In eundem Saguntinum. C. Fontaines
Dic mihi Sagunti , quæ te dementia cepit ?
Quæ tam atrox rabies te tibi surripuit ?
Quis furor insanus, quis te furor impius egit,
Scribendo nomen cõmaculare tuum ?
5Ah scripsisti in eum quẽ Gallia tota poetam
(Vt rumpare odio) gaudet habere suum.
Nũ tibi Borbonius , Macrinus , et ipse Doletus
Sunt tandem visi stringere in hunc calamum ?
Quin illi vatem vates (vt rite poetam
10Addecet) ornarunt laudibus immodicis.
Scripsisti solus : solus dicere poeta.
Scilicet hoc meruit scriptio sola tua. • Nous proposons la traduction suivante : « Dis-moi Sagon, quelle est cette folie qui s’est emparée de toi ? Et quelle est cette rage si tenace qui t’a dérobé à toi-même ? Quelle est cette fureur démente, cette fureur impie qui t’a poussé à salir ton nom en prenant la plume ? Ah, tu as écrit contre celui que toute la France se réjouit de considérer comme son poète, si bien que te voilà brisé par la haine. Mais enfin, n’as-tu pas réalisé que Bourbon, Macrin ou Dolet lui-même ont fini par dégainer leur plume en sa faveur ? Plus fort encore, ces chantres ont gratifié (comme il convient à juste titre pour un grand poète) ce génie de louanges infinies. Tu as écrit dans ton coin ? Tu seras le seul à te reconnaitre comme poète. Voilà en définitive tout ce que mérite ton écriture isolée ».
[f. E2 r°]
❧ EPISTRE A SAGON ET A
la Hueterie , par C. Fontaines .
Q Vant i’ay bien leu ces liures nou-
uelletz,
Ces chantz royaulx, epistres, ron-
deletz,
Mis en auant par noz deux secretaires,
Qui en rymant traictent plusieurs affaires,
5Ie leur escry par moyen de plaisir,
Sans leur vouloir ne mal ne desplaisir :
Car raison veult que ie les aduertisse
Qu’ilz n [’ ]ont pas eu du poete notice
Qui dit qu [’ ]on doyt garder ses vers neuf ans,
10Pource qu’on doit craindre flottes & vens
Lors qu’on trãsporte & qu’õ mect en lumiere
Des escriuans leur ouurage premiere :
Laquelle il fault reueoir diligemment,
Et de plusieurs auoir le iugement.
15
Celluy est sot, qui son imparfaict œuure
A toutes gens impudamment descœuure.
Plusieurs scauans disent, qui sont ces veaulx
Qui a rymer se rompent leurs cerueaux ?
Il semble a veoir quãt leur ryme on entonne,
20Que tout par tout la ou on l’oyt, il tonne.
Tour leur escript est rude, estrange, obscur,
Tant l’un & l [’ ]autre est en sa veine dur.
Il est bien vray, que cest art d’escripture
E2 [f. E2 v°]Est bien seant quant on l’a de nature:
25Ce qu’on congnoist a la facillite
De motz & sens, ou gist docilite.
C’est commũ dict, On ne fait rien qui serue,
Quand on le faict bongre malgre Minerue.
Ce que les gens d’esprit & de scauoir
30Facillement peuuent aparceuoir.
On voyt tãt biẽ vne œuure qui sent l’huille,
Ou esuentee, & seche comme thuille.
Il est facile a discerner les vers
Qui n’ont point vie, & gisent a l [’ ]enuers.
35Il est facile, on le sent a la trace,
Quant aucuns vers viennent de bonne race.
Ie ne veulx pas pourtant les abaisser,
A celle fin de mon stille haulser :
Car ie congnoys la petite science
40Que dieu me donne, & pren en patience :
Mais seullement ie veulx mettre en auant
Le iugement de maint homme scauant,
Et de plusieurs que leurs maistres seroient
Quant en cest art leur plume adresseroient.
