne. 210

Ma seur en proye aus bestes pour dessertes.

Ta mere estoit une Amazone, certes

Par sus tout autre en armes belliqueuse,

Dine d’auoir portee si eureuse

Comme tu es: si tu quiers ou est elle?

215

Tu trouueras que par façon cruelle

Theseus luy ha transpercé le coté,

Et garantie onq par toy n’a esté,

Qui en faueur de toy deuoit bien l’estre:

Ia ne voulut außi la reconnoitre

220

Pour son espouse, & onq ne l’espousa,

Scez tu pourquoy? pource qu’il proposa

De te frauder, & chasser à l’escart

De son royaume, ainsi comme batard.

Et luy encor non point content de toy,

225

A engendré de tes freres en moy,

Qu’il fait nourrir, non pas moy, ie t’auise

O pleust aus Dieus pour toy, que tant ie prise,

Ou que rompus me fussent les cotez

En mon trauail: ou fussent auortez

230

Les freres tiens, & propres enfans miens,

Qui te nuiront quant aus paternels biens.

Or fus, va donq, & meintenant reuere,

Et [p. 78] Fac-simile de la page 78 PHEDRA

Et porte honneur à ce lict de ton pere

Qui le vaut bien: lequel lit ie t’annonce

235

Qu’il va fuiant, & par les faits renonce.

Mais ne crein point que te fasse pecher,

Quand auec toy ie demande à coucher,

Qui m’es beau fils, & moy ta belle mere:

Ce sont noms vains, pour cela ne differe:

240

C’est vieille loy qui n’est qu’une folie

Des anciens, & s’en va abolie.

Celle loy fut des Saturne l’antique,

Lequel tenoit un regne tout rustique:

Saturne est mort, & auec lui ses loix,

245

Souz Iupiter nous sommes, tien ses droitz

Iupiter veut, & Iupiter ordonne

Que toute chose agreable soit bonne:

Et si fait tout licite, pour le seur,

Lui frere ayant pour espouse sa seur.

250

L’affinité de sang se ioint tres bien,

Que Venus ioint par son estroit lien.

Puis le celer sans peine tu sauras,

A Venus.

Demande lui le don, & tu l’auras:

Souz nom d’affins le cas honnestement

255

Sera couuert: si quelcun voit comment

M’embrasseras, ie n’en seray blamee,

Ni toi außi: ains seray estimee

Maratre bonne au fils de mon mary.

Ia ne creindras mari rude & marri,

260

Et ne faudra qu’amour de nuit t’enhorte

Venir [p. 79] Fac-simile de la page A HIPPOLYT. 79

Venir ouurir tout doucement la porte:

Ia ne faudra que le portier deçoiues

Mais seulement il faut que tu conçoiues

Que comme estions nous deus en un hostel,

265

En un hostel serons, & au lieu tel.

Tu me baisois sans creinte à tous les coups:

Me baiseras encores deuant tous.

Auecques moy tu sera en seurté:

Honneur auras d’ofense, & volupté,

270

Quand tu serois aperçu mesmement

Dedens mon lict. Au reste seulement,

Auance toy, & vien faire à fiance,

Et le plus brief, de nous deus l’aliance,

Qu’ainsi te soit l’amour de bon acord,

275

Qui meintenant me tourment si fort.


Las, ie n’ay point de honte aucunement

De te prier à present humblement:

Ores ou est l’orgueil de ma noblesse,

Les termes pleins d’arrogance & hautesse?

280

De resister long tems, & auec peine,

A ce forfait, ie me faisois certeine:

(Si l’amour ha quelque cas de certein.)

Mais de cela mon cueur est bien lointein,

Vaincue suis: ie me soumets tant bas

285

Qu’a tes genous ie tens mes royaus bras.

Nul amant vise à ce qui est decent.

I’ay souz le pied toute honte à present,

Ma chasteté laisse son estendart

Et [p. 80] Fac-simile de la page 80 PHEDRA

Et puis s’enfuit, & se gette à l’esquart.


290

Pardonne moy, qui mon amour confesse,

Et ne me tien si grand rigueur sans cesse,

Ains au contraire, amollis mon dur cœur.

Mais que me sert contre cette langueur

Que Minos soit mon pere en mer regnant

295

Dessus meinte Isle, & vile dominant?

Iupiter.

Et que la main de mon grand ayeul, donne

Ce bas terreur, qui foudroye, & qui tonne?

Que mon ayeul (qui ordinairement

Le iour apporte aus matins clerement

300

Dens son char rouge) ait son chef dine & saint

De clers rayons enuironné, & ceint?

Dessus noblesse amour tient bien les rancs.

Aye pitié de mes ancestres grans:

Si non de moy, aye des pitié des miens.


305

I’ay pour mon dot, quant aus biens terriens

L’isle de Crete, à Iupiter nourrice:

Tout mon palais ie mets en ton seruice.

Ton cœur tant dur ores vueilles conueincre.

Ma mere ha bien le fier taureau peu veincre,

310

Et sera tu cruel fier & farouche

Plus qu’un taureau? pitié donc ton cœur touche:

Ie t’en suppli, par Venus qui me presse,

Qui nuict ne iour en repos ne me laisse.

Qu’ainsi te soit comme à moy tu seras,

315

La dame amie, à qui la court feras:

Qu’ainsi te soit Diane secourable,

Et [p. 81] Fac-simile de la page A HIPPOLYT. 81

Et aus deserts des foretz fauorable:

Et les grans bois te liurent bestes rousses

Pour leur donner les mortelles secousses.

320

Qu’ainsi te soient les Dieus des mons terrestre

Tousiours aydans, Faune, & Pans syluestres:

Et les sangliers tombent morts en meint lieu,

Bien rencontrez du fer de ton espieu.

Qu’ainsi te soient toutes Nymphes offrantes

325

Leurs beaus ruisseaus, & clere eaus courantes

Durant ta soif, & les chaleurs extremes,

Iaçoit qu’on dit que les filles tu n’aymes.


I’aioute encor par piteuses manieres,

Presentement mes pleurs à mes prieres:

330

Toy donc lisant iusqu’au bout mes douleurs

Pense d’y voir pareillement mes pleurs.


Fin de la quatrieme epitre d’Ouide,
qui est de Phedra à Hippolyt.

f
[p. 82] Fac-simile de la page 82

ANNOTACIONS SVR
L’EPITRE DE PHEDRA
à Hippolyt.
*

Par fois ie cours ainsi que les Bacchantes, &c.

Les Bacchantes sont femmes qui faisoient
sacrifice au Dieu Bacchus, auec fureur re-
presentans une maniere d’yurongnerie, que
Bacchus Dieu du vin, engendre, Aussi estoit
la Deesse Cybelle seruie & honoree par fem
mes auec grand bruit de tabours, & de furie
sur le mõt Ida, qui est pres de Troye. Faunes
& Satyres sont Dieus champestres, ayans
piez de chieure & cornes sur la teste, & le
reste comme hommes. Ainsi c’estoiẽt hom-
mes sauuages, habitans par les bois, & chãps:
& sont apellez Demidieus, comme aussi lesv
Driades: & autres pareillemẽt Demideesses:
à cause qu’ils ne sont pas encor, receuz au
ciel, mais sont seulement Dieus & Deesses
en la terre, qui troublent, meuuent & fanta-
siẽt les esprits de ceus & celles sur qui ils get
tẽt leur force & puissance demi duine. telle
estoit l’opiniõ ou plustot resuerie des Payãs.

De la maison de Minos pouuez prendre

Double despouille, ayans sceu deus seurs prẽdre.


Le poëte parle ainsi, comme si l’amour re-
semb [p. 83] Fac-simile de la page 83
sembloit à une gerre: Car aussi l’amour &
la geurre ont ensemble grande conuenance.
Ce qui est bien declaré par notre poëte Oui-
de en son premier lure des maours en la
neuuieme Elegie, qu’il adresse à son ami
Atticus: & se commence ainsi,

Militat omnis amãs, et habet sua castra Cupido:

Attice crede mihi, militat omnis amans.


C’estadire, tout amoureus est en guerre, &
le Dieu d’amour ha son camp: croy moy, ô
mon ami Atticus, que tout amoureus est en
guerre. & ce qui s’ensuit en ladite Elegie le
prouue bien, car il declare comem l’aage,
le deuoir, la hardiesse, le souci & la peine qui
font en un bon & vray Capiteine ou sou-
dart, font aussi pareïllement en un bon &
vray amoureus, bataillant sous l’enseigne
de Cupido.

On nome Istmos, un col de terre ferme &c.

Là est Trœzen &c.


Troœzẽ est une petite vile en un col de terre
ferme, euironné de deus mers, qu’on apel-
le en Grec, Isthmos.

Vaincue suis: ie me soumets tant bas

Qu’à tes genous ie tens mes Royaus bras.


Les Filozofes naturels atribuẽt les genous
à misericorde, cõme les oreilles à la memoi
re, le frõt à Genius: la main dextre à la foy.

f 2 Et [p. 84] Fac-simile de la page 84

Et que la main de grand ayeul donne

Ce bas terreur, qui foudroye & qui tonne


Iupiter, qui gette la foudre, est grand ayeul
de Phedra du coté de sa mere: car Phebus est
fils de Iupiter, & pere de Pasiphaë qui fut
mere de Phedra. mais du coté de son pere
Minos, Iupiter lui est ayeul car Minos est
fils de Iupiter.

[Bandeau]

PREFACE SVR
L’EPITRE D’ENONE
A PARIS.
*

HECVBA, femme de Priam Roy de
Troye, estant enceinte, songea qu’elle
enfantoit un flambeau ardent qui bruloit la
Troye: duquel songe le Roy Priam fut fort
troublé: & voulut auoir la response des
Dieus, que cela sinifioit: Apollo par son ora-
cle respõdit que le premier enfant qui apres
ce tems là naitroit au Roy Priam seroit cau-
se de la ruïnes du païs. A cette cause Priam
commanda quand l’enfant seroit né, qu’on
le gettast en quelque part, sans lui donner
nour [p. 85] Fac-simile de la page 85
nourriture. La mere ayant pitié & compas-
sion de la fortune de son enfant, qui puis
apres fut apelé Paris, donna charge au ber-
ger du Roy de le nourrir secrettement. lui
nourri en la forest, & deuenu grand, ayma
mesme (comme aucuns veulent dire, &
Strabo le recite) espousa la Nymphe Enone,
fille du fleuue Pyretha (les autres dient, Ce-
brenus , ou Xantus) & de Creusa: & d’elle eut
deus enfans, Daphnis, & Ideus. Lycoprhon [sic pour Lycophron] ha
escrit qu’elle en eut un nõmé Corythus. Or
quand Iuno, Pallas, & Venus estoient en de-
bat de leur beauté, aus fins d’obtenir la pom-
me d’or en laquelle y auoit escrit,

Soit don-
nee à la plus belle,
Iupiter les renuoya sous
l’arbitrage & iugement de Paris: à qui Iuno
promit Royaume, Pallas sagesse, Venus vo-
lupté, & la plus belle des femmes: lors il
donna le pris de beauté à Venus. Puis apres,
lui reconnu de ses pere & mere (le Roy
& Royne de Troye) fut bien par eus re-
cueilli: & en fin par leur commandement
nauiga en Sparte, vile autrement dite La-
cedemon , à present Mizitre, vers Mene-
laüs , pour recouurer & ramener Hesione
fille du Roy Laomedon, & seur de Priam,
que Hercules, apres qu’il eut pris Troye,
donna pour femme à Thelamon. Mais lui
f 3 estant [p. 86] Fac-simile de la page 86
estant surpris d’amour en ce païs là, il en tira
& rauit Heleine, femme de Menelaus, la-
quelle il mena à Troye, comme dit Home-
re : & elle l’ayme & le print en mariage,
laissant tous autres pour lui. Or Enone se
voyant delaissee de Paris, lui enuoya la pre-
sente Epitre de Cebrine, vile du païs de
Troye, ou fut erigé le sepulchre de Paris &
d’Enone, comme recite Demetrius. Par la-
quelle Epitre elle declare la foy, & bonne
amour qu’elle ha vers Paris: & les promes-
ses qu’il lui auoit faites: se complaignant
qu’elle, sa premiere femme, & bien constan-
te & fidele, est laisee pour une meschante
concubine: lui veut persuader de la rendre
aus Grecs qui la demandent: & qu’elle (sa
premiere femme) en tout bien & honneur
iadis aymee, retourne auec lui. La fin fut
telle que Paris estant tué par les sagettes em
poisonnees que Philoctetes auoit euës
d’Hercules, & estant aporté vers
Enone, elle de merueilleuse
amour l’embrassant, & res-
chaufant ses playes, ren-
dit l’esprit sur lui,
comem Septi-
mus ha es-
crit.

TRA
[p. 87] Fac-simile de la page 87 [Bandeau]

TRADVCCION
DE LA V. EPITRE
D’OVIDE.
*
Enone escrit à Paris.

Pourras tu bien iusques en la fin lire

L’epitre en vers que ie te vueil escrire?

Ou si de voir le contenu en elle

T’en gardera ton espouse nouuelle?

5

Or li le tout, car il n’est point escrit

De la main dont Menelaüs escrit.

Moy Nymphe Enone, es bois Troyenns connue,

Et qui suis bien de noble lieu venue,

Par ton osense à present ie me deuls

f 4 De [p. 88] Fac-simile de la page 88 ENONE 10

De toy, Paris, qui es mien si tu veus.

Quel ha mis si grand empeschement

A notre amour? par quel crime & comment

Ores se fait que ie ne suis plus tienne?

Paciemment on souffre quoy qu’auienne,

15

Quand il auient selon le demerite:

Sans meriter c’est douleur non petite.


Tu n’estois pas si haut & aperent

Lors que moy Nymphe, & fille au fleuue grand,

Contente fus te prendre en mariage:

20

Qui meintenant es de grand parentage,

Fils de Priam, lors tu estois berger:

(La verité soit dite sans danger.)

Moy Nymphe noble ay bien voulu permettre

En mariage auec un serf me mettre.

25

Souuent auons aus chams parmi troupeaus

Le repos pris à l’ombre des rameaus:

Et l’herbe estant entre fueilles mesle,

Seruoit de lict, souuent de nous foulee.

Souuentefois, quand la pluie deuale,

30

Nous ha logez quelque loge rurale:

Là nous couchions sur la paille, & le fein.

Qui te montroit de la chasse le trein?

Quelle forest fust à la chasse bonne

En quel rocher quelque beste felonne

35

Ses petis faons eust cachez & serrez?


I’ay auec toy souuent tendu les retz,

Et fait courir les limiers par les monts:

Les [p. 89] Fac-simile de la page A PARIS. 89

Les hestres sont gardans encor mes noms

Taillez en eus: Enone on ha trouué

40

(Mon propre nom) de ta serpe graué.

Et tout ainsi que leur tronc croist, ainsi

Pareillement y croist mon nom außi.

Or croissez donq arbres, qu’aymer ie doy,

Croissez deument en memoire de moy.


45

Vn peuplier est au riuage d’un fleuue,

Qui porte escrit (biẽ m’en souuiẽt) qu’on treuue

Parler de moy: O beau Peuplier, demeure

Tousiours en estre, & ta verdeur ne meure:

Peuplier qui es au riuage planté,

50

Portant escrit en la sorte noté,

En ton escrose, & rude, & mal unie:


LORS QVE PARIS SANS ENONE S’AMIE

AVCVNEMENT VIVRE ET DVRER POVRRA?

L’EAV’ DE XANTHVS EN SA SOVRCE COVRRA.


55

Xanthus, eau’ pren cours au contraire,

Paris s’est pù d’Enone ia distraire.

Le iour (helas) en malheur me poussa,

De notre amour changee, commença

L’yuer mauuais, bien lointein de liesses,

60

Lors que Venus et Iuno, les deesses,

Auec Pallas, chacune toute nue

Au iugement de tes yeus est venue:

(Mais à Pallas, deesse de vertu

Sierroit trop mieus qu’eust son harnois vétu)


65

Incontinent que tu m’en tins propos

f 5 Mon [p. 90] Fac-simile de la page 90 ENONE

Mon cœur trembloit, frayeur m’entoit es os.

Pour m’enquerir lors ie m’en suis allee

Vers les vieillarz, (car i’estois bien troublee)

Lors meint vieillard, & vieille qui deuine,

70

Mont affermé que c’est tresmauuais sine.

Sapins on coupe, son sie, on dole, on tranche,

Puis on adresse, & on ioint meinte planche:

La mer reçoit sur ses vert bleues eaus

Incontinent tes preparez vaisseaus.

75

Lors tu pleurs au partement de là:

A tout le moins ne nie point cela.

Trop plus honteuse est ton amour presente,

Que n’estoit pas la notre precedente.

Tu pleuras donq, & vis mes yeus pleurans,

80

Tous deux faschez meslames noz pleurs grans.

L’ormeau n’est tant de vigne entrelaßé,

Comme tes bras ont mon col embraßé.


O quantefois as meu tes gens à rire

Quand tu pleingnois du vent, que voulois dire

85

Estre contraire à ton departement,

Et il estoit bien propre seurement.

O quantefois ta bouche me baisa!

Me dire adieu ta langue à peine osa.


Vn petit vent dens la voile vous donne,

90

Rames vogoient, que l’escume enuironne:

Moy triste, adonq ta voile à l’œil poursuis,

Voire de loin autant comme ie puis:

Et de mes pleurs fay les caillous humides.

Ie [p. 91] Fac-simile de la page A PARIS. 91

Ie prie là les vertes Nereïdes

95

Que sain & sauf bien tot sois de retour:

C’estasauoir tot, à ma desamour.

Par mon souhait tu es donq retourné

Pour autre dame à qui tu t’es donné.

Ha, qu’ay-ie fait? ha, i’ay esté benine

100

Pour la cruelle, & fausse concubine.


Vn bien grand roc regarde loin en mer,

Qui fut un mont, tel on l’a vù nommer,

Lequel resiste aus flots de la mer fiere:

De là ie vi tes voiles la premiere:

105

Et i’eu enuie à me getter es ondes,

Pour au deuant aller es eaus parfondes.

Mais en tardant vi en la proue haute

Luire un habit d’ecarlate sans faute:

Lors i’eu frayeur, car tel habit n’est tien.

110

Ta nef vint pres, le vent la poussoit bien,

Si qu’elle fut à terre vitement:

Alors ie vi de femme seurement

Vn beau visage, & le cœur me batoit:

Bien pis y ha qu’en ton giron estoit

115

La fausse lice. (ha, que tardois ie tant

De me getter en mer, tout en l’instant?)

Lors ie pleuray, & mes robbes rompis,

Mon cœur frappay: & qui est encor pis,

M’esgratignay à beaus ongles la face,

120

Et si rempli toute la sainte place

Du mont Ida, de mes cris, & mes pleints:

Lesqu [p. 92] Fac-simile de la page 92 ENONE

Lesquelz miens cris, & pleurs grãs, & nõ feints

Ie vins porter iusques en mes rochers,

Hantez par moy, & de moy tenus chers.

125

Si prie aus Dieus qu’Heleine en ce point pleure,

Et que bien tot sans son Paris demeure:

C’est bien raison qu’elle ayt de tel pain souppe.


Or sus Paris, tu as donq vent en pouppe

Qui auec toy par mer t’ameine celles

130

Lices, laissans leurs vrays espous fidelles:

Mais toutefois estant poure berger,

Menant troupeaus & paitre, & heberger,

Sinon Enone espouse tu n’auois.

Quant est aus biens, ie n’y donne ma voix:

135

Ie n’ay egard à ta grande noblesse,

Ne que ie sois nommee ne Princesse

Entre plusieurs des brus de Priam Roy:

Non que pourtant ou Priam doiue à moy,

Qui Nymphe suis de hautein parentage,

140

Me refuser son fils en mariage:

Ou qu’Hecuba außi dißmuler [sic.] dissimuler

Puisse à bon droit, de sa bru m’apeler.

Dine ie suis, & si ay bien la grace

D’auoir parti de noble & haute race:

145

Mon noble cœur bien le souhaitte ainsi:

I’ay la main propre à porter sceptre außi.


Pourtant, Paris, despriser ne me vueilles,

Si i’ay couché auec toy souz les fueilles:

Plus dine suis d’une couche Royale.

Et [p. 93] Fac-simile de la page A PARIS. 93 150

Et d’abondant la mienne amour loyale

Te met en pais, & ne t’aporte guerre,

Ni nauz venans pour vengeance à grand erre.

Mais c’est bien seur que grosse armee suiue

Pour recouurer Heleine fugitiue.

155

Comme ta femme elle s’en vient hauteine

Auec ce dot de guerre ouuerte & pleine.

Que s’il la faut, pour le mieus, aus Grecs rendre,

De tes parens tu le pourras aprendre:

Conseille toy auec ton frere Hector,

160

Deïphobus, Pulydamas encor:

Va au conseil vers Antenor le sage,

Et vers Priam, qui ont age & usage.

C’est cas bien laid d’aymer femme rauie

Plus que l’honneur, le païs, & la vie,

165

Ta causa [sic pour cause] est vile, & un chacun estime

Que tu mari la cause est legitime.

Quand tu voudrois, encore n’est vray semblable

Qu’Heleine soit ton espouse fiable

Que si soudein s’adonne à te complaire.

170

Comme ne peut Menelaüs se taire

Qu’elle ha son lict violé & laißé

Pour un etrange, & s’en sent ofensé:

Certes ainsi Paris, tu te pleindras,

Et à ton tour en tel estat viendras.

175

La chasteté depuis qu’elle est perdue

Ne se recouure, & iamais n’est rendue.


Mais elle t’ayme: außi fit elle bien

Menel [p. 94] Fac-simile de la page 94 ENONE

Menelaüs, le trop bien mari sien,

Qui ore est seul en son lict sans sa femme.

180

Andromaché ie di eureuse dame

Qui est bien iointe à un mari feal:

Tu te deuois mirer d’estre loyal

Comme ton frere, & bon espous fidelle

Estre enuers moy, comme il est enuers elle.

185

Tu es leger plus que fueille essoree

Que le vent chasse & matin, & seree:

Et y ha plus en toy de legerté

Qu’en paille seiche au fort soleil d’esté.


Cassandre

Ces choses ci ta seur me predisoit

190

(Bien m’en souuient) quand ainsi me disoit,

(Ayant espars tous ses cheueus au vent)

Ha, que fais tu, Enone, tant souuent?

Pourquoy ton grein semes tu au riuage?

Auec tes beufs tu fais vain labourage.

195

Ie connoy bien, & ay certein indice

Que meintenant vient la Grecque genice,

Qui destruira le païs ça & là,

Et toy auec: sus, cours, empesche la:

Meintenant vient celle Grecque genice.

200

Quand vous pouuez, & le temps est propice,

N’atendez plus, O Troyens, mais de bref

Enfondrez moy la tant infame nef:

Metapho
re.

O que de sang des Troyens elle porte!


Lors qu’elle eut dit & crié de la sorte,

205

En son esprit deuinant transportee,

Ses [p. 95] Fac-simile de la page A PARIS. 95

Ses dames l’ont surprise, & arrestee:

Mesme au milieu des propos l’arresterent:

Mais à moy (las) mes cheuueus blonds dresserẽt.


Ha, que tu as à moy pleine d’oppresse,

210

Esté bien trop vraye deuineresse.

Metapho
re.

Celle genice ores tient, & vient paitre

Les chams, & bois ou ie deurois bien estre.

Combien qu’elle ayt grand beauté renommee,

Elle est pourtant ribaude, & diffammee:

215

Elle ha laißé de son païs les Dieus

Pour l’estranger, qu’elle honore trop mieus.

Premierement hors son païs de Grece

Vous la tira Theseus en sa ieunesse:

Ie ne say quel Theseus (si ie ne faus)

220

L’a pourmenee & par monts, & par vaus.

C’est à sauoir rendue sois la belle

Par un ieune homme espris d’ardeur, pucelle?

Quiers tu comment si bien le say? car i’ayme.

Que si ce fait tu veus couurir toymesme

225

Dessous le nom d’effort, & violence:

Ie te respon que c’est raison qu’on pense

Qu’elle, qui est souuent rauie ainsi,

Consentoit bien d’estre rauie außi.

Mais se meintient Enone en chasteté,

230

Quand son mari fait tour de lacheté.

Et toutefois par ta façon de faire,

En t’ensuiuant ie pouuois bien forfaire.

Maint chaud Satyre aus chãs m’a pourchassee,

De [p. 96] Fac-simile de la page 96 ENONE

De piedz leger, es bois i’estois cachee.

235

Et le Dieu Faune auec son chef cornu,

D’un Pin pointu enuironné, tout nu

Me poursuiuoit sur le plus haut coupeau

Du mont Ida. Außi Phebus le beau,

Qui tient sa harpe, & qui ha bati Troye,

240

Mon pucelage ha raui pour sa proye

Non sans debatre, & son poil testonner,

Pareillement non sans l’esgratigner:

Et ne lui ay demandé d’auantage

Bague, ou argent pour le mien pucelage.

245

C’est cas trop laid que fille estant issue

De noble lieu, soit par dons corrompue.

Lui me montra, pensans que i’estois dine,

Tout le secret de l’art de medecine:

Herbe, & racine il m’a communiquee,

250

Et à telz dons ha ma apliquee.

Toute herbe est mienne, & racine croissant,

Qui peut seruir à tout corps languissant.

O le malheur qu herbes pouuoir n’ont point

Dessus le mal d’amours, qui tant me poind!

255

Ie qui entend l’art de medeciner,

Ores me voy de l’art abandonner.

Außi lon fait par tout bruit manifeste

Que l’inuenteur ayma iadis Alceste,

Lors que garder les vaches il alla:

260

Et puis encor de mon amour brula.

Ce que ne peut la terre aucunement

Par [p. 97] Fac-simile de la page A PARIS. 97

Par herbe & grains, ni außi mesmement

Phebus le Dieu de toute herbe & racine,

Tu peus donner à mon mal medecine:

265

Tu le peus bien, & i’en suis digne außi:

Aye pitié, digne suis de merci.

Auec les Grecs ie ne t’aporte pas

Guerre cruelle, & des maus un grand tas:

Mais ie suis tienne, & des ma grand ieunesse

270

Ie l’ay esté, & prie estre sans cesse.


Fin de l’epitre d’Enone
à Paris.

ANNOTACIONS
sur la precedente epitre
d’Enone à Paris.
*

Les hestres sont gardans encor mes noms

Taillez en eus.


L’arbre que lon dit Fagus en Latin, on l’a-
pelle en François Hestre ou Fau, & pour le
diminutif, Fauteau: qui autrement son mal
prononcez, par, o, en la premiere syllabe.

Vn bien grand roc regarde loin en mer,

Qui fut un mont.


Le Poëte dit ceci, selon l’opinion de ceus
qui pensent que les choses sont transmuees
g de [p. 98] Fac-simile de la page 98
de l’une en l’autre, auec le tems, par les ele-
mens: & qu’en ce point l’ordre & l’estat de
ce monde se change. voyez les Meteores
d’Aristote, & les questions naturelles de Se-
necque . Il y ha semblable passage en l’epitre
d’Ariadne
, sur le commencement. Le trans-
lat porte ainsi

Vn mont y eut auquel peu d’arbres croissent,

Et au sommet bien clers y aparoissent,

C’est un Rocher, &c


Et si rempli toute la sainte place

Du mont Ida, de mes cris, & mes pleints:


Le mont Ida, estoit consacré à la Deesse
Cybele, pource le Poëte l’apelle sainte place.

Qui auec toy par mer t’ameine celles

Lices, laissans leurs vrays espous fidelles:


Enone use de ces deus pluriers lices, & ma-
ris fideles, au lieu de singuliers, à fin de faire
plus grand honte & vergongne à Paris, car
le plurier ha plus grande vehemence.

Ie n’ay esgard à ta grande noblesse,

Ne que ie sois nommee une Princesse

Entre plusieurs des Bruz de Priam Roy.


Priam Roy de Troye la grande, estoit pere
de Paris, & Hecuba estoit sa mere. Ainsi dõq
si Enone eust esté femme de Paris, par mes-
me moyen elle eust esté la Bru, ou belle fille
de [p. 99] Fac-simile de la page 99
de Priam & de Hecuba.

Que s’il la faut, pour le mieus, aus Grecs rendre,

De tes parens tu le pourras aprendre:

Conseille toy auec ton frere Hector,

Deiphobus, Pulydamas encor.


Les parens de Paris estoient quasi tous d’o-
pinion de rendre Heleine, plustot que souf-
rir guerre pour elle.

Ces choses ci ta seur me predisoit

(Bien m’en souuient) quand ainsi me disoit.


Cassandra seur de Paris estoit prophete, ou
deuineresse: & auoit predit le rauissement
d’Heleine, & la grand’ guerre qui en deuoit
ensuiuir, mais à ses dits l’on n’aiouta point
de foy.

Ie connoy bien, & ay certein indice

Que meintenant vient la Grecque genice

Qui destruira le païs ça & là.


Par la genice, sous la figure de metaphore
le Poëte entend Heleine.

Me poursuiuoit sur le plus haut coupeau

Du mont Ida.


Ida est un mont, non loin de la ville
de Troye, lequel on apelle encor à present
du mesme nom, Ida.

Außi lon fait par tout bruit manifeste

Que l’inuenteur ayma iadis Alceste,

Lors que garder les vaches il alla:

g 2 Et [p. 100]
Fac-simile de la page 100

Et puis encor de mon amour brula.


Enone veut dire que ce n’est point mer-
ueille, si elle ne peut par son art de Medeci-
ne remedier à ce feu d’amour qui la brule,
atendu que le mesme inuenteur de Medeci-
ne y ha bien esté suget. Sur quoy faut enten-
dre que Iupiter estant courroussé de ce que
Hippolyt, tiré en pieces par ses cheuaus
recouura la vie, par Esculape, à la faueur
de Diane (comme s’il apartenoit à autre
qu’audit Iupiter, de donner la vie) il tua
Esculape de sa foudre. Puis apres Apol-
lo (autrement dit Phebus, inuenteur de
Medecine) pere d’Esculape, batit les Cy-
clopes, qui auoient forgé ladite foudre à
Iupiter: dont derechef Iupiter courroucé,
priua Phebus de Deïté par l’espace de
neuf ans: durant lequel tems on dit qu’il gar-
da en Thessalie, à present Thumenestrie, les
troupeaus du roy Admetus: & illec fut
esprins de l’amour d’Alceste,
femme dudit Roy
Admetus.
*

[p. 101] Fac-simile de la page 110 [sic pour 101] [Bandeau]

PREFACE SVR
L’EPITRE DE HI-
PSIPHYLE A
IASON.
*

POVR mieus entendre le suget de cet-
te epitre, faut sauoir qu’Athamas foy
de Thebes, fils d’Eolus, eut premierement
Nephele pour femme, de laquelle il eut fils
& fille, Phryxus & Helle. Or Nephele estant
conuertie en une nuee, & faite Deesse, il
print une autre femme nomme Ino, fille
de Cadmus: laquelle ayant en hayne les en-
fans de son mari, à la coutume des maratres,
fit cuire des blez, puis les bailla à semer aux
laboureurs, & comme cette anne là, les
chams n’ussent rien r’aporté, & qu’il y eust
grande famine de blez, on enuoya un pre-
stre qui s’enquerroit à l’oracle des Dieus
pour le remede de cet inconuenient. Mais
le prestre estant suborné, & corrompu par
Ino, de laquelle il auoit prins argent, raporta
que l’oracle demandoit que Phryxus & Hel-
lé fussent tuez en sacrifice, pour appaiser l’i
re des Dieus. Laquelle chose Athamas diffe-
g 3 ra [p. 102] Fac-simile de la page 102
de faire: mais en fin, par le consentement
de toute la ville, & de la necessité urgente,
quand il eut mis deuant les autelz Phryxus
& Hellé tous bendez, & prests d’estre sacri-
fiez, Nephelé leur mere en sa nuee descen-
dant vers eus, leur commanda de fuir, &
leur bailla un belier ayant sa laine d’or, pour
les porter dela la mer: mais Hellé, la fillette,
estant en creinte, & ne se tenant pas ferme
sur le belier, tomba en la mer, & donna son
nom à la mer ou elle tomba, qui ha depuis
esté apellée Hellespont, que nous disons en
François, les bras saint George, les autres
l’appellent l’estroit de Callipoli, ou le Castel-
le. Phryxus allant tousiours sur le belier, en
fin paruint en Colchos, ou il sacrifia le be-
lier & pendit la peau auec sa laine d’or au
temple de Mars, combien que lon dit & es-
crit communément & abusiuement, le mou
ton à la laine d’or. Apres cela quand eeta re-
gnoit aut païs dit le Pont, il eut response, par
oracle qu’il mourroit alors que cette laine
d’or seroit prinse des estrangers arriuez par
mer. Et à cette cause il se montra de grande
cruauté en sacrifiant les passans, & gẽs estran
gers, àfin que sa cruauté estant en ce point
par tout renommee, tous les estrangers se
gardassent de venir, & aprocher de son païs,
& de [p. 103] Fac-simile de la page 103
Dionys.lib. 2. hist. & de rauir la toison d’or. Et mesme enui-
ronna le temple de Mars de grans murs, &
y mit grosse garde qu’il fit venir de Thauri-
que. Sur quoy les Grecs ont feint beaucoup
de choses, q les taureaus gettans feu estoient
au tour du tẽple, & que la toison d’or estoit
gardee par le serpent tousiours veillant: la-
quelle quiconque eust voulu emporter &
rauir, il lui conuenoit premier endormir le
serpent, dompter les taureaus gettans feu
par les narines: getter & semer les dents du
serpent, desquelles sortiroient des gens ar-
mez, contre lesquelz faudroit batailler. Or
ce tems là, Pelias frere de Eson, qui fut
pere de Iason, n’auoit aucun enfant masle, &
regnoit en Thessalie, à present Thumene-
stie. Et Iason fort & adextre, & de grand
courage, desirant faire quelques grans faits
belliqueus à l’exemple des predecesseurs,
mesmement de Perseus & d’autres, qu’il en-
tendoit auoir acquis louenge immortelle
par entreprises, & bonnes issues de guerres
lointeines, declara son vouloir & desir à son
oncle le Roy Pelias, qui y consentit, nõ pour
acroitre l’honneur & renom de Iason, mais
par ce qu’il esperoit que Iason mourroit en
cette entreprise. Car luy voyant qu’il n’auoit
aucuns enfans masle, creingnoit que son
g 4 frere [p. 104] Fac-simile de la page 104
frere Eson, aydé de la force, & prouesse de
son filz Iason, machinast de le getter hors de
son royaume. Et d’auantage il estoit fort
troublé de l’oracle qu’il auoit entendu, c’est
qu’il ourroit bien tot apres que quelcun
seroit suruenu le pied nu vers lui sacrifiant à
Neptune le sacrifice annuel: & estoit auenu
que comme il sacrifioit, Iason estoit arriué,
ayant un pied nué, duquel il s’estoit deschaus-
sé par ce qu’il l’auoit plongé en l’eau ou fan
ge du fleuue Anaurus. Ainsi donq Pelias, te-
nant cette creinte & doute secrettement en
son cœur, promit à Iason qu’il lui ayderoit,
s’il vouloit aller conquerre la toison d’or.
Lors Iason contre la cruauté des gens barba-
res qui habitoient au païs du Pont, se prepa-
ra, & equippa. Et premierement aupres du
mont Pelion batit un nauire trop plus grand
qu’il n’y en auoit point encor eu: Car alors
on n’usoit que de petites barques. Le bruit
espandu par toute la Grece de ce grand na-
uire que Iason faisoit faire, plusieurs ieunes
gens, esmerueillez de ce, vindrent voir le na-
uire, dont les plus vaillans s’offrirent d’eus
mesmes de voyager, & batailler. Apres que
la nauire fut mis en mer, fourni de muni
-cion entiere, Iason eslut de tous ceus qui vou
loient auec lui voyager, cent cinquante qua-
tre [p. 105] Fac-simile de la page 105
tre des plus vaillans, entre lesquels les plus
renõmez sont Castor, Pollux, Hercules, Te-
lamon, Orpheus. Le nauire fut nommé Ar-
go, du nom de l’ouurier qui le fabriqua,
comme aucuns ont escrit: les autres dient
qu’il fut ainsi nommé pour sa legereté: Car
Argos, en Grec, sinifie leger. Sõ gouuerneur
& patron fut Tiphis: Les compagnons de Ia-
son du nom du nauire furent nommez Ar-
gonautes. Iceus donc departans de Pagase
qui est en Thessalie, vindrent en l’Isle de
Lemnos, à present Stalimni: ou Iason eut
acointance auec Hipsiphyle, fille du roy
Thoas, laquelle pour lors estoit Royne de
ce lieu, & seule gouuernoit. Car les femmes,
par conseil pris entre elles, auoient tué tous
les hommes en une nuict, excepté le roy
Thoas, que Hipsiphyle, sa fille, auoit sauué,
feingnant qu’il estoit mort. Quand Iason eut
demouré deus ans auec Hipsiphyle, il fut
contreint, tant par ses compaignons, que par
le tems qui le pressoit, d’acomplir son entre-
prise de faire voile plus outre: & delaissant
Hipsiphyle enceinte, & lui baillant la foy de
retourner vers elle, nauiga en Colchos: ou
il trouua Medee, qui l’auertit de la cruauté
de son pere: & qui luy promit ayde pour en-
dormir l e serpent, & veincre les taureaus.
g 5 Alors [p. 106] Fac-simile de la page 106
Alors Iason lui promit qu’il ne prendroit ia-
mais autre femme. Ainsi Iason cõquit la toy-
son d’or, & ayant victoire par le moyen de
l’art, & secours de Medee, il emmena ladite
Medee auec luy. Ce que etant venu en la
cõnoissance de Hipsiphyle, elle faschee de ce
q Iason l’auoit laissee, & en auoit prise &
preferee une autre, lui enuoya cette epitre,
par laquelle se dit estre ioyeuse du retour de
Iason en santé, & de sa victoire, & conqueste:
puis se cõpleint qu’il l’a laissee pour prendre
Medee, & s’efforce la mettre en haine, & mes
pris enuers lui, remontrant qu’elle est cruel-
le, superbe, paillarde, & sorciere. La fin fut
telle q Iason iamais ne la reprint pour fem-
me: Et les femmes de Stalimni, connurent
qu’elle auoit eu deus enfans masles de Iason,
lesquelz contre leur loy elle faisoit nourrir:
& comme de ce on la vouloit punir, elle s’en
fuit en une petite barque, mais fut prise
des brigans de mer qui la donnerent à Ly-
curgus, roy de Nemee, qui lui bailla son fils
Opheltes à nourrir. Puis quand les Princes
retournoiẽt de la guerre de Thebes, & quasi
mouroient de soif en la forest Nemee, la
rencontrerent, & prierent les adresser à une
fonteine nommee Langie, ou elle fut inter-
roguee de Adrastus, roy des Grecs, qui elle
estoit: [p. 107] Fac-simile de la page 107
estoit: & comme elle fut long tems à res-
pondre à toutes les choses qu’on lui deman-
doit, l’enfant Opheltes, quelle auoit lai-
sé se iouant entre les fleurs & herbes, fut
mords d’un serpent. Mais, en deuisant
auec Adrastus, Thoas & Enneus, qui e-
stoient auec lui, reconnurent qu’elle estoit
leur mere. Parquoy fut secourue du roy
Adrastus, & de ses enfans, contre Lycurgus,
qui la pourchassoit pour la faire mou-
rir, apres qu’il eut entendu la for-
tune de son enfant. De ses
faits plus outre ie
n’en ay rien
leu.

[Fleuron] [p. 108] Fac-simile de la page 108 [Bandeau]

TRADVCCION
DE LA VI. EPITRE
D’OVIDE.
Hipsiphyle escrit à Iason.

[Figure]

EN Thessalie on te dit, O Iason,

Estre arriué, riche de la toison

Du mouton d’or: que de si longue voye

Retourné sois sain & sauf, i’en ai ioye

5

Autant, sans plus, que tu me eus permettre.

Mais toutefois par un mot de te lettre

Ie deuois bien ia cela auoir sù:

Car tu pouuois vent à gré n’auoir eu

A ton retour, qui t’auroit destourné,

Qu’en [p. 109] Fac-simile de la page HIPSIPHYLE A IASON. 109 10

Qu’en mon païs ne serois retourné,

(Promis à toy sous nom de mariage)

Quoy que deça dressasses ton voyage.


Quelconque vent contraire que tu visses,

Ie valois bien qu’un mot tu m’escriuisses.

15

Pourquoy plus tot ay sù par le renom,

Que par la lettre ou seroit mis ton nom,

Comment de Mars domptas les sacrez beufs,

Et sous le ioug les rengeas deus à deus?

Que la semence en terre estant gettee,

20

Vne moisson d’hommes vifs est montee:

Comment außi ia ne te fut besoin

Pour les tuer, prendre l’espee au poing:

Comment (ainsi qu’on bruit en meint endroit)

Le fier dragon, tousiours veillant, gardoit

25

La toison d’or, que nonobstant as prinse

Par ta main forte, & à hauts faits aprinse?

Si ie disois, à meint qui douteroit,

Il me l’escrit, quel honneur me seroit?

Mais que me plains-ie auoir mari qui cesse

30

Trop à m’escrire? Assez grand plaisir m’est ce

Tant seulement si tienne ie demeure.


Vne estrangere on fait bruit à cette heure,

Voire & sorciere, estre auec toy venue,

Qu’as pour ta femme en mon lieu retenue.

35

Il est bien vray qu’amour croit de leger:

Que plaise aus Dieus qu’en te voulant charger

De crimes faus, ie sois dite legere.


Ces [p. 110] Fac-simile de la page 110 HIPSIPHYLE

Ces ious passez de contree estrangere

Chez moy venoit un homme de Thessale:

40

A peine entroit: que tout haut de ma sale

Criay, que fait le mien ami Iason?

Lui tout honteus ne me rendoit raison:

Mais seuelement fichoit ses yeus en terre.

Tout außi tot vers lui ie cours grand erre,

45

Et deschirans, par ire & forte main,

Incontinent de ma robbe le sein,

Ie m’escriay, en disant de la sorte,

Vit il encor? ha außi ie suis morte.

Il vit, (dit il.) Lors pour mieus m’assurer,

50

Lui tout creintif i’ay contreint me iurer:

A peine ay creu, auec son grand serment,

Qu’encore tu sois en vie seurement.

Et außi tot que le cœur me reuint,

De l’enquerir de tes faits me souuint.

55

Dessus le champ me conta amplement

De toutes tes faits: en premier lieu comment

Les puissans beufs de Mars (le Dieu de guerre)

Aus piez d’erein labourerent la terre.

Comment par toy les dents du dragon furent

60

Semez en terre, & tot gens armez creurent:

Comment ces gens qui de terre estoient nez

Leurs cuors de vie à un iour destinez

Ont mis à fin bien miserable, & vile,

Entretuez par bataille ciuile:

65

Puis le dragon veillant tu as veincu.

I’en [p. 111] Fac-simile de la page A IASON. 111

I’enquier encor comment tu as vescu

Entre ces cas: si que l’espoir, & doute

Font que ie croye, & außi que i’en doute.


En racontant chacune chose ainsi,

70

D’ardeur de dire, il vient à ce point ci

De descouurir ton ofense enuers moy.

Helas ou est ta promesse, & ta foy?

Ou est la Loy, & droit des espousailes?

Et le flambeau plus propre aus funerailles?

75

Tu n’as pas eu de moy la iouissance

Faite en cachette, & par mauuaise usance:

Iuno y fut, dame des mariages

Auec Hymen, plein de fleurs, & fueillages:

Mais ne Iuno, n’Hymen pareillement,

80

Ains la furie y porta, laidement

Pleine de sang, flambeaus maudits, & sales.


Mais quelle afaire auois ie des Thessales?

Ni de leur nef? & puis dedens ma terre

Que venois tu, ô Typhis Nocher, querre?

85

Ici n’estoit votre esperé thresor,

Le beau monton auec sa laine d’or.

Limno n’estoit la maison possedee

Du vieil Eta le pere de Medee.


Ie proposois par nous femmes außi

90

Premierement vous dechasser d’ici:

(Mais me tiroit mon malheur au contraire)

Nous sauons bien außi la guerre faire,

Les hommes veincre: ainsi par forte voye

Sau [p. 112] Fac-simile de la page 112 HIPSIPHYLE

Sauuer de toy ma vie ie deuoye.


Iason. 95

Or áy ie donq l’homme en ma vile vù,

En mon palais, & en mon cœur receu:

Auecques moy ici tu as esté

Par double yuer, außi par double esté.

La moisson tierce estoit, quand toy contreint

100

De faire voile, auec pleurs tu t’es pleint.

Disant ainsi, Hipsiphyle, m’amour,

Aller m’en faut: si ie vi au retour,

Tousiours auras loyal espous en moy,

Qui ton espous me depars dauec toy:

105

Le fruit de nous, caché dedens ton ventre,

Prospere soit, & vif en ce monde entre,

Dont ie sois dit le pere, & toy la mere.

Et cela dit feingnant douleur amere,

Tes pleurs couloient dessus ton faus visage,

110

Si que ne puis rien dire d’auantage.

Dernier montas en ton sacré nauire,

Qu’incontinent voler on eust pù dire:

Le vent singlant tes voiles emplissoit,

Et à ta nef toute onde obeissoit:

115

Tu auois l’œil en terre, & moy en mer.

Lors ie m’en vais en pleurant bien amer,

Monter la tour en place descouuerte,

Et qui sur mer ha vuë bien ouuerte.

Parmi mes pleurs ie voy plus loin, & mieus,

120

A mon desir fauorisans mes yeus.


I’ay fait pour toy meinte priere sainte:

Pour [p. 113] Fac-simile de la page A IASON. 113

Pour ton retour i’ay fait mes vœus en creinte,

Que pour toy saufores doy acomplir.

Quoy, acomplir? pour Medee remplir

125

De ses desirs, mon poure cœur se deult,

Et mon amour, meslé d’ire, me meut.

De porter dons au temple auráy ie enuie

Pource que pers Iason tout plein de vie?

Sera frapee, & mise à mort la beste,

130

Pour le malheur qui dessus moy s’arreste?

Certes außi onques ne fut bien seure,

Ains ie doutois de son pere à toute heure,

Qu’il lui donroit une dame de Grece:

Grecques creingnons, mõ mal d’ailleurs s’adresse:

135

De l’ennemi de qui ie n’auois doute,

Amerement ie suis nauree toute.

Vne étrangere ha mon cœur tourmenté,

Qui ne te plait pour bien fait ni beauté:

Mais te fortrait, & de toy est aymee

140

Par t’enchanter. De sa serpe charmee

S’en va copant meinte herbe qu’elle enchante:

D’atraire en bas la lune resistante,

Auec son cours, ha par fort attenté,

Et d’offusquer du soleil la clarté.

145

Les eaus arreste, & les fleuues tortus:

Rochers, & bois tirez, & abatus,

Sont de leur lieu en autre lieu passez:

Elle connoit les os des trespassez:

Comme enragee elle vous court souuent,

h L’habit [p. 114] Fac-simile de la page 114 HIPSIPHYLE 150

L’habit desceint: & les cheueus au vent,

Par les tombeaus: dens la cendre amortie,

Des mots brulez, certeins os elle trie,

Les gens absens par son sort met en rage:

Elle vous fait de cire meinte image,

155

Que de poingnante aguille amerement,

Elle vous pique au foye viuement:

Et (ce que mieus i’aymasse ne sauoir)

Par l’herbe vieut atirer, & auoir

L’amour tant dine, & qui s’aquiert trop mieus

160

Par bonne meurs, & beau corps gracieus.


La peus tu bien embrasser de bon zelle,

Et en un lict t’endormir auec elle

De nuict sans creinte? Ha, par ses mots sorciers

Le ioug te met, ainsi qu’aus taureaus fiers.

165

Par mesme sort que les serpens apaise,

Elle te vainc, & en ioue à son aise.

Entre les preus nommer elle se fait,

Et prend außi l’honneur de ton haut fait:

L’espouse nuit au bruit de son espous.

170

Desia aucuns font bruit à tous les coups,

Qui vont tenant de Pelias la part,

Que tes hauts faits viennent de magique art.

Le peuple croit cela, & par tout crie,

Ce n’est Iason, ny sa force hardie

175

Qui ha conquis la toison d’or, non, non:

Mais c’est Medee, en charme ayant renom.


Alcimede.

Certes ce bruit ne plait point à ta mere,

(Dem [p. 115] Fac-simile de la page A IASON. 115 Eson.

(Demande luy) ni außi à ton pere,

A qui vient bru de froide region.


180

Medee prenne en son septentrion

Vn sien espous, depuis Tanaïs, fleuue,

Iusqu’en Colchos, quelle en cherche, et en treuue:

Vers la Scythie entre les marescages

De son païs, fasse ses mariages.


185

Iason leger, & de cœur plus muable

Que n’est le vent du Primtems variable,

Pourquoy n’ont point tes paroles de foy?

Tu t’en partis mon espous d’auec moy:

Pourquoy n’es tu mon espous reuenu?

190

Ie sois espouse à Iason sauf venu,

Comme ie fus à Iason departant.


Si la noblesse, & hauts noms tu quiers tant,

Voici, ie suis de Thoäs engendree

Bacchus ayeul sa femme ha decoree

195

D’une couronne, & d’estoilles luisantes,

Qui vont passant d’autres moins esclerantes.

Quant à mon dot, pren Stalimni mon Isle,

Bonne au labeur, & terre bien fertile.

Meintenant donq voulant ces entendre,

200

Tu me peus bien auec ces choses prendre.

I’ay d’auantage enfanté en faison,

(De toy & moy resioui toy Iason)

Et pour l’amour qu’au pere ie portois,

Estant enciente, alors certes i’estois

205

De douce charge alaigrement chargee:

h 2 Heur [p. 116] Fac-simile de la page 116 HIPSIPHYLE

Heureuse encor, de deus suis deschargee:

Par la faueur de Iuno, deus gemeaus

Thoas, &
Eunæes.

I’ay enfanté, ce sont deus garsons beaus:

A qui ils sont semblables, si tu veus

210

Le demander, on te connoit en eus:

Ils ne font point faus tour, ne vitupere,

Au reste ils sont semblables à leur pere.

Lesquels enfans (tu n’en dois point douter)

I’ay presque fait par deuers toy porter,

215

Ambassadeurs pour leur mere: mais elle

Medee.

M’en destourna, la maratre cruelle.

I’ay creint Medee, elle est plus que maratre.

Sa main est faite à tout forfait s’esbatre.

Celle enragee à toutes hardiesses,

Absyrtus. 220

Qui par les champs getta son frere en pieces,

A mes enfans ne feroit point de mal?

Ce nonobstant, O fol & desloyal,

Par les poisons de Medee fortrait,

De moy à elle on dit qu’eschange as fait.


225

Par deshonneur cette ieune paillarde

Auecques toy sa chasteté hazarde:

Mais nous ha ioints le chaste mariage.

Eeta.

Son pere elle ha trahi d’un faus courage,

Pour te suiuir, & la toison rauie:

Thoas. 230

Et i’ay sauué à mon pere la vie.

Colchos laissa, de son pere la vile,

Lemnos.

Et ie demeure en Stalimni mon Isle.

Mais que me sert tout ce, quand la meschante

Passe [p. 117] Fac-simile de la page A IASON. 117

Passe la bonne? & celle qui enchante,

235

Et qui de sort, & de crime est dotee,

De mon mari est trop mieus acointee?


Quant est du fait des femmes de Lemnos,

Pour t’y respondre, ô Iason, en deus mots,

Ie te diray que mon cœur le reprouue:

240

Ie ne l’ensuy, & außi ne l’aprouue:

Mais despit quiert tout moyen de vengence.


Or respons moy, o Iason, quand i’y pense,

S’il eust esthé ainsi que vent contraire

T’eust ci chaßé, comme il deuoit bien faire,

A ton de-
sir.
245

Et qu’en mon port, ta compagne auec toy,

Fusses entré, & lors pleine d’esmoy

Ie fusse auec mes deus gemeaus venue

(Prirois tu pas le terre estre fendue

Pour t’engloutir?) meschant, de quelz meintiens

250

Eusses tu pù me voir auec les miens?

O desloyal, & de mercy indigne,

De quel tourment, & mort estois tu digne?

Or de par moy tu fusses en seurté,

Non pas pourtant que tu l’as merité,

255

Ains c’est pourtant que suis facile, & douce:

Mais la meschante eut bien eu la secousse:

I’eusse rempli de son sang mon visage,

Le tien außi, que par son faus bruuage

El’ m’a fortrait: brief de grand rage aydee,

260

Vne Medee eusse esté à Medee.


Que s’il y a ha quelque Dieu tout parfait,

h 3 Qui [p. 118] Fac-simile de la page 118 HIPSIPHYLE

Qui de là sus entende mon souhait,

Comme se pleint Hipsiphyle ainsi fasse

Celle qui tient en notre lict ma place:

265

Que le tourment par droit sente, & l’ennui

Tel qu’elle fait le sentir à autrui:

Et comme suis d’espous desheritee,

Mere de deus enfans d’une portee:

Laisse soit de son espous ainsi

270

Quand elle aura eu deus enfans außi:

Et ce qu’elle ha acquis iniustement,

Ne lui demeure, ains perde pirement:

Banie soit, & coure vagabonde,

Sans nul repos trouuer par tout le monde.

275

Comme elle ha fait tout de sœur à son frere,

Absyrte.

Comme elle ha fait tour de fille à son pere,

Eta.

Cruelle soit (par mon souhait & cri)

A ses enfans, außi à son mari.

Quand elle aura tousiours couru grand erre,

280

Enuironné & la mer, & la terre,

Parmi l’air vole, & n’ait point de surté,

Mais desespoir, & toute maleurté:

Et pour la fin se souille de son sang?


Brief ie qui suis fraudee de mon rang

285

De mariage, ainsi dresse mes vœus:

En mariage or viuez malheureus.


Fin de l’Epitre de Hipsiphyle à Iason, qui est la sixieme.

[p. 119] Fac-simile de la page 219 [sic pour 119]

ANNOTACIONS
sur l’Epitre de Hipsiphy-
le à Iason.
*

Ou est la Loy, & droit des espousailes?

Et le flambeau plus propre aus funerailles?


En ce tems là on alloit espouser auec un
flambeau ardent.

Lemnos n’estoit la maison possedee

Du vieil Eta le pere de Medee.


L’Isle de Lemnos, est à present nommee
Stalimni, ou Stalimene, & encore Limno,
n’ayant gueres changé de son nom antique.
Elle est situee entre Thrace et Euboee, que
lon dit à present Romanie, & Negrepont.

Dernier montas en ton sacré nauire,

Qu’incontinent voler on eust pù dire.


Le nauire de Iason, auoit nom Argo, & le
Poëte l’apelle sacré, par ce qu’il estoit souz la
sauuegarde de Minerue, autremẽt dite Pallas.

La peus tu bien embrasser de bon zele,

Et en un lict t’endormir auec elle

De nuict sans creinte?


Lon peut aussi dire, de nuict en creinte,
car d’aucuns exemplaires Latins ont, Impa-
uidus , & les autres ont, Iampauidus.

Desia aucuns font bruit à tous les coups,

h 4 Qui [p. 120] Fac-simile de la page

Qui vont tenant de Pelias la part,

Que tes hauts faits viennent de magique art.


Pelias estoit oncle de Iason, qui ne l’ay-
moit pas, ains ne demandoit que la mort de
son nepueu, pour les raisons que i’ay dites en
la preface de la presente epitre.

Medee prenne en son Septentrion:

Vn sien espous, depuis Tanaïs, fleuue,

Iusqu’ẽ Colchos, quelle en cherche, et en treuue.


Le fleuue que lon disoit anciennement
Tanaïs, on le nomme à present en langage
Turc, le Tana: en Tartare, Don, & Reschan.

Si la noblesse, & hauts noms tu quiers tant,

Voici, ie suis de Thoäs engendree:

Bacchus ayeul sa femme ha decoree

D’une couronne, & d’estoilles luisantes,

Qui vont passant d’autres moins esclerantes.


Thoäs, pere de Hipsiphyle, fut fils de Bac-
chus . Voyez la fin de ma preface sur l’epitre
d’Ariadne à Theseus, qui est la dixieme, pour
sauoir de quelle couronne c’est que le Poëte
entend.

Quant est du fait des femmes de Lemnos,

Pour t’y respondre, ô Iason, en deus mots,

Ie te diray que mon cœur le reprouue,

Ie ne l’ensui, & außi ne l’aprouue.


Le Poëte entend de ce qu’elles auoiẽt tué
tous les hommes en une nuict, comme i’ay
dit [p. 121] Fac-simile de la page 121
dit en la Preface: le Latin porte,

Lemmiadum facinus culpo, non miror Iason:

Ce que l’on interprete, non imitor: com-
me,
miratoremq; Catonis
, id est
imitatorem
.
Et pourtant ie l’ay traduit, Ie ne l’ensui[.]

I’eusse rempli de son sang mon visage,

Le tien außi, que par son faus bruuage,

El’ m’a fortrait:


Le Poëte veult dire que Hipsiphyle eust si
bien esgratigné le visage de Medee, laquelle
lui auoit distrait par bruuages amatoires son
ami Iason, que le sang en fust sauté sur le
visage d’lle mesme Hipsiphyle, & aussi
de Iason.

Et comme suis d’espous desheritee,

Mere de deus enfans d’une portee,

Laisse soit de son espous ainsi,

Quand elle aura eu deus enfans außi.


Ces souhaits, & malediccions auiendrent:
car Iason delaissa Medee auec deus enfans, &
print à femme Creusa, fille de Creõ, Roy des
Corinthiens: & Medee s’enfuit en Athenes.

Et pour la fin, se souille de son sang.

Hipsiphyle souhaite que Medee se tue par
soymesme.

Fin de l’annotacion sur lepitre de Hipsi-
phyle à Iason.

h 5 PRE
[p. 122] Fac-simile de la page 122

PREFACE SVR
L’EPITRE DE DIDO
A ENEAS.
*

APres que la Troye fut destruite, Eneas
fils de Venus, & d’Anchises, laisa son
païs, fit faire des Nauires en la cité de Antã-
dre, apelee à present au païs, sancto Dimi-
tri: puis se mit sur mer auec son pere, son
fils Ascanius & ses Dieus domestiques, &
plusieurs Troyens. Premierement arriua en
Thrace, ou (comme plusieurs pensent) il
bátist une vile dite Ænus, à present Æno,
mais bien tot apres amonnesté de s’enfuir
par prodiges sines ou presages, & par l’auer
tissement de Polydorus, que Polymnestor
Roy de Thrace auoit iniquement uté, il s’en
vint en Delos, à present Sdiles, ou il eut re-
sponce de l’oracle d’Apollo, qui fut mal en-
tendue, & mal interpretee par son pere An-
chises. Et pource passant les Cyclades vint
en Candie, que Anchises pensoit estre la ter-
re fatale, & promise par l’oracle: Mais estant
là tourmenté de pestilence, fut en dormant
ammonesté par ses Dieus domestiques de
partir de ce lieu. De là vint aus isle Stropha-
des [p. 123] Fac-simile de la page 123
des, à present Striuali: & puis en Epire, à
present la Cimera, ou Epirotee: ou il fut
bien recu de Helenus Troyen: & fils de
Priam, qui en ce Royaume auoit succedé à
Pyrrhus. Puis de là vint en Calabre, dond il
departit incontinent espouuenté de la venue
de Diomedes, qui sont en la mer de Sicile, pro-
cheines du mont Ethna. De là enuironnant
la plus grande partie de Sicile, vitn en Dre-
panum, (c’est un mont de Sicile, qui s’estend
en la mer du coté de septentrion, à present
Drapani) & en Meleque, ou son pere mou-
rut, comme dit Virgile, auquel il fit la pom-
pe funebre, & dressa son sepulcre en Sicile:
puis (ayant reçu prouision de vin, & d’autres
choses necessaires de Acestes, Troyen, qui re
gnoit en Sicile) fit voile, querant l’Italie, la-
quelle il auoit entendue de Creusa sa fem-
me, & de l’oracle reçu en Delos, & de Hele-
nus, lui estre terre fatale, & promise par les
Dieus, mais par tẽpeste de mer, & tourmẽte
des vens, fut poussé en Libye, ayant perdu un
seul nauire de vingt qu’il auoit. De cas d’a-
uenture en ce tems là, (comme Virgile ha
feint, & apres lui Ouide) Dido, qui s’en estoit
fuye de Tyrus, (pour la cruauté & auarice de
Pygmalion son frere, qui auoit occis Sicheus
espous [p. 124] Fac-simile de la page 124
espous de Dido, pour auoir ses tresors,) ba-
tissoit en Libye une nouuelle vile dite Car-
thage, & auoit acheté de Hiarbas Roy de Ge
tulie, autãt de terre & de place qu’elle pour-
roit enuironner d’une peau de taureau, La-
quelle est estẽdit si long en petites conroyes
qu’elle comprint vingt deus stades de terre,
en quel espace elle batissoit sa vile. un stade
contenoit 125 pas (toutefois celui que Her-
cules courut, mõtoit 1130 & un Mile, comme
s’apellẽt les lieuës d’Italie, cõtiẽt huit stades.
Ainsi quãd Eneas fut venu vers elle, lui, & les
siens furent bien reçuz, & traitez. Et peu de
tẽs apres elle mit son amour en lui, & eut sa
cõpagnie. En test esta lui seiournant là, fut en
dormant auerti par son pere Anchises, & par
Mercure q Jupiter lui enuoyoit, de se depar-
tir de là, & faire voile en terre qui lui estoit
destinee. lui n’osant tenir ce propos de son de
partemẽt à la Royne Dido, & se preparãt se-
crettemẽt, la Royne s’en douta: & apres auoir
en vain trop prié Eneas de demourer, lui es-
crit cette epitre, cõme Ouide feint : par laqlle
s’efforce le retirer du propos de faire voile,
tãt par ce qu’il est hõneste & bien seant qu’il
demeure auec celle qui l’a biẽ reçu, biẽ logé
biẽ traité, & lui ha fourni, & aus siẽs, & se-
couru en toutes choses, & à laqlle il ha pro-
mis [p. 125] Fac-simile de la page 125
mis foy de mariage: cõme par ce qu’il sera
plus suremẽt auec elle, que de se mettre aus
dãgers de la mer tẽpestueuse, & pleine de va
gues, & aller chercher une terre incerteine,
laissant ceste ci, ou estoit Dido, seure & cer-
teine. Apres qu’elle ha recité ses bienfais en-
uers lui, le prie que, s’il ha conclu & arresté
de s’en aller, à tout le moins qu’il atende en-
cor un petit, tant que la tourmẽte de mer soit
apaisee: q s’il ne veut lui faire ce seul biẽ d’a-
tẽdre peu de tems, elle le menace, de se tuer:
ce quelle fit, car elle se tua de l’epee mesme
qu’Eneas lui auoit dõnee, voyant de sa haute
tour les Troyens departir & faire voile, cõ-
me escrit Virgile. Elle le menace aussi qu’elle
fera escrire un Epitafe sur son tombeau, qui
declarera cõmẽt Eneas est cause de sa mort.

