Présentation du projet

Dans la lignée des travaux d’édition et des redécouvertes d’auteurs méconnus de la Renaissance, l’édition des œuvres de Charles Fontaine vient combler une lacune dans les études seiziémistes, qui, à la suite du mépris affiché par les auteurs de la Pléiade (Ronsard, Du Bellay…), ont largement oublié la figure de Fontaine et le rôle qu’il a joué dans l’évolution de la poésie et dans la transmission de textes centraux de l’humanisme, par le biais de la traduction et de l’édition.

L’effacement produit par la stratégie de conquête de la Pléiade, qui a largement récrit l’histoire littéraire, a affecté l’œuvre de nombreux auteurs encore considérés comme « mineurs  », alors qu’ils ont pu être prolifiques et visiblement lus durant le siècle. Il s’agit de défaire la perspective téléologique qui a passé sous silence, à côté de celles d’autres poètes, les œuvres de Fontaine, cible de choix dans La Deffence et illustration de la langue françoyse de Du Bellay (1549). Le XIXe s. et le début du XXe s. ont partiellement contribué à exhumer ces auteurs, mais le mouvement ne s’est guère poursuivi. Si l’œuvre de Marot a regagné le devant de la scène, grâce aux travaux de Claude Albert Mayer, Gérard Defaux ou Guillaume Berthon, le travail reste à faire pour d’autres auteurs, et plus particulièrement le fils spirituel de Marot, Fontaine. Parmi les rares travaux récents, on compte deux ouvrages : un collectif (Charles Fontaine, un humaniste parisien à Lyon, éd. Guillaume de Sauza et Élise Rajchenbach, Genève, Droz, 2014) et un autre, de Marine Molins, sur les activités de traducteur de Fontaine (Charles Fontaine traducteur. Le poète et ses mécènes à la Renaissance, Genève, Droz, 2011). S’y adjoint la récente thèse de Pauline Dorio, qui accorde de longs développements à l’œuvre de Fontaine ( « La plume en l’absence » : le devenir familier de l’épître en vers dans les recueils imprimés de poésie (1527–1555), sous la direction de Michel Magnien, soutenue le 22 avril 2017, Université Paris 3 – Sorbonne nouvelle), celle de Mathilde Vidal (« Bon jour, bon an et bonne étrenne » : Poétique de l’étrenne en vers de Marot à Scarron, sous la direction de Jean Vignes, soutenue le 25 septembre 2019) ainsi qu’une série d’articles d’Élise Rajchenbach.

La dynamique scientifique est précisément à l’édition de ces auteurs longtemps ignorés. On pense par exemple au projet d’édition des œuvres de Michel d’Amboise dirigé par Sandra Provini (Université de Rouen) ou de Jean Bouchet par Nathalie Dauvois (Université Paris 3 – Sorbonne nouvelle). Le but est de proposer au public et aux chercheurs des textes et des outils qui permettront de mieux cerner le paysage humaniste, Fontaine apparaissant comme une figure de référence, régulièrement alléguée et prise pour modèle ou pour repoussoir, et qui s’inscrit au cœur des débats littéraires et linguistiques de son temps. Surtout, son œuvre s’étend sur une période relativement longue, du milieu des années 1530 au début des années 1560, c’est à dire à une période clef de la Renaissance, marquée par le combat puis l’avènement de la Pléiade. Ce projet permet donc de combler un vide éditorial qui ampute le paysage humaniste français.

Fontaine est un de ces auteurs méconnus dont la fréquentation assidue et attentive est pourtant essentielle pour comprendre les grandes œuvres du XVIe siècle. Poète se réclamant de l’héritage de Marot et cultivant des relations ambiguës avec la Brigade, il est l’un des fers de lance de la Querelle des Amyes, avec sa Contr’Amye de Court (1543). C’est un auteur prolixe, qui inscrit sa poésie dans un réseau tentaculaire qu’il se plaît à mettre en scène et qui cultive tant la poésie religieuse – marquant une probable attirance vers l’évangélisme – que la poésie profane. C’est également un traducteur, distingué très tôt par Étienne Dolet. Il traduit ainsi un traité des songes d’Artémidore, les épîtres d’Ovide, les poètes sentencieux antiques et offre un épitomé du De Asse de Guillaume Budé. Il est également l’éditeur de Clément Marot et, en tant que figure officielle lyonnaise – il fut principal du Collège de la Trinité à Lyon –, organisateur de l’entrée du roi Charles IX à Lyon. Enfin, il fut un acteur essentiel dans le monde du livre. Son œuvre concentre ainsi de nombreux enjeux littéraires du siècle.

Les travaux menés ces dernières années permettent de souligner la pratique sociale de l’écriture selon Fontaine, que permettra de visualiser et d’approfondir cette édition numérique. De manière symptomatique, les textes de Fontaine sont régulièrement cités par les chercheurs pour éclairer la carrière de divers contemporains qui se trouvaient dans le vaste réseau de Fontaine. L’édition offrira une identification plus systématique que le picorage scientifique actuel des multiples dédicataires de Fontaine. Elle proposera une notice sur chaque contact et permettra de les visualiser dans la géographie française ainsi que dans le champ littéraire. Cela passera par une collecte des pièces adressées par d’autres que Fontaine à ces interlocuteurs ou composées par ces interlocuteurs, auxquelles ont pourra accéder via le nom du dédicataire. Il s’agira également de dresser une carte des contacts de Fontaine. Les possibilités octroyées par l’édition numérique permettront de reconstituer de manière claire et exploitable par la communauté scientifique les réseaux de Fontaine et d’élaborer ainsi une connaissance plus fine des réseaux humanistes en France.