45
Ie ne veulx donq trencher du paragon,
Pour me montrer ennemy de Sagon.
Ie ne pretendz ne plaid ne huterie
Auec Sagon , ne la Hueterie :
Ce non obstant, s’ilz en veulent a moy,
50Ie n’en feray (ce croy ie) en grand esmoy :
[f. E3 r°]Car ie veoy bien a peu pres que leur veine
Est vng petit trop debile, & trop vaine
Pour bien iouer : Cela tres bien ie scay
A veoyr sans plus leur poure coup d’essay.
55
Si dessus moy leur chollere s’allume,
La dieu mercy, nous auons ancre & plume
Pour leur respondre ung peu plus sagement
Qu’ilz n’ont escript tous deux premieremẽt.
Que bien que mal, selon noz fantasies
60Nous escriuons souuent des poesies :
Si ne suffist d’escrire maint blason,
Mais il conuient garder Ryme & rayson.
Ryme & rayson, ainsi comme il me semble,
Doiuent tousiours estre logez ensemble.
65
L’homme rassis doit son cas disposer
De longue main, auant que d’exposer
Son escripture, & ses petis ouurages
Dessoubz les yeulx de tant de personnages
Dõt plusieurs n’ont mis en ieu leurs volumes
70Cõbien qu’ilz soiẽt faictz d’excellẽtes plumes
Tãt moins doyt on faireun’ [sic pour faire un’ ] œuure imprimer
Ou il y a grandement a lymer.
Il fault souuent y approcher la lyme,
Auant qu’il soit permis que l [’]on l’imprime :
75Car les scauans disent, Bren du Rymeur,
Pareillement merde pour l’imprimeur,
Lequel nous vient cy rompre les ceruelles
[f. E3 v°]De ses traictez ne vallans deux groselles.
Tiltres haultains ne nous font qu’abuser
80A celle fin qu’on y voise muser.
Il n’y a point de plaisir en leur muse
Non plus qu’au son de vieille Cornemuse.
Ie n’eusse pas pense que de six ans
On eust peu veoir de si sotz Courtisans
85Qui eussent eu la plume si legiere
Qu’elle auroit peur de demourer derriere
On iugeroit que ces compositeurs
Sont aussi tots poetes que orateurs.
O Courtizans, vostre veine petite
90Pour bons Rymeurs va ung petit trop viste.
Non faict, que dis ie ? Ains pour le faire court,
Il fault ainsi auoir bruit en la Court.
Vng bon Rymeur qui a l’experience
Que de nature il a ceste science,
95En second point il ne doyt tant errer,
Qu’il n’ayt pouoir de sa main temperer,
A ce que par quelque maniere lasche
Dessus aultruy ses aiguillons ne lasche
Effrenement l’assaillant le premier.
100O le beau faict que l’on doyt premyer.
Ie ne vy oncq depuis que suis en vie,
Escrire plus d’ardeur, gloire, & enuye.
Certes l’escript le plus a detester,
C’est par ranceur mesdire & contester.
[f. E4 r°]Celluy lequel aguyse ainsi son stille,
Doyt a bon droict estre appelé Zoyle .
Tu monstres bien ta malle affection
A l [’ ]affligé donnant affliction.
Ce n’est pas la, ce n’est pas la la voye
110Pour paruenir a honneur & a ioye.
Communemẽt de tel commencement
On n’en voyt pas fort bon auancement.
S’en est bien loing, il y a trop a dire
Qu’on vienne a bien par blasmer & mesdire.
115
Certes auant qu’il soyt iamais dix ans,
On monstrera au doy les mesdisans.
Desia on dit, de la Hueterie
Et de Sagon ce n’est que flaterye.
A l’entour deux de cent pas on la sent :
120Ie l’ay desia bien ouy dire a cent.
Sage n’est pas celluy qui se soulace
A dire mal pensant acquerir grace,
Et mesmement qui dit mal de celluy
Qui ne s’endoubte [sic pour s’en doubte], & est bien loing de luy
125Dont il pretend auoir le lieu & gaiges.