Nonobstant Bocace en son liure des no-
bles & vertueuse Dames, escrit de la mort
de Dido autremẽt, & son honneur, la met-
tant au rãg des vesues chastes: & la verité est
aussi, qu’Eneas vint en Italie plus de cent ans
auant q Dido fust: & aussi Ausonius ha escrit
un epigrãme à la louenge de la pudicité d’el

le. Mais Virgile ha ainsi escrit de Dido, &
apres lui Ouide, en faueur de Cesar Auguste
& des Rommeins, & en defaueur & deshon
neur des Carthaginois, leurs anciẽs ennemis.

TRA
[p. 126] Fac-simile de la page 126 [Bandeau]

TRADVCCION
DE LA VII. EPITRE
D’OVIDE.
*
Dido escrit à Éneas..

LE cigne blanc chante ainsi au riuage

De Meander, dessus l’humide herbage,

Triste & seulet, pour dernier reconfort,

Lors qu’il se sent aprocher de la mort.


5

Ie ne te parle esperant te mouuoir,

Ains à malheur, & sans aucun espoir.

Mais du bienfait ayant perdu l’honneur,

Mon cœur & corps estant à deshonneur,

Ce m’est bien peu de perdre mes propos.


10

Tu as conclu, contraire à ton repos,

T’en aller loin sur mer tempestueuse,

Et delaisser Dido la malheureuse.

Les mesmes vents, soufflans dedans tes toiles,

Emporteront & ta foy & tes voiles.

15

Tu as conclu ces deus choses expresses,

De leslier tes nauz, & tes promesses,

O Eneas: & l’Italie te plait

Aller chercher, sans sauoir ou elle est:

Et ne te meut ni la neuue Carthage

20

Ses murs croissans, ni tout en son seruage,

Tu [p. 127] Fac-simile de la page A ENEAS. 127

Tu vas fuyant tes promesses ia faites,

Et en quiers faire autres par longues traites:

Tu vas chercher par le monde autre terre:

Cette ci est ia tienne sans conquerre.

25

Et bien, encor qu’en l’Italie tu viennes,

Qui te donra les préminences siennes?

Qui est celui, tant soit beste, qui donne

Si tot sa terre à l’estrange personne?

Ce que tu quiers c’est trouuer autre amour,

30

Autre Dido, pour lui iouer faus tour:

Et que ta foy soit encore promise

Pour la fausser, & la rompre à ta guise.

Quand pourras tu telle vile batir

Comme Carthage? & d’une haute tour

35

Voir tout au bas tes peuples alentour?

Que tout te vienne encor à tes souhaits,

Et qu’ils soient bien acomplis & parfaitz.

Ou prendras tu une femme qui t’ayme

Ainsi que moy d’ardante amour extreme?

40

Ie brule, ainsi comme torche de cire

Auec le soufre, ou comme on pourroit dire

L’encens qu’on gette au feu des mortuaires:

Et à mes yeus, à tout repos contraires,

Tousiours un seul Eneas se presente:

45

Le iour, la nuict Eneas represente

Dedens mon cœur continuellement,

L’ingrat & sourd, vù le bon traitement

Et [p. 128] Fac-simile de la page 128 DIDO

Et vù les dons, les graces & bienfaits

Que lui vueil faire, & que ia lui ay faitz:

50

Duquel außi bien vouloir ie deuroye

Le brief depart, si fole ie n’etoye.

Or nonobstant qu’il me veuille abuser,

De mauuais cœur ie ne lui puis user:

Mais ie me plains de son traytre courage,

55

Apres mes pleints ie l’ayme d’auantage.


Dame Venus mets hors cette misere

Ta belle fille: o frere Amour, ton frere,

Tant rigoureus, vien cherir, embracer,

Et à ton camp reduire & auancer:

60

Ou moy, qui ay l’amour encommencee:

(Car ne desdaigne amour en ma pensee)

Que lui außi mon amour ne desprise:

Ie suis trompee, & faussement se prise,

Venus.

Il est par trop à sa mere contraire.


65

Pierres & monts, & arbres qu’on voit faire

Sur hauts rochers & deserts leurs croissance,

Tygres cruelz, pleins d’outrage & nuisance,

T’ont engendré: ou la mer que tu vois

De vent esmue. Ou vas tu toutefois?

70

Ou t’enfui tu par contraire tempeste?

L’yuer facheus me fasse ores ce bien

Que quelque tems tu sois encores mien.

O Eneas, voy comme Eurus tourmente

Les flots de mer, par force violente.

Par [p. 129] Fac-simile de la page A ENEAS. 129 75

Par flots me soit cette grace venue,

Dont i aymerois trop mieus t’estre tenue.

Plus que toy sont flots & vents raisonnables,

Et à mon vueil plus prompts, & secourables.


Ie ne suis pas tant à desestimer

80

Qu’ailles mourir, me fuyant loin par mer:

Combien pourtant que ta grand’ lascheté

L’ayt desserui, & tresbien merité.

Tu as conçu vers moy une grand hayne,

Qui par trop cher te coute, & trop de peine,

85

S’il ne te chaut de mourir nullement,

Mais que de moy t’enfuies promptement.

Dedens briefs iours les vents s’apaiseront,

Et les Tritons en mer calme courront,

Estant montez sur leurs cheuaus bleuzuerts:

90

Que fusses tu comme les vents diuers

Ores muable. & le seras ainsi

Si tu n’es dur plus qu’arbre, & pierre außi.


Dea s’il estoit que ne sceusses que c’est

Que de la mer muable, & sans arrest?

95

Veus tu encor mettre en mer ta fiance,

Ou tant souuent as eu mauuaise chance?

Mais bien, iaçoit que la mer calme encores

Le desancrer te vousist permettre ores

Que tu pretens nauiguer, nonobstant

100

Si haute mer y ha des dangers tant:

Nul proufit n’ont, ains par trop se mescontent

Pariures gens qui dessus la mer montent:

i Ce [p. 130] Fac-simile de la page 130 DIDO

Ce lieu est propre à punir les pariures:

Et par sur tout les torts faits, & inures

105

Contre l’amour: Car des amours la mere

Nue fut nee en la mer de Cythere.


Ie crein de perdre un homme variable,

Qui m’a perdue, & m’a fait miserable:

Ie crein de nuire à celui qui me nuit:

110

Que l’ennemi, qui loin de moy s’enfuit,

Tombe en la mer en maints dangereus lieus.

Or sus vy donq: ainsi te perdray mieus

Que par ta mort: plus tot ie me propose

Que tu sois dit estre de ma mort cause.


115

Mais pren le cas (ce ne soit point presage)

Qu’en mer tu sois sur le point de naufrage,

Que feras tu? & à quoy penseras?

Incontinent en ta pensee auras

En mon endroit ta promesse faulsee,

120

Et faulsement Dido seule laissee

Par le Troyen, contreinte à mort non due.

L’esprit verras de ta femme deçue

Tout plein de sang, ayant cheueus espar:

Adonq les maus venans de toutes parts

125

(Ce diras tu) ie les ay meritez:

Faites moy grace, & plus ne m’agitez.

Les foudres lors qui sur toy tomberont,

Tu penseras que transmis te seront.


Donne relache à ton ire, & à celle

130

De la mer rude, en recompense telle

Que [p. 131] Fac-simile de la page A ENEAS. 131

Que tu feras trop plus seur nauigage.

Ie te diray encores d’auantage,

Iülus, A-
scanius .

Ton petit fils te retarde, non moy.

C’est bien assez d’auoir ce bruit sur toy

135

Que m’as liuree au point de mort prefix:

Qu’ont merité ni tes Dieus, ni ton fils?

Tes Dieus du feu de Troye deliurez,

Par vents seront en naufrage liurez:

Mais auec toy tu ne les portes pas:

140

Ains faulsement te vantes de meint cas,

Qu’ayes porté tes sacres, & ton pere:

Tu mens de tout: car ta langue profere

Non pas à moy les premieres mensonges:

Seule ne suis abusee en tes songes.


145

Si tu t’enquiers d’une chose sans plus,

Ou est la mere au beaus Iülus,

Ie dy qu’elle est morte seule en langueur,

Par son mari laissee en grand rigueur.

Tant de beaus cas de toy me racontois,

150

Lors, par pitié, tresbien ie te traitois:

Ce qu’as soufert pour l’auoir delaissee

Moindre sera que pour moy ofensee

Tu soufriras, car ton offense est telle

Qu’elle est plus grãde enuers moy qu’enuers elle:

155

Et ie ne doute, ains ie me fay certeine,

Que pource t’ont tes Dieus tant mis en peine.

Depuis sept ans & par mer, & par terre

Es agité: malheur te suit, & serre:

i 2 En [p. 132] Fac-simile de la page 132 DIDO

En tel estat, par tempeste affligé

160

Ie t’ay reçu, & surement logé.

A peine ayant ton nom bien entendu,

I’ay sous tes mains mon royaume rendu.

Et plus aus Dieus que ces biens t’usse fait

Tant seulement, & que de notre fait

165

La renommee en fust enéuelie.

Le iour auquel une soudeine pluie

Nous contreingnit en la cauerne entrer,

Me nuisit trop, & vint mal rencontrer.

I’auois oui un cri, que ie pensois

170

Estre le cri des Nymphes, toutefois

C’estoit le cri des Furies mal nees

Qui predisoit mes dures destinees.

O chasteté rompue, pren vengeance

De moy, qui fey à Sicheus ofense:

175

Vers qui ie vais, moy triste & malheureuse,

Pleine de honte, & toute vergogneuse.


De Sicheus i’ay l’effigie sacre

Qui est dedens ma chapelle de marbre,

Fueillage, & laine au deuant est pendue:

180

I’ay de ce lieu la parole entrendue

De mon espous, disant en basse voix,

Dido vien t’en: & ce par quatre fois.

Ta femme deuë or ie vien sans atendre,

(Lui respondi ie) & si (las) me vient rendre

185

Le mien forfait tardiue, & variable

Pardonne moy l’ofense pardonnable:

Le [p. 133] Fac-simile de la page A ENEAS. 133

Le personnage est de grande aparence,

Qui amoindrit, & couure mon ofense.

Son père vieil, que par la grande opresse

190

Auoit porté, puis sa mere deesse,

Me faisoient foy que bon mari seroit,

Qui auec moy deument demoureroit.

Si ie deuois de quelque faute user,

Certeinement ie suis à excuser.

195

S’il eust eu foy, la chose est raisonnable,

Qu’il n’estoit pas un parti refusable.

Trop bien se suit la destinee dure,

Qui iusqu’en fin de ma vie encor dure.

Mon mari mort, meurtri pres des autez,

200

(Ou fut tué par grandes cruautez)

Tomba à terre : & mon frere à l’estime,

L’honneur & bruit d’un tant enorme crime.

Puis ça, puis là ie vais fuiant sans cesse :

Et mon païs lors du tout ie delaisse,

205

Pareillement de mon espous la cendre :

Mon ennemi Pygmaliõ me poursuit pour me prendre,

Et me contreint passer meints durs passages.

En terre estrange, apres longs nauigages,

I’entre & pren port : & puis estant ainsi

210

De mer deliure, & de mon frere außi,

Vn port de mer i’achete à grosse somme,

Que i’ay donné à toy desloyal homme.

Là i’ay baty une uile, & liez

Des murs bien longs, des procheins enuiez.

i 3 La [p. 134] Fac-simile de la page 134 DIDO 215

La guerre bruit, ie femme, & estrangere

Suis assaillie en guerre non legere :

Et n’ay encor ma vile bien fermee

De porte neuue, & dreßé une armee :

Certeine suis, mes meurs sont agreables

220

A plus de cent bons Cheualiers notables,

Qui sont venus me blamer, & charger

Que ie les ay laissez pour l’estranger.

Mais qu’attens tu de me lier les bras,

Et rendre tot captiue à Hiarbas,

225

Mon ennemi, le roy de Getulie ?

Mes bras rendray dessouz ta tyrannie.

Puis i’ay mon frere Pygma-
lion
außi qui ha meutri [sic pour meurtri]

Cruellement Sicheüs mon mari :

Et ne quiert mieus que de m’en faire autant :

230

Laisse tes Dieus, ne les souille point tant :

La main qui est pleine de malefice,

Ne fait aus Dieus agreable seruice.

Tes Dieus voudroient du feu n’estre deliures.

Si toy meschant seruice tu leur liures.

235

Parauanture außi, o plein de feinte,

Tu vas laissant Dido de toy enceinte :

Et une pars de ton corps, est venue

Dedens le mien, cachee, & retenue.

Ainsi mourra l’enfant tresmiserable

240

Auec sa mere : & tu seras coupable

De la mort d’un petit enfant, helas,

Lequel encor mis au monde n’est pas.

Ainsi [p. 135] Fac-simile de la page A ENEAS. 135

Ainsi mourront & l’enfant & la mere,

L’enfant qui est d’Ascanius le frere:

245

Et mesme peine auront ne plus ne moins

Les deus qui sont ensemble en un corps ioints:


Mais de partir le Dieu t’a commandé.

De venir donq voudrois qu’il t’eust gardé,

Et qu’onq Troyen n’eust ma terre touchee.

250

Car par ce Dieu que ta nef tant fachee

D’onde terrible, & de contraires vents,

Te tient en peine en la mer si long tems.

Tu ne deurois auec si grande peine

Troye chercher, s’elle estoit riche, & pleine,

255

Comme elle fut alors qu’Hector viuoit.

Mais toutefois tu ne vas querant droit

Simoïs fleuue, en ton païs de Troye,

Ains quiers la Tybre, ou tu scez la voye:

Et ou seras poure hoste, & estranger,

260

Bien qu’à souhait y ailles sans danger.

A peine außi verras tu l’Italie

En ta vieillesse, & ta force faillie:

Comme ie voy que l’Itale se cache,

Elle lointeine, & tes nauz fuit, & fache.


265

Pren donq plus tot, & außi pour le mieus,

En dot present ces peuples, & ces lieus:

Et les tresors lesquelz Pygmalion

Ha pourchassez par grande ambicion.

Transporte ici trop plus heureusement

270

La Troye antique: & tu sois dinement

i 4 Au [p. 136] Fac-simile de la page 136 DIDO

Au Royal siege, & tenant sacré sceptre.


Que si ton cœur desire en la guerre estre,

Si Iülus appete estre veincueur,

Et trionfer auec son ieune cœur:

275

Ce mien païs bien tot lui fournira

D’un ennemi, q’uil suppeditera:

(A celle fin que rien ne vous defaille)

Ci est la paix, & ci est la bataille.


Si te suppli par le nom de ton pere,

280

Et par les traitz de Cupido ton frere,

Par Troyens Dieus, lesquelz t’acompaignerent

Lors que du feu de Troye se sauuerent.

Qu’ayes pitié, & prennes à merci

Dido la tienne, & sa maison außi.

285

Qu’ainsi tousiours ayent victoires pleines

Ceus de ta gent, qu’auecques toy tu meines:

Et que l’armee arriue de Grece,

Te soit la fin de perte, & de tristesse:

Qu’Ascanius ainsi ses ans parface

290

Eureusement, & soient en molle place

Couchez, & mis, pour seur, & bon repos,

D’Anchises vieil, le tien pere, les os.


Mais que dis tu? en quoy áy ie meffait,

Sinon que i’ay bien aymé en effet?

295

Ie ne suis pas de Thessalique terre,

Achilles.

Dond fut celui qui te liura la guerre:

Außi ne suis de Mycene la grande:

Encontre toy n’as eu une grand’ bande

De [p. 137] Fac-simile de la page A ENEAS. 137

De mes parens: ni mon espous, ni pere,

300

Pour te liurer l’assaut en guerre amere.


S’il te désplait, & tu prens à diffame

De ma’apeler ton epsouse & ta femme:

Apelle moy seulement ton hostesse,

Non pas ta femme, estant nom de hautesse:

305

Dido veult bien estre ce que voudras,

Quand seulement pour tienne la tiendras.


Ie connoy bien cette mer Affricaine

En certein tems elle est trop incerteine

Pour nauiguer, & pour faire voyage:

310

En autre temps est bonne au nauigage:

Et quand le vent propice permettra,

Nauigueras, & la voile on mettra.

Ores au port ton nauire enserré

Est lité d’herbe, & trop mieus assuré.


315

Commande moy, ie prendray garde au tems

Que tu auras meilleurs & plus dous vens:

Lors seiourner ie ne te permettrois,

Quand mesmement toymesme le voudrois.

Tes gens außi, tous las, & affligez,

320

Quierent du tems pour estre soulagez.

Ta nef rompue, & à demi refaite,

Quiert peu de tems à fin d’estre parfaite.


Pour mes biens faits, encor pour d’auantage

(Si t’en doy faire) & pour le mariage

325

Que i’esperois auec toy ie demande

Petit de tems, & demeure non grande.

i 5 En [p. 138] Fac-simile de la page 138 DIDO

En atendant que la mer se tempere,

Et que l’amour par le tems s’amodere,

A supporter les maus me feray forte.


330

Si tu ne veus permettre en nulle sorte

Faire seiour, i’ay ia tout arresté

De me tuer: certes ta cruauté

Ne pourra pas regner sur moy long tems.

O plust aus Dieus, & qu’ils fussent contens

335

Que ton œil vist le trespoure meintien

De l’escriuante, ayant le glaiue tien!

Ie te rescri, & ay en mon giron

Ton glaiue nu, qui tout à l’enuiron

Est arrousé des larmes de mon pleur:

340

Puis le sera de mon sang par malheur.

Eneas a-
auoit laissé
son espee
à Dido.

Que ton present à ma mort bien conuient

A peu de frais mon tombeau te reuient.

Mais ce n’est pas de ce tems, seulement,

Que le glaiue ha poind mon cœur durement:

345

En mesme lieu fut nauré d’amour dure.


Anne ma seur, qui scez ma forfaiture,

O ma seur anne, ores trauailleras,

Et sur ma mort funerailles feras.

Nul n’escrira, ci git Dido sechee,

350

En cendre auec le sien mari Sichee:

Mais fera tel Epitaphe trouué

Sur mon tombeau, & en marbre graué:


CI GIT DIDO, QVI D’ENEAS A TORT

REÇVT LA CAVSE, ET L’ESPEE DE MORT:

PVIS [p. 139] Fac-simile de la page A ENEAS. 139 355

PVIS TOT APRES DE CELLE MESME ESPEE

S’EST PAR SA MAIN D’VN MORTEL COVP
  FRAPEE.


Fin de l’epitre de Dido à Eneas,

ANNOTACIONS
SVR L’EPITRE DE
Dido à Eneas.
*

Ie brule ainsi comme torche de cire

Auec le soulphre ou comme on pourroit dire

L’encens qu’on gette au feu des mortuaires:

Et à mes yeus, à tout repos contraires,

Tousiours un seul Eneas se presente.


I’ay lù, en un exemplaire de Venise, deus
vers qui ne se lisent pas ordinairement:

Vt pia famosis addita thura rogis

Ænasq; oculis semper vigilantibus hæret.


Dame Venus mets hors cette misere

Ta belle fille: ô frere Amour, ton frere,

Tant rigoureus, vueilles tot embracer,

Et à ton camp reduire & auancer.


Dido, estant femme d’Eneas, auoit Venus
pour belle mere, & Cupido pour frere, ou
beau [p. 140] Fac-simile de la page 140
beau frere, qui est le Dieu d’amour. Ainsi
Dido se dit belle fille de Venus, & apelle
Amour ton frere, & le prie de ranger son fre
re Eneas au camp des amoureus (Car Eneas
& Cupido sont tous deus fils de Venus) ou
bien qu’il la renge elle mesme, dont elle se-
roit trescontente: mais aussi qu’il face que
Eneas ne desprise les prieres d’elle, qui seroit
ainsi rengee à la suggeccion d’Amour.

Contre l’amour, Car des amours la mere

Nue fut nee en la mer de Cythere.


Venus, nee de l’escume de la mer, fut por
tee premierement en l’isle de Cythere à pre-
sent dite, Cerigo.

Or fus, vi donq: ainsi te perdray mieus

Que par ta mort.


Dido veut dire qu’il vaut mieus qu’elle
soit sans son ami vif, que sans son ami mort.

Ie dy qu’elle est seule morte en langueur,

Par son mari tuee en grand rigueur.


En fin du second liure des Eneïdes, Eneas
raconte à Dido comment il perdit Creusa sa
femme, en eschapant du feu, & de la meslee
de Troye: ce qu’à present Dido tire à son
propos contre Eneas, en l’acusant de men-
songe & de meurtre de sa femme Creusa.

Ce qu’as soufert pour l’auoir delaissee

Moindre sera que pour moy ofensee

Tu [p. 141]
Fac-simile de la page 141

Tu soufriras, car ton offense est telle

Qu’elle est plus grãde enuers moy qu’enuers elle.


Le Poëte veut dire que Dido ha plus fait
de biẽs à Eneas q̃ sa premiere femme Creu-
sa , par ce que Dido l’a reçu & secouru estant
poure & tourmenté de la marine: & que, vù
les grans biens qu’elle lui ha faits, il ha plus
grand tort de la laisser: & par consequent
deura estra plus pluni que de ce qu’il laissa
Creusa, pour laquelle laissee il auroit ia esté
tourmenté l’espace de sept ans sur la mer.

De Sicheüs i’ay l’efigie sacre,

Qui est dedens ma chapelle de marbre.


Il estoit lors permis à un chacun de reuerer
saintement celui ou ceus, trespassez de sa
parenté, que lon vouloit: mesmement de bá-
tir & dédier une chapelle à leur honneur: &
ie croy qu’Ouide vouloit entendre cela,
quand il escriuoit en l’epitre de Briseïs,

Semper iudicijs ossa verenda meis:

Perq; triũ fortes animas (mea numina) fratrum:


Ce que i’ay ainsi traduit en la precedente
epitre troisieme
.

Os qu’à iamais i’honore:

Et par les trois que comme Dieus i’adore.


Fueillage & laine au deuant est pendue.

Lon souloit lors honorer les Dieus de cer-
teins [p. 142] Fac-simile de la page teins stemmates, qui sont comme dit l’inter-
prete de Sophocles, des rameaus enuelopez
de laine noire, ou blanche: Car Virgile dit q̃
deuant l’image de Sicheüs y auoit de la lain-
ne noire & des rameaus, & Ouide dit qu’il y
auoit de la laine blanche: mais il y en a pou-
uoit bien auoir de toutes deus.

Mon mari mort, meurdri pres des autez,

Ou fut tué par grandes cruautez,

Tomba à terre: & mon frere à l’estime,

L’honneur & bruit d’un tant enorme crime.


Sicheüs, oncle & mari de Dido, estoit
prestre d’Hercules, premiere dinité apres le
Roy: & ainsi comme il sacrifioit fut tué par
Pygmalion, son neueu, & frere de Dido, sous
espoir d’auoir son tresor caché dont il auoit
bruit.

Puis ça, puis là ie vais fuyant sans cesse,

Et mon païs lors du tout ie delaisse:


Cela fut par l’auertissement de l’esprit de
Sicheüs, qui s’aparut à elle de nuict, & lui re
uela tout le forfait & meurtre de Pygmaliõ.
Et faut entendre que Dido s’enfuit de la vile
de Tyrus, à present nommee Sur, qui est une
antique & bien renommee vile de la region
de Phenice, qui est en l’Asie maieur, faisant
partie de la Syrie, & ioignãt à la Iudee. Icelle
vile est au bout de la mer, & estoit acienne-
ment [p. 143] Fac-simile de la page 143
ment en une Isle: mais Alexandre le grand,
qui l’assiega, la fit tenir à terre ferme: & fit
crucifier quasi tous les hõmes qui y estoit,
par ce qu’eus estant serfs, auoient occis leurs
vrays signeurs & maitres, s’estoient faits si-
gneurs de la vile, & auoient fait aliances de
mariages auec leurs maitresses: comme re-
cite Iustin au dixhuitieme liure de son Hi-
stoire. En icelle vile de Tyrus se faisoiẽt an-
ciennement de bonnes teintures d’escarlate.

Mais qu’atens tu de me lier les bras,

Et rendre tot captiue à Hiarbas?


C’est une permission ironique, urgente, &
pitoyable.

Mais de partir le Dieu t’a commandé:

C’est une obieccion ou response qu’Eneas
lui pourroit faire, disant que le Dieu Mercu-
re ou Apollo s’estoit aparu à lui, & auoit
commandé qu’il departit de Carthage, pour
faire voile en Italie. de ce voyez le quatrie-
me liure des Eneïdes. Or à cette obgeccion
d’Eneas, Dido lui respond,

De venir donq voudrois qu’il t’eust gardé

Et qu’onq Troyen n’eust ma terre touchee,


Mais que dis tu? en quoy t’áy ie meffait,

Sinon que i’ay bien aymé en effet?

Ie ne [p. 144]
Fac-simile de la page 144

Ie ne suis pas de Thessalique terre,

Dont fut celui qui te liura la guerre:

Außi ne suis de Mycene la grande.


Achilles, qui fit de grans exploits de guerre
contre les Troyens estoit de Larissee, vile de
Phtie, païs voisin de Thessalie: & Aga-
memnon & Menelaüs, aussi ennemis des
Troyens, & Chefs de l’armee des Grecs,
estoient de Mycene, vile de Peloponnese,
q̃ l[’]on dit à present la Moree: & de ce trois
ici Dido entend: quand elle dit:

Ie ne suis pas de Thessalique terre,

Dont fut celui qui te liura la guerre:

Außi ne suis de Mycene la grande.


Comme si elle disoit, il n’est ia besoin que
tu me fuyes, ne que tu me portes hayne, car
ie ne suis pas de la race de ceus qui ont fait
guerre contre toy, & contre les Troyens.

Fin de l’Annotacion sur l’Epitre
de Dido à Eneas.

[p. 145] Fac-simile de la page 145 [Bandeau]

PREFACE SVR
L’EPITRE DE HER-
mione à Orestes.

TAntalus fils de la Nymphe Plote & de
Iupiter, engendra de Thaïgete, ou
(comme les autres dient) de Penelope, Nio-
be , & Pelops: De Pelops & Hippodamie, fil-
le du Roy Oenomaus, furent engendrez
Atreus, Thyestes, & Plisthenes, que aucuns
dient estre Atreus mesme: Lequel Plisthenes
(ou Atreus) engẽdra Mega-
laüs de Aeropa: Menelaüs engendra Mega-
penthe d’une captiue de Lydie: & d’Heleine
fille de Tyndarus, il engendra Hermione:
Combien que Duris, de Samo, die en l’expo-
sicion de Lycophron, que Hermione soit fil-
le de Theseus, qui premierement rauit He-
leine. Agamemnon Roy de Mycene eut de
Clytemnestre des fils Alesus & Orestes, &
des filles, Chrysothemis, Laodice, & Electre,
& celle que le Poëte Lucresse apelle Iphia-
nasse . Or Menelaüs allant à la guerre de
Troye, laissa la charge, & gouuernement de
de sa maison à Tyndarus, lequel donna Her-
mione , estant encore bien ieune, en mariage
à Orestes son cousin germain: & laq̃lle aussi
k son [p. 146] Fac-simile de la page 146
son pere Menelaüs, estant au camp deuant
Troye, promit bailler en mariage à Pyrrhus,
fils d’Achilles: non sachant q̃ Tyndarus l’eust
ia donnee en mariage à Orestes. Menelaüs
estant de retour en Sparte, apres la destruc-
cion de Troye, liure Hermione à Pyrrhus,
qui l’emmena en la vile de Phthie, qui est en
Thessalie, ou (comme les aucuns dient) en
Epire. Mais cõme elle haït Pyrrhus, & n’eust
à gré ce second mariage, aymãt Orestes, elle
lui manda qu’il la pourroit facilement deli-
urer des mains de Pyrrhus: dont Ouide ha
pris l’occasion d’escrire cette Epitre au nom
de Hermione. Orestes apres qu’il eut tué sa
mere & Egystus le paillard d’icelle, & qu’il
fut gueri de sa fureur, demouroit en Mycenes
là il eut nouuelles que Pyrrhus estoit allé en
Delphos, pour rendre graces à Apollo de ce
qu’il auoit vẽgé la mort de son pere: Orestes
y alla, & y parfit son entreprise. Car peu de
tẽs apres, cõme lon trouuast Pyrrhus tué, le
cõmun bruit fut q̃ ce auoit esté fait par Ore
stes, à cause q̃ Hermione retourna incõtinẽt
auec lui, & eut de lui des enfans Thisamenes
Corinthus, & Orestes. Orestes mari de Her-
mione , fut Roy de Mycenes, apres la mort
d’Egisthus, par l’espace de quinze ans: &
commença à regner en l’an du monde 2789
auant la natiuité de Iesuchrist 1173.

[p. 147] Fac-simile de la page 147 [Bandeau]

TRADVCCION
DE LA VIII. EPITRE
D’OVIDE.
*
Hermione escrit à Orestes.

PYrrhus le fils d’Achilles renommé,

Et pourtant fier, tient mon corps enfermé

Contre l’honneur, le droit, & la raison:

I’ay regretté ce lien de prison

5

Tant que i’ay pù, pour n’estre en tel effort:

Mon bras de femme au reste n’est pas fort.

Las, que fais tu, ô Pyrrhus? i’ay crié:

Mon corps sera du lien deslié:

Ie ne suis pas sans homme qui me venge:

10

I’ay un signeur dessous qui ie me renge.

Lui trop plus sourd que la mer en tourment,

Quand ie criois, Orestes, hautement,

Par les cheueus m’alloit treinnant chez lui.

Qu’eusse ie plus de malheur & d’ennui,

15

Si Sparte estant par bataille conquise,

Ie fusse prinse, & en seruage mise?

Si l’ennemi barbare, & fiert auecques

Mizitre.

Venoit rauir les ieunes dames Grecques?

Andromaché ne fut tant malmenee,

20

Quand Troye fut par feu Grec ruïnee,


k [2] Mais [p. 148] Fac-simile de la page 148 HERMIONE A ORESTES.

Mais si tu as enuers moy quelque amour,

O Orestes, fay moy donc ce bon tour

De me venir recouurer vaillamment,

Qui par droit suis tienne premierement.

25

Or respon moy, si ton betail compris

Compa-
raison.

En ton étable, estoit robé, & pris

Voudrois tu pas auec puissantes armes

Pour le r’auoir mouuoir guerre, & alarmes?

Mais pour ta femme emmenee, & rauie,

30

Seras couard, & creintif de ta vie?


Soit ton beau pere en exemple, & miroir

Qui batailla pour sa femme r’auoir,

Et iustement meut guerre à l’ennemi.

S’il eust esté comme toy endormi,

Helene. 35

Auec Paris seroit encor ma mere.

Comme elle fut auant la guerre amere.

Ia ne te faut des grans voiles dresser,

Ni assembler les Grecques bendes toutes,

Vien seulement, rien ne faut que tu doutes.

40

Ce nonobstant en ce point & par guerre,

Tu me deurois recouurer, & conquerre.

Car ce n’est chose en un espous blamee,

De conquerir sa femme bien aymee.

Atreus.

Quoy? nous auons un mesme ayeul tous deus:

45

Quand mon espous ne seroit tu ne peus

Nier que sois mon vray cousin germain.

Comme espous donq vien par ta forte main

Donner [p. 149] Fac-simile de la page A ORESTES. 149

Donner secours à ton espouse ici:

Comme cousin à ta cousine außi.

50

C’et double point qui te doit esmouuoir

Pour la raison, à faire ton deuoir.


Tindareus, venerable homme, & sage,

(Tant pour ses meurs, comme à cause de l’aage)

M’a deliuree, & mariee à toy:

Maternel. 55

Lui, mon ayeul, eut puissance sur moy:

Mais puis apres mon pere m’a promise

A ce Pyrrhus, qui me tient de main mise:

Et si estoit mon pere ignorant lors

Qu’ußions desia promesses, & accords.

Tynda-
reus .
60

Mon ayeul donc, qui d’origine, & race

Est le premier, soit premier d’eficace.

Il est tout seur que quand ie t’epousois,

En ce faisant à nul ie ne suisois:

Et meintenant si femme à Pyrrhus suis,

65

En ce faisans ie t’ofense, & te nuis.


Mene-
laüs .

Si croy ie bien mon pere excusera

La notre amour, & le deuoir fera:

Car autrefois il sentit bien les flesches

d’Amour.

Du Dieu volant, qui en son cœur fit bresches:

70

La forte amour, iusques aus armes prendre,

Qu’il s’est permis, permettra en son gendre.

De cest exemple il faudra que tu t’armes

Qu’il ha ma mere aymee iusqu’aus armes.

Tel est vers moy que mon pere à ma mere:

75

Tel est Pyrrhus que Paris l’adultere

k 3 Hoste [p. 150] Fac-simile de la page 140 [sic pour 150] HERMIONE

Hoste estranger, qui chez nous poursuiuit

Ma mere Heleine, & en fin la rauit.


Quoy que Pyrrhus s’aille vantant sans cesse

Pour les hauts faits, & la grande prouësse

80

Du capiteine Achilles, pere sien:

Vanter te peus außi des faits du tien,

Le chef de tous, qui ordre à tout mettoit:

Et dessous qui l’Achilles mesme estoit.

Lui estoit Duc, ton pere chef des Ducs:

85

Ton grand ayeul Pelops, puis Tantalus.

Fils Iupiter: si tu as bien nombre,

De Iupiter es cinquieme en degré.

Puis tu n’es pas sans force belliqueuse:

Mais ta vaillance est un peu odieuse,

90

Qui as porté armes contre ta mere,

Laquelle auoit trahi de mort ton pere.

Et quel moyen en cela aurois tu?

Ie voudrois bien que ta force, & vertu

En autre lieu meilleur se fust montree:

95

L’ocasion n’as quise, ains rencontree.

Or l’as tu donq mise à chef, & parfaite:

Car Egysthus, dont tu fis la deffaite,

Ensanglanta la maison voirement,

Comme ton pere auoit premierement.


100

Pyrrhus m’escrie, & ton loz tourne en blame,

Et ce pendant me veut tenir à femme,

Et me permet le regarder en face.

Le cœur me creue, & l’ire me defface,

Et [p. 151] Fac-simile de la page A ORESTES. [1]51

Et m’enfle toute en indignacion

105

Pleine d’aigreur, & d’inflammacion.


Quelcun deuant Hermione, par ire

O sera il d’Orestes du mal dire?

Ce tems pendant ie n’ay aucune force,

Mais de pleurer seulement il m’est force:

110

Et par mes pleurs außi, certeinement,

I’ay de mon ire aucun allegement,

L’eau de mes yeus dessus mon sein s’écoule

Comme un ruisseau, ou un fleuue qui coule:

Ie n’ay que pleurs, de pleurs ma face est pleine,

115

Sans cesse issans comme d’une fonteine.


Mais cela est l’arrest, & destinee

A laquelle est notre race ordonnee:

Lequel arrest, & facheuse ordonnance

Iusques à moy court sus, & fait nuisance.

120

Nous toutes (las) de Tantalus extraites,

D’efforcemens sommes bien trop sugettes.

Ie n’ecriray du Cigne mensonger,

Ne me plaindray pour Iuppiter charger,

Qui fut caché dessouz plume d’oiseau:

125

Mais ie diray que sur un char nouueau,

Et estranger, fut menee, & rauie

Celle qu’on dit la belle Hippodamie:

Au lieu ou est un col de terre grand

(Quon dit Isthmos) deus mers loin separant:

130

Et puis Castor & Pollux bataillerent

Heleine.

Tant que leur seur d’Athenes ramenerent

k 4 La [p. 152] Fac-simile de la page 152 HERMIONE

La belle Heleine: Heleine encor fut prise

Paris.

Du Troyen hoste, & dessus la mer mise.

Pour la rauoir depuis se mit en voye

135

L’armee Grecque, allant contre la Troye.

Certes à peine en memoire ie porte:

Mais m’en souuient encore en quelque sorte,

Tout fut rempli de trouble, & pleurs ameres:

L’ayeul pleuroit, la seur, les gemeaus freres:

140

Leda prioit d’afeccion extreme

Trestous les Dieus, & son Iupiter mesme.

Lors mes cheueus encor cours, arrachant

(Car i’estois ieune) & bien fort me fachant,

Criois (helas toute pleine d’esmoy)

145

Sans moy, ma mere, ah, t’en vas tu sans moy?

(Car son mari alors n’y estoit point)

Or à fin donc qu’on ne doute en nul poinct

Que de Pelops soye extraite à malheur,

Pyrrhus.

Ie suis en proye au nouueau conquereur.

150

Que plust aus Dieus qu’Achilles regretté,

Eust le dur trait d’Apollo euité:

Cela est seur que de son fils le pere

Reprouueroit ce tort & vitupere:

Car autrefois il n’ut à gré tel cas,

155

(Et maintenant encor n’auroit il pas)

De voir lépoux pour son épouse en peine

Qu’on emmenoit par surprise soudeine:

Hermio-
ne .

Et à present außi ne lui plairoit

Qu’à Orestes sa femme on tolliroit.


Qu’áyie [p. 153] Fac-simile de la page A ORESTES. 153 160

Qu’áyie forfait d’auoir les dieus cóntraires?

Quel malin astre empesche mes afaires?

Premier ie fus sans ma mere en bas aage:

Mon pere estoit en guerre en equipage:

Tous deus viuoient, quãd sans tous deus i’estoye.

165

Ie ne t’ay point (ô ma mere, & ma ioye)

Entretenue en mon petit babil,

Et à ton col n’ay mis mes petis bras,

Comme enfans font aus mere, pour esbas.

Ie n’ay esté en ton giron, ma mere,

170

Comme une charge & plaisante & legere.

Tu n’as point en [sic pour eu] le soin de me parer,

Ny de mon lit nuptial preparer,

Quand ie fus mise en mon nouueau mesnage.

A ton retour m’en allay au riuage

175

Au deuant toy, mais tu dois certeine estre

Que ie n’y pù ma mere reconnoitre:

Si pensois bien que tu fusses Heleine,

Quand te voyois de si grand beauté pleine.

Tu demandois laquelle estoit ta fille.

180

Tant seulement ce bien, pour des maus mile,

M’es auenu, qu’Orestes m’est espous,

Qui toutefois sans le hazart des coups,

Et si pour soy ne combat, m’est tollu.

Pyrrhus me tient, lequel ie n’ay voulu,

k 5 Es [p. 154] Fac-simile de la page 154 HERMIONE 185

Et qui ha bien trop audacieus cœur,

Mene-
laüs .

Quand mon pere est de retour, & veinqueur.

Voila le bien que la Troye destruite

M’a apporté, que serue suis reduite.


Quand toutefois du Soleil les cheuaus

190

Resplendissans, sont montez aus lieus hauts,

Ou ils vous l’ont charié & tiré,

Lors n’est mon cœur tant triste & martiré:

Mais quand la nuict en chambre m’a recluse,

Vrlant, pleingnant, & de douleur confuse,

195

Et quand au lict malheureus ie me couche,

Alors au lieu de dormir sur ma couche,

Mes yeus ne font office que de pleurs

Toute la nuict: & entre mes douleurs

Ce mien espous ie fui tant que ie puis.

200

Comme ennemi auec lequel ie suis.


En tant de maus souuent perds connoissance:

Et lors, par fois, n’ayant plus souuenance

Des gens & lieus, ce Pyrrhus cy ie touche,

Puis tout soudein me retire en la couche

205

Au loin de lui, connoissant qu’ay forfait,

Et pense auoir mes bras souillez de fait.


Assez souuent, cuidant Pyrrhus nommer

Ie nomme Oreste, & puis ie vien aymer

Ce changement, & faute en mon langage,

210

En la prenant ainsi qu’un bon presage.


Or ie te iure, en cœur bien douloureus,

Par mon lignage en ce point malheureus,

Et [p. 155] Fac-simile de la page A ORESTES. 155

Et par le chef du lignage, qui tonne, Iuppiter.

Qui terre & mer, & son Ciel mesme estonne,

215

Et par les os de ton pere, oncle mien,

Certeinement qui te doiuent ce bien

Qu’ils sont vengez par ta main vaillamment,

Et au tombeau en repos doucement:

Ou ie mourray auant cours de nature,

220

Ou ie, qui suis de la progeniture

De Tantalus, seray bien tot, sans plus,

Femme de toy, extrait de Tantalus.


Fin de l’epitre de Hermione
à Orestes.

ANNOTACIONS
sur l’epitre de Hermione
à Orestes.

PYrrhus le fils d’Achilles renommé,


Ie n’ay esté d’auis de tourner ces deus vers
qui s’enuiuent, & qui se [lisent] en d’aucuns
liures Latins, comme superscription.

Alloquor Hermione nuper fratremq; uirumq;

Nunc fratrem, nomen coniugis alter habet.


Soit ton beau pere en exemple & miroir,

Qui batailla pour sa femme r’auoir,


Le Poëte entẽd de Menelaüs, oncle paternel
d’Orest [p. 156] Fac-simile de la page 156
d’Orestes, qui lui estoit aussi sõ Sire, ou beau-
pere, parce ce q̃ Orestes estoit espous de sa fille.

Quoy? nous auons un mesme ayeul tous deus:

Quand mon espous ne seroit tu ne peus

Nier que sois mon vray cousin germain.


Le Poëte entẽd Atreus pere de Menelaüs,
& pourtant ayeul paternel de Hermione: &
aussi pere d’Agamemnon, qui engẽdra Ore-
stes , & pourtãt aussi ayeul paternel d’Orestes.

Ton grand ayeul Pelops, puis Tantalus.

Fils Iupiter: si tu as bien nombre,

De Iupiter es cinquieme en degré.


La raison est, car Iupiter engẽdra Tantalus,
& Tantalus Pelops, Pelops Atreus, Atreus
Agamemnon, & Agamemnon Orestes.

Comme espous donq vien par ta forte main

Donner secours à ton espouse ici:

Comme cousin à ta cousine außi:


Le Latin porte,
Frater succure sorori:

Qui vaut à dire, frere donne secours à ta
seur: en quoy le Poëte abusiuemẽt prẽd le nõ
de frere & seur pour cousin & cousine car il
est certein que Hermione et Orestes estoiẽt
enfans des deus freres, à sauoir que Menelaüs
& Agamemnon: cõme aussi les Iuifs apeloiẽt
freres & seurs tous ceus qui estoient d’une
mesme ligne, en quelque degré que ce fust.

Qui [p. 157] Fac-simile de la page 157

Qui as porté armes contre ta mere,

Laquelle auoit trahi de mort ton pere.


Orestes tua Clytẽnestre, auec Egysthus son
paillard, qui auoiẽt tué son pere Agamemnõ.

Ie ne diray du Cigne mensonger,

Ne me plaindray pour Iuppiter charger.


Iupiter esprins d’amour de Leda femme de
Tyndarus, & mere d’Heleine, se mua en Ci-
gne, & vint pondre en son giron deus eufs,
de l’un desquels ilssirent Castor & Pollux, &
de l’autre Heleine & Clytemnestre.

Mais ie diray que sur un char nouueau,

Et estranger, fut menee, & rauie

Hors son païs la belle Hippodamie.


Hippodamie fille d’un roy d’Arcadie qui est
en Pelopõnese, à present la Moree, fut rauie
par Pelops, ayeul de Menelaüs, & menee au
char dudit Pelops par la trahisõ de Myrtilus.

Au lieu ou est un col de terre grand

(Quon dit Isthmos) deus mers loin separant:


Toute la terre est diuisee en quatre parties:
Premierement en terre ferme, qui se touche
& tient sans estre diuisee grandemẽt de mer
ou de fleuues: puis en Isle, qui est terre tota-
lement diuisee par la mer ou par fleuues:
Puis en terre quasi Isle, autrement dite Cher-
sonesus, qui est terre en long & large assez
espandue en la mer, mais toutefois tenant à
terre [p. 158] Fac-simile de la page terre ferme. Puis y a Isthmos, qui est un
col de terre tenant à deus mers: son contraire est
apellé en Latin Fretum, & Porthmus: qui est un bras
de mer estroit entre deus grandes terres fer-
mes. Cetui Isthmos dont Ouide parle, est en
Achaïe, qui depuis ha esté dite Peloponnese,
à cause de Pelops qui y regna, & à present la
Moree: & ledit Isthmos separe la vile de Co-
rynthe d’auec celle de Megare, entre les-
quelles y auoit un temple dedié à Neptune.

Et puis Castor & Pollux bataillerent

Tant que leur seur d’Athenes ramenerent.


Heleine seur de Castor & Pollux, fut pre-
mieremẽt rauie aus ioutes, ou luites par The
seus, & menee en Athenes. Puis ses freres l’al
lerent conquerir, & amenerent auec elle
Ethra, mere de Theseus. Depuis fut encor
icelle mesme Helene rauie par Paris, & me-
nee à Troye.

Que plust aus Dieus qu’Achilles regretté,

Eust le dur trait d’Apollo euité.


Paris delacha son arc contre Achilles, & le
tua par le pied au temple d’Apollo: pour tant
le Poëte appelle le trait d’Apollo: ou il veut
dire qu’Apollo fauorisoit à Paris.

Fin de l’annotacion de la
huitieme epitre.

[p. 159] Fac-simile de la page 159 [Bandeau]

PREFACE SVR
L’EPITRE DE DEIA-
NIRE A HER-
CVLES .
*

DIodore ne veut afferme (ce semble)
qu’il y ayt eu plus de trois Hercules,
mais ceus qui ont bien cherché & lù, ont
trouué qu’il y en a eu si: dond le cinquie-
me est Indien, qui est nommé Belus: le sixie-
me est filz d’Alcmene, & de Iupiter, tiers de
ce nom, auquel Hercules sixieme sont attri-
buez les faits des autres. Et fut engendré en
cette sorte. Iupiter se transforma en guise
d’Amphitryon, mari d’Alcmene, & ce pen-
dant que le mari estoit en guerre, coucha
auec icelle Alcmene l’espace d’une nuit, qu’il
fit furer autãt que trois, pour en auoir meil-
leur iouissance: elle pensoit que ce fust son
mari qui fust retourné de la guerre pour l’ẽ-
bracer. En cete nuit là fut engendré Hercu-
les , lequel par Eurystheus Roy de Mycenes,
fut enuoyé contre les monstres, & à toutes
choses fortes, & dificiles à faire. Ce que Eu-
rystheus faisoit en faueur, & par la finesse de
Iuno, à fin que Hercules mourust. Car Iuno
le [p. 160] Fac-simile de la page 160
le hayoit comme engendré de son mari en
une autre femme: & pource lui enuoya les
serpens quand il estoit petit enfant au ber-
ceau, lesquels il etrangla. Et en tout & par
tout fut victorieus contre les monstres, mais
non pas contre les femmes, desquelles il fut
veincu trop vileinement. Car apres qu’il eut
veincu les monstres & surmõté tous les tra-
uaus qui lui estoient commandez par Eury-
stheus , il demoura cinq ans en un mõt d’ Ar-
cadie : puis delaissant Megare fille de Creon
roy de Thebes, laquelle il auoit espousee, vint
demander en mariage Yole fille de Euryte
roy d’Echalie: & quand elle lui fut refusee,
s’en alla en Etolie, ou il print à femme Deïa-
nire , fille d’Oeneus, Roy de Calydon, & de la
Royne Althee, Meleager estant ia trespassé.
Mais trois ans apres s’en alla hors de Calydõ
de facherie d’auoir tué d’un coup de poing
Eurynõ, ieune enfant son seruiteur: & mena
auec lui sa femme Deianire, & son petit fils
Hyllus, qu’il auoit eu d’elle. Puis quand il fut
venu au fleuue Euenus, trouua Nessus le cẽ-
taure qui passoit les gens pour argent, lequel,
quãd il eut porté Deianire & passee outre le
fleuue, la voulut forcer: mais elle cria, & re-
quit l’ayde de son mari Hercules: qui estoit
en l’autre riuuage: lors Hercules le trauersa
de sa [p. 161] Fac-simile de la page 161
de sa sagette. Or Nessus sentant blessé à
mort, & se voulant finemẽt venger proomit à
Deianire de lui bailler une recepte pour fai
re que Hercules m’aymeroit iamais autre
femme qu’elle. Si lui dist, & enseigna qu’elle
baignast en huile, & en son sang qui decou-
loit de sa plaie, la chemise d’Hercules, & que
s’il la vétoit ainsi, iamais n’aymeroit autre
femme. Hercules, puis apres se souuenant
du refus que Euryte lui auoit fait de sa fille
Yole, & s’en voulant vẽger, vint aire guerre
contre les enfans d’Euryte, qui estoient To-
xeus , Milio, & Pithius: & auec l’ayde des
Archadiens, qui l’auoient acompagné au
partir du mont Pheneus, print d’assaut la
vile d’Echalie: tua les fils de Euryte, &
rauit Yole leur seur. De l’amour de la-
quelle il fut tant espris & abusé, qu’il endu-
ra sous elle toutes les choses qu’il auoit pre-
mierement enduree sous Omphale, Royne de
Lydie, & mena Yole captiue de l’isle Eu-
boe , à present Negrepont, au mont Ceneus,
pour sacrifier aus Dieus pour la victoire. Et
enuoya secretement Lychas son seruiteur do
mestique vers Deianire, qui estoit en la vile
de Trachine, à fin qu’elle lui baillast l’ha-
bit (soit surpli ou chemise, ou d’autre sorte)
duquel il auoit acoutumé se vétir quand
l il fai [p. 162] Fac-simile de la page il faisoit sacrifice. Mais Deianire, ayant su
q̃ son mari Hercules portoit amitié à Yole,
& desirant estre la premiere, & principale
en son amour, bailla au messager ledit habit
qu’elle auoit trempé en huile, & sang de
Nessus le Centaure, qui lui auoit donné ce
conseil, & Lychas le messager de ce n’en sa-
ouit rien: qui porta l’habit à Hercules, lequel
il vetit: & incontinent apres le poison entra
petit a petit dens son corps, & le tourmenta
à merueilles. Cela fut en l’an cinquantedeu-
zieme de son aage. Ainsi surpris de rage &
de fureur, getta en la mer le poure Lychas
ignorant du cas: & enuoya Lycimnius &
Iolaüs en Delphos vers Apollo, pour auoir
quelque remede à ce tourment: l’Oracle
commanda qu’on batist une haute tour de
bois au mont Oita, & du reste que Iupiter y
pouruoiroit. Iolaüs & ses gens firent le com-
mandement d’Apollo, se doutans de ce qui
auiendroit. Hercules en desespoir monta en
la tour, & le seul Philoctetes en reconnois-
sance des sagettes q̃ Hercules lui auoit don-
nees, y mit le feu: & incontinent la foudre
descendit tout à l’enuiron, qui brula la tour.
Iolaüs et Philoctetes venas puis apres pour
cueillir les os, n’en trouuerent point. lors
penserent, & creurent que Hercules estoit
transp [p. 163] Fac-simile de la page 163
transporté aus cieus. Iuno, à la requeste &
priere de Iupiter, monta sur son lict, & pro-
duisit Hercules tout vetu cõme si elle l’eust
enfanté. Ce que les nacions barbares ont
estimé qu’elle faisoit pour le faire son filz
adoptif: & lui donna Hebe, sa fille, en ma-
riage. Menetius fils de Actor fit premier sa-
crifice à Hercules d’un taureau, cheureau,
& belier. Mais pour retourner au propos,
Deianire ayant sù le tourmẽt en quoy estoit
son mari Hercules, pour l’habit empoisonné
qu’elle lui auoit enuoyé, lui escrit cette epi-
tre: remontrant premierement le tort qu’il
lui ha fait, & puis apres declarant son inno-
cence. Les compleintes & regrets sont repe-
tez souuent, comme de celle qui delibere de
se pendre. La fin fut telle que de grand dou-
leur & regret du tourment de son mari, pro-
cedant de par elle (toutefois innocente) elle
se pendit (cõme Diodore ha escrit) mesme
deuant que Hercules fut mort. Et Hyllus,
son fils, print Yole à femme apres la mort
de son pere, & par son commandement: puis
eut des enfans d’elle. Ceci est amplement
descrit par le Poëte au neuuieme liure de la
Metamorphose, & comment Hercules fut
deïfié: ce que ie ne recite, pour cause de
brieueté.

[p. 164] Fac-simile de la page
164 [Bandeau]

TRADVCCION
DE LA IX. EPITRE
D’OVIDE.
*
Deianire escrit à Hercules.

[Figure] La vile ou
regnoit
Euryte.

IOyeuse suis qu’Echalie veincue

A notre honneur, entre autres, est venue:

Mais ie me pleins que cil qui la conquit

Se laisse veincre à femme qu’il veinquit.


5

Vn bruit soudein ha couru par la Grece,

Qui est infame, & contre ta prouësse:

Hercules.

Que cil lequel Iuno, ne mile maus

Veincre n’ont pù par infinis trauaus:

Yole l’a dessouz le ioug rengé.

Eurist [p. 165] Fac-simile de la page 10

Eurystheus est ainsi de toy vengé,

Qui ne peut mieus que cela souhaiter:

Iuno.

Pareillement la seur de Iuppiter,

Maratre tienne, en doit faire grand feste,

De voir en toy ce vice deshonneste.


15

Tu ne fais pas, qu’ores sois aperçu

Estre le grand, qui pour estre conçu,

N’eut grande assez une seule nuict (voire

Si c’est un cas que lon doiue bien croire.)

Certes Venus plus que Iuno t’a nuit:

Iuno. 20

Car cette ci te chargeant iour & nuict

De mil trauaus, t’esleue en grande estime:

Venus.

L’autre t’abbat, & sous ses piedz t’oprime.


Auise un peu de toutes parts la terre

Que la mer bluë euironne & enserre,

25

Paix vient de toy, qui en terre est logee:

Toute la mer est à toy obligee.

De tes biensfaits, & vertus acomplies,

Les deux maisons du soleil as remplies.

Le ciel, lequel apres ce monde ci

30

Te portera, tu as porté außi.

Hercules fort d’espaules, & de bras,

Astres, & ciel soutint apres Atlas.


Qu’as tu gaigné sinon faire connoitre

Ton deshonneur, & par tout aparoitre,

35

Si tu conioints ta paillardise infame

Aus premiers faits, plein de loz, & de fame?

N’est ce pas toy qu’on dit auoir bien fort

l 3 Dens [p. 166] Fac-simile de la page 166 DEIANIRE

Dens ton berceau pressez iusqu’à la mort

Les deux serpens? chose grande, & insine,

40

Ia te montrant de Iuppiter filz dine.

Tu commenças trop mieus que tu n’acheues.

Les premiers faits, dond en loz tu t’esleues,

Estoient plus grans que ne sont les derniers:

Les derniers sont moindres que les premiers,

45

Qui t’esleuoient en honneur trionfant:

Cet homme est bien autre que lui enfant.

Celui lequel meinte beste cruelle,

Iuno deesse ennemie mortelle,

Ni Eurysteus Roy plein de malueillance,

50

Rendre veincu, dont ils sont pleins de honte,

Le seul amour meintenant le surmonte.


Obiecciõ.

Mais on me dit que suis bien renommee,

Quand d’Hercules ie suis femme nommee:

Iupiter.

Qui pour beau pere ay cil qui là sus tonne

55

Par ses cheuaus, ausquelz la course il donne.


Comme les beufs diuers de taille ou d’aage,

Ne font bien ioints ensemble au labourage,

Ainsi la femme est mal appariee,

A un mari plus hautein mariee.

60

Ce n’est honneur que l’estat ou noblesse,

Mais c’est labeur, quand elle charge & blesse

Celui qui vient s’y ioindre, & atacher.

Quelconque femme appete de chercher

Vn bon parti, qu’elle son pareil quiere.

Mon [p. 167] Fac-simile de la page A HERCVLES. 167 65

Mon mari est tousiours de moy arriere:

Ie connoy mieus l’estranger qu’on rencontre,

Que mon mari qui bataille alencontre

Des monstres forts, & des horribles bestes.


Moy poure vesue en prieres honnestes

70

Dens ma maison toute seule adonnee,

Suis en grand peine, & tousiours malmenee

De pensemns que mon mari ne meure

Par monstres forts, qu’il poursuit à toute heure.

Entre Lions, qui quierent à repaitre,

75

Entre Sangliers & Serpens ie pense estre:

Ie voy les chiens acharnez dessus lui,

Meint songe vein me trouble, & donne ennui,

Foye & poulmon qu’es bestes on regarde,

Et tout cela ou de nuict lon prend garde.


80

Moy malheureuse enquier de tout le monde

Quel bruit de toy y court tout à la ronde:

De toy ne puis sauoir rien de certein:

Doute est chaßé par l’espoir incertein,

Et puis l’espoir est chaßé par le doute.

85

Nul n’est ici de ta parenté toute:

Ta mere est loin, laquelle est desplaisante

Qu’à Iuppiter elle fut onq plaisante.

Amphitryon ton pere, n’est ici

Hyllus.

Auecques moy, ni notre fils außi.

90

Eurstheus seul ie sens en moy sans cesse,

L’executeur du tort de la deesse,

Et de son ire inique encontre toy,

l 4 Et [p. 168] Fac-simile de la page 168 DEIANIRE

Et laquelle ire est trop longue pour moy.


Or ce m’est peu que tout cela ie porte,

95

Mais loin de moy ton amour se transporte,

O Hercules, & peult chacune femme

Estre de toy enceinte par diffame.

Ie ne vueil point ici dire comment

Augé tu pris auec efforcement,

100

Dedens un val qui est en Archadie,

Ni qu’engrossas la Nymphe Astydamie,

Ni acuser tes impudiques meurs

D’auoir forcé cinquante filles seurs,

Sans qu’une seul ait esté delaissee

105

Qui de par toy n’ait esté embrassee:

Mais seulement, pour ton forfait recent,

D’un cas bien laid, & à toy non decent,

Omphale.

D’une putein faut que ie parle & die,

Dont suis maratre à Lamus de Lydie.


110

Meandre fleuue, en une mesme terre

Qui vire fort (l’eau ne prend droit son erre

Aint bien souuent la reçoit & repoulse)

A veu orné en femme molle, & douce

Hercules fort: son col, qui les hauts cieus

115

Trouua legers, eut carquan precieus:

Et d’enchainer il n’a eu honte encor

Ses puissans bras auec bracelets d’or,

Ni de parer ses membres vertueus

De diamans, & rubis somptueus,

120

Et autrefois fut sous ces puissans bras

Le [p. 169] Fac-simile de la page A HERCVLES. 169

Le fort Lion de Nemee mis bas:

La peau duquel cil qui en fut le maitre

Porte sur soy à son coté senestre.

Tu as osé ta perruque aspre & forte,

125

D’un ruben peint lier tout en la sorte

Que fille ou femme: Or auec blanc Peuplier

Conuenoit mieus à toy de la lier.

Nulle honte as d’auoir en ta luxure

Ceint le tien corps d’impuqieu ceinture

130

A la façon d’une femme eshontee:


A ton esprit ne s’est representee

Aucunement, la personne, ou figure

Diomedes
Roy de
Thrace.

Du fauz tyran, plein de cruauté dure,

Qui fit manger les gens à ses cheuaus:

135

En cet habit, auquel tant peu tu vaus,

Si Busiris t’eust vù, n’en eut fait conte:

De toy veinqueur lui veincu eust eu honte.

Et Anteüs les rubens de ton col

Arracheroit, pour souz tel homme mol,

140

Et femenin, ne demourer soumis

En deshonneur, & estre à la mort mis.


On dit de toy qu’entre Ioniques filles,

Portes panier, & qu’entre elles tu files,

Creingnant, ainsi qu’une simple chambriere,

145

D’estre batu de ta maitresse fiere.

O Hercules, n’as tu point de vergoingne

De ta main mettre à si basse besongne,

Qui autrefois par tes faits tant notoires

l 5 Fut [p. 170] Fac-simile de la page 170 DEIANIRE

Fut apliquee à si hautes victoires?

150

De ton gros doigt, qui est fort & robuste,

Tu vas filant, & rens conte au pois iuste

De ta fusee au pris de ta filace

A ta maitresse ayant beauté de face.

Ha quant fuseaus, qu’en filant tu tordois,

155

Tu as rompus de tes gros & forts doigs?


On dit de toy, malheureus hebeté,

Que trop creignant d’estre bien fouëté

De ta maitresse, as tremblé à ses pieds.

Toy desarmé tes faits tant publiez

160

Lui racontas, que taire tu deuois:

C’estasauoir qu’estranglé tu auois

Les serpẽs

Les longs Serpens, lesquelz en ton enfance

Entre tes mains pressas à grand puissance,

Quãd de leur queuë ils faisoiẽt des tours maints

165

Tout alentour de tes petites mains.


Tu racontas que git mort puis apres

En Erymanthe, ou croissent les Cypres,

Le grand
Sanglier.

Le grand Sanglier, dont la pesante charge,

Fache la terre, & trop la presse, & charge.


Diomed. 170

Diomedes außi tu n’as point tù,

Duquel la teste au croc de fer pointu

Tu as plantee en sa maison de Thrace:

Ni ses cheuaus, & meinte iument grasse

De l’humain sang, tu n’as tù außi bien:


175

Ni Gerion, Gerion. triple monstre, combien

Que tous les trois faisoient un corps unique,

Ger [p. 171] Fac-simile de la page A HERCVLES. 171

Gerion riche en betail Hispanique:

Cerberus.

Ni Cerberus, la tres horrible beste,

Qui en un corps eut außi triple teste,

180

Auec serpens en son col enlassez,

Qui de siffler n’estoient iamais lassez.


l’Idre, ser-
pẽt à cens
testes.

Ni le serpent taire tu n’as voulu

Qui de son damp, & perte ha mieus valu:

Car en perdant une teste abatue

185

Deus lui venoient pour la teste perdue:


Anteus.

Ne cil lequel, perdant terre, & son estre,

Tu suffoquas entre ton bras senestre

Et ton bras droit, grand Geant pesant & fort,

Qui te sentit encor estre plus fort.

Les Cen-
taures.
190

Puis tu n’as tù les Centaures diformes,

Mal se fiant en leurs corps de deus formes,

Et en leurs piedz: dont la troupe orde, & sale

Tu dechassas hors des monts de Thessale.


Peus tu conter, ces hauts faits de vertu,

195

Toy delicat d’escarlate vétu?

Et ne veut point ta langue honnestement

Se retenir pour ton mol vétement?

Mais, qui plus est, ta dame trop aymee

S’est deuant toy de ton armure armee,

200

Et ha porté cette belle despouille

De son captif, qui en l’amour se fouille.


Ironie.

Or meintenant sois fier, & haut de cœur,

Va raconter les faits de toy veinqueur.

Ce qu’à bon droit tu ne serois, en somme,

Certe [p. 172] Fac-simile de la page 172 DEIANIRE Omphale. 205

Certeinement elle se montra homme:

A laquelle est inferieur d’autant

Que ton haut cœur, lequel eut de loz tant,

C’estoit bien plus à toy de surmonter

Que monstres forts que tu as pu donter.

210

A elle vient de tous tes faits l’honneur:

Sors de tes biens: le fruit & le bon heur

Ta dame prend de toute ta louenge.


O deshonneur, & vilein cas estrange!

Omphale.

Sur son coté ta dame ha atachée

215

La dure peau du Lion arrachee

Tu es deçu, sans entendre cela,

Du Lion n’est cette despouille là,

Mais c’est la tienne, &, à ce que ie voy,

Le fort Lion, veinquis, & elle toy.


De l’Hy-
dre.
220

Les traits plongez dans le sang du serpent

La femme porte, & son coté pend,

Qui sa quenoille, estant chargee, & pleine,

Ne peult porter quasi que bien à peine:

Et est sa main de la massue armee,

225

Qui ha souuent meinte beste assommee:

Et si ha vù, & ha fait aparoir

De son mari les harnois au miroir.


Ces cas i’auois ouï tant seulement,

Et pouuois bien ne croire entierement

230

Tout ce bruit là, qui de bien loin prouient:

Mais de l’oreille à l’œil mon mal s’en vient,

Et ma douleur trop facheuse, & amere:

Lon [p. 173] Fac-simile de la page A HERCVLES. 137 [sic pour 173] Yole.

Lon me fait voir la paillarde étrangere,

Que lon m’ameine ici deuant mes yeus:

235

Et ie ne puis un cas tant odieus

Dißimuler, ni ma douleur tresforte:

Tu me permets encor qu’on la transporte:

Meintenant vient, & deuant tous arriue

Yole.

(Qu’il me faut voir mal gré moy) la captiue:

240

Et ne vient point en triste estat, ainsi

Comme captifs, pleins de dueil, & souci,

De leur fortune aportans témoignage,

En abaissant, & cachant leur visage.

Elle se marche esleuee, & pompeuse,

245

Luisante en or, & robbe precieuse.

En tel estat comme tu mesmement

Fus en Phrygie orné trop mollement:

Son œil hautein sur le peuple elle gette,

Non pas ainsi que captiue, ou sugette,

250

Mais comme dame en son trionfe heureuse:

On penseroit qu’elle est victorieuse

D’Hercules preus, & mieus ne pourroit estre

Si son païs, & pere estoient en estre.

Parauenture außi que Deianire

255

Sera laissee, & dechassee en ire

Par Hercules, & cette amie infame

Ne sera plus s’amie, mais sa femme.

Hymen, qui est le Dieu de mariage,

Conioindra donq par un trop laid usage

260

Les corps vilains de l’Eurytide Yole

Et [p. 174] Fac-simile de la page 174 DEIANIRE

Et d’Hercules, plein de pensee fole.


Ie pers l’esprit touchant ce pensement:

Dessous moy court froideur, & tremblement,

Et puis ma main paresseuse, & pesante,

265

En mon giron repose languissante.

Entre plusieurs certes tu m’as aymee,

Mais par honneur, & bonne renommee:

Ne te repens de m’aymer par vertu,

Tu as pour moy par deus fois combatu.

Pachico-
lam .
270

Acheloüs cueillit sa corne route,

Dens son eau roide, en pleurant, puis en doute

Cacha dedens sa teste bien frotee.

Et de sn sang cheualin l’eau gáta

Lors que ton trait venimeus le tua.


275

Mais que me sert ainsi mettre en auant

Tous ces propos? puis, qu’en te rescriuant

Le bruit accourt, qu’en trop mortelle peine

Est mon mari par la poison vileine

De la chemise enuoyee par moy?


280

Ha, qu’áy ie fait? & iusqu’à quel esinoy,

Iusqu’à quel point m’a reduite, & rengee

L’amour ialouze à tout malheur forgee?

Que doutes tu cruelle Deianire

Presentement la dure more eslire?


285

Le tien espous mourra il en tourment

Au mont Oita, tresmiserablement:

Et tu viuras toy cause du malheur,

Lui [p. 175] Fac-simile de la page A HERCVLES. 175

Lui estant mort en tresápre douleur?

Et puis quel porte onques témoignage

290

Qu’à Hercules suis iointe en mariage?

Le témoignage en sera par ma mort.


Regrets de
Deianire.

O Meleagre, O mon frere ia mort,

Tu connoitras assez tot, pour le seur,

Que par ma mort außi ie suis ta seur.


295

Que doutes tu cruelle Deianire

Presentement la dure mort eslire?


O! ma maison malheureuse, & ma race,

Haut esleuee, & puis par malheur basse!

Oeneus.

De ses enfans mon pere est delaißé,

300

Et de vieillesse il est ia tout caßé.

Tydeus mon frere hors son païs errant,

S’en va bien loin terre estrange querant.

Meleagre.

L’autre fut vif auec feu fatal né:

Althee.

Ma mere s’est le coup morel donné.


305

Que doutes tu cruelle Deianire

Presentement la dure mort eslire?


Par la loy ceinte en mariage enclose,

Ie pry n’auienne onq cette seule chose

De m’estimer qu’expres t’ay fait ce tort

310

Pour te distraire en te mettant à mort.


Nessus.

Quand de Nessus le cœur d’amour preßé,

Fut de ton trait roidement trauersé

Lors il me dit (en me iouant faus tour)

Mon sang coulant peut attraire l’amour:

315

Voilà pourquoy l’abit ie t’ay transmis,

Que [p. 176] Fac-simile de la page 176 DEIANIRE A HERCVLES.

Que dens ce sang, trop venimeus, i’ay mis.


Que doutes tu cruelle Deianire

Presentement la dure mort eslire?

Eneus.

Or adieu donq mon pere en ton vieil aage:

Gorge. 320

Adieu ma seur, & adieu d’auantage

Tydeus.

Le mien païs, & mon frere, lointein

De mon païs, errant & incertein.

Adieu außi, o iournee derniere,

Et à mes yeus la derniere lumire:

Hercules. 325

Adieu mari qui du mal que te fis

Sauuer te vueille: Adieu Hyllus mon fils.


Fin de la neuuieme epitre qui est de
Deianire à Hercules.

ANNOTACIONS
sur la precedente Epitre de
Deianire à Hercules.
*

Paix vient de toy, qui en terre est logee:

Toute la mer est à toy obligee.


Le Poëte dit ceci pour raison des mõstres,
& des brigãs, & tyrãs q̃ Hercules auoit tué.

Hercules fort d’espaules, & de bras,

Astres, & ciel soutint apres Atlas.


C’est une ficcion qui ha pris son ocasion
de ce que Hercules fut Astrologue, & en
science [p. 177] Fac-simile de la page 177
science d’Astrologie succeda à Atlas.

Ie ne vueil point ici dire comment

Augé tu pris auec efforcement,


Augé fut fille de Alesus roy d’Archadie,
qui eut de Hercules un fils qui fut nõmé Te-
lephus , par ce qu’il auoit esté nourri d’une
cerue, que les Grecs apellent Elaphos.

Ni qu’engroissas la Nymphe Astydamie,


Astydamie, fut fille du Roy Ormenus, qui
la refusa bailler à femme à Hercules, sachãt
qu’il auoit Deianire; Hercules irrité de ce,
lui fit guerre, print sa vile, le tua, & rauit &
depucella Astydamie, de laquelle il eut un
fils nommé Ctesippe.

Et puis des seurs au nombre de ciquante [sic pour cinquante].

Hercules en une nuict despucella les cin-
quante filles de Thepsis Athenien, lesquelles
il engrossa toutes, chacune d’un fils, qui furẽt
nommez les Thespiades: & le croyez.

D’une putein faut que ie parle & die,

Dont suis maratre à Lamus de Lydie.


Le poëte dit ceci de Omphale, royne de
Meonie, & Lydie, que Hercules ayma tant
qu’il se rendit fort suget à elle: sous laquelle
il endura les mesmes choses qu’il fit depuis
sous Yole: de ladite Omphale il eut un fils
nommé Lamus, duquel Deianire se dit estre
maratre.

m Or [p. 178] Fac-simile de la page 178

Or auec blanc peuplier

Conuenoit mieus à toy de la lier.


Peuplier est un grand arbre, croissant pres
des eaus: dont il y en ha de deus sortes, c’est
à sauoir qui ont les fueilles blanches, & d’au
tres les ont noires.

A ton esprit ne s’est representee

Aucunement la personne ou figure

Du fauz tyran, plein de cruauté dure,

Qui fit manger les gens à ses cheuaus.


Le Poëte recite les faits cheualeureus de
Hercules, dont la souuenance lui deuroit fai
re honte, & le retirer de ses laschetez & pail[]
lardises infames. Par ce tyran est entendu
Diomedes, Roy de Thrace, qui faisoit man-
ger à ces cheuaus les gens qui passoient par
son païs: mais Hercules le fit mourir de pa-
reille mort.

En cet habit, auquel tant peu tu vaus,

Si Busiris t’eust vù, n’en eut fait conte:

De toy veinqueur lui veincu eust eu honte.


Busiris estoit Roy d’Egypte, que Thrasius
enseigna tuer en sacrifice les estrãgers, pour
faise auoir l’eau au païs plein de seicheresse:
lequel Trasius fut premier tué pour expe-
rience de son conseil: & comme Busiris en
vouloit autant faire à Hercules, Hercules le
tua lui mesme.

Et [p. 179] Fac-simile de la page 179

Et Anteüs les rubens de ton col

Arracheroit, pour souz tel homme mol,

Et femenin, ne demourer soumis

En deshonneur, & estre à la mort mis.


Anteüs estot un geant de Lybie, grand
luicteur, que Hercules suffoqua.

On dit de toy qu’entre Ioniques filles,

Portes panier, & qu’entre elles tu files,


Ionie est une contree pres de Meonie, &
pres du fleuue Meandre, en laquelle sont
Ephese & Smyrne, viles, & le fleuue Caistre.
En ce païs là estoit Hercules auec la Royne
Omphale, qui le faisoit filer & porter le pa-
nier comme une chambriere.

Tu renz conte au pois iuste

De ta fusee au pris de ta filace

A ta maitresse ayant beauté de face.


Le Poëte veut dire que la grande beauté de
la Royne Omphale, rendoit Hercules si be-
ste & si suget.

Tu racontas que git mort puis apres

En Erymanthe, ou croissent les Cypres,

Le grand Sanglier.


Erimanthe est le mont d’Arcadie, ou Her-
cules tua le grand Sanglier qui gastoit toute
la contree.

Puis tu n’as tù les Centaures diformes,

Mal se fiant en leurs corps de deus formes.


m 2 Les [p. 180] Fac-simile de la page 180
Les Centaures estoient monstres, en Thes-
salie , demi hommes & demi cheuaus, les-
quels Hercules deffit en troupe, tuant une
partie, & chassant l’autre.

Lon me fait voir la paillarde étrangere,

Que lon m’ameine ici deuant mes yeus:

Et ie ne puis un cas tant odieus

Dißimuler.


Le Poëte apres auoir long tems parlé
d’Omphale, parle meintenant en cet endroit
d’Yole, la derniere femme que Hercules ay-
ma, retournant à son premier propos, & com
mencement de l’epitre. Pendant qu’ Hercu-
les estoit ainsi efeminé & abusé en l’amour
d’icelle Yole, Deianire lui enuoya la chemise
empoisonnee, n’y pensant autre mal, sinon
qu’elle eust la vertu de retirer Hercules de
l’amour de l’autre, cõme faussemẽt lui auoit
donné entendre le Centaure Nessus. Voyez
la Preface de la presente epitre de Deianire.
I’ay escrit Yole par Y, pour le diuiser d’auec
o, à fin que lon ne lise Iole par deus syllabes,
comme lon fait Ioram & Ioseph: ce qui cor-
romproit le vers.

Acheloüs cueillit sa corne route,

Dens son eau roide, en pleurant, puis en doute

Cacha dedens sa teste bien frotee.


Acheloüs fleuue d’Acarnanie, non loin
d’Etolie [p. 181] Fac-simile de la page 181
d’Etolie, ou estoit la ville de Calydon, com-
batant contre Hercules pour Deianire, se
mua en serpent, puis en taureau, à qui Hercu
les rompit la corne: & le croyez ainsi.

Le tien espous mourra il en tourment

Au mont Oita, tresmiserablement?


Oita est une montaigne entre Thessalie,
& Achaïe, sur laquelle Hercules se fit bru-
ler, pour finir le tourment que la chemise
empoisonnee lui donnoit. I’ay escrit ledit
nom de montagne par la diphtongue oi,
que nous François auons prinse des Grecs
ou que les Grecs ont prinse de nous, & que
nous prononçons selon leur ancienne, &
vraye prononciacion qu’ils prononçoyent la
diphtongue omicron iota: combien que
les modernes Grecs, pour la plus grãde part,
proferent ladite diphtongue par i, simple.
Ainsi donq ie pronõce Oita, comme croitre,
voir, voisin, oison, toisõ, loisir, ioye: ce qui est
bien plus propre & naturel à notre langue,
que de le mettre par la diphtongue œ,
comme font les Latins, qui n’ont pas la diph-
tongue oi, comme nous, & nous aussi n’a-
uons pas la diphtongue œ, comme eus, au
moins qui nous soit propre.

O Meleagre, O mon frere ia mort,

Tu connoitras assez tot, pour le seur,

m 3 Que [p. 182]
Fac-simile de la page 182

Que par ma mort außi ie suis ta seur.


Le Poëte veut dire que comme Meleagre
est mort pour l’amour qu’il portoit à Ata-
lante , aussi Deianire mourra pour l’amour
qu’elle porte à Hercules: & par ce fait de-
montrera qu’elle est sa femme, l’aymant
iusques au mourir.

Tydeus mon frere hors son païs errant,

S’en va bien loin terre estrange querant.


Tydeus estoit ainsi fugitif, pource qu’il
auoit tué, sans y penser, son frere Mena-
lippus .

L’autre fut vif auec feu fatal né.

Quant Meleagre fut nouueau né, sa mere
vit les Deesses fatales mettre au feu un tison
ardent, en disant, O enfant, tu viuras tant que
ce tison durera: lors sa mere retira du feu
ce tison, & le garda: puis en fin, par
vengeance, le mit au feu: &
ainsi mourut Meleagre.
Voyez le huitie-
me liure de la
Metamor-
phose.

Fin de l’Annotacion de l’Epitre
de Deianire
.

[p. 183] Fac-simile de la page 183 [Bandeau]

PREFACE SVR
L’EPITRE D’ARIADNE
A THESEVS.
*

MInos roy de Crete, à present Candie,
fils de Iupiter & d’Europa, fit guerre
contre les Atheniens, pource qu’ilz auoient
par trahison occis son filz Angrogeus: Et
apres plusieurs grans batailles les contrein-
gnit que tous les ans pour punicion ils en-
uoyeroient sept ieunes filz, & sept filles pu-
celles en Crete, pour estre deuorez du Mi-
notaure, que Pasiphae, femme de Minos,
auoit engẽdré, couuerte du taureau par l’art
& subtilité de Dedalus, lors que son mari
estoit en guerre contre les Atheniens. Or
auint que le sort des Atheniens tomba sur
Theseus, comme nous auons dit en la Pre-
face de l’Epistre de Phedra à Hippolit: & alla
en Crete pour estre deuoré par le Minotau-
re. Mais Ariadne estant esprise de sa beau-
té, & bonne grace, l’auertit, & lui donna le
moyen commẽt il occiroit le Minotaure, &
comment il eschaperoit, & sortiroit du labi-
rynthe, Ainsi Theseus s’en retourna victo-
rieus, & departant de Crete de nuict secrette
m 4 ment [p. 184] Fac-simile de la page 184
ment auec Ariadne, & Phedra sa seur, s’en
vint prendre port en l’Isle dite autrefois Die,
& puis apres dite Naxos, & à present Nicsie:
ou il eut auertissement de Bacchus, de laisser
Ariadne, & pour cause de creinte d’aller con
tre la volonté de Bacchus, laissa Ariadne en
cette Isle endormie parfondement: & sans
elle s’en retourna en son païs. Elle à son ré-
ueil se voyant seule, & ainsi laschement de-
laissee par Theseus, lui escriuit cette Epitre
suiuante, comme le Poëte feint. Par laquelle
elle l’acuse de cruauté, trahison, & ingrati-
tude. Et en fin apres plusieurs regretz & cõ-
pleintes, le prie de reuirer son nauire, & faire
voile vers elle pour l’accueillir & repren-
dre. La fin fut telle que Theseus ne retourna
point la querir, mais Bacchus la trouua en
cette isle, & la print pour femme, & la trans-
porta aus cieus auec sa couronne: & ha esté
transmuee en sine qui s’apelle Couronne. Le
Poëte descrit bien sa transmutacion au
premier liure de l’art d’aymer
& au tiers des Fastes, & au
huitieme de la Me-
tamorpho-
se.

Fin de la Preface.

[p. 185] Fac-simile de la page 185 [Bandeau]

TRADVCCION
DE LA X. EPITRE
D’OVIDE.
*
Ariadne escrit à Theseus.

[Figure]

EN toute beste ay trouué amitié

Trop plus qu’en toy, qui n’as nulle pitié.

Il ne pouuois estre, certeinement,

Pis qu’auec toy, ô plein de faus serment.

5

Ce que tu lis, Theseus, i’enuoye à toy,

Du port duquel tu departis sans moy:

Ou m’a trahi & trop deçu mon somme,

Et toy, qui bien y auisois, faus homme.

C’estoit au tems auquel premier la terre

m 5 Boit [p. 186] Fac-simile de la page 186 ARIADNE 10

Boit la rosee außi clere que verre,

Et que dessus les vert fueillus rameaus

Chantent cachez les beaus petis oiseaus.

Ie ne say pas si lors i’estois veillante,

Ou du sommeil encor toute pesante,

15

Quand i’estendois dedens le lict mes bras

Cherchant Theseus, mais il n’y estoit pas:

Parquoy mes mains deuers moy retiroye

Et puis apres encor les auançoye.

Deus ou trois ie tátay de tout point

20

Dedens le lict, Theseus n’y estoit point.

Creinte chassa le sommeil loin de moy.

Lors me leuay toute pleine d’esmoy,

Sautant du lict assez habilement,

Auquel Theseus n’y estoit nullement.

25

Soudein ie fy ma poitrine sonner

De coups de poing que ie me vins donner:

Et comme estoient mes cheueus mal en ordre:

Par despit vins les arracher & tordre:


A la clarté de la Lune luisant

30

Si verray rien qu’arene, vais visant:

Mon œil ne voit qu’arene, & que riuage.

Puis ça puis là ie cours sans meintien sage.

L’arene haute, à mes piedz trop durette,

Tardoit les pas de moy ieune fillette.

35

Ainsi à moy, qui par toute la riue

Criois, Theseus, auec son de voix viue,

Les creus rochers, par leur trespiteus son,

Raport [p. 187] Fac-simile de la page A THESEVS. 187

Raportoient lors & redisoient ton nom.

Tant de fois donq que t’apeloit ma voix,

40

Le lieu außi t’apeloit tant de fois:

Ce lieu vouloit se montrer secourable,

En respondant à moy tant miserable.


Vn mont y eut auquel peu d’arbres croissent,

Et au sommet bien clers y aparoissent,

45

C’est un Rocher en pendant meintenant,

Que flot de mer auec bruit va minant:

Ie montay là (le courage m’aydoit:)

Estant là sus, ma vuë s’estendoit

Bien loin sur mer, & vis ta nef lointeine,

50

D’un vent singlant ie vy ta voile pleine:

(Des vens cruelz me suis seruie außi:)

Ou ie la vy, ou me semblant ainsi,

Ie deuins toute außi froide que glace,

Et demouray demi morte en la place.

55

Mais le grand dueil, & la douleur puissante,

Ne me tint pas trop long tems languissante:

Ce dueil m’excite, il m’excite, & m’emhorte

Crier, Theseus, tant que puis à voix forte:

Ou t’enfui tu (ie m’escrie) reuire:

60

O faus Theseus, remaine ton nauire:

Car il n’a pas son nombre entier & plein.

Ainsi criois apres toy bien à plein,

Et ne pouuant tousiours crier bien haut,

Ie viens supplir de ma voix le defaut

65

A coups de poing, dont ie frappois sans cesse

Mon [p. 188] Fac-simile de la page 188 ARIADNE

Mon estomac, & cœur plein de tristesse.


A brief parler, en cette destresse ample,

Mes maus & mots estoient meslez ensemble.

Et puis encor haussant en l’air mes mains,

70

Et les batant te fy des sines meints,

Afin que si tu n’usses pù m’entendre,

Tu m’usses vù les mains debatre & tendre:

Et si pendi à un baton bien long

Vn linge blanc, t’amonnestant adonq

75

Qu’estois laissee en ce lieu despouruuë:

Puis tot apres ie te perdu de vuë.

Lors ie pleuray (ia du precedent dueil

Ma tendre ioue estoit lasse, & mon œil.)

Mais que pouuoient mes yeus alors mieus faire

80

Que de pleurer en ce lieu solitaire,

Puis que desia tes voiles estendues

Estoient bien loin de mon regard perdues?


Ou ça, & là courant m’en suis allee,

Toute seulette, & toute escheuelee,

85

Ainsi que fait la Bacchante à sa guise,

Quand de fureur Bacchique elle est surprise:

Ou froidement sur un roc m’en vins seoir

Pour la grand mer mieus contempler & voir:

COmme mon siege estoit de pierre froide,

90

Pierre ie fus aßise en pierre roide.


Vers notre lict souuent aller ie veus.

Qui nous deus eut, mais n’en put rendre deus.

Mieus ie ne puis que marcher en tes pas,

Au [p. 189] Fac-simile de la page A THESEVS. 189

Au lieu de toy, qui auec moy n’es pas:

95

Et que baiser le linge ou ie couchois,

Toute moite encor de toy, qui me touchois.

Dessus le lict ie me baisse, & m’abouche:

Puis de mes pleurs estant pleine la couche,

Lui vais criant, deus y auons couché,

100

Rens en donq deus: ou est l’autre caché?

Nous sommes deus venu coucher ici,

Pourquoy donc deus n’en retournons außi?

O lict pariure, ingrat, plein de cautelle,

La plus grand part de nous, las, ou est elle?


105

Ha, que feráy ie? Et seulette ou iráy ie?

Rien n’est ici qui mon grand dueil allege:

L’isle est deserte, & ny voy nul ouurage

De gens, ou beufs, propres au labourage.

De toutes pars on voit le bout de terre,

110

Et l’eau de mer qui l’enuironne & serre:

Nul nautonnier n’appert en mer hauteine,

Ne nulle nef tient ci voye incertaine


Combien que i’usse ores propices vens

Pour nauiguer, & de nauz & des gens

115

(Pren qu’ainsi soit) mais ou pourrois ie tendre?

En mon païs ne pourrois terre prendre:

Car tu peus bien facilement sauoir

Que ne me veut mon pere receuoir.

Quoy qu’à souhait i’eusse la mer bonace,

120

Et qu’Eolus retinst des vens l’audace,

Hors mon païs tousiours serois vagante.


O Crete [p. 190] Fac-simile de la page 190 ARIADNE

O Crete belle, en cent bourgs abondante,

Ou Iuppiter fut nourris, desormais,

Pour mon forfait, ne te verray iamais:

125

Car i’ay trahi mon païs & mon pere,

Le iuste Roy (double chose bien chere)

Quand, ô Theseus, le fil pour sauf conduit

Ie te baillay, qui sans mal t’a conduit

Dens le tortu labirynthe & obscur:

130

Quand me disois, par le danger tresdur

Auquel ie suis, ie ure en la main tienne,

Tant que viurons nous deus, tu seras mienne.

Or nous viuons, & tienne ne suis point:

Si femme vit, estant en ce dur poinct

135

Enseuelie en trahison maudite

De son mari, & en tous maus confite.


Que pleust aus Dieus quãd ta main fut armee

De la massue, ainsi m’ust assomee

(O desloyal, & menteur faussement)

140

Comme mon frere assommas lourdement.

Au moins la foy que tu m’auois promise

Fust par ma mort bien tot à sa fin mise.


Or meintenant non seulement ie pense

Quels maus i’auray, mais mon esprit pourpense

145

Tous les grans maus de Fortune insensee

Que peut soufrir la femme delaisse:

A mon esprit se presentent cent formes

De dure mort, terriblement diformes:

Et moindres maus ha la mort corporelle

Que [p. 191] Fac-simile de la page A THESEVS. 191 150

Que la doutance, & atente d’icelle.


Ie doute ia que tot les loups courront

D’ici, de là, que me deuoreront

Auec leur dent rauissante, & habile.

Parauanture encores que cette isle

155

Nourrit ici non seulement des loups,

Mais tygres fiers, auec des lions rous:

Et puis on dit que la mer aus riuages

Gette souuent de grans phouques sauuages.


Et qui pourra me garentir außi

160

De receuoir maints coups d’espee ici?

Il ne m’en chaut, mais que tant seulement

Serue ne sois, liee estroitement

De grosse corde, ou de cheine pesante:

Mais que ne sois comme poure seruante

165

Filant la laine en grand sugeccion,

Qui noble suis de generacion,

Qui le Roy Minos ay pour mon pere.

Pasiphaë.

Et puis la fille à Phebus pour ma mere:

Et (ce qui est encores d’auantage)

170

Qui t’ay promis la foy de mariage.


Sur terre ou mer si ie gette ma vuë,

Ou sur la riue, ayant grand’ estendue,

Terres & mers me font de grans menaces:

Le ciel restant, ie crein des Dieus les faces

175

Aus yeus mortelz aportans frayeur grande.

Ie suis laissee en proye, & en viande

A toute beste en ce facheus destour.


Bien [p. 192] Fac-simile de la page 192 ARIADNE

Bien qu’il y eust des gens ci alentour,

Aus [estrangers] ne puis aiouter foy,

180

Qui sis desia trop deçuë par toy.

Ha, plust aus Dieus qu’Androgeüs mon frere

Fust en ce monde, & en vie prospere,

Et n’ust esté, ô Athenes, defait,

Qui mort des tiens soufriz pour ce forfait:

185

Et ta massue, ô Theseus, de neuds pleine

Minotau-
re.

N’ust l’homme & beuf assommé en grãd peine:

Et que le fil baillé ne t’usse pas:

Pour te conduire au retour pas à pas:

Fil bien souuent de main en main tiré,

Le labi-
rynthe.
190

Quand du chemin tortu t’es retiré.


Ie ne suis point certes emerueillee

Que deuers toy la victoire est allee,

Et que tu as l’homme, & beuf mis à mort:

Ton estomac de fer bien dur & fort

195

Ne pouuois pas par la corne estre ouuert.

Combien que tu n’usses esté couuert,

Si auois tu assez pour ta defense

De ton cœur dur & de grant resistence:

Là tu as mis aïmans, & caillous:

En ton
cœur.
200

Là dedens as un Theseus passant tous

Caillous tresdurs en force, & en durté.


O faus dormir, & plein de cruauté,

Qui m’as tenue ainsi pesante! mais

Ie deuois estre assopie à iamais

205

Du long sommeil de l’eternelle nuict.

O vens [p. 193] Fac-simile de la page A THESEVS. 193

O vents cruelz, prompts à ce qui me nuit,

Et à me faire en dueil, & pleurs confire!

O main cruelle, ayant voulu occire

Minotau-
re.

Mon frere, & moy! O foy par trop cruelle

210

Qui ha le nom, & non l’efect en elle,

Laquelle foy t’ay donnee à fiance

A ta requeste, & à ta grande instance.


Contre moy femme, ont trois choses en somme

Trop conspiré, la foy, le vent, le somme.

215

Ie ne verray donq point la larme amere,

(Quand ie mourray) de ma piteuse mere:

Et ie n’auray nul parent en ces lieus,

Qui de ses doigs viendra clorre mes yeus.

En l’air estrange, & region facheuse

220

S’en volera mon ame malheureuse:

Et nul parent ou ami ne viendra,

Qui de mon corps mort auec sa main oindra:

Mes les oiseaus de la mer voleront

Dessus mes os, qui sans tombeau seront.

Ironie. 225

Voilà l’honneur, le sepulcre, & cercueil

Qu’ay merité, pour t’auoir fait recueil.


Tu t’en iras en Athenes, & puis

Estans reçu tresbien en ton païs,

Quand tu seras entre tes peuples haut,

230

Et conteras que ta prouesse vaut,

Comme as tué l’homme & beuf, Minotaure:

Comme es sorti du labirynthe encore.

Raconte außi que seule m’as laissee,

n Ie [p. 194] Fac-simile de la page 194 ARIADNE

Ie ne doy estre entre tes faitz, passee.


235

Ton pere n’est Ægeus, n’Ethra ta mere:

Rocher, & mers sont ta mere, & ton pere.

Que plust aus Dieus que de ta pouppe haute

Ton œil me vist: il n’y ha point de faute

Si mon meintien tant piteus auois vù,

240

Que tu serois à quelque pitié mù

Mais si des yeus de ton corps ne me vois,

De ton esprit me peus voir toutefois.

Sur un rocher auquel l’eau bat, & bruit:

Voy mes cheueus tous espars en la sorte

245

Que fille va pleurant sa mere morte.

Voy mon habit baigné en pleurs qui semble

Baigné en pluye: & mon poure corps tremble

Ainsi que font en un plein champ les blez,

De forte bize agitez, & troublez:

250

Mes doigs tremblans escriuent mal à droit.


Ie ne te vueil requerir orendroit

Par mes biens faits, en toy mal adressez:

Mais, s’ils ne sont d’aucun gré compensez,

Au moins pour bien que ie n’aye pas mal.

255

Si ie ne t’ay sauué d’un cœur loyal,

(Pren qu’ainsi soit) si n’est il dit pourtant

Que iusqu’à mort tu me pourchasses tant.


Ces poures mains tant lasses, dequoy i’ay

Frappé mon cœur tant triste, & affligé

260

Ie vais tendant, helas moy malheureuse,

Vers [p. 195] Fac-simile de la page A THESEVS. 195

Ver [sic pour Vers] toy lointain en la mer spacieuse.

Ces cheueus ci, qui restent seulement.

Ie te fay voir ores piteusement.


Or pour la fin ie te pry d’une chose,

265

Par mes grans pleurs, dont tes faits sont la cause,

Ta nef en ça, ami Theseus, tourne:

Change de vent, & deuers moy retourne:

Si ie suis morte alors qu’arriueras,

A tout le moins mes os tu cueilliras.


Fin de la dixieme Epitre, qui est d’ A-
riadne à Theseus.

ANNOTACIONS SVR
la precedente Epitre de
Ariadne à The-
seus.

Vn mont y eut auquel peu d’arbres croissent,

Et au sommet bien clers y aparoissent:

C’est un Rocher en pendant meintenant.


Il y ha semblable passage en l’Epitre d’ E-
none à Paris
sur le commencement: le trans-
lat porte

Vn bien grand roc regarde loin en mer:

A l’exposicion duquel le lecteur pourra recourir si bon lui semble.

Ainsi que fait la Bacchante à sa guise.

Des femmes Bacchantes y ha aussi exposi-n 2 cion [p. 196] Fac-simile de la page 196
cion sur l’epitre de Phedra à Hippolyt, vers
le commencement des annotacions.

Et puis on dit que la mer aus riuages

Gette souuent de grans phouques sauuages.


Phouques, sont bestes de mer, qui ont poil,
& viennent dormir de nuict en terre: & en
dormant soufflent, ronflent, & respirent un
son en maniere du cri d’un veau, pource on
les apelle veaus marins. Hippolyt, que Phe-
dra aymoit, mais non lui elle, fut tiré, & es-
quartelé par ses cheuaus espouuentez d’une
phouque marine. voyez la preface de l’epi-
tre de Phedra à Hippolyt.

Ha, plust aus Dieus qu’Androgeüs mon frere

Fust en ce monde, & en vie prospere,


C’est une coutume, & quasi un fait de fem
me de ramener au deuant, & tousiours en
ieu, les commencemens, & premieres causes
de leur malheur, comme appert quasi en
chacune de ses epitres.

Et n’eust esté (ô Athenes) deffait,

Qui mort des tiens souffris pour ce forfait.


C’est une apostrophe, c’estadire parole
adressee à la vile d’Athenes, à present Cethi-
ne , ou Satines. Ce propos de la mort des Athe
niens a esté exposé en la preface de la pre-
sente epitre, parquoy n’est besoin le repeter.

FIN.

[p. 197] Fac-simile de la page 197 [Bandeau]

LE TRANSLA-
TEVR AVS LE-
CTEVRS.
*

I  E VOVS vueil bien auertir
  (amis Lecteurs) qu’en tradui-
 sant les dis Epitres d’Ouide
  precedentes, ie ne me suis
  tant voulu renger aus termes
qu’au sens, mais le plus pres qu’il m’a esté
possible, & le plus brief que notre langue l’a
pù permettre (certes non sans trauail d’es-
prit) i’ay rendu le sens de l’auteur: si que
bien souuent i’ay tourné deus vers Latins en
trois François, & quelque fois un pour un:
dond me montreray, parauanture non à tort,
plus rude, obscur, & dificile qu’es autres eu-
ures de mon inuencion, ou ie suis libre en
mon esprit, & non contreint. Toutesfois, au-
tant que i’ay pù, i’ay euité la contreinte &
obscurité, dond ie suis ennemi naturel: & ne
me suis, pour cette raison, en quelques pas-
sages tant voulu assugetti à la rime, q quand
le sens s’est mieus offert autrement, ie ne
n 3 l’aye [p. 198] Fac-simile de la page 198
l’aye diminuee de son honneur, & pris la fa-
cile rencontre & brieueté du sens, pour sui-
ure l’intencion de l’auteur de plus pres, &
l’affeccion des personnes: estimant la rime
estre la ministre, & chambriere du sens, &
non au contraire. Ce neantmoins i’ay con-
ioint, & gardé, à mon pouuoir, la dinité du
sens, & richesse de la rime: & n’ay fait com-
me aucuns Traducteurs François, mesme
antiques, qui laissent en blanc les passages
plus difficiles, & quelquefois quatre ou six
vers Latins (mais dix ou douze) tout d’une
tire: & qui, au contraire, aussi quelques
autres fois, pour un ou deus vers Latins, en
faisoient six, ou huit, ou dix vers François,
y aioutans, & glosans beaucoup de leur sens:
& quelquefois encor donnoient en leur
translat un sens du tout contraire au sens de
l’auteur, faute de bien vieiller, & auiser de
pres. Le premier vice est comme essoiner,
detrencher, & mutiler l’auteur: le second,
trop le confondre, & entreprendre sur lui:
& le tiers, est le renuerser, corrompre &
contreindre à notre sens: qui sont trois vi-
ces tresgrans, & insuportables, à tout bon
œil, en un Traducteur.

Quand est de ce que aucuns, de trop pe-
tit iugement en la connoissance des lan-
gues [p. 199] Fac-simile de la page 199
gues, se pleignent des Traducteurs qui ne
traduisent mot pour mot, & ligne pour
ligne, comme s’ils commettoient une gran-
de ofense, & estoient indines du nom de
Traducteurs: combien qu’il peut sembler,
que ie leur aye assez respondu ci dessus, di-
sant que i’ay quis le sens plus que les mots:
toutefois ie leur vueil satisfaire amplement,
à cause que i’en voy plusieurs tomber en cet
erreur & ignorance. En premier lieu donq,
lon scet bien que chacune langue ha sa pro-
pre phrase, & propriété particuliere, de sor-
te que bien souuent ce qu’en une langue se
pourra pas bien proprement, & facilement
dire en six, en une autre langue.

Ainsi c’est une chose, ie ne di pas dificile,
mais du tout impossible de faire, i’entende
traduire mot pour mot, sans corrompre, &
diminuer l’honneur, la grace, & proprieté
des langues.

Secondement c’est mal auisé que la Tra-
duccion se puisse bien faire commune-
ment, & du tout, de vers pour vers: car qui
bien auisera, un vers Latin ha tousiours
deus ou trois syllabes, voire quelquefois
six ou sept, plus que le vers François: i’enten
des vers Latins exametres, & pentametres,
n 4 qui [p. 200] Fac-simile de la page 200
qui sont les plus communs, & dont se font
plus de traduccions. Aussi l’on voit quelle
rudesse, & mauuaise grace ont les Traduc-
cions ainsi faites de vers pour vers. Ce que
aucuns ont affecté trop curieusement, pen-
sans faire plus que les autres, & n’auisans
point (au contraire) le grand vice d’ob-
scurité, & confusion en laquelle ilz sont
tombez: de sorte qu’ilz ne sont rien moins
que venuz à leur fin esperee d’honneur &
gloire: car leurs vers, pour toute recom-
pense, sont minez des vers, comme lon
voit tous les iours. Au reste, les repre-
neurs des traducteurs disent, que commu-
nement lon faut en ce que quelques dic-
cions des auteurs on omet, qui mesme
ont grace & eficace: & au conraire, quel-
ques autres on aioute, qui sont propres
aus traducteurs, ou pour le remplissement,
ou pour la rime, à fin de rentrer à la tail-
le. Mais, certes, autrement ne se peut,
faire, que quelques mots de l’auteur ne
soient omis, & laissez, & quelques autres
du traducteur aioutez: mesmement en vers
François, pour la taille, toutefois se doit
faire de si bonne grace, tant bien & pro-
prement qu’ilz semblent estre comme de
l’auteur: de sorte que si l’auteur eust escrit
en [p. 201] Fac-simile de la page 201
en la langue qu’on le traduit seroit vray
semblable qu’il auroit ainsi escrit, ou à peu
pres. Et au contraire aussi, le moins que
lon peut laisser des mots de l’auteur, quand
mesmement ils seruent au sens ou à la gra-
ce, c’est bien tousiours le meilleur: le tout
à la discrecion & bon iugement du tradu-
cteur, l’honneur & reuerence gardee des
deus langues.

Or, changeant propos, touchant des
noms antiques des viles, Isles, mers, portz,
passages, goulphes, & destroits, ie les ay
laissez en ma traduction, pour la plus
grande partie, tant pour la reuerence de
l’antiquité, comme pource qu’en si gran-
de confusion de langues & d’opinions, en
la diuersité des noms des païs estranges,
& inconnuz, quant à moy, ie n’ay osé
m’assurer des propres noms presens, sinon
de quelques uns, que i’ay pris, d’un liure in-
titulé, l’estat du grand Turc, & des tables
de la Grece, & de ceus qui ont reuu &
addicionné le Ptolomee: desquels noms
presens i’ay usé en ma traduccion, & de
bien peu, & ne l’ay fait sinon qu’il me ve-
noit mieus à propos, pour le nombre, ou
pour la taille: & y ay mis le nom antique
à cote en la marge. Car i’ay auisé, & con-
n 5 nu [p. 202] Fac-simile de la page 202
nu par liures, & entendu par gens qui ont
esté en ces païs de la Grece, que bien sou-
uent une isle, vile ou port sont nommez
par les Turcs, par les Tartares, par les
François, par les Latins, par tout diuerse-
ment: ie di encor, diuersement, par noms
presens: & non seulement par noms anti-
ques. Et quand est des noms propres des
personnes, ie les ay laissez aussi, pour la
plus grande partie, selon que ie les ay
trouuez en Latin: car de les tourner au-
trement tous, ou grande partie, ie ne l’ay
voulu entreprendre à cause que lon les peut
tourner diuersement, & aussi que les opi-
nions sont diuerses entre les sauans, & le
proces non decidé pend encor deuant le
iuge: pareillement à fin que, sans en rien
douter, lon entendist mieus de quelles per-
sonnes mon translat parleroit: atendu que
les mesmes & propres noms Latins des
personnes, y sont demourez entiers, &
non changez, comme i’ay dit, pour la plus
grande partie: car i’ay seulement tourné,
& aproprié à notre langue, ceus qui appro-
choient plus de pres de nos terminaisons, &
qui estoient plus usagers & faciles.

Or meintenant ie vueil declaer quel
bien & utilité lon peut tirer de ma traduc-
cion. [p. 203] Fac-simile de la page 203
cion. Le proufit donq qui en vient est dou-
ble. Premierement, quant à la Rhetori-
que, qui est l’art & science de bien dire &
bien escrire (& n’est pas l’art de rimer,
comme aucuns ignorans en abusent de ce
mot de Rhetorique) à cause que dens ces
precedentes epitres lon y sent, & reconnoit
la vertu de dire du Poëte tant estimé, les
propos bien deduits, les raisons & argumens
de bonne inuencion, les motz bien couchez
& apropriez, les belles comparaisons ou si-
militudes, les fortes & aparentes persuasions, les
conclusions pleines de grandes & vehemen-
tes afeccions: à brief parler la grace & effi-
cace du Poëte.

Secondement, l’utilité est quant aus meurs:
pource qu’il n’y ha personne tant adonnee
& eschaufee en l’amour voluptueuse, qui
n’en soit bien refroidie, & destournee, apres
qu’elle aura bien leu ici dedens, & bien con-
sideré les peines & miseres des amoureus, les
poignãtes passions, les pertes de sens, & fo-
les perturbaciõs, les belles paroles & fausses
promesses, les regretz & cõpleintes, les im-
paciences & inconstances: &, pour la fin, les
mauuaises issues auec desespoir, mal respon
dans à leur commencement tant ioyeus &
tant [p. 204] Fac-simile de la page 204
tant plein de grand espoir. Ainsi donc cette
traduccion est faite pour l’utilité commu-
ne, car quand ici dedens sont racontees
les grandes facheries & infortunes des Da-
mes amoureuses, c’est un miroir & exemple
de ne faire comme elles, ains au contraire,
estre sages au despens d’autrui, comme dit
le prouerbe. Et, quand est de celles qui ont
bien aymé leurs maris & gardé l’honnesteté
de mariage, qui voudroit plus bel exemple
de chasteté, bonté, souci, creinte, deuoir &
amitié enuers sa patrie que de Penelopé en-
uers son mari Vlysses? que de Deianire en-
uers son mari Hercules? D’auantage, ia soit
que l’euure traite d’amour, toutefois si n’y
ha il rien de vilein ou deshonneste qui puisse
inciter ou eschaufer les Lecteurs à mal: com
me y pourroit auoir aus liures de l’art d’ay-
mer, & aus Elegies d’amour, composees par
le mesme Poëte Ouide. Que si d’auenture
lon peut tirer quelque mauuais exẽple d’au-
cune de ces Epitres, ce sera principalement
de la quatrieme, ou est declaree l’amour
desesperee de Phedra à Hippolyt: mais pour-
quoy prendre lon plustot exemple sur la vi-
cieuse amour de la malheureuse Phedra, que
sur la belle & honorable chasteté du ver-
tueus Hippolyt? lequel ne voulut iamais con
sentir [p. 205] Fac-simile de la page 205

sentir au desordonné & enragé desir de sa
fole maratre Phedra? Le tout sera donq pris
en bonne part (comme i’espere) par ceus
qui seront raisonnables, & qui au-
ront tant soit peu de sel en
leur teste. Adieu amis
Lecteurs.
*

[Fleuron]




[p. 206] Fac-simile de la page 206 [Bandeau]

PREFACE SVR
L’EPITRE DE CANACE
A MACAIRE.
*

MAcaire & Canace, fils & file du Roy
Eolus, s’entr’aymerẽt incestueusemẽt,
& coucherent ensemble facilemẽt sous cou-
uerture de fraternité: dont auint, que Cana-
ce enfant un fils, lequel voulant secrette-
ment faire porter par sa nourrice, hors du
palais de son pere, à fin qu’il fut alaité &
nourri, ce malheureus enfant ce prĩt à crier,
& se fit entendre du Roy son ayeul, qui en-
trant en colere, pour le forfait & malheu-
reuse amour de son fils & fille, commanda
que ledit enfant fut getté aus chiens: puis
enuoya par un de ses satellites, une espee à sa
fille pour en user selon ses demerites, de la-
quelle on dit qu’elle se tua. Toutefois auant
que mourir elle escriuit à son frere, qui s’e-
toist getté en frãchise au temple d’Apollon,
& lui delcara sa fortune & piteus état mor-
tel:le priant qu’il recuillit les os du petit en-
fant, son fils, & qu’il les portast en fin en une
mesme sepulture, auec ceus de la mere.

[p. 207] Fac-simile de la page 207 [Bandeau]

LA XI EPITRE
D’OVIDE
*
Canace escrit à son frere Macaire.

[Figure]

Si tu trouues ces les lettres entachees

De rude escrit & de mon sang tachees,

Pourtant ne laisse à voir le contenu.

Lors connoitras comment m’est auenu:

5

Ce seul mouuoir me meut & m’esuertue

D’escrire à toy, deuant que ie me tue:

Ie tiens la plume taillee en une main,

Et en l’autre i’ay le glaiue inhumain.

En mon gyron git la carte confite

De [p. 208] Fac-simile de la page 208 CANACE 10

De pleurs & plains, qui est forment escrite:

Telle est l’estat & au vif la peinture

De celle la dont vient cette escriture.

Si m’est auis qu’en tel acoutrement:

Complaire puis, voire & non autrement:

15

A mon cruel & trop despiteus pere,

Lequel commande que tot me desespere.

Que pleust à Dieu qu’ici fust sans seiour,

Pour voir ma fin & mon dernier iour:

Et il qui est cause de cet afaire,

20

Me vist occire, & de ma main deffaire.

Car pour certein, il qui est sans pitié,

En qui ne git paternelle amitié,

Regarderoit ma vie despouillee,

Sans que de pleurs sa face fust moillee.

25

Ainsi montre il sa grande cruauté,

Et peu me vaut sa noble royauté.

Il est pour vray des vens signeur & Sire,

Et dominer ne scet pourtant son ire:

Dont son vice est plus grand (sans vanterie)

30

Que n’est sa terre & haute signeurie.

Mais que me vaut sa noble parentelle,

Quand il commande ma ruïne mortelle?

Et qu’il m’enuoye un glaiue, pour present?

Dont me conuient faire coup si pesant?

35

Certes ce glaiue qu’à ma main tiens & porte,

N’est conuenable à moy ne de ma sorte;

Femme ne prend en tel art son deduit,

Quen [p. 209] Fac-simile de la page A MACAIRE. 209

Quenouille & fil trop mieus leur plait & duit.

Or plust à Dieu que l’heure malheureuse

40

Que nous cuidions toy & moy tant heureuse

Quand ensemble nous nous trouuames lors

Pour acomplir le plaisir de nos corps,

M’eust preuenue, & de mort aiournee

Sans auoir vù si dolente iournee:

45

O mon dous frere, D’où te vint ce vouloir

De tant m’aymer, & mettre à nonchaloir

Toute autre femme, pour si fort me complaire,

Plus que ne doit un frere à sa seur faire?

Et ie lasse pourquoy fus ie ta seur,

50

Quand ce plaisir ne peusmes prendre asseur?

Las, tu m’aymas, & außi ie t’aymay:

Le feu d’amour en mon cœur allumay.

Premierement ie creintiue & honteuse

Senti le dart d’amitié chaleureuse,

55

Et fut en moy embrasé le tison

D’ardant desir sous celee prison.

Tes grans douceurs & autre vertus meintes

En ma pensee à peu pres furent peintes,

Ie commençay perdre teint & couleur,

60

Comme surprise en amoureuse ardeur,

Maigre deuins, pasle, fletrie, & blesme

Comme s’estant maitresse de moymesme:

Tot euz perdu de menger l’appetit:

De tout cela me donnois bien petit:

65

Le long dormir m’estoit bien dificile:

o Vne [p. 210] Fac-simile de la page 210 CANACE

Vne nuit seule m’en duroit plus de mile:

Ie souspiroye & gemissoye à part

Comme nauree en trop douteuse part:

Et toutefois cause en moy ne sauoye

70

Pour qui tel mal & tel douleur auoye.

Encor n’auois senti qu’amours estoit:

C’estoit cela qui me persecutoit.

De mon ennui & peine coutumiere

Ma nourrice s’aperçut la premiere,

75

Et si me dist, ô fille, ou que ce soit

Amour te tient ou mon cœur me deçoit.

Lors rougissant fus surprinse de honte

Dont la couleur en la face me monte:

Et commençay mes yeus en bas baisser,

80

Comme honteuse de mon cas confesser.

Mais que valoit le celer, ne le taire?

A mes gestes bien connut mon afaire.

Que diray plus? Tant aymay en effet,

Que’entre nous deus fut le plaisir parfait:

85

Et tant de fois nous trouuames ensemble,

Que fol delict peur & creinte nous emble.

Tant ie complu sans user de refus,

Qu’à la parfin par toy enceinte fus,

Et commença mon ventre enfler & croite,

90

Par nouueau fait qui au dedens peut estres:

Et la charge furtiuement bátie

Me rendoit graue & toute pesantie.

Mais cuides tu que ma poure nourrice,

Pour [p. 211] Fac-simile de la page A MACAIRE. 211

Pour effacer mon crime & malefice,

95

Ne me donnast herbes & medicines,

Bruuages forts, & puissantes racines,

Pour tot esteindre & acoup auorter

Le fruit sans coulpe qu’elle me sent porter?

Certes si fit, mais en vain en usoye,

100

Et de ce faire à l’heure m’abusoye:

Car ia estoit trop vigoureus l[’]enfant

Qui au venin resiste & se defent

Ainsi conuint endurer la fortune,

Et ce pendant tant tournoya la Lune

105

En son cercle, & erra tant de fois

Qu’elle eut parfait le neuuiëme mois.

Lors fus surprise d’une douleur nouuelle,

Onques certes n’en auois eu de telle.

I’estoye encor, pour certein, ignorante

110

Du mal que souffre une femme gisante:

Douleur soudeine, & acoup me contreint

Pleindre & crier du travail qui m’estreint:

A haute voix plouroye & gemissoye

Pour la douleur si grieue que passoye:

115

Ma gouuernante alors me reprenoit,

Et de ses mains ma bouche retenoit,

En me disant, faut il que tu descœuures

Par ton pleindre tes miserables euure?

Ainsi ne say doulente que ie fasse:

120

Aspre douleur me contreint & me chasse.

A pleindre fort, mais creinte, doute & peur,

o 2 De [p. 212] Fac-simile de la page 212 CANACE

De l’autre part, font taire ma douleur.

Parquoy conuient que ie boiue mes larmes

Destrempees de trop rigoureus termes.

125

La mort auoye au deuant de mes yeus,

Pour les travaus dont onques n’euz de tieus:

Et bien sauoye pourtant si ie mourroye,

Que trop grand crime & peché i’encourroye,

Faisant mourir en cœur debilité

130

Vn poure enfant qui ne l’a merité.

Bien me souuient qu’estant en tel esmoy

Tu te vins mettre & coucher pres de moy:

Et par grand dueil tu fiz cette roupture

De tes cheueus & mais de ta véture,

135

En me disant, ô seur, ô chere seur

Ie te te sulpi [sic pour te supli] par la tienne douceur,

Qu’à ce besoin meintenant t’éuertues

A fin au moins que nos deus cœurs ne tues:

Or sus viz donq, & ne t’essaye pas

140

D’en ouir deus mourans par ton trespas.

Pren force & cœur en ta bonne esperance,

Dont tu auras ioyeuse deliurance:

Et tien toy seure (quoy qu’en puisse auenir)

Que ie ton frere te vueil mienne tenir:

145

Et seras femme de cil, sans nulle doute,

Pour qui la peine si cherement te coute.

Ie, pour certein estant morte forment,

Pou [sic pour Pour] telle angoisse & ennuieus tourment,

Retournay viue, & fus resuscitee

Quand [p. 213] Fac-simile de la page A MACAIRE. 213 150

Quand i’eu ta voix & parole escoutee:

Et de ce pas, par tes plaisans acors,

Me deliuras du trauail de mon corps.

Mais que me vaut icelle courte ioye

En mon endroit? Pource ne me resioye:

155

Car Eolus mon pere, lors estoit

En sa salle, qui bien nous escoutoit:

Ainsi conuint, par cautelle preuuë,

Luy eslongner, & fuir de sa vuë.

Ma nourrice qui sceut le demené,

160

Print cet enfant des l’heure qu’il fut né,

Et le porta pour mieus l’emprise taire,

En un iardin serret & solitaire:

Et le couurit en ses petis drapeaus

De meinte fueilles & branches & rameaus,

165

Feingnant vouloir là faire sacrifice

Qui fust aus Dieus agreable & propice.

Si tournoia ce lieu longue saison,

En murmurant disant meinte oraison.

Ainsi faisoit tieus semblans & sinacles,

170

Pour mieus cuider que ce fussent oracles:

Or fit si bien que tous les regardans

La vont laisser toute seule dedens.

Ia auoit fait tout ce qu’on pouuoit faire

Pour eschaper ce doute & cet afaire,

175

Et bien pensoit cet enfant auoir mis

En lieu qui fust assuré d’ennemis:

En ésperance (mais qu’elle eut tems & heure)

o 3 Le [p. 214] Fac-simile de la page 214 CANACE

Le transporter en plus seure demeure.

Las bien faillit : car cil petit enfant,

180

A qui raison le cœur point ne defend,

Commença tot à se douloir & pleindre,

Si que pour vray ce cri pùt bien ateindre

Iusqu’aus oreilles de mon pere en effet,

Qui prontement imagina le fait:

185

Lors s’escria, & sans plus rien atendre,

Vint en ce lieu ou il fit l’enfant prendre,

Et bien connut par celle intencion

Qu’à tel ouurage eut grand decepcion.

Bruit se leua & en chambre & en sale,

190

Dont ie deuins de grand peur toute pale:

Et tout ainsi qu’on voit la mer esmue,

Quand aucun vent la chasse & la remue,

Et comme on voit trembler fueilles en l’arbre,

Ne plus ne moins trop plus froide que marbre

195

Ie fremissois de creinte & de douleur

Dedens mon lict ayant triste couleur.

Mon cruel pere lors de ma chambre aproche,

Et par courrous & despiteus reproche,

Me commença blamer & diffamer,

200

Et adultere meschante me clamer.

A peine sceut abstenir son courage

Que de ses mains ne fist sur moy outrage.

Ie lors honteuse, & du meffait atteinte:

Eusse voulu estre morte & esteinte :

205

Pour tout meintien grans cõpleintes & pleints,

Auec [p. 215] Fac-simile de la page A MACAIRE. 215

Avec grans pleurs dont mes yeus furent pleins

Yßirent lors sans faire longue pause,

Car de parler ma bouche n’auoit cause.

Helas i’ouï comment cil Eolus,

210

Pere impiteus, dont tresfort me doulus,

Incontinent commanda sans atente,

Que cet enfant l[’]on degette & presente

A fiere beste & oiseaus afamez

A fin que tot soient là consumez

215

Ses petis membres sans meffait & sans blame,

Comme sans garde & non secouru d’ame.

Alors se print l’enfant à lamenter,

Comme s’il sceust qu’on le dust tourmenter:

Et à le voir sembloit à sa maniere,

220

Qu’à son grand pere fist requeste ou priere,

Et de tel voix comme faire sauoit,

Les aßistans à pitie esmouuoit.

Or ie te pri auise & considere,

Mon dous ami & tant fort aymé frere,

225

Quelle douleur soufri à celle fois,

Et quel regret en mon cœur triste auois,

Quand viz porter ma chair, ma nourriture

A celle perte & piteuse auenture.

Tu peus assez au vray aperceuoir

230

Le desplaisir que ie pouuoye auoir.

Ores s’en va pour estre aus loups viande,

Comme mon pere le veut & le commande,

Et ie lasse, seullette demourray:

o 4 Que [p. 216] Fac-simile de la page 216 CANACE

Que fis ie lors? Piteusement pleuray,

235

Et par courrous i’esgrafignay ma face,

Priant à Dieu que tot Mort me deface.

