
La Contr’amye
DE COVRT :
l’avtheur.
Qui, fors Sulpice, entreprendra
De m’imprimer, il mesprendra.
Aduersis Duro. [marque de l’imprimeur]
A Lyon,
chez Sulpice Sabon :
pour antoine constantin
Avec Priuilege pour vn an.

A TRESILLVSTRE, ET
Treshumain Prince & Prelat,
Monseigneur,
Monseigneur Reuerendissime
le Cardinal de Lorraine.
La grand amour que tõ hault cueur tousiours
Porte a Vertu, aux Lectres, & lectrez,
La grand amour qui scait donner secours
Aux gens scauaus, qui de toy rencontrez
5Sont & en biens, & en honneurs entrez :
L’amour de tous qui vers toy tant reluyt,
De toy en eulx plus que cler iour luyt,
Ceste amour saincte, & d’immortelle essence
(Prelat ayme) m’admonneste, & m’induyt
10Te presenter d’amour ceste deffense.

La Contr’amye
de covrt.
Q
vand
ie con-
gneu que l’Amye
de Court
Blasmoit l’Amour,
dõt encor le bruit
court
Qu’amour n’est rien
que sainte poesie,
Ou mesmement que
folle fantasie :
Ie dy en moy, Ha n’oseray ie point
Deffendre Amour que l’on blasme en ce poinct ?
S’il est permis detracter, & mesdire,
Combien plus fort le louer, & bien dire ?
Puys i’addressay envers luy ma priere,
10Disant tout hault, & en ceste maniere :
O dieu Amour, si tu m’as fait sentir
Comment ton traict peult tout assubiectir,
Si tu maintins en honneur, & lyesse,
Heureusement la fleur de ma jeunesse,
15Si d’un vray cueur ton pouuoir, ie reuere,
Et si en toy (mon seul espoir) i’espere,
a 2 Inspi [p. 4]
Inspire moy. Ainsi de cueur pryant,
Ie vey venir l’amour ieune, & riant,
Son beau chef blond de myrte couronné,
20De grace, ioye, & rys enuironé,
Tenant en main sa flesche en lieu de sceptre,
Dans un beau char que Mars preux, & adextre
Luy dona lors qu’eut de Cyrus victoire.
Vingt coulõbs blancs en grãd triũphe & gloire
25Alloient tirant ce beau char precieux,
Autour duquel amour victorieux
Menoit captifz tant ieunes filz que filles,
Et tous naurez de ses flesches subtiles :
Qui menassoit, tenant son arc en main,
30Tout cueur a luy rebelle, & inhumain.
Ie vey aussi des peuples infinis
Se rendre a luy tous conioinctz & vnis,
Luy promectans sans fin, foy, & hommage,
Bien qu’il soit nud, & nayt encor d’hõme aage.
35Du hault des cieulx sa mere, la déesse,
Iectoit sur luy roses, & fleurs sans cesse
Pour de son filz le triumphe enrichir :
Qui quand vouloit ses æsles d’or fleschir
Ou esleuer, a son chef tant illustre
40A mon aduis donnoit merueilleux lustre.
Et d’autre part les roues d’or virées
Rendoient du char les beaultez illustrées.
En tel estat de triumphe, & d’honneur
Me fut de ioye & de salut donneur
45Amour ce ieune, & ce hardy enfant
Et [p. 5]
Amour ce dieu sur tous dieux triumphant.
Et puys me dit, Or sus fay ton debuoir
De soustenir mon honneur, & pouuoir.
Ie suys puissant : tu vois de toute taille
50Les prisonniers que ie prens en bataille.
Honnoré suys, tu voys l’hommage, & foy
Des peuples grans, vers moy qui suys leur roy.
Mon char voys plein de richesses haultaines,
Mes æles d’or, & de perles tant plaines.
55
Et cela dict, les coulombs se virerent,
Et parmy l’air en son char le tirerent.
Tendans en hault voyois leurs blanches æles
Comme d’agent spendissantes, & belles
Par mouuement avec l’air se combatre,
60Et l’air & vent maistriser, & rabbatre.
Tant qu’aux haultz cieulx en fin ie l’apperceu
En grand honneurs de sa mere receu.
Vous ne doubtez (ce croy ie biẽn mes dames,)
Si ce propos me mit au cueur les flammes
65Pour reuenger l’amour que l’on opprime :
Mais vous doubtez (ainsi comme i’estime)
Comment Amour a voulu deualler
En tel honneur, pour ainsi me parler.
Affin que plus de ce vous ne doubtez,
70Parlant de moy, dames, cy m’escoutez.
Ie vous diray qui ie suys, & comment
Le dieu Amour i’ayme parfaitement.
De qui l’honneur, & doctrine ay suyvie
En me rendant a luy toute asservie.
a 3 En [p. 6]
En premier lieu fille suys de marchant
Lequel n’estoit vsurier ne meschant,
Qu’il soit ainsi, on luy portoit ce nom
Loyal marchant : tel estoit son renom.
Des son ieune aage avoit science acquise
80Qu’il estimoit plus que sa marchandise.
Tousiours hantoit les lectres, & lectrez,
Non les grans gens richement acoustrez
Disant ainsi, ces mollement vestuz
Souuent d’autant s’esloignent de vertus.
85Et quel besoing par les estranges terres
Aller chercher tant d’or, & riches pierres
Pour seulement parer nostre nature
Qui nue vient, & va en pourriture ?
Homme il estoit de petite parolle,
90Fors quand de nous il tenoit son escolle.
I’entends de moy, & d’une mienne sœur
Dont il estoit enseigneur, & dresseur.
Du dieu Amour tousiours estoit son chant :
Du dieu Amour tousiours alloit preschant.
95Aymez l’Amour (disoit il) mes fillettes,
C’est un grand dieu soyez a luy subiectes.
Ce temps pendant que l’Amour aymerez,
Pendant que vous ses subiectes serez,
N’en doubtez point Amour vous maintiendra
100Heureusement, & tout bien vous, viendra.
C’est le seul dieu entre tous autres dieux
Le plus benin, & le plus gracieux.
C’est le seul dieu qui les autres accorde.
C’est [p. 7]
C’est le seul dieu de paix, & de concorde,
105Qui les haultz dieux des hommes offensez
Va appaisant : & (si bien y pensez)
C’est celuy dieu par qui fut fait ce monde,
Qui entretient ceste machine ronde.
Car le soleil, la lune, & les planetes
110Qu’on voit au ciel tant belles, & tant nettes
Ne donneroient ca bas leurs influences,
Dont les effectz nous donnent apparences,
Si ce n’estoit qu’Amour le puissant dieu
Les incitast regarder ce bas lieu :
115Pour y produyre a nostre vtilité
De tous les biens vne fertilité.
Les blez, les vins, les arbres, & les fruictz
Viennent de la, & par ce sont produictz.
Et pour parler des choses de plus pres,
120Les elemens mis en bel ordre expres
Feroient combat, & tresgrande follie,
Si ce n’estoit qu’Amour les ioinct, & lie.
Et si Amour ne les attemperoit
En nostre corps, la guerre s’y feroit
125Le chault vouldroit sur le froit dominer :
Le froit vouldroit le chault exterminer :
Pareillement le sec auec l’humide
Se combatroit, s’il estoit d’amour vuide.
Dont en noz corps causeroit tel discord
130Incontinent maladie, & puys mort :
Si ce n’estoit Amour le dieu puissant
Auquel ilz vont tresbien obeissant.
a 4 Car [p. 8]
Car il a mis, & de tout temps il passe
Son traict par tout, & tout luy donne place.
135Ii [sic pour Il] ny a rien qui a l’amour ne cede :
Et si n’est rien que l’amour ne possede.
Amour par tout son pouoir a semé :
Et par ainsi l’un est de l’autre aymé.
Amour par tout sa bonne graine seme,
140Et de la vient que toute chose s’ayme.