Mais beau temps vient apres pluye & orages.
Facilement, & sans prendre grand soing
On dit du mal de celluy qui est loing,
Que l’on pourroit auoir en reverence
130Pour son scauoir, quand il est en presence.
Quand telles gens se cuydent auancer,
[f. E4 v°]Lors on les voyt tant plus desauancer.
Il ne fault pas par moyen deshonneste
Penser venir a quelque fin honneste :
135Et qui a il plus loing d’honnestete,
Que de mesdire auec vne asprete ?
Voyla comment, pour le mieulx, a ce cõpte
De vostre faict n [’ ]en peult sortir que honte
Et deshonneur, si vous n [’ ]estes comptez
140Pour gens qui sont desia tous eshontez,.[sic]
Ie m’esbahys comment tu as peu estre
Si aueuglé de te prendre a ton maistre.
Vous en deussiez tous deux mourir de dueil :
On le congnoist, & au doid, & a l’œil :
145D’autant s’en fault que la vostre Marotte
Ne luy resemble : elle est trop ieune & sotte.
Vng peu trop tost vous voulustes frotter
De l’ensuyuir pour contremarotter.
L’un va rymant la fere contre affaire,
150Et l’autre aussi frere contre desplaire :
L [’ ]autre par trop les oreilles m’offense
Quant pour allume a voulu dire accense.
L [’ ]autre redit moictie & amytie
En douze vers, & moins de la moictie.
155L [’ ]autre descript apres dieu scet comment
Vng chascun ciel & chascun Element,
L’astronomie, aussi l’astrologie,
Vous la diriez estre par eulx regie,
[f. F1 r°]Maistre & remectre, aussi cueurs & obscurs
160Ce sont beaux motz, mais en ryme il[sic pour ils] sõt durs
Et puys on veult pour agreable auoir
Œuure tant sot, & malplaisant a veoir.
Tantost apres vingt & deux Si arriuent,
Qui pas a pas l’un l’autre s’entrefuyuent.
165Puys Sagon fonde en docteur Arcadique
Quatre raisons sans texte euangelicque.
Aussi plusieurs personnages diuers
Oncques n’ont peu m’exposer ces deux vers
Ton mal penser, mect bien loing ta pensee
170Pres du soucy de ton ame offensee.
Pres & bien loing, s’entresuyuent tresmal,
Aussi sent il troubler l’esprit vital,
Et cela vient de trop d’audace prise,
Qui de plusieurs pourroit estre reprise.
175
Ce nonobstant, par telle folle audace
Nul d’eux ne quiert que d’estre mis en grace :
Ce qui leur est chose plusqu’impossible.
Que s’il m’estoit par bon loysir possible,
I’auroys assez pour esmouuoir maintz cueurs
180Des sotz propoz de ces Rhetoriqueurs.
Ne scay si bons la Commune les clame,
Mais ie scay bien que tout scauant les blasme.
Voyla que c’est, noz compositions
Veulent regner par noz affections.
185Ie n’ay loysir plus auant m’entremectre,
Fj [f. F1 v°]Mieulx mevauldroit [sic pour me vauldroit] ẽtreprẽdre autr e [sic pour autre] mettre
Ou l’on pourroit cuyllir quelque bon fruict :
Car ie ne veulx comme eulx acquerir bruict :
Mais ie scauroys voulentiers quel hõme est ce
190Qui m’asseurast en sa foy & promesse
Qu’il auroit peu tirer ung seul prouffit
De ces traictez que l’un & l [’ ]autre feyt
Tant froyds vers dieu, vers le mõde & l [’ ]eglise
Tant seulement chascun deux tempor ise [sic pour temporise]
195A celle fin d’obtenir quelque don.
Leur stille est doulx, voyre cõme ung chardõ :
Ce nonobstant cuydent en ceste sorte
Que de l’honneur & prouffit il en sorte.
Hõme ne doyt s’entremectre en quelq̃ art
200Duquel iamais n’entendit bien le quart