Tantot apres vis message venir

Droit à ma chambre, lequel ne seut tenir

Ses tristes pleurs, tant eut le cœur plein d’ire,

240

Quand tel propos me commença à dire:

Hé douce dame à desplaisir ne prens,

Si à venir deuers toy i’entreprens,

Car Eolus ma fait prendre la voye,

Lequel par moy cette espee t’enuoye,

245

Et si te mande, par ton crime & defaut,

Que tu saches que cette espee vaut:

Ie le feray & sans longue demeure,

Puis qu’il conuient que par ma main ie meure:

De ce glaiue fierement useray,

250

Et le danger point ne refuseray.

Iusques aus fons de ma triste poitrine

Ie logeray de mon pere l’estreine.

Helas ce sont poures biens & guerdons

Mal son douëz heritiers de tieus dons:

255

Fuyez de moy les plaisirs de mon aage,

Et les soulas de leal mariage:

En lieu de vous, viennent playes, pleurs, criz,

Acompagner mes douloureus escriz.

O douces seurs que tant i’ay regrettees,

260

De plus grand eur soyez vous heritees:

Et tieus maris puißiez en fin auoir

Que [p. 217] Fac-simile de la page A MACAIRE. 217

Que comme moy ne vous faille douloir.

De mon meffait toutefois vous souuienne,

A fin qu’ainsi qu’à moy ne vous auienne.

265

Mais qu’a commis, que peut auoir meffait

Ce poure enfant sans coulpe d’aucun fait?

Deust de cestui la mort estre enduree

Par tel cruel fait & male destinee?

Qu’a il pù faire pour estre mal mené

270

De son grand pere & ne fait qu’estre né.

Las, s[’]il auoit tel peine desseruie,

Point ne seroit à regretter sa vie:

Mais s’il prend mort, & brief definement,

Non de son vice, ains du mien seulement.

275

O le mien filz & la douleur amere

De ta dolente & esperdue mere,

Proye procheine des tigres rauissans

Pour deuorer tes membres innocens.

O fils piteus, le court tems de ton aage

280

Ha tout brisé de vray amour le gage.

Cette iournee te fut certes premiere,

Et cette mesme te sera la derniere.

Que n’ay’ie au moins de larmes arrosé

Ton corps qui est à la mort exposé?

285

Que n’ay’ie fait honneur de sepulture

A toy issu de ma propre nature?

Que n’a ma bouche baisé tes piedz & mains

Deuant que voir telz dangers inhumeins?

Or’mengeront les bestes affamees

o 5 Les [p. 218] Fac-simile de la page 218 CANACE A MACAIRE. 290

Les entrailles que i’ay si fort aymees.

Au fort bien tot par glaiue te suiuray,

Et mort par mort acoup ie poursuiuray.

Ia ne seray long tems mere nommee,

Ne longuement außi vefue clamee.

295

Ie toutefois te prie, ô ami cher,

Qui plus n’as loy pres de moy approcher,

Qu’il te plaise poser en sepulture

Les petis os gettez à l’auanture

Et recueillir les membres egarez

300

Qui de vie sont tot desemparez:

Amasse les, & à moy les raporte,

Et quand seray toute transie & morte,

En un tombeau sur moy les viens loger:

Cela pourra mes douleurs alleger.

305

Ayes de moy, dous ami, souuenance,

En regrettant notre feuë acointance.

Arrose un peu de tes larmes piteuses

Mes funerailles tristes & langoureuses:

Ne prens horreur, desplaisir ou desdain

310

De voir mon corps occis par coup soudain.

Tu me fuz bon, & moy loyalle amante:

Or perseuere en l’amour vehemente.

Si te supli & requier humblement

Que tu parfaces ce mien commandement:

315

Et ie feray, sans prendre longue espace,

Ce que mon pere ordonne que ie face.


Fin de la xi.epitre de Canace à Macaire.

[p. 219] Fac-simile de la page 219
[Bandeau]

PREFACE SVR
L’EPITRE DE MEDEE
A IASON.
*

COmme Iason fut en sa force & vigueur
de ieunesse & de beauté, des inconti-
nent qu’il arriua en Colcos, il fut le bien ve-
nu, reçù, & aymé de Medee, fille du Roy du-
dit lieu: laquelle, apres la promesse de ma-
riage, lui enseigna de paruenir à ses fins, c’est
assauoir de rauir la toyson d’or: Et quand il
l’eut prise, il fit voile en grande diligence
auec la toyson d’or & Medee: apres lesquels
alle le Roy Eeta, pere de Medee, pour les
poursuiure & arréter: Mais la malheureuse
Medee mit son petit frere Absyrte en pieces,
puis les geta au riuage, à ce que son pere re-
tardast sa poursuite à les cueillir, pour les
mettre en sepulture, & eus ce pendant gai-
gneroient païs: ce qu’ils firent: & arriuerent
en Thessalie à sauueté: auquel lieu les Poë-
tes disent que Medee raieunit, par ses en-
chantemens, le vieillard Eson, pere de Iason:
& puis qu’elle usa apres d’une mechãte ruse
enuers les filles du Roy Pelias, oncle de Ia-
son : lequelle elle fit mourir sous couuerture
de le [p. 220] Fac-simile de la page 220
de le faire raieunir comme l’autre. En fin
(soit pour ce crime, ou pour autre) Iason de-
chassa Medee, & print pour femme Creusa,
fille de Creõ, Roy de Corinte: Pourquoy Me-
dee alors entrant en furieuse rage de ialou-
sie, escriuit cette Epitre à Iason, le menassant
de subite & tresaigre vengeance, s’il ne
la veut reprendre, en dechassant
sa concubine Creusa: &
en fin tua par despit
ses enfans quel-
le auoit eu
de lui.
*

Fin de la Preface.

[Fleuron] [p. 221] Fac-simile de la page 221
[Bandeau]

LA XII. EPITRE
D’OVIDE.
*
Medee escrit à Iason.

[Figure]

QVand me souuient, ce que bie͂ me recorde,

De la pitié & grand misericorde

Que i’eu de toy, lors que Royne & princesse

Fus de Colcos en florissant’ ieunesse,

5

Et que ie fus trop tot legere & preste

D’obtemperer à la tienne requeste,

Pour te faire, par la mienne achoison,

Maitre & veinqueur de la riche toison,

Certeinement à celle heure dolente

Les [p. 222] Fac-simile de la page 222 MEDEE 10

Les seurs fatalles dussent de moy mechante,

Auoir rompu de la vie le fil,

Sans me voir viure en si piteus exil.

Lors eusse pù bien mourir sans reprouche,

Qui ores suis blamee en meinte bouche.

15

Car puis ce tems n'ay acquis seulement

Fors peine & dueil, regret, gemissement.

Helas pourquoy vint onques en ma terre

Ta nef soudein pour tel tresor aquerre?

Pourquoy te fut si propice le vent,

20

Qui te poussa deuers moy si auant?

Pourquoy te vis? ne pourquoy tant me plurent

Tes beaus cheueus, que trop tot me deçurent?

Et pourquoy fus ie à t'aymer si legere?

Ne pourquoy creu ta langue mensongere?

25

Or plust à Dieu que des ce premier iour

Que ta nef print en mon isle seiour,

Toy homme ingrat,& sans reconnoissance

Tu fusses mis en prompte diligence

(Sans mon aïde, & sans le mien conseil)

30

De vouloir prendre le tresor nompareil,

Et de cuider par fole hardiesse

Veincre toreaus, gardes de tel’ richesse:

Car pour certein, si par moy n’eust esté,

Tu fusses mort en grande malheurté:

35

Besoin me fust : lors eust esté perie

Decepcion, barat, & tromperie:

Et n'eusse pas-si grand douleur au chef

Pour [p. 223] Fac-simile de la page A IASON 223

Pour tant penser en si cruel meschef.

C'est quelque peu de plaisir & soulas

40

A cœur dolent, & de tristesse las,

Ramenteuoir par grand' solicitude

A homme plein de toute ingratitude

Tous les plaisir & biens qu'on lui ha fais,

Cela descharge l'esperit de grans faiz:

45

I’en useray : car iamais autre ioye

De toy n’espere, quelque part que ie soye.

Premierement ton pere t'enuoya

En ce païs, ou le vent conuoya

Ta nef Argo, treslegere & habile

50

Qui t’amena en ma terre fertile:

Là te reçut Oëthes, mon signeur,

Moult doucement, & en si grand honneur,

La recueilli, fus sans nulle laidange,

Toy & ta gent de nacion estrange.

55

Pourquoy donques te recueillit mon pere

Dont par regretz faut que ie desespere.

Vous autres Grecs fustes les bien venus,

En doux plaisirs traitez & soutenus.

Vous eustes draps d'or, de soye, & de layne,

60

Pour soulager votre esperit de peine.

Festoyez fustes, & de divers mangers

Si comme amis, & nompas estrangers.

Lors ie te vi, & lors prins à connoitre

Ton nom, tes faitz, & qui tu pouuois estre:

65

Icelle vuë trop acoup auancee,

Fut [p. 224] Fac-simile de la page 224 MEDEE

Fut le premier trauail de ma pensee

Et außi tot que t'eus choisi de l[’]oeil,

Nauree fus de trop soucieus dueil,

Et fut alors ma poitrine alumee

70

D'amour nouuelle & non acoutumee.

Dedens mon cœur meut un ardant desir

Lequel m'ota d'y pouruoir le loisir:

Car tel estois ieune, dous, debonnaire:

Cela me fit hardie en cet afaire

75

Tes yeus rians certes, ami Iason,

Aueuglerent en moy toute raison.

O desloyal, bien seus tu lors connoitre

Qu'amour estoit de moy signeur & maitre.

Car à peine se peut, au long aller,

80

Amour parfaite ne taire ne celer:

Ia ne peut estre la flamme si couuerte,

Que par fumee ne soit tot descouuerte :

Ce tems pendant moult me desconforta

L'enseignement pour lequel t'exorta

85

Mon pere, lors de parfaire l’emprise,

A fin que tot fust la toison conquise.

Premierement pour tous maus surmonter

Il t'aduertit qu'il te failloit dompter,

Et subiuguer par subtiles cautelles,

90

Les fiers toreaus, dangereus & rebelles,

Qui vomissoient flammes & feus diuers

D'aspre venin ordoyez & couuers:

Les piedz d'arein, les cornes si poingnantes,

Qui [p. 225] Fac-simile de la page A IASON. 225

Qui moult sembloient grieues & violentes:

95

Puis te disoit mon pere, par apres,

Qu'il conuenoit que tu te tinses pres

Pour deceuoir le serpent redoutable,

Qui garde estoit de la toison notable,

Cetui Dragon sembloit moult curieus,

100

Car de dormir iamais ne clost les yeus:

Iamais ne dort, & de rien n'a enuie

Fors de veiller tout le long de sa vie

Si conuient il, pour auoir gain ou part,

En ce tresor, que par cautelle ou art,

105

Tu saches, dist mon pere, luy soutraire

C'est le dernier labeur de ton afaire

Quand Oëthes au long entierement

T'eut declaré son auertissement,

Toy & tes gens qui en parees tables

110

Preniez repas plaisans & delectables

Laissates lors les somptueus mangers,

Et futes tristes en oyans telz dangers

Bien fut alors ton cœur plein de detresse,

Sans esperer plus retourner en Grece

115

Que diray plus? tantot la nuict suruint,

Dont de partir à l'heure nous conuint:

Chacun pensa de coucher, sans demeure,

Car ia estoit assez tardiue l'heure

Triste, piteus, & dolent t'en allas:

120

Et ie (disant tout à par moy, helas,

Comme celle que regret veut destruire)

p Te [p. 226] Fac-simile de la page 226 MEDEE

Te commençay d'œil piteus à conduire:

Si te donnay au partir de ce lieu

A voix celee un bien secret adieu

125

Et quand ie fus en ma chambre montee,

D'aspre douleur acoup fus surmontee.

Tantot apres me mis dedens mon lict,

Ou bien peu prins de ioye & de delit.

Toute la nuict fut en larmes passee,

130

Car de pleurer ne puz estre lassee.

Deuant les yeus de mon entendement

Se presentoit le dur encombrement,

Qui des toreaus dommageus & rebelles

Tenir te peuuent, en suiuant tes querelles.

135

Außi voyois le serpent outrageus,

Qui trop sembloit sur toy auantageus,

Qui du tresor estoit concierge & garde,

Et sans sommeil tousiours le contregarde.

Ainsi auois amour de l'une part,

140

Et creinte & peur qui grand dueil me depart.

Icelle peur fit augmenter & croitre

La grande amour qui en mon cœur peut estre.

Que diray plus? ainsi passay la nuict

En tel trauail & soucieus deduit.

145

Lors vint le iour: si entra en ma chambre

La mienne sœur, ainsi que ie remembre

Les dommages que sur toy sens venir,

Dont de larmes ne me puz contenir.

Icelle sœur me vid pleurer & pleindre,

Romp [p. 227] Fac-simile de la page A IASON. 227 150

Rompre cheueus, mes lasses mein [sic pour meins] estreindre,

Toute pamee estendue à l'enuers,

Pleine & saisie de soupirs moult divers:

Et si trouua toute pleine ma couche

De larmes d'œil, & de regrets de bouche.

155

Lors si me dit, ores n'est la saison

De larmoyer ne vois tu pas Iason,

Prince estranger, si gent, & si notable,

Estre en danger, voire irremediable:

Si par toy n’est secouru au besoin,

160

Mieus lui vousist estre d'ici bien loin,

I'en fus d'acord, & tot fus pronte & preste

Donner conseil à la tienne conqueste.

Pres du palais ou mon pere viuoit

Vne forest tresample & grande auoit,

165

Si tresobscure, & si fort tenebreuse,

Que pour la clarté du soleil radieuse,

A bien grand peine d'y passer fut poßible,

Tant fut le lieu obscur & mal duisible.

Là fut construit en ouurage autentique

170

Vn riche temple somptueus & antique,

Edifié & massonné au nom

De Diane, deesse de renom:

En ce lieu fut son image posee,

De pierrerie & d'or fin composee:

175

En ce dit lieu fortune me mena,

Et tot apres außi t'y amena:

Ce propre iour, & à celle mesme heure,

p 2 Mieus [p. 228] Fac-simile de la page 228 MEDEE

Mieus m'eust valu ailleurs faire demeure:

Car pour certein en ce lieu proprement

180

De tout mon mal vint le commencement.

Là donques vins, & de ta bouche feinte

Me commenças faire telle compleinte:

O douce dame si prudente & si sage

Fortune ha mis le droit en l’arbitrage

185

De mon salut, de ma felicité

Souz le pouuoir de ton autorité:

Et si ha mis, ie le dis sans enuie,

Entre tes mains est ma mort & ma vie.

Sufire doit, si tu as le pouuoir

190

De me destruire sans user de vouloir:

Si te sera plus de merite & gloire

Si pour toy i'ay trionfe de victoire,

Et si par toy suis de mort garanti,

Que si ton cœur, durement consenti,

195

Auoit de moy la perte & la deffaite,

Quand contre toy ne say chose mal faite.

Si te requier par mon encombrement,

Du quel tu peuz estre releuement,

Et pour l’honneur de mes parens notables,

200

Desquelz les fais sont assez estimables,

Et par les Dieus qu'on prie en meinte sorte,

(Si cette terre aucuns en tient ou porte)

Qu'il te plaise, vierge, par amitié

Auoir de moy, ton pouure serf, pitié:

205

Fay que ie sois tousiours ton obligé,

Et [p. 229] Fac-simile de la page A IASON. 229

Et que mon mal soit par toy soulagé.

Et s'il estoit qu'il te plut sans eschange,

Estre lassee de moy qui suis estrange,

Plus tot me puisse la vie defaillir

210

Qu'à nul besoin ie te vueille faillir,

Ne que iamais autre femme i’espouse

Fors toy sans plus ou i’ay amour enclose.

De ce promis i'apelle en tesmoignage

Dame Iuno procheine en cet ouurage :

215

Et la deesse qui au lieu ou nous sommes

Donne confort à meints femmes & hommes.

Telle promesse & tieus plaisans deuis,

Et beaucoup moindre peuuent, à mon auis,

Assez mouuoir une simple pucelle

220

Qui n'a en soy ni fraude nicautelle [sic pour ni cautelle] :

Et les sermens que tu fiz, pour certein,

Mettant ta dextre dedens la mienne main,

Cela me fit aisément alors croire

Les paroles que tu me fiz acroire:

225

Außi ie viz tes larmes & tes pleurs,

Tes yeus mouillez, rougissans de douleurs:

Souz ce gisoit ta grand' fraude mucee,

Et ta malice bien close & recelee,

Ainsi fus ie trop maleureusement

230

Par tes dous mots deçue promptement

Lors te donnay art, doctrine, & puissance

De conquerir celle noble cheuance:

Lors te donnay force & subtilité

p 3 De [p. 230] Fac-simile de la page 230 MEDEE

De subiuguer la fiere austerité

235

D'iceus thoreaus tant fiers & redoutables:

Tu les fiz serfs à euures labourables,

Par mon moyen le serpent furieus

Qui de veiller estoit moult curieus,

Fut endormi, & puis sans peur & crainte,

240

Sa vie fut amortie & esteinte,

Que diray plus? par la mienne achoison

Tu seul obtins celle riche toison,

Et acheuas labeurs, & si grans peines

Qu’onques homme n'en soutint si greueines.

245

En cet afaire tu ne guerroyes mie

Qu'autre fors moy fut ta dame & t'amie.

Tu n’esperois grand bien ne grand auoir

Par nulle autre tant eust riche scauoir.

Mais respons moy, ou estoit (par ton ame)

250

A celle fois celle seconde dame?

Que ne vint elle acoup vers toy courir

Pour te sauoir prontement secourir?

Las, ie t’ay creu, par ta feinte maniere:

De mon païs me suis fait estrangere:

255

Or m'as laissee, & poure, & loin d'amis,

C’est la merci ou ton faus cœur m'a mis

Ores suis telle, .& à toy m’en raporte,

Qu'il te semble que malheur ie te porte.

Helas tu fcez que si ie n’eusse esté,

260

Par toy ne fust ce tresor conquesté.

Cause ie fus du dormir & contreindre

Le [p. 231] Fac-simile de la page A IASON 231

Le fier Dragon lequel t'eust pù estreindre:

Et te liuray, tous dangers escheuant,

Celle toison dont tu fus poursuiuant.

265

I'abandonnay pere & parens & terre,

Cheuance, biens, & ce qu'on peut acquerre,

Pour te complaire selon le tien desir,

Ie n'ay voulu recompense choisir,

Fors seulement exil, fuite, & eslongne

270

Du mien païs, comment l'euure tesmoigne:

Et, pour parler en droite verité,

Ma renommee & ma virginité

Fut faite proye en perilleus danger

A un faus homme de païs estranger.

275

Las, que diray? pour estre obeïssante

A ton vouloir, ie fus preste & contente

De faire exploit si piteus & diuers,

Que moult ie creins le coucher en mes vers.

Bien entreprint ma main tel’ forfaiture

280

Qu’elle n’ose la mettre en escriture.

Dont pour certein bien auois merité

Estre de vie, & toy desherité.

Mon frere i’ay desmembré, & deffait,

Mais ia pourtant n’euz creinte de ce fait.

285

Ie ne creingnois ne la mer, ne ses ondes

Tant fussent ils douteuses & parfondes.

Helas pourquoy ne fumes donques lors

En mer noyez, & engoufrez & mors,

Selon la peine & le cas meritoire,

p 4 Toy [p. 232] Fac-simile de la page 232 MEDEE 290

Toy par barat, & moy par leger croire?

Que plust aus Dieus que les treshauts rochers,

Lors que passames les maritins dangers,

Fussent tombez sur nos deus corps à l[’]heure,

Et que mes os & les tiens, sans demeure,

295

Eussent esté desmoulus & brisez,

Ou que Scylla nous eust lors auisez,

Et deuorez en son parfond abime:

Car d'ingrat euure eußions payé la dime.

Ainsi n’auint, dont moult me pleins & dueil:

300

Mais sain & sauf, & veinqueur à ton vueil

T'en retournas en tes païs & terres,

Et tot apres tu ordonnas pour erres

Celle toison si precieuse aus Dieus,

Comme prince fort & victorieus.

305

Que t’ay ie fait, pour estre tant haïe,

Et de toy seul eloignee & trahie?

Si i'ay commis aucun crime ou meffait,

Tu scez assez que pour toy ie l’ay fait:

Tu m'as osé (si douleur violente

310

Veult & permet que ce mot ie ramente)

Dire ua t'en, vuide de ma maison:

Ce mot m'as dit, sans loy & sans raison:

Ainsi le fiz, & de toy eslongnee,

Ie m'en allay non d'autre acompagnee

315

Fors seulement de deus petis enfans,

Car autre suite alors tu me defens.

Moult me fut grieue icelle departie,

Quand [p. 233] Fac-simile de la page A IASON. 233

Quand me conuint querir autre partie,

Ayant en moy, pour mon dueil compasser,

320

La tienne amour, dont ne me puis lasser.

Las que diray? moult fuz triste & piteuse

Vn peu apres, quand à voix plantureuse

I'ouï le son de tes hauts instrumens,

Nouueaus esbats & resiouissemens,

325

Qui denotoient (comme ie presuppose)

Qu'à celui iour deuois prendre autre espouse.

I'ouï le cri, les clameurs, les conuis,

Et mon las cœur faisoit triste deuis.

Larmes & pleurs de mes yeus decouloient

330

Quand mes oreilles tes tabours escoutoient.

Imaginant pour le tems à venir,

Que par ton vice pis me pourroit venir.

I'eu creinte y peur le pourquoy ne sauoye,

Mais le corps froit, & le cœur triste auoye,

335

Qu'auint il plus? tantot ouï le bruit

Des festoyans, & le plaisant deduit:

Tot fustes prests pour mariage faire,

Dont fut chacun soingneux à cet afaire.

Et quand plus forts escoutois, telz esbatz,

340

Plus se douloit mon piteus cœur tout bas.

Mes seruiteurs tendrement lamentoient,

Mais leurs larmes deuant moy recloyoient:

Nul d'eus certes declarer ne m'osoit

Cause pourquoy telle chere on faisoit

345

Ainsi pour vray, trop plus m'estoit propice

p 5 Le [p. 234] Fac-simile de la page 234 MEDEE

Le non sauoir qu’estre auerti du vice:

Iaçoit qu'auois autant de peine & dueil

Comme si i’eusse le tout choisi de l’œil.

Las i’enuoyay pour en estre auertie,

350

(Dont meintefois ie me suis repentie)

Le plus ieune des deus enfans petis,

Droit à ton huis pour voir tes appetis,

Et pour aprendre tes gestes & manieres,

Mais pour certein si n[’]i demoura gueres

355

Qu'il ne reuint vers moy incontinent:

Et si me dit, il est tems meintenant,

O douce mere que du païs t'en ailles,

Mon pere ha fait nouuelles espousailles.

Ores l’ay vù à ses destriers dorez

360

Qui pour sa femme ont esté preparez.

Quand l’euz ouï ie fiz telle compleinte

Que cuiday estre soudeinement esteinte,

Et deßiray, en oyant ce meschef,

Ma noire robe, & le mien cœuurechef:

365

Et ia ne fut assuree ma face

Que par mes doigs ne me tue ou deface.

Souuent me vint le talent & vouloir

D'aller tout droit au propre lieu pour voir

Ou se faisoit la feste & l'assemblee,

370

Comme femme forcenee & troublee,

Et de rauir sur vos parez cheueus

Les violettes & chapeaus de vous deus.

A peine sceu contenir y restreindre

Ma [p. 235] Fac-simile de la page A IASON. 235

Ma voulonté, que n'alasse me pleindre,

375

Et haut crier sans cesse deuant tous,

Il est à moy, ce desloyal espous:

Mais qui me tint que ie n’alasse à l’heure

Te courir sus prontement sans demeure?

Et detrencher par mes ongles & mains

380

Ta fiere face & tes yeus inhumain?

Ha mou cher pere-, que tant i’ay courroußé,

Pourquoy t'áy ie sans adieu delaißé?

Bien te dois ore esiouir de ma perte,

Quand lors ie fus de te laisser aperte:

385

Et vous nobles voisins du mien païs,

Bien doiuent estre de vous mes faits haïs

Or suis d'amis, de terre & de demeure,

Et de maison bannie pour cette heure.

Cil m'a laissee ou mon cœur s'arrestoit,

390

Qui mon espoir & ma fiance estoit.

Helas i'ay pù veincre serpens doutables,

Voire & dompter thoreaus espouuentables,

Et si ne puis renger aucunement

Vn tout seul homme à mon consentement.

395

Ie qui ay sceu feu & flammes esteindre

Pour los acquerre, & pour honneur ateindre.

Qui tant ay fait de choses par mon art,

Ne puis occir le feu qui mon cœur art.

Ores me laissent herbes, mots & racines,

400

A mon besoin faillent mes medicines:

Iours me sont tristes, & ameres les nuits

Par [p. 236] Fac-simile de la page 236 MEDEE

Par moy veilles en douloureus ennuits.

Regret ne veut, & ne permet sans doute,

Que de repos prenne une seule goute.

405

I'ay peu contraindre le dragon de dormir,

De moy, ne puis, & ne fais que gemir.

Ainsi apert pour vray que ma science

Est plus utile, & d'autre experience

Enuers autrui qu'elle n’est deuers moy,

410

Dont à bon droit ie doy viure en esmoy.

A bon droit donq en larmes ie mefonde [sic pour me fonde]

Quand meintenant celle femme seconde

Embrasse & tient les membres & le corps

De cil que i’ay de noyses & discors,

415

Et de danger preserué sans ruïne,

Voire de mort dont assez ie fus dine

Et elle prend (dont i’ay grieue douleur)

Les fruits entiers de mon paßé labeur.

Helas peut estre qu’à celle fausse femme

420

Tu dis de moy meinte parole infame.

Elle te preste l'oreille voulentiers

Pour escouter tous tes deuis entiers.

Vous deus ensemble en la soëfue couche

Dites de moy meint faus parler de bouche

425

Bien peu prisez mes faits, & ma beauté,

Bien me iugez femme sans loyauté.

Or' vous riez & en parler à l'aise

A fin que mieus l'un a l’autre complaise.

Dy à ta dame qu[’]elle rie hardiment,

Et [p. 237] Fac-simile de la page A IASON. 237 430

Et sous draps d’or & riche parement

Prenne sa vie tant qu'elle aura duree:

Car i’ay espoir qu’à voix démesuree,

Triste & piteuse, chetiue gemira,

Et grant ardeur en son cœur sentira:

435

Tant que pourray fer, feu, venin comprendre,

Bien garderay ennemis de m'esprendre

En mon endroit, & bien seray vengee

De ceus par qui ie pense estre outragee.

Mais toutefois si mes humbles prieres

440

Aucunement valent, ou peu, ou gueres

Duire à partie, ton courage endurci

Escoute au moins, & me prens à merci.

Humble te suis, ores tu peus connoitre:

Et tu vers moy bien humble soulois estre.

445

Ie ne creindray pour la pais d'entre nous

De me getter deuant toy à genous.

Se ie te semble moins sufisante & uile,

Regarde au moins par amitié seruile

Iceus enfans qu'ores ie te presente,

450

Dont tu es pere, & moy mere dolente:

Las bien seront haïs y malmenez

De leur maratre, & tot abandonnez:

Qua͂d les regarde mes gra͂s douleurs s'aßemble͂t,

Car pour certein trop au vif te ressemblent.

455

Dont moult souuent larmes & piteus criz

Yssent de moy quand leur beauté descriz

Si te requier si quelque amour habite

Dedens [p. 238] Fac-simile de la page 238 MEDEE

Dedens ton cœur, & par le mien merite

Par iceus deus enfans & tiens & miens,

460

Que ie possede sans autres biens faits tiens,

Qu'il te plaise la part du lict me rendre

Auquel souloye à toy mon plaisir prendre,

Et pour lequel, quand à toy me donnay,

Tant de choses iadis abandonnay.

465

Aioute foy, s'il te plait, à mon dire

Et ma requeste ne vueilles contredire:

Aïde moy, point ne te veus requerre,

Contre toreaus, ou monstres faire guerre

Ie seulement ne veus, ni ne requiers

470

Fors les ioyeus soulas qu'en toy ie quiers.

I’ay bien de toy tel’ grace desseruie

Quand lors tu mis entre mes mains ta vie,

Si tu demandes mon douaire & mon bien,

Nous la contames alors (ce scez tu bien)

475

Au champ douteus & terre labouree

Ou tu conquis celle toison doree:

Mon vray douaire & mon riche tresor,

Ce fut certes ce noble mouton d'or

Que tu possedes, & si ie demandoye

480

Le recouurer, tot refus en auroye.

Le mien douaire,y tout mon bien meilleur,

C'estoit te voir en ioye & en valeur,

Et que te visse en florissant' ieunesse

Quant au premier vins au païs de Grece

485

Or t'en va ore ou aller tu voudras,

Mais [p. 239] Fac-simile de la page A IASON. 239

Mais, s'il te plait, au moins tu me rendras

Le bien que i’ay submis à ton usage,

Mon tems perdu, voire & mon premier aage.

Saches pourtant l‘estat que tu meintiens,

490

(Voire & la vie) de moy seule le tiens.

Tu n’as tresor, fame, biens, ne cheuance,

Que tu ingrat n’ayes par mon auance.

Mais puis qu’ainsi m'as voulu abuser,

Bien garderay longuement en user:

495

De ce meffait seray certes vengee,

Car laidement tu m’as endommagee:

Iaçoit que peu pourtant peut proufiter

La menace de te desheriter:

Rien ne feras de chose que te die

500

Dont il conuient que sous ta foy mendie:

Mais voulentiers ire, qui tous sens passe,

Engendre hayne & produit grand menace:

Donques mon ire & mon courrous suiuray

Encontre toy tant comme ie viuray:

505

Et si mettray telle chose en vente

Que ie pourray en fin estre dolente:

Et peut estre que m'en repentiray:

Mais toutefois cela t’assortiray,

Car trop me dueil d'auoir mis ma fiance

510

En homme plein de si grand' deffiance.

Or voye Dieu mon afaire piteus,

Et reconforte mon courage douteus

Car ie ne say autre voye meilleure

Fors que me venge ou que bien tot ie meure.


[p. 240] Fac-simile de la page 240 [Bandeau]

PREFACE SVR
L’EPITRE DE LAO-
damie à Protesilaüs.
*

PRotesilaüs nauigeant auec les Grecs à
Troye, fut arrété cõme les autres par
la tẽpeste de mer, au port Aulide: ce qu’ayant
entendu Laodamie, sa femme, elle bien ay-
mant son mari, & troublee de plusieurs son-
ges, lui escriuit cette Epitre: par laquelle
l’amõnestoit ne se getter en hazard de guer-
re, mesmement atendu le piteus oracle (que
lon tenoir comme Profecie) qui disoit que
le premier des Grecs qui descendroit en la
terre de Troye, y mourroit. Or auint
que Protesilaüs, comme le plus
vaillant, y descendit le pre-
mier: & aussi y fut
il tué par He
ctor.

Fin de la Preface.

[p. 241] Fac-simile de la page 241 [Bandeau]

LA XIII. EPITRE
D’OVIDE.
*
Laodamie escrit à Protesilaüs.

[Figure]

CElle qui t’ayme, & n’a fors de toy ioye,

Salut te mande, & salut si t’enuoye.

Toy & tes gens, selon le vray raport,

Estes trestous arrestez en un port

5

Moult perilleus par un vent trop contraire,

Lequel garde seurement vous retraire

Helas ami, mais dy moy ou estoit

Ce vent mauuais qui ta nef n’arrestoit

Lors que de moy t’en allas si grand’ erre

10

Faire aus Troyens pour Menelaüs guerre?

q Alors [p. 242] Fac-simile de la page 242 LAODAMIE

Alors deuoyent les mers & enuirons

Donner fatiques [sic pour fatigues] à vos fors auirons,

Ce tems estoit moult propice & utile

A notre mer trop legere & mobile:

15

Car pour certein lors que tu t'enuolas,

Et que de moy si tot tu t'en allas,

Plusieurs baisers t'eusse fait d'auantage,

Et déclaré le mien-entier courage.

De te dire meinte chose eu vouloir:

20

Mais toy hatif, me mis à nonchaloir:

Tot tu fus prest de faire departie:

Et pour tirer en estrange partie

Tu eus le vent agreable & tout tel

Comme il faloit pour laisser ton otel,

25

Aus nautonniers propice & conuenable,

Mais non à moy plaisant ne delectable.

Car par celui ie fus entierement

Separee de ton embrassement :

Ie n'eus loisir par ta nef auancee

30

Te declarer moitié de ma pensee.

Et à grand peine eus espace en ce lieu

De te dire le tant piteus adieu.

Las que diráy ie? en celle creinte & doute

Le vent soudein ta nef pousse & deboute,

35

Et si saisit tes voiles à son vueil,

Si que tot fus eslongnee de mon œil:

Tot fut de moy le mien ami arriere,

Dont.de regrets i’eu bien cause & matiere.

Tant [p. 243] Fac-simile de la page A PROTESILAVS. 243

Tant que te sceu de loin aperceuoir,

40

Autre plaisir ie ne queroye auoir:

Et de mes yeus les tiens ie poursuiuoye,

D'autre soulas à l'heure ne viuoye.

Et quand tu fus de ma vuë perdu,

Ie regardois le grand voile tendu,

45

Lequel detint mes yeus en celle place

Tant que les sceu employer longue espace.

Mais par apres quand i'eu toy & tes voiles

Perdu de vuë, & que les blanches toiles

Furent si loin que mon œil n'y vid plus

50

Et que vy fors mer tout le surplus,

Alors acoup vers toy print la volee

Ma ioye entiere par trop soudeine allee,

Et s'en alla la force de mon cœur

Iusques à toy, comme maître & veinqueur.

55

Et tout acoup tombay lasse & pamee

Ainsi que femme en douleur entamee,

A peine sceut mon pere ne ma mere

Me preseruer de celle peine amere:

A peine sceurent, pour aller ne venir,

60

Ne pour remede me faire reuenir.

En moy firent assez piteus ofice,

Trop inutile, & à moy peu propice.

Si ay regret, & me desplait moult fort

Que ie n’ay peu mourir en cet effort:

65

Dar [sic pour Car] quand ie fuz de mon mal reuenue,

Douleur nouuelle en moy tot est uenue.

q 2 Loyalle [p. 244] Fac-simile de la page 244 LAODAMIE

Loyalle amour par douloureuse estreine,

Commença poindre mon cœur & ma poitrine

Plus ne me chaut, plus ne quiers ni ne veus

70

Prendre labeur à pigner mes cheueus.

Plus n’ay talent porter robe doree,

Puis que sans toy seule suis demouree.

Ca & là vois, sans plaisir ne deduit,

Selon que dueil & souci me conduit.

75

Souuentefois mes voisines procheines

Apres moy crient, disant à voix hauteines,

Laodamie de quoy te peut seruir

A si grand dueil & peine t'asseruir?

Prens paremens de royale véture

80

Comme apartient à noble geniture.

Ce peut il faire? & doy ie separer

Regrets de moy, & d'abits me parer,

Pompeus & beaus en sine de grand ioye,

Quand cil bataille deuant les murs de Troye?

85

Dóy ie mon chef de fleurs acompagner,

Cointe me faire, & mes cheueus pigner,

Quand mon espous en guerre & en conqueste

Porte salade pesante sur la teste?

Prendráy ie robe de nouueau parement,

90

Quand dures armes blessent le mien amant?

Certes, amy, de ce faire n’ay garde

Mais tout le point ou plus fort ie regarde,

C'est dueil, souci, & trauaus assembler,

A fin qu'en peine te puisse ressembler:

Et [p. 245] Fac-simile de la page A PROTESILAVS. 245 95

Et si feray par ma chere aparoitre

Le grand danger ou ores tu peus estre,

Si prie aus Dieus que tu de Briam fils,

Tresfaux Paris qui cet outrage fis,

Dont c'est depuis meinte guerre ensuiuie

100

Qui cause soit du danger de ta vie,

Et que les tiens & ceus de ton païs

Soient en la fin veincus & esbahis

Außi couart soyes tu à la peine,

Comme tu fus subtil à prendre Heleine:

105

Las bien vousisse alors que tu la vis,

Qu'en autre endroit fussent tes yeus rauis

Et que si belle ne t'eust point apparue.

Pour estre ainsi de son mari tolue:

Ou bien voudrois, que lors qu'elle t'eust vù

110

De grand' beauté n[’]usses esté pouruu.

Menelaüs moult trauaille & labeure

Moult se guermente, & souue͂t pleint & pleure:

Assez ha mis de gens à l’auanture

Pour recouurer la sienne creature,

115

Maudite femme qui tel fait ha commis

Dont meintes dames regrettent leurs maris.

Dieus, ie vous prie, donnez voye oportune

Au mien espous, gardez le de fortune:

Faites que sauf il puisse reuenir,

120

Et au dessus de tout mal paruenir

Et que ses armes presenter il vous puisse

En votre temple en lieu de sacrifice.

q 3 Las, [p. 246] Fac-simile de la page 246 LAODAMIE

Las, ie creins tant que peril ne t’auienne:

Quand il conuient que tousiours me souuienne

125

D'icelle guerre, & douteus apareil,

Ie fons en pleurs comme neige au soleil:

Et seulement quand les lieus on me nomme

Ou tu es ore & que le tout ie somme,

Soit Tenedos, Xantus, ou Ylion,

130

Cela me donne de peurs un milion

Et puis ie pense que si Paris sans doute

N'eust mis son sens & son entente toute

N'eust pas ozé telle chose entreprendre,

Sinon qu'il eust assez pouuoir pour prendre,

135

Et pour rauir celle que tant aymoit,

Ce fut Heleine que chacun estimoit.

Bien sauoit cil qui fit icelle prise,

Que force auoit pour garder la reprise.

Las, il y vint, comme ie say pour voir,

140

Assez en point pour dames deceuoir:

Assez fut beau, en lui ne failloit mie

Chose qui fust pour aquerir amie.

Bien vint au lieu acompagné de gens

Deliberez, subtils & diligens:

145

Nauire il eut leger, & de grand’ erre

Pour passer mers en meinte estrange terre:

Et puis qu'il vint de gens si bien parti

Bien croire faut qu'il ne s'en est parti

Du sien païs qu'il n[’]ait laißé grand nombre

150

De gens, assez pour faire meint encombre,

Et [p. 247] Fac-simile de la page A PROTESILAVS. 247

Et pour defendre son royaume & garder.

La peur que i’ay m’y fait bien regarder.

O dame Heleine ores faut que conclue,

Que par ce point tu fus prise & veincue:

155

Mais moult ay peur, dont ie faiz telz regretz,

Que ton allee soit nuisante a noz Grecs:

Ie doute & creins, & souuent mets en conte

Vn apelé Hector, qui tous surmonte.

Il ha le bruit de prouesse en sa main

160

Cheualeureus plus que nul autre humein.

Et pour ce, ami, si en riens me tiens chere,

Et que tu daigne exercer ma priere,

Ie te suppli que veuilles escheuer

Celui Hector, sans iamais estriuer,

165

Ne batailler contre si robuste homme.

Pas ne l'ay vù, mais Hector on le nomme:

Retiens ce nom, & iamais n'y deuie,

Pour außi cher comme tu tiens ta vie.

Et quand cetui tu auras escheué,

170

Garde toy bien que ne soyes trouué

D'autres Troyens en bataille mortelle,

Et considere que leur force soit telle

Comme celle d'Hector si preus & fort:

Ne te mets pas en ce douteus effort,

175

Ains fuy leurs dars, leur enseigne & leur proye

Comme si tous fussent Hector de Troye.

Di (toutefois & quantes que voudras

En fier destour haut eslieue les bras)

q 4 De [p. 248] Fac-simile de la page 248 LAODAMIE

De par toy la mienne Laodamie

180

Que tant ie tiens chere espouse & amie,

Si m[’]a requis par lealle amitié

Que ie vueille d’icelle auoir pitié.

Et s'il auient que fortune permette

Que Troye soit par noz Gregois deffaite,

185

Dieu vueille aumoins qu’elle soit abatue

Sans que nesvn te blesse, ne te tue.

Fasse hardiment Menelaüs la guerre

Et tenir puisse ses ennemis en serre:

Rauir puisse il à Paris deceuant,

190

Ce que Paris lui rauit par auant.

Veinqueur soit il, sans faire longue pause,

Contre celui ou il ha bonne cause:

Demander peut sans reproche ou meffait,

Amendement de l[’]outrage à lui fait.

195

Mais toy, ami, tu n’as cause si grande

Comme celui qui sa femme demande:

Tu ne dois fors pour viure batailler,

Et pour estre sain & sauf trauailler,

Et mettre peine te trouuer en brieue heure,

200

Aus lieus piteus ou t'amie demeure.

O vous Troyens doucement vous suplie,

Que si la guerre longuement multiplie,

Et si les Grecs vous traitent rudement,

Vueilles auoir merci d'un seulement,

205

A fin au moins que n'abrege mon aage

Par le trespas d’un si beau personnage

Las, [p. 249] Fac-simile de la page A PROTESILAVS. 249

Las, il est ieune, & pas ne lui affiert

Estre assailli de glaiue qui tant fiert.

Sa face n'est rude, ne redoutable

210

Pour se montrer en guerre espouuentable:

Mais celui là qui sa femme querelle,

Peut batailler & estriuer pour elle.

Quant est du mien ie ne desire pas

Que si auant se mette en ce trespas.

215

Certes, ami ie te di & confesse

Que maintefois vouluz prendre hardiesse

De retirer la tienne voulenté

Lors que tu fuz si fort entalenté

D'aler si tot à ce siege de Troye,

220

Laissant ta terre pour une etrange proye.

Car pour certein issant de ta maison,

Ne say comment ni à quelle achoison

Tu te blessas un pied, dont au courage

I’eu peur & creinte, d'auoir mauuais presage.

225

Lors i’eu douleur, & soucieus esmoy:

Et commençay dire tout à part moy,

Ie prie à Dieu que ceci sinifie

Le brief retour de cil en qui me fie.

Bien me souuient, cher ami, de ceci:

230

I’en ay le doute le dueil & le souci:

Si te le fais assauoir par ma lettre

Pour retirer ton vueil de non te mettre

Souz le pouuoir de main des estrangers,

Ne pres des armes ou grans sont les dangers.

q 5 Fais [sic pour Fay] [p. 250] Fac-simile de la page 250 LAODAMIE 235

Fay que le vent legerement emporte

La grande peur que pour toy mon cœur porte.

Las, i'ay songé & eu auision

Que cil des Grecz qui par afeccion

Premier mettra le pied dedens la terre,

240

D'iceus Troyens sera occis en guerre:

Dont celle dame moult grand regret aura

Qui son mari la premiere y perdra.

Si prie à Dieu que si preus ne te face,

Que tu mettes premier le pied en place.

245

Et que ta nef n’aille pas si auant

Qu’elle arriue la premiere deuant:

Ains t’amonneste & si te veus bien dire,

Que tu sailles dernier de ton nauire:

Car pour certein celle terre n’est pas

250

Ton heritage à bien faire ton cas.

C’est lieu non seur, ennemie frontiere:

Et pource, ami, ne t'en aproche gueres

Mais quand vers moy tu feras le retour

Hors du danger de ce piteus destour,

255

Pousse ta nef & si te diligente

De tot venir quelque vent qui te vente

Quand tu auras ton païs aperçu,

Descens acoup pour y estre reçu.

Helas ami, tant suis mal atournee

260

Qu’auoir ne puis une bonne iournee:

Soit or’ de iour ou soit ores de nuict

Le dueil que i'ay de toy tousiours me nuit.

Le [p. 251] Fac-simile de la page A PROTESILAVS. 251

Le iour te pleins, & la nuict te regrette,

De peu dormir faisant longue diette.

265

Mais toutefois la nuict plus que le iour

Nourrit mon cœur en peine sans seiour.

Bien sont les nuicts certes plaisantes à celles,

Aus belles dames, & ieunes iouuencelles

Qui ont leurs bras, à seur, couchez & mis

270

Au pres de ceus de leurs loyaus amis:

Quant est de moy, seule gis & repose

En lict piteus, ou meins cas presuppose,

Faisant songes qui moult font trauailler

Mon triste cœur quand vient au reueiller:

275

Et meintefois auis m'est & me semble

Que là sommes tous deus couchez ensemble.

Ioyes feintes me donnent du plaisir

Durant mon songe, dont court est le loisir.

Mais pourquoy est ce que souuent ie presente

280

Deuant mes yeus ton image dolente:

Et dont vient ce que ie t'ois en dormant,

Ce m'est auis pleindre & gemir forment?

Lors ie m'esueille, & toute desolee

Creingnant ton mal, comme femme auolee,

285

Ie recommande à noz Dieus ta santé

Si que tu sois de tous maus exempté:

Et n'ya temple, eglize, ou monastaire

Ou ie vueille mes oblacions taire:

Et point ne sont mes larmes espargnees,

290

Car mes ioyes sont par toy eslongnees.

Las, [p. 252] Fac-simile de la page 252 LAODAMIE

Las quand sera que te pourray reuoir,

Et doucement en mes bras receuoir?

Quand viendra l’heure, que nous, en sure couche

Tous deus gisans, me feras de ta bouche

295

Les piteus contes de tes trauaus passez

Et les dangers de tes membres lassez?

Croy, cher ami, que moult feray content

Mon cœur alors tous tes faitz escoutant:

Mais ia pourtant ne seray oublieuse

300

De te baiser oyant ta voix piteuse.

Et tu außi cent fois me baiseras,

Quand pres de moy à repos tu seras:

Cet interualle de baisers amiables

Fera trouuer tes contes plus sortables.

305

Langue qui met à son dire compas,

Prononce mieus & si tot ne faut pas.

Mais, dous ami, puis que tu tendz à Troye,

Et que de vent & mer tu te fais proye,

Le bon espoir ou i'ay meints iours vescu,

310

Par trop grand creinte est failli & veincu.

Qui est celui, tant fust loin de sa terre,

Qui se vousist ,fust à paix ou à guerre,

Sur mer bouter pour son païs reuoir,

Quand il pourroit de l’œil aperceuoir

315

Que vent & mer lui seroit trop contraire?

Plustot voudroit arriere se retraire:

Et vous Gregois votre païs laissez,

Et autre terre etrange pourchassez,

Iaçoit [p. 253] Fac-simile de la page A PROTESILAVS. 253

Iaçoit pourtant que vent, mer & tempeste

320

Vous contrarie & danger vous apreste.

Ou allez vous? dont viennent ces raisons?

Tournez, amis chacun en vos maisons:

Ou tirez vous, ô Grecs? voyes vous mie

Que fortune ne vous est point amie?

325

Certes croyez que ce retardement

Que vous auez, ne vient pas seulement

Du vent contraire ainsi que l[’]on repute,

Ains vient de Dieu lequel vous persecute.

Mais que querez? ne pourquoy trauaillez?

330

Dont vient la guerre ? & pourquoy bataillez

Fort seulement, (dont ie ne me puis taire)

Pour recouurer une femme adulteire.

Pour ce donques tandis qu’auez le tems,

Reuenez tous, & en soyez contens.

335

Si prie aux Dieus toutefois, & suplie,

Qu’à votre gré soit la chose acomplie,

Et que la doute qu'ay du mal auenir

Puisse à bon sort, & meilleur poinct uenir.

Moult ay despit de ces Troyennes dames,

340

Quand mors verront nos gens rendre les ames,

Blessez, meurtris en ce piteus destour,

Enuironnez d’ennemis à l[’]entour.

De leur palais & de leurs grans fenestres,

Pourront iuger des plus fors ou adextres:

345

Chacune d'elles son mari armera

Facilement, quand à la guerre ira:

Meinte [p. 254] Fac-simile de la page 254 LAODAMIE

Meinte sera assez songneuse & preste

De mettre au sien l'heaume sur la teste:

Et en posant les pieces seurement,

350

Se baiseront l'un l’autre doucement.

Cela sera piteus & dous ofice,

Aus deus confors amiable & propice.

Et quand la dame aura à son espous

Les armes mises lui dira meint propos,

355

Et d’œil soigneus regrettant le regarde,

L’auertissant que bien se donne garde:

Aus Dieus le vouë, & si le recommande

A fin que sauf eschape de la bande.

Ainsi s'en ua bien armé le galant,

360

Qui de combatre doit auoir bon talent:

Car il est frais, & si n’oublira mie

Les prieres & baisers de s'amie.

Assez combat, & à bonne raison,

Car sa retraite est pres de sa maison:

365

Quand las sera de ferir & combatre,

Chez lui pourra s'en retourner esbatre:

Là prontement sa dame trouuera,

Qui pesant faiz acoup lui otera:

Et si sera sa chair mate & lassee

370

De son espouse doucement embrassee.

Mais nous doulentes qui de vous sommes loin,

N'auons pour vray fors regret dueil & soin:

De si sommes de tous points incerteines

De vos trauaus, & de vos longues peines:

Creinte [p. 255] Fac-simile de la page A PROTESILAVS. 255 375

Creinte nous fait penser & souuenir

De tout le mal qui vous peut auenir.

Or suis pourtant, dous ami, confortee,

Et à plaisir quelque peu exhortee:

Car iaçoit or, qu’en meintes regions

380

Tu suis les armes, & grandes legions,

En ton absence i'ay peinte ton image

Pourtraite au vif, semblant à ton visage:

Hà quantefois ie la baise & cheris,

Ie l'entretiens, & doucement lui ris:

385

Et pour certein mon vouloir lui descœuure,

Comme si tu fusses present à l[’]heure:

A elle parle, à elle ie me pleints,

Comme se dvst ecouter mes compleints.

Or m'en croy donq, tant est à toy semblable

390

Qu'on iugeroit que vie ha veritable:

Et s'elle auoit la parole, ou le son,

Ce seroit toy, & ta propre façon:

Ie la regarde, & la tiens, & l'embrasse.

Comme si fust mon mari sans fallace:

395

Et si me pleints de quoy par maintefois

A moy ne parle comme à elle ie fois.

Conclusion, ie te promets & iure,

Soit ore à ioye, ou à future iniure,

Soit à peril ou de vie ou de mort,

400

(Dont mon las cœur moult souuent me remort)

En quelque part que fortune t’enuoye

Ou mort ou vif, te suiuray en ta voye.

Si [p. 256] Fac-simile de la page 256 LAODAMIE

Si veus clorre mon epitre, & ma lettre,

Ou i'ay voulu en fin poser & mettre

405

Vne requeste dont il m'est souuenu,

C’est qu'il te plaise, apres le contenu,

Auoir pitié de toy & moy ensemble,

C'est là le point, vela ce qu'il m'en semble.


Fin de la xiij. epitre de Laodamie à Protesilaüs.

[Bandeau]

PREFACE SVR
L’EPITRE D’ IPERME-
stra à Linus.

DAnaüs, fils de l’ancien Belus, eut de
plusieurs femmes cinquante filles, les-
quelles son frere Ægistus ou Ægyptus, de-
manda pour femmes à ses cinquantes fils:
mais Danaüs ayant eu responce par l’oracle,
qu’il deuoit estre occis par le mari de l’une
de ses filles: & voulant euiter ce danger,
monta en sa nauire, & singla droit en Argos.
Or Ægistus (prenant ce fait à indignité, com-
me s’il eust esté méprisé de son frere) enuoya
ses cinquante fils auec une armee, poursuy-
ure son frere Ægistus: & sous tel comman-
dement, & charge expresse de ne retourner
sans le tuer, ou q̃ les mariages fussent acom-
plis. Ægistus dõq par eus assiegé, leur accorda
le [p. 257] Fac-simile de la page 257
le mariage de ses filles: ausquelles secrette-
ment il auoit baillé à chacune un glaiue, ex-
pressemẽt pour occir leurs maris la premi-
re nuict, quand ils seroient endormis & rem
plis de vin & de viande auec leur nouuelle
ioye. Ce qu’elles firent toutes, excepté seule
mẽt une, à sauoir Hypermestra. laquelle ayãt
pitié de son mari Linus (aucũs disent Lincus,
autres Linceus) l’auertit, & lui conseilla s’en-
fuir promptement vers son pere Ægistus.
Mais comme Danaüs connut que Hyperme
stra n’auoit fait son cõmandement ainsi que
les autres, il la vous fait prendre, & reserrer
en prison bien estroitement. Elle donq estãt
ainsi enfermee pour auoir sauué son cousin
germain & son mari, lui enuoya cette epitre,
le requerãt la venir deliurer de captiuité: ou,
si elle y meurt, l’ensepulturer. Mais Linus en
fin la deliura, & tua Danaüs, pere d’elle. Les
Poëtes feignẽt q̃ ces meurtrieres seurs (qu’ils
nõment Belides & Danaïdes, du nom de leur
pere & pere grand) sont aus enfers punies
de telle peine qu’elles cuidẽt rẽplir d’eaeu un
vaisseau persé: qui coule incessamẽt, & au-
tãt en gette cõme elles en mettẽt, dont Oui-
de fait mencion en plusieurs passages, mes-
sme en la Metamorphose liure quatrieme.

Fin de la Preface.

[p. 258] Fac-simile de la page 258 [Bandeau]

LA XIIII. EPITRE
D’OVIDE.
*
Hypermestra escrit à Linus.

HYpermestra dolente & langoureuse,

Par cette lettre de larmes plantureuse,

A toy Linus, reste de tant de freres,

Donne salut en pleintes trop austeres:

5

Nagueres fustes plusieurs freres germains,

Ores es seul, & ores seul remains: Remains
pour de-
moures.

Les autres ont aus Dieus rendu les ames

Par la rigueur de leurs cruelles femmes.

Or suis tenue (toutefois sans raison)

10

En fiers liens, & obscure prison.

La seule cause de ma peine outrageuse

C’est seulement d’auoir esté piteuse.

Blamee suis de mon pere inhumein

Dont i’espargnay t’occire de ma main.

15

Et pour certein de lui louee fusse

Si tel crime voulu faire lors eusse.

Mais trop plus ayme auoir desobeï

Au sien vouloir, que de t’auoir trahi.

I’ayme plus cher ma main franche & deliure

20

De cruauté, que de ta mort poursuiure.

Et me deust or’ celui pere impiteus

Getter [p. 259] Fac-simile de la page HYPER. A LINVS. 259

Getter au feu, que iamais pour nous deus

Iadis conioints soufrisse violence,

Ou m’occire du glaiue sans doutance,

25

Qu’il me bailla pour ta vie abreger,

Si que ie sois pleige de ton danger,

Et que sur moy la mort soit preparee

Que par moy fut de toy desemparee.

Ia pour grans maus qu’il me faße en effet,

30

N’auray regret du bien que ie t’ay fait.

Ie n’auray dueil, par loyalle amitié

D’auoir eu certes de mon mari pitié.

Se deulent celles desloyales espouses

Qui ont osé commettre telles choses:

35

Et mon pere tout plein de malefice,

Se repent y d’auoir commis tel vice.

Car telz exploitz grandes peines meritent

A ceus pour vray qui tant mal s’y aquitent.

Mon cœur fremit, & tremble, pour tout voir,

40

Quand si grand crime ie veus ramenteuoir,

Et quand außi, par memoire frequente,

Le sang espars en celle nuict dolente

Ma main ne peut d escrire [sic pour descrire] , & s’y ayder,

Ne sur papier la plume bien guider.

45

Ie qui ay peu mettre fin à ta vie

(Dont toutefois ie n’euz iamais enuie)

Creins & ay peur de dire seulement

De ton salut le remede & comment:

Or’ le diray pour prouoquer à larmes

r 2 Ceus [p. 260] Fac-simile de la page 260 HIPERMESTRA 50

Ceus qui liront mes pitoyables termes.

Par une nuict obscure & tenebreuse,

Que ia le iour de clarté lumineuse

Commençoit poindre, dechassant le noir ombre,

Nous toutes seurs, & cinquante de nombre,

55

Liurees fumes pour prendre & espouser

Autant de freres sans nous y oposer.

Là nous transmit nostre desloyal pere

Souz ioye feinte, qui bien peu fut prospere:

Receues fumes au palais d’Ægiptus,

60

Ou les plaisir furent tous abatus:

Car chacune de nous fut lors contreinte

Souz beau[s] habits porter espee ceinte

Pour mettre à mort, & sans auoir merci,

En celle nuict chacune son mari.

65

Tel’ cruauté notre pere fit faire,

Et commanda ce faus crime parfaire.

Mais que diray? Tant fimes en effect

Que l’appareil des grans noces fut fait:

Le feu fut mis es lampes preparees,

70

Qui furent belles, & richement dorees,

Et de senteurs & bons odoremens,

Furent garniz les nouueaus paremens,

Chacun se print à faire esbats & feste,

A tous plaisir n’est nul qui ne s’apreste:

75

Dances & ieus furent mis en auant,

Et meins mangers reïterez souuent:

De diuers vins furent tasses remplies,

Et [p. 261] Fac-simile de la page A LINVS. 261

Et bonnes cheres en tous lieus acomplies.

Que diray plus les clameurs & les riz

80

Eurent si fort amusez nos mariz

Que nullement le danger n’aperçurent

De leurs femmes qui apres les deçurent:

Ains furent tous les chetifs & mal nez

En leur chambre conuoyez & menez,

85

Chambres, pour vray, q͂ bien nommer deuroye

Leur sepulture fin de derniere ioye:

Bien tendues de soyes & tapis:

Ou leurs dangers furent cloz & tapis:

Bien esperoyent y prendre reposee

90

Vn chacun d’eus auec son espousee.

Là furent ils dedens leurs couches mis,

Et doucement en repos endormis,

Lors grans mangers &le somptueus boire

Les agraua, comme chacun peut croire.

95

Helas iouï, certes, tantot apres

Ceus qui de moy furent procheins & pres,

Pleindre gemir à voix moitié faillie

Que Mort tenoit desia en sa baillie, Baillie
pour puis-
sance.

Ia transpercez de glaiue femenin

100

Dont pas n’eurent celles le cœur benin.

De tel esclandre fuz troublee & marrie,

Et demouray sans sang toute esbahie,

Froide deuint & de cœur & de corps,

Quand i’entendi si trespiteus acors:

105

En triste lict ie demouray gisante,

r 3 Outr [p. 262] Fac-simile de la page 262 HYPERMESTRA

Outree au vif, esperdue & dolente.

Et tout ainsi comme il auient au blé,

Alors qu’il est de petit vent troublé

Cà & là verse à diuers bouffemens,

110

Ou aus feuilles qui souffrent tremblemens,

Dedens les arbres de grand vent, agitees,

Dont meintes fois sont à terre gettees,

Certeinement tout ainsi, ou plus fort,

Tremblay alors en voyant cet effort:

115

Et tu pres moy tendrement reposois,

Qui ton peril si prochein n’auisois.

Deuant mes yeus suruint premierement

Voix paternelle, & son commandement,

Qui dechassa de moy & peur & creinte,

120

Pour parfaire la chose sans contreinte.

Et tout acoup, cela consideré,

Mon premier sens si fut deliberé

De transpercer ton corps & ta poitrine

De piteus glaiue, & doloureuse estreine,

125

Et (brief) ami, ie te di sans mentir,

Ma main osa par trois fois consentir

Prendre ce glaiue pour t’occire sans grace,

Et par trois fois ie le gette en la place:

Car tout me vint certes à l’auenant,

130

Creinte de pere si mit si tresauant

Que i’aprochay la trespoignante espee

Pres de ta gorge, pour tot estre coupee.

Mais, pour certein, douce amour & pitié

Resist [p. 263] Fac-simile de la page A LINVS. 263

Resisterent à celle inimitié:

135

Et ma main chaste aus Dieus recommandee,

Ne parfit pas la chose commandee.

En cet estrif, si piteus & dolent,

Frappant ma coulpe, mes membres afolant,

Ie diz tout bas en creinte d’estre ouie,

140

Ha poure femme bien dois estre esbahie!

Bien est ton pere peruers & faus tirant,

Dont il conuient, pour son plaisir parfaire,

Executer si desloyal afaire:

Et que cetui que tant fort nous pleingnons,

145

Auiourdhui meure auec ses compagnons.

Au fort, pourtant, nature femenine

Doit à pitié & douleur estre encline.

Ie qui suis femme, ieune pucelle, & tendre

A cas si grief ne voudrois mie entendre:

150

Ma volonté à raison forferoit

Trop grandement, quand ainsi le feroit.

Ma main n’est pas sortable ue [sic pour ne] propice

Pour exercer un si cruel office.

Le feras tu? ouï : car en effet

155

Faire conuient comme tes seurs ont fait:

Puis que tu as tems & heure oportune,

Vser te faut de voye de fortune.

Iaçoit pourtant, si i’employe ma main

A la soiller dedens le sang humein,

160

Tantot apres, & sans longue demeure,

r 4 Ie [p. 264] Fac-simile de la page 264 HIPERMESTRA

Ie m’occiray : car droit veut que ie meure.

Meritent ceus telle peine arbitraire

Pour demander leur part hereditaire:

Que si ne l’ont pourra en grans danger:

165

Choir & venir es mains des estrangers)

Helas nenni : bien sont dines de vie:

Mais eussent ils ores mort desseruie,

Pensons nous point poures chetiues femmes,

Que commettons grans crimes & difames?

170

Qu’à cestuy fait enuers moy? nullement,

Dont ie le doiue occire promptement.

Trop mal me siet porter glaiue ou espee,

Ne pour bataille ou guerre estre ocupee:

Plus m’est sortable, le tout bien consulté,

175

Fuseau en main, & quenouille au coté.

Ainsi faisois mes regrets en tels termes,

Lesquelz finiz furent suiuis de lermes:

Et du grand pleur & ruisseau de mes yeus

Arrousez furent tes membres en meints lieus.

180

Lors te dormant, non pensant telle chose,

Gettas tes bras enuers moy ton espouse,

Et doucement me vouluz embrasser

Tout endormi, cuidant te solacer:

En te tournant pour à ton gré sufire,

185

Tu te cuidas piteusement occire

Par la pointe de ce glaiue inhumein

Que ie tenois pour lors nu en ma main.

Las, que diray? nous estans en cet estre

L’aub [p. 265] Fac-simile de la page A LINVS. 265

L’aube du iour commença aparoitre:

190

I’eu creinte & peur que mon pere & ses gens

Fussent acoup songneus & diligens

De visiter en toute la pourprise,

Pour enquerir l’exploit de son emprise,

Et pour sauoir si chacune endroit soy

195

Auoit usé de paternelle loy.

Helas ami poureuse de ce doute,

Ie t’esueillay, & dis bas, or escoute:

Sus, leue acoup, toy qui es meintenant,

Frere tout seul de tout le remanant,

200

Si promptement tu ne te diligentes,

Et que du lieu on [sic pour ou] tu es ne t’exemptes,

Saches, pour vray, que cette nuict sera.

Ta derniere heure, qui grand mal me fera.

En ce disant, lors que ma voix te sonne,

205

Tu t’esueillas acoup du parfond somne.

Et doucement me pris à regarder.

Lors en main auisois sans tarder

Le fer mortel qui menassoit ta vie,

Cause pourquoy, de sauoir euz enuie:

210

Mais ie te dis plus n’est lieu de parler,

Tant qu’il est nuict tache de t’en aller.

Ainsi le fiz, & t’en va sans demeure,

Et ie seullette en ma chambre demeure,

Puis le iour vint, & tantot s’avança

215

Mon cruel pere, qui nombrer commença

Les trespassez dedens ce mortel ombre

r 5 Dont [p. 266] Fac-simile de la page 266 HYPERMESTRA

Dont toy tout seul fuz à dire du nombre.

Moult lui fut grief, & moult me reprouua,

Quand desconfit & mort ne te trouua:

220

Et bien pensa que lors par ta saillie,

Son entreprise fut rompue & faillie.

Cil impiteus pere, soudeinement

Par les cheueus me print si rudement,

Et commanda qu’en prison tenebreuse

225

Gettee fusse, ainsi que crimineuse:

C’est le loyer qui me fut apresté

Pour trop piteuse & douce auoir esté.

Moult malheureuse fut la notre naissance,

Quand tel afaire sur nous court & auance.

230

Que diray plus? tantot certes apres

Mon pere & oncle firent leurs grans aprets

De gens en armes de bataille mortelle,

Et commença entre eus une querelle,

Si que chacun se mit en grant arroy,

235

Lequel seroit par dessus l’autre, Roy.

Ainsi fumes durant les grandes guerres

Exilees de noz voisines terres.

Et nous mena le vent en mer parfonde

Au plus lointein climat de tout le monde.

240

Cil Egyptus si auant proceda

Que le royaume rauit & posseda:

Et si priua, contre droit, la personne

De notre pere, de sceptre & de couronne.

Ainsi fumes contreinte au besoin

Nous [p. 267] Fac-simile de la page A LINVS. 267 245

Nous en aller auecques lui bien loin

Nous toutes seurs poures & soufreteuses

Partimes lors en larmes planteureuses.

Et notre pere ia vieus exillé

Fuit, delaissant son païs tout pillé

250

De tant de freres la reste est bien petite,

Et si ne say ou cil encores habite.

Ie pleure & pleins iceus mors & transiz,

Et außi celles par qui furent occis.

Les freres ont fini leurs poure vies,

255

Et les seurs sont perdues & rauies:

Or vueillent prendre mes larmes & mes pleurs

Mes freres mors, & mes dolentes seurs,

Helas, & moy suis en peine liuree,

Pource que i’ay ta vie deliuree.

260

Que fera l[’]on à ceus qui ont meffait,

Quand mal ie seufre, & pour auoir bien fait?

Si tu as donq, ô Linus, soin & cure

De moy qui suis la tienne creature,

Et si tu as à bon gré le plaisir

265

Que ie t’ay fait d’amiable desir,

Deliure moy de telle seruitude,

Et de prison qui m’est cruelle & rude:

Ou bien me tue sans faire long seiour,

Sans plus languir & de nuict & de iour.

270

Et quand ma vie sera mise en roupture,

Gette mes os en dine sepulture,

Et les arrose des larmes de tes yeus.

Mon [p. 268] Fac-simile de la page 268 HIPERMESTRA

Mon esperit s’en trouuera de mieus.

Fais insculper dessus ma tombe & mettre

275

Vn epitaphe compris en brieue lettre:

Ci dessouz git le loyer & le pris

De charité,que mort non duë ha pris.

Hypermestra exilee & bannie

Du sien païs, piteusement finie:

280

Mort à son cœur à triste fin liuré,

Dont elle auoit son frere deliuré.

Meinte autre chose escrire te voudroye,

Mais, cher ami, certes ie ne pourroye:

Car fer trop dur tient liee ma main,

285

Par le vouloir du courage inhumein.

Puis creinte & peur m[’]oste la connoissance

De bien parler, & de douce eloquence.


Fin de l’Epitre d’Hypermestra
à Linus.

[fleuron]
[p. 269] Fac-simile de la page 269

PREFACE SVR
L’EPITRE DE PARIS
A HELEINE.
*

PAris nauigeãt de Troye en Sparte, au-
trement dite Lacedemon (soit pour
recouurer par ambassade la Dame Hesione,
seur de son pere Priam, que Hercules auoit
liuree à Telamon en la premiere prise de
Troye, soit pour iouïr de la belle Heleine,
dont il auoit grande esperance, & promesse
de la deesse Venus:) fut nohorablement re-
ceu par Menelaüs, comme beau ieune prin-
ce qu’il estoit. Mais Menelaüs ayant besoin
de faire voile en Candie pour partager les
biens & possession de son pere Atreüs, de-
laisse Paris chez lui: commandant à sa fem-
me Heleine qu’elle le traitast autant bien
comme lui mesme. Adonq Paris, voyant l’o-
casion se presenter à lui, s’efforça d’atraire à
son amour la belle Heleine, lui escriuãt cette
artificielle epitre par laquelle il lui declare
la grande ardeur de son amour enuers elle.

Fin de la Preface.

[p. 270] Fac-simile de la page 270 [Bandeau]

LA XV. EPITRE
D’OVIDE.
*
Paris escrit à Heleine.

SAlut enuoye à toy, ô dame Heleine,

Le tien Paris qui ne peut à grand peine

Salut auoir, pour bien que sache ouurer,

Fors que par toy le puisse recouurer.

5

Diráy ie, las, ma dure destinee,

Qui est à dueil si fort predestinee?

Quel besoin est, soit à gain ou à perte,

Cacher la flamme ia connue & aperte:

Certes le feu qui mon cœur brusle & art,

10

Assez se montre & assez se depart:

Que plust à Dieu que plus celee ou close

Fust l’estincelle qui est en moy enclose:

Et que l’amour, dont i’ay si grand montioye,

Ne se montrast sinon au tems de ioye,

15

Au tems pour vray que toute creinte & peur

Seroit bannie du tien & du mien cœur.

Mais trop mal say dißimuler & feindre,

Et ia ne puis ma voulenté restreindre:

Feu ne se peut ne clorre ne celer,

20

Sa flambe mesme si le peut desceler.

S’il te plait donq escouter & entendre

L’in [p. 271] Fac-simile de la page PARIS A HELEINE. 271

L’intencion que ie vueil entreprendre,

Et que te die du tout entierement

Le mien vouloir & le mien pensement,

25

Ie te dis, certes, que ie brule & consume

Par feu d[’]amours, qui tout mon cœur alume.

Cette parole te veut faire assauoir

Que point ne mens, mais que ie te dis voir voir,pour,
vray
,

Pardonne donq, douce dame & princesse.

30

Pardonne à cil qui à toy se confesse,

Et qu’il te plaise ce present escrit lire,

Non en desdain, en courrous, ou en ire,

Mais d’œil piteus en pure loyauté,

Comme il afiert à la tienne beauté.

35

Moult auray ioye si tu reçois ma lettre,

Ce me fera certein & tout seur d’estre

Par toy reçu pour le tems auenir:

Heureus seray se i’y puis paruenir.

Certeinement moult appete & desire

40

Que la dame de l’amoureus empire,

Dite Venus, qui ici m’a transmis,

Tienne & parface ce qu’elle m’a promis:

Et pource à fin que comme non sauante,

Tu ne peches de ce fait ignorante:

45

Saches, pour vray, que tel commencement

Ie n’ay empris sans diuin mandement.

Ie quiers & veus grand loyer & salaire,

Bien deu pourtant selon le mien afaire:

Car pour certein, celle dame Venus

Par [p. 272] Fac-simile de la page 272 PARIS 50

Par qui sommes en ce païs venus

M’a ottroyé (bien faut que le remembre)

De te faire concierge de ma chambre.

Par son aïde & utile conseil

Ie mis mes nefs acoup en apareil,

55

Et si parti du mien païs grand erre

Pour paruenir en estrangere terre,

Si que depuis pour toy, las, qui tant vaus,

I’ay enduré grans peines & trauaus

Et pour auoir mes atendues ioyes,

60

I’ay trauersé de perilleuses voyes.

Mais la deesse qui de ma nef fut guide,

Me preserua par bien songneus remide.

Et me donna vent dous, & seure mer,

Pour paruenir à ce que veus aymer.

65

Or la supli que tousiours perseuere,

Et qu’enuers moy ne se montre seuere:

Et tout ainsi qu’elle ha donné faueur

A ma nauire pour veincre la fureur

De mer parfonde, außi ie lui suplie

70

Qu’elle apaise le feu qui multiplie

Dedens mon cœur, & que par son suport

L’intencion que i’ay uienne à bon port.

I’ay aporté auecques moy la flamme

Qui tout mon cœur & deseiche & enflamme.

75

Pas n’ay trouué le feu en ce païs

Par qui mes sens sont ars & enuahis:

Et toutefois celle flamme certeine

Ha [p. 273] Fac-simile de la page A HELEINE. 273

Ha esté cause de voye si lointeine.

Le triste yuer, ne le vent forcené

80

Ne mon plaisir ne m’a pas amené

Car au partir mon entente fut telle

De voir ta face qui me semble immortelle.

Ne pense pas qu’en mer ie me sois mis

Ne que ie sois dedens ma nef remis

85

Pour faire achapt d[’]estrange mercerie:

Ma nef n’est pas pour tels choses cherie.

Assez ay bien (ie le di sans vanter)

Dont ie me doy par raison contenter.

La grand’ richesse, & le bien que i’espere

90

Dieu par sa grace le me fasse prospere.

Außi ne viens pour regarder ces lieus,

Ne les citez lesquelles ualent mieus:

Nous en auons en notre territoire

De toutes telles, & de plus grand memoire.

95

Ie seulement te demande & te quier:

Autre pourchas ne veus & ne requier

Dame Venus, par qui fais telle aprouche,

Faire te doit compagne de ma couche.

De si grand nom & louenge es pouruuë,

100

Que t’ay aymee auant que t’auoir vuë:

Ta belle face & ta grande valeur

Fut imprimee par raport en mon cœur,

Voire premier que iamais en ma vie

Mon œil t’eust vuë de tel’ beauté pluuie.

105

Bruit & renom me dit premierement,

s Qu’elle [p. 274] Fac-simile de la page 274 PARIS

Qu’elle tu fus de ton exaucement.

Mais tu es plus de grand vertu sommee

Qu’on ne pourroit sauoir de renommee:

Nature ha plus en toy de grace mis

110

Que renommee ne m’en auoit promis.

A bon droit donq Theseüs si tressage,

Cheualeureus & de haut vasselage

Te voult voult pour
voulust.
aymer, quand si belle te vid,

Et non sans cause il te print & rauit:

115

Si noble proye bien fut sortable & due

A homme plein de si grande value.

Il te print donq en bien ieune saison,

Et t’amena en la sienne maison:

Moult fort le loue de quoy il te sceut prendre,

120

Et m’esbahis pourquoy te voulut rendre.

Telle richesse deuoit certeinement

Estre gardee & close seurement.

Si tant de bien auenu me peut estre,

Au monde n’a si fort & puissant maitre

125

Pour qui ie t’eusse voulu restituer:

Plustot me fusse auant laißé tuer:

Plustot eusse baillé ma teste en gage

Que perdre, las, dame de tel parage.

Iamais ma main eslongner ne pourroit

130

Vn tel tresor, fust à tort ou à droit.

Iamais pour rien, certes, ie ne pourroye

Demourer vif, & voir perdre ma ioye

Si ce bien donq, me fust lors auenu,

Et [p. 275] Fac-simile de la page A HELEINE. 275

Et que ce fusse à t’auoir paruenu,

135

Si comme fit Theseüs ce preus homme,

Et puis que i’eusse esté contreint, en somme,

A la parfin de te rendre & liurer,

Aumoins i’eusse en auant te deliurer

Part au plaisir d’amoureuse saisine,

140

Si dieu m’eust fait de telle grace dine.

Ia n’eusse esté si creintif & douteus,

Que i’en fusse demouré soufreteus:

A peine t’eusse voulu pucelle rendre,

Ou pour le moins i’eusse t[â]ché à prendre

145

Ce qu’on pourroit, sauf la virginité,

Prendre & auoir en pure loyauté.

Si te suppli dame si belle & gente,

Que ton vouloir permette & consente

Que tu sois mienne, & lors pourras sauoir,

150

Si ie veus faire enuers toy mon deuoir.

Ainsi sera l’ardeur de moy esteinte.

Par une amour aliee & coniointe.

Ie t’ay voulu à tout bien preferer,

Dont me vouloit Iuno remunerer:

155

Et si ay fait refus de grand richesse

Plus ay aymé de t’auoir pour maitresse:

I’ay dedaigné les vertus de Palas,

Pour ta valeur, dont iamais ne fuz las.

Et toutefois ne m’en repenti onques:

160

Car peu prise tous autres biens quelconques

Si mon cœur s’est de ton amour saisi,

s 2 Dire [p. 276] Fac-simile de la page 276 PARIS

Dire on ne peut que i’aye mal choisi.

En ce propos demourra arrestee

Ma voulenté, sans iamais estre otee.

165

Donques te pri, dame, de tout mon cœur,

Dine d’estre requise à grand labeur,

Qu’il te plaise ne soufrir ne permettre

Que mon espoir, dont pas ne suis le maitre,

Demeure vain, perdu, & sans proufit,

170

Ou autrement mort suis & desconfit.

Ie ne suis pas de si basse naissance

Que bien ne vaille auoir ta connoissance.

Et quand ma femme ou espouse seras,

En dous plaisir tu te reposeras.

175

Si tu t’enquiers qu’elle est ma parentelle,

Tu n’en pourras ailleurs trouuer de telle.

Ia n’est besoin d’axaucer le renom

Des ancestres dont ie porte le nom.

Mon pere est Roy, & tient sous lui saisie

180

L’autorité, l[’]honneur de toute Asie.

C’est un païs moult fertile & duisant,

A l’œil humein delectable & plaisant:

Tu y verras citez innumerables

Maisons dorees, & terres proufitables,

185

Temples si beaus & excellens moutiers,

Ou les tresors sont riches & entiers:

Tu y verras la noble forteresse,

Dite Ilion, dont parler on ne cesse:

Außi les murs garnis de fieres tours,

Pour [p. 277] Fac-simile de la page A HELEINE. 277 190

Pour resister à tous bruyans destours.

Qui furent faits au dous chant de la lire

Qu’auoit Phebus de musique le sire.

Que te diray du peuple & des manans?

Tant en y ha en ce lieu d’abitans

195

De mainte espece & de diuerse forte

Qu’à grand peine terre les tient & porte.

En trionfe recueillie seras

Quand ton entree en la Troye feras:

Dames viendront te faire reuerence,

200

Et des pucelles auras l’obeissance.

Lors tu diras que ton peuple & ta gent

Quant à cetui est poure & indigent:

Et qu’une place vaut mieus, soit paix ou guerre,

Que la meilleur’ cité de votre terre.

205

Ie ne le dy pourtant pour mespriser

Le tien païs, bien m’en veus excuser:

Car pour certein la terre ou tu es nee

Doit estre dite heureuse & fortunee:

Mais trop est poure au pris de ta valeur:

210

Bien deu seroit à toy païs meilleur:

Ce lieu n’est pas conuenant ne sortable

A ta beauté qui est inestimable:

Ta douce face, & tes yeus si tresbeaus

Meritent bien acoutremens nouueaus.

215

Penser ne dois iamais à nul afaire

Fors seulement pour ton plaisir parfaire.

Quand tu verras l’abillement des hommes,

s 3 Et [p. 278] Fac-simile de la page 278 PARIS

Et la veture du païs dont nous sommes,

Qui est si belle & de nouueaus deuis,

220

Bien iugeras selon le tien auis,

Que pas n’est moindre l’acoutrement des dames:

On n’y sauroit trouuer faute ne blames.

Rens toy facile à moy, & de bon gré,

Pour paruenir en ce royal degré:

225

N’elongne pas un tien seruant de Troye,

Qui tant de biens te presente & ottroye.

Mes ancestres & tant louez parens,

Doiuent estre de mes vertus garens:

Il n’est besoin que plus le die ou nomme,

230

Le bruit d’iceus assez fort les renomme.

Ie ne croy pas que cil Menelaüs

Le tien espous, des plaisirs qu’il ha eus

Soit capable, ne qu’il ait meritee

D’auoir dame de tel grace heritee,

235

Et te fais iuge si sa forme & ses ans

Sont point aus miens lointeins & diferens:

Il est issu d’obscure parentelle,

Et ses parens furent pleins de cautelle,

Et ont oséles siens executer

240

De si grans maus qu’on ne peut reciter.

Mais que vaut ce? ne de quoy me proufite?

Quand cil te tient ou tout reproche habite?

Cil te possede & te tient nuitz & iours,

Cil ha de toy les dous baisers tousiours,

245

Qui est indine (à bien lui satiffaire)

Du [p. 279] Fac-simile de la page A HELEINE. 279

Du moindre acueil que tu lui saurois faire:

Et moy qui brule & qui ars de desir,

A peine ay lieu, espace ne loisir

De contempler ta face inestimable,

250

Quand nous disnons & que sommes à table.

Et encores quand ainsi ie te voy,

Et que ton œil me fait un dous renuoy,

Considere que n’ay membre ne veine

Qui lors ne soufre une mortelle peine.

255

Certeinement ie meurs, & point ne viz

De viandes de si cruelz conuiz.

Traiter deuois de tous telz entremets

Tes mal vueillans, non moy qui n’en puis mais.

Moult me repens, & assez cher me coute

260

D’auoir esté si longuement ton hoste:

Dieu scet le dueil, & le mal que reçoy

Quand à toute heure ie voy & apperçoy

Cil meschant homme plein de mauuaise grace,

Qui à son vueil te possede & embrasse.

265

Ie meurs d’ennui quand ie voy tel galant

Qui de ses membres va les tiens acolant.

I’ay triste cœur plein de melencolie

Quand cil atouche à ta chair tant polie,

Et peu me sens à fortune tenu

270

Quand avec toy il repose tout nu.

Souuentefois ie voy comment, à l[’]aise,

Cil desplaisant & rebelle, te baise,

Et quand sommes souuent à table aßiz

s 4 Et [p. 280] Fac-simile de la page 280 PARIS

Et que ie voy (dont souuent ie transiz)

275

Que cil te baise, & avec toy soulace,

Faisant semblant boire, ie pren la tasse

Pour que ne puisse regarder ne sauoir

Le dous plaisir qu’il y peut receuoir,

Ie diuertis mes yeus, & les enuoye

280

En autre part, à fin que ne vous voye.

Lors la viande, dont ie prens bien petit,

Croit en ma bouche sans auoir apétit.

Souuent m’as vù souspirer & me pleindre,

Parfaite amour ne m’en pourroit restreindre.

285

Mais tant estoit ton gros cœur endurci

Que tu n’auois de ma douleur merci,

Ains quand plus fort ie me pleins & souspire,

Moins t’es tenue de t’en moquer & rire.

Souuentefois i’ay voulu moderer

290

Mon feu d’amour, & me deliberer

De plus n’aymer, ta deceuant’ maniere:

Quant i’ay cuidé la degetter arriere,

Plust est en moy augmenté le vouloir

De tant t’aymer, dont bien me doit douloir.

295

Souuent mes yeux se destournent & virent

Hors de ta vuë, mais les tiens les retirent:

Mais quand ie cuide de te voir les garder,

Ta grand’ beauté contreint te regarder,

Lors à part moy pense que ie doy faire,

300

Comme pourray à mon mal satisfaire:

Car c’est à moy grande peine & douleur

De [p. 281] Fac-simile de la page A HELEINE. 281

De regarder, sans auoir bien meilleur.

Mais ce seroit encores plus grand peine

Si ta presence etoit de moy lointeine.

305

Ie trauaille le plus fort que ie puis

A bien celer la fureur ou ie suis,

Mais tant ne say la couurir ne la taire

Que celle amour ne se montre, & appaire.

A toy n’ose ne veus parler souuent,

310

Pour que danger ne soit du fait sauant,

Besoin n’en est, ia ne faut que desploye

Ma volenté, car tu connois ma playe:

Tu la connois la mienne intencion,

Ia n’est besoin d’en faire ostencion.

315

Que plust à Dieu que tu connusses seule,

Le cas pourquoy il faut que ie me deule.

Las, quantefois pour les larmes piteuses

Qui de mes yeus issoient plantureuses,

I’ay destourné ma face en autre part,

320

Et fait mon pleur & mes pleintes à part,

A fin que cil ne se doute & enquiere

Cause pourquoy i’ay si triste maniere.

Ha quantefois i’ay fait contes nouueaus

De ceus qui ont esté amans leaus

325

Et t’ay narré leurs douces acointances,

Leurs entreprises, außi leur iouissances:

Et en contant leur plaisir & leur ioye,

Piteusement alors te regardoye.

Souuentefois, pour mieus taire & celer,

s 5 A ton [p. 282] Fac-simile de la page 282 PARIS 330

A ton mari ce d’ont n’ose parler,

Dißimulois ma douleur & tristesse

A ce que lui ne s’enquiere & connoisse.

I[’]ay de meint cas narré le contenu

Estre pour l’un, ou pour l’autre auenu

335

Et feint le nom d’aucun en cette chose,

Mais c’est de moy de qui ie presupose:

Et pour certein encor ay’ie mais fait,

Car i’ay souuent deuant lui contrefait

L’homme enyuré, sans raison ne mesure,

340

A fin que i’eusse moyen & couuerture

D’assez parler à toy (pour dire voir)

Sans qu’il s’en peust en rien apperceuoir,

Bien me souuient, moult fut heureuse l’heure,

(Mais trop petite fut pour tant la demeure)

345

Quand une fois, (ou tu ne pris auis)

Ton blanc tetin & ta poitrine vis.

Ce bien me fit à l’heure ta veture

Qui un bien peu s’entr’ouurit dauanture,

Et donna voye & chemin à mes yeus

350

Pour voir ton sain tant cler & precieus.

Lors vis ta chair (dont or’ mon mal engrege)

Plus que lait blanche, voire trop plus que neige:

Et tant fus lors, en te voyant si belle,

Surpris d’amour, & d’ardeur si rebelle,

355

Que ie tombay esuanouï forment,

Considere donques ô quel tourment!

Souuentefois cuidant trouuer mes aises,

Quand [p. 283] Fac-simile de la page A HELEINE. 283

Quand ie regarde & voy lors que tu baises

Hermonie ta fille tendrement.

360

Ie recommence acoup tout promptement,

Et apres toy ie la baise & embrasse:

Ce me proufite & ma douleur efface.

Souuent ie chante, & conte les façons

Des vrays amans par mes tristes chansons.

365

Helas, i’ay vù au moins que ie parloye

A tes seruantes, & mon cas leur contoye:

Mais meintenant n’ose tenir propos

Fors en creinte, dont ie pers le repos.

Or plust à Dieu que d’une grand bataille

370

Ou il y eust gens fors de toute taille,

Tu seule fusses le salaire & le pris,

Et que celui qui mieus auroit apris

A tournoyer & qui ne fuiroit mie,

Te deust auoir pour sa dame & amie:

375

Ainsi que cil qui tant diligenta

Qui par courir aquit Atalanta.

Ou comme fit Hercules, sans doutance.

Qui pour auoir l’amour & l[’]acointance,

De la belle dite Dyanira,

380

Veinquit maints monstres, puis à lui la tira,

Certeinement si ainsi se peust faire,

De toy auoir, dous me seroit l’afaire:

Tu connoitrois alors, & sans rigueur,

Que tu es l’euure de mon entier labeur.

385

Mais ce trauail, & celle douce peine

Autres [p. 284] Fac-simile de la page 284 PARIS

Autres ne moy n’aurons pour toy, Heleine.

Que reste plus donques, fors seulement

Te requerir, & prier humblement

Et sans refus, ô belle, qu’il te plaise

390

Qu’à la parfin tes tendres piedz ie baise.

O des deus freres & la gloire & l’honneur

Par qui seroit honoré meint signeur,

Croy qu’avec moy t’emmeneray grand erre,

Ou ie mourray estranger en la terre.

395

Ma poitrine qui fut de part en part

Outree au vif par un amoureus dart,

N’est pas blessee certeinement en feinte,

Mais est pour vray iusques au fons atteinte.

Bien me souuuient que ma seur Cassandra

400

Me dist au long le mal qui auiendra,

Et que serois en fin, & pour la reste

Prins & feru d’un subtil dart celeste.

Et pource Heleine si cette amour me vient

Par vueil diuin, & qu’ainsi le conuient,

405

Ne chasse pas si loin de ta pensee

L’amour qui est par les Dieus auancee:

Ains, pour parfaire mon souuerein delict,

Par nuict obscure reçoy moy en ton lict.

Mais as-tu honte ou creinte de ce faire?

410

Ou bien au droit de ton mari forfaire?

Si pour cela tu creins, certes, Heleine

Tu es trop simple, ia ne diray vileine,

Cuide tu estre si belle & si propice,

Sans [p. 285] Fac-simile de la page A HELEINE. 285

Sans qu[’]il y ait en toy ou faute ou vice?

415

Changer te faut ta plaisante figure

Ou bien conuient que tu ne sois si dure.

Tousiours ha eu, & si aura, beauté

Guerre mortelle avecques chasteté.

Les Dieus souuent ont leur ioye doublee

420

Quand ils ont eu leurs plaisirs à l’emblee.

Et si ne fust l[’]amoureus larrecin

Pas tu ne fusses de pere nee ainsin.

Ne pense pas estre faite si belle,

Pour estre chaste, & en amours rebelle.

425

Bien veus pourtant que chaste lors tu soye,

Quand te tiendrày en ma cité de Troye,

Et que ie seul soye cause, en effeit,

De tout le mal que iamais auras fait.

Or te supli donques que tu parfaces

430

Mon dous plaisir, & que point ne t’en lasses:

L’heure & le tems le veut, & le consent:

Car ton mari est lointein & absent,

Tu cuides bien que cil sache & connoisse

Celle beauté dont tu as grand largesse

435

En lui as mis ton cœur & ta fiance,

Comme s’il fust plein de sens & science:

Mais tu abuses, & bien furt te deçoit,

Car s’il sauoit, & tresbien connoissoit

Le grand valeur dont est signeur & maitre,

440

Il n’eust voulu consentir ne permettre

Te laisser seule au pourchas & danger

De [p. 286] Fac-simile de la page 286 PARIS

De moy qui suis ieune Prince estranger.

Si mon ardeur donques, & ma parole

Ne te peut rendre enuers moy douce & molle,

445

Au moins te doit à ce faire emouuoir

L’heure, le tems, le loisir (pour tout voir:)

Bien sommes simples toy & moy, sans doutance,

Si nous perdons une telle acointance.

Quand pour parfaire notre felicité

450

Nous auons loy & oportunité.

A toy, sans plus, il me recommanda.

Or sus fais donq ce qu’il te commanda.

Tu meintenant par nuicts longues & vaines

Seule en ton lict sans repos te demeines,

455

Et ie tout seul außi couche & repose

En lict piteus, mais amour si oppose.

Fay do͂ques tant (qua͂d l’heure est oportune)

Que ioye soit entre nous deus commune,

Et que pitié me couche avecques toy,

460

Sans nul refus, & toy avecques moy.

Si ce seul bien & ioyeuse auanture

Venir me peut, sans faute sans roupture,

Moult me sera icelle nuict heureuse,

Plus que nul iour & clere & lumineuse,

465

Lors te feray & promesse & serment

D’estre à iamais humble & leal amant.

Lors te feray maitresse & heritiere

De mon royaume, & de ma terre entiere:

Et si ne creins, & point n[’]ayes de peur

Que [p. 287] Fac-simile de la page A HELEINE. 287 470

Que moindre en soit ton loz ne ton honneur:

Quand ie t’auray de ce lieu emmenee,

Par moy sera l’euure si bien menee

Que ia ton cœur ne s’en repentira,

Si blame y ha, sur moy ressortira.

475

Autres que moy ont bien dames rauies,

Et pour elles en danger mis leurs vies:

Theseüs mesme te print & te rauit,

Moult fut aise quand à son gré te vid:

Et ses deus freres de grand nom possesseurs,

480

Oserent bien prendre & rauir deus seurs.

Ie donq seray auec eus mis au nombre

Des rauisseurs, & ia ne creins l’encombre.

Or le fais donq, sans y debatre tant,

I’ay ma nef preste & seure : qui t’atend:

485

Bien est de gens & d’auirons pouruuë

De telle certes onques mes ne fut vuë:

Les auirons & le tranquille vent

Te pousseront tout acoup bien auant.

Quand tu seras dedens Troye arriuee,

490

Comme Royne tu seras honoree.

Ceus qui verront la douceur de tes yeus,

Te iugeront une nymphe des cieus,

Et dira l[’]on, pour ta beauté sans cesse,

Que tu es certes une vraye deesse:

495

Par toute rue & lieus ou tu iras,

Odeur soueue & liqueur sentiras:

Et les voyes de tes piedz comprimees,

Seront [p. 288] Fac-simile de la page 288 PARIS

Seront toutes de senteur embamees.

Priam mon pere moult ioyeus en sera

500

Et de grans dons & presens te fera:

Außi feront certes & sans nul doute,

Tous mes freres & seurs, quoy qu’il leur coute.

Impoßible est que sceusse declarer

Le grand honneur que tu dois esperer:

505

Car plus auras de bien que par ma lettre

Ne t’en saurois ottroyer ne promettre.

N’aye ia peur, quand de moy seras prise,

D’estre par guerre ou bataille reprise:

Amasse & leue toute Grece hardiment

510

Son haut pouuoir cheualeuresement:

L[’]on ha vù prendre & rauir meintes dames,

Qui n’ont esté recouurees par armes

Les Traciens prindrent bien sans grans peines

Errithida Orithia
elle auoit
nom.
fille du roy d’Athenes,

515

Et toutefois leur terre & region

Ne fut outree d’aucune legion.

Bien sceut Iason prendre & rauir Medee,

Tant fust ores songneusement gardee:

Et toutefois, puis qu’il s’en amoura,

520

La chose ainsi sans guerre demoura.

Et cetui mesme Theseüs sans doutance

Qui te rauit osa par sa vaillance

Prendre Phedra la fille au Roy de Crete,

Sans reparer la faute qui fut faite.

525

En telles choses (pour mon dire abreger)

Plus [p. 289] Fac-simile de la page A HELEINE. 289

Plus est grande la peur que le danger.

Or ainsi soit que pour t’auoir rauie

Grande bataille deust lors estre ensuiuie:

I’ay force assez, & grand nombre de gens,

530

Mes dars sont rudes, subtils, & diligens:

Notre terre est d’außi puissante montre,

Et riche autant, voire & plus que la votre,

Ia plus n’aura Menelaüs de cœur

Que moy Paris, ains en seray veinqueur.

535

En ieunes ans quand les bestes gardoye

En la forest au pres de la grand Troye,

Ie retiray ler [sic pour les] vaches & toreaus

Qu’aucuns larrons peruers & desloyaus

Prendre vouloient, & bien les leurs fiz rendre:

540

Dont pour ce fait fus nommé Alexandre.

En ieunes ans i’ay meintefois veincu

Mes compaignons, & de targe & d’escu.

Et en tous lieus ou ma fleche tiroye,

Ie la mettois tout droit ou ie vouloye.

545

Certes Heleine oncques mes ton mari,

Qui de toy est tant aymé & cheri,

Ne fit exploit de loz en sa ieunesse:

Trop ha en lui de creinte & de molesse.

Tu ne scez par certes combien ie vaus,

550

Et si ignores mes peines & trauaus.

Or pense donques & me croy sans feintise

Que par bataille ne seras reconquise:

Ou s’il auient que pour ses grans regrets

t Men [p. 290] Fac-simile de la page 290 PARIS A HELEINE.

Menelaüs assemble tous les Grecs

555

Et qu’ils viennent deuant Troye combatre

Force sera (apres le long debatre)

Qu’ils donnent lieu au pouuoir de mes dars,

Car ils sont molz & trop foibles soudars.

Au fort pour tant ie ne desdaigne mie,

560

Esmouuoir guerre pour une telle amie:

Car assez, grand est le loyer & pris

Pour faire enclins aus armes tous esprits:

Et si pour toy dissencions & guerres

Sont esleuez en si lointeines terres

565

Ton nom sera sans fin, & immortel,

Quand on verra le cas auenu tel.

Pource donques en ioyeuse esperance,

Apreste toy de partir, & t’auance:

Et en apres quand à Troye seras,

570

Demande assez, car certes tu l’auras.


Fin de la xv. Epitre de Paris
à Heleine.

[p. 291] Fac-simile de la page 291 [Bandeau]

PREFACE SVR
L’EPITRE DE HELEI-
NE
A PARIS.
*

HEleine, femme du Roy Menelaüs,
ayant receu l’epitre du beau ieune
amoureus Prince Paris, comme irritee lui
respond (pour sauuer son honneur & estima-
cion) s’efforce de rabatre ses raisons & per-
suasion: entremeslant ce pendant toutefois
quelques petis traits de plume, descouurans
aucunement son affeccion: à sauoir qu’elle
ne vouloit ne pouuoit despriser l’amitié que
ce ieune Prince lui portoit: à quoy elle de-
montre bien quel est le naturel des femmes.
En fin, quasi se rendant veincue, l’auise s’il ha
quelque chose à lui mander, de ne le faire
par lettres, mais ses deus Damoisel-
les bien fiables, Climene et Etra: ce
qu’il fit, & aussi elles deus
suiuirent Heleine
à Troye.
*

t 2
[p. 292] Fac-simile de la page 292 [Bandeau]

LA XVI. EPITRE
D’OVIDE.
*
Heleine escrit à Paris.

APres que i’ay à mes yeus presentee

La tienne lettre de diuers mots hantee,

Et que i’eu bien le fais tot pourpensé,

Pour que tu fusses d’autant recompensé,

5

I’ay auisé que c’est gloire legere

Faire ma main enuers toy estrangere,

Et que de rendre response à tes escritz,

Le mien honneur n’en peut estre repriz.

Mais dont te vient ce courage & vouloir

10

De tendre à fin de veincre & deceuoir

La leauté de femme mariee

Qui ne doit estre pour nul pris variee.

As-tu esté ceans hoste reçu

Pour que de quoy fust mon mari deçu?

15

Est-ce la cause qui en ce lieu t’ameine

Pour difamer de mon loz le demeine?

Es tu venu tant de mers trauersant

Pour estre ainsi de mon honneur pressant?

As-tu esté recueilli en ma terre

20

Pour alumer un feu de si grand’ erre?

Tu as esté reçu comme estranger,

Mais [p. 293] Fac-simile de la page A PARIS. 293

Mais doucement t’ay voulu heberger.

Quand ici vins (à toy ie m’en raporte)

Pas ne trouuas certes close la porte.

25

Grande seroit donques iniure faite

Quand pour t’auoir donné seure retraite,

Feignant d’estre priué hoste & ami,

Tu voudrois estre deceuant ennemi.

Ie say assez que ma volonté telle

30

Te semblera tresiniuste & rebelle:

Et bien diras, selon le tien auis,

Que trop suis rude & trop sotte en deuis:

Or soye telle comme tu voudrois dire,

Il ne m’en chaut mais que mon loz n’empire:

35

Impose moy comme il te plait le nom,

Mais que ne perde de vertu le renom,

Et que chacun au vray connoisse & sache

Qu’en moy n’y ha desloyauté ne tache

Si ma face est de ioyeuse maniere,

40

Et que ne sois en regard rude & fiere,

Ma renommee est clere & sans difame,

Et ay vecu iusques ici sans blame.

Nul autre n’a tant sceu parlementer

Qui se sauroit de mon honneur vanter.

45

Parquoy donques plus fort ie m’esmerueille

Comme ton cœur s’essaye & se trauaille

De tel courage emprendre & commencer,

Quant à moy n’est de le recompenser:

Et m’esbahi dont te vient l’esperance

t 3 De [p. 294] Fac-simile de la page 294 HELEINE 50

De posseder mon lict par iouissance.

Si Theseüs m’a rauie autrefois,

Ia ne seray plus subgette à ses lois:

Ne s’ensuit pas si une fais [sic pour fois] fuz prise,

Que tousiours sois à tel mestier aprise

55

Rauie fuz (ia ne faut en mentir)

Voire outre gré, sans point le consentir:

A moy seroit le blame & le reproche

S’il y auoit consentement de bouche:

Mais puis que lui me print par fausseté,

60

Cela se fit contre ma voulonté:

Iaçoit pourtant que peu en amenda,

Car il n’eut par tout ce qu’il demanda:

Rendue fuz acoup & promptement,

Sans mal soufrir fors la peur seulement.

65

Par son effort quand cil me tint enclose,

Il me baisa, de moy n’eut autre chose:

Mais pour certein ta malice intentee

Ne se fust pas de cela contentee.

Me garde Dieu de tomber en ta main:

70

Cil ne fut pas comme toy inhumein:

Cil me rendit entiere & toute telle

Comme ie fuz quand ie partis pucelle

Par ainsi donq la sienne loyauté

Doit donner loz à ma virginité.

75

Et il qui fut bien ieune & debonnaire,

Se repentit de telle chose faire.

Mais cuide tu que celui m’ait rendue

Pour [p. 295] Fac-simile de la page A PARIS 295

Pour que ie fusse à toy Paris vendue?

Certes nenni : car ie n’ay vouloir

80

De faire exploit dont dusse pis valoir:

Et ne veus pas que par toy difamee

Soit en tous lieus ma chaste renommee.

Iaçoit pourtant que ne te veus blamer,

Dont il te plait me cherir & aymer

85

Car trop certes ingrate ie seroye

Pour bien vouloir, si mal ie te vouloye:

Mais que l’amour que tu mets en auant,

Soit bien certeine & non gettee au vent

De cela vient ma peur & creinte toute

90

Non que de toy ie me meffie ou doute:

Et que tresbien ne sache pour certein

Quel est ma face sans auoir cœur hautein:

Mais cela dis’ie pource que dous langage

A ieune dames fait souuent du dommage:

95

Et par trop croire es legeres paroles

Sont meintefois deçues poures foles:

Car en vos ditz n’y ha, en verité,

Ne foy, ne loy, ne brin de loyauté.

Si meintes femmes pechent & sont honnies

100

Par leurs fautes, & de vertus bannies

Si qu’il est bien peu (à brief parler)

Qu’on sceut chastes & bonnes appeler:

Qui gardera (tant soit il or’ grand maitre)

Que ne soye bonne si telle ie veus estre

105

Ia ne me puis excuser de ce fait

t 4 Sur [p. 296] Fac-simile de la page 296 HELEINE

Sur ignorance ou erreur en effet:

Ia ne pourroye excuse mettre en nombre

Qui sceust donner au vice fueille ou ombre.

Tu mets en fait tes anciens parens,

110

Qui par prouesse ont esté apparens,

Et exauces en noble geniture

Ton royal nom, ta beauté de nature

Et mesprises, sans aucune raison,

L’honneur, le loz de la mienne maison

115

Laquelle n’est pas moindre en sa hautesse

Que la tienne, ne d’obscure noblesse.

Pas ne sont moindres les miens progeniteurs

Que tes ancestres, peres & geniteurs

Et iaçoit or qu’assez ie pense & croye

120

Que moult grand soit le royaume de Troye,

Pas moins pourtant ie n’estime, & ne tiens

Notre sceptre que tu celui des tiens.

Si cette terre est moins riche & feconde,

Que cel’ de Troye, & que tant n’y abonde

125

De peuple ou gens, moindre y est le danger,

Car ton païs est rude & estranger.

Ta lettre est pleine de grans dons & promesses,

De belles offres, de tresors & richesses,

Voire assez grandes pour veincre & deceuoir

130

Toutes dames, & leurs cœurs esmouuoir:

Mais de ma part quand ie voudroye mettre

Honneur au vent, & à toy m’en demettre

Plus le ferois pour ta beauté, sans plus,

Que [p. 297] Fac-simile de la page A PARIS. 297

Que pour tous tes biens, ne pour tout le surplus.

135

Et pour certein i’auray tousiours enuie

D’estre apelee bonne toute ma vie:

Si ce propoz me change croy pour vray

Que toy seul plus que tes biens ie suiuray.

L’offre pourtant de tes biens ne refuse,

140

Ia n’auiendra que tant de desdain use,

Car on ne doit refuser nullement

Ce qu’on donne par honneur doucement:

De tout cela toutefois peu me donne,

Mais c’est bien plus quand à part ie raisonne,

145

Quand ie recorde en mon entendement

Que tu m’ayes si tresparfaitement,

Et que tu diz que ie suis cause seule

Dont il conuient que tant ton cœur se deule,

Et que tu as trauersé tant de mer

150

Pour me complaire, obeïr, & aymer.

Croy pour certein quand ton œil me regarde

Ie ne fais point semblant d’y prendre garde:

Mais toutefois de moy sont compassez

Tous tes geste & tous tes fais assez:

155

Si que pour vray ta douce contenance

Detient mon cœur en piteuse soufrance

Souuent t’ay vù & pleindre & souspirer:

Cela faisoit ma douleur empirer

Et meintefois quand à table buuoye,

160

(Feingnant penser ailleurs) i’aperceuoye,

Que tu prenois ma couppe tout expres,

t 5 Pour [p. 298] Fac-simile de la page 298 HELEINE

Pour boire, certes, mon demourant apres

Las, quantefois i’ay noté tes manieres,

Et tes regars signifians prieres,

165

Si que tes yeus à pitié pretendans,

Me faisoient bien certeine du dedens:

Et moult creingnoit qu’affeccion volage

Manifestast à mon mari l’ouurage

Car bonnement tu ne sauois tenir

170

Ton cœur d’aller, & ton œil de venir:

Dont moult souuent de creinte surmontee

Couleur vermeille m’est aus ioues montee.

Souuent ay dit, à voix basse & contreinte,

C’est homme là de rien n’a honte ou creinte:

175

Et si ie l’ay souuent dit & pensé,

Point ne cuide t’en auoir ofensé:

Car il est vray, & souuent t’ay ie vù

A table aßis escrire au despouruu

De la pointe d’un glaiue ou d’autre chose

180

Ce mot ici, LA EST M’AMOVR ENCLOSE.

Et bien pensois que cela s’adressoit

A moy, sans plus, ou mon cœur me deçoit:

Mais toutefois par semblans te montroye

Que pas ainsi croire ne le vouloye.

185

Que diray plus? tant fort me guerroyerent

Tes dous attraits, tant mon sens aueuglerent,

Et tant, pour vray, que i’aprins à parler

A toy par sines, sans plus dißimuler.

Certeinement si i’usse esté sugette

190

A tel delict & euure si mal faite

[p. 299] Fac-simile de la page A PARIS. 299

Assez pouuoye estre soudeinement

Veincue & prise par ton blandissement.

Assez fut douce ta parole & benine,

Pour tot me rendre à ton amour encline.

195

Et tant y ha que ta beauté, en somme,

Passe & excede la beauté de tout homme,

Dont meinte femme à coup & de leger

Pourroit mettre son cœur en tout danger

Mais trop mieus vaut que tu en ayes une

200

Par leal droit, non par voye importune,

Qui soit ta femme, & toy le sien mari,

Que pour t’aymer autre eust le cœur marri:

Et de ma part plus me vaut, & mieus ame,

Qu’il fut ainsi que pour toy i’eusse blame

205

Et pource donq montre toy vertueus,

Ne soye tant d’amour affectueus,

Et ne mets point en femme ton courage,

Tant belle soit, ou de noble parage,

Car c’est vertu, voire dine à choisir,

210

De s’abstenir d’un desiré plaisir.

Autres que toy m’ont bien voulu & veulent,

Et de tel mal comme le tien se deulent:

Pas n’es tu seul (ce peus tu bien sauoir)

Qui ait tasché la mienne grace auoir:

215

Autres ont yeus pour voir & pour connoitre,

Et pour faire leur semblant aparoitre

Tu ne voy pas plus cler (ie le te di)

Qu’autres gens font, mais tu es plus hardi.

Tu [p. 300] Fac-simile de la page 300 HELEINE

Tu n’as le cœur d’amour plus ententiue,

220

Mais ta parole est douce & attraitiue:

Que pleust à Dieu qu’ainsi fust auenu

Qu’en ce païs tu fusse lors venu

Quand au premier à marier i’estoye

Lors qu’à nul autre la foy promis n’auoye

225

Requise estoye alors de meintes gens,

Qui pour m’auoir bien furent diligens:

Mais si i’eusse lors de toy connoissance,

Autre que toy n’en eust eu iouïssance,

Et fust esté en chateaus ou en vile

230

Ie t’eusse pris & choisi entre mile.

Or me pardonne Menelaüs pourtant

Si i’ay failli & si i’en ay dit tant:

Mais pour certein ie suis or’ possedee

Par autre main à qui ie suis vouee:

235

Tu es venu trop tard (dont or’ entens)

Pour obtenir la ioye ou tu pretens:

Ton esperance fut trop tarde & trop lente

Pour paruenir au gré de ton entente:

Autre iouït & tient à son plaisir

240

La chose au monde ou plus est ton desir:

Combien pourtant qu’außi ia il n’auienne

Que i’aye au cœur nul vouloir d’estre tienne,

Pour desdaigner le mien Menelaüs:

Car au premier tout mon espoir là eus.

245

A celui suis sans force ne contreinte,

Amour leale m’y rend serue & estreinte.

Et [p. 301] Fac-simile de la page A PARIS. 301

Et pource donq cesse de tourmenter

Mon esperit par ton parlementer:

Ne vueilles pas donner ennui pourtant

250

A celle la que tu dis aymer tant,

Mais laisse en paix mon fait & ma fortune,

Qui m’a donné vie assez oportune,

Et plus ne tache par ta subtilité

D’auoir le pris de mon honnesteté.

255

Tu dis ami que Venus la deesse

T’a de moy fait deliuranee [sic pour deliurance] & promesse,

Et que tu viz en Ide la forest,

Les trois Nymphes par qui vint tout aquet:

L’une te fit de royaume & d’empire

260

Offre & present pour en demourer Sire:

La seconde te promit (pour tout voir)

Toute vertu, sapience & sauoir:

Et la tierce te dit, en voix certeine,

Iuge pour moy, & tu auras Heleine.

265

Mais toutefois ie ne croy nullement

Que point vousissent dessous ton iugement

Se sousmettre les Dieus ne les Deesses,

Pour declarer leurs beautez & noblesses:

Et fust il lors ainsi, ie ne crois pas

270

Que pour auoir esté Iuge du cas

Aye esté mise (aumoins comme ie pense)

Seule entre tant, pris de ta recompense.

Pas ne presume ma fortune ou beauté

Si tresgrande que ie seule aye esté

Prise [p. 302] Fac-simile de la page 302 HELEINE 275

Prise & choisie pour demourer en somme

Riche loyer à un si parfait homme:

Assez suffit se ie suis, & remains,

Trouuee belle du regard des humeins:

Et que mon loz n’amendrit, ni ne change

280

Sans que les Dieus fassent de moy louenge:

Mais ne m’en chaut, car ie prendray tousdis

Tes louenges à bon gré, & tes dits.

Et iaçoit or’ que tant soye belle

Comme tu dis, bien voudroye estre telle.

285

Si te supli & requier pourautant

Que contre moy tu ne sois mal content,

Si de leger ie ne t’ay voulu croire:

Car on fait bien choses feintes à croire:

Et moult souuent (comme assez i’aperçoy)

290

En grandes choses defaut promesse & foy.

Pour des causes i’ay ioye delectable:

L’une si est que ie suis agreable,

Et estimee par la dame Venus:

L’autre raison des plaisirs auenus,

295

C’est qu’il t’a plù apres tant de promesses

A toy faites par icelles deesses,

Mettre à desdain tout tresor & auoir,

Pour seulement ma bonne grace auoir:

Si que pour vray l’honneur & l’auantage

300

Qu’on te vouloit deliurer en partage,

Fust de Iuno ou de dame Palas

Ne t’a tant plù que de moy le soulas.

Bien [p. 303] Fac-simile de la page A PARIS. 303

Bien apert donq que tu me tiens plus chere,

Ne que vertu ne que richesse entiere:

305

Dont trop seroye dure en cœur, & en effet,

Si ie n’aymoie un ami si parfait:

Mais croy pour vray que pas ne suis si dure

Comme tu pense, ne de fiere nature

Mais i’ay doute d’auoir (sur toute rien)

310

Cil qui ne peut à grand’ peine estre mien.

Ce seroit chose inutile & trop vaine

De labourer le grauier & l’araine,

Ou tous les iours eau se vient acueillir,

On n’en scauroit grand proufit recueillir:

315

Car le lieu mesme trop peu fertil repugne

Qu’on en tirra tirra, pour
tirera.
de la semence aucune.

Ie suis trop rude & simple (pour tout voir)

Pour nuls amans tromper ou deceuoir:

Et me soit Dieu tesmoin si iour de uie

320

D’en frauder nuls i’eu talent ni enuie

Si ie t’escris ores priueement,

Et que te mande par lettre entierement

Ma voulenté, ce faiz pour satisfaire

A la descharge de ton piteus afaire.

325

Helas moult sont heureus, pour abreger,

[C]eus là qui ont leur ioye sans danger:

[I]e suis ieune non sachant telle chose

Moult grand peril y pense & presupose:

Dont celle creinte du dommage auenir

330

Me garde certes, à toy seul me tenir

Ores [p. 304] Fac-simile de la page 304 HELEINE

Ores remains troublee & esperdue,

Puis çà, puis là outree & confondue:

Et si me semble qu’en toutes pars & lieus

Sur moy regardent de tous hommes les yeus:

335

Et non sans cause i’en ay vergongne & honte,

Car meintes gens en tiennent ia leur conte:

Et par mes femmes ay sù puis peu de tems,

Que meints parlent du fait ou tu pretens.

Or’ donq ami si tu n’as en courage

340

D’abandonner ce fait & cet ouurage,

Vueilles aumoins un peu dißimuler,

Pour le mesdire des gens anichiler.

Tu le peus faire, & pour tel’ chose abatre,

Secrettement te desduire & t’esbatre:

345

I’ay liberté (mais non pas la plus grande)

Pour parfaire ce que mon cœur demande:

Car iaçoit or’ que mon mari soit loin,

Vser conuient de raison au besoin.

Songneuse charge & diligent afaire

350

L’ont compellé si grand voyage faire:

Et quand ie vy au partir qu’il estoit

Douteus d’aller, & forment s’arrestoit,

Lors ie lui dis besoin est que tu ailles,

Mais reuiens tot, & garde que n’y failles.

355

Quand i’eu ce dit tant fut aise & content,

Qu’il me baisa & s’en partit atant,

En me disant ie te pri qu’il te plaise

Ceans traiter le mien hoste à son aise:

Et [p. 305] Fac-simile de la page A PARIS. 305

Et que l’estat & fait de la maison

360

Soit gouuuerné [sic pour gouuerné] & conduit par raison.

Cela me dit dont i’eu talent de rire,

Quand lui ouï toutes ces choses dire:

Et ne lui sù que respondre en effet

Fors seulement, ami, il sera fait.

365

Si mon mari donques que ie regrette,

S’en est allé loin au païs de Crete,

Pas ne s’ensuit que i’aye le pouuoir

De parfaire de tous points ton vouloir.

S’il est absent si áy ie seure garde,

370

Et œil sur moy qui tresbien y regarde.

Ne scez tu pas que grands Princes & Rois

Sont obeïs, pres ou loin, par leurs drois?

Puis d’autre part ie creins außi, & doute

Male bouche qui de pres nous escoute:

375

Car de tant plus que de toy suis louee,

Plus doy tenir chere ma renommee.

Ne t’esbahis si seule auec toy

Menelaüs est eslongné de moy:

Il est parti, ayant bonne fiance

380

De lui & moy, & de notre aliance:

Et bien certein que ne voudroye mie

Estre iamais que d’autre lui amie.

La beauté mienne lui ha donné moint iour

Ocasion de faire à moy seiour:

385

Et bien ha eu matiere & iuste cause

De se tenir pres de moy longue pause:

u Mais [p. 306] Fac-simile de la page 306 HELEINE

Mais il ha eu fiance d’autre part

A leauté, dont vraye amour depart.

Tu dis, ami, que le tems & l’espace

390

Qu’auons si seur, deperit, & se passe:

Et me requiers de faire ton plaisir

Tandis qu’auons & l’heure & le loisir:

Et ie le veus, & si creins de le faire

Tant me semble dificile l’afaire.

395

Encores n’ay bonnement auisé

Si tu dois estre ouï ou refusé

Encores est en doute ma pensee

Si par moy doit ta voix estre exaucee:

Bien considere mon mari estre absent,

400

Dont de plaisir mon cœur priué se sent:

Et puis außi ie voy que tu reposes

Seul en ton lict banni de douces choses.

Ta grand beauté me rend & triste & blesme,

Et la mienne ie croy te fait de mesme:

405

Mes pensees, & les veillees nuits

Logent en moy un milion d’ennuiz.

Quand seule gis de trauail aiournee,

Ie pense à ce qu’auons dit la iournee:

Et si recorde en mon entendement

410

Ton dous parler, & humble traitement.

Ie periray & suis femme afolee,

Si ie ne suis par raison consolee.

Ie ne say plus qui me garde & me tient,

Fors seulement creinte qui me detient.

Que [p. 307] Fac-simile de la page A PARIS. 307 415

Que plust à Dieu que tu pusse contreindre

Mon cœur à ce, ou le tien veut ateindre:

Et qu’en toy fust pouuoir de commander

Ce dont tu veus par requeste amander:

Car lors seroit ma simplesse excusee,

420

Et ma vie sans vitupere usee.

Certes Paris, ie te promets & iure,

A plusieurs sert violence & iniure:

Or ainsi fut de toy en mon endroit,

Autre moyen lors querir ne faudroit.

425

Helas, ami, quand tout pense & auise,

Laisse ton cœur iouïr de ta franchise:

Et ce pendant que l’amour est nouuelle

Deporte t’en, & la laisse pour telle.

Petite flamme ce peut tot estancher,

430

Pour bien peu d’eau qu’on y face toucher:

Amour n’est pas certeine ains souuent change,

Et mesmement celle d’un homme estrange:

Ainsi qu’ils vont & qu’ils viennent souuent,

Außi fait, certes, leur amour comme vent.

435

Et lors qu’on cuide que mieus est assuree,

Tant moins est ferme & plus desesperee.

Hysiphile le pourroit témoigner.

De qui Iason se voulut eslongner:

Außi feroit la bien poure Ariadne

440

Que Theseüs laissa en si grand peine.

Pas ne furent tenus par leur amis

A elles deus les conuenans promis:

v 2 Et [p. 308] Fac-simile de la page 308 HELEINE

Et si dit l[’]on que tu en as aymee

Vne long tems, & dame reclamee

445

Dont meintenant ne veus ouir parler:

Ie l’ay ouï Enoné apeller.

Ie prens le cas que desormais tu fusses

Bon & leal, & que ne ne [sic pour que ne] me deçusses,

Si ne peus tu longuement arrester:

450

Car du retour tes gens te font haster

Ia commencement voiles dresser & tendre,

Pour droit à Troye voye & chemin reprendre:

Et quand ensemble toy & moy nous parlons,

Et que la nuict desiree atendons,

455

Le vent se tourne, & à ton vueil se dresse

Pour te mener hors du païs de Grece.

Et pource donq quand toy & moy voudrions

Nos plaisir prendre, & que la nous viendrons,

Notre emprinse demourroit imparfaite,

460

Et ne seroit l’euure qu’à moitié faite:

Lors s’en iroit m[’]amour desheritee

Piteusement au vent mise & gette.

Mais te suiuráy ie comme tu le demandes,

Pour aller voir tes richesses si grandes?

465

Iráy ie à Troye meintenant auec toy,

Pour estre bru de priam le grand Roy.

Certeinement si peu ne creins & doute

La renommee à qui foy on aioute,

Que ie vousisse l’alee consentir:

470

Bien me deurois cherement repentir.

Pas [p. 309] Fac-simile de la page A PARIS. 509 [sic pour 309]

Pas ne veus certes la terre faire honnie

De si grand crime, car raison le me nie.

Si ie le fais que diront les Sparteins,

Ceus d’Achaïe, & d’autres lieus lointeins?

475

Mais si ce cas ie consens & ottroye,

Que diront ceus d’Asie & de Troye?

A ton auis ton pere qu’en dira?

Ni mais ta mere, quand außi le saura?

Et tant de freres que tu as qu’en diront?

480

Et mais tes seurs à droit me maudiront.

Et toy mesmes par tems ou interualle

Douteras moult que ne soye leale,

Et s’il vient nuls estrangers ou passans,

Qui voir me viennent ainsi que connoissans,

485

Tu y prendras desplaisir : & peut estre

Que ialousie fera ta douleur croitre:

Donc tu pourras à l’heure sans celer,

Meschante femme, & fausse m’apeller.

Lors ne pourrois mon excuse deffaire

490

La folie que tu m’aurois fait faire.

Ia n’auienne donques que tu te moques

Pour l’auenir du mal ou me prouoques:

Plustot se puisse sous moy la terre ouurir

Que iusques là me vueille descouurir.

495

Tu me promets gran tresors à merueilles,

Pompeuses robes, & blanches & vermeilles,

Asse peuz tu & promettre & donner,

Mais ie te pri vueilles moy pardonner:

u 3 Car [p. 310] Fac-simile de la page 310 HELEINE

Car tant ne priser à gloire fortunee

500

Comme ie fais la terre ou ie suis nee.

Le mien païs me detient & me plait:

Tout autre lieu m’ennuye & me desplait.

Si auec toy i’estoye transportee

Par qui seroye en fin reconfortee?

505

Et si i’auoys mal ou auersité,

A qui seroit mon ennui recité?

Ou pourróy ie querir parens ne freres

Pour leur conter mes douleurs trop ameres?

Bien me doit il à present souuenir

510

(Afin que pas ne me puisse auenir)

Comme auec lui Iason mena Medee,

Laquelle estoit songneusement gardee:

Bien lui promit, pour mieus la deceuoir,

Corps, terre, biens, voire tout son auoir:

515

Mais peu de tems fit auec lui demeure

Il la chassa dont fut moult triste l’heure,

Et l’expella au loin de sa maison:

Or’ me respons si cela fut raison?

Pas ne trouua ses amis ne parens

520

A celle fois pour lui estre garens:

Bien dust connoitre que moult estoit deçuë

Car en nul lieu ne peut estre reçuë.

Certes Medee ne pensoit au premier

Que Iason fut de mentir coutumier:

525

Et de ma part pas ne croy, ni ne pense

Qu’en toy y ait si grande deceuance:

Mais [p. 311] Fac-simile de la page A PARIS. 311

Mais meintefois (dire bien le conuient)

Le contraire de ce qu’on cuide auient:

Et mains vaisseaus qui ont vent agreable

530

Au desloger en mer douce & traitable,

De grans dangers sont en fin rencontrez.

Quand bien auant sont en la mer entrez.

Puis d’autre part ma pensee se plonge

Et s’arreste souuent au piteus songe

535

Qui fit ta mere, que moult fort lui toucha:

Auis lui fut, quand de toy acoucha

Que d’elle issoit une torche alumee

Par qui estoit sa terre consumee.

Ie creins außi les pleintes & les crïz

540

Que les deuins dient par leurs escriz,

C’est assauoir que Troye & sa richesse

Arse doit estre par feu venant de Grece.

Si de Venus tu as port & faueur,

Les autres deus te feront grand rigueur,

545

Si tu as de l’une la grace aquise,

Les autres deus en feront à leur guise

Tu as mis l’une en souuerein degré,

Les autres n’ont celle sentence à gré.

Parquoy suis seure que (s’il faut que m’en aille

550

Auecques toy) s’en ensuiura bataille:

Et s’en iront par glaiues & clamours

Piteusement mes dolentes amours.

Mais cuides tu que mon mari ne ceus

De ma lignee fussent lors paresseus

v 4 De [p. 312] Fac-simile de la page 312 HELEINE 555

De pourchasser celle iniure à eus faite

Quand auec toy me seroye retraite?

Tu dis & contes que tu ferois merueilles,

Et qu’en toy sont prouesses nompareilles:

Mais bien montre ta face, & tes dous ye us [sic pour yeus]

560

Qu’autre mestier que guerre, te siet mieus.

Plus est sugette ta contenance telle

A bien aymer, qu’à bataille mortelle.

Or’ laisse donq aus gens cheualeureus

Le fait de guerre qui est auantureus,

565

Et toy Paris prens d’amour la banniere.

Car pour certein bien te siet la maniere.

Laisse à Hector de guerre les debats:

Retiens pour toy des dames les esbats,

Plus y feras par ta douce requeste

570

Que par le glaiue ou armes en conqueste.

Que veus tu donq cher ami que ie die

Las si i’estoye assez seure & hardie

I’acompliroye la tienne voulenté:

Mais par creinte le vouloir m’est oté:

575

Et peut estre que quelque fois la creinte,

Qui en mon cœur est serree & empreinte,

Me laissera: lors en amours parfaite

Ie me rendray ta serue & ta sugette.

Assez connois, assez say & entens

580

Ie tien vouloir, & la fin ou tu tens.

Tu desires qu’en secrette assemblee

Ta ioye soit à la mienne doublee,

Et [p. 313] Fac-simile de la page A PARIS. 313

Et que puissons noz deus cœurs assortir

En vray amour, sans iamais departir:

585

Mais trop sont certes hatiues tes façons:

Encores n’est surement aßignee

La tienne amour, ne bien enracinee:

La longue atente, & un peu de demeure

Te pourra mieus valoir à une autre heure.

590

Or c’est assez, & plus ne t’en dira

La mienne lettre, mais à tant fin fera.

Le demourant pourras à plein sauoir

Par mes deus femmes lesquelles (pour tout voir)

Sauent du tout mon vueil & mon entente,

595

Si te suppli que de ce te contente.


Fin de la xvj. epistre de He-
leine à Paris.

[Bandeau]

PREFACE SVR
L’EPITRE DE LEANDER
A HERO.
*

LEander demourant en Abide, ville ma-
ritime d’Asie, etant amoureus de la
belle Hero de la ville de Seste d’Europe si-
tuee vis à vis de lautre, auoit de coutume
v 5 trauer [p. 314] Fac-simile de la page 314
trauerser toutes les nuits le bras de mer à
nage, qui est entre les deus villes, pour aller
iour de ses amours. Mais comme, pour la
grande tempeste de mer, sept iours fussent
passez sans qu’il y nageat, il donne cette epi-
tre fuyuante, à un hardi nautonnier qui osa y
passer par telle rigueur de tems. Par icelle,
epitre donq il reconforte son amie, prote-
stant que son cœur est tousiours ferme &
stable en l’amour: & se complaint du mau-
uais tems contraire à son desir en fin lui pro-
met, si le tems continue, qu’en despit de sa
rigueur il se hazardera de passer vers elle,
pour iouïr de sa tres desiree presẽce: ce qu’il
fit aussi, mais à son grand dam: car il y laissa
la vie entre les rigoureus flots de la mer. Au
reste ce bras de mer que lon appeloit Helle-
spont qui est entre Seste & Abide, ti-
rant vers Constantinople, est appelé
apresent l’etroit de Callipoli,
& le Castelle: mais les
François l’appellẽt
le bras Saint
George.
*

Fin de la Preface.

[p. 315] Fac-simile de la page 315 [Bandeau]

LA XVII. EPITRE
D’OVIDE.
*

Enuoy de l’Epitre.

Belle de Seste, en la lettre presente

L’amant d’Abyde humble salut t’enuoye,

Qui en personne entreprendroit la voye

Si ce n’estoit la trop longue tourmente.


Leander escrit à Hero.

[Figure] 5

S’Il est ainsi que les Dieus pitoyables

Soyent en amours, & à moy fauorables,

Ie croy, pour vray, qu’a peine, & bien enuie,

Tes yeus verront mes ecritz & deuis.

Mais [p. 316] Fac-simile de la page 316 LEANDER

Mais à moy (las) nulle faueur ne prestent,

10

Quand mes desirs & mon bien ils arrestent.

Ne me laissant (comme soulois) nager

En l’eau connue, & passer sans danger.

Ne vois tu pas le ciel plus noir que poix,

Les vents emuz, & leurs horribles voix,

15

Et de la mer les ondes furieuses

Mal nauigable à ces grandes naus creuses?

Ce seul porteur plus qu’autre audacieus

Qui cette lettre à offerte à tes yeus,

A entrepris par ce tems dur & fort

20

De desancrer d’Abyde, son seur port:

Et n’eust esté, alors qu’il departoit

Que tout Abyde haut aus creneus estoit,

I’ay de te voir si bonne volonté

Qu’auecques lui fusse en la mer monté.

25

Mais notre flamme assez dißimulee,

A mes parens n’eust plus esté celee,

Et de l’amour dont cherchons couuerture,

En ce faisant i’eusse fait ouuerture.

Voila pourquoy i’ay cete lettre escritte,

30

Et, la baillant, telle parole ay dite:

Va lettre heureuse, en la main bien aymee

De ma deesse en beauté consommee:

Va hardiment, quand elle t’ouurira

Par auenture elle te baisera,

35

Quand de ses dens, plus blancs que blanche rose

Elle rompra le fil qui te tient close.

Ce [p. 317] Fac-simile de la page A HERO. 317

Ce petit mot ie dis tout bassement

Entre mes dents murmurant doucement:

Car le surplus ma main ha bien su mettre

40

Couché au long, en la presente lettre.

Las, plust à Dieu qu’escrire elle ne sust,

Et que nouer en la mer elle pust,

En me portant, comme elle ha de coutume

Diligemment, ou mon flambeau s’allume!

45

Ce seroit bien mieus son cas, de s’ebatre

Par la mer calme, & l’eau paisible batre,

Et toutefois, quand i’en ay bien afaire

De mon vouloir ie la fais secretaire.

Desia sept nuicts (helas) sont terminees,

50

Ie di sept nuicts trop plus longues qu’annees,

Et de la mer les grans ondes bouillantes

N’apaisent point leurs tempestes bruiantes.

En ces sept nuicts, si le sommeil plaisant

Vn de mes yeus ha trouué reposant,

55

Ie pri à Dieu que la mer enragee,

A calme estat ne soit iamais rengee.

Sur quelque rocs aßis en desconfort

Ta haute tour ie contemple, & son port:

Et ou mon corps par la tempeste forte

60

Ne peult aller, mon esprit se transporte,

Et lors mon œil vers ta tour regardant

Voit le flambeau veillant & attendant:

Ou le desir que i’ay de te reuoir

Me fait ainsi presumer de le voir.

I’ay [p. 318] Fac-simile de la page 318 LEANDER 65

I’ay par trois fois mes vétemens otez

Et sur le sec sablon les ay gettez:

Et par trois fois (ma robe ainsi laissee)

La longue voye ay vers commencee:

Mais la mer haute ha mis empeschement

70

A mon emprise, & ieune auancement:

Et plus mon corps de nouer s’essayoit

Plus l’eau contraire & dur flot le noyoit.

O Boreas, de tous vents furieus.

Le moins paisible, & plus impetueus,

75

A quel propos as-tu si grande enuie

De mener guerre à ma dolente vie?

Ce ne sont pas de la mer les flotz doubles

Contre lesquelz tes forces tu redoubles,

C’est contre moy. Si senti n’auois onques

80

Le feu d’amour, que ferois tu pis donques?

Ha faus paillard, combien que froid tu sois

Si scez tu bien que tu as autrefois

Senti d’amour l’aguillon chaleureus

Quand tu estois d’Orithie amoureus.

85

Mais respons moy, qui retardroit ton cours

Lors que tu vas visiter tes amours,

Volant par l’air au lieu de ton desir

Ou est t’amie, y prendrois tu plaisir?

Appaise toy, prens pitié de ma peine,

90

Et doucement modere ton alaine,

Ainsi te soit Eolus, ton grand roy,

Dous & benin, que tu seras à moy.

Ie [p. 319] Fac-simile de la page A HERO. 519 [sic pour 319]

Ie perz mon tems, car contre ma requeste

Il bruit tousiours, se courrouce & tempeste,

95

Et ne refreint les vagues agitees

De son soufler, ne les eaus tourmentees.

Plust or’ à Dieu les esles me prester

Dont Dedalus sceut par l’air se porter:

(Quoy qu’ici pres Icarus demoura

100

Cheu en la mer, qui son nom encor’ ha,)

Car il n’est rien que ne vueille eprouuer

Pouruu qu’en l’air ie me puisse esleuer,

Et, comme en mer i’ay esté suspendu,

Voler par l’air à mes esles pendu.

105

Or ce pendant que mer, & vents contraires

Vont destourbant en ce point mes afaires,

Ie rememore en mon entendement

Mon heur d’amours reçu furtiuement:

Car il y ha plaisance au souuenir.

110

Lors que la nuict commençoit à venir

Esmu du feu d’amoureuse est incelle [sic pour estincelle],

Ie delaissois la maison paternelle,

Puis tout soudein auec mes vétemens

Abandonnant tous honteus pensemens,

115

En la mer calme à plaisir me gettois,

Et ça & là de mes bras la batois.

La Lune alors de luire coutumiere,

Me produisoit sa tremblante lumiere,

Et se prestoit compagne fauorable

120

A moy voyant par la mer variable,

Dont [p. 320] Fac-simile de la page 320 LEANDER

Dont connoissant sa faueur oportune

Ie lui disois: O belle & blanche Lune,

Sois moy propice, estant memoratiue

Du mont Latmos, & de sa roche viue:

125

Certes iamais ton cœur dur ne seroit,

Endimion pas ne le soufriroit:

Que du haut ciel[(]ô deesse eternelle)

Venois cercher, creature mortelle.

Tourne vers moy ta face (helas) benine,

130

Fauorisant notre amour clandestine:

Permis sera que le vray ie confesse,

Celle que i’ayme est außi bien deesse:

Et sans louer ses meurs & graces bonnes,

Dines pour vray de celestes personnes,

135

Estre ne peut sa beauté manifeste

Fors seulement de deesse celeste.

Et n’est beauté qui à comparer face

Fors de Venus, ou de ta clere face.

Et s’ainsi est qu’à mes ditz tu ne croyes,

140

Ie suis d’auis que toymesmes la voyes.

D’autant qu’au ciel toutes etoiles cedent

A tes flambeaus, qui leur lumiere excedent,

Lors que ça bas tes argentins rayons

Luire de nuict purement nous voyons:

145

Autant, ou plus, dessus les belles toutes

Est cette ci, voire & si tu en doutes,

Et ne vois pas quelle ha plus de beauté,

Certeinement obscure est ta clarté.

Voila [p. 321] Fac-simile de la page A HERO. 321

Voila comment auec elle (à peu pres)

150

Ie deuisois, & me gettois apres

Dedens la mer, ou à mes bras puissans

Ie rencrontrois les flotz obeïssans.

Là les rayons de la lune flottoient

Dessus la mer, es eaus qui me portoient,

155

Et ressembloit ce nocturne seiour

Entierement viue clarté du iour:

Et ne venoit à mes aureilles bruit

Autre, ou plus grand, en cette douce nuict,

Que celui la qu’en nouant ie faisois,

160

Quand de mon corps les vagues diuisois.

I’ay seulement des Alcyons ouies

Qui de Ceyx iadis furent amies,

Et de regret sans hautement chanter,

Ie ne say quoy me sembloient lamenter.

165

Desia les nerfz de mes bras, commençoient

A s’afoiblir, & quasi se lassoient:

Lors ie m’esleue à grande force & peine

Iusqu’au dehors de l’eau de la mer pleine:

Et de ta tour le brandon i’aperçoy,

170

Le seul brandon qui mon feu cache en soy.

Ha (dis ie lors) ce riuage seul, ha

Mon vray flambeau, & ma lumiere est là.

Tout außi tot, trouuay renouuellee

Ma force aus bras, qui s’en estoit allee:

175

Et me sembloit, que l’eau qui me portoit,

Beaucoup plus douce, & plus paisible estoit.

x Puis [p. 322] Fac-simile de la page 322 LEANDER

Puis Cupido (qui mon cœur amoureus)

Auoit muni de son feu vigoureus,

Me gardoit d’estre en la grand mer sallee

180

Surpris de froid, entre l’onde gelee.

Plus ie m’aproche à ta grand tour de Seste,

Et s’amoindrist de ma voye le reste,

Et plus ie voy aprocher le riuage:

Plus croist en moy de nouer le courage.

185

Et d’autre part, si tot que ie puis estre

Vù de tes yeus, par ta haute fenestre:

Incontinent ta desiree vuë

Acroit mon cœur, & ma puissance esmue:

Lors en nouant ie m’efforce de faire

190

Chose, qui puisse à ma dame complaire:

Et mes deus bras, entre les flots pendans,

Souuent ie tends à tes yeus atendans.

Alors i’ay vù, & say pour vray m’amie,

Qu’il n’y auoit ni feinte ni demie,

195

I’ay vù qu’en bas vers moy voulois descendre,

Et te l’ay vù ta nourrisse defendre:

Et toutefois cela rien n’y seruoit,

Ains te voulant retenir, ne pouuoit,

Ni empescher qu’au deuant ne marchasses,

200

Et que tes piedz sur le bort ne mouillasses.

Moy arriué, bien venant embrassois,

Et mile eureus baisers departissois.

Mais quelz baisers? baisers tant à aymer

Que les grans Dieus en passeroient la mer.

Lors [p. 323] Fac-simile de la page A HERO. 323 205

Lors tout soudein ton manteau desuestois,

Et dessus moy despouillé, le mettois:

Puis tu sechois ma perruque mouillee

De l’eau de mer, & d[’]escume souillee.

Quant au surplus, la seule nuict aymable

210

Le scet, & nous, & la grand tour coupable,

Et le flambeau, qui toute nuict luisoit,

Et par la mer nouant me conduisoit.

Ie ne saurois conter aucunement

De chaque nuict le dous esbatement:

215

Ne plus ne moins qu’on ne peut tenir conte

De l’eau qui est en la mer Hellesponte.

Moins auons eu d’espace, & de loisir

Pour demener notre furtif plaisir,

Plus auons mis cure, & peine ententive

220

A n’en passer une minute oisiue.

Quand la bell’ aube au monde esclarcissoit,

Les chams couuers, & le iour auançoit,

En r’enuoyant à Titon son espous

La nuict obscure, & ses ombrages tous.

225

Alors (contreins notre depart hater)

Prenions tous deus des baisers sans conter:

Nous compleingnant de ce que la nuitee

Avoit si peu de demeure arrestee.

Finablement faloit que i’obeïsse

230

Au dur parler d’une vieille nourrisse,

Et delaissant ta desiree tour,

Ie commençois vers le port mon retour.

x 2 Parti [p. 324] Fac-simile de la page 324 LEANDER

Parti de toy non sans larmes gettees,

Ie retournois aus ondes agitees,

235

En Hellesponte, ou tant que ie pouuois

Tousiours vers toy mes yeus tournez i’auois,

Et sans douter (vray est ce que ie di)

Nouant vers toy, i’estois noueur hardi:

Mais au retour d’auec toy, en la mer

240

Ie me cuidois à tous coups abimer.

Et en nageant vers toy (sans point de doute)

Trouuois en mer une batue routte:

Mais au retour, les eaus mal egalees

Me ressembloient montaignes & valees.

245

Ie ne say pas s’il t’est ainsi auis:

Mais ie faisois ce retour bien enuis

Dedens Abyde, ou encor à cette heure

Outre mon gré ie fay longue demeure.

Helas pourquoy les cœurs estans ensemble,

250

La rude mer noz deus corps desassemble?

Et que ne sont en mesme lieu les corps

Que sont les cœurs assemblez, & concords?

Que ne me tiens ie en Seste qui est tienne,

Ou que tu n’es en Abyde la mienne?

255

Ce m’est tout un autant agreable est

A moy ta tour, que mon païs te plait:

D’où vient cela que troublé ie me sens

Lors que la mer est troublee des vents?

Pourquoy me cause un si grand destourbier

260

Le vent, qui est empeschement leger?

En [p. 325] Fac-simile de la page A HERO. 325

En la grand mer ia les dauphins tortus

De nos amours me semblent tous batuz:

Et n’est poisson (ainsi comme ie croy)

Qui ne se soit bien aperçu de moy.

265

Desia se voit, par long cours, aparente

Parmi la mer une batue sente:

Ne plus ne moins qu’en voye acoutumee,

D’un chariot est la roue imprimee.

Ie me pleingnois (un tems fut) sans cesser

270

D’ainsi souuent passer, & repasser:

Mais meintenant, ie me pleints au contraire

Pour le fort vent, que ie ne le puis faire:

Car tu vois bien l’Hellespontique mer,

Et ses grans flotz, bouillir & escumer:

275

Tant qu’il n’y ha grande nef qui soit sure

Mesme en son port, par tempeste si dure.

Et croy qu’alors cette mer estoit telle

Quand elle prit le nom de la pucelle

Par ses grans flotz noyee & abymee,

280

Et dont elle est encore surnommee.

Las cette mer assez d’infamie ha,

Par ce qu’Hellé dens ses eaus se noya:

Et me peut bien estre moins rigoureuse,

Assez scet on sa faute malheureuse.

285

Certes, Phryxus, enuie ie te porte:

Quand par la mer, & sa tempeste forte,

Par un mouton, à la toison doree,

Tu fuz porté, sa sœur est demouree.

x 3 Et [p. 326] Fac-simile de la page 326 LEANDER

Et toutefois pour moy ie ne desire

290

Aucun mouton, encor moins un nauire:

Mais que des eaus les fureurs amorties

Soyent (en nouant) par mes bras departies.

Ie n’ay besoin d’estranger artifice,

Mais qu’à nager la mer me soit propice.

295

Car ie seray, sans creinte de danger,

Tout seul ma nef, ma rame, & passager:

Et ne faudra, pour conduire ma voye,

Que la grand’ Ourse, ou la moindre ie voye.

Car forte amour me regit, & domine,

300

Qui ne se sert d’aucun coutumier sine.

Qu’un autre donq, qui en mer s’abandonne,

Andromeda ou la belle Couronne

Prenne pour guide, ou la faueur mendie

Du sine froid de l’Ourse d’Arcadie.

305

Car, quant à moy, certes ie n’ay que faire

En ce chemin, tant soit fort à parfaire,

De contempler sines au ciel reçuz

Qu’aymoient Bacchus, Iupiter, ou Perseus.

I’ay bien ailleurs un sine desiré,

310

Et qui est plus que ceus ci assuré:

Car mon amour en tenebres luira

Quand son chemin ce sine conduira,

Iusqu’en Colchos, & bout du monde iray

Tant que ce sine esclairer ie verray,

315

Et nageray (sans creinte de meschef)

Par tout ou fut la Thessalique nef,

Et [p. 327] Fac-simile de la page A HERO. 327

Es [sic pour Et] me feray, en bien nouant, louer

Sur Palemon, qui sceut tant bien nouer,

Et sur celui que l’herbe esmerueillable

320

D’homme mortel fit un Dieu adorable.

Souuentefois par neige continue,

A mes deus bras est langueur suruenue:

Si que retraire à peine se pouuoient

Des hautes eaus, tant las ils se trouuoient:

325

Mais außi tot que ie leur auois dit

Qu’en peu de tems ils auroient ce credit

(Pour recompense à leur peine enduree)

De prendre au col de ma dame honoree,

Soudein estoient plus fors, vifs & espris,

330

Et s’en couroient à leur destiné pris:

Comme un coursier la barriere abandonne,

Quand la carriere en la lisse on lui donne.

Voila comment mes amours i’entretien,

(Dont le grief feu en mon cœur ie soutien)

335

En te suiuant, ô belle trop plus dine,

Dine du ciel, que nul autre aymé sine.

Certeinement d’estre au ciel tu merites,

Mais en la terre encores tu habites:

Ou s’ainsi est qu’au ciel soit ton domeine,

340

Enseigne moy le chemin qui m’y meine.

Las, c’est le point, & la raison pourquoy

Ie desireus ne puis iouir de toy,

Et mon esprit se trouble, & se tourmente

Auec la mer esmue de tourmente.

x 4 Dequoy [p. 328] Fac-simile de la page 328 LEANDER 345

Dequoy me sert que si petite part

D’estroite mer d’auec toy me depart?

Puis que cette eau, qui si petite semble,

Non moins qu’une autre ainsi nous desassemble.

Bien peu s’en faut que ie n’aymasse autant

350

Au bout du monde estre loin habitant,

Et me mourir en region lointeine

Suiuant amour, d’esperance incerteine:

Car meintenant plus suis pres de ma dame,

Plus suis brulé de la procheine flame:

355

Et ay tousiours bien procheine esperance,

Mais de l’effet ie n’ay point d’assurance.

Ie suis si pres de ce qui m’est si cher,

Que de la main quasi le puis toucher:

Mais ce quasi (helas) au long atendre,

360

Me fait souuent chaudes larmes espandre.

Voila comment ie veus cueillir le fruit

Tout pres de moy, qui deuant moy s’enfuit:

Et vois suiuant (sans atente assuree)

L’eau qui s’enfuit de ma bouche alteree.

365

Sera ce donq quand à la mer plaira,

Non pas plus tot, que mon œil te verra?

Et ne pourra nul yuer froidureus

Voir ton ami Leander bienheureus?

Et (sachant bien qu’il n’est rien moins durable

370

Que sont les vents, & la mer variable:)

Fondray’ ie encor mon espoir, & attente

Sur leger vent, & sur mer inconstante?

Or’ [p. 329] Fac-simile de la page A HERO. 329

Or’ est encor la mer pleine de rage,

De souflemens, de tourmente, & d’orage:

375

Quand donq seront les Pleiades irees,

Et de la mer les vagues empirees

Par l’influence, & aspect aquatique

De Bootes, ou de l’Ourse Olenique?

Comment seroit la mer à moy fiable

380

Pour la passer, estant non nauigable?

Ie ne croy point (tant ie suis temeraire)

Que, sans penser à ce que ie dois faire,

Veincu d’amour, qui tient mon esperance,

Dedens la mer troublee, ne me lance.

385

Voire & à fin que tu sois assuree

Que ie prometz tems de peu de duree:

De te donner certein gage m’atens

De ma promesse auant qu’il soit long tems.

Et si la mer gueres encor me fache,

390

Et sa fureur, & tourment ne lache,

Nageant par force es ondes inconstantes,

Ie trencheray les vagues resistantes.

Les Dieus alors, me feront tant de grace

De me sauuer, par mon heureuse audace:

395

Ou bien la mort, qui en mer me prendra,

Toute ma peine, & amour, esteindra.

Et toutefois quand ainsi periray

Priere aus Dieus humblement ie feray,

Que par dela pour dernier reconfort,

400

Mon corps noyé soit getté sur ton port.

x 5 Ie [p. 330] Fac-simile de la page 330 LEANDER

Ie suis certein que tu en ploureras,

Et que toucher mon corps mort daigneras,

Et si diras, que tu as seule esté

Cause de mort à ce corps là getté.

405

Que pensez vous, estes vous ofensee

D’ouir ma mort en ce point prononcee?

Vous desplait il de lire en cette lettre

Ce dernier point, que i’ay osé y mettre?

Non, non, m’amie, otez moy cette estime,

410

Priez, sans plus, la mer, qu’elle reprime

Sa grande rage, & en mesme maniere

Que moy aymaut [sic pour aymant] , faites votre priere.

Nous n’auons pas de long beau tems afaire

Pour le chemin qu’en nouant ie veus faire:

415

Dure l’yuer tant long tems qu’il voudra

Quand par dela votre port me tiendra:

Là trouueray place propice, & belle

Pour seiourner ma fragile nasselle:

Et si ne say port, ne radde meilleure

420

Ou plus ma nef assurement demeure.

Là Boreas me detienne en prison:

Car ie n’ay point de meilleure maison.

Lors ie seray paresseus à nager,

Et sagement ie creindray tout danger.

425

Quand auec vous detenu ie seray,

La sourde mer iamais ne maudiray.

Et quand i’auray de demeurer contreinte,

Contre les vents ne feray ma compleinte.

Cour [p. 331] Fac-simile de la page A HERO. 331

Courent alors tous les vents desbauchez,

430

Et soient mes bras des votres empeschez,

Si que chacun des deus empeschemens

Me tienne pris en mes contentemens.

Mais s’il auient (ô ma treschere dame)

Que l’yuer soufre, alors usant pour rame

435

De mes deus bras, vers vous ie nageray

Quand le flambeau en votre tour verray.

Ce tems pendant ma lettre couchera

Auecques vous, qui en mon lieu sera.

Si prie aus Dieus qu’en ensuiuant sa voye

440

Bien tot apres auecques vous ie soye.


Fin de l’Epitre de Leander
à Hero.

NE PIS NE MIEVS.

[fleuron]
[p. 332] Fac-simile de la page
332

PREFACE SVR
L’EPITRE DE HERO
A LEANDER.
*

HEro ayant reçu l’Epitre de son ami
Leander, lui respond par autre epitre,
declarant qu’elle desire principalemẽt d’estre
tousiours bien aymee de lui: puis le semond
& incite venir vers elle: puis l’acuse de pa-
resse: puis se courrouce contre la mer: puis
creint que ne la delaisse pour autre nouuelle
amie. En fin toutefois l’ammonneste, ne se ha-
zarder de trauerser la mer iusques à ce que
les vents & tempestres soyent apaisez. Mais le
poure miserable ne suiuit pas ce conseil de
sa bonne amie & bienaymee: aussi lui en
print mal, & à elle semblablement pour l’a-
mour de lui, car il y fut noyé & suffoqué:
comme elle mesme celle mesme nuict de
deuant qu’elle escriuit, en auoit eu quelque
vision & sinifiance par songe, en dormant
sur le poinct du iour.

Fin de la Preface.

[p. 333] Fac-simile de la page 333 [Bandeau]

LA XVIII. EPITRE
D’OVIDE.
*
Hero escrit & respond à Leander.

[Figure]

SI vous voulez, Leandre, ami parfait,

Que ie reçoiue, & me sente en effet

De ce salut que votre escrit me donne,

Venez le moy presenter en personne:

5

Car la demeure en plaisance amoureuse,

Semble tousiours atente langoureuse:

Et m’excusez, car trop mal paciente

Suis, en amours de tant soit peu d’atente.

Vray est qu’amour en nous ha departi

10

Son feu esgal, mais foible est mon parti.

Et [p. 334] Fac-simile de la page 334 HERO

Et m’est auis qu’un homme doit auoir

Plus vif esprit, & de plus grand pouuoir.

Car comme un corps de ieune fille est tendre,

L[’]esprit est foible, & facile à se rendre.

15

Parquoy ami faites brieue demeure

Ou autrement il faudra que ie meure.

Vous auez beau entre vous autres hommes,

Passer le tems quand en langueur nous sommes:

Ou vous chassez par forets & bocages,

20

Ou cultiuez vos chams, & heritages,

Ou les grans cours, & causes vous retiennent,

Ou à plaisir les ieus de pris vous viennnent,

Ou quelquefois d’un dur mors vous rengez

Vn fier coursier, & dessus voltigez,

25

Ou vous prenez aus colets les oiseaus,

Ou les poissons à la ligne en leurs eaus:

Puis quand au iour fait place la nuit noire,

Prenez plaisir, & passez tems à boire.

De tout cela (moy poure seule femme)

30

Ne puis iouïr: voire & quand moindre flamme

Ie sentirois, ie n’ay empeschement,

Ne passetems que d’aymer seulement:

Außi ie prens (ô ma seule pensee)

L’ocasion qui m’est seule laissee:

35

Laissant tandis le tems à vous aymer,

Plus qu’on ne peut par mon dire estimer:

Ce tems pendant, à ma nourrisse vieille

Secrettement de vous parle en l’oreille:

Et [p. 335] Fac-simile de la page A LEANDER. 335

Et m’esbahis quel est l’empeschement

40

Qui par dela vous tient si longuement.

Ou, espandant en la grand mer ma vuë

Contre le vent de grand colere esmuë,

Des propres mots dont vous usez souuent,

Ie di iniure à la mer, & au vent.

45

Ou si ie voy que la mer ennuieuse

Soit quelque peu moins forte, & furieuse:

Lors ie me pleins, & di, que bien pouuez,

Mais de venir nul vouloir vous n’auez.

Lors mes deus yeus (ami) qui vous atendent,

50

En me pleingnant meintes larmes espandent,

Que (bien sachant l’atente qui m’ennuie)

D’un doigt tremblant ma bonne vieille essuie.

Souuentefois ie regarde en mon port,

Si ie verray de vos pas sur le bord.

55

Comme pensant que l[’]on puisse imprimer

Vn pas durable, au sablon de la mer.

Et pour sauoir comment vous vous portez,

Tous arrivans sont au port arrestez.

Puis ie m’enquiers s’il est aucun qui tire

60

Deuers Abyde, à fin de vous escrire.

De mes baisers à vos habits donnez

Que vous laissez, lors que vous retournez

De ma grand tour en la mer Hellesponte:

Qu’est il besoin de vous rendre le conte?

65

Lors que du iour la lumiere s’enfuit,

Et vient le tems de l’amiable nuict:

Qui en chassant le iour, & sa clarté,

[p. 336] Fac-simile de la page 336 HERO

Fait aparoir des astres la beauté:

Incontinent (comme i’ay de coutume)

70

En ma tour haute un grand flambeau i’allume,

Flambeau veillant, lequel (pour vous cõduire)

Toute la nuict ie fais en ma tour luire.

Ce tems pendant ma nourrisse rusee,

Et moy außi, filons meinte fusee:

75

Passant le tems à chose bien decente

A une femme en desolee atente.

Et s’il vous plait sauoir, ce tems pendant

Dequoy ie parle ici, vous attendant:

Ie ne di rien: & ne puis rien entendre

80

Fors que le nom de mon ami Leandre.

Pensez vous pas (di ie) ô ma bonne mere,

Qu’ores il soit sorti de chez son pere?

Ou bien s’il creint, & non pas sans raison,

Voyant veiller tous ceus de sa maison?

85

Pensez vous pas qu’ores il abandonne

Les vestemeus [sic pour vestemens] qui couurent sa persone?

Et que son corps pour nouër mieus à poinct,

Tout meintenant d’huile d’oliue il oinct?

Elle respond de la teste, Qu[’]ouï:

90

Non qu[’]aus baisers, dont nous auons iouï,

En nos amours, en rien elle s’arreste:

Mais fort sommeil branle sa vieille teste.

Bien tot apres ie di de grand courage,

M[']amie il vient, il est en l’eau, il nage,

95

Et de ses bras doucement la mer bat,

Dont [p. 337] Fac-simile de la page A LEANDER. 337

Dont les grans flots il diuise & rabat,

Et puis quand i’ay, sans plus, autant filé

Que mon fuseau iusqu’en terre est coulé:

Incontinent ie di, Helas mon Dieu,

100

Peut il pas bien desia estre au milieu?

Souuent i’espans en la grand mer mes yeus,

En supliant (non sans peur) les hauts Dieus

De vous donner pour plus facile voye,

De tous les vents la mer paisible & coye:

105

Assez souuent les aureilles leuons

A toutes voix qu’entendre nous pouuons,

Et n’oyons bruit, tant soit peu esleué,

Que ne pensions que soyez arriué.

Voila comment la plus grand part ie passe

110

De la nuit longue, & puis quand ie suis lasse

De tant veiller mes yeus finablement

Sont du sommeil surpris furtiuement.

Et peut bien estre aucunefois, ami,

Qu’auecques moy ie vous tiens endormi.

115

Et nonobstant la volontaire absence,

Dedens mon lict ie sens votre presence.

Il m’est auis souuent que ie vous voy

Nouër à bord, & aprocher de moy,

Et de vos bras tous mouillez & lassez

120

(Ce m’est auis) apres vous m’embrassez,

Puis votre corps souillé d’eau, & d’escume

Ie couure & vetz comme i’ay de coutume:

Et quelquefois (ainsi comme il me semble)

y Nous [p. 338] Fac-simile de la page 338 HERO

Nous nous ioingnons, & eschaufons ensemble

125

Et plus encor: mais ma langue modeste

Ne peut, ne veut au long conter le reste:

Et me desplait de raconter l’effet

De ce qu’auons sans honte à plaisir fait.

Helas ami un deduit en ce poinct

130

Pris en songeant, de vray plaisir n’a point,

Car außi tot que mon songe s’enfuit:

Votre presence außi s’esuanouït.

Faites (pour Dieu helas) mon ami cher

Que de plus pres nous nous puißions toucher,

135

Et que le bien en dormant aperçu

Soit par effet, & en veillant reçu.

D’où vient cela que seule, & delaissee

I’ay meinte nuit comme vefue passee?

D’ou vient cela (ô nageur affoibli)

140

Que si long tems ie demeure en oubli?

Il est bien vray, & croy que sans danger

Vous n’auez pù en la grand mer nager:

Mais vous sauez que la derniere nuict,

Moins y ha eu de tourmente & de bruit:

145

Las vous l[’]auez passee sans venir

Pour peur d’un rien qui n’est dù auenir!

Pourquoy nous est peri ce tems si beau?

Et n’auez pris soudein & l’heure, & l’eau?

Certes, ami, quand semblable pouuoir

150

De trauerser encor pourriez auoir:

Si sauez vous l’ocasion & l’heure

Prem [p. 339] Fac-simile de la page A LEANDER. 339

Premiere prise, estre beaucoup meilleure.

Vous me direz qu’en la mer esuentee:

N’a ne seurté, ne constance arrestee:

155

Quand vous voulez un peu vous auancer,

En moins de tems bien sauez trauerser.

Ha cher ami estant en ma maison,

Vous n’auriez point de vous pleindre raison,

Et ne craindriez me tenant embrassee,

160

D’aucun yuer la fureur incensee:

Certes alors les vents m’esiouiroient,

Quand en la mer horriblement bruiroient:

Et souhaitrois que la troublee mer

Ne pust iamais ses bouillans flots calmer.

165

Mais dites moy qui vous est suruenu

Dont vous soyez si creintif deuenu:

Tant que la mer par ci deuant peu creinte

Vous tient surpris en creintiue contreinte?

Il me souuient que vous ici venant,

170

I’ay vù la mer autant que meintenant

(Ou peu s’en faut) esmue & furieuse,

Et menassant d’infortune ennuieuse.

Iors [sic pour Lors] ie criois tant que ie pouuois braire:

Ainsi ami, ne soyez temeraire,

175

Et n’aprestez à moy lasse, une pleinte

De vos vertus, & votre force esteinte.

D’où est la peur nouuellement venue?

Qui ha chaßé cette audace connue?

Ou est ce grand noueur audacieus

y 2 Qui [p. 340] Fac-simile de la page 340 HERO 180

Qui mesprisoit mer, & vents furieus?

Mais i’ayme mieus encores que soyez

Ainsi creintif, que trop d’audace ayez,

Et qu’en seurté, par la mer apaisee

Entreprenez la voye plus aisee:

185

Mais que soyez tel qu’esté vous auez,

Et que m’aymiez comme vous m’escriuez,

Et que ce feu qu’en vous i’ay vù esprendre,

Ne soit, ami, deuenu froide cendre.

Ie ne creins pas tant les vens qui tempestent

190

En la grand mer, & mes desirs arrestent,

Que i’ay grand peur de vous trouuer semblable

Au leger vent, & au flot variable:

Ou bien que vous ne m’estimiez pas tant,

Et le danger soit l’amour surmontant:

195

Ou que ie semble estre trop petit pris

Pour recompense aus labeurs par vous pris.

Aucunefois ie suis en grand doutance

Que mon païs ne me porte nuisance,

Et que de Seste une fille on ne cuide

200

Petit parti, pour un homme d’Abyde:

Et toutefois cela ie porterois

Paciemment plus que ie ne ferois

De vous voir pris d’oisiueté indine,

Au vil giron de quelque concubine:

205

Ou d’autres bras que de moy, desolee,

Prißiez en gré amoureuse acolee:

En mettant fin à l’amitié fidele

De [p. 341] Fac-simile de la page A LEANDER. 341

De vous & moy, par une amour nouuelle.

I[’]aymerois mieus mile fois estre morte,

210

Qu’estre par vous laissee en telle sorte.

Fasse la mort ma vie defaillir,

Plus tot qu’ainsi ie vous voye faillir.

Et toutefois ie ne di pas ceci,

Comme croyant qu’il m’en auienne ainsi,

215

Par aucun sine en vous, ami, connu,

Ou nouueau bruit par deuers moy venu:

Mais ie creins tout, car d’amour la façon

C’est qu’il ne vient iamais sans souspeçon:

Puis entre absens vous sauez que les lieus

220

Rendent amans creintifs, & soucieus.

Celles qui ont leurs amis auec soy

Pour esprouuer ou leur faute, ou leur foy,

Et qui n’ont peur des faucetez menteuses:

O qu’elles sont en amours bienheureuses!

225

Vray est que moins faus raport peut mouuoir,

Qu’iniure vraye entre amans deceuoir,

Mais nonobstant chacune faute donne

Pareizl remors, & pique la personne.

Las, plust à Dieu qu’ici venir pußiez,

230

O retenu du pere vous fußiez,

Ou bien des vents, mais qu’il ne vous auienne

Que par dela autre femme vous tienne.

Lors de douleur (croyez moy) ie mourray

Quand par quelque autre arresté vous verray.

235

Helas, ami, vous pechez grandement

y 3 Si [p. 342] Fac-simile de la page 342 HERO

Si de ma mort cherchez l’auancement.

Außi ie croy qu’eu [sic pour qu’en] ce ne pechez point,

Et sans raison cette creinte me poingt.

C’est seulement la facheuse tempeste

240

Du fort yuer, qui ainsi vous arreste.

Helas mon Dieu que ces flots malheureus,

Batent la mer & ses riuages creus.

Comment du iour la clarté retenue

Est, sous obscure, & pluuieuse nue.

245

Seroit ce point d’Hellé la bonne mere

Qui à la mer son grand tort impropere?

De qui oyant les pleintes redoublees

Les grandes eaus se sont ainsi troublees?

Seroit ce point la maratre traitresse

250

Qui fut muee en marine deesse,

Qui en ce point la mer tourmente & pille

Pourtant le nom de sa feu’ belle fille?

Certes, ami, cette mer n’est rebelle

De meintenant à toute dame belle:

255

Hellé mourut en cette eau’ enragee,

Ie suis außi par elle endommagee.

Helas Neptune ou est la souuenance

Du feu d[’]amours dont sauez la puissance?

Deuoient, helas, ses plaisans exercices

260

Estre empeschez par vos vents mal propices?

Scet on pas bien (& la commune fable

De votre fait est assez veritable)

Scet on pas bien qu[’]elle fut Aminone?

Quelle [p. 343] Fac-simile de la page A LEANDRE. 343

Quelle Tyro ? quelle fut Alcyone?

265

D’elles, & vous, tout le monde babille,

Et d’Alymon & de Circe la fille?

Et Medusa, qui ses cheueus dorez

Eut en serpens depuis transfigurez?

Laodicé, Celeno, & tant d’autres

270

Que les auteurs content entre les votres?

Ie n’en say pas à cette heure le conte,

Mais il y ha meint Poëte qui conte

Que celles là, & d’autres, ont esté

Iointes souuent à votre magesté.

275

Et pour quoy donq (ô Dieu trop rigoureus)

Ayant senti l’aspre feu amoureus:

Nous fermez vous le coutumier passage

De cette mer, par furieus orage?

Vueillez, helas, un peu nous suporter,

280

Et la grand mer seulement tourmenter,

Ce petit bras d’estroites eaus marines

Desioint, sans plus, deus regions voisines:

C’est (ô grand Dieu) trop mieus votre portee

Que par vous soit meint’ grand’ barque agitee,

285

Ou d’exercer votre ire, & grand’ puissance

Contre les nauz de forte resistance:

Et est au Dieu de la mer mal decent

D’espouuenter un poure adolescent:

Trop peu d’honneur s’aquiert en tel afaire.

290

Le moindre estang en peut bien autant faire.

Le gentilhomme est bien de bonne grace,

y 4 Extrait [p. 344] Fac-simile de la page 344 HERO

Extrait de noble & ancienne race:

Mais il n’est point issu (comme sauez)

D’Vlixes, Grec, que suspect vous auez.

295

Helas, Neptune,ayez [sic pour Neptune, ayez] de nous pitié

Et nous sauuez tous deus par amitié.

Vray est que seul en la grand mer s’estend

Son corps nouant, mais mon salut y pend.

Sur ce propos la chandelle luisante

300

Qui esclairoit à moy poure ecriuante

Estincela, ou ie pris coniecture

Qu’il m’auiendroit quelque bonne auenture.

Incontinent ma nourrisse aporta

Du vin tout pur, & au feu en getta,

305

Puis elle en but, en me disant ainsi:

Demain seront plus grande bande ici.

Surmontez donq, ami: la mer troublee,

Et depeschez d’augmenter l’assemblee,

Ami Leandre, en qui tant seulement

310

De mon las cœur git le contentement.

Reuenez donq, ô amoureus fuyart,

En votre camp, n’arrestez autre part:

Et ne soufrez qu’au milieu de ma couche,

Plus longuement toute seule ie couche.

315

D’aucun danger ne deuez creinte auoir:

Faites, sans plus, de cœur votre deuoir:

Venus qui est nee en mer, vous sera

Plus fauorable, & bien vous conduira.

Souuentefois il me vient en couraige

D’ent [p. 345] Fac-simile de la page A LEANDER. 345 320

D’entrer en mer, & de me mettre à nage:

Puis me souuient qu’en ces flots malheurez

Les hommes sont beaucoup plus asseurez.

Pourquoy plus tot dust la femme nommer

Les grandes eaus, de cette fausse mer:

325

Puis qu’außi bien Phrixus y fut surpris

Comme sa seur, dont le nom elle ha pris?

Peult estre ami, que grand doute vous faites

D’estre au retour plus foible que vous n’estes,

Et qu’à deus fois ce long voyage faire

330

Vous ne puißiez fournir, & satisfaire.

Trouuons nous donq des deus pars assemblez

Au beau milieu de ces grans flots troublez:

Et quand ainsi assemblez nous tiendrons,

Mile baisers dessus l’eau nous prendrons:

335

Et puis tous deus nous mettrons au retour,

Vous en Abyde, & moy deuers ma tour.

Celà pourtant me fera peu de bien,

Que di’ie peu? mais beaucoup moins que rien.

Las, plust à Dieu ou bien que cette honte

340

Qui nos deus cœur amans, lie, & surmonte,

Ou que l’amour de creinte suprimee,

Pussent ceder au bruit & renommee.

Maintenant est (entre nous mal apoint)

Le feu d’amour à la honte conioint:

345

Si que des deus ne say lequel choisir,

Car l’un est bon, & l’autre à mon plaisir.

Iason entra une fois seulement

y 5 Dedens [p. 346] Fac-simile de la page 346 HERO

Dedens Colchos, mais pour commencement

Dedens sa nef Medee il emmena

350

Legerement, quand il s’en retourna.

Vn coup entra l’adultere Troyen

Lacedemone, & trouua bien moyen

De retourner dedens la grande Troye

Soudeinement, auec sa belle proye:

355

Mais tant de fois qu’ici voir me venez,

Autant de fois sans moy vous retournez.

Et quand les nauz ne sont pas sans danger,

Vous retournez en l’eau, sans moy, nager.

Ce neantmoins faites ainsi tousiours:

360

Ami vainqueur des eaus & des flots lourds,

Mesprisez les tousiours en telles sorte,

Que vous creingniez la tempeste trop forte:

De ces grans vents les horribles boufees

Noyent en mer les naus bien estofees:

365

Et pensez vous que voz deus bras fragiles

Plus qu’auirons sont puissans & habiles?

Les nautonniers font bien grand cas de prendre

Ce grief labeur, qu[’]il vous plait d’entreprendre:

Et pour la fin ce seul recours ils ont,

370

Quand leurs vaisseaus froissez en la mer sont.

Helas, ami, ie vous prie d’un point,

Que ie voudrois ne persuader point:

Et vous supli que contre ma demande

Montriez en vous resistance fort grande:

375

Ce nonobstant par deça repassez

Souue [p. 347] Fac-simile de la page A LEANDER. 347

Souuentefois, & de vos bras lassez

Sortans à peine hors de la mer salée,

Presentez moy amoureuse acolée.

Mais quand ie pense, & contemple comment

380

La mer s’esmeut & bruit horriblement

Ie sents alors, de froid au cœur atteinte,

Ie ne say quoy de deffiance, & creinte:

Et ne m’a pas gueres moins tourmentee

Ce que i’ay vù la derniere nuitee:

385

Combien que i’aye assez fait mon ofice

D’y obuier, par meint bon sacrifice.

Car tout ainsi come le iour poingnoit,

Et que ma lampe, à peu pres, s’esteingnoit:

(Qui est le tems ou meinte vision

390

S’offre à noz yeus, sous moindre abusion:)

Sur ce tems là, d’entre mes doigz, qui furent

Pris de sommeil, fil & fusee cheurent,

Lors mon las col de longuement veiller

Mis à repos, dessus mon oreiller:

395

Il me sembla (& fermement croyois

Qu’il fust ainsi comme ie le voyois)

Qu’en cette mer, entre meint flot bruiant,

Ie regardois un beau dauphin nouant:

Mais quand de l’eau meinte vague esleuee

400

L’eut mis à sec, sur l’arene abreuee,

Avecques l’eau, qui à bord le poussa,

La vie außi tout soudein il laissa.

Quoy qu’il en soit, grãd’creinte [sic pour grãd’ creinte] au cœur me poi͂d:

Pour [p. 348] Fac-simile de la page 348 HERO A LEANDER.

Pour dieu, ami, ne vous en moquez point,

405

Et en la mer ne vous auenturez

Que ses grans flotz ne soient plus moderez.

Si vous n’auez de vous mesmes pitié,

De moy l’ayez, & de notre amitié:

Ie di de moy, car quand voir ne pourray

410

Leandre vif, tout soudein ie mourray.

Ie croy qu’en bref les trop esmues ondes

Appaiseront leurs vagues furibondes:

Alors, ami, s’ainsi la mer s’apaise,

Entrez dedens, & nagez à votre aise:

415

Mais ce pendant que de la mer la rage

Ne permet pas que la paßiez à nage,

Ce mien escrit suplira la longueur

De notre atente, en facheuse langueur.


NE PIS NE MIEVS.

AV [sic pour AVS] LECTEVRS.

Il ne semble point mal à propos d’aiouter ici
le translat de Museus sur les amours de Lean-
der & Hero, apres leurs Epitres translatees
d’Ouide, traitans de la mesme matiere.

Epitre sur le translat de Museus, des amours
De Leandre & Hero.

PAr ce qu’on voit, ô Lecteurs amiables,

Au tems present, liures innumerables

De [p. 349] Fac-simile de la page 349

De leger fruit, par le monde voler:

Et que par tout chacun se veut mesler

5

De mettre au vent quelque petit qu’il sache:

Meint bon esprit en ce voyant se fache

De perdre tems, & souuent se contente

Du tiltre seul qui à l’œil se presente:

Mais pour autant qu’il n’y ha liure aucun

10

Si inutile (ainsi qu’à dit quelqu’un)

Qui n’ait de soy quelque part proufitable

Il faut tout lire, & ce que receuable

On trouuera, en le prenant l’aprendre.

Donques à fin (lecteurs) que puißiez prendre,

15

Plus de bon gout & meilleur apetit

Au contenu de ce liure petit,

Qui de soy mesme assez ha de pouuoir

Pour vous contreindre à le lire & le voir,

Outre la grace & bien nee eloquence

20

Du traducteur, ce qu’au dedens ie pense

Estre à noter sous couuerte facture

Dire vous veus en bien peu d’escriture.

L’esprit de l’homme est si malicieus

Qu’il n’est aucun tant soit il vicieus

25

Qui vueille tel estre au monde estimé,

Et qu’ainsi soit quand il se sent blamé

Apertement du vice ou plus s’adonne,

Plus s’endurcit, & à son vice donne

Nom de vertu pour douce couuerture,

30

Tant se plait l’homme, & flatte sa nature.

Suiu [p. 350] Fac-simile de la page 350

Suiuant cela aucuns folz esuentez,

Trop asseruiz à vaines voluptez

Flattans leur chair & vouloirs imparfaits,

De leurs desirs diuers dieus se sont faits,

35

Par ce moyen autant de dieus ont eu

Que de desirs s’elongnans de vertu:

Entre lesquelz, (sans qu’au long ie raconte,

De tous ces Dieus l’innumerable conte,)

Les plus charnelz & les plus impudiques

40

Pour colorer leurs volontez lubriques,

Se sont forgé la deesse Venus,

Par qui estoient leurs desirs soutenus.

Puis quand ce vint que ce feu alumé

Fut en leurs cœurs si bien acoutumé

45

Qu’il leur sembla par la longue soufrance,

Qu’il n’y auoit plus lieu de resistance,

A leur Venus un petit fils donnerent,

Que Cupido, dieu d’amours, apellerent,

Portant ce dieu, fils de leur volupté

50

Le prope nom de leur cupidité.

Ce Cupido le dieu des mal viuans,

Ha esté peint par sages escriuans

(Tenans le moins de ce que plus ha l’homme)

Sauans autheurs que poëtes on nomme,

55

Par ce que souz plaisantes ficcions,

Ils ont descrit au vif les paßions,

De ce fol homme en son fait abusé,

Qui veut tousiours son vice estre excusé:

Dont [p. 351] Fac-simile de la page 351

Dont les aucuns pour plus apertement

60

Donner à l’œil de notre entendement

Par forme expresse, entiere connoissance

De Cupido, son efet, & puissance:

L’ont fait un dieu, non grand dieu trionfant,

Mais un aueugle & un petit enfant,

65

Ayant au doz deus esuentees esles,

Vn arc en main & deus flesches cruelles:

Pour nous montrer que tous ceus qui le suiuent,

Ainsi qu’enfans de sens denuez viuent:

Les yeus bandez par ignorance obscure,

70

Et folement conduitz à l’auenture

Par leurs desirs inconstans & volages,

Naurez au cœur d’afeccions sauuages

Qu’à leur plaisir ils ont voulu nommer,

L’aspre rigueur & la farce d’aymer,

75

En desguisant selon leur fantasie

Leur bien ouuert sous close poësie.

Pour ces raisons d’autres sages espritz,

Voyans qu’ainsi sous figure repris

Ne s’amendoient les hommes malheureus

80

Ilz ont descrit de diuers amoureus

La fole vie & la mort conuenable,

Pour diuertir afeccion semblable:

Sachans pour vray que, pour toucher au cœur,

La viue voix ha bien plus de vigueur.

85

Ces espritz donq de si grand mal deliures,

Ont fait parler viuement leurs bons liures,

Dont [p. 352] Fac-simile de la page 522 [sic pour 352]

Dont la voix clere assez donne à entendre

S’il faut d’amours heur ou malheur atendre.

Ainsi ha fait Museus, l’ancien

90

Poëte Grec, qui pour le commun bien

Qu’on peut cueillir de sa sage doctrine,

Parle François, par la langue diuine

Du grand Maro, nommé Marot en France,

Le vueille ou non la Rommeine arrogance,

95

Marot non moindre en sa Françoise veine

Qu’estoit Maro en sa langue Rommeine.

Parquoy (Lecteurs) qui ce liuret lirez,

En le lisant vous considererez

L’intencion de l’auteur qui vous donne

100

L’amour depeint au vif en la personne

De Leander & d’Hero sous leur vie,

Mal commencee, & pirement finie:

A celle fin que du commencement

Iusques au bout ayans songneusement,

105

Autant le mal que bien d’amour gouté,

Vous en ayez horreur ou voulonté.

Voila le fruit que vous raporterez

De ce liuret apres que vous l’aurez

Lù au plaisir & bien de vos esprits,

110

Car grand bien est en peu de lieu compris.


NE PIS NE MIEVS.

[p. 353] Fac-simile de la page 353 [Bandeau]

MVSEVS, ANCIEN
POËTE GREC, DES AMOVRS
de Leander & Hero, traduit en rime
Françoise, par Cleme͂t Marot de Cahors
en Querci, valet de chambre du Roy.

MVse dy moy le flambeau qu’on fit luire,

Pour les amours secrettes mieus conduire:

Dy moy l’amant qui (nouant en la mer)

Alloit de nuict les noces consommer,

5

Et le nocturne embrassement reçu,

Qui d’Aurora ne fut onq aperçu,

Ne descouuert : declaire moy au reste,

Les murs d’Abide, & la grand’ tour de Seste,

Là ou Hero par amour tant osa

10

Que Leander de nuict elle espousa.

I’oy Leander desia nouër ce semble,

Et flamboyer le flambeau tout ensemble,

Flambeau luisant annonçant la nouuelle

De seure amour, & qui d’Hero la belle

15

Toute la nuict la feste decora,

Quand le dous fruit des noces sauoura:

Flambeau d’amour, le signal mis expres,

Que Iupiter deuoit planter aupres

Des astre clairs, pour le haut benefice

20

D’auoir si bien de nuict fait son ofice,

z Et [p. 354] Fac-simile de la page 354 MVSEVS

Et le nommer estoile bienheureuse

Fauorisant toute espouse amoureuse:

Car il seruit amour en ses negoces,

Et si sauua cettuy la qui aus noces

25

Alla & vint par les ondes souuent,

Ains que le fort & trop malheureus vent

Se fust esmu : Viens donq ma Muse à fin,

De me chanter le tout iusqu’à la fin,

Qui telle fut que par un seul esclandre

30

Elle esteingnit le flambeau & Leandre.

Seste iadis fut vile frequentee,

Vis à vis d’elle Abide estoit plantee,

Et entre deus flotoit l’eau de la mer,

En ces deus lieus Cupido dieu d’aymer

35

Tira de l’arc une mesme sagette,

Rendant d’un coup à ses flammes sugette,

Vne pucelle, & un adolescent

Nommé Leandre, agreable entre cent,

Et l’autre, Hero, pucelle desia meure:

40

Elle faisoit en Seste sa demeure,

Lui en Abyde, & furent en leurs ans

Des deus citez les deus astres luisans,

Pareilz entre eus. Ie te supli Lecteur

Qui par la mer seras nauigateur,

45

Fay moy ce bien si passez là autour

De t’enquerir d’une certeine tour

Là ou Hero (un tems fut) demeuroit,

Et des creneaus à Leandre esclairoit:

De [p. 355] Fac-simile de la page DE LEANDER ET HERO. 355

De demander mesmement te souuienne

50

La mer buyant d’Abide l’ancienne

Qui en son bruit pleint encores bien fort

de Leander & l’amour & la mort.

Mais dont auint que Leander estant

En la cité Abideine habitant,

55

Fust amoureus d’Hero ieune pucelle

Iusques à veincre en fin le cœur d’icelle?

Hero iadis pleine de bonne grace,

Nee de riche & de gentile race

Estoit nonnein à Venus dediee,

60

Et se tenoit vierge non mariee

En une tour dessus la mer aßise

Ou ses parens bien ieune l’auoient mise.

C’estoit de vray une Venus seconde,

Mais si honteuse & chaste que le monde

65

Lui desplaisoit, & tant s’en absenta

Qu’onq l’assemblee aus femmes ne hanta,

Et d’auantage aus lieus iamais n’alloit

Ou la ieunesse amoureuse baloit,

En euitant des femmes les rancunes:

70

Car pour raison des beautez gracieuses

Les femmes sont voluntiers enuieuses,

Mais humblement elle faisoit sans cesse

Vœus & ofrandes à Venus la deesse:

Souuent außi alloit sacrifier

75

A Cupido, & le pacifier,

z 2 Non [p. 356] Fac-simile de la page 356 MVSEVS

Non moins creingant sa trousse trop amere

Que le brandon de sa celeste mere:

Mais pour cela ne sceut finablement,

Les traits à feu euiter nullement.

80

Or estans ia les mois & iours venus

Que Sestiens celebroient de Venus

La grande feste, & du bel Adonis,

Là vindrent lors les peuples infinis

Qui habitoient les petites & grandes

85

Isles d’entour, tous y vindrent par bandes.

Des fons de Cypre, à la ceremonie

Vindrent les uns, les autres d’Emonie:

Femme du monde en toute Cytheree

N’est en faubourg ne cité demouree:

90

Ni eust danseur, ni autre demeurant

Dessus Liban, le mont bien odorant,

Ne Phrigien tant aymast le seiour,

Qui n’acourust voir la feste ce iour.

Tous ceus d’Abide, aus Sestiens voisine,

95

Tous iouuenceaus qu’amour tient en saisine,

Y sont venus : car volontiers ils vont

Là ou l[’]on dit que les festes se font,

Plus pour y voir des dames les beautez

Que pour ofrir leurs dons sur les autelz.

100

Dedens le temple ou se faisoit la feste

Hero marchoit en grauité honneste,

Rendant par tout de sa face amiable

Vne splendeur à tout yeus agreable:

Telle [p. 357] Fac-simile de la page DE LEANDER ET HERO. 357

Telle blancheur au visage elle auoit

105

Que Cynthia, quand leuer on la voit:

Car sur le haut des ioues paroissoient

Deus cercles ronds qui un peu rougissoient

Comme comme le fons d’une rose naïue,

Meslé de blanc & rouge couleur viue.

110

Vous eußiez dit le corps tant bien formé

Sembler un champ de rozes tout semé:

Car par dessus sa blancheur nompareille,

La vierge estoit de membres si vermeille,

Qu’en cheminant, ses habits blancs & longs

115

Montroient par fois deus rozes aus talons:

D’elle au surplus sortoient bien aparentes

Graces sans nombre, & toutes diferentes.

Vray est qu’en tout trois graces nous sont peintes

Des anciens, mais ce ne sont que feintes,

120

Vù que d’Hero un chacun œil friant

Multiplioit cent graces en riant:

Si que Venus (si trop ne me deçoy)

Auoit trouué nonnein dine de soy.

Ainsi passant de beaucoup toutes celles

125

Qu’on estimoit en son tems les plus belles,

L’humble nonnein à Venus bien decente,

Aparoissoit une Venus recente:

Dont il auint, quand ainsi se montra,

Qu’aus tendres cœurs des iouuenceaus entra,

130

Et n’en fut un qui n’eust en son courage

Desir d’auoir Hero par mariage:

z 3 Chacun [p. 358] Fac-simile de la page 358 MVSEVS

Chacun l’amire, & chacun la contemple,

Si qu’en allant ça & là par le temple,

L’œil & le cœur de tous ceus qui la virent,

135

Ou qu’elle allast tout le iour la suiuirent,

Et un ieune homme entre autres estoit là,

Qui en ce point tout esbahi parla:

I’ay plusieurs fois vù Sparte la cité,

Lacedemone ay par tout visité

140

Là ou l’on est par maniere d’esbat

Sur les beautez chacun iour en debat,

Mais telle fille encores n’ay ie vuë

Qui soit de grace & beauté si pouruuë:

Peut estre außi que Venus en ces places

145

Ha fait venir quelque une des trois graces.