Vous voyez l’eau qui sans fin, & sans cesse
Par grand amour s’entresuyt, & se presse.
Vous la voyez, combien que soit pesante,
Haulser souvent par vne amour puissante
145Dans vn canal, & contre sa nature
Monter en hault, fournir tant qu’elle dure :
S’entresuyvant ou elle prent son cours
Pour s’entreayder, & se donner secours :
Pour se serrer, & conserver en estre,
150Et cela fait amour qui en est maistre.
Tout ainsi fait le feu vif esclerant,
Il va lamour enuuers soy declarant
Quand luy subtil tout en vn corps s’assemble,
Fortifiant flamme avec flamme ensemble
155Pour mieulx la hault en son vray lieu voler,
Et moins sentir l’humidité de l’aer.
Semblable cas on peult voir en la terre,
Qui se munit, se consolide, & serre
Incessamment par la loy d’amour grande,
160Qui de tout temps luy ordonne, & commande.
N’estimez donc quand l’eau le feu attaint
Si en [p. 9]
Si en l’instant le tue, & le destaint
Que cela face ayant le feu en hayne :
Non, mais elle est d’une amour de soy pleine,
165Et autre chose elle n’entend, & veult
Que tel que soy le rendre s’elle peult.
Car le desir naturel est en elle
D’amplifier sa froideur naturelle.
S’elle pouoit proceder autrement
170Bien le vouldroit sans nuyre aucunement.
Mais pensez vous quand par cas d’auenture
La maison chet sur quelque creature,
Qu’elle se vienne ainsi esuertuer,
Et qu’elle tombe affin de le tuer ?
175Ne pensez pas que son hoste elle haye
En le tuant, ou en luy faisant playe.
Mais elle s’ayme, & va querant le centre
Et le milieu de la terre, ou elle entre,
Tant qu’elle peult, pour la seconseruer.
180Point ne quiert donc sa grand force esprouver,
Elle n’entend meurdrir hoste, ou hostesse,
Son desir n’est ou qu’elle tue, ou blesse :
Mais son desir est qu’elle se parface
En son vray lieu, & naturelle place.
185
Ie dy plus fort (mes filles bien aymées)
I’allegueray des choses animées.
Quand le fort loup la foible brebis happe,
Et quand le chien, mordant le larron, iappe,
Ilz ne font mal, & ne pensent mal faire :
190Car quand le loup vient la brebis deffaire
a 5 Il [p. 10]
Il ne la hayt, ne sa vie, & doulceur :
Mais fault entendre, & l’on doibt estre seur
Que seulement la pourchasse, & rauit
Pource que d’elle il se substante, & vit.
195Aussi l’agneau ne va le loup fuyant
Comme le loup de nature hayant :
Mais il s’enfuyt pour la craincte de mort.
Ainsi le chien, iappant au larron, mord,
Non le hayant, mais craingnant que son maistre
200Endommagé en corps ou biens puisse estre.
On ne peult donc repliquer alencontre,
Qu’amour le dieu par tout ne se demonstre.
Amour le dieu certes regne par tout :
De son pouoir on ne trouve le bout.
205C’est celuy dieu qui au ciel, & en terre
Quand il luy plaist tue proces, & guerre,
Les deux serpens, & hydeuses chymeres
Pleines de fiel, & de poysons ameres.
Amour qui est par tout le monde espars,
210A inuenté les sciences, & les artz
Et les maintient en tresbelle ordonnance,
Les esclarcit, les produit, les auance.
Car qui pourroit aprendre, ou inuenter
Art, si l’Amour ne l’y vient inciter ?
215Sans forte amour, & delectation,
Nul ne viendroit a quelque inuention,
Le precepteur qui n’a desir d’instruyre
Iamais ne peult ses disciples conduyre
A bon scavoir. Les disciples comment
Pourront [p. 11]
Pourront apprendre aussi pareillement,
S’ilz n’ont Amour, qui leur esprit aguise,
Enuers leur maistre, & science qu’on prise ?
Amour est noble, & plus fort que les roys.
Les princes grans auec tous leurs arroys
225Sont tous contrainctz soubz luy leur chef baisser
Et hault & cler son pouuoir confesser.
Quand il les rend ses serfz assubiectis,
Leur fait aymer souuent les plus petis.
C’est vn grand cas que sceptres, diadesmes
230Les haultz honneurs, les puissances supremes,
De toutes parts tout ce que l’on peult voir
Soubz l’amour ploye, & soubz sõ grãd pouoir.
Les plus fortz dõc d’Amour la force espreuuẽnt :
Et les plus grans achepter ne le peuuent.
235On a beau faire, onques on ne l’efforce :
Point n’est vaincu par argent ny par force :
Car il est né en libre volunté :
Procede, & vient de cueur, & de bonté.
Certainement menasses, violences,
240Or ny argent, cruaultez & vengences,
Roys ne tyrans ne nous contraignent point
Que les aymions, voire d’un tout seul poinct.
Communement toute autre affection,
Tout art humain, toute operation
245Par dessus soy requiert quelque salaire :
Le seul Amour est tousiours au contraire :
Le seul Amour se contente de soy.
Car que requiert (telle est d’Amour la loy)
Celuy [p. 12]
Celuy qui ayme en cil qui est aymé,
250Si non l’amour reciproque exprimé,
Et deuers luy faisant le sien retour ?
Car (comme on dit) amour demande amour.
Puys donc que amour est si hault, & puissant
Que de son traict il va tout transpersant,
255Craindre le fault, & luy porter honneur
Comme a vn grand, & souverain seigneur
A qui iamais on ne peult resister,
Lequel iamais on ne peult euiter.
Et puys qu’il est si noble, & debonnaire
260Qu’il fait tout bien de grace voluntaire,
Puys que le monde en bon estat conserue,
Aymer le fault d’amour libre & non serue,
Et comme pere, estant de tout autheur,
Pareillement aussi conseruateur.
265Puys qu’il produit tout art qu’õ peult cõgnoistre
Suyure le fault cõme enseigneur & maistre.
Par quel autheur sommes créez, & nez :
Par quel seigneur nous sommes gouvernez :
Et par quel maistre a bien faire, & bien viure
270Sommes instruictz si le voulons ensuyure.
Voila comment nous instruysoit mon pere
Du dieu Amour, qui fait que l’on prospere.
Ie donc tresbien sa doctrine suyuant,
Le dieu Amour allois tousjours seruant
275De plus en plus. C’est vne chose bonne
Quand de ieunesse on instruict la personne.
Car comme vn pot qui est tout nouueau faict
Retient [p. 13]
Retient l’odeur, la vertu, & l’effect
De la liqueur en luy premiere infuse,
280Bonne, ou mauuaise, & point ne la refuse :
Ainsi doctrine apprise de ieunesse,
Depuys ce temps dure iusque a vieillesse.
Le ieune esprit est comme vn frais tableau
Ou n’y a rien qui soit painct, laid, ou beau :
285Mais toutesfois ou le painctre paindra
A son plaisir, & tout ce qu’il vouldra.
Le touchant donc de touche de doctrine
Y formera mainte histoire diuine,
Maint bon exemple, & mainte instruction
290Qui induit tendre a la perfection.
Et le touchant de touche de malice,
Y formera maint laid, & hydeux vice
Qui induyt tendre a toute volupté,
A l’auarice, & a l’oysiueté.
295
En ce poinct donc la ieunesse recente
Touchee au vif d’instruction decente,
Ne passoit point ne sepmaine, ne iour
Sans adorer le treshault dieu Amour.
C’estoit a luy a qui me preparoye :
300C’estoit en luy en qui seul esperoye :
C’estoit a luy (de tous dieux le plus preux)
A qui tẽdoiẽt mes faictz, mes dictz, mes voeuz.
C’estoit de luy, de qui tousiours parlois :
Avec luy tout, sans luy rien ne voulois.
305
Quãd i’approchay de quatorze, ou quinze ans
De face belle, & de mœurs plus luysans,
Ie fus [p. 14]
Ie fus de maint en tout honneur aymée :
Encor de plus ie me vey estimée.
Il n’estoit pas de bonne mere né,
310Qui me voyant ne m’eust salut donné.
Il n’y auoit homme ou femme en la ville
Qui mon maintien, & ma grace civile
Ne contemplast, & n’allast benissant
Ma grand’ ieunesse, en tout bien florissant.
315Lors ie disois tout bas (i’en ay memoire)
Au dieu Amour en soit l’honneur, & gloire.
Ie vous pry donc, mes dames qui lisez,
En cest endroit d’orgueil ne m’accusez :
Ce que i’ay dit ie ne l’ay dit sinon
320Pour extoller du dieu d’Amour le nom.
Car c’est ce dieu qui me maintenoit telle,
Qu’on m’estimoit sur toutes bonne, & belle.
Mais pensez vous qu’en precieux habitz
D’or & de soye, en perles, & rubis,
325En parler fiere, & en marcher haultaine
Ie fusse ainsi d’honneur, & de loz pleine ?
Non, non, i’estoye honnestement honteuse,
Et n’estoys point en mes habitz pompeuse :
Dont m’esbahy que maintes damoyselles
330Corrompent tant leurs beaultez naturelles
Par or, argent, pierreries, dorures,
Cheines, anneaux, & exquises parures.
Pour dire en brief, & par art, & par fard.
Semblablement m’esbahy d’autre part
335De celles la qui n’ayant grand beaulte,
Ont [p. 15]
Ont tant de soing d’estat & braueté,
Pour se monstrer aux gens richement laides,
A leur laideur cuydans donner remedes,
Et s’efforçans de faire oultre mesure
340En leur endroit plus que dieu, & nature.
Comme si l’or auoit ceste puissance
De reformer ce qu’on tient de naissance.
Comme si l’or nous faisoit vertueuses
Quand il nous fait riches, & sumptueuses.
345Mais ie crains fort qu’il rende monstrueux
Maint corps fardé, autant que sumptueux.
Il fait beau voir dame non contrefaicte,
Mais en l’estat que nature la faicte.
Nature est sage, & en nous n’a rien fait
350Qui puisse bien par art estre deffaict.
Nature est forte, & qui l’irritera
Auec vengence elle retournera.
Nature est bonne, irriter ne la fault :
De dieu est fille, elle vient de la hault.
355Il fait beau voir la beaulte naturelle
Sans art, & fard de chose temporelle.
Il faict beau voir en bons maintiens, & gestes
Dames qui sont rassises, & modestes,
Qui vont parlant & peu, & prudemment,
360Qui vont aussi regardant posément :
Qui rondement selon leur naturel
Vont gouuernant leur maintien corporel.
Non point vn tas de sottes glorieuses,
Non point vn tas qui font des precieuses
Pour [p. 16]
Pour leurs habitz, pour leur or, ou argent :
Non point vng tas qui se font le corps gent
Par vn desir seulement de complaire,
Et pour le monde a leur regard attraire.
Non point vn tas qui vont ecervelées
370L’œil de trauers, comme pie emparlées,
Ayans leur langue, & leus [sic pour leurs] yeulx arrestez
Com’ leurs floquetz de cheueulx esuentez.
Telle n’estois, telle ne suys encore,
Car le grand dieu Amour, lequel i’adore,
375Se monstre nud, & tout nud se maintient,
Pour demonstrer que vraye beaulté tient
De la nature, & non de l’artifice :
De la vertu belle en soy, non du vice :
De l’internel, & non de l’externel :
380Non point de fard, ne d’habit solennel.
Aussi a il les deux yeulx bendez, pource
Qu’il ne regarde a l’habit, n’a la bourse.
Des æsles a qui tousiours font valoir
Sa liberté pleine de hault vouloir.
385En petit corps a ieunesse, & beaulté,
Pour demonstrer sa doulce deité.
Il n’est point vil, il n’est point serf, mais franc :
Vole ou luy plaist, tousiours beau, ieune, blanc
Dessus ce point ne puys que ne me rie,
390Qu’on le fait dieu de macquignonnerie.
On se poupine, on se mire, & regarde :
On se polit, on se frotte & se farde :
Comme vn cheval qui passe par les mains
Des [p. 17]
Des macquignons, d’auarice tant plains
395Que pour avoir d’argent somme plus grosse
Pour vng Rossin vous vendront vne rosse,
Tant ilz l’auront bien faicte, & bien menée,
Tant bien polie, & bien macquignonnée.
Ainsi est il, O mes dames, souuent
400A grand regret ie voy que l’on se vend,
Et l’on se pare au plus offrant, & puys
D’amour dit on, telz sont les faictz, & fruictz :
Qui est erreur. Amour le Dieu propice
N’est point subiect a l’or, & l’auarice.
405Amour qui vole es haultz cieulx par ses æsles
Comme vn mondain n’a point terrestres zeles.
Mais nous voulons a sa divinité
Attribuer nostre cupidité.
O grand erreur, o abus trop damnable,
410Qui fait de soy la deité coulpable :
Mais quel espoir y a en nons de mieulx,
Quand de noz maulx nous accusons les dieux ?
Ce grand abus, ce mal, & infortune
Ne regnoit point du temps du vieil Saturne,
415Lors que les gens remplis de verité
Suyuoient sans loy le droit, & equité :
Quand n’y auoit encor bourreau, ne iuge,
Craincte, danger, proces ne subterfuge :
Quand des haultz montz les arbres abbatuz
420N’auoient la mer ne les fleuues batuz.
Lors que n’estoit la terre ainsi ouuerte,
En mille endroitz naurée, & descouverte,
b 1 Pour [p. 18]
Pour en tirer les metaulx (ses entrailles)
L’or & le fer dont on fait les batailles
425Lors qu’on alloit vestu de tiretaine,
Viuant de fruitz, & d’eau bien clere & saine :
Lors qu’on auoit pour palais & chasteaux
Les buyssonnetz, & les arbres tant beaux.
Mais auiourd’huy on ne quiert que richesses,
430Et d’edifice, & d’habitz les haultesses,
Et follement au plus riche donneur
On vend son corps, son ame, & son honneur.
On’a le cueur, & l’œil aux hault montez,
A ceulx qui ont offices, dignitez,
435Et nulle part Homere, ny Horace
S’ilz n’ont de quoy ne pourront trouer grace.
Sapho Phaon n’a ainsi estimé :
Oenone n’a Paris ainsi Aymé :
Dido Aenée, Hypsiphile Iason,
440Ains ont ayme pour contraire raison :
C’estascavoir pour la grace, & sagesse,
Ou pour vertu, beaulté, force & ieunesse.
Et quoy que ce soit de leur amour l’yssue
Non bonne tant comme l’auoient conceue,
445Ce nonobstant est en toute maniere
A estimer leur amour plus entiere
Qu’au temps qui court, qu’on se vẽd follement
A quiconque a d’argent plus largement.
Ie n’ay ayme, ny monstré d’amour signe
450A ceulx qui m’ont offert maint present digne :
Ie n’ay ayme ny le present offert,
Et [p. 19]
Et endroit moy onc n’ay tel cas souffert.
Mais leur ay dict la response presente,
Amour est nud, & de soy se contente.
455Aussi ie croy que dame a prendre aprise
Facilement en prenant se rend prise.
On a beau dire, & beau dissimuler,
Femme qui prend ne peult plus reculer.
Car reculant donneroit a entendre
460Qu’honnestement ne pouoit les dons prendre.
Puys en prenant d’auarice se tache :
Et reculant le donneur elle fasche.
Car penses tu que les ieunes, & vieulx
Te font ainsi present pour tes beaulx yeulx ?
465Certes ainsi que le iuge qui prent
Contre le droict il offense, & mesprent,
Et sa confiance, & sentence renuerse,
Iustice vend, & Iustice n’exerce :
Ne plus ne moins, c’est vn poinct arresté,
470Fille qui prent, vous vend sa chasteté.
Pareillement tout ainsi que les mains
Par qui souuent passent des deniers maintz
Se vont souillant, & amassent ordure,
Ne plus ne moins la pensée plus pure
475Se Souillé en fin, & par presens receuz
Maintz nobles cueurs sont souillez, & deceuz :
Et qui recoit les presens qu’on luy donne
Avec le temps receura la personne.
Philippes dit, Tout lieu, tout domicile,
480Tout fort chasteau est a prendre facile
b 2 Ou peult [p. 20]
Ou peult entrer vng asne chargé d’or :
L’ennemy entre ou entre son thresor.
Ne plus ne moins que soubs belle herbe verte
Gist en secret la couleuure couuerte,
485Et soubz le miel poyson, & malefice :
Soubz les beaulx dons en ce poinct gist le vice.
Et tout ainsi que l’on prent les oyseaulx
Avec l’apast, les gluons, & pipeaulx,
Par l’or on prent des filles tant & plus :
490L’or est l’apast, le pipeau, & la glux.
Brief, en prenant certes par long vsage
Se laisse aller la plus constante, & sage.
Car des presens la precieuse soif
A ie ne scay quel miel tant doulx & souef,
495Qui affriande, & mue en toute guise
L’insatiable ardente couuoitise :
Qui lors contrainct maint cas faire, & penser,
Et de raison les limites passer.
Car de raison le droict fil, & la corde
500Avecques l’or & l’argent ne s’accorde.
L’esprit & corps de dame Eriphylé
Par les presens comment fut affolé ?
Par les presens, & conuoitise folle
Les filles ont trahy le Capitole
505Iadis a Romme. Et quel mal onc fut il
Que l’or ne feist en tout moyen subtil ?
Mais c’est bien faict, Amye non aymable,
Ce temps pendant que beaulté non durable
Ieunesse belle, & qui passe soubdain
Te [p. 21]
Te donnent heur, & quelque vent mondain,
Tous tes amans, de toy en rien aymez,
Si tu m’en croys me soient tresbien plumez :
Chasse tousiours, pille, & prens des amans
Cheines, anneaulx, rubis, & diamans :
515N’ayes pitié ny d’argent, ny de bourse,
Ny de la main qui fonse, & qui desbourse.
Car si apres quand ta grande ieunesse,
Et ta beaulté auec temps prendron [sic pour prendront] cesse,
Chascun amant alors qu’il te verra
520Incontinent de toy reculera.
Or suys contraire a toy de Court Amye,
Des dons tu prens, des dons ie ne pren mye.
Et puys tu viens tant louer liberté,
Celeste don, & a tous presenté.
525Et puys tu dis que la vertu te guyde,
Et que l’honneur par tout te sert de guyde.
Et puys tu dis en parolles patentes,
Tu te congnoys, & de toy te contentes.
Ce nonobstant tu scays l’autruy conquerre,
530Gaigner seigneurs, leur grace, & dons acquerre.
Et puys tu dis que ta felicité
Se constitue eternelle cité.
Dessus ce poinct aduise donc, & voy,
Qui est plus libre ou de toy, ou de moy.
535Qui de nous deux l’hõneur mieulx ayme, & suyt.
Qui de nous deux la vertu mieulx poursuyt.
Qui de nous deux a cueur plus excité
A acquerir l’eternelle cité.
b 3 Tu [p. 22]
Tu ne scaurois m’eschapper par ce tour,
540Que tu entends estre libre d’amour :
Au pis aller ie gaingneray ce poinct
Quant a l’argent que libre tu n’es point.
Que me chaut il que ton art diligent
D’amour t’exempte, & te tire a l’argent ?
545Que me chaut il que quand a chasteté
Veuilles garder tousiours l’honnesteté
Si en prenant des presens l’habandonnes,
Et de te mordre occasion tu donnes ?
Desia tu dys en vn petit mot rond,
550Que maint causeur est a te mordre prompt.
Qui est en cause ? vne main trop apprise
A prendre dons soubz faincte couuoitise.
Mais ie te dy que la liberté vraye
Onc ne sera en cueur qui l’amour haye.
555Et si te dy que l’honneur, & vertu
Deuant tes yeulx, & en cueur n’auras tu
(De quoy si fort, & si souvent te vantes)
Sans que tu soys l’une de ses seruantes :
Subiecte en tout a ce dieu debonnaire
560Remply d’honneur, & vertueux affaire :
Qui vole hault en pleine liberté,
Et ne peult estre encloz ny arresté.
Qui va regnant par le monde vnivers
Tout en despit des enuieux peruers.
565Qui est enfant tout remply d’innocence,
Et a tousjours purité en presence.
Qui va tout nud, & ne pretend nul vice :
Les [p. 23]
Les yeulx bandez comme dame iustice,
Pour demonstrer que persone n’accepte,
570Et ne fait point d’or & d’argent recepte.
Grand ou petit, pauure ou riche, tout vng
Sont quand a luy, a tous ilz est commun.
Mais quand tu dis que le faict de sage est ce
Ne refuser d’ung prince la largesse :
575Ie suis d’aduis qu’on se peult excuser,
Non sottement de largesse abuser.
Si toutesfoys le prince perseuere
Ne soit la dame inciuile, & severe :
Preigne de paour qu’il se fache, & irrite,
580Non pour la gloire y pretendre, ou merite.
Je ne veuil pas tel acte condamner :
Mais ie crains fort par tant prendre, & donner,
Que des presens la frequentation
N’engendre en fin habituation,
585Et vng desir couuoiteux. Ie presume
Qu’honneur y pend a qui en faict coustume.
Ainsi que toy qui en chascun cartier
Te vantes trop que tu en fais mestier.
Comme par tout aussi te vas vantant
590Que des amys tu en as acquis tant,
Que par tes yeulx dissimulez, & fainctz,
Et par ta langue aymer faulsement faings.
En quoy faisant appert que toymesme vses
De faulx semblant, dont l’amour tu accuses.
595Le doulx amour qu’on voit tout nud voler
N’est iamais fainct, ne peult dissimuler :
b 4 Car [p. 24]
Car il est nud, & jeune, & a des æsles.
Mais toy le choys des plus sages, & belles
Tu veulx de tous estre aymée tresbien,
600Et toutesfois tu ne veulx aymer rien.
Tu veulx auoir infinité d’amys,
Qui soient a toy tes petis serfz soubzmis,
Qui pour déesse incessamment t’adorent,
Et par presens iournellement t’honorent
605Ce temps pendent que de rire te meurs,
Trompant leur grace & leurs courtoises mœurs.
Tu veulx nourrir dissimulation,
Mere de mal, sœur d’adulation,
De trahyson l’amye, & la nourrice
610D’ambition, & mauldicte auarice.
Tu veulx iurer, & mentir faulsement
A maint amy que l’aymes ardamment :
Et puys tu dis qu’on lit en ton visage
Que ce n’est qu’ung du cueur, & du langage.
615Tu n’aymes nul, & si ilz t’ayment tous.
De leurs propos te mocques a tous coups.
Et puys apres tu dis que tu te veulx
Par vng exemple appuyer dessus eulx,
Comme la vigne en soymesme faschée
620Deuient en fin infertile, & seichée,
Quand d’aucun boys elle ne trouue appuy :
Ainsi tu crains qu’en tristesse, & ennuy
Les dons du ciel qui si fort t’enrichissent
Par nonchaloir sans tant d’amys perissent :
625Selon que dit la chanson telle quelle,
Fille [p. 25]
FILLE qui n’a d’amys comment vit elle ?
En mesme lieu (s’il fault que ie m’en rie)
Tu trouues donc appuy, & mocquerie.
S’il t’en souuient aussi tu as dit mesme
630Que tu te vas contentent de toymesme,
Regnant sur toy, de toy garde, & tutrice,
Et que te sens royne, ou imperatrice.
Quel besoing donc as tu de t’appuyer
Sur tant d’amys pour te desennuyer ?
635Ou pour te faire enrichir, & valoir
Par faulx semblant leur monstrer bon vouloir ?
Le chien qui garde entre tous animaulx
L’amour & foy exempte de tous maulx,
Dissimuler ne peult, car sa nature
640Est bonne, & franche, & de plaine ouuerture.
Il est amy, & compaignon feable,
Plain de secours, & priuaulté louable :
Et si ne peult iamais sur homme, ou beste
Mettre la dent pour mordre en faisant feste.
645
Qui ayme autruy, ou qui monstre semblant,
Il va son sang par les traictz d’œil troublant :
Car tout ainsi que le souleil qui est
Le cueur du monde, & qui meult sans arrest
En se mouuant eschauffe, & illumine
650Auec ses rays du monde la machine,
Y espandant sa vigueur, & vertu :
De nostre corps ainsi le cueur batu
Par mouvement lequel iamais ne cesse
Le sang prochain nous eschauffe sans cesse,
b 5 Et [p. 26]
Et par ce sang l’esprit vital enuoye
Par tout le corps : mais il trouue sa voye
Facilement par les vitres des yeulx,
Car luy subtil par la passe trop mieulx :
Pource que l’œil membre noble, & gentil,
660Par sus tout autre appert cler, & subtil.
Par les yeulx donc du corps guydes, & maistres,
L’esprit vital comme per deux fenestres
Passe tousiours, & plus facilement
Sans doubte aucun, & plus abondamment.
665Parquoy Tibere (ainsi disent les clercz)
Voyoit de nuict avec ses bons yeulx clers.
Aussi Auguste eut les yeulx si ardans
Qu’il contraignoit baisser les regardans.
L’esprit vital vray siege, & char de l’ame,
670Les yeulx d’autruy par les nostres enflame,
Les naure, & tue, & puys apres le cueur.
Car par les yeulx ceste viue liqueur,
Viuement traicte ardente, & bien subtile
Descend au cueur fort legiere, & habile,
675Et luy rauit sa chaleur, & sa vie.
Car n’ayant point d’habiter la enuie
Incontinent se retire chez soy,
Pillant l’autruy par force, & faulse loy,
Et emportant son sang, & sa vigueur
680Le laisse mort, ou en grande langueur.
Et de la vient que telz amans naurez
Sont tost de sens, & d’esprit esguarez.
Tremblent de froit, car la viue scintille
Entrent [sic pour entrant] [p. 27]
Entrant sur eulx, toute leur chaleur pille :
685Sont tous pasmez, craintifz, espouentez
Car la froideur cause timiditez.
A tous propos iectent souspirs extremes,
Car sentent bien qu’ilz se perdent eulx mesmes.
La dame donc qui son œil esuertue
690Sur le ieune homme, en trahyson le tue :
Par ainsi est homicide, & meurdriere :
Mais larronnesse, & sacrilege arriere.
L’or & l’argent en quelque grosse somme
Est possedé par le seul corps de l’homme :
695Et le corps est par l’esprit possedé.
Quiconque a donc sur l’esprit procedé
Par larrecin, robberie, ou pillage :
Ou qui le naure, & tue d’auantage,
Est convaincu qu’il n’est exempt, ne vuide
700Ce larrecin, sacrilege, homicide.
Voilà comment toy qui te dys amye,
Te vas monstrant cruelle, & ennemye
De tes amys, & comment par ton vice
Et faulx regard, acquiers triple supplice.
705Penelopé, Lucresse, Andromache
N’ont pas ainsi dressé l’œil, ne fiché.
De l’œil n’alloient iectans leur amesson
Ainsi que toy pour prendre le poisson.
Ainsi que toy n’ay vsé de faintise ?
710Autruy n’ay pris, & autruy ne m’a prise,
Si non vn seul ieune homme de hault pris
Que pour mary, & pour amy i’ay pris.
Et me [p. 28]
Et me voyant fort humble, tant m’ayma
Que pour amye, & femme prise m’a.
715Ie n’allois point haultaine, & glorieuse,
Ie n’allois point en habitz precieuse :
Mais bien i’allois ornée en ma ieunesse
De purité, de vertu, & simplesse,
Qui m’ont tant fait par ville renommer
720Qu’on m’a voulu Vraye Amye nommer.
Dont ne pren gloire, ains scay que c’est vn faict,
Vn don treshault de l’amour tant parfaict :
Que i’ay aymé, & suyuy en mes iours,
Que i’aymeray, & ie suyuray tousiours,
725Car il est beau, sage, bon, & honneste.
Sa grand sagesse, & bonté m’admonneste
Et me contraint ne le desadvouer,
Mais bien a luy sans cesse me vouer.
Qu’amour soit beau, qui est ce qui en doubte ?
730Mais qu’il soit bon, ie le prouve sans doubte.
Certainement ie dy que tout ainsi
Que ce qui est meschant, est laid aussi :
Ce qui est bon, est beau pareillement.
Ce qui est beau ne peult aucunement
735Qu’il ne consiste en parfaict, & bel ordre,
Ou n’y a rien que reprende, & que mordre.
L’ordre parfaict gist en equalité
Proportion, grace, honneur, dignité.
Proportion gist en la conuenance,
740En vng accord, & vne temperance.
Et temperance, ou modestie, gist
En [p. 29]
En la vertu qui la beauté regist.
Ainsi Amour ne peult estre qu’honneste,
Beau, sage, bon, gracieux, & modeste.
745Car si beaulté gist en perfection,
Et l’amour est vne fruition
De la beaulté : fault conclure en effect
Qu’amour aussi doibt estre bien parfaict.
Amour plain d’heur est tãt parfaict, & hault,
750Que plus que loix, & que les artz il vault.
Les artz escriptz, dix millions de loix
N’ont la vertu, l’efficace, & le poix
Pour exciter a bien faire, & bien viure
Comme l’amour, quiconque le veult suyure.
755Iustice avec le iuge, & le bourreau
Punissent gens & par feu, & par eau,
Pour retenir la paix, & seureté,
Et acquerir vne tranquillité.
Pour rende [sic pour rendre] en fin ce peruers monde munde,
760Quand tous les maulx seront chassez du monde.
Et si iamais ne peurent parvenir
Qu’en tel estat ilz feissent venir.
Le seul amour tout parfaict, & constant,
Vous fait cela quasi en vn instant.
765Car aussi tost qu’il a gaigné les cueurs,
Il mect a mort envies, & rancueurs.
Si tost qu’il est en vn cueur arresté
Il chasse hors villaine oysiueté,
De mille maulx la nourrice, & la mere.
770Il chasse hors malheur, & vitupere,
Il chasse [p. 30]
Il chasse hors larrecin, couuoitise,
Fureur, erreur, faulseté, & faintise :
Et en leur lieu y met grace, sagesse,
Doulceur, bon heur, conseil, force, & prouesse.
775
Il est tant fort qu’il fait plus que les armes,
Plus que tous preux en guerres, & alarmes.
Qui ne congnoist sa force, & sa constance ?
Qui osera luy faire resistence ?
Qui ne congnoist, & qui n’a entendu
780Qu’il a maint cueur magnanime rendu ?
Qu’il ne congnoist la vertu qu’il donna
A Hercules, alors qu’il estonna
Le bas enfers, & le feit tant ouurer
Pour son amy Theseus recouurer ?
785Qui n’a ouy la grace, & hardiesse
Qu’eut Orpheus recouurant en lyesse
Eurydice, sa femme trepassée
Et de la mort en vie repassée ?
Qui n’a ouy, & grandement n’estime
790Alcestis dame & royne magnanime,
Qui a la mort pour son espoux s’offrit ?
Puys Curtius, quand le gouffre s’ouvrit
Qui s’y iecta avec vn grand cueur d’homme
Pour appaiser l’ire des dieux sur Romme ?
795Tous ces haultz faictz de magnanimité
L’amour a faict, par vertu excité.
L’or & l’argent, les princes & les roys
N’eussent tant fait par leurs armes & loix.
Mais ie ne puys que ie ne m’esmerveille
De [p. 31]
De ceste Amye en ses dictz nompareille.
Qui tant souuent en son escrit approuue
Les autres dieux, & cestui cy reprouue.
Iuno, hymen elle va inuoquant,
Inuoque donc l’amour tout quant & quant.
805Car sans l’amour, & sa grand deité,
Iuno, hymen perdroient leur dignité.
Le doulx Amour qui les espoux conuoque,
Fait que Iuno, & hymen on inuoque :
Et comme Dieu en hault degré, excede
810Ces autres Dieux d’autant qu’il les precede :
Et que sans luy d’honneur vuides seroient,
Ie diray plus, quasi trespasseroient.
Vne chanson tant bien faicte ie trouve
Qui de l’Amour l’authorité approuve.
815Vous vsurpez Dames iniustement
Le commander : tout le commendement
C’est a Amour, rendez luy reuerence,
La ne vous sert ny raison, ny defence.
Dont voluntiers ie nommerois l’autheur
820Pour son scavoir, sa noblesse, & haulteur.
Ie vous tien trop mes dames bien aymées,
Et en l’Amour par tout bien estimées :
Mais de l’amour la vertu gracieuse
Est si diffuse, & si trescopieuse
825Que plus i’en dy, plus il m’en reste a dire :
Et plus i’escry, m’en reste a escrire.
Ie poursuyurois parlant de sa vigueur
Si ne craingnois que ma trop grand longueur
Vous [p. 32]
Vous offensast, & que diminuasse
830Aucunement l’audience, ou la grace.
Vous m’en croirez, par la grand amytié
Que me portez, qu’est creu de la moictié
Ce mien propos, & oultre ma pensée
S’est de moictie la matiere auansée.
835
Ie feray fin doncques bien tost apres
Qu’auray repris vng petit point expres,
Mis en auant par l’Amye de Court,
Dont la dispute, & tout le propos sourd.
Car ie ne veuil en l’erreur vous laisser,
840Ou ie la voy encliner, & baisser.
Tu dis, Amye a l’or emmiellée,
Qui as l’amour avec l’argent souillée
Que pour mary il vauldroit mieulx auoir
Vng riche sot, qu’ung homme de scavoir,
845Pauure de biens : puys tu resones ce poinct
Que l’auras riche, ou que n’en auras point :
Encor qu’il soit a tes mœurs tout contraire,
Et qui te donne & ennuy, & affaire.
Responds Amye, ou est donc maintenant
850La grand vertu qui t’aloit gouuernant ?
Ou est l’honneur, & la gloire estimée
Dont parauant tu t’es si fort armée ?
Ou est ta force & ta grande constance,
Qui a tout cas scait faire resistance ?
855Souffrir ne peulx vng poinct de pauureté,
Qui souffres bien vng homme a ton costé
Entre deux draps, voire sans qu’il te touche
Or [p. 33]
Or pauureté avec plusieurs gens couche
Sans les corrompre, & de l’amant tout nud
860Cela n’est point vray semblable tenu
Qu’il soit ainsi, qu’on l’aille demander
Aux deux amans, Hero, & Leander.
Et puys tu dis qu’aymes bien sembler celles
Qui par desir, & chauldes estincelles
865(O le beau mot) de tost faire cela,
Ne se faindront de faire ce tour la,
C’estascavoir de soy apparier
A leur valet, & de se y marier.
Et puys tu fais la Theologienne,
870Si qu’on diroit a la parolle tienne
Que tu serois en Dieu toute rauie,
Et sur le point de la celeste vie.
Si qu’on diroit de toy parfaicté dame,
Qu’es toute a Dieu fors que le corps, & l’ame.
875Quand tu as dit de ton esprit de pris,
Acompaignant les immortelz espritz.
Quand tu as dit (non pas sans arrogance)
Mais moy qui suys armée de constance :
Quand tu as dit parlant de ton histoire,
880Au ciel en soit, & non a moy la gloire.
Quand tu as dit assez hault pour l’entendre,
De Dieu la tiens, a dieu seul la veulx rendre.
Pareillement quand tu as voulu dire,
I’ay promis foy a son celeste empire.
885Quand tu as dit ces beaux motz precieux,
Que l’honneur va tousiours deuant tes yeulx,
C 1 Et [p. 34]
Et liberté de ta vie compaigne.
Ta langue (amye) en telz beaux motz se baigne.
On voit, en fin qu’en telz motz grand vantance
890S’eulement gist, & petite importance.
Il fault (dit on en prouerbe notoire)
Qu’un menteur ayt de son dire memoire,
Ou autrement on congnoistra en fin
Qu’il est menteur, mais non pas assez fin.
895
Si liberté as pour election,
Si tu ne veulx de composition
Digne de honte en toy mise en avant,
Qu’eslis tu donc le sot sur le scavant ?
Si le repos de ton esprit te duit,
900Et si vertu pas a pas te conduit,
Dy pourquoy donc la laisses tu pour prendre
Fragile bien qui tost se peult despendre ?
Et si tu as deuant tes yeulx l’honneur,
Pourquoy te mect ainsi a d’eshonneur
905Le sot espoux, fascheux, & ignorant
Lequel tu vas pour son or adorant ?
Quel bien auras, quelle grace, & saueur
Avec vn sot ? quel support ? ou faueur ?
Le sot espoux en fin t’abysmera :
910L’espoux scauant en fin t’eleuera.
Le scavoir duit, la sottise destruit :
Sottise aueugle, & le scavoir instruit.
Car la science est vn thresor en somme
Lequel iamais ne delaisse son homme.
915
Ton grand bien est congnoissance de toy.
To [p. 35]
Ton sot espoux ny de toy, ny de soy
N’aura science, & de tes grans valeurs
Iugera comme aueugle des couleurs.
Ia tu as dit, o amye oublieuse,
920Que c’est bien chose estrange, & odieuse
Que de tomber en la main, & puissance
De ces gros veaulx qui sont plains d’ignorance.
Qui n’ont raison, ny moyen de scavoir
Le traictement que meritons auoir :
925Avec lesquelz nous perdons liberté
Et ne trouuons nulle conformité.
Ce cas tu dis, & oses maintenir
Le plus grand mal qui nous peult aduenir,
En conseillant toutes dames notables
930Fuyr ces gens fascheux, & mal traictables.
Qui n’osera ton conseil refuser,
Quand tu n’en veulx toymesme en toy vser ?
Mais ne suffit que ta pensée faulse
Dehors l’honneur en richesse te haulse :
935Tu viens aussi les autres conseiller
Mis hors l’honneur a l’or tost se bailler.
Suffise a toy la tienne erreur meschante,
Aux autres donc ne soye plus preschante.
Car ton conseil plein de legiereté,
940Plain d’auarice, orgueil, & faulseté,
Gaster ne doibt, & n’est besoing qu’il blesse
Les tendres cueurs des dames en simplesse.
Les tendres cueurs aisez a deceuoir,
Que doibt regir l’amour, & non l’auoir.
C 2 De [p. 36]
De ton aduis amye trop amere,
N’eust point esté de Socrates la mere :
Pareillement ny des Gracques aussi,
Qui n’estimoit ces biens caducques cy.
De ton aduis, & sotte affection
950N’eust point esté la femme a Phocion,
Celle d’Hector, ny celle d’Admetus
Pleines d’Amour, & de toutes Vertus.
De ton aduis n’eust point esté Thesta,
Qui quelquefois hault & cler protesta
955Avec vn cueur de constance muny,
Qu’elle aymoit mieulx femme estre d’un banny
Homme de bien, que sœur de Denys prince
Mal renommé en toute sa prouince.
De ton aduis n’eust point esté Iulie,
960Hypsicratée auecques Cornelie :
Qui ont aymé l’Amour, Vertu, Prudence
En leurs espoux, & non pas l’opulence.
Et quel besoing que les hommes i’ameine
A mon propos ? l’histoire en est trop pleine.
965De Xenophon, de Caton, d’Alexandre,
De Lycurgus qui feit son nom espandre
Par bonnes loix qu’en Grece il ordonna,
De Lysander le preudhomme qui n’a
Receu les dons, pour ses filles orner :
970Voulant au roy la response donner
Que sans presens de ses robbes données
Trop mieulx seroient ses deux filles ornées.
D’Apollo dieu, & de Solon le sage :
Puys [p. 37]
Puys d’Hercules passant maint dur passage,
975Qui pauureté de son bon gré servit,
Mais volupté ne creut, ne poursuyuit.
Si pour l’argent ton cueur, & corps se donne
A vng espoux, tu ne prens sa personne :
Ains seulement ses grans biens tu espouses,
980Te demonstrant des auares espouses.
Si pour ta fin l’amour n’as proposé,
Si en l’amour ton cueur n’as reposé,
Querant les biens, tu metz ta fin expresse
Ou en la pompe, ou bien en la richesse,
985Ainsi appert que tu es glorieuse
Dedans ton cueur, ou auaricieuse.
Tu as appris en tresmauuaise escolle
Au lieu d’amour d’argent faire vne Idole.
Vray est qu’en nous la nature a planté
990Vn grand desir de nostre vtilité,
Mais ce qui vient de pure election
Emporte loz, & non d’affection.
L’affection ne merite louange :
Mais la raison qui l’affection change.
995Toy parlant donc auec le iugement
Du sens commun, non de l’entendement,
Tu voys tresbien sans plus longues disputes,
Qu’au rang te mectz des sotz, & bestes brutes :
Qui vont querant leur proffit, & santé,
1000Et vont fuyant leur perte, & pauureté.
Et en cela de rien ne les excedes,
Toy qui grand sens, & si diuin possedes.
C 3 Car [p. 38]
Car ce pendant tant parfaicte te fais
Que n’as pareille & en dictz, & en faictz.
1005
On en voit trop qui nouueaulx maryez
N’ont dix escus en leur bourse liez :
Mais avec temps, amour, & loyaulté,
Acquierent biens, & richesse a planté.
Petit bien croist par amour, & concorde :
1010Grand bien perit par hayne, & par discorde.
L’on voit souuent le pauure vertueux
Hault esleué, le riche sumptueux
Tost abbatu, & mis en decadence,
Ou par fortune, ou par son imprudence.
1015Du temps passé aduise les Seians
De nostre temps maintz grãs Iacques, & Iehans
Qui ont esté ou du tout renuersez
D’honneur & biens, ou seulement versez.
Mais qui tira Vlysses des perilz
1020Ausquelz ses gens ont esté tous peris ?
L’or & l’argent ? l’opulence et richesse ?
Le hault estat ? non pas, mais sa sagesse
Mais son esprit, mais sa grande science,
Prudence, force, & longue experience.
1025
Necessité est des artz inuentrice,
Elle n’est pas d’oysiueté nourrice :
Et tant s’en fault qu’elle soit ocieuse,
Que mesme on dit qu’elle est ingenieuse.
Elle ne vient a rire prouoquer
1030Sinon les folz. Mais qui se peult mocquer
Honnestement de la pauureté dure,
Que [p. 39]
Qu’auecque soy apporte de nature ?
Il fault que tous bien fort la surpportons [sic pour supportons],
Quand de naissance avec nous l’apportons,
1035Les riches gens bien qu’ilz ne la surpportent [sic pour supportent]
Ce nonobstant de naissance l’apportent.
Apren, apren de ton petit Caton
Que prendre en gré la pauureté tous nudz
Sommes icy par nature venus.
1040
Tu dis que c’est chose fort miserable :
Bien, mais que soit vn mal tout incurable
Ie te le nie, & sans dispute obscure,
Dix mille escuz en feront tost la cure.
Si tant voulois rimer pres d’incurable,
1045Dire pouois, c’est vn mal incroyable :
Ou autrement par cent termes diuers,
Sans donner son, & mensonge a tes vers.
Et quand tu dis que ton sot de mary
Tu instruyras, de cela ie m’en ry :
1050Qui as premier ta sentence rendue,
Raison n’est point des bestes entendue.
Mais ie te pry quelle necessité
As de te mettre en tel’ perplexité ?
En telle honte, en telle mocquerie ?
1055En tel torment, en telle facherie,
En tel labeur, en tel soulcy & peine
Dont vas doubtant que la fin en soit vainne ?
Mesme attendu que passer tu t’en peulx,
Puys que tu as du bien assez pour deux.
C 4 [p. 40]
Car tu as dict parlant de maint present,
Que l’on te fait, qu’aussi des a present
A tes donneurs toymesmes donnerois,
Et en donnant plus aise tu serois :
Si ce n’estoit que tu doubtes, & crains
1065Les grans causeurs qui sont de babil plains.
L’on peult doubter qu’en ce disant tu causes,
Quand ne vas pas bien coulourant tes causes.
S’il est ainsi que ia tu as des biens,
Il est certain d’auarice tu tiens :
1070Quãd les poursuys par hõte, & peine accroistre,
Faisant en toy le desir d’auoir croistre.
Des biens as donc, & n’as pas suffisance
Tu as cheuance, & tu nas pas constance.
Et ce pendant la petite formis
1075Qui a l’este sa peine, & son temps mis
A amasser, mieulx que toy se gouuerne.
Car tout l’yver repose en sa cauerne,
Iouyt du bien, n’espargne sa pictance :
Quand toy tu n’as repos, ne iouyssance :
1080Et ce que n’as quiers tant diligemment,
Comme l’acquis gardes soigneusement.
Mais plus de biens plus d’amys t’acquerront :
S’il te vient mal tes biens te secourront :
Par eulx auras medecins, medicines,
1085Herbes, vnguentz, & exquises racines.
C’est tresbien dict, tes amys apparens
Vouldroient desia, & tes plus grands parens
Tous assister a ton dernier seruice,
Ou [p. 41]
Ou pour ta gloire, ou pour ton auarice.
1090Ilz vouldroient ia tous d’un commun accord
Qu’entre tes dens eusses la belle mort.
Ce qui n’est pas de merueille, pourtant
Que n’aymes rien sinon l’argent contant :
Et quiers mary sot, & pecunieux
1095Plus que scavant, sage, & ingenieux.
Ou as tu leu aussi que les biens feissent
Guerir les gens, & que guerir les puissent ?
Maisons chasteaux, dor & d’argent amas,
Cheines, anneaux, veloux, satin, damas
1100Ne gueriront leur maistre estant mallade :
Ne rendront goust a sa bouche trop fade.
Puys il est seur que l’on craint de fonser
L’or precieux, on craint le desbourser.
L’auare gent se permet plus tost pendre,
1105Que ne fait pas un seul denier despendre.
L’or & l’argent instrument de tous maulx,
Donne a l’esprit plus de mille trauaulx.
Craincte de perdre, & craincte d’y toucher,
Comme sacré, & comme sur tout cher.
1110Craincte qu’on robbe, & pille la maison.
Craincte de glaiue, & craincte de poyson.
Car ie te dy (& en cela ie ne erre)
Poyson n’est beuue en vn hanap de terre.
Et puys apres avec vne grand conuoitise
1115Qui le tison avec tison attise,
Te rend en fin du tout insatiable,
Impatiente, & a nul agreable :
C 5 Fait [p. 42]
Fait ton esprit ardent, & diligent
Courir, brusler apres l’or & l’argent,
1120De quoy ton cueur est l’ardante fournaise.
En tel estat peulx tu estre a ton aise ?
Certes ainsi comme le roide Rosne
Te peult noyer, ou la parfonde Saone,
Ce que ne peult quelque petit ruisseau,
1125Ne plus ne moins l’amas, & grand monceau
D’or & d’argent, ton esprit noyera :
Et le petit iamais ne le fera.
Voila comment cueur aux biens arresté,
Est en d’arger, & hors de liberté.
1130Voila comment en pauurete fuyant
Sur vn roseau tu te vas appuyant.
I’ayme trop mieulx pauure estre de tel bien,
Parqui l’esprit n’est tranquille, ne bien,
Que d’en auoir pour souffrir troublement
1135En mon esprit, & en corps tremblement.
Le Cerf cornu & par mont, & par val
Gardoit iadis de paistre le Cheval,
Et le chassoit hors des communs herbages,
Iusques a tant que (pour de telz oultrages
1140Auoir secours) a l’homme se rendit.
Adonc le frain premieremeut [sic pour premierement] mordit,
Mais quand fut loing de son ennemy fier
Luy glorieux, voulant tout deffier
Demoura pris, & fut l’yssue telle
1145Que frein aux dens, & au doz eut la celle.
Lors sur son doz l’homme d’armes monta
Et [p. 43]
Et de ses dens le dur frein ne iecta.
Ainsi est il en fuyant pauureté
Tu te viens mettre en grand captiuité,
1150Entre les laqz de couuoitise vaine :
Tu mordz le frein d’auarice vilaine.
Ta liberté tu laisses en tous lieux
Pour le metal, mais liberté vault mieulx.
Que proffita l’or a Polydorus ?
1155La grand cheuance a Crœsus ? a Cyrus ?
Et l’auarice au roy Laomedon ?
Troye destruicte il receut pour guerdon.
Mais vn cueur noble a l’amour pour thresor.
Pource iadis feit grand refus de l’or
1160Fabricius tresprudent : & si as
Exemple encor de Crates, & Bias.
Dont l’un disoit qu’il portoit tous ses biens :
L’autre iecta dedans la mer les siens :
Pour estre libre, & pour philosopher,
1165Et beaucoup mieulx en vertu s’eschaufer.
Cela faisoit le dieu Amour en eulx,
Il les rendoit aussi constans & preux
A mespriser tout le bien de fortune.
Qui le corps tue, & l’esprit importune.
1170Cela faisoit l’amour d’honnesteté,
De Vertu, Foy, & vraye Liberté.
Et ce pendant toy d’amytié l’image,
Tu te rendz serue en riche mariage :
Et sur la fin de tes sages propos
1175Quiers la richesse, & non pas le repos.
Mais [p. 44]
Mais la fin tient de son commencement.
Car ie te veulx monstrer euidemment
Qu’en tes propos que tu as premier dictz,
Comme aux derniers tresbien te contredis.
1180
Tu dis qu’Amour quant a toy incongneu,
Tu n’as iamais ne pour archier congneu,
Ne de quel boys est son arc, & ses flesches :
Ne scays s’il a chauldes flammes, & seiches.
Tu croys que tout est poesie vaine
1185Qui nous enchante, ou frenaisie humaine.
Mais nonobstant incontinent apres,
Avec propos bien ample, & bien expres
Vas descrivant ses assaultz, & alarmes :
Ses feuz legers, tresdangereuses armes :
1190Ses traictz poignans, ses flesches, & ses dardz,
Dont sont armez & luy & ses souldardz.
Ainsi l’as dict, car i’ay bien voulu dire
Tes propres vers qui te font contredire.
On ne peult mieulx batre son aduersaire,
1195On ne luy peult plus grand’ iniure faire
Que le lier, & pour l’orgueil rabatre,
De tous costez de son baston le batre.
Or donc l’amour, & ses souldardz munis
De feuz, & traictz, grans assaultz infinis
1200S’en vont liurant en maintes compaignies,
Comme tu dis, & puys l’amour tu nies.
Et puys tu dis que de tes ennemys
Qui contre toy en plain camp se sont mis,
Amour en est souuerain conducteur.
Et [p. 45]
Et puys tu dis qu’il est fainct, & menteur :
Et puys tu dis que ton cueur de soy maistre,
Congnoist l’amour sans le vouloir cõgnoistre.
Et puys tu dis que les gens il martyre
Ce doulx tyrant auecques vn fainct rire.
1210Et puys tu dis qu’amour te faict sommer,
Que te veulx toute encontre amour armer.
Si tu responds que n’entends autre chose
Sinon en toy concupiscence enclose,
Par ce poinct la tu ne m’eschapperas :
1215Ains de rechef tu te contrediras.
Car en tout lieu tu te fais tant diuine :
Tu te congnois, & contre ta poictrine
Sans estre esmeue vn ieune homme as tout nud.
Grand don du ciel tu sens en toy venu.
1220Tu as constance, & tu te fais certaine
D’endurer soif au pied d’une fontaine.
En ton esprit de vray repos trop as :
Tousiours vertu te conduyt pas a pas.
Ainsi l’on voit que d’amour la vigueur,
1225Et grand’ vertu, sans contrainte, & rigueur
Ses ennemys induyt le confesser
En leur propos quasi sans y penser.
Combien que tu ne le fais tel qu’il est :
Il n’est tyrant, mais de secourir prest.
1230Et tant s’en fault qu’il soit tyrant cruel,
Que du monde est garde perpetuel.
C’est le grand neud indicible, inuincible,
C’est le lien immortel, infaillible,
Qui [p. 46]
Qui toute chose au monde accouple, & lie :
1235Et iamais rien ne descouple ou deslie.
Il n’est point fainct, mais nud, & sans vesture :
Et tient la clef dont il fait ouuerture
Par tout sans cesse en l’uniuersel monde.
C’est le sien traict, dont il gouuerne, & fonde
1240Le cueur de tout : sagette fructueuse,
Qui va tirant par grace vertueuse
De toute essence en lyesses expresses
Incessamment les formes, & especes.
O combien grande est ta diuinité !
1245O combien grande est ta grand’ maiesté,
Amour qui fais par ta bonté immense
Que toute chose a produire commence !
En toy s’arreste, & en toy se confie,
Par toy germine & par toy fructifie.
1250
Ce sainct Amour gouerneur studieux,
Ce sainct Amour prouiseur curieux,
Ne promet rien, qu’il ne puisse tenir :
N’entreprent rien ou ne puisse aduenir.
Et s’il promet l’impossible aisé rendre
1255(Dont tu te ris) le fera sans mesprendre.
Car par son traict, de ce monde la clef,
Facilement de tout cas vient a chef :
Gaigne les cueurs par grace naturelle,
Par sa bonté & doulceur eternelle.
1260
Mais que peult on penser, ny estimer,
Mais que peult on dire, ny exprimer
Plus impossible, incroyable en tout lieu,
Que [p. 47]
Qu’un ieune enfant vaincre le plus fort Dieu ?
C’est le Dieu Mars que l’amour suppedite,
1265Le ieune Amour de stature petite.
N’est ce vn grand cas d’une chose mortelle,
Qu’amour en fait vne chose immortelle ?
Le ieune Amour, luy seul rend immortel
Facilement ce bas monde mortel.
1270
Soit donc tousiours ton gros cueur endurcy,
Soit incredule, ignorant tout cecy.
O Dieu Amour, ceste imperfaicte amye,
Qui est de toy si perfaicte ennemye,
Sente le traict doré qui feit amy
1275Apollo fier, iadis ton ennemy :
Non pas celuy plombé, & rebouché
Dont de Daphne tu as le cueur touché.
A celle fin que contre Amour armée,
Ayme tousiours sans qu’elle soit aymée.
Hante le Frãcois.