Certes laßé de regarder ie suis,

Mais de la voir saouler ie ne me puis,

Content serois d’estre en terre bouté

Apres auoir au lict d’Hero monté:

150

Et dieu du ciel estre ne voudrois mie

L’ayant chez moy pour espouse & amie.

Helas, Venus, si c’est chose odieuse

Que de tascher à ta religieuse,

A tout le moins auecques moy assemble

155

Par mariage une qui lui ressemble.

Ainsi disoit mots gracieus & dous

Ieunes amans, mais un autre sur tous

Taisant son mal hors de soy se gettoit,

Pour la beauté qui en la vierge estoit.

O Leand [p. 359] Fac-simile de la page DE LEANDER ET HERO. 359 160

O Leander qui tant souffriz, si est ce

Qu’apres auoir vù la demi deesse

Tu ne voulois sous l’esguillon d’aymer

Couuertement ta vie consumer,

Ainçois estant à l’impouruu atteint,

165

Des traits chargez d’un feu qui ne s’esteint,

Tu n’usses eu de viure patience,

Sans de la belle auoir experience.

Aus raiz des yeus creut le brandon plus fort

D’amour cruel, dont par le grand effort

170

Impetueus de la femme inuincible

Bruloit sans fin le poure cœur paisible.

Außi beauté escellente & bien nee

En femme honneste, & non contaminee,

Aus hommes est plus ague & perçante

175

Que trait volant, tiré de main puissante.

L’œil est la voye, & quand frapé se sent,

La playe coule, & droit au cœur descend.

Si deuint lors l’amant dont ie vous conte,

Raui, tremblant, tout honteus, & sans honte:

180

De cœur troublé honte le tenoit pris,

Raui estoit en beauté de tel pris:

Finablement amour l[’]a tant dompté,

Que de honteus le rendit eshonté.

Par amour donq de soymesme cherchant

185

En auoir honte, il s’en alloit marchant

Tout pas à pas, & print l’audace apres

De cotoyer la vierge d’assez pres:

z 4 Puis [p. 360] Fac-simile de la page 360 MVSEVS

Puis de trauers tournoit de bonne grace

Ses yeus tous pleins d’amoureuse falace,

190

En l’induisant par sines, sans mot dire,

A desirer la chose qu’il desire.

Incontinent qu’elle se vid aymee,

Bien aise fut, se voyant estimee,

Et plusieurfois tout doucement baissa

195

Sa belle face, & puis la redressa,

Suiuant de l’œil Leander doucement,

Qui en son cœur fut aise grandement,

De ce qu’Hero son amour entendit,

Et l’entendant point ne se defendit.

200

Donques tandis que son heure oportune

Il esperoit, pour suiure sa fortune,

Le cler soleil vers Occident tiroit,

Et peu à peu sa clarté retiroit,

Si que Vesper on vid de l’autre part,

205

Qui ia du iour tesmoignoit le depart.

Parquoy voyant le iouuenceau Leandre

De toute pars les tenebres s’espandre,

Plus hardiment d’elles s’aprocher oze,

Et luy serra ses doigs plus blancs que roze

210

En soupirant : & elle sans mot dire

Comme en courrous sa main blanche retire.

Des qu’il sentit aus gestes, la pensee

D’Hero, en branle, & demi eslancee,

De la tirer print tresbien l’auenture,

215

Par l’un des plis de sa riche vesture,

La [p. 361] Fac-simile de la page DE LEANDER ET HERO. 361

La destournant, & la menant adonq

A l’un des bouts du temple grand & long:

Et elle aloit apres lui pas à pas

Tout lentement, comme ne voulant pas:

220

Puis de propos feminins l’a tansé,

Disant ainsi, Estes vous insensé

Mon gentilhomme? entreprenez vous bien

D’ainsi tirer une fille de bien?

Croyez qu’icy fort mal vous adressez,

225

Allez ailleurs, & ma robbe laissez,

Que n’esprouuiez à votre grand dommage

L’ire & fureur de mon grand parentage.

Prier d’amour est chose defendue

Nonnein qui s’est vierge à Venus rendue:

230

Puis impoßible est trouuer achoison

D’aller au lict de fille de maison.

Telle parole aus files conuenable,

Tenoit Hero à l’amant bien aymable,

Et quand Leandre eut de la vierge ouï

235

Le dous courrous il fut tout resioui

Sentant en elle, à cette occasion,

Les sines vrays de persuasion.

Car lors que femme à un amant conteste,

Son contester sine d’amour atteste.

240

Donques apres qu’il eut de grand ardeur

Baisé son col, blanc & de bonne odeur,

Desir d’amour qui l’esguillonne & poind

L’a fait parler à sa dame en ce point.

z 5 Chere [p. 362] Fac-simile de la page 362 MVSEVS

Chere Venus, apres Venus la gente,

245

Noble Palas, apres Palas prudente,

Ie parle ainsi, car trop grandement erre

Qui te compare aus dames de la terre,

Vù que tu es, à bien te visiter,

Toute semblable aus filles Iupiter:

250

Bienheureus est celuy qui te planta,

Et pleine d’heur celle qui t’enfanta:

Si te supli entenz à mes clamours,

Et pren pitié des contreintes amours.

Tu te dis fille à Venus consacree,

255

Fay donq cela qui à Venus agree.

Vien, vien m’amie, & d’une amour egale

Entrons tous deus en l’amour coniugale.

Ce n’est pas chose aus vierges bien propice

D’administrer à Venus sacrifice,

260

Venus ne prend aus pucelles plaisir:

Ses vrays statutz, si tu as le desir

De les sauoir, & ses mysteres dines,

Ce sont anneaus, noces, lictz, & courtines.

Puis qu’aymes donq Venus douce & traitable,

265

Ayme la loy d’amour tant delectable,

Et me reçoy en laissant tous ces vœus,

Pour humble serf, ou mari si tu veus:

Serf que pour toy Cupido ha voué,

A coups de traits, poursuiui & mué,

270

Vsant en moy (helas) de tel effort

Que fit Mercure en Hercules le fort,

Quand [p. 363] Fac-simile de la page DE LEANDER ET HERO. 363

Quand le mena sous la verge doree,

Seruir la nymphe en Lydie honoree:

Las quand à moy Venus au beau corsage

275

Me rendra tien, non Mercure le sage.

O noble vierge il ne faut qu’on te die

D’Atalanta la belle d’Arcadie,

Tu scez comment en amour soulager

Ne vouloit pas le beau Meleager,

280

Pour demourer tousiours vierge estimee,

Mais au moyen de Venus indinee

Elle deuint de luy plus amoureuse,

Qu’au parauant ne lui fut rigoureuse.

Pourtant, m’amie, aus choses que i’ay dites

285

Te faut renger, que Venus tu n’irrites.

Ainsi l’amant persuadoit de bouche

La belle Hero, encor toute farouche,

Si que les mots tant dous, qu’ouy elle ha,

Firent son cœur vaciller ça & là.

290

La vierge donq muette deuenue,

Sa vuë en terre ha longuement tenue,

Cachant sa face, en laquelle lui monte

Le sang vermeil temoignage de honte.

Puis cheminant pensiue se montroit,

295

Et sans besoin bien souuent acoutroit

Ses vestemens tous sines en partie,

D’une pucelle à aymer conuertie:

Et silence est la promesse acordee

De toute fille, ainsi persuadee.

Or [p. 364] Fac-simile de la page 364 MVSEVS 300

Or sentoit ia cette ci les secousses

Et esguillons des amours, aigres douces,

Pource qu’en cœur si noble & de haut pris

Facilement le dous feu est espris.

Puis esbahie estoit d’autre coté

305

Du dous Leandre, & de sa grand’ beauté:

Dont ce pendant qu’en la terre ses yeus

Elle eust fichez, Leander curieus,

Et plein d’amour, de voir n’estoit laßé

Son tendre col qu’elle tenoit baißé,

310

Lequel pourtant finablemet leua,

Puis rougissant ainsi dire elle va:

Ie ne croy pas, signeur, que le pouuoir

Tu n’eusses eu d’une roche esmouuoir,

Par tes deuis. qui t’a fait si sauant

315

A mettre mots deceptifs en auant?

O poure moy? & qui t’a incité

De venir voir mon païs & cité?

Si est ce en vain que m’as propos tenu,

Car vù qu’errant tu es, & inconnu,

320

Et qu’en toy n’a seureté ne fiance,

Comment peus tu auoir mon aliance?

Nous ne pouuons (pour bien te l’exposer)

Publiquement tous deus nous exposer,

Pource que i’ay mes parens au contraire:

325

Et quand voudrois par deça te retraire

En te feingnant personne fugitiue,

Tu ne pourrois cacher l’amour furtiue:

Car [p. 365] Fac-simile de la page DE LEANDER ET HERO. 365

Car en tous tems les langues sont amies

De faus raports, & toutes infamies:

330

Et ce que faire en secret on pretend,

En plein marché malle bouche l’estend.

Ce neantmoins ie te pri que ie sache

Dont tu es né, & ton nom ne me cache:

Si quiers le mien, ie ne te diray, non,

335

Saches de vray qu’Hero est mon droit nom:

Et ma maison, une tour haute & droite

Là ou i’habite, en menant vie estroite,

Sans entretien de personne viuante,

Fors seulement d’une simple seruante.

340

Cette grand tour deuant Seste ha son estre,

Son creus riuage, auquel de ma fenestre

Me sont les flots de la mer aparens,

Tel fut l’auis de mes rudes parens:

Autres voisins autour de moy ne hantent,

345

Et ieunes gens n’y dansent, & n’y chantent,

Mais sans cesser, & de iour, & de nuict,

La mer venteuse à l’oreille me bruit.

Adonq Hero honteuse derechef,

Vers son manteau baissa un peu le chef,

350

Et en couurit sa face illustre & claire,

Pensant en soy, Hero que veus tu faire?

De l’autre part Leander d’un extreme

Desir qu’il ha, consulte en soymesme,

Comme il pourra deuenir si heureus

355

De paruenir au combat amoureus.

Certes [p. 366] Fac-simile de la page 366 MVSEVS

Certes amour variable en conseil,

Fait playes es cœurs, puis donne l’apareil:

Et lui par qui nous sommes surmontez,

Conseille ceus qu’il ha pris & domptez:

360

Außi fit il, ainsi donna secours

A Leander, qui apres tous discours,

Triste, & faisant d’un vray amant l’ofice,

Va dire un mot plein de grand artifice.

Vierge, dit il, tant peu creintif seray

365

Que l’aspre mer pour toy ie passeray,

Fusse un endroit d’innauigable goufre,

Voire fust l’eau bouillant’ en feu & soufre.

Ie ne creins point la mer desesperee,

S’il faut aller en ta chambre paree:

370

Et si n’auray frayeur en escoutant

L’horrible bruit de la grand’ mer flotant,

Ains tous les soirs mouillé sans peur ne honte,

Nageray nud en la mer Hellesponte:

Car il y ha distance assez petite

375

De la cité Abideine ou i’abite

Iusques chez toy, fais moy, sans plus, ce tour,

De me montrer sur le haut de la tour

Quelque lanterne, ou brandon flamboyant,

Deuers la nuict, à fin qu’en le voyant

380

Ie sois d’amour le nauire sans voile,

Ayant sur mer ton flambeau pour estoile.

Außi à fin qu’en le voyant ne voye,

De Boetes, l’occidentale voye,

Ni [p. 367] Fac-simile de la page DE LEANDER ET HERO. 367

Ni Orion cruel, & pluuieus,

385

Ne le trein sec du chariot des cieus,

Qui de venir me pourroient bien garder

A ce dous port ou ie veus aborder.

Mais par sur tout, helas, ma chere dame,

Si tu ne veus qu’à coup ie perde l’ame,

390

Pren garde aus vents, vueilles auoir le soin,

Qui trop esmuz n’esteingnent au besoin

Le clair flambeau conducteur de ma vie.

Si au surplus de sauoir as enuie

Quel est mon nom, Leander ie m’apelle,

395

Mari d’Hero, la gracieuse & belle.

Ainsi tous deus ordonnent le decret

De mariage entre eus clos & secret,

Et de garder tout l’ordre taciturne,

Seruant au fait de l’amitié nocturne:

400

Dont le fambleau seroit seul temoignage,

En promettant tout d’un mesme courage,

Elle de faire esclairer le brandon,

Lui de se mettre en l’eau à l’abandon.

Puis confirmant la nuict des espousailles,

405

Par un baiser donné en fiançailles,

Force leur fut à regret & enuis

De separer, & rompre leurs deuis.

Si s’en alla Hero en sa tour haute:

Et Leander à fin que par sa faute

410

Ne s’esgarast de nuict à son retour,

Marquoit de l’œil le chemin de la tour,

Et [p. 368] Fac-simile de la page 368 MVSEVS

Et nauigeoit vers Abide tendant.

Pensez en vous quantefois ce pendant,

Ont desiré tous deus heure propice,

415

D’entrer au lict d’amoureus exercice.

Or auoït ia la nuict, d’eus atendue,

Sa robe noire, en l’air toute espandue,

Et les humeins rendoit partout dormants,

Fors Leander, le plus beau des amants,

420

Qui sur le bord de la mer, pour nager

Atend pied coy le luisant messager

De ses amours, & guette de ce pas

Le luminaire & feu de son trespas,

Lequel lui doit de loin montrer par sines

425

Le droit chemin des noces clandestines.

Si tot qu’Hero vid que la nuict ombreuse

Noircie estoit, d’obscurté tenebreuse,

Songneusement comme elle auoit promis,

Ha le flambeau en euidence mis:

430

Qui ne fut pas plus subit allumé

Que Leander ne fut tout enflammé,

Du feu d’amour, & que son cœur raui,

Et le flambeau s’allumoient à l’enui.

Bien est il vray, qu’oyant les sons horribles

435

Que font en mer, ces grans ondes terribles

Il eut en soy frayeur de prime face,

Mais peu à peu prenant cœur, & audace,

Pour s’assurer parloit tout seul ainsi:

Amour est dur, la mer cruelle außi,

Vn [p. 369] Fac-simile de la page DE LEANDER ET HERO. 369 440

Vn bien y ha, ce n’est qu’eau en la mer,

Et dedens moy ce n’est qu’un feu d’aymer,

Sus donq mon cœur prens le feu de ta part,

Et ne creins l’eau qui en la mer s’espart,

A ce coup faut qu’en amour me secondes,

445

Dequoy creins tu les vagues & les ondes,

O cœur d’aymant? n’as tu pas connoissance,

Que Venus print des ondes sa naissauce [sic pour naissance]?

Et qu’elle ha force, & dominacion,

Dessus la mer, & sur l’affeccion,

450

Qui nous conduit? Mis fin à ce propos,

Il despouilla ses membres bien dispoz,

Et des deus mains ses habits desliez,

Autour du col ha serrez & liez,

Puis s’eslongnant du bort, un peu en ça

455

D’un saut de course en la mer se lança:

Tirant tousiours vers la clere lanterne,

Et tellement en la mer se gouuerne,

Que lui tout seul en nageant vers sa dame,

Estoit sa nef son passeur, & sa rame.

460

Hero tandis, qui des creneaus esclaire,

De son manteau couuroit sa lampe claire,

Quand s’esleuoit quelque nuisible vent:

Et la garda d’esteindre bien souuent,

Iusques à tant que Leander paßé,

465

Au port de Seste arriua tout laßé.

Adonq la vierge en sa tour haute, & forte,

Le fait monter, mais sachez qu’à la porte

A Elle [p. 370] Fac-simile de la page 370 MVSEVS

Elle embrassa (d’amour & d’aise pleine)

Son cher espous, quasi tout hors d’aleine,

470

Ayant encor ses blonds cheueus mouillez

Tous degoutans & d’escume souillez.

Lors le mena dedens son cabinet,

Et quand son corps eut essuyé tout net,

D’huile rozat bien odorant l’oingnit,

475

Et de la mer la senteur esteingnit.

En un lict haut adonques il se couche,

Et elle aupres qui sa vermeille bouche

Ouurit ainsi, parlant à son espous,

Auquel encor bien fort batoit le pous.

480

Ami, tu as beaucoup de trauail pris,

Plus qu’autre espous n’en ha onq entrepris:

Ami, tu as du trauail pris beaucoup,

Assez te dois contenter pour ce coup

De l’eau salee, & de l’odeur mauuaise

485

De la marine, Or te mets à ton aise,

Et les trauaus, & labeurs maritins,

Boute les tous entre ces beaus tetins.

Leandre adonq la ceinture impolue

Qu’elle portoit, soudein lui ha tollue

490

D’autour du corps, & entrerent tous nuz,

Aus saintes loix de la douce Venus.

Helas c’estoient des noces, mais sans dance:

C’estoit un lict, mais lict sans acordance,

Hymnes chanter nul poëte on n’y vid,

495

Qui du sacré mariage escriuit.

Cierg [p. 371] Fac-simile de la page DE LEANDER ET HERO. 371

Cierge benit aucun n’y fut posé.

Pour illustrer le lict de l’espousé:

Les menestriers ne sonnerent aubades,

Les balladins ne getterent gambades,

500

Chants nuptiaus points n’y furent chantez,

Par les amis, & les deus parentez.

Ainçois à l’heure à coucher disposee,

Silence fit le lict de l’espousee.

Et l’ornement & principale cure

505

De cette feste, estoit la nuict obscure.

Si qu’Aurora qui le monde embellit

Ne vid iamais couché dedens le lict

Le marié: car sans iour, & sans guide,

Tous les matins repassoit vers Abide,

510

Insaciable, & plein d’ardant desir,

De retourner au nocturne plaisir.

Quant à Hero, pour ce seurement faire

Que les parens ne connussent l’afaire,

Tousiours d’habit de nonnein se vétoit

515

Et de iour vierge, & de nuict femme estoit.

O quante fois le beau iour euident

Ont souhaité descendre en occident!

Ainsi leur grande amitié conduisoient,

Et en plaisir secret se deduisoient,

520

Mais peu vescu ont en cette maniere:

Et peu iouï de l’amour mariniere:

Car des que vint le bruïneus yuer,

Voici les vents tous esmus arriuer,

A 2 Qui [p. 372] Fac-simile de la page 372 MVSEVS

Qui esbranloient les fondemens profons

525

De l’eau debile, & batoient iusqu’au fons,

Faisant mouuoir d’orage horriblement

Toute la mer, ça & là, tellement

Que les nauchers fuyans les eaus irees,

Auoient aus ports leurs voiles retirees.

530

Mais le fort vent, ne l’yuer, ne l’orage,

N’espouuenta iamais ton fort courage,

O Leander: mais la lampe allumee,

Dessus la tour à l’heure acoutumee,

Te donna cœur d’entrer en la marine,

535

Par ce dur tems, la fausse, & la maligne.

Helas Hero, de bon sens despouruuë,

Deuoit l’yuer se passer de la vuë

De son ami, sans plus faire reluire

Le brandon prest à ses plaisir destruire:

540

Mais destinee à son malheur la meine,

Si fait amour: car de son plaisir pleine

Mit sur la tour le flambeau sans propos,

Non plus flambeau d’amour, mais d’Atropos.

Or estoit nuict quand les vents vehements

545

Par merueilleus & diuers soufflements,

Poussans l’un l’autre en mer se remuerent,

Et pesle mesle en fureur se ruerent

Sur le riuage à celle mauuaise heure,

Le poure amant que faus espoir asseure

550

D’aller encor aus ordinaires noces,

Estoit porté des bruyantes & grosses

Vagues [p. 373] Fac-simile de la page DE LEANDER AT HERO. 373

Vagues de mer : ia les ondes ensemble

S’entretenoient, l’eau sallee s’assemble

Tout en un mont, les flots vont iusqu’aus cieus,

555

La terre esmue est des vents en tous lieus

Par leur combat car Boreas se vire

Contre Nothus, encor contre Zephire:

Si que l’orage en mer bruyante espars,

Ineuitable estoit de toutes pars.

560

Leandre alors, qui maus intolerables

Auoit soufert des ondes implacables,

Prioit Venus de lui estre oportune,

Prioit Thetis, Se vouoit à Neptune,

Et n’oublia de dire à Boreas:

565

O Aquilon, qui tant labouré as

Au fait d’amour, pour la pucelle Atique,

Entens à moy. Mais nul dieu aquatique

A son prier n’a l’aureille inclinee,

Et n’a l’amour sceu veincre destinee.

570

Car tout rompu de cette impetueuse

Esmocion de la mer fluctueuse,

Aus iambes eut les puissances debiles,

Ses bras mouuans deuindrent immobiles,

Et en sa gorge entroit auec l’escume,

575

Grand quantité d’eau pleine d’amertume.

Finablement le vent par sa rudesse,

Esteindre vint la lanterne traytresse,

Auec la vie, & l’ardente amitié

De Leander dine de grand pitié

A 3 Tandis [p. 374] Fac-simile de la page 347 [sic pour 374] LEANDER A HERO. 580

Tandis Hero auec ses beaus yeus verds

Tousiours au guet, vigilans & ouuers,

Et lors sus piez, pleurant, pensant, resuant,

La miserable en sa face leuant,

Va voir du iour la clere estoile Aurore,

585

Et ne vid point son cher espous encore.

Parquoy estant ia esteint le flambeau,

Deça, delà, getta son œil tant beau,

Sur le grand doz de la mer, pour sauoir

Si son mari nauigeant pourra voir:

590

Mais las si tot qu’elle eut getté sa vuë

Encontre bas, la poure despouruuë

Va voir au pied de la tour, deßiré,

Contre les rocs, son ami desiré:

Dont par fureur rompit son vétement,

595

Autour du sein : puis tout subitement

Gettant un cri de personne insensee,

Du haut en bas de la tour s’est lancee.

Ainsi Hero mourut le cœur marri,

D’auoir vù mort Leander son mari:

600

Et apres mort, qui amants desassemble,

Se sont encor trouuez tous deus ensemble.


LA MORT N’Y MORD.

[p. 375] Fac-simile de la page 375 [Bandeau]

PREFACE SVR
L’EPITRE D’ACONCE A
CIDIPPE.
*

AConce estant allé à la solennité de la
feste de Diane, en Delos, ou s’assem-
bloient les pucelles solenellemẽt fut espris
d’amour de Cidippe, incontinent qu’il l’eut
veuë tant belle: mais comme il n’osat la
prier d’amours, par ce qu’elle estoit de no-
ble & haut lignange, il escriuit par cautel sus
une belle & riche pomme deus Vers, sous
tel sens: Ie te iure en conscience, par les mi-
stiques sacres de Diane, que ie iray auec toy
compaigne & espouse: puis geta la pomme
aus piez de la belle fille, laquelle n’enten-
dant point cette ruse, vint à lire sans y pen-
ser, & en lisant douta de promettre mariage
à Aconce. Car la loy portoit que les paroles
prononcees deuant la deesse Diane au tem-
ple de Delos, deuoient estre tenues & acom-
plies. Or toutefois peu de tems apres, le pere
d’elle, ignorant ceci, vous la promet en ma-
riage à un autre: & incontinent elle va tom-
ber en une grosse fieure continue. Parquoy
Aconce par cette epitre s’efforce de tout son
A 4 esprit [p. 376] Fac-simile de la page 376
esprit, lui persuader q̃ la maladie lui ha esté
euoyee par la deese Diane, couroucee de
ce que cette ieune Damoiselle n’auroit acõ-
pli ce qu’lle auroit promis en sa diuine pre-
sence. Et à fin qu’elle ne doute d’estre abu-
see, ou prise par ruse encor une autre fois, il
commence son epitre en l’assurant de non:
puis lui veut faire haïr l’autre à qui elle
auroit depuis promis mariage:
quand il dit que toute sa
maladie ne vient
que par
lui.

Fin de la Preface.

[Fleuron]
[p. 377] Fac-simile de la page 377
[Bandeau]

LA XIX. EPITRE
D'OVIDE.
*
Aconce escrit à Cidippe.

OTe ta peur, ton regret & ta crainte,

Plus ne seras de promesse contreinte:

Assez sufit que i'aye eu ta foy

Vne pour toutes que tu dois estre à moy:

5

Lis donq ma lettre par laquelle ie prie

Aus Dieus que tot tu puisse estre guerie.

Car mon cœur n[']a ne santé ne valeur

Quand le tien sent un seul brin de douleur.

Pourquoy donques as tu vergongne & honte

10

De receuoir ma lettre qui peu monte?

Pourquoy creins tu mon escrit & deuis,

Comme tu fiz quand au temple te vis?

Vù que de moy n'es priee ou requise

Fors d'acomplir la tienne foy promise.

15

Ie te desire & si te veus complaire

Comme mari non pas comme adultaire

Car quand ma lettre tu liras ou verras

Dedens escrit rien plus n'y trouueras

Fors seulement l'intencion en somme

20

Mise & escrite au milieu de la pomme,

A 5 Que [p. 378] Fac-simile de la page 378 ACONCE

Que ie gettay en ton giron le iour

Que ie te vis au trionfant seiour

De Diane, la tresnoble deesse:

Là fut mon œil surpris de ta hautesse:

25

Là ie promis te prendre & espouser

Et tu à moy, sans, point y oposer.

Mais or' i'ay peur que te sois oubliee

De notre amour promise & aliee:

De celle creinte que mon cœur en reçoit

30

Plus grande flamme & ardeur en conçoit

Tant que l'amour qui en mon cœur habite

(Qui toutefois ne fut onques petite)

Croist & consomme & l'esprit & le corps,

Pour l'esperance que me donnas alors.

35

De toy me vint l'espoir & la fiance

Dont mon ardeur print vigueur & naissance

Ce ne peus tu nier, ne refuser

Car Diane t'en pourroit acuser.

Là fut certes la deesse presente

40

Qui bien nota ta promesse patente.

Que peus tu donq dire par ton refus,

Fors que par fraude de moy deçue fus?

Mais la cause de ce barat ou fraude

Fut cette amour trop vehemente & chaude

45

Autre chose ie n'ay pù conspirer

Fors seulement tacher & desirer

Que ton espous fusse toute ma vie,

Et toy mienne, i[']en'ay eu autre enuie.

Pource [p. 379] Fac-simile de la page A CIDIPPE. 379

Pource donques ne dois tu quereler

50

Mais tout ton coeur ouurir & reueler:

Trompeur ne suis, ne caut en mon courage

Par nature, ne par nul autre ouurage

Tu seule es cause de ma subtilité

Par toy me vint icelle habilité

55

Et si i'ay fait par art aucune chose,

L'amour qui est dedens mon cœur enclose

Te fist ranger à mon cœur promptement

Par peu de mots escritz subtilement:

Ainsi fiz ie par amour le passage,

60

Et l'aliance de notre mariage.

Donques ne dois trompeur estre estimé,

Si ie pourchasse ce que tant i'ay aymé.

Donques pourras imaginer & dire

Puis que ie t'ay voulu encore escrire,

65

Que ie te veus derechef deceuoir:

Mais tu scez bien pourtant si ie di voir.

Que si tu dis, qui trop ayme il ennuie:

Ne pense pas que pource ie m'en fuie

Car pour certein ie t'aymeray sans fin,

70

Tant veut mon cœur estre du tien affin.

Plusieurs hommes certes durant leurs vies

Ont par glaiue meintes femmes rauies,

Et pour venir à leurs intencions

On fait batailles, guerres, contencions:

75

Et moy qui n'ay fors par petite lettre

Mis mon courage, & ma pensee d'estre

Vray [p. 380] Fac-simile de la page 380 ACONCE

Vray seruiteur d'une de si haut pris,

Faut il donques que i'en soye repris?

Si prie à Dieu que tant ie sache tendre

80

De retz par tout, que ie te puisse prendre:

A fin aumoins que par subtil ouurer

Auoir te puisse, & en fin recouurer.

Ie pense & songe à tous moyens poßibles,

Tant soient ores dangereus ou penibles:

85

Le chariot de mon entendement

Ne va ne vient en autre pensement.

Brief rien n'y ha que ie n'experimente,

Tant est l'ardeur qui me comprime, vrgente

Ia si bon guet ne garde ne feras,

90

Qu'à la parfin prinse de moy seras.

Dieu scet la fin de toute chose emprise:

Si seras tu une fois de moy prise.

Si d'un coté tu cuides eschaper

Par autre part te pourray atraper

95

Tu ne scez pas quelz retz ne quelz cordages

Amour ha mis pour te prendre aus ombrages

Si mes cautelles me faillent, ou mes ars,

Ie prendray force par armes & par dars:

Ainsi seras amenee & rendue

100

A cil, pour voir, qui t'a tant atendue.

Ie ne suis pas pour blamer, en effet,

Ce que Paris pour dame Heleine ha fait:

Ne pour außi mespriser ou reprendre

Ce que l'homme pour amour veut emprendre

Du [p. 381] Fac-simile de la page A CIDIPE [sic pour CIDIPPE]. 381 105

Du plus me tais, mais trop mieus aimeroye

Mourir apres que prise ie t'auroye,

Que tousiours viure sans iamais te tenir:

Ie ne pourroye ce dueil entretenir.

Si tu estois moins belle & moins exquise,

110

Tu serois certes plus trempement requise:

Mais la beauté & douceur de tes yeus

Me fait estre si fort audacieus:

Tu fais cela : ton œil qui scet atraire

Me meut certes estre si volontaire

115

Tes blonds cheueus, & ta face polie

M'a fait choisir tel sens & tel folie,

Außi tes mains blanches m'y ont contreint.

Or soit mon corps par elles tot estreint,

Et ta douceur, & ton corps delectable

120

Iusques aus piedz, qui est recommandable.

Si ie pouuois louer tout le surplus

De ce qui est cloz caché & reclus,

Trop plus heureus ie me reputeroye

Et tout ennuy de mon cœur oteroye.

125

Car ie suis seur qu'en toy n'y ha endroit

Qui ne doiue estre estimé à bon droit:

Ce n'est pas donq chose trop merueilleuse,

Si ie surpris de beauté plantureuse,

Ay mis peine, pour quoy mon mal n'engrege,

130

D'auoir ta voix & parole pour pleige.

S'il auient donq que ie te puisse auoir

Par dous moyen, & par subtil sauoir,

Plusieurs [p. 382] Fac-simile de la page 382 ACONCE

Plusieurs auront enuie & desplaisance

De notre amour procheine, & aliance.

135

Bien peu me chaut de tout leur pourpensé,

Mais que ie soye de toy recompensé

Pourquoy n'auray le fruit & le salaire

De la peine que pour toy me faut traire?

Hesione Telamon posseda

140

Et Achiles bien print Briseïda

Et l'une & l'autre ha bien voulu ensuiure

Son rauisseur, & auecques lui viure.

Bien say pourtant que tu acuseras

Icelles deus, & marrie en seras.

145

Mais or' en sois courroussee ou dolente:

Il ne m'en chaut, & du tout me contente:

Mais que sans plus de toy puisse iouir,

Car par apres te pourray resiouir.

Ie mettray peine par beau parler & dire

150

De te gaigner & d'apaiser ton ire.

Quand tu verras mes larmes & mes pleints,

Mes grans regretz & de souspirs tous pleins,

Tu ne seras aumoins tant endurcie

Que par pitié ne soyes adoucie.

155

Lealle amour & foy te promettray,

Et à genous deuant toy me mettray,

Merci criant comme serfz peuuent faire

A leur signeur, priant pour leur afaire.

Tout tel pouuoir & telle seruitude

160

As tu sur moy, car dame te repute.

Comm [p. 383] Fac-simile de la page A CIDIPPE. 383

Commande donq tout ce que tu voudras,

Car tout enclin à ton vueil me rendras:

Et si tu veus mes cheueus arracher,

Tout ce trauail me sera plaisir cher:

165

Ou si ma face est de ta main batue,

Ia n'auiendra que point ie m'esuertue,

Ne qu'au contraire ie tasche aucunement,

I[']endureray tous tieus coups doucement

Rien ne creindray fors que ta main se blesse

170

Frapant mon corps trop plein de grand rudesse.

Ia ne faudra qu'en cheines ou prisons

Tu me detiennes par trop longues saisons:

Car assez suis tenu en seure garde

Quand ton amour me tient & contregarde.

175

Et lors apres que tu seras vengee

A ton plaisir, comme dame outragee

Et que ton ire aura connu assez

Les desplaisirs par moy pris & passez,

Lors tu diras tout apart, sur mon ame,

180

Cet homme la bien paciemment ame:

Lors tu diras, quand me verras soufrir

Tous les trauaus que me voudras ofrir,

Ores sera cetui au mien seruice,

En lui n'y ha fraude barat ne vice.

185

Helas pourquoy va pitié eslongnant

La demande d'un poure compleingnant?

Ma cause bonne doit elle estre perdue

Pour faute seule qu'elle n'est defendue?

Amour [p. 384] Fac-simile de la page 384 ACONCE

Amour m'a fait escrire un petit brief,

190

Si tu ne peus m'imposer autre grief:

Si tu ne veus me tenir ta promesse,

Ne deçoy pas Diane la deesse,

Laquelle vid & entendit assez

Les conuenans par nous faits & passez.

195

Et si pourra porter vray temoignage

Du vray traité de notre mariage.

Dont n'aura cause de toy se contenter,

Si tu te veus de sa preuue exempter.

Or prie à Dieu que tu n'ayes par elle

200

Desplaisir nul, car certes moult cruelle

Est meintefois, & moult contraire à ceus

Qui au gré d'elle sont faus & paresseus.

Assez montra son mal talent pour erres

Quand tous les chams cultivez & les terres

205

Des Calidoines fit gater & perir

Par un sanglier & meintes gens mourir.

Assez le peut, ainsi comme l[']on treuue

Bien temoigner, & faire dine preuue

Par Acteon que la deesse fit

210

En cerf muer, & tot le desconfit:

Il qui souloit à ses chiens bestes prendre

Par iceus mesmes fut pris sans se defendre

Außi pourroye alleguer orendroit

Celle Niobe qui lors fut à bon droit

215

Muee en prierre [sic pour pierre] pource qu'en sa maniere

Pensoit valoir Diane: tant fut fiere.

O Ci [p. 385] Fac-simile de la page A CIDIPPE. 387 [sic pour 385]

O Cidippe moult ay peur sur ma foy,

Que tel dommage ou pareil vienne à toy:

Et si croy certes (puis qu'il faut que le die)

220

Que la cause de ta grand' maladie

C'est en effet pource que trop attens

A tenir foy du bien ou ie pretens.

Elle t'enseigne, außi tresfort labeure

Que pariure ne soyes en nulle heure:

225

Et si desire de ton corps la santé

Par foy tressaine selon la verité:

Dont il auient qu'autant de fois sans doute

Que ta pensee de moy se change & oute,

Autant de fois elle argue & reprent

230

Ta voulenté qui folement mesprent.

Ne faits pas donq descocher la sagette

Encontre toy, que souuent rue & gette

Celle Diane contre ses ennemis:

Tiens seulement ce que tu as promis.

235

Aye pitié de ta chair tant polie,

Par longue fieure gastee & afoiblie:

Fay que ta face, dont i'ay si grand esmoy

Soit seulement espargnee pour moy:

Et la douceur de ton riant visage

240

Soit preseruee de mal & de dommage.

Et si aucun veut querelle esmouuoir

Dont ne puisse à mon plaisir auoir,

Ie prie à Dieu que ceus qui seront cause

De m[']eslongner de toy si longue pause,

B Puiss [p. 386] Fac-simile de la page 386 ACONCE 245

Puissent tell' peine, & tel mal raporter

Comme ie fais quand ie te voy porter

Maladie si poingnante & si grieue.

Dont ie desire la fin bien estre brieue.

A iuste cause ie me contriste & trouble

250

Et de deus pars i'ay mal & peine double:

L'une si est, car ie ne suis pas seur

Si ie seray de ton cœur possesseur:

L'autre qui rend ma ioye desheritee

C'est quand te voy malade & alitee:

255

Dont ne saurois certes penser ne dire

Lequel des deus le moins vueil & desire.

En ce trauail ie seiche & deuiens maigre:

Le desplaisir m'est trop poingnant & aigre,

Car il me semble (dont i'ay palle couleur)

260

Que cause suis de ta grande douleur:

Et que tu as telle langueur conçue

Cuidant estre par mon moyen deçue.

Or fust le mal qui en ton corps habite

Sur moy eschu, & tu en fusses quitte.

265

Souuentefois tout seul ie vois & viens

Es enuirons du lieu ou tu te tiens:

A fin, aumoins, que ie sache & m'enquiere

Si ta douleur durera encor guere.

Et quand ie voy tes femmes ou tes gens,

270

Mes pieds sont prompts & assez diligens

Courir apres: & à iceus demande

Si ta douleur acroist, ou s'elle amende.

Ie [p. 387] Fac-simile de la page A CIDIPPE. 387

Ie m'informe si tu as reposé

La nuict passee, & si tu as osé

275

Prendre viande qui te fust proufitable,

Ou boire vin qui te fut delectable.

Ha plust à Dieu qu'aupres de toy ie fusse,

A fin au moins que bien parfaire sceusse

Ce que le Mire pour toy ordonneroit,

280

Iamais mon corps ne t'abandonneroit.

Tousiours ma main seroit adonq songneuse

A te seruir d'entente curieuse:

Tousiours seroye pres de ton lict aßiz

Tant que ton cœur fust sain & bien raßiz.

285

Las, or' peut estre, tel y est, & frequente,

Dont suis dolent, & point ne m'en contente:

Tel y seiourne & aupres de toy est

Qui veut rauir mon plus leal aquest.

Cil peut toucher ta chair souefue & tendre,

290

Car nul n'y ha qui le puisse defendre:

Cil prent ton bras & te taste le poux,

Querant sa paix non pas le tien repoux.

Et en faisant telz exploitz à son aise,

Parauanture ce malheureus te baise:

295

Dont trop plus grand est certes le salaire

Que nul seruice que point te sauroit faire.

O ennemi qui t[']a donné moyen

Vouloir prendre le droit ou tu n'as rien?

Qui t'a permis cueillir ores m'estiue

300

En champ d'autrui? c'est chose trop chetiue,

B 2 Ce [p. 388] Fac-simile de la page 388 ACONCE

Ce dous image que tu tiens meintenant

C'est à moy seul par leal conuenant

Pourquoy prens tu les baisers de sa bouche

Indeüment (car en riens ne te touche)

305

Or' ote donq sans plus estre ennemis

Ta main du corps qui à moy s'est promis.

Ote ta main, car ie te sinifie

Qu'el' est à moy pourtant plus ne te fie:

Pourchasse ailleurs autre qui tienne soit,

310

Ou nul mari si ne pretende droit.

Car cette ci est vouee & promise

En autre endroit ou sa fiance ha mise

Si tu ne veus de ce me croire en outre,

Suplie la qu'elle t'exhibe & montre,

315

Et qu[]elle lise à toy seul promptement

La conuenance & le consentement:

Dont suis contreint te dire que t'auances

Querir ailleurs nouuelles acointances.

Car, pour certein, pas ne vaque le lict

320

Ou veus prendre ton plaisir & delict.

Si tu as eu promesse ou la foy sienne

Qu'elle à iamais doiue demeurer tienne

Si n'est pourtant ta cause pas valable

Comme la mienne, ny autant soutenable:

325

Car elle seule ha son vouloir submis

A estre mienne par leal compromis:

Mais toy tu n'as conuenance prospere

Fors seulement du vouloir de son pere.

Son [p. 389] Fac-simile de la page A CIDIPPE. 389

Son pere seul en ha fait l'abandon:

330

Elle & non autre m'a fait d'elle le don.

Ainsi donques nous estriuons ensemble,

Mais la pensee de nos cœurs ne se semble.

Notre esperance n'est pas certes pareille

Ne mais la creinte que dueil nous apareille:

335

Car tu pourchasses à peu de desplaisir,

Et ie meurs vif aupres de mon desir.

Si de pitié, de droiture ou iustice

Ton cœur usoit selon humein ofice,

Tu dusses certes auoir donné faueur

340

A ma piteuse & mortelle langueur

Et donner lieu aus flammes violentes

Tenans mon cœur en peines euidentes

O Cidippe dequoy pourra seruir

La lettre mienne, ne quel bien desseruir,

345

Quand cil contraire moult bataille à son aise,

Et soustient cause tresiniuste mauuaise.

Par lui tu es malade & esbaïe,

De langueur pleine & de Diane haïe.

Si tu veus donq en ouurer sagement:

350

Fay que de toy n'aproche aucunement

Car si ton œil d'aprocher le conuie,

Tu mets certes en meint peril ta vie:

Or fust celui qui est cause du fait

Mort sans pitié, & sans merci deffait

355

Si tu le veus eslongner de ta vuë,

Et que de lui [t]u n[e] soyes pouruuë,

B 3 Incont [p. 390] Fac-simile de la page 390 ACONCE

Incontinent à santé reuiendras,

Et moy außi, quand faire le voudras.

Ote donques, ô vierge, ta tristesse,

360

Car en briefz iours auras ioye & liesse,

Mais que tu face deuote oblacion

A la deesse dont i'ay fait mencion.

Les Dieus certes bien petit s'esiouissent

Du corps des beufs, qui force sang vomissent

365

Quand on les tue sur les diuins autelz,

Mais les cœurs ayment qui sont bons & entiers,

Ou foy reluit, ou verité habite:

Autre ofrande leur est nulle, ou petite.

Et meintes femmes malades, pour guerir

370

Seufrent sur elles ou fer ou feu courir:

Les autres boiuent liqueurs & fors bruuages

Pour escheuer plus grans maus & dommages:

A toy ne faut telles drogues ouurer

Pour ta santé procheine recouurer,

375

Mais que, sans plus, ta foy tu me procures,

Car ce seroient aus Dieus grandes iniures.

Ignorance te pourra excuser

Du tems paßé, si bien n'as sceu user:

Tu auois mis peut estre en oubliance,

380

Notre promesse & vraye conuenance,

Mais meintenant quand en es auertie,

Ta foy ne doit estre fausse & mentie.

Or' y pense car tant ne me chaudroit

Quand aucun mal ou peril m'auiendroit

Comm [p. 391] Fac-simile de la page A CIDIPPE. 391 385

Comme si tu souffrois aucune peine:

De ce peus tu estre sure & certeine.

Moult sont certe tes parens esbahis

De ta douleur, mais bien en sont trahis:

Car ils ignorent, & si ne sauent mie

390

Pourquoy Diane est de toy ennemie,

Tu peuz assez te pleindre & te douloir

A ta mere, pas ne scet ton vouloir:

Car si par toy lui estoit recitee

La chose au vray, tot seroit incitee:

395

Et si n'auroit iamais paix ne repous

Iusques à tant que fusse ton espous.

Si tu ne scez mon nom & mon lignage,

Ma terre n'est lointeine, ne sauuage:

Bien sont connus & louez mes parens,

400

Leur vertu clere, & leurs faitz aparens:

Et n'y eust il en moy chose excellente,

Bien te deuroit amour faire contente:

Et fust il or' ainsi, que ne voulusses

Me tenir foy, & que mienne ne fusses,

405

Si t'en deuroit ma pitié esmouuoir,

Que par escrit ie te fais assauoir.

Quand la nuict dors, Diane m'amonneste,

Que pouchasse mon emprise & ma queste:

Et quand ie veille, Amour, ô l'arc tendu

410

Me menasse dont i'ay tant atendu

L'un m'a desia fait outrageuse playe,

Garde que l'autre son dart sur toy n'employe:

B 4 Autant [p. 392] Fac-simile de la page 392 ACONCE A CIDIPPE.

Autant ay cher ton salut & ton bien,

Autant le veus certes comme le mien.

415

Fay donq qu'amour nos cœurs ne desassemble,

Aye pitié de toy & moy ensemble.

Pourquoy creins tu, pourquoy donques ne veus

Pour une ayde rompre le mal de deus?

Si tu le fuis, & qu'auoir ie te puisse

420

Aus Dieus rendray graces & sacrifice:

Et si feray, pour longue remembrance,

Faire une pomme toute d'or, sans doutance,

Qui sera mise tout droit deuant l'image

De Diane, pour deuoir & hommage:

425

Et si sera escrit en grosse lettre

Cil qui la mit, ne pourquoy la fit mettre.

Or' est saison que fine mon propos,

Pour qu'à ton corps n'empesche le repos:

A tant me tais, plus ne te veus escrire.

430

Or' te doint dieu ce que ton cœur desire.


PREFACE SVR L’EPI-
TRE DE CIDIPPE A
ACONCE.

QVand Cidippe eut entendu que cette
fieure lui estoit auenue par vengean-
ce de Diane courroucee, elle ayma mieus
contre le vouloir de son pere condescendre
au desire d’Aconce, que d’estre plus longue-
ment tourmentée de maladie.

[p. 393] Fac-simile de la page 393
[Bandeau]

LA XX. EPITRE
D'OVIDE.
*
Cidippe escrit, & respond à Aconce.

IAy ores certes forte peur, et grãd creinte

Quand voy ta lettre de diuers mots em-
 (preinte,

Et si l'ay luë en cœur sans prononcer,

Doutant les Dieus iurer & ofenser:

5

Et que ma langue fust pariure & coupable,

Lisant ta lettre subtile & deceuable:

Et pour certein bien croy que derechef

Eusses mis peine venir de moy à chef

Et si eusses essayé par parole

10

Me deceuoir, comme trop simple & folle,

Si tu n'eusses bien cuidé seurement

Qu'une promesse sufisoit seulement:

Dont il peut estre que point n'usse reçuë

Ta lettre lors, ne la substance luë:

15

Mais ie pensay, & si eu doute & peur,

Se ie gardois contre toy ma rigueur,

Que Diane ne fust enuers moy pire,

Et qu'elle accrust encontre moy son ire:

Iaçoit pourtant, quelque bien que ie face,

20

Auoir ne puis d'elle la bonne grace:

B 5 Et [p. 394] Fac-simile de la page 394 CIDIPPE

Et si te donne, outre raison & droit,

Port, & faueur, dont me pleins orendroit:

Car pour toy suis à tort persecutee,

Et de santé priuee & deboutee.

25

Iamais certes tel secours ne donna

A Hyppolit, ne tant le guerdonna:

Trop mieus eust fait celle vierge notable,

D'estre de vierge piteuse & charitable:

Et à mes ans auoir donné secours,

30

Lesquelz ie croy seront bien briefs & cours:

Car i'ay langueur qui tousiours me tourmente,

Voire sans cause ou raison aparente.

Et ie, lasse de tieux trauaus porter,

N'ay nulle aide pour me reconforter:

35

Et tant (pour vray) qu'à peine i'ay sceu titre

Et composer cette presente epitre,

Tant est la main & tant le corps failli:

Pardonnez moy se ie y ay defailli.

En escriuant meintefois ie creingnoye

40

Qu'aucun entrast au lieu là ou i'estoye,

Mais ma nourrice, qui bien mon fait sauoit,

A la rue droit à l'huis si se tenoit.

Et si aucuns à elle s'enqueroient,

Que ie faisois, & d'entrer requeroient,

45

Pour me donner passetems ou confort,

Elle disoit, beaus amis elle dort.

Et quand l'heure pouuoit estre passee

D'auoir dormi, & qu'elle estoit pressee

Laisser [p. 395] Fac-simile de la page A ACONCE. 395

Laisser entrer ou parens ou affins,

50

Pour paruenir surement à mes fins,

Elle crachoit faisant telle feintise

Pour que ne fusse en escriuant surprise.

Lors tout acoup laisse imparfait mon œuure,

Et en mon sein bien la cache & la cœuure:

55

Et par apres, quand du lieu sont issus,

Encores sont plume & encre mis sus:

Et de ma main fatiguee & lassee

Ie paracheue la lettre commencee.

Las tu ne penses quel labeur, ne combien

60

I'ay de trauail pour satisfaire au tien:

Donques faut il que ie porte & endure

Pour toy tout seul une peine si dure?

Et que ie sois incerteine en effet

De ma douleur qu'en mon corps auras fait.

65

C'est le proufit, le loyer & le change

Que ie raporte par la tienne louenge,

Et pour auoir un peu plu à tes yeus

Gesir me faut en lict trop ennuyeus.

Trop mieus me fust lors que tu me vis onques

70

Que pris n'eusse vers moy plaisir quelconques

Ains que t'eusse semblee laide & diforme,

De lourt meintien, & mauplaisante forme:

Car ia ne fust (si l'aide eusse esté lors)

Mon cœur dolent, ne malade le corps.

75

Ainsi louee il conuient que ie pleure,

Et qu'en pleurant piteusement ie meure.

Vous [p. 396] Fac-simile de la page 396 CIDIPPE

Vous estes deus à une pretendans,

Qui me blessez & dehors & dedans.

Tu ne veus pas à lui quitter l'ouurage

80

Ne lui à toy bien y ha le courage:

Tu te dis estre au pourchas le premier,

Et il meintient qu'il n'est pas le dernier.

Tous deus voulez une chose pretendre,

L'un diligente, l'autre ne veut atendre.

85

Troublee suis comme la nef flotant

Que vent soudein va en mer combatant,

Qui ça & là se tourne & se varie

Comme le vent & la mer la charie.

Les miens parens souuent le iour demandent

90

De mes noces, & souuent si atendent:

Mais peu en ay de courage & vouloir

Tant sent mon cœur se pleindre & se douloir

Creinte de mort que voy pres de ma porte,

A autre soin me rauit & transporte.

95

Lors toute honteuse ie triste & lamentable

(Iaçoit pourtant que point ne suis coulpable)

Ay peur & creinte que tieus maus ay passez,

Pource que i'ay les hauts Dieus ofensez.

Aucuns dient que le mal que i'endure

100

M'est auenu par cas ou auenture,

Les autres dient que cil que veus auoir

N'est agreable à noz Dieus (pour tout voir)

Et les aucuns tiennent à voix publique,

Que la langueur que tant me blesse & pique

Me [p. 397] Fac-simile de la page A ACONCE. 397 105

Me continue en si longues saisons

Par tes poingnans & dangereus poisons:

Et que par toy ie suis enforcelee:

Telle parole n'est point certes celee.

Helas la cause est close, & point n'apert

110

Mais ma douleur bien se montre & apert.

Vous contendans faites guerre mortelle,

Et ie languis en peine trop cruelle.

Te diráy ie (bien t'en veus requerir)

Qu'il te plaise iamais ne me querir,

115

Et me laisser comme chose non vuë,

Car trop me sens de santé despouruuë.

Que ferois tu, si de toy fusse haïe,

Quand en m'aymant de toy ie suis trahie:

Et si me nuiz en me cuidant aymer:

120

C'est un plaisir soufreteus & amer

S'il auient donq par rigueur ou simplesses

Que tu m'occis ou piteusement blesses,

Et que tu aymes, bien pourras sagement

Tes ennemis aymer parfaitement.

125

Pource te pry que vueilles & desires

De n'augmenter & croitre mes martires.

Car en voulant qu'ainsi puisse auenir,

A fin meilleure ie pourray paruenir.

Or est il donq que peu de moy ie donne,

130

Quand à douleur ainsi ie m'abandonne,

Et quand tu soufres que mon cœur soit forment

Mort & failli par si cruel torment.

Ou [p. 398] Fac-simile de la page [398] CIDIPPE

Ou si de toy est priee ou requise

Diane en vain, & qu'autrement n'auise

135

A mon salut, dire puis à ce fait

Que ta grace est de bien petit effet.

Or choisis donq de ces deus choses l'une.

Si tu ne veus par requeste oportune

Celle deesse enuers moy apaiser,

140

Ie puis conclure & puis presuposer

Que de moy n'as ne soin ne souuenance:

Et si tu n'as d'elle celle puissance,

Ie di ainsi, que peu certes lui chaut

Si nous auons ou trop froid ou trop chaut.

145

Que plust à Dieu que pour la santé mienne,

Et pour außi tollir la peine tienne

Onques iamais n'eust esté bruit ne loz

De Diane en l'isle de Deloz:

Et qu'en ce tems ie fusse esté si sage

150

De m'abstenir de tel pelerinage.

Helas alors trop me vouluz haster

Quand ma nef fiz dresser & aprester,

Et que me mis sur la mer longue & ample

Pour visiter de Diane le temple.

155

Moult fut l'heure celle fois malheureuse,

Qui me guida par voye dommageuse.

Mais duquel pié marchay lors en auant?

Mal sceut choisir ma nef certes le vent.

Combien pourtant que le vent trop contraire

160

Me fit deus fois retourner & retraire:

Que [p. 399] Fac-simile de la page A ACONCE. 399

Que di ie las? contraire ne fut, certes,

Mais vtile pour fuir grandes pertes:

Vtile fut le vent qui regetta

Ma nef arriere, & qui me debouta

165

Du lieu ou i'eus de toy vuë premiere,

Mais peu dura, dont ne proufita guere.

Que pleust à Dieu que sa force eust duré

Contre mes voiles, & que i'eusse enduré

Piteus naufrage ou longue reculee:

170

Car pas ne fusse en ce quartier allee.

Mais c'est simplesse de se pleindre & douloir

De la constance que le vent peut auoir,

Car peu se tient, & point ne continue:

Tot se fait grand & tot se diminue.

175

Ainsi donques pour le bruit & raport

Fait de Deloz, ie descendi au port:

En mer me mis querant certes la voye

Dont le chemin & sente ne sauoye:

Et d'y aller tant eu grand le desir

180

Qu'à peine sceu à tems prendre loisir:

Et meintefois mes auirons tançoye

De quoy plustot d'aller ne m'auançoye.

Souuent blamois le vent lors trop petit

Qu'il ne souffloit selon mon appetit.

185

Que diray plus? en tels mots & laidanges

Nous passames meintes isles estranges:

Tant que ie peu de loin choisir à l'œil

L'isle Delos ou tendoit notre vueil.

Moult [p. 400] Fac-simile de la page 400 CIDIPPE

Moult me tardoit que ia dedens ne fusse,

190

A fin que voir les belles choses sceusse,

Quand fumes pres du port, l'ancre gettee

Deuant l'isle par nous tant souhaittee

Le iour faillit, le soleil se coucha:

Et lors la nuict obscure s'aproucha:

195

Chacun de nous apres manger & boire

Se reposa comme assez on peut croire,

Deliberez trestous le lendemein

De visiter le temple souuerein:

Et de faire priere & sacrifice.

200

A la deesse gracieuse & propice.

Le iour venu, vn chacun se prepare,

Et de ma pa part ie m'acoutre & me pare,

Ma mere fit pigner & acoutrer

Mes blons cheueus pour plus beaus les montrer:

205

En mes dois mit aneaus & pierres fines,

Coliers au col precieus & infines

Robe me fit vestir de riche pris

Dont l'ouurage fut beau & bien compris

En cet estat de notre nef ißimes,

210

Et au chemin droit au temple nous mimes:

Quand dedens fumes lors chacune de nous

Deuant l'image se getta à genous:

Chacune fit son vœu & son ofrande,

Priant Diane de ce que l[']on demande.

215

Et en ce point que ma mere faisoit

Son sacrifice, & qu'elle disposoit,

Dessus [p. 401] Fac-simile de la page A ACONCE. 401

Dessus l'autel sang innocent espandre,

Ma nourrice par la main me va prendre,

Et me mena par tous les secrets lieus

220

Ou l[']on faisoit sacrifice aus Dieus:

De pied leger & de vuë ententiue

Prenions plaisir voir chose si naïue.

Aucunefois visitions le portal

Richement fait d'iuoire & de cristal:

225

Souuent außi certes, en meints endroits,

Nous regardions les trionfes des Rois,

Et les grans dons, le tresor & richesse

Illec vouez au nom de la Deesse,

Les paremens, les ioyaus entiers,

230

Les images mises sur les autiers.

Toutes ces choses regardions sans discorde,

Et autres meintes dont or' ne me recorde:

Et peut estre que sans y prendre aduis

A celles fois de quelque lieu me vis,

235

Et de ton œil tu me choisis à l'heure

Pensant à toy qu'assez tot sans demeure,

Par toy seroit ma simplesse deçue:

Celle malice fut en ton cœur conçue.

Lors me tournay droit au temple au milieu:

240

Mais ou peut on eslire plus seur lieu?

Là fut getté à mes piez une pomme,

Ne sceu par qui, ne par quelle main d'homme:

Ie l'amassay, non pensant autrement:

Lors ma nourrice la m'osta promptement,

C Et [p. 402] Fac-simile de la page 402 CIDIPPE 245

Et vid l'escrit & la lettre trassee:

Et puis me dit troublee & courroucee,

Or lis ceci : lors ie lù, & pù voir

Par quel moyen me voulus deceuoir.

Honte & vergongne me rougit le visage,

250

Quand vy le mot traitant de mariage,

Et abaissay en mon giron les yeus,

Dont bien pensas qu'il t'en auenist mieus.

O deceuant, mais à quoy prens tu ioye?

Ia ne conuient que ton cœur se resioye:

255

Quelle grand gloire peus tu auoir aquise

De deceuoir pucelle non aprise?

Pas n'eu à moy gendarmes ne soudars

Pas n'eu harnois sur moy, flesches ne dars

Pas en ce lieu ne suis certes allee

260

Ainsi qu'à Troye iadis Pentasilee:

Pas n'y portay bouclier targe ou escu

Pour que tu fusses de moy prins ou veincu.

Ainsi que fit celle des Amazonnes

Qui eut la proye de diuerses personnes.

265

Pourquoy donques te iactes tu & vantes?

Si tes paroles feintes & deceuantes

Ont abusé une simple pucelle:

Ce n'est pas loz, mais bien poure querelle.

Ta pomme donq me print & me tenta,

270

Ainsi par pomme fut prinse Atalanta.

Ainsi seras pour ton euure parfaire,

Hipomenes second en cet afaire.

Mieus [p. 403] Fac-simile de la page A ACONCE. 403

Mieus eut valu que Cupido l'enfant

Prince d'amours, qui de ses flammes fend,

275

Ard & consume les corps des creatures,

T'eust fait emprendre lors telles auantures.

Bien me pouuois prier & requerir,

Non par fraude me vouloir conquerir:

Pour quelle cause me voulus tu contreindre

280

A estre tienne? & mon cœur y astreindre,

Plus que par voye de douceur & pitié

Me prouoquer à la tienne amitié?

Mais que te vaut sauoir l'usage & forme

D'obligeance par promesse conforme?

285

Si ma langue rien promit & iura,

Ta tromperie à ce me coniura:

La voulenté & la seule pensee

Fait le serment, non la voix prononcee.

Le cœur fait tout, là gist l'intencion,

290

Le demeurant ce n'est que ficcion.

Quelque chose que promette la bouche,

Cela peu vaut si le cœur n'y atouche.

Autre promesse ne peut certes lier,

Si le vouloir n'y est tresfamilier.

295

Si ay sceu donq mariage promettre

Contente suis à raison m'en submettre,

Et te donner le partage du lict,

Ou tu pourras bien prendre ton delict.

Mais si ie n'ay promis aucune chose,

300

Fors la parole sans voulenté enclose,

C 2 Tu [p. 404] Fac-simile de la page [404] CIDIPPE A ACONCE.

Tu ne peus donq fors la parole auoir

Sans nul effet: tu n'as autre deuoir.

Point n'ay iuré, mais sans plus lù la lettre

Là ou pouuoit l'escrit du serment estre.

305

Le tout donques compris & entendu,

Trop nicement tu y as pretendu,

Et bien seroit à toy reproche & blame

Si par barat deuoye estre ta femme.


Fin de la xx. Epitre de Cidippe
à Aconce.





[fleuron]


[p. 405] Fac-simile de la page 405 [Bandeau]

PREFACE SVR
L’EPITRE DE SAPPHO
A PHAON.
*

SAppho, comme i’ay declaré au liure
des medales, fut une femme Poëte, du
tems de Tarquin Prisque, de laquelle Pla-
ton mesme admiroit la sapience: Ce non-
obstant estant vesue d’un homme bien ri-
che, de qui elle une fille, s’enamoura de
Phaon desmesurement. Car comme il fut
allé en Sicile, elle ayant doute d’estre peu
aymee de lui, d’une ardeur & impaciente
rage d’amour, proposa au peril de sa vie ap-
paiser cette fureur, & se getta d’un mont
d’Epire en la mer: ayant toutefois premie-
rement escrit à son ami Phaon l’epitre sui-
uante, semee de plusieurs amoureuses & la-
siues afeccions, pour recouurer le sien ami:
& ne laisse aucun point qui face à l’esmou-
uoir d’auoir pitié & cõpassion d’elle ainsi par
lui delaissee. Et ne faut tant s’esmerueiller,
si elle ieune vesue brunette & riche, fut tant
esprise & rauie de l’amour de Phaon: atten-
du que lon tient qu’il estoit beau à merueil-
C 3 les [p. 406] Fac-simile de la page 406
les. Ie me tais de la fable que lon dit, que
lui estãt passeur sur la riuiere, ou põtanier, passa
une fois Venus de riue à autre, sans lui de-
mander payemẽt: elle adonq le voulut bien
recõpenser, lui baillãt une boëte pleine d’un
onguent dont il se frota une seule fois, & de-
uint incontinẽt le plus beau de tous les hom
si que pour sa grand beauté toutes les
femmes de Metelin furent esprises de son
amour, mais principalemẽt la sauãte Sappho.
Elle eut pour amie Erinne, aussi Poëte: & lon
trouue en un epigrãme grec, que d’autant q̃
Sappho en vers lyriques passoit Erinne, d’au
tãt Erinne passoit Sapho en vers exametres.
Elle inuẽta une sorte de vers, qui de son nom
sont nommez Sapphiques. Elle fut apelee la
dixieme Muse, & nõbree entre les neuf Poë-
tes lyriques. En Metelin, d’ou elle estoit, y eut
une autre Sappho, de mauuais bruit.
Vous pourrez voir ce qu’en dit Celius Rodi
ginus li. 9. chap. 24. & li. 10. chap. 2. & Pline
chap. 23. qui attribue à la vertu de certeine
herbe, que Sappho auroit ainsi ardẽment &
impaciemment aymé Phaon: ce qui reuient
quasi au propos de la fable cy dessus, à cause
de longuent de Venus.

Fin de la Preface.

[p. 407] Fac-simile de la page 407 [Bandeau]

LA XXI. EPITRE
D’OVIDE.
*
Sappho escrit à Phaon.

Cette lettre presentee à ta vuë,

N’a elle pas de toy esté connue ?

Et quand ta main l’ouurit & desploya,

Et que ton œil à la voir s’employa,

5

Connus tu pas de qui estoit trassee,

Et quelle plume auoit dessus passee ?

Or’ me respons, certes, ie croy que non :

Et si tu n’usses au premier lù le nom

De celle là dont l’epitre venoit

10

Ie croy que plus il ne t’en souuenoit.

Tu te pourras ores emerueiller

Pourquoy ie veus meintenant trauailler

A faire vers piteus & lamentables,

Fuyant cantiques souëfz & delectables :

15

Comme ainsi soit que soye à chantz liriques

Plus ententiue qu’à vers melancoliques,

Or est venu certes le tems & l’heure

Que m’amour faut, que ie regrette & pleure.

Là seruira à mon mal soufreteus

C 4 Elegie, [p. 408] Fac-simile de la page 408 SAPPHO 20

Elegie, qui est stile piteus.

Rien n’e [sic pour ne] feroit à si langoureus termes

Le son du lutz pour apaiser mes larmes.

Ie brule & ars ainsi que les chams font

En la saison que pleins de bledz secs sont,

25

Ou dauanture le feu prend & s’alume

Lors que le vent soufle par sa coutume :

Si qu’il espand les flambes en meints lieus

Dont meintes gens ne s’en contentent mieus.

Phaon est cil qui mon champ & ma terre

30

Tient & labeure, ou feu d[’]amours fait guerre.

Le mont Ethna plus grand flamme ne tient

Que fait mon cœur, ou rigueur l’entretient.

Dont n’est besoin de harpe ne de corde,

Auec mes vers ma voix ne s’y acorde.

35

Les Pierides plus ne me seruiront

Et les Dryades loin de moy s’en iront

Les trois filles que i’ay si fort aymees

Plus ne seront de par moy reclamees :

Trop vieilles & laides ores me semblent

40

Amythones außi plus ne s’assemblent

Auecques moy ne Cydno leur compagne,

L’esbat leur laisse des chams & de champagne.

Atthis si belle & qui tant fort valoit

Plus ne me plait ainsi qu’elle souloit :

45

Ni autres cent, voire & cent dauantage :

Ie leur laisse de ioye l’heritage.

O mauu [p. 409] Fac-simile de la page A PHAON. 409

O mauuais homme tu tiens or’ comme maitre

Ce qui iadis souloit à meinte autre estre :

Tu as la face tant amiable & douce

50

Que souuenir à toute heure me pousse,

Et me semont à t’aymer & cherir,

Fuyant tout autre pour toy seul requerir.

Tu as les ans & la ieunesse tendre

Pour seulement au ieu d’amours entendre.

55

Tes yeux rians tousiours les miens atirent,

Et sous leur ombre doucement me retirent.

Tu es si beau que si tu prens la harpe,

Et la trousse de flesches en escharpe,

Tu sembleras en beauté & valeur

60

A Apollo, tant as gente couleur.

Et si tu mets branche ou fleur sur ta teste,

Chacun fera de toy außi grand feste

Que de Bacchus le ieune iouuencel :

Car pour certein tu es semblable à cel.

65

Et toutefois Phebus ha bien aymee

Celle Daphné qui fut tant renommee :

Ne mais Bacchus si ne desdaigna pas

O Ariadne prendre son dous repas :

Iaçoit pourtant que l’un & l’autre d’elles

70

Ne sceut onques demener les cordelles

Ne de musique, n’entendre les dous sons,

Tant eussent or’ gracieuses façons.

Ia ne conuient donq que tu me refuses

C 5 Bien [p. 410] Fac-simile de la page 410 SAPPHO

Bien ay esté louee des neuf Muses,

75

Et par leurs chants & melodieus vers

Prisee fus en cantiques diuers :

Si que mon nom en ha bruit & louenge

Par toute terre & meint païs etrange.

Alceus certes Poete moult souuerein

80

Qui en beaus vers fut auteur primerein,

Voisin de moy, & bien proche en musique,

Onques ne sceut si tresbien la pratique

De composer, qu’il emportast le nom

Par-dessus moy, ne qu’il eust le renom,

85

Combien qu’assez sache haut chanter sa lire

Pour bruit auoir, & pour trionfe eslire.

Si nature dificile & rebelle

Ne m’a assez faite auenante, & belle,

Sens & sauoir aueq literature

90

Suplier doiuent les defauts de nature.

Si que beauté ne fait à preferer

Là ou vertu se veut deliberer.

Pource donques ne me desdaigne mie,

Si que ie vueil demourer tienne amie :

95

Petite suis, & non grande de corps,

Mon nom est brief, si bien en es recors,

Si ie ne suis assez blanche, mais brune,

Celle teinture n’est pas à tous commune.

Andromeda qui fut noire en couleur

100

Fit bien certes à Perseüs douleur,

Quand il la vit au poteau atachee,

Pour [p. 411] Fac-simile de la page A PHAON. 411

Pour estre acoup du dragon emorchee :

Et moult lui plut, & d’elle s’enyura

Entant pour vray que tot la deliura.

105

Tu scez assez (soit en maisons ou granches)

Que les colombes qui sont belles & blanches,

Ayment souuent les pigeons bruns ou noirs,

Et les cherchent souuent en leurs manoirs.

Les papegaus si verts & delectables

110

Par meintefois es terres habitables

Cherchent les turtres & voulentiers les voyent,

Iaçoit pourtant que noires elles soient.

S’il est ainsi donques que nulle femme

Ne peut estre ou t’amie ou ta dame

115

Si elle n’est ainsi belle & parfaite

Comme tu es, la depesche en est faite.

Iamais nulle t’amie ne sera :

Ta ioye au moins orendroit cessera.

Las au premier que i’eu ton acointance,

120

Belle te fut la mienne contenance :

Si que depuis tu as dit en meins lieus

Qu’onques iamais femme ne parla mieus.

Que diray plus ? celle ou cil que se lie

Aus lacs d’amours, à tard certes oublie :

125

Bien me souuient quand au premier te vi,

Si bien chantoye que tu en fuz raui,

Et en chantant ta bouche ne fut chere

De me baiser, voire en humble priere :

Et bien sauois les grans vertus louer

Dont [p. 412] Fac-simile de la page 412 SAPPHO 130

Dont nature m’auoit voulu douer.

Et toutes choses certes que ie faisoie,

Fust nuict ou iour, assez ie te plaisoie,

Et mesmement aus deduitz & soulas

D’ardant amour, dont point tu ne fus las,

135

Lors te sembloit plaisante en verité

Plus qu’autre chose, notre lasciuité :

Car bien sauions l’un à l’autre complaire :

En exerçant notre amoureus afaire

Et en paroles de mesmes aiouter

140

L’un à l’autre pour mieus nous contenter.

Si que souuent apres l’euure acomplie,

Que la pensee de nous deus fut remplie

De volupté, & doucereus plaisir,

Las & recruz nous conuenoit gesir.

145

Or’ à ton cœur, sans cause ne matiere,

Acoup fuï celle amitié entiere :

Meintenant as en vuë plus facile

Les belles filles de l’isle de Sicile

Celles te plaisent, là prens tu tes esbas :

150

Moy & les autres sommes mises au bas.

Dont bien voudrois ores de Sicile estre,

Et qu’en Lesbos n’usse du iamais naitre.

O vous dames toutes de cil païs

Gardez voz cœurs qu’il ne soient trahis :

155

Außi cault est Phaon en votre terre

Comme en la mienne, dont il me tient en serre.

Pource gardez que les blandissemens,

Les [p. 413] Fac-simile de la page A PHAON. 413

Les dous atraits, & les amusemens

De sa langue tresfausse & mensongere,

160

Par trop croire ne vous trompent arriere :

Car pour certein außi beaus mots & dous

M’a il tenu, comme il fait ore à vous :

Autant m’a il fait d’ofres & promesses

Comme à vous toutes, & autant de largesses.

165

Pource donques, ô deesse Venus,

Ou mes desirs se sont tousiours tenus,

Donne conseil soutenance & aïde

A celle la dont tu as esté guide.

Est il conclu par fatale ordonnance

170

Que fortune, qui ha fait diligence

De faire guerre à ma felicité

Au point premier de ma natiuité,

Sera tousiours en ce vueil permanente,

De me faire couroucee & dolente ?

175

Bien doiuent estre tous mes maux compassez

A peine i’eus premier six ans passez

Quand ie perdi, en douleur trop amere,

Les miens plus chers, se furent père & mere :

Et arrosay des l’armes [sic pour larmes] de mes yeus

180

Leurs funerailles pleurees en maints lieus.

Pour te conter toute ma destinee,

Vn frere i’eus, qu’amour desordonnee :

Tant aueugla, que serf se voulut faire

D’une femme publique & mercenaire :

185

Par laquelle rapporta seulement

Domm [p. 414] Fac-simile de la page 414 SAPPHO

Dommage & honte par son gouuernement.

Et quand il eut tout despendu pour elle,

Et que plus n’eut qui pour lui print querelle,

En mer se mit, & au loin s’en alla :

190

Celle méchante le mena iusques là :

Ores quiert il (bras & vaines tendues)

Les richesses que tant ha despendues,

Et meschamment quiert son pain & sa vie,

Que folement il auoit asseruie :

195

Et, dont i’ay dueil, de lui haïe suis,

Qui toutefois de son mal mais ne puis :

Ains l’ay assez souuent voulu reprendre

Du mauuais trein que ie lui veois prendre.

De tieux regretz ay eu assauts diuers,

200

Car de malheur me sont les huis ouuers :

Et quand ie cuide donner repos ou trieue

A ma douleur, dont l’atente m’est brieue,

I’ay dueil nouueau acoup & autre soin

Qui ne me laisse pas aller gueres loin :

205

C’est ma fille, petite d’ans & d’aage,

Qui tient mon cœur en trop douteus seruage.

Mais que diray ? de quoy me pleindray plus ?

Tu es cause finale du surplus :

De toy viennent mes regretz & mes pleintes,

210

Mes grandes pleurs, & mes grieues compleintes,

Dont pas ne va la nef dorenauant

De mon vouloir certes au gré du vent.

Mes cheueus sont sans ordre & sans culture

Dessus [p. 415] Fac-simile de la page A PHAON. 415

Dessus ma face espars à l’auanture.

215

Plus n’ay aus dois perles ne diamans,

Besoin ie n’ay de telz acoutremens.

Vetuë suis de robe simple & vile,

Soit en la chambre, ou aus chams, ou en vile.

Point ne reluit nul or sus mes cheueus :

220

De tel trionfe user plus ie ne veus.

Nulle liqueur, tant bien soit composee,

Ne sera plus sur ma face posee.

Pour qui voudrois desormais m’embellir ?

A qui complaire pour mon ennui tollir ?

225

Certes celui pour qui ie me paroye

Ha emporté o lui toute ma ioye.

Mon cœur fresle, suget à tous dangers

Peut estre ateint de dars aßez legers :

Et tousiours ay assez cause & matiere

230

D’aymer sans fin, car i’en suis heritiere.

Ne say pourtant si ie suis faite & nee

A cette fin, comme predestinee :

Et si fortune au point de ma naissance

M’a fait auoir vne telle influence :

235

Ou pour vaquer à curieuse estude

Sugette suis à tel’ solicitude.

Car les Muses & leur enchantement

Ont pratiqué le mien entendement.

Merueilles n’est si florissant ieunesse

240

Ha pris mon cœur, & tenu en sa lesse,

A fin d’en faire à Cupido present :

Et si [p. 416] Fac-simile de la page 416 SAPPHO

Et si le tems, qui est le plus plaisant,

Et aus amans vtile & agreable

I’ay employé en euure delectable.

245

O Aurora moult ay creint & douté

Que cil ne fust par toy pris & oté,

Et emmené en ta chambre vermeille

Pour sa beauté extreme & nompareille.

Mais Cephalus lequel tu aymes tant

250

N’eust pas esté de la prise content :

Et si Phebe donnant lueur patente,

Qui par tout voit, tant est clere & luisante,

Auoit cetuy Phaon vù & compris,

Tot en seroit son cœur d’amour espris :

255

Et bien voudroit par obscure nuee

Sa bonne chere estre continuee :

Et les plaisirs qu’a eu Endymion

Desormais estre departis à Phaon.

Außi ie croy qu’en son char eburnee

260

Dame Venus, si belle & adornee,

L’eust coloqué pour auoir ses regars,

Si elle n’eust pensé desplaire à Mars

O ieune fils quand l’aage t’admoneste

A ne penser fors en deduits & feste,

265

Puis que tu es de moy pres & prochein,

Pourquoy creins tu te ioindre à notre sein ?

Point ne te prie que tu aymer me vueilles,

Ne que ton corps tant peu soit y trauailles,

Mais que tu seufres, sans plus, & seulement

Que [p. 417] Fac-simile de la page A PHAON. 417 270

Que ie t’ayme si tresparfaitement.

Helas i’escriz & en escriuant pleure :

Larmes issent de mes yeus à toute heure.

Bien pourras voir, quand l’euure est mal trassee,

Comment mon pleur ha ma lettre effacee.

275

Si tu auois courage si leger

De t’en aller, & de moy t’estranger,

Si deuois tu aumoins un peu atendre,

Pour doucement de moy ton congé prendre :

Mais ne peus tu à ton departement

280

Me dire lors, belle a dieu te command ?

Mais ton allee fut si prompte & soudeine,

Que ie n’euz pas de te baiser la peine.

Point ne portas mes larmes auec toy,

Ains les plouray & rendi à par moy.

285

Ie ne te puz de riens lors present faire,

Car trop hatif tu fus à cet afaire :

Et tu außi rien lors ne me laissas

Fors l’iniure que tu me pourchassas :

Nulle chose ne fut recommandee

290

A toy, certes, ne par moy commandee

Au departir, außi ne l’eusse fait,

Quand l[’]eusse sceu si ce n’est en effet

Beau dous ami, pour toute recompense,

Que ie ne fusse hors de ta souuenance.

295

Ie te promets & iure sans mentir

Par Cupido, qui de moy departir

Iamais ne veut, außi par les neuf dames

D Muses [p. 418] Fac-simile de la page 418 SAPPHO

Muses clamees qu’ay suiui sans nuls blames,

Apres le tien soudein departement

300

Quelqu[’]un me dit assez legerement

Ores s’en vont tes ioyes & te laissent :

Or’ est saison Sappho que tes chants cessent.

En ce disant ie n’eu o moy pouuoir

Ne de pleurer ne parler (pour tout voir.)

305

Lors à mes yeus mes larmes defaillirent :

La langue fut surprise, dont n’yßirent

D’elle aucuns mots, mais demouray transie,

Comme femme qui trop fort se soucie.

Et peu apres quand mon mal s’allegea,

310

Puis commençay haut crier, & me plaindre,

Cheueus desrompre, mes mains tordre et estrein
 (dre :

Tout ainsi certes comme la mere fait

Quand son fils est par mort prins ou defait,

Et qu’au sepulcre le rend & l’accompaigne,

315

Dont en regrets & pleurs elle se baigne.

Pour plus me faire douloir & lamenter

Deuant mes yeus si se vint presenter

Le mien frere Charaxus, & se moque

Du desplaisir qui à dueil me prouoque.

320

Il s’esiouit de l’ennuy qui me vient,

Et entour moy souuent il va & vient :

Tant est celui de mauuaise nature,

Que pour tascher à ma desconfiture,

Et pour donner, à entendre aus voyans

Que [p. 419] Fac-simile de la page A PHAON. 419 325

Que mes yeus sont sans raison larmoyans,

Mais seulement, pour cause deshonneste,

Il dit à tous, & crie à pleine teste :

Há cette femme ha perdu fille ou fils :

Ia ne viendront ses pleurs à nuls proufits.

330

Certes vergongne ou amour vehemente

Ne peut durer, & bien peu y frequente.

Tot s’aperceut chacun de ma douleur,

Car trop fut palle & triste ma couleur,

Et ma poitrine ouuerte & toute nue

335

De nuls ioyaus pour l’heure entretenue :

Tu es ma cure, & ma solicitude,

Ailleurs n’employe mon sens ne mon estude.

Les diuers songes que souuent par nuit fais,

Ta rameinent deuers moy meintefois :

340

Songes, pour vray, qui me duisent & plaisent,

Et tant qu’ils durent mon desplaisir apaisent.

Lors ie te trouue, ainsi qu’il m’est auis,

(Iaçoit pourtant que loin de moy tu vis)

D’ont suis triste, quand trop tot me reueille,

345

Car nouueau dueil me guerroye & traueille,

Et peu dure celle ioye de nuict,

Par souuenir & regret qui me nuit.

Souuent ie cuide, & souuent si me semble

Que nous sommes tous deus couchez ensemble,

350

Et que tu mets tes bras dessous mon chef,

Et moy les miens sous toy tout derechef.

Souuent te baise & acolle en mon songe,

D 2 Bien [p. 420] Fac-simile de la page 420 SAPPHO

Bien m’est auis que ce n’est pas mensonge.

A toy ie parle par dous blandissemens,

355

Ainsi que sont entre eus leaus amans :

Et si mes membres lors gisent & reposent,

Tous mes cinq sens à l[’]heure s[’]i oposent,

Si que ma bouche parle realement,

Comme si tu fusses procheinement.

360

Ie pense lors & faits meinte autre chose

Que par escrit ne veus dire, ny n’ose,

Et me delecte en pensant ou faisant,

Mais ia pourtant n’est le fait si plaisant

Comme pour vray si present tu estoies,

365

Pour parfaire nos veritables ioyes.

Puis le sol il se lieue, & vient le iour,

Lequel abrege mon plaisir sans seiour :

Dont pour certein ne me contente mie

De quoy ne suis plus long tems endormie.

370

Ie cherche & quiers les foretz & les bois,

En pleins & pleurs & lamentables voix,

Comme si là ma ioye trouuer dusse,

Ou qu’autre part recouurer ne la pusse :

Iceus bois certes, & iceus vers buissons

375

Ont autrefois en diuerses façons

Vù & senti nos plaisances passees,

Et ont connu l’effet de nos pensees.

Là par mains iours, trop fole que ie suis,

I’ay cheminé pour querir mes deduits.

380

Là áy ie quis en rochers & abimes

Le [p. 421] Fac-simile de la page A PHAON. 421

Le feu plaisir que toy & moy y primes.

En cauernes & espineus rochers

Ou nos desirs furent iadis tant chers,

Les pierres dures garnies de meint arbre

385

Tant estimois comme si ce fust marbre.

Là ie trouuois le droit lieu et l[’]ombrage

Ou toy & moy de desireus courage

Souuentefois nous nous sommes touchez,

Et au plaisir de Venus aprochez.

390

Mais en ce lieu, dont i’ay trauail grigneur,

Trouuer ne sceu Phaon le mien signeur.

Certes ce lieu ce n’est que terre vile,

Inhabitee, & à peine seruile :

Le mien Phaon du tout l’enrichissoit,

395

Quand au dedens cheminoit ou passoit.

Là bien connu fleurs & herbes foulees

Par nos venus, & frequentes alles

Et en meint lieu ou notre corps posoit,

L’herbe abatue & fletrie gisoit.

400

Que diray plus ? certes fueilles & branches

Rendoient larmes, ce sembloit, toutes franches :

Et mile oiseaus en leurs motets & sons

Se conqueroiont [sic pour conqueroient] par piteuses chansons.

Souuentefois à terre me seoye,

405

Et moult souuent le lieu propre baisoye

Ou autrefois ie t’auois vù gesir,

Ou nous prenions notre amoureus plaisir.

Lors receuoit l’herbe menue & tendre

D 3 Les [p. 422] Fac-simile de la page 422 SAPPHO

Les tristes pleurs que ie pouuoie espandre

410

A ce trauail le mien corps s’empeschoit

Iusques à tant que la nuict aprochoit.

Lors les oiseaus leurs gites pourchassoient,

Et leur musique, & leurs dous chants cessoient :

Plus n’y auoit qui mon dueil confortast,

415

Ne qui ma peine ou douleur suportast,

Fors seulement la douce Philomene

Qui par son chant plaisir souef m’amene.

Toute la nuict d’elle dous chant issoit,

Et ma voix, certes, pleuroit & gemissoit.

420

Philomene son Ithus regrettoit,

Sappho dolente ses amours lamentoit.

En ce conflit, comme femme perdue,

Loin de bon sens & raison esperdue,

Me print vouloir, apres plusieurs debas,

425

De me getter du haut rocher en bas :

La volonté sera executee,

Toute grand peur & creinte deboutee.

O vous Nymphes venez voir le trespas

De celle qui ne vous haïssoit pas

430

C’est bien raison que peur & creinte grande

Soit veincue, quand amour le commande.

Reçois mon corps, ô vent dous & plaisant,

Car pas n’est il trop grief ne trop pesant,

Et toy, Amour, dont i’ay les estincelles

435

Imposes moy au choir legeres esles,

Si qu’on ne die que pour t’auoir serui

I’aye [p. 423] Fac-simile de la page A PHAON. 423

I’aye de mort la peine desserui.

Si de ce mal ie puis estre deliure,

Et que ie puisse o le mien ami viure,

440

Au dieu Phebus qui est le vray guidon,

De ma harpe feray present & don :

En laquelle sous termes non couuers

Seront escritz, & engrauez ces vers :

O Appolo, la tienne poëtique

445

Dite Sappho, ministre de Musique,

Cette harpe te desdie & presente,

Elle t’est duë, & si t’est bien seante.

Or’ me respons Phaon, sans diferer,

Quel bien peus tu auoir ou esperer,

450

Quand tu sauras que ie me suis gettee

De haut rocher, de toy non regrettee ?

Certeinement ie dy sans reprocher

Que toy qui es plus dur que cil rocher,

Auras le tiltre, le blame & vitupere

455

De mort procheine, laquelle tot i’espere.

Las, plus seroit ioyeuse à moy l’estreine,

Qu’aupres de toy fust iointe ma poitrine :

Et mes membres aupres des tiens posez,

Que d’estre ainsi à peril exposez,

460

Et degettez de roche perilleuse,

Dont s’ensuiura mort ignominieuse.

Helas Phaon tu me soulois louer,

Et pour ta dame & maitresse auouer :

Moult t’a semblé mon art & ma science

D 4 Par [p. 424] Fac-simile de la page 424 SAPPHO 465

Par ci deuant de dine preference.

Que plust à Dieu qu’ores faconde fusse

Pour que bien tot conuertir ie te sceusse :

Et que tant sceust ma main persuader

Que ton dous œil me daignast regarder :

470

Mais ma douleur & mon songneus afuire [sic pour afaire]

Nuist & empesche à ce que soulois faire.

Melencolie, dueil & gemissement

Perturbent tout le mien entendement.

Mon sens premier & vertu authentique

475

Plus ne respond au son de ma musique.

Par grand douleur mon plectre ores se tait,

Ma harpe est sourde, son chant plus ne me plait.

O ieunes dames du païs ou nous sommes,

Qui mariees estes à diuers hommes,

480

Et vous celles qui or’ ne l’estes pas,

Ne venez plus o moy prendre repas :

Ne venez plus prendre harpe, ne lire,

Allez ailleurs vos passetems eslire :

Ne venez plus pour apprendre de moy

485

Fors dueil, ennuy, souci, peine & esmoy.

Celui Phaon qui tout mien souloit estre,

Et plus ne l’est, me veut or’ mesconnoitre :

Cil ha o lui tout voulu emporter

Ce qui souloit vos cœurs reconforter.

490

Pource donques si plus voulez aprendre

Riens de mon art, faites le vers moy rendre :

Car il tout seul donne force & vigueur

A mon [p. 425] Fac-simile de la page A PHAON. 425

A mon sauoir, ou le toult par rigueur.

Helas pourquoy dy’ie telle parole ?

495

Se peut il faire douce piteuse & molle :

Poitrine dure, pour bien fort requerir ?

Mais en peut on nul bien fait aquerir ?

Seront mes criz & mes pleintes perdues,

De sourde oreille ouis Sur le manuscrit BnF ms fr 875, f. 137 ro on lit oyes, qui devait se prononcer [ojəs], graphie et prononciation déjà archaïques du temps de Fontaine. En modernisant le mot en ouies, une syllabe se serait rajoutée, ce qui aurait faussé le vers. Cela peut expliquer que la forme ouis ait finalement été retenue malgré la faute d'accord qu'elle génère. & entendues ?

500

Le vent qui soufle ne te peut il porter

Ce que ie dy, & le tout raporter ?

Que plust à Dieu que cil vent qui conuoye

Mes paroles, mit tes voiles en voye,

Et que ta nef fit en ça reuenir,

505

De ce faire te deuroit souuenir.

Et si tu as de retourner vouloir,

Pourquoy donques ne te mets en deuoir ?

Sans pourchasser qu’en brief ie faille & meure

Par ta trop longue & douteuse demeure.

510

Lieue ton ancre, & mets ta voile au vent,

Et ne creins point de tirer en auant :

Venus, qui ha en mer grande puissance,

Te gardera de mal & de greuance.

Pource donques deslie promptement

515

Ta nef legre, & vogue hardiment.

Lors Cupido qui sera en ta hune

Te conduira parmi voye oportune,

Et donra vent à ta nef, pres & loin,

Tel & si dous qui te sera besoin

520

Si tu ne veus à brief retour entendre,

D 5 Et [p. 426] Fac-simile de la page 426 SAPPO. A PHAON.

Et que tu taches en autre part pretendre,

Et eslongner Sappho qui t’ayme tant,

Qui tous les iours te souhaite & atent,

Ia toutefois ne trouueras matiere

525

Dont tu te doiues de moy tirer arriere.

Ie n’ay commis ne fait chose pourquoy

Tu te dusses si loin tenir de moy.

O donques lettre tu feras temoignage

De mon final & derremier ouurage,

530

Et à Phaon à present t’en iras

Lequel du tout en brief auertiras.


Fin des Epitres d’Ouide.

[fleuron] [p. 427] Fac-simile de la page 427 [Bandeau]

LA FABLE DES
AMOVRS DE MARS,
ET DE VENVS,
*
Traduite d’Homere.

S’il est permis les fables raconter

Du vieil Saturne, & du bon Iuppiter,

Sans irriter leur hautesse diuine,

Ne puis-ie pas de Mars chanter un hymne

5

Plaisant assez à sa dame Venus ?

En tout le ciel n’a Dieu fors Vulcanus,

Qui pour m’ouïr son oreille n’ait preste,

Et qui desia au rire ne s’apreste :

En escoutant la ioyeuse nouuelle,

10

Qui m’enhardit prier Venus la belle

Royne d’acueil, de grace, & de beauté

Me preseruer enuers la cruauté

De son mari, borgne, boiteus, cocu :

Car, cela mien, ie ne donne un escu

15

De son courrous, ou haine inueteree.


Demodocus en Homere.

Mars donq aymant la dame Cytheree

Dine de lui, comme lui d’elle estoit,

La visiter souuent se delectoit,

Et [p. 428] Fac-simile de la page 428 LES AMOVRS

Et, lui faisant pour l’amoureus guerdon

20

De beaus ioyaus riche present, & don,

Fit tant qu’il eut d’elle bon traitement,

De nuit, à part, & tout secrettement,

En la maison, & lict de son mari.

Dont le Soleil qui en estoit marri,

25

Onq ne cessa par ses rayons ouurir,

Que l’adultere il ne vint descouurir

Au Roy Vulcan : lequel tout esperdu,

Comme qui ha bien & honneur perdu,

Feu, fer, acier, dedens sa forge plonge :

30

Et mile maus, pour se venger d’eus, songe.

Lors fichant là, sur le bloc, son enclume,

Au pres du feu, qui sans cesser alume,

Il martela sur fer chant, & brulant

Certein engin, filé, ou rets saillant

35

Plus qu’entr’ouuert, & persé comme un cruble,

Qui neanmoins estoit indissoluble :

Pour les tenir là serrez longuement.

Or ayant fait, & forgé cautement

Vulcan marri, tels liens deceptifs

40

Pour y tenir Mars & Venus captifs,

Il marche droit à sa chambre, ou estoient

Les licts, sus qui tels faits se commetoient :

Et là, autour des attibois, contourne

De tous costez son engin : & l’atourne

45

Subtilement, de façons si naïues,

Qu’il le ioingnit aus poutres, & soliues,

Sans [p. 429] Fac-simile de la page DE MARS ET VENVS. 429

Sans ce qu’aucun le pust aperceuoir,

Ny mesme Mars : car il mit son sauoir

A si bien faire, & si bien l’assortir

50

Qu’on y pouuoit entrer, mais sans sortir.

L’engin, ainsi arangé, & tissu,

Vulcan s’en est soudeinement issu.

Droit à Lemnos, cité pour lui batie.

Quoy voyant Mars, qui pour sa departie

55

Estoit au guet (pour l’amour vehemente

Que lui portoit à la deesse gente)

Il rentre tot en la maison connue

Ou tinse auoit sa Venus toute nue :

Laquelle lors se seoit comme lasse,

60

Venant dev oir Iuppiter en sa place.

Mars si l’acolle, & baise à l’aprocher,

Disant, Madame, allons nous en coucher

Dens ce beau lict : venez ma chere amie,

Votre Vulcan est allé vers Lemnie,

65

Voir ses forgeurs tous ruraus, & mausades.

A Venus plust, sans autres embrassades,

Le dsct de Mars : & à chacun d’eus semble

Tresbon d’aller se reposer ensemble.

Es lict entrans, ils se sont combatus,

70

Et au deduit de nature esbatus :

Puis endormis, pour mieus l’esbat refaire.

Mais cet engin que Vulcan leur sceu faire,

Engin forgé de diuin artifice

Pour empescher des amoureus l’ofice,

Les [p. 430] Fac-simile de la page 430 LES AMOVRS 75

Les enuelope, & tient en telle presse

Qu’en ses amans n’y ha membre qui dresse.

Mars esueillé, tantot aperceut il

L’ouurage, & art de Vulcan le subtil

Qu’on ne pouuoit certes plus euader.

80

Alors Vulcan qui vouloit regarder

Tout le mistere, encores auerti

Par le Soleil qui tenoit son parti,

Tourne tout court, sans auoir esté loin :

Et vient les Dieus espier en un coin

85

De son palais : tant marri en courage

Qu’il s’escria, de fureur, & de rage :

Et son crier si treshaut estendit

Que Iuppiter du haut ciel l’entendit :

Disant, ô Dieu, grand Iuppiter mon pere,

90

Et vous hauts Dieus du celeste repaire,

Venez, venez, voyez la piperie

Trop deshonneste, & fausse tromperie

Dont mon cœur est de rage enuelopé,

Voyez comment à moy poure esclopé

95

Venus, qui est au grand fille, & ma femme,

Fait sans cesser deshonneur, & difame,

Aymant son Mars, le nuisible putier,

Pource qu’il est beau, droit, sain, & entier,

Et moy boiteus, hideus, & contrefait.

100

Si say ie bien que son père m’a fait,

Qui ne deuoit me forger de tel fonte

Pour receuoir au monde si grand honte.

Mais [p. 431] Fac-simile de la page DE MARS ET DE VENVS. 431

Mais voyez les couchez dessus mes lits,

Y sauourans les amoureus delits :

105

Lesquels voyant, de dueil ie desespere :

Et toutefois ie m’atten, & espere

Que leur plaisir peut bien estre acourci,

Et que tousiours ne dormiront ainsi :

Bien que de corps, & de cœur ils s’entr’ayment :

110

Et que souuent sur mon enclume ils trayment.

Et si viendra un iour, comme il me semble,

Qu’ils voudroiẽt bien n’estre cõioints ensemble :

Mais mon lien, & dol, les retiendra

Iusques à tant que le pere rendra

115

Le riche dot à sa fille aßiné,

A lui liuré par contract bien siné :

Et le rendra pour sa fille impudente,

Pource qu’elle est plus belle que prudente.

Ainsi parloit Vulcan, quand les hauts Dieus

120

Sont assemblez es perdurables Cieus :

Neptune y fut qui la terre enuironne,

Mercure utile à chacune personne,

Et Apollo, l’archer qui de loin tire.

Mais au plus haut du luisant ciel empire,

125

Toutes se sont les Deesses fachees

Chez soy chacune : & de honte cachees.

Lors que les Dieus regardans de l’entree

Du ciel, Venus ainsi mal acoutree,

Et de Vulcan la finesse prisee,

130

Se sont esmus à commune risee.

Si [p. 432] Fac-simile de la page 432 LES AMOVRS

Si dist quelcun d’entr’eus à son voisin,

Mais regardez meintenant, beau cousin,

Que par cautelle est sur rinse vertu,

Quand le prompt est par le tardif batu :

135

Comme l[’]on voit que Vulcan le boiteus

Attrape Mars, de courir conuoiteus,

Dont la finesse augmente sa douleur.

Ainsi, parlans de Mars, & son malheur,

Apollo, Roy, & fils de Iuppiter

140

De tels propos vint Mercure inciter.

Voudrois tu bien estre ainsi detenu

De forts liens, auec Venus, tout nu,

Mercure, fils, & messager des Dieus ?

A mon souhait, voires & en mesmes lieus,

145

Respond Mercure, & de plus forts liens

Fusse ie pris, & attaché leans,

Et que vous tous Dieus, & außi Deesses

Regardissiez mes ennuis ou liesses,

Ie ne lairrois d’auec Venus gesir

150

Pour vos regards, ne d’y prendre plaisir.

Cela disant, les Dieus se sont moquez,

Et de rechef à rire prouoquez.

Mais Neptunus ne s’esiouissoit point

Des deus liez, & surpris en ce point :

155

Ains sans cesser prioit le Forgeron

Qu’il destachast l’engin d’alenuiron :

Disant, deliure, à ma priere iuste,

Mon frere Mars, & Venus la venuste :

Et [p. 433] Fac-simile de la page DE MARS ET VENVS. 433

Et ie pleuui, & respond qu’il fera

160

Ce que voudras, & qu’il satisfera

A tout deuoir, au iugement des Dieus.

Tel propos fut à Vulcan odieus :

Si respondit à l’ondoyant Neptune :

Ta requeste est iniuste, & importune,

165

Et te meßiet faire telles promesses

Pour ces meschans, detenus en mes lesses :

Car sortant Mars de dette & lien quitte,

Ie ne te puis en sorte qui proufite

Aucunement lier auec les Dieus.

170

A quoy respond Neptune aus moites yeus :

Vulcan, si Mars, de tes prisons deliure,

S’escoule et fuit, sans que sa dette il liure,

Ie ta pairay moymesme argent content.

De cela fut Vulcan un peu content,

175

Et dit : Neptune, il ne seroit honneste

Qu’on n’obeïsse à tant forte requeste.

Et ce disant, sa force desrengea,

Les forts liens que luymesme forgea :

Si que le Dieu, & Deesse liez,

180

Se sentans lors libres, & desliez,

Se sont gettez soudeinement en place :

Et l’un d’iceus marcha tout droit en Thrace :

L’autre Deesse à toute ioye nee,

Tira en Cypre, isle à elle ordonnee,

185

Et en Paphos : ou l’autel saint, & temps

A son honneur, & nom sacré, est ample.

E Ia [p. 434] Fac-simile de la page 434

Ia les trois seurs, ses Carites, & Graces

Auec leurs mains, de l’huile immortel grasses,

L’ont parfumee, ointe, & tresbien baignee,

190

Comme il conuient à diuine lignee :

La reuétans d’habits inestimables,

Qui sont à voir plaisans, & admirables.


Fin de Demodocus, chantant la fable
des amours de Mars & Venus en
Homere : & s’ensuit l’interpreta-
cion de ladite fable.

Voila comment Demodocus chantoit

Quand de Venus l’adultere il contoit,

195

Et que de Mars la surprise euidente

Il racontoit par nouuelle plaisante,

Nouuelle bonne, & non fable legere,

Ou fable vraye, & non point mensongere.

Car tout ainsi qu’en toutes autres fables

200

Poëtes sont tresdiuins, & afables,

Et qu’en leurs dits, escrits, contes, & vers

Certes y ha plusieurs secrets couuers,

En cette außi, pleine de grand mistere,

N’est point compris seulement l’adultere

205

Que vous lisez, ains sous la couuerture

De telle fable, y ha bonne ouuerture,

De sens tresbon, veritable, & hautein.

Vu Astrologue entend que pour certeins

Venus [p. 435] Fac-simile de la page 435

Venus & Mars conioints en l’ascendant

210

Font l’homme ou femme à changer entendant :

Que si Mercure est en mesme maison,

Plus subtil est l’homme né, par raison :

Si que Vulcan, à guetter empesché,

Ne surprendra aisement son peché.

215

Mais, à mon gré, ce sens Astrologique

Ne correspond à l’escrit Poëtique.

Autres diront que Venus (& ses dars)

Se rend sugette aus Martiaus soudars :

Que toute dame en beauté excellente

220

D’un gros lourdaut, & sot, ne se contente

De sa nature, & non par accident.

Et ie meintiens le sens estre euident,

Qui bien sauroit les secrets de nature,

C’est que Vulcan se prend pour feu ardent :

225

Mars, pour le fer : pour vif argent Mercure :

Neptune est l’eau, qui la terre mesure :

Venus le cuyure : Apollo la chaleur.

Qui de surplus de ces discours s’assure,

Connoit quelle est des fables la valeur.


Fin de l’interpretacion de la fable
de Mars & Venus.

E 2 [p. 436] Fac-simile de la page 436 [Bandeau]

LE RAVISSEMENT
DE PROSERPINE,
*
Imitacion d’Ouide.

SVs, ma musette entonnez

Le rapt fait de Proserpine,

Mais premierement tonnez

Des grans Geans la ruïne,


5

Qui furent l’ocasion

Par leur superbe auolee :

Apres la perdicion,

Que la Nimphe fut volee.


Ces monstres ambicieus,

10

Si haut leur [sic pour leurs] cornes leuerent :

Que cuidans voller les cieus,

Monts dessus monts agrauerent.


Or les cieus n’apartenoient

A ces enfans de la terre :

15

En vain donq entreprenoient

Si outrecuidee guerre.


Le Sceptre außi tout puissant,

De [p. 437] Fac-simile de la page DE PROSERPINE. 437

De ce grand Dieu de la foudre

Tous les aneantissant

20

Aus vents en soufla la poudre.


Estonnant si bien le suc

Des leurs crestes arrogantes

Que Corite du desiuc

En eut ses ondes sanglantes.


25

Eus, leurs montagnes, & cornes

Si superbement iuchees

Iuppiter froides & mornes

Tout en bas ha trebuchees.


Pelion cheut desmonté

30

D’Osse, ou il estoit aßis,

Et du coup Osse domté

Perdit ses braues sourcis.


Dont l’espais poußier troubla

La verriere Sideree

35

Et de la cheute trembla

Toute la court tartaree :


Alecton peur se donna

Des cent mains de Briaree

D’Encelade s’estonna

40

La triple horreur Cerberee.

E 3 Ces [p. 438] Fac-simile de la page 438 LE RAVISSEMENT

Cee fut tant despiteus,

Que la huree Gorgone

D’aspics & Serpens hideus

S’enfuit auec Tisiphone.


45

D’Esialte l’espesseur

Rompit le cours d’Acheron,

De Stix le salle passeur

En quitta son auiron.


Oëte fit retirer

50

L’Hidre & ses cinquante gueules :

Et sans portier demeurer

Des enfers les portes seules.


De Iapete la grosseur

Tant espouuenta Megere,

55

Qu’au baratre le plus seur

S’enfuit à course legere.


De tout ce sang gigantal

De cette despite race,

Se sauuoit le capital

60

Grand comme un mont ou terrasse :


Mais il fut precipité

Sous le pié de Trinacrie,

Ou à perpetuïté

Le malheureus brait & crie.

L’org [p. 439] Fac-simile de la page DE PROSERPINE. 439 65

L’orgueil de ce fier geant

Tifce, encor s’euertue

Regiber, mais pour neant

L’orgueilleus se romt & tue :


Car Pelore Italien

70

Sa dextre sanglante agraue,

Pachine d’estroit lien

Sa croche senestre entraues


Ses iambes estroitement

Presse & serre Lilibee,

75

Sur sa face lourdement

Pese Ethna toute enflambee :


Ainsi couché à l’enuers,

Sous ce faiz qui tant l’acable,

Par son mouuement diuers

80

En fait iaillir le blond sable :


De son gettefeu gosier

Telles flammes vomissant,

Que de fumee & brasier

Sicile en fut noircissant.


85

Le monstre tant detestable

Ia troubloit l’Altitonant,

De son cri espouuentable

Quasi les cieus estonnant.

E 4 Dont [p. 440] Fac-simile de la page 440 LE RAVISSEMENT

Dont la terre tremble toute,

90

Tant que cil qui les loix baille

Es lieux ou l[’]on ne voit goute,

A peu qu’elle s’entrebaille.


Fendant d’ouuerture telle

Qu’Aurore gette à trauers

95

De sa lampe uniuerselle

La blancheur en ses enfers.


Parquoy de cas si nouveau

Creingnant aduenir encombres

A l’incorporé troupeau

100

Qu’il ha des muettes ombres,


Hors de ses obscurs manoirs

En son char se fit guider

Atelé de chevaus noirs,

Pour l’isle par tout sonder,


105

Dont ayant songneusement

Chaque place tournoyee,

La trouuant de fondement

Tresferme & bien apuiee,


Sans creinte il se soulassoit

110

Quand la Deesse doree

Du mont d’Erix l’aperçoit,

Auquel elle est adoree :

Lors [p. 441] Fac-simile de la page DE PROSERPINE. 441

Lors la volage liesse

Son fils ailé caressant,

115

Ma force & ma hardiesse,

Lui dit elle en l’embrassant,


Prens tes dards victorieus

Dont la pointe insuperable

D’hommes, ciel, mer, terre, aïr, Dieus

120

Te rend trofee admirable :


Et du plus aigu d’entr’eus

Ait la poitrine frapee

Qui du regne tenebreus

Ha la fortune atrapee.


125

Le Sceptre de Iuppiter

Tu fais ployer sous tes armes :

Au dieu Marin font quiter

Son trident tes durs alarmes.


Quelles est donq l’ocasion

130

Que l’autre tierce puissance

Des lieus ou rouë Ixion

N’est en ton obeïssance ?


Que n’estens tu la frontiere

De la notre dition ?

135

D’une tierce part entiere

Du monde, il est question.

E 5 Ia [p. 442] Fac-simile de la page 442 LE RAVISSEMENT

Ia nous sentons l’aiguillon

De pacience diuerse,

Dens l’estellé pauillon

140

Ou notre force on renuerse.


Ne voy tu pas que nos forts

Diane l’archere enerue ?

Et que de tous nos efforts

Se rit la sage Minerue ?


145

De Ceres la fille belle

Pudique ainsi durera :

Voila l’esperance d’elle,

Au moins qui l’endurera.


Mais si tu aymes ton regne,

150

De ton trait sur tous poingnant,

Abas lui moy cette resne,

A ton oncle la ioingnant.


Lors les leures de coral

De Venus furent fermees.

155

Ayant les plaines du val

De son aleine embamees.


Tout soudein ce Dieu bandé

Des inuincibles flamesches,

De son arc ha debandé

160

La plus viue de ces flesches :

Dont [p. 443] Fac-simile de la page DE PROSERPINE 443

Dont aueuglé d’ardeur

Fiert Pluton de telle sorte

Qu’il n’est point plus grand ardeur

En ces enfers qu’il en porte.


165

Ce fait, la mere & l’enfant

En char conduits par blans cignes,

Fendent l’air en trionfant

Des valees Ericines :


Ou ia le mol feu bruloit

170

Le more dieu de rapine :

Tant folle amour l’affoloit

De l’infante Proserpine.


Oiselant tous les moyens

Comme il la pourroit surprendre :

175

O amour, de tes liens

Homme se peut il defendre ?


Vù que de l’ire & fierté

De ce domteur des furies,

Tu amolis la durté

180

Sugette à tes signeuries.


Mais chantons, ou, & comment

De Saturne ce fils cher,

Chassa du dard le tourment

Que lui fit Venus ficher.

Non [p. 444] Fac-simile de la page 444 LE RAVISSEMENT

185

Non loin des viles estans

Procheines du mont d’Ethna,

Perguse sur tous estangs

Son pareil en beauté n’a :


Il n[’]y ha lacs ny fleuues

190

Soit en Caïstre ou Lidie

Ou plus de cignes tu treuues

De parfaite melodie :


Sa clere riue ondoyant

Ceint une forest ramee,

195

De feuillage verdoyant

Encontre Phebus armee.


Duquel les aspres chaleurs

Des rameaus sont empeschees,

De cent mil sorte de fleurs

200

Les plaines d’entour ionchees.


Là meint ruisseau cristalin

Murmurant pres la verdure

Fait rougir le Cabalin,

Et tousiours printems y dure.


205

En ce lieu delicieus

Sur tout rit une fonteine,

Des Nimfes & demidieus

La plaisance souuereine,

Donq [p. 445] Fac-simile de la page DE PROSERPINE 445

Donq comme en ces lieus comblez

210

De plaisir qui tous excelle,

De la Deesse des blez

Iouoit la fille pucelle,


Son blanc s’en embellissant

De fleurs hiacintiennes

215

Ses verds paniers remplissant

D’exquises Adoniennes,


Cueilloit boutons vermeillets,

Et francs lis par les compagnes,

Violettes & oeillets

220

Auec ses nobles compagnes :


En quoy elle prend esbat

De veincre ses Damoiselles,

Suiuant l’honneste debat

Coutumier entre pucelles.


225

Mais comme elle traueilloit

A cueillir force fleurettes,

Le dieu moricaut veilloit

A rauir ses amourettes.


C’estoit de Ceres la fille,

230

Laquelle à peine vit on

(Tant amour tot presse & pille)

Estre rauie par Pluton.

Tremb

[p. 446] Fac-simile de la page 446 LE RAVISSEMENT

Tremblante & le cœur troublé

D’auenture si amere,

235

Crioit à cri redoublé

Ses compagnes & sa Mere.


Mais sa mere plus de fois

La vierge effrayee apelle :

Las, toutes sont à la vois

240

Sourdes, de la damoiselle :


Car ne doutans ce rauage

Loin d’elle estoient autrepart,

Desia outre le riuage

Du lac, tiree à l’escart.


245

Dont en pleurs toute fondant,

De desespoir alteree,

Tout le collet fut fendant

De sa robe purpuree.


Si en tomberent ses fleurs,

250

Dequoy sa pudicité

Resentit doubles douleurs,

Tant eut de simplicité.


Sans fin ses lis regrettant,

Ses marguerites & roses,

255

Les prisant cent fois autant

Que perles en l’or encloses,

En

[p. 447] Fac-simile de la page DE PROSERPINE. 447

En deuoir assez se mit

Pour recouurer cette perte :

Mais Pluton ne la permit

260

Descendre en la pree verte.


Ains ses chevaus charbonnez

De pointe si viue aproche,

Qu’ils se treuuent estonnez

Pourquoy si fort il les broche,


265

Leur abandonnant le frein

Combien que nul d’entr’eus chomme :

Encor pour meurir leur trein,

Du nom d’eus les flate & nomme :


Tant que la Palicienne

270

Terre, de chaleurs fendue

Passe, & la gent bachienne

De Corinte descendue.


O que de la profondeur

D[’]estangs & lacs sulfurez

275

En passant eut de hideur

La Ninfe aus cheueus dorez !


En fin ce Dieu enfumé

Le feu esteindre voulant

Par Cupidon alumé

280

Iusques aus os le brulant,

Son

[p. 448] Fac-simile de la page 448 LE RAVISSEMENT

Son char contreint trauerser

Portant la seur de Diane

(Pour en son regne passer)

Parmi l’estang de Ciane.


285

Ciane sur toute Nimfe

De Sicile, ayant renom

En beauté la paranimfe,

Dont ce lac porte le nom.


Au milieu duquel estant

290

Nue iusqu’à la poitrine

Reconnut au mesme instant

Sa compagne Proserpine :


Si ha de ce rauisseur

Tout court arresté le pas

295

En s’escriant pour tout seur,

Tous deus plus loin n’irez pas.


Tu ne peus sans son vouloir

De Ceres estre le gendre :

Par amour il faut l’auoir,

300

En non par force la prendre :


Que si i’ay loy & raison

Des choses moindres aus grandes

Faire la comparaison,

Ie veus bien que tu entendes

Que [p. 449] Fac-simile de la page DE PROSERPINE. 449

305

Que le noble adolescent

Anapis m’a bien aymee :

Par prieres plus de cent

La noce en fut consommee.


Non que i’en fusse contreinte,

310

Comme ie voy cette ci

Toute gelee de creinte,

D’ennui pleine, & de souci.


Lors la nynfe Cianee

Ses bras d’iuoire estendent,

315

Empeschoit la forcenee

Courses de Ditis ardent.


Mais cet amoureus horrible

Plus outre ne simulant,

De son chariot terrible

320

Les noirs chevaus stimulant,


De telle force & roideur

Son sceptre dens terre enuoye,

Que iusqu’en la profondeur

D’enfer se fit faire voye :


325

Ou en couche encortinee

De nuict & d’obscurité,

De la pucelle estonnee

Rauit la virginité.

F Rendant [p. 450] Fac-simile de la page 450 LE RAVISSEMENT

Rendant les peines cessees

330

Des plus malheureus esprits,

Durant ces noces forcees,

Tant de ioye il fut espris.


Salmonee l’incensé,

Qui contrefit le tonnerre,

335

Et voulut estre ensensé,

N’estant rien qu’ordure & terre.


En Elide & par la Grece,

Diuins honneurs pourchassant

Fut lors sans peine & destresse

340

De liberté iouissant.


L’arche-diable, l’inventeur

D’impost, & nouueaus subsides

Eut ce iour là ce grand heur

D’estre bien des Eumenides.


345

Neron mesmes & tels tirans,

Et leurs apostez Sisiffes,

Tout le bien publiq tirant

De leurs rauissantes griffes.


Les Falaris sanguinaires,

350

Les vefuemangeurs subtils,

Les abuseurs ordinaires,

Ces fins gripeurs inutils,

Ces [p. 451] Fac-simile de la page DE PROSERPINE. 151

Ces faiseurs & defaiseurs,

Forgeurs deforgeurs de loy,

355

Batisseurs debatisseurs

Rien que pour tuer aloy.


Furent adonq delachez

Et libres vont s’esbatant :

Ne se montrent empeschez,

360

Qu’à rire & boire d’autant.


Brief toute la troupe infame,

Es lieus tartares gesnee,

A l’entree de leur Dame

Fut en paix & dechesnee.


365

Tandis pour aprivoiser

Pluton sa femme nouuelle

Souuent outre le baiser,

Ses amours lui renouuelle.


Chose à la mignonne estrange,

370

D’entree ayant le cœur marri :

Mais la sage en fin se renge

Au vouloir de son mari.


Ciane la regretant

D’une amitié trescerteine,

375

Se contriste & pleure tant

Qu’elle deuient en fonteine.

F 2 Qui [p. 452] Fac-simile de la page 452

Qui le nom d’elle retient

Dont le cours si bas deualle,

Qu’encor sa compagne vient

380

Voir iusqu’en sa noire salle.


Ceres despitant sa vie

Que plus sa fille ne voit,

Ignorant comme rauie

Cet infernal Dieu l’auoit,


385

Tracasse par tout le monde

Pour nouuelles en sauoir :

En vain la deesse blonde,

Sans Ciane en pense auoir.


Ce fabre Neptunien,

390

La tenoit enuironnee

Du cours Acheronien

Dont Roine elle est couronnee :


Ou si tresbien il la traite,

De toutes sortes d’esbas,

395

Que bien peu elle souhaite

De sortir de ces lieus bas.


Ma musette, or sus, laissez

En paix leur embrassement :

Il est tems que vous cessez

400

Ce diuin rauissement.


Fin du discours du rauissement
de Proserpine.

[p. 453] Fac-simile de la page 453 [Bandeau]

PETIT AVERTIS-
SEMENT AVS
LECTEVRS,
*
Par Charles Fontaine, sur son translat
des dix premieres Epitres d’Ouide.

M  Es bons signeurs, i’ay pensé
  qu’il seroit bon vous auertir
  en peu de paroles, que si d’a-
 uẽture quelques gens peu en-
 tenduz me mettoiẽt au deuãt
tels propos, de fait ou de penser, Cõment? ces
epitres d’Ouide n’auoient elles pas, ia long
tems ha, esté traduites par le signeur Octo-
uian de saint Gelais? quel besoin estoit il
donq de la presente traduccion, & de faire
une chose ia faite? Ie leur pourrois ainsi re-
spondre, qu’icelui mesme Octouian auoit
aussi mis en vers François les Encïdes de
Vergile, lesquelles, ce nonobstant, M. Loïs
des Masures, ha depuis quelques annees, re-
commencé de traduire. Aussi pareillement
feu mõsieur de saint Ambrois, et monsieur
de saint Romat ont bient traduit apres icelui
Octouian, les epitres de Paris à Heleine,
F 3 d’Hel [p. 454] Fac-simile de la page 454
d’Heleine à Paris, de Leander à Hero, & de
Hero à Leander: ce qu’ils n’ussent fait (ce
croy-ie) s’ils eussent connu que le premier
traducteur eust satisfait aus bons esprits. En
quoy disant ie n’enten le blamer, ains plustot
le vueil ie excuser, & prendre en bõne part
ce qu’il ha fait lors que notre langue Fran-
çoise n’estoit pas encor bien auant sortie de
son enfance, ni n’estoient les arts & sciences
tant esclarcies, ni les esprits si prompts, vifs
& agus comme de present. D’auantage ce
n’est pas nouueauté ni blasme que deus per-
sonnes traduisent une mesme euure, en di-
uers ou mesme tems: ainsi plustot honneur
à eus, & plaisir à vous Lecteurs, pour la di-
uersité des traduccions, lesquelles vous pou
uez conferer, & en iuger auec bon iugemẽt,
& à loisir, aussi auec recreaction d’esprit, car
nature se recree en diuersité. Mesmement
n’a pas long tems que les signeurs Carles
& Pelletier ont tous deus mis en vers Fran-
çois l’Odyssee d’Homere, ou partie d’icelle.
Et plusieurs autres aussi de notre tems ont
fait rencõtre à tourner & traduire de Grec,
de Latin, & d’Italien certeins mesmes liures.
Et puis y ha encor que outre ma presente
traduccion, i’ay fait des argumens ou pre-
faces, pour declarer les raisons des histoires
& [p. 455] Fac-simile de la page 455
& fables, sur lesquelles Ouide auoit pris l’o-
casion d’escrire ces Epitres: & aussi i’ay fait
des annotacions sus les dix epitres par moy
traduites, pour plus ample declaracion & in-
telligence des passages obscurs & dificiles
qui sont en icelles: ce que n’auoit fait le si-
gneur Octouian. Ainsi i’espere que prẽdrez
en bonne part cette mienne defense, auec
ce mien labeur. Et quant à l’utilité qui en
pourroit venir, & à l’ordre que i’ay tenu en
en ce translat, vous en verrez, incontinent apres celle d’A[]
riadne à Theseus, qui est la dixieme & der-
niere par moy translatee: Et, à ce que n’igno
rez de quel tems estoit Ouide, ie trouue
qu’il fut né en l’an de la créacion du monde,
trois mil neuf cens vingt & qautre, auãt
la natiuité de notre sauueur Iesu-
christ trentehuit ans, & le
troisieme an du regne
de l’Empereur
Auguste.
*

[p. 456] Fac-simile de la page

TABLE DV PRESENT
LIVRE.
*

  • LA premiere epitre, qui est de Penelopé
    à son mari Vlysses, commence en la
    page 17
  • La secõde, qui est de Phyllis à Demophõ 35
  • La tierce, qui est de Briseïs à Achilles 53
  • La quatrieme, qui est de Phedra à Hippo-
    lit 69
  • La cinquieme, qui est de Enone à Paris 87
  • La sixieme, qui est de Hipsiphile à Iason 108
  • La septieme, qui est de Dido à Eneas 126
  • La huiteme, qui est de Hermione à Orestes
    147
  • La neufuieme, qui est de Deianire à son mari
    Hercules 164
  • La dixieme, qui est d’Ariadné à Theseus
    185
  • L’onzieme qui est de Canace à Macaire
    207
  • La douzieme, de Medee à son mari Iason
    221
  • La trezieme, de Laodamie à son mari Prote-
    silaüs 241
  • La quatorzieme, de Hypermestre à Linus
    258
  • La [p. 457] Fac-simile de la page TABLE
  • La quinzieme, de Paris à Heleine 270
  • La sezieme, d’Helene à Paris 292
  • La dixseptieme, de Leander à Hero 315
  • La dixhuitieme, de Hero à Leander 333
  • La dixneuuieme, de Aconce à Cidippe 377
  • La vingtieme, de Cidippe à Aconce 393
  • La vingt & unieme, de Sapho à Phaon 407
  • Translat de Museus, traitant des amours de
    Leander & Hero 353
  • Les amours de Mars & Venus 427
  • Les amours de Pluton enuers Proserpine
    436

Fin de la Table.

F 5
[p. 458] Fac-simile de la page


FAVTES AVENVES EN
IMPRIMANT.
*

  • Pag. 82. lig. 24. pendre
  • 124. lig. 6. elle estendit
  • 134. lig. 23. Et une part
  • 196. lig. 4. Gette
  • 208. lig. 2. Tel
  • 210. lig. pen. apesantie
  • 227. lig. 1. mains
  • 228. lig. 7. & l’arbitrage
  • 228. lig. 11. & ma mort
  • 243. lig. 2. fatigue
  • 243. lig. 12. Et que ne vy
  • 243. lig. 3. Priam
  • 247. lig. 12. exauces
  • 247. lig. dern. haut esleuer
  • 250. lig. 18. guiere
  • 251. lig. 17. se presente
  • 259. lig. 15. Se repente
  • 261. lig. 27. deuins
  • 262. lig. 24. à l’audeuant. c’est une phrase
    antique, pour dire seulement, audeuant.
  • 265. lig. 19. lors en ma main
  • 275. lig. 1. Et que je fusse
  • 292. lig. 3. fait tout
  • 295. lig. 24. Si qu’il en est
  • [p. 459] Fac-simile de la page
  • 297. lig. 13. Que tu m’aymes
  • 298. lig. 6. Et moult creingnois
  • 302. lig. 17. Pour deux causes
  • 319. lig. dern. A moy vogant
  • 327. lig. 12. De pendre
  • 328. lig. 7. Et me nourrir
  • 341. lig. 23. Ou retenu
  • 351. lig. 16. la force d’aymer
  • 358. lig. 25. Ainsi disoient
  • 365. lig. 27. consulte auec soymesme
  • 366. lig. 29. De Bootes
  • 392. lig. 7. Si tu le